Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 2/91 Décision rendue le 23 avril 1991

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. (1985), chap. H-6, et ses modifications

TRIBUNAL D'APPEL DES DROITS DE LA PERSONNE

AFFAIRE INTÉRESSANT L'APPEL déposé par la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada en date du 10 janvier 1989 à l'encontre de la décision prononcée le 14 décembre 1988 par le Tribunal des droits de la personne; Mehran Anvari et la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada

ENTRE:

COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

Appelante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

- et -

MEHRAN ANVARI

Intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL D'APPEL

DEVANT : Hugh L. Fraser - président Joanne DeLaurentiis - membre Paul Nallanayagam - membre

ONT COMPARU :

BRIAN SAUNDERS Avocat de l'appelante

PETER ENGELMANN Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

KATHRYN BARNARD Avocate de l'intimé

DATE ET LIEU DE Le 27 juin 1990 L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

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Conformément à l'article 55 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, un Tribunal d'appel des droits de la personne a été constitué pour statuer sur l'appel qu'a interjeté la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada le 10 janvier 1989 à l'encontre de la décision prononcée par le Tribunal des droits de la personne le 14 décembre 1988 à l'égard de la plainte déposée par Mehran Anvari contre ladite Commission.

Le Tribunal d'appel doit déterminer si l'appel doit être accueilli ou rejeté sur une question de droit ou de fait ou sur une question mixte de droit et de fait conformément aux paragraphes 56(3), (4) et (5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Les faits

Le 16 octobre 1984, Mehran Anvari a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte formulée ainsi :

[TRADUCTION]

"J'ai des motifs valables de croire que j'ai été victime de discrimination du fait de ma déficience, ce qui va à l'encontre de l'alinéa 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne."

Mme Elizabeth Anne Garland Leighton a été nommée le 19 octobre 1987 pour entendre la plainte de M. Anvari en première instance. Les faits qui ont été présentés au Tribunal peuvent se résumer comme suit. Originaire de l'Iran, le plaignant Mehran Anvari a été atteint de polio lorsqu'il était enfant. A la date de l'audience, il se déplaçait à l'aide d'une canne et l'une des questions posées devant le Tribunal était celle de savoir si M. Anvari aurait besoin d'un traitement médical en raison des effets subsistants de la polio.

M. Anvari est venu au Canada en 1981 à titre de visiteur. Plus tard, il a demandé l'autorisation de s'inscrire à un programme instauré par la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada. Ce programme visait à aider les nationaux iraniens présents au Canada à demander d'ici le statut d'immigrants reçus. Le Programme (appelé le programme RAN) a facilité la démarche que ces personnes devaient suivre pour devenir immigrants reçus, en leur permettant de présenter une demande depuis le Canada, ce qui constitue une exception à la règle normale selon laquelle une personne doit demander un visa d'immigrant de l'extérieur du Canada. Ce Programme a été adopté par décret dans le cadre de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire ministériel.

M. Anvari a d'abord été jugé admissible à ce programme, sous réserve d'un examen médical devant être fait par les médecins du ministère de la Santé et du Bien-être social qui sont chargés de faire les examens médicaux pour la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada. Ces médecins ont jugé M. Anvari inadmissible en raison de son état de santé. La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada a alors refusé de prendre les mesures nécessaires pour accorder à l'intimé le statut d'immigrant reçu et lui a demandé de quitter le Canada.

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M. Anvari a allégué que le refus d'accorder par décret sa demande de statut d'immigrant reçu au Canada constituait de la discrimination fondée sur sa déficience.

M. Anvari a été avisé qu'il ne pouvait être admis au Canada sur la foi de l'alinéa 19(1)a) de la Loi sur l'immigration. Voici la partie pertinente de cette disposition :

[TRADUCTION]

"Ne sont pas admissibles :

Les personnes souffrant d'une maladie, d'un trouble, d'une invalidité ou autre incapacité pour raison de santé, dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin, conclut ... que leur admission entraînerait ou pourrait vraisemblablement entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé."

Après avoir été examiné par des chirurgiens orthopédistes et interrogé au Centre d'Immigration Canada à Ottawa, M. Anvari a reçu une lettre en date du 19 septembre 1984 dans laquelle le directeur dudit Centre l'a avisé officiellement qu'il était inadmissible au Canada à titre d'immigrant reçu et que, étant donné que son visa de visiteur avait expiré le 28 avril 1984, il devrait se préparer à quitter le Canada.

Le Tribunal de première instance a défini les questions à trancher comme suit :

  1. L'acte discriminatoire présumé a-t-il eu lieu au Canada alors que la victime y était légalement présente, comme l'exige l'alinéa 32(5)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne?
  2. Les agents d'immigration chargés des dossiers des personnes qui avaient présenté une demande de statut d'immigrant reçu en vertu du Programme RAN fournissaient-ils un service destiné au public comme l'exige l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne? En d'autres termes, l'application de la Loi sur l'immigration est-elle assujettie à la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cas qui nous intéresse?
  3. Si la réponse à la question n 2 est affirmative, les agents concernés ont-ils fait preuve, sans motif valable, de discrimination envers M. Anvari du fait de sa déficience?

En ce qui a trait à la première question, le Tribunal a décidé que rien n'empêchait le plaignant de porter plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, étant donné que l'acte qu'il reprochait dans sa plainte a eu lieu au Canada alors que M. Anvari y était légalement présent.

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Quant au deuxième motif, le Tribunal a jugé que le fait pour les personnes assujetties au Programme RAN de former un groupe particulier et spécial ne leur enlevait pas leur statut de membres du grand public. Le Tribunal a également jugé que, même si les fonctionnaires mettaient en oeuvre le Programme RAN, ils fournissaient des services en conformité avec les règlements et les politiques d'application de la Loi sur l'immigration exactement de la même manière qu'ils le feraient n'importe quand et pour n'importe quelle demande de statut d'immigrant reçu. Le Tribunal a donc reconnu qu'il était habilité à rendre une décision en vertu de l'alinéa 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En ce qui a trait à la question de savoir si l'appelante peut justifier leur décision concernant M. Anvari à la lumière de la conclusion selon laquelle la déficience de celui-ci entraînerait ou pourrait vraisemblablement entraîner un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux, le Tribunal a jugé que la preuve médicale présentée devant lui ne répondait pas à ce critère.

En conséquence, le Tribunal a décidé que la plainte de M. Anvari était bien fondée et a rendu l'ordonnance suivante :

  1. "La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada prendra, dès maintenant, les mesures nécessaires pour accorder à MEHRAN ANVARI le statut d'immigrant reçu.
  2. M. Anvari recevra une somme correspondant aux frais médicaux qu'il a lui-même payés entre le 19 septembre 1984 et aujourd'hui, dès qu'il aura présenté les pièces justificatives de ses dépenses.
  3. Mehran Anvari recevra la somme de 3 000 $ en guise de dédommagement pour le préjudice moral qu'il a subi."

Le Tribunal a rendu sa décision le 14 décembre 1988 et la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada a interjeté appel de cette décision devant un Tribunal d'appel. Les pouvoirs du Tribunal d'appel découlent de l'article 56 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui se lit comme suit :

"56(1) En cas d'appel, le président du Comité du tribunal des droits de la personne constitue un tribunal d'appel composé de trois membres de ce Comité, à l'exclusion de ceux qui ont rendu la décision ou l'ordonnance visée par l'appel.

(2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, les tribunaux d'appel sont constitués comme les tribunaux prévus à l'article 49 et sont investis des mêmes pouvoirs; leurs membres ont droit à la rémunération et aux indemnités prévues au paragraphe 49(4).

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(3) Le tribunal d'appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

(4) Le tribunal d'appel entend l'appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l'ordonnance fait l'objet de l'appel et sur les observations des parties intéressées; mais il peut, s'il l'estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

(5) Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus à l'article 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l'objet des appels."

Les motifs d'appel de l'appelante sont les suivants :

  1. Le Tribunal a commis une erreur en examinant la question de savoir si l'appelante avait une preuve suffisante devant elle pour rejeter la demande de statut d'immigrant reçu de l'intimé.
  2. Le Tribunal a commis une erreur en décidant que l'appelante a fait une distinction défavorable à l'endroit de l'intimé en rendant sa décision fondée sur l'article 19 de la Loi de 1976 sur l'immigration.
  3. Subsidiairement, le Tribunal a commis une erreur en décidant que la preuve médicale qui constituait le fondement de la décision de l'appelante ne respectait pas les exigences de la Loi de 1976 sur l'immigration et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
  4. Subsidiairement, le Tribunal a commis une erreur en ordonnant à l'appelante de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour accorder à l'intimé le statut d'immigrant reçu sans tenir compte de quelque autre facteur, argument à l'égard duquel l'appelante tentera de présenter une preuve qui n'était pas disponible lors de l'audience.
  5. Le Tribunal a commis une erreur en statuant que le plaignant devait recevoir une somme correspondant à tous les frais médicaux engagés entre le 19 septembre 1984 et aujourd'hui.
  6. Le dédommagement que le Tribunal a accordé en application du paragraphe 31(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne est exagéré dans les circonstances.

Le premier motif d'appel, qui n'était pas clair à première vue, a été expliqué par Me Saunders, l'avocat de l'appelante. Celle-ci soutient que

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le Tribunal de première instance a décidé à tort qu'il avait la compétence voulue pour examiner la plainte. Alléguant que le service rendu à M. Anvari est un service habituellement disponible pour le grand public, l'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne a attiré l'attention du Tribunal sur l'arrêt Jacques LeDeuff et La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, 9 C.H.R.R. D/4479, qui est une décision du Tribunal d'appel, notamment sur les remarques suivantes du Tribunal qui apparaissent au paragraphe 34974 de la page 4481 :

"Le présent tribunal est d'opinion que la Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada tient ses pouvoirs d'une loi adoptée par le Parlement du Canada. Cette loi d'application est générale et lorsque le Gouvernement du Canada applique une loi d'application générale, il fournit un service destiné au public. La Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada accomplissait un devoir officiel comme agent de la couronne, il offrait donc un service destiné au public.

Le présent tribunal est d'opinion que la Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada, en agissant comme elle l'a fait dans le cas LeDeuff, fournissait un service destiné au public et que ce faisant elle devait s'abstenir d'agir pour un motif de distinction illicite."

Dans l'affaire LeDeuff, le Tribunal d'appel a confirmé la décision du Tribunal de première instance sur ce point et jugé que l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquait effectivement à la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada et que les agents de celle-ci fournissaient un service au public et devaient donc s'abstenir d'agir pour un motif de distinction illicite.

Pour sa part, Me Barnard a soutenu qu'il a été clairement établi, dans l'arrêt Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Jiminez-Perez (1984) 2 R.C.S. 565, que les agents d'immigration fournissaient un service au grand public. Dans l'arrêt Jiminez-Perez, il a été jugé que le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, par l'entremise de ses agents, était tenu d'examiner les demandes d'exemption de l'application de l'article 9 de la Loi sur l'immigration pour des considérations d'ordre humanitaire et des motifs de commisération et d'aviser les requérants des résultats de leur demande.

Nous sommes d'accord avec l'intimé pour dire que la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, lorsqu'elle a examiné la demande présentée par M. Anvari en vue d'obtenir une exemption par décret à l'égard des dispositions de la Loi sur l'immigration, fournissait effectivement un service habituellement disponible pour le grand public. Nous sommes donc d'avis que le Tribunal de première instance n'a pas commis d'erreur en examinant la question de savoir si l'appelante disposait d'une preuve suffisante pour rejeter la demande de statut d'immigrant reçu de l'intimé.

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En ce qui a trait au deuxième motif d'appel, l'appelante a soutenu que le Tribunal a commis une erreur en décidant, d'abord, qu'il s'agissait d'un cas de discrimination prima facie et en concluant ensuite qu'il n'y a aucun motif justifiable qui aurait permis de déclarer que la pratique n'est pas discriminatoire. Selon Me Saunders, l'alinéa 19(1)a) de la Loi sur l'immigration fournissait un motif justifiable à l'égard de toute pratique qui pourrait par ailleurs être jugée discriminatoire et, étant donné qu'aucun élément de la preuve n'indique que M. Anvari a fait l'objet d'une distinction défavorable en ce qui a trait à l'évaluation de ses problèmes médicaux, il était visé par les dispositions de l'alinéa 19(1)a). Le présent Tribunal accepte l'argument de l'avocat de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada selon lequel l'alinéa 19(1)a) de la Loi sur l'immigration doit être lu

[TRADUCTION]

"sous réserve des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui interdit la discrimination dans la prestation de services, sauf s'il y a un motif justifiable, ce qui signifie que le motif invoqué pour exclure la personne doit respecter le critère du motif justifiable, de sorte que les lois seront compatibles. Il y aura des cas où les services de santé seront utilisés de façon abusive et des cas où une personne constituera un risque pour la sécurité publique du fait qu'elle est atteinte, par exemple, d'une maladie contagieuse."

Le Tribunal est d'accord avec la distinction établie avec l'arrêt Druken, où une disposition précise qu'une loi a été déclarée inapplicable. Comme l'a soutenu l'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne, l'alinéa 19(1)a) de la Loi sur l'immigration doit être légal, en ce sens qu'il doit respecter le critère du motif justifiable énoncé dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le simple recours à l'alinéa 19(1)a) sans démontrer que cette disposition a été appliquée de façon raisonnable ou que son application est justifiée ne permettra pas en soi d'éviter que l'on conclue à l'existence de discrimination apparente.

Selon un motif subsidiaire d'appel invoqué par l'appelante, le Tribunal a commis une erreur lorsqu'il a décidé que la preuve médicale sur laquelle l'appelante a fondé sa décision ne respecte pas les exigences de la Loi de 1976 sur l'immigration et de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Pour accepter l'argument de l'appelante, le présent Tribunal d'appel doit conclure que le Tribunal de première instance a commis une erreur manifeste ou palpable lorsqu'il a évalué la preuve.

Le Tribunal de première instance a examiné le témoignage du Dr Gold, selon lequel l'opération que devait subir M. Anvari ne serait pas trop coûteuse pour le régime d'assurance-maladie de l'Ontario. Le Dr Gold a dit au cours de son témoignage que ce type de traitement ne devrait pas entraîner de

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retard ou d'hospitalisation prolongée. Il a dit que M. Anvari devrait être hospitalisé pendant environ deux semaines.

Le Tribunal de première instance a également tenu compte du témoignage du Dr Leslie, selon lequel le coût représente un facteur majeur pour déterminer si le fardeau imposé par cette opération au régime d'assurance- maladie serait trop lourd; il a également reconnu qu'il n'avait aucune donnée concernant le coût exact de l'opération. Le Dr Leslie a reconnu que, en l'absence de données au sujet des frais réels, il devrait simplement s'en remettre à son jugement pour déterminer si l'intervention chirurgicale demandée par M. Anvari est trop coûteuse. Même si le présent Tribunal est d'avis que l'enquête menée par les médecins employés par le ministère de l'Immigration a certainement été plus que superficielle, un examen de la preuve permet de dire, comme l'a soutenu l'avocate de M. Anvari, que son dossier médical comporte certaines lacunes et que les autorités médicales employées par Santé et Bien-être social n'ont pas été aussi minutieuses qu'elles auraient pu l'être lorsqu'elles ont évalué le cas. Nous acceptons donc l'argument de l'avocat de la Commission des droits de la personne selon lequel les conclusions de fait que le Tribunal de première instance a tirées ne comportent aucune erreur manifeste ou palpable.

En ce qui a trait au quatrième motif d'appel, les parties ont convenu de modifier l'ordonnance du Tribunal de première instance de façon que, si la décision de celui-ci est confirmée, la Commission soit tenue de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour accorder à M. Anvari le statut d'immigrant reçu sans tenir compte de sa déficience.

L'appelante soutient également que le Tribunal a commis une erreur en décidant que l'intimé devait recevoir le remboursement de tous les frais médicaux engagés entre le 19 septembre 1984 et aujourd'hui. Selon l'appelante, lorsque les médecins en question sont tenus, conformément à la loi, d'exercer leur pouvoir discrétionnaire et de donner leur avis médical et que l'exercice de ce devoir par l'appelante entraîne un préjudice, comme question de politique, aucune indemnité ne devrait être accordée. Subsidiairement, l'appelante a fait valoir que les frais, y compris les frais médicaux que l'intimé peut dûment recouvrer, devraient se limiter à ceux qu'une personne peut recouvrer selon un régime d'assurance-maladie comme celui de l'Ontario. En d'autres mots, le requérant ne devrait pas être dans une situation plus favorable que celle dans laquelle il se serait trouvé s'il avait obtenu le statut d'immigrant reçu.

En ce qui a trait au premier argument, le Tribunal ne peut accepter la thèse de l'appelante selon laquelle, pour des raisons de politique, l'intimé ne devrait pas recevoir le remboursement de ses frais médicaux. Si le Tribunal de première instance a jugé, avec raison, que l'appelante a fait preuve de discrimination à l'endroit de l'intimé, celui-ci a le droit d'être replacé dans la position dans laquelle il se serait trouvé s'il n'avait pas été victime de discrimination. L'intimé a témoigné au sujet des frais qu'il a engagés pendant la période qui a suivi la date à laquelle

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il serait devenu, selon lui, immigrant reçu du Canada. En obtenant le remboursement de ses frais, il ne sera pas placé pour autant dans une situation plus favorable que celle dans laquelle il se serait trouvé s'il avait obtenu le statut d'immigrant reçu.

En dernier lieu, l'appelante a soutenu que le dédommagement accordé par le Tribunal en application du paragraphe 31(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne était exagéré dans les circonstances. Le paragraphe 31(3), devenu aujourd'hui le paragraphe 53(3), se lit comme suit :

"Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas :

a) que l'acte a été délibéré ou inconsidéré;

b) que la victime en a souffert un préjudice moral."

Le Tribunal de première instance a jugé que le plaignant avait subi un préjudice moral à la suite de la pratique discriminatoire. Nous ne voyons aucune raison de modifier cette conclusion. Il appert de la preuve que l'intimé a été blessé et humilié, sachant que bon nombre de ses compatriotes étaient acceptés aux fins du Programme alors qu'il ne l'était pas. Cependant, nous ne sommes pas d'accord avec le montant qui a été accordé à titre de dédommagement en l'espèce. Lorsqu'il a présenté sa demande d'inscription au Programme RAN, M. Anvari devait savoir qu'il était tenu de respecter les critères liés à son admissibilité médicale. Même s'il semblait confiant de réussir et qu'on lui a d'abord donné à penser qu'il obtiendrait le statut d'immigrant reçu, il devait certainement comprendre que le test était subjectif. Son témoignage indique également que l'une des raisons pour lesquelles il est venu au Canada était son désir d'obtenir un traitement médical spécial.

Le Tribunal est d'avis que cette preuve atténue jusqu'à un certain point l'ampleur du préjudice moral que M. Anvari a subi. Son avocate elle-même a dit que les agents médicaux examinent toutes les catégories générales et présentent une perception subjective plutôt qu'une évaluation objective lorsque vient le temps de déterminer si le requérant respecte tous les critères. Pour ces motifs, nous sommes d'avis que le montant accordé par le Tribunal de première instance à titre de dédommagement était exagéré.

Le paragraphe 56(5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne se lit comme suit :

"Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus à l'article 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l'objet des appels."

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En conséquence, le Tribunal d'appel modifie maintenant comme suit l'ordonnance d'Elizabeth Anne Garland Leighton rendue le 14 décembre 1988 :

  1. La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada prendra les mesures nécessaires dès maintenant pour accorder à Mehran Anvari le statut d'immigrant reçu sans tenir compte de sa déficience.
  2. Mehran Anvari recevra une somme correspondant aux frais médicaux qu'il a lui-même payés entre le 19 septembre 1984 et aujourd'hui, dès qu'il aura présenté les pièces justificatives de ses dépenses.
  3. Mehran Anvari recevra la somme de 1 500 $ en guise de dédommagement pour le préjudice moral qu'il a subi.

Fait à Ottawa, le 5 avril 1991.

Hugh L. Fraser Président

Joanne DeLaurentiis

Paul Nallanayagam

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