Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 5/98 Décision rendue le 23 juin 1998

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C., 1985, c.H-6 (telle que modifiée)

TRIBUNAL D'APPEL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA (TERRA TRANSPORT) Appelante (Intimée) et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE Intimée (Commission) et

BARRY CRAMM Intimé (Plaignant) et

FRATERNITÉ DES PRÉPOSÉS À L'ENTRETIEN DES VOIES Intimée


DÉCISION DU TRIBUNAL D'APPEL


TRIBUNAL: Anne L. Mactavish Présidente Hendrika M. Adams Membre Allen M. Ruben Membre COMPARUTIONS : Manon Savard et Maeve Baird Procureures de l'appelante

Margaret Rose Jamieson Procureure de la Commission canadienne des droits de la personne

Barry Cramm En son nom Rebecca Phillips Procureure de la Fraternité des préposés à l'entretien des voies

DATES ET LIEU Les 2, 3 et 4 mars et les 4 et 5 mai 1998 DE L'AUDIENCE: St-Jean, Terre-Neuve

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. EXAMEN DES FAITS

III. PORTÉE ET RÈGLE DE L'APPEL

IV. L'APPEL

a) Première question en litige : La définition de service cumulatif rémunéré contenue à l'alinéa G iii) du RGER contrevient-elle à l'article 10 b) de la LCDP

i) Position de l'appelante

ii) Position de la Commission

iii) Nature du RGER

iv) Analyse

b) Deuxième question en litige : La définition de service cumulatif rémunéré est-elle susceptible de créer à l'encontre d'employés une discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la déficience?

i) Décision du tribunal de première instance

ii) Position de l'appelante

iii) Position de la Commission

iv) Analyse

c) Autres motifs d'appel

V. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

Il s'agit d'un appel à un tribunal d'appel en vertu de l'article 55 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP ). La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Terra Transport) (le CN ), l'une de deux intimées nommées dans la plainte de M. Cramm, en appelle d'une ordonnance d'un tribunal des droits de la personne (le tribunal de première instance ) rendue le 16 octobre 1997. Le tribunal de première instance a fait droit à la plainte de M. Cramm, et a conclu que le CN et sa cointimée, la Fraternité des préposés à l'entretien des voies (la FPEV ), avait enfreint les dispositions de l'article 10b) de la LCDP en concluant une entente qui a causé à M. Cramm et à d'autres personnes un effet préjudiciable, fondé sur la déficience. Le tribunal de première instance a rendu diverses ordonnances rémédiatrices. La FPEV n'en a pas appelé de cette décision.

II. EXAMEN DES FAITS

M. Cramm a commencé à travailler pour le CN à Terre-Neuve en 1974, obtenant éventuellement un poste d'agent d'entretien de la voie. Le 11 septembre 1980, M. Cramm a subi un accident alors qu'il travaillait et a été blessé grièvement. Il n'a pas travaillé du 11 septembre 1980 jusqu'à mars 1984. M. Cramm recevait des indemnités d'accident du travail à compter de la date où il a été blessé jusqu'au 1er juin 1981, date à laquelle la Commission des accidents du travail de Terre-Neuve (Newfoundland Workers' Compensation Commission) a jugé M. Cramm apte à retourner au travail. M. Cramm ne semble pas en avoir appelé de cette décision. M. Cramm n'avait pas l'impression d'être suffisamment remis de ses blessures pour se permettre de retourner au travail avant mars 1984. Une preuve considérable a été présentée au tribunal de première instance concernant les antécédents médicaux de M. Cramm, y compris des éléments de preuve qui n'ont peut-être pas été présentés à la Commission des accidents du travail. Le tribunal de première instance a considéré comme un fait établi que M. Cramm était atteint d'une incapacité de septembre 1980 à mars 1984. Cette conclusion n'a pas été portée en appel.

En octobre 1988, le CN a avisé ses employés, y compris M. Cramm, de son intention de fermer le chemin de fer à Terre-Neuve. M. Cramm a de plus été avisé que son poste d'agent d'entretien de la voie était aboli et ce, à compter du 28 octobre 1988. Avis de fermeture imminente avait été donné auparavant au syndicat de M. Cramm, la FPEV, en vertu de l'article 8 du Régime de garantie d'emploi et de revenu (le RGER ), daté du 18 juin 1985, lequel régime faisait partie des accords contractuels entre le CN et la FPEV. L'avis en vertu de l'article 8 du RGER devait être donné dans les cas où un changement technologique, opérationnel ou organisationnel aurait une incidence sur les employés.

En vertu des dispositions du RGER, les employés du CN faisant l'objet de changements technologiques, opérationnels ou organisationnels avaient certains droits, dont l'étendue dépendait du nombre d'années de service cumulatif rémunéré (le SCR ) de chaque employé. La définition G du RGER définit le SCR. Les parties pertinentes de la version du 29 juillet 1988 du RGER se lisent comme suit :

[Traduction]

G. Service cumulatif rémunéré signifie :

i) un mois de service cumulatif rémunéré comptera 21 jours ou la majeure partie de cette période ...

iii) est compris dans le calcul du SCR, le temps hors travail pendant lequel un employé qui fournit des services rémunérés au cours d'une année civile est absent pour cause de maladie réelle, de blessure, de congé de maternité autorisé, de participation à des réunions de comités, de témoignage devant un tribunal, ou de l'exercice non rémunéré des fonctions de juré, ne dépassant pas un total de 100 jours au cours d'une année civile.

Les employés comptant plus de huit ans de SCR et qui avaient un poste permanent au moment des changements technologiques, opérationnels ou organisationnels avaient droit à la garantie d'emploi. La nature de la garantie d'emploi sera discutée plus en détail dans la section suivante de cette décision.

En octobre 1988, moment où les droits de M. Cramm se sont cristallisés relativement à la garantie d'emploi, M. Cramm comptait moins que les 96 mois de SCR requis pour être admissible à la garantie d'emploi. La preuve présentée sur le temps précis de SCR que possédait réellement M. Cramm était très insatisfaisante et a changé à maintes reprises au cours de l'audition devant le tribunal de première instance. Il semble qu'il comptait environ de 87 à 91 mois de SCR, bien que le tribunal de première instance n'ait pas conclu de façon spécifique à cet égard. Toutefois, il est bien établi que M. Cramm n'a pas accumulé de SCR pendant la plus grande partie du temps où il ne travaillait pas en raison de l'application de la définition G et que s'il avait pu compter ce temps au titre du SCR, il aurait eu droit à la garantie d'emploi suite à la fermeture du chemin de fer à Terre-Neuve.

Les dispositions du RGER négociées par le CN et la FPEV qui ne permettent pas à M. Cramm d'accumuler pleinement de SCR pendant son incapacité sont le fondement de la plainte de M. Cramm en vertu des droits de la personne. M. Cramm allègue que l'entente lui a causé un effet préjudiciable, ainsi qu'à d'autres employés, sur la base de la déficience.

Nonobstant l'abolition de son poste d'agent d'entretien de la voie, M. Cramm a continué à travailler pour le CN jusqu'au 5 décembre 1990, exécutant des fonctions liées au démantèlement du chemin de fer. Son emploi continu au CN n'a pas eu d'incidence sur son droit à la garantie d'emploi, la cristallisation de ses droits à cet égard ayant eu lieu en octobre 1988. Depuis 1990, M. Cramm a été employé de façon sporadique, principalement comme pêcheur.

III. PORTÉE ET RÈGLE DE L'APPEL

Un appel à un tribunal d'appel est régi par les dispositions de l'article 56 de la LCDP. Le tribunal d'appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait. Le tribunal d'appel qui statue sur les appels peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l'objet des appels. Dans la mesure où les questions en litige soulevées dans le présent appel comprennent des questions de droit, les parties conviennent que le tribunal d'appel doit intervenir s'il conclut que le tribunal de première instance a erré en droit lors de sa décision.

Les pouvoirs accordés à un tribunal d'appel peuvent être modifiés lorsque le tribunal d'appel reçoit de nouveaux éléments de preuve (Attorney General of Canada v. Lambie and the Canadian Human Rights Commission, [1996] F.C.J. No.1695, (1996) 124 F.T.R. 303 (F.C.T.D.). Dans cette cause, le tribunal d'appel a permis à l'appelant de présenter de nouveaux éléments de preuve. Le témoignage de M. Scott MacDougald, directeur des relations de travail du CN, a porté sur certaines modifications apportées au RGER en 1995. Son témoignage était lié à un des motifs d'appel en ce qui a trait à la question de la réparation. Bien que le tribunal d'appel ait entendu de nouveaux éléments de preuve, à la lumière des conclusions sur la question de responsabilité, il n'a pas été nécessaire de considérer la preuve présentée par M. MacDougald. Ainsi, les conclusions auxquelles nous sommes arrivés reposent sur la preuve présentée devant le tribunal de première instance, en appliquant la règle énoncée au paragraphe précédent.

IV. L'APPEL

Le premier motif d'appel soulevé par le CN est le suivant :

[TRADUCTION]

Le tribunal des droits de la personne a erré en concluant que la définition du service cumulatif rémunéré contenue à l'alinéa G iii) du Régime de garantie d'emploi contrevenait à l'article 10 b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et plus particulièrement, le tribunal des droits de la personne a erré en concluant que la définition du service cumulatif rémunéré était susceptible de créer à l'encontre d'employés une discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la déficience.

Ce motif d'appel soulève deux arguments distincts, lesquels seront discutés tour à tour. Il est à remarquer que ni la FPEV ni M. Cramm n'ont présenté d'arguments à l'égard des deux aspects de ce motif d'appel.

a) Première question en litige :

La définition de service cumulatif rémunéré contenue à l'alinéa G iii) du contrevient-elle à l'article 10 de la LCDP?

i) Position de l'appelante

L'appelante prétend que le RGER ne constitue pas une entente visée à l'article 10 b) de la LCDP, et prétend de plus que le tribunal de première instance a erré en droit, en ne décidant pas si l'entente en question tombait ou non sous le coup de l'article 10 b) de la LCDP.

L'article 10 de la LCDP stipule ce qui suit : 10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

  1. de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;
  2. de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

L'appelante soutient que toutes les ententes liées à l'emploi ne seront pas assujetties à l'application de l'article 10 b) de la LCDP. Selon l'appelante, le Parlement a clairement énoncé que seules les ententes énumérées à ce paragraphe sont susceptibles d'être contestées. De plus, avant qu'un individu ou une catégorie d'individus puissent bénéficier de la protection de l'article 10 b), l'appelante allègue que l'entente doit annihiler les chances d'emploi de l'individu ou de la catégorie d'individus.

Le CN soutient que le libellé de la version française de la LCDP est encore plus clair en ce qu'il stipule expressément que l'entente visée doit être susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus...

De plus, l'appelante soutient que l'expression tout autre aspect d'un emploi doit se lire selon la règle ejusdem generis par rapport aux mots qui les précèdent immédiatement et que l'application de l'article 10 b devrait se limiter aux ententes du même genre que celles prévues expressément à ce paragraphe, c'est-à-dire des ententes liées à l'accès à l'emploi et à la participation au milieu de travail. La position du CN s'appuie sur les commentaires du juge McQuaid de la Cour d'appel fédérale dans Stevenson c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 C.F. 691, dans laquelle il a déclaré ce qui suit :

À mon avis, cet article [article 10] ne traite pas d'une situation de mise à la retraite mais concerne plutôt les procédures initiales d'embauche ainsi que les questions relatives à la formation et autres modalités résultant de l'embauche. Je considère que l'expression tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel, au paragraphe b), se rapporte directement aux mots qui la précèdent immédiatement. (aux p. 721-722)

L'appelante soutient que le juge Marceau, aussi de la Cour d'appel fédérale, a conclu de façon similaire en ce qui a trait à la partie contestée de l'article 10 b), dans Canada c. Mossop, [1991] 1 C.F. 18, où il a déclaré ce qui suit :

Avait-on l'intention de faire en sorte que tout avantage découlant d'un emploi soit perçu comme une chance d'emploi ou d'avancement? J'en doute sérieusement. Chose certaine, la version française et, irais-je même jusqu'à dire, la version anglaise suggèrent un sens plus restreint, à savoir que seuls l'engagement et les promotions étaient visés. Une telle limitation ne serait pas sans fondement, si l'on se rappelle que l'article 10, contrairement aux articles 7 et 9, ne s'applique pas seulement à la discrimination véritable, mais aussi à la discrimination éventuelle; par conséquent, il nécessite que l'on fasse une analyse plus globale et plus approfondie de l'objet et de l'incidence des mesures et des ententes générales, au lieu de s'en tenir à une simple évaluation de fait donnée. (aux p. 30-31)

L'appelante reconnaît que ce commentaire a été fait en obiter et que la Cour supême du Canada ne s'y est pas penchée lorsqu'elle a examiné la question.

Selon l'appelante, le RGER prévoit uniquement des indemnités d'emploi et, par conséquent, ne constitue pas une entente touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

L'appelante soutient que les employés du CN ne tirent un avantage du RGER qu'une fois que toutes leurs chances d'emploi sont épuisées conformément aux conventions collectives pertinentes et que le RGER n'a pas d'incidence sur l'accès à l'emploi, de même qu'il n'influe pas sur les chances d'avancement d'un employé, une fois qu'il est engagé.

ii) Position de la Commission canadienne des droits de la personne

La procureure de la Commission canadienne des droits de la personne allègue que l'interprétation restrictive de l'article 10 b) invoquée par l'appelante constitue une fausse interprétation des jugements de la Cour d'appel fédérale dans Stevenson et Mossop et de plus, qu'elle est contraire à la direction adoptée par la Cour suprême du Canada en matière d'interprétation des lois sur les droits de la personne. Les lois sur les droits de la personne devraient être vues comme lois fondamentales et recevoir une interprétation large et libérale de façon à assurer la réalisation de leur objet. Nous ne devrions pas rechercher des façons de limiter les droits et d'en affaiblir les effets. La procureure cite, entre autres, des causes comme Commission ontarienne des droits de la personne c. O'Malley, [1985] 1 R.C.S. 536, Roberts c. Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 387 et CN c. Canada (Commission des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, à l'appui de cette prétention.

La Commission allègue de plus que les versions française et anglaise de l'article 10 b) peuvent être interprétées de manière à englober toutes les relations de travail. Employment opportunities aussi bien que les chances d'emploi ou d'avancement doivent comprendre, selon toute interprétation téléologique, les attributs des relations de travail.

Enfin, la Commission prétend que le RGER protège les employés contre un changement technologique, opérationnel ou organisationnel. L'entente prévoit un accès continu aux relations de travail et devrait être considérée comme tout autre aspect d'un emploi .

iii) Nature du RGER

Outre la présentation en preuve du RGER, une preuve considérable a été présentée au tribunal de première instance sur la nature de l'entente ainsi que sur l'historique et l'objectif de sa négociation.

Avant 1985, un régime de sécurité d'emploi existait entre le CN et les différentes unités de négociation, dont la FPEV. Le régime prévoyait des prestations d'assurance-chômage supplémentaires, un recyclage, des indemnités de cessation d'emploi pour les employés qui avaient perdu leur emploi ainsi que d'autres prestations similaires. En 1985, le CN et plusieurs de ses syndicats ont négocié un nouveau contrat qui contenait, outre le programme de sécurité d'emploi préexistant, un nouvel accord connu sous le nom de Garantie d'emploi , offert aux employés qui comptaient plus d'années de service. Au dire de tous, il s'agissait d'un programme extrêmement généreux.

Les modalités du RGER ont évolué au fil des ans. Pour les fins de la présente décision, les dispositions du RGER, tel qu'il existait à l'automne 1988, seront prises en compte car la preuve établit que les droits de M. Cramm en vertu du RGER se sont cristallisés au mois d'octobre de ladite année, lorsqu'il a reçu l'avis de la fermeture prochaine du chemin de fer de Terre-Neuve.

En vertu de l'article 7 du RGER, un employé comptant huit ans de SCR était protégé contre une mise à pied, si la mise à pied avait autrement eu lieu en raison d'un changement technologique, opérationnel ou organisationnel. Dans ces cas, l'employé visé aurait droit à 100 p. 100 de son salaire et des avantages connexes, à compter de la date de la mise à pied jusqu'à la retraite. Pour demeurer admissible aux avantages de garantie d'emploi, l'employé devait se prévaloir de ses droits d'ancienneté conformément aux dispositions de l'entente relative aux postes au sein de l'unité de négociation. Dans le cas où aucun poste n'était disponible en vertu de la compétence du syndicat de l'employé, l'employé pouvait occuper un poste avec un autre syndicat. En vertu de n'importe quel de ces postes, l'employé pouvait être réinstallé dans une nouvelle région géographique, conformément aux dispositions de l'entente.

L'article 5 du RGER contient des dispositions sur la formation des employés. En vertu de l'article 5.1, un employé bénéficiant de la garantie d'emploi et dont le poste était aboli et qui ne peut travailler en raison d'un manque de compétences, peut recevoir de la formation pour d'autres postes, conformément aux dispositions dudit article. Le refus d'un employé de suivre la formation pouvait entraîner la perte des droits à la garantie d'emploi.

Le RGER contient d'autres dispositions, dont les indemnités de cessation d'emploi, la bonification des prestations d'assurance-chômage, le paiement des frais de réinstallation, l'encouragement à la retraite anticipée et le maintien des taux de rémunération.

iv) Analyse

Suite à l'examen de la décision du tribunal de première instance, il semble que pour les fins de son analyse le tribunal de première instance a présumé que le RGER constituait une entente au sens de l'article 10 b) de la LCDP. Cette présomption de la part du tribunal de première instance est compréhensible puisque les prétentions du CN ne semblent pas avoir porté sur cet argument devant le tribunal de première instance.

Bien que les parties aient soulevé une question intéressante sur la signification appropriée des mots tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel qui sont utilisés dans de l'article 10 b) de la LCDP, il n'est pas nécessaire d'aller au-delà des genres d'ententes énumérées de façon précise dans la loi, pour les fins de notre analyse.

Le RGER crée un régime complet qui prévoit une protection salariale à l'égard des employés admissibles dont le poste a été aboli suite à un changement technologique, opérationnel ou organisationnel. Dans l'opinion du tribunal d'appel, la prétention de l'appelante selon laquelle le RGER devrait être considéré comme une entente prévoyant différentes formes d'avantages progressifs (et par conséquent, hors de la portée de l'article 10 b) de la LCDP) est trop simpliste et ignore les aspects importants du programme de garantie d'emploi. Outre la protection salariale, le RGER prévoit le recyclage des employés dont le poste a été aboli pour qu'ils puissent occuper d'autres postes au sein de l'entreprise, de même qu'il prévoit un protocole à suivre en ce qui a trait à la réaffectation ou à la mutation des employés à un nouveau poste.

De plus, en vertu du RGER, les employés qui bénéficient de la garantie d'emploi continueront d'avoir accès à d'autres postes au sein de l'entreprise, y compris des postes en dehors de la compétence du syndicat de l'employé, à compter de la date de la mise à pied jusqu'à la date de la retraite. Contrairement à ce qui précède, en vertu de l'article 16 de la convention collective entre la FPEV et le CN, les employés mis à pied par le CN et qui ne sont pas admissibles à la garantie d'emploi ne conservent leur droit d'être rappelés à des postes en vertu de la compétence de leur syndicat que pendant une année à compter de la date de la mise à pied, après quoi ils peuvent être retirés de la liste d'ancienneté pertinente en vertu d'une entente entre l'entreprise et le syndicat. En d'autres mots, la garantie d'emploi prévoit un plus grand accès aux chances d'emploi au sein du CN qu'il n'en existerait autrement.

Pour ces motifs, nous sommes d'avis que le RGER est une entente au sens de l'article 10 b) de la LCDP, ayant une incidence sur la formation et les mutations des employés, ainsi que sur l'accès aux chances d'emploi, entre autres.

Par conséquent, malgré les prétentions très pertinentes de la procureure du CN, cet aspect de l'appel du CN ne peut être accueilli.

b) Deuxième question en litige :

La définition de service cumulatif rémunéré est-elle susceptible de créer à l'encontre d'employés une discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la déficience?

i) Décision du tribunal de première instance

Le tribunal de première instance a décidé que les indemnités d'emploi (autres que celles prescrites par la loi) n'ont pas à être offertes, qu'un employeur peut, après une période raisonnable, congédier un employé qui est tout à fait incapable de travailler ou dont les besoins nécessaires à l'accomplissent de son travail ne peuvent ètre comblés. Dans le cas où des indemnités d'emploi sont accordées, elles ne peuvent établir une discrimination à l'encontre de personnes atteintes d'une déficience, ni faire de distinction entre les catégories de personnes atteintes d'une déficience.

Le tribunal de première instance a conclu que l'exigence de travailler une journée au cours d'une année civile établissait une discrimination par suite d'un effet préjudiciable, puisqu'elle établissait une discrimination à l'encontre de ceux qui ne pouvaient pas du tout travailler au-delà d'une année civile. Quant à la limite de 100 jours imposée par le paragraphe iii) de la définition G, le tribunal de première instance a conclu que cette limite était discriminatoire parce qu'elle traitait ceux atteints d'une incapacité à court terme différemment de ceux atteints d'une incapacité à long terme.

S'appuyant sur la preuve présentée par Alan Sunter, le statisticien appelé comme témoin par la Commission canadienne des droits de la personne, le tribunal de première instance a conclu qu'une catégorie identifiable d'individus étaient susceptibles de subir un effet préjudiciable de la même manière que M. Cramm, soit les individus atteints d'une maladie à long terme au-delà de 100 jours ou qui ne pouvaient travailler au moins une journée au cours d'une année.

ii) Position de l'appelante

L'appelante soutient que la définition de SCR que contient le RGER n'annihile pas les chances d'emploi d'un employé ou d'un groupe d'employés fondé sur un motif illicite de distinction. Selon l'appelante, le paragraphe iii) de la définition G ne peut être pris de façon isolée et doit être examiné dans le contexte de l'ensemble de la définition, afin de pleinement comprendre la nature de l'avantage accordé en vertu du paragraphe iii).

Comme l'a fait remarquer le tribunal de première instance, en vertu de la LCDP, l'employeur n'est pas obligé de rémunérer des employés qui n'exécutent pas un travail. L'appelante soutient que l'intention des parties à l'entente était de lier l'accumulation de SCR à l'exécution du travail. Cette intention apparaît au paragraphe i) de la définition G, quoique selon une formulation libre, puisque l'employeur exige uniquement que l'employé travaille pendant la plus grande partie du mois pour gagner un crédit de SCR pour le mois.

Selon l'appelante, le paragraphe iii) de la définition G donne aux employés absents du travail pour les raisons qui y sont énumérées le droit d'accumuler du SCR à certaines conditions. Une exception est ainsi créée à la règle générale prévue au paragraphe i), laquelle exception s'applique en faveur des employés mentionnés au paragraphe iii). En d'autres mots, les employés absents du travail pour les raisons énumérées au paragraphe iii) seront en meilleure position pour accumuler du SCR que ceux qui sont absents pour d'autres raisons.

L'appelante allègue que le tribunal de première instance a erré en fait et en droit en faisant correspondre la notion d'absence du travail à celle de déficience. Tout employé absent du travail en raison d'une maladie ou d'une blessure ne sera pas atteint d'une déficience au sens de la LCDP. À cet égard, l'appelante nous renvoie à des causes comme Ouimette c. Lily Cups Ltd (1990), 12 C.H.R.R. D/19, Naval c. Globe Foundry Ltd. (1993), 21 C.H.R.R. D/136 et Elkas c. Blush Stop Inc. (1994), 25 C.H.R.R. D/158. Il faut plutôt prendre en compte des facteurs tels que la nature de la maladie et le degré d'incapacité. Selon l'appelante, le tribunal de première instance a élargi encore plus la notion d'absence et établi trois catégories d'employés atteints d'une incapacité - ceux qui sont absents pendant 100 jours ou moins, ceux absents du travail pendant plus de 100 jours et qui ont à leur actif une journée de travail au cours de l'année civile et les absents qui n'ont aucunement travaillé pendant l'année civile, encore une fois sans prendre en compte la nature ou la permanence de l'incapacité, s'il en est.

Selon l'appelante, le tribunal de première instance a aussi erré en droit et en fait en concluant que le paragraphe iii) était discriminatoire parce qu'il traitait une catégorie d'employés atteints d'une incapacité différemment d'une autre. Pour établir la discrimination indirecte, une distinction fondée sur un motif illicite, qui impose un fardeau sur des individus et qui ne le fait pas sur d'autres, doit être prouvée. Comme l'a souligné la Section de première instance de la Cour fédérale dans Dumont-Ferlatte c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) [1997] F.C.J. No. 1734, dans laquelle la discrimination indirecte était alléguée, la nature de l'effet sur les divers groupes auxquels s'appliquent la règle doit être comparée. Dans la présente cause, l'appelante soutient que le tribunal de première instance a comparé la situation d'employés auxquels la règle s'appliquait et celle d'employés auxquels elle ne s'appliquait pas. Si la comparaison appropriée avait été faite, l'appelante prétend que le tribunal de première instance en serait arrivé à la conclusion que les employés atteints d'une déficience recevaient les mêmes avantages que les employés qui ne l'étaient pas et qui étaient absents du travail pour la même période et que la Commission canadienne des droits de la personne n'avait présenté aucune preuve démontrant que la règle neutre imposait un fardeau particulier à des employés atteints d'une incapacité, en raison de leur déficience.

Bien que l'appelante reconnaisse qu'un plus grand nombre d'employés atteints d'une incapacité sont susceptibles de faire l'objet de périodes d'absence pendant lesquelles ils ne peuvent accumuler de SCR que les membres d'autres groupes mentionnés au paragraphe iii) de la définition G, l'emphase ne devrait pas porter sur le nombre, mais sur la nature de l'effet afin d'établir la discrimination indirecte (Thibaudeau c. Ministre du Revenu du Canada, [1994] 2 C.F. 189, inf. pour d'autres motifs [1995] 2 R.C.S. 627).

iii) Position de la Commission

La Commission canadienne des droits de la personne soutient que la preuve présentée au tribunal de première instance établissait que les chances d'emploi offertes à Barry Cramm par la garantie d'emploi étaient réellement annihilées et de plus, que le RGER était susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'une catégorie d'individus, soit les employés atteints d'une déficience.

Selon la Commission, l'accumulation de SCR en vertu de la définition G était assujettie à la limite de 100 jours et était de plus assujettie à la limitation additionnelle de l'exigence de travailler une journée au cours de l'année civile. Alors que M. Cramm s'est vu reconnaître du SCR pour la totalité de 1980, l'année où il a subi sa blessure, (la blessure ayant eu lieu moins de 100 jours ouvrables de la fin de l'année), en raison de l'effet du paragraphe iii) sur l'accumulation de SCR autrement disponible, M. Cramm n'a pu accumuler de SCR pour les années 1981 à 1983, puisqu'il était incapable de travailler même une seule journée au cours de chacune de ces années. Cette situation a eu un effet préjudiciable à l'égard de M. Cramm parce qu'il ne possédait pas suffisamment de SCR pour le rendre admissible à la garantie d'emploi suite à la fermeture du chemin de fer de Terre-Neuve.

La Commission s'appuie sur la preuve produite par M. Sunter qui, selon elle, établit que le paragraphe iii) de la définition G est susceptible de causer un effet préjudiciable à l'égard des employés atteints d'une déficience en tant que groupe. M. Sunter a analysé le nombre de jours perdus par une catégorie d'individus qui recevaient des indemnités d'accident du travail, qui autrement effectuaient une semaine de travail de cinq jours et qui ne participaient pas à un programme de retour au travail progressif ou qui n'effectuaient pas de travail sur le lieu de travail. La Commission prétend qu'il n'est pas nécessaire de connaître la nature des blessures des individus, si ce n'est que ces derniers ont réellement subi un accident du travail et qu'ils recevaient des indemnités d'accident du travail en vertu du programme de Perte de revenus temporaire. Selon la Commission, cette condition s'applique à une catégories d'employés ayant des blessures réelles qui les rendent incapables de travailler. Le tribunal de première instance pouvait décider que les individus absents du travail pendant plus de 100 jours ou pendant une année ou plus en raison d'un accident du travail étaient atteints d'une déficience au sens de la LCDP.

La Commission soutient que le tribunal de première instance a eu raison de conclure, à partir de la preuve présentée par M. Sunter, que les employés atteints d'une déficience, en tant que catégorie d'employés, étaient susceptibles d'être visés de la même manière que M. Cramm, s'ils étaient absents du travail pendant plus de 100 jours au cours d'une année donnée, ou s'ils étaient incapables d'exécuter des services rémunérés au cours de l'année civile. Selon la Commission, l'objet de la preuve de M. Sunter était de démontrer la nature de l'annihilation subie par une catégorie d'individus, non pas d'établir le nombre d'employés ainsi visés. Selon la Commission, la preuve de M. Sunter démontre la quantification de l'effet préjudiciable de l'application de la limite de 100 jours à l'égard des personnes comptant plus de 101 jours d'absence en raison d'une incapacité, c'est-à-dire l'impossibilité de compter chaque jour d'absence au titre du SCR.

En ce qui a trait à l'identification des groupes comparatifs appropriés, la Commission affirme que, suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans Battlefords et District Co-operative Ltd. c. Gibbs [1996], 3 R.C.S 566, le tribunal de première instance pouvait conclure que le groupe pertinent était constitué de personnes absentes du travail pour cause de maladie ou de blessure et comparer ces employés absents du travail en raison de la maladie ou d'une blessure pendant plus de 100 jours au cours d'une année civile à ceux absents du travail pour la même raison pendant moins de 100 jours. La discrimination à l'encontre d'un sous-ensemble du groupe pertinent peut être considérée comme de la discrimination à l'encontre du groupe pertinent en général aux fins de l'application des lois sur les droits de la personne. De plus, suite à la décision rendue dans Gibbs, il ne devrait pas y avoir de différence dans la façon de traiter des catégories de personnes atteintes d'une déficience, ou dans la façon de traiter celles atteintes d'une incapacité à court terme et celles atteintes d'une incapacité à long terme.

La Commission prétend qu'il peut exister plus d'un groupe comparatif approprié dans une situation donnée et que l'on pourrait aussi conclure à la discrimination si l'on comparait les employés absents pour cause de maladie réelle, de blessure aux autres personnes assujetties au paragraphe iii) de la définition G, c'est-à-dire les personnes en congé de maternité, les personnes qui ont des fonctions de juré, celles qui participent à des réunions de comités, etc. Une telle comparaison révèle qu'il n'y aurait vraisemblablement pas de perte ou de refus de SCR dans les cas où les absences ont lieu pour les autres raisons énoncées au paragraphe iii) de la définition G.

La Commission soutient que la cause de M. Cramm est différente de celle de Dumont-Ferlatte en ce qu'ici, la comparaison des deux groupes assujettis au paragraphe iii) de la définition G démontre un effet préjudiciable subi par le groupe d'employés absents pour cause de maladie ou de blessure par opposition aux autres groupes mentionnés, alors que dans Dumont-Ferlatte, la comparaison entre les groupes assujettis à l'entente contestée ne démontrait pas un effet préjudiciable à l'égard des femmes enceintes. La Commission souligne que le CN a admis que les employés sont plus susceptibles d'être absents du travail pour cause de maladie ou de blessure que pour toute autre raison mentionnée au paragraphe iii) de la définition G. Les individus absents du travail parce qu'ils ont des fonctions de juré, qu'ils participent à des réunions de comités ou qu'elles sont en congé de maternité, etc., ne seront pas susceptibles d'être privés d'accumuler de SCR puisqu'il est très peu probable qu'ils soient absents pendant plus de 100 jours au cours d'une année civile, ou qu'ils soient incapables d'effectuer une journée de travail au cours d'une année civile donnée, alors que l'effet du paragraphe iii) de la définition G sera plus important pour les employés absents pour cause de maladie ou de blessure.

La Commission reconnaît que le CN et la FPEV peuvent limiter l'accumulation de SCR par les employés absents du travail, mais affirme qu'ils ne peuvent le faire fondée sur un motif de distinction illicite.

iv) Analyse

Bien que la LCDP interdise la distinction fondée sur les différents motifs énumérés à l'article 3 de la loi, la notion de discrimination n'est définie à aucun endroit de la loi. Le terme a cependant été défini dans la jurisprudence : ... la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individus ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur les caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discrimination, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement. (Andrews v. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, aux p. 174-5)

Les parties conviennent que si la discrimination existe ici, elle serait de nature indirecte ou causerait un effet préjudiciable. La discrimination indirecte a lieu dans le cas suivant : Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés... Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicables à tous ceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres auxquelles elle peut s'appliquer. (Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, à la p. 551)

Dans les cas de discrimination indirecte, la Commission canadienne des droits de la personne et le plaignant ont le fardeau de la preuve pour ce qui est d'établir la prétention de discrimination prima facie. Une fois cette preuve faite, il incombe aux intimés de prouver qu'ils ont pris les mesures raisonnables en vue de s'entendre avec les employés visés. Chacune de ces preuves est établie selon la prépondérance des probabilités. (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la p. 208, et O'Malley, op. cit. aux p. 558-559)

Une prétention établie prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimé (O'Malley, op.cit, p. 558).

La tâche qui nous incombe donc est d'examiner la règle d'emploi soulevée, soit la définition G du RGER, et de déterminer si la règle impose aux membres d'un groupe identifiable (c.-à-d. des employés atteints d'une déficience) des fardeaux ou des obligations, ou leur cause un effet préjudiciable, en comparaison à d'autres. Par définition, il s'agit d'un processus comparatif.

L'identification du groupe de comparaison approprié aura une grande importance. À cet égard, l'examen des causes soumises par l'appelante et la Commission révèle qu'il semble y avoir des opinions contradictoires sur la question. Les causes citées par la Commission, comme Ontario Human Rights Commission v. 501781 Ontario Ltd. Operating as Fleetwood Ambulance Service (Ont. Bd. of Inq., November 10, 1995), laissent entendre que dans des cas de cette nature, la comparaison devrait être faite entre le plaignant et les employés de l'unité de négociation dans son ensemble :

[TRADUCTION]

Prendre uniquement en considération d'autres employés en congé non rémunéré consisterait à limiter artificiellement la portée de la comparaison et à ignorer la cause immédiate du traitement différent qui, selon moi, sont les blessures indemnisables (et partant, le handicap du plaignant en vertu du code). Si les blessures donnent lieu au traitement différent, lesquelles blessures ont donné lieu à l'absence, alors la comparaison appropriée doit être faite entre le plaignant et l'ensemble du groupe d'employés faisant partie de l'unité de négociation qui n'ont pas subi de blessure indemnisable donnant lieu à une absence involontaire prolongée. (à la p. 23)

D'autre part, la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale dans Dumont-Ferlatte, op. cit., est précise en ce qu'il faut prendre en compte les groupes d'employés visés par les dispositions en question, et déterminer si un groupe est traité différemment d'autres groupes d'employés qui prennent des congés de la même nature (à la p. 21).

Pour tenter de résoudre cette question, il est utile de revenir aux principes de base. Comme nous l'avons souligné plus haut, en décrivant la discrimination indirecte, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicables à tous ceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer. (O'Malley, op. cit., à la p. 551, caractères gras ajoutés)

En d'autres mots, pour déterminer si la question de la condition d'emploi a une incidence différente sur un groupe protégé, il est nécessaire d'étudier l'incidence de la condition sur les autres groupes auxquelles elle s'applique. Par conséquent, nous sommes d'avis que le raisonnement de la Cour fédérale dans Dumont-Ferlatte est plus approprié dans les circonstances de la présente cause.

Selon nous, le raisonnement dans Dumont-Ferlatte est en outre plus cohérent avec la nature essentielle du contrat de travail. À titre de rappel : l'obligation de payer de l'employeur est conditionnelle au travail effectué. Il n'existe pas d'obligation générale pour les employeurs de rémunérer les employés qui ne fournissent pas de services. Si nous devions accepter le raisonnement de la décision rendue dans Fleetwood Ambulance Service mentionnée plus haut, il s'ensuivrait que les employés absents du travail pour cause de maladie ou de blessures auraient le droit d'être pleinement indemnisés par leur employeur pendant la période de leur absence, quelle qu'en soit la durée, afin de garantir qu'ils ne sont pas traités différemment des autres membres de l'unité de négociation. Cette conséquence serait tout à fait insoutenable.

La Commission invoque aussi la décision rendue dans Gibbs, op. cit., pour appuyer sa prétention à l'effet que le tribunal de première instance pouvait comparer la situation des employés absents du travail pour cause de maladie ou de blessure pendant moins de 100 jours à celle des employés qui étaient absents pendant plus de 100 jours ou qui ne pouvaient travailler une journée au cours d'une année civile. La Commission prétend de plus que la décision dans Gibbs établit clairement qu'un employeur ne peut faire de distinction entre des catégories de personnes qui sont atteintes d'une déficience.

Dans Gibbs, la plaignante est devenue incapable de travailler en raison d'un trouble mental et a fait une demande de prestations en vertu de la police d'assurance-invalidité de son employeur. La police prévoyait que dans les cas de maladie mentale, les prestations de remplacement du revenu cesseraient d'être versées au bout de deux ans, même si l'employé demeurait incapable de travailler, à moins que l'employé ne soit interné dans un établissement psychiatrique. Après deux ans, Mme Gibbs était toujours malade et incapable de travailler, mais n'était pas hospitalisée. Si Mme Gibbs avait été atteinte d'une incapacité physique, elle serait demeurée admissible aux prestations de remplacement du revenu, même si elle n'était pas hospitalisée. Mme Gibbs a déposé une plainte alléguant la discrimination fondée sur la déficience, laquelle plainte a été finalement accueillie par la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême a décidé qu'il y avait discrimination fondée sur la comparaison entre les personnes incapables de travailler à cause d'une incapacité physique et celles incapables de travailler à cause d'incapacité mentale. La Cour a souligné les désavantages historiques que subissent les malades mentaux et a par la suite examiné l'objet du régime de remplacement du revenu qui, selon elle, était d'assurer les employés contre la perte de revenu pour cause d'invalidité et d'incapacité de travailler. La Cour a fait remarquer que la discrimination à l'encontre d'un sous-ensemble d'un groupe protégé peut être jugée de la discrimination à l'encontre du groupe dans son ensemble aux fins des lois sur les droits de la personne. La Cour a alors comparé les prestations de remplacement du revenu offertes aux personnes atteintes de maladie mentale en vertu des modalités de la police aux prestations offertes aux personnes atteintes d'une incapacité physique et a conclu qu'en limitant les prestations offertes aux personnes atteintes de maladie mentale en vertu du régime, le régime d'assurance contrevenait aux dispositions du code des droits de la personne applicable.

Selon nous, la décision de la Cour suprême dans Gibbs confirme la démarche adoptée par la Cour fédérale dans Dumont-Ferlatte en ce qui a trait à l'identification du groupe comparatif approprié, comparant le traitement accordé aux personnes atteintes d'incapacité mentale au traitement accordé à d'autres personnes réclamant des prestations en vertu du régime.

En toute déférence, nous n'acceptons pas la prétention de la Commission selon laquelle, suite à Gibbs, le tribunal de première instance pouvait comparer la situation des employés absents du travail pour cause de maladie ou de blessure pendant moins de 100 jours à celle des employés absents pendant plus de 100 jours ou qui ne pouvaient travailler une journée au cours d'une année civile. Selon nous, sur cette question, Gibbs se distingue de la présente cause par ses faits : dans Gibbs, la distinction faite quant au régime d'assurance contesté était fondée sur la nature de la déficience, par opposition à la situation de la présente cause, où la durée de l'absence du travail, quelle qu'en soit la raison, détermine le résultat.

Selon nous, il convient ici de comparer le traitement des employés absents du travail pour cause de maladie ou de blessure au traitement accordé à d'autres employés absents du travail pour les autres motifs mentionnés au paragraphe iii) de la définition G, y compris les employés dont le congé est approuvé pour congé de maternité, pour des fonctions de juré, des réunions de comités, etc. La preuve établit clairement, et la Commission l'admet, qu'un employé absent du travail pendant 150 jours ouvrables parce qu'il était juré dans un procès très long subirait les mêmes conséquences, c'est-à-dire la perte de 150 jours de SCR, tout comme un employé absent du travail pendant la même période pour cause de maladie ou de blessure. De la même façon, deux employés ne pouvant travailler une journée au cours d'une année civile subiraient chacun les mêmes conséquences - la perte de SCR pour l'année entière, nonobstant le fait qu'une absence était due à la maladie ou à une blessure et que l'autre absence était attribuable à l'un des motifs énoncés au paragraphe iii) de la définition G. En d'autres mots, l'employé atteint d'une incapacité ne subit pas une incidence qualitativement différente en raison de son incapacité de celle que subit l'employé absent pendant la même période pour une autre raison.

La Commission soutient que la preuve démontre que les employés absents du travail pour tout motif énoncé au paragraphe iii) de la définition G pourra continuer d'accumuler du SCR puisqu'il est très peu probable que ces individus soient absents pendant plus de 100 jours au cours d'une année civile, alors que les employés atteints d'une incapacité sont plus susceptibles de subir l'effet préjudiciable de voir toute leur période d'absence être exclue du compte de SCR.

La preuve laisse en effet supposer, et l'appelante l'admet, que les employés absents du travail pour cause de maladie ou de blessure se verront le plus souvent refuser leur période d'absence au titre du SCR. Selon le tribunal d'appel, le fait qu'un plus grand nombre d'individus peut subir une telle perte que les membres des autres groupes mentionnés au paragraphe iii) de la définition G ne signifie pas que la perte est qualitativement différente de la perte subie par d'autres employés absents pendant la même période. Sur la question de l'effet qualitatif par opposition à l'effet quantitatif, la Cour fédérale a fait remarquer ce qui suit dans Thibaudeau :

Mais il est certainement hors de question que la loi qui cause des effets préjudiciables à la fois aux hommes et aux femmes soit discriminatoire sur le fondement du sexe uniquement parce que les personnes touchées sont en majorité des femmes (ou des hommes)... De fait, à mon avis, ce n'est pas parce que plus de femmes que d'hommes subissent des effets préjudiciables, mais parce que certaines femmes, si petit que soit leur groupe, subissent des effets préjudiciables que le groupe d'hommes équivalent, qu'on peut dire d'une disposition qu'elle crée une discrimination fondée sur le sexe.(op. cit., à la p. 204)

Bien que la décision dans Thibaudeau ait été rendue en vertu des dispositions de la Charte, les parties conviennent que cette prémisse s'applique aussi aux causes en vertu des lois sur les droits de la personne.

Par conséquent, nous sommes d'avis que la définition de SCR que contient le RGER n'est pas susceptible d'établir une distinction par suite d'un effet préjudiciable fondée sur une déficience à l'encontre d'employés et que le tribunal de première instance a erré en droit en décidant autrement.

M. Cramm a malheureusement subi de graves blessures alors qu'il était au service de son employeur et il semble qu'il soit passé entre les mailles du filet des différents organismes responsables des employés blessés du CN. Néanmoins, malgré notre très grande sympathie à l'égard de la situation difficile dans laquelle se trouve actuellement M. Cramm, nous ne pouvons nous en remettre à la sympathie pour accorder un redressement dans les cas où la juridiction n'existe pas pour le faire. Ayant conclu que la définition du SCR que contient le RGER n'est pas susceptible d'établir une distinction défavorable fondée sur la déficience à l'encontre d'employés, il s'ensuit que la Commission canadienne des droits de la personne n'a pas réussi à établir une preuve de discrimination prima facie. Nous n'avons pas d'autre choix que d'accueillir l'appel et de rejeter la plainte de M. Cramm.

c) Autres motifs d'appel

À la lumière de notre conclusion selon laquelle l'entente contestée ne nuit pas à M. Cramm ni à d'autres employés du CN sur la base d'une déficience, la question d'accommodement ne se soulève pas. De la même manière, il n'est pas nécessaire de se pencher sur les autres motifs d'appel concernant la responsabilité du syndicat et la réparation.

V. ORDONNANCE

Pour les motifs qui précèdent, l'appel est accueilli et la plainte est rejetée.

Datée ce 27e jour de mai 1998.

(signature) Anne L. Mactavish

(signature) Hendrika M. Adams

(signature) Allen M. Ruben

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