Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 3/97 Décision rendue le 19 mars 1997

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : ALLIANCE DE LA CAPITALE NATIONALE SUR LES RELATIONS INTER-RACIALES

la plaignante - et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission - et -

SA MAJESTÉ LA REINE REPRÉSENTÉE PAR SANTÉ ET BIEN-ETRE SOCIAL CANADA, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE ET LE CONSEIL DU TRÉSOR

l'intimée - et -

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

partie intéressée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : J. Grant Sinclair, c.r., président Carol H.Y Boxill, membre Alvin Turner, membre

ONT COMPARU : Helen Beck et Prakash Diar, avocats de la Commission canadienne des droits de la personne Iyavar Chetty, avocat de l'Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales Cynthia Sams, avocate de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada Arnold Fradkin et Hélène Laurendeau, avocats de Sa Majesté la Reine

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : Du 4 au 8 décembre et du 18 au 21 décembre 1995 Du 10 au 12 janvier, 15 au 19 janvier, 5 au 8 février, 26 février au 1er mars, 15 au 19 avril, 22 au 26 avril, 6 au 10 mai, 15 au 17 mai et du 23 et 24 mai 1996 Ottawa (Ontario) TRADUCTION

TABLE DES MATIERES

I LA PLAINTE

II LA QUESTION DE LA COMPÉTENCE

III LA PREUVE

A) Preuves statistiques de la sous-représentation des minorités visibles

1. Témoignage d'Erika Boukamp Bosch

a) Définitions

b) Sous-représentationdes minorités visibles dans le groupe des EX

c) Recrutement aux postes EX à SC

d) Sous-représentation des minorités visibles dans la catégorie ASE

2. Témoignage d'Adele Furrie

a) Indicateur no 1

b) Indicateur no 2

c) Indicateur no 3

d) Indicateur no 4

3. Témoignage de Jeffrey Reitz : l'enquête par courrier- réponse

4. Témoignage d'employés de SC appartenant à une minorité visible

a) Dennis Awang

b) Ivy Williams

c) Tina Walter

d) Daljit Dhillon

e) Ajit Das Gupta

f) Shiv Chopra

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B) Obstacles structurels dans les systèmes de dotation et de perfectionnement

1. Nan Weiner

a) Ghettoïsation

b) Moins d'encouragement pour les membres des minorités visibles

c) Décisions de dotation fondées sur un processus officieux

d) Perception des membres des minorités visibles comme inaptes à occuper des postes de direction

e) Sous-représentation dans la catégorie ASE

IV CONSTATATIONS

V CONCLUSION

VI COMPÉTENCE EN MATIERE DE RÉPARATION

VII ORDONNANCE

I LA PLAINTE

Il s'agit, en l'espèce, d'une plainte (plainte) déposée le 16 septembre 1992 par l'Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales (ACNRI) auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). L'ACNRI est un organisme sans but lucratif qui a pour mandat de lutter contre la discrimination et le racisme par l'action politique, la sensibilisation et, s'il y a lieu, des actions en justice. L'ACNRI compte un conseil d'administration élu, composé de huit administrateurs, et un directeur exécutif chargé d'assurer le fonctionnement quotidien de l'organisme. L'ACNRI a son siège à Ottawa.

La plainte contient une allégation selon laquelle Santé et Bien-être social Canada, à présent Santé Canada (SC), exercerait une discrimination contre des membres de minorités visibles qui sont à son service, en contravention de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Voici le texte de la plainte :

[TRADUCTION]

Santé et Bien-être social Canada exerce une discrimination contre des membres de minorités visibles en fixant des lignes de conduite susceptibles d'annihiler leurs chances d'emploi ou d'avancement à des postes de direction et à des postes supérieurs de spécialiste en raison de leur race, leur couleur et leur origine ethnique, en contravention de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette discrimination est indiquée par le nombre extrêmement faible d'employés permanents appartenant à une minorité visible dans les postes des catégories Gestion supérieure et Administration et Service extérieur. Elle est soutenue, en particulier, par la concentration des employés appartenant à une minorité visible dans les postes d'échelon inférieur de la catégorie scientifique et professionnelle et par le fait que ces employés ne sont pas équitablement promus. Cette absence d'avancement a une incidence négative sur la possibilité qu'ils soient nommés à des postes de gestion de niveau supérieur.

Les parties à cette plainte sont l'ACNRI, la CCDP, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), à titre de partie intéressée, (collectivement dénommés plaignants) et Sa Majesté la Reine (l'intimée).

L'allégation de discrimination contenue dans la plainte visait expressément la catégorie scientifique et professionnelle (SP) et la catégorie Administration et Service extérieur (ASE), par opposition aux autres catégories professionnelles à SC, car c'est de ces deux catégories que proviennent les gestionnaires supérieurs de SC. Selon la preuve, environ 75 % des cadres supérieurs proviennent de la catégorie SP et les 25 % restants proviennent de la catégorie ASE.

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II LA QUESTION DE LA COMPÉTENCE

A l'audience, l'intimée a tout d'abord adopté comme position que le Tribunal n'avait pas compétence pour instruire la plainte ni pour accorder la réparation demandée par les plaignants.

L'intimée a fait valoir que, dans la mesure où la plainte avait trait à la sous-représentation d'un groupe désigné, il s'agissait d'une question d'équité en matière d'emploi et non d'une question de discrimination. Selon son argumentation, les questions d'équité en matière d'emploi sont expressément visées par l'article 11 de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) et l'article 5.1 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP). Ces dispositions législatives prévoient un régime complet de règlement des questions d'équité en matière d'emploi dans l'administration fédérale et le Tribunal ne peut pas et ne devrait pas connaître d'allégations concernant la sous-représentation des minorités visibles à SC.

Dans ses conclusions finales, l'intimée a légèrement modifié sa position en affirmant que le Tribunal était habile à entendre la plainte, mais que si, en fin de compte, le seul élément sur lequel le Tribunal pouvait se fonder pour conclure à la discrimination était la preuve statistique de la sous-représentation, il deviendrait inhabile à tirer cette conclusion.

Sur la question de la réparation, l'intimée a adopté comme position que, si le Tribunal tirait une conclusion de discrimination qu'il avait la faculté de tirer, son pouvoir se limiterait au prononcé d'une ordonnance d'interdiction. Il ne pourrait pas aller plus loin et ordonner des mesures comme un programme correctif, des objectifs numériques ou des méthodes de surveillance puisque ces mesures relevaient de l'équité en matière d'emploi et échappaient à la compétence du Tribunal. L'intimée a soutenu que le pouvoir d'imposer ce type de mesures de redressement liées à l'équité en matière d'emploi était réservé à la Commission de la fonction publique et au Conseil du Trésor sous le régime de la LGFP et de la LEFP. Selon elle, tout ce que le Tribunal pouvait faire consistait à déclarer qu'un programme d'équité en matière d'emploi constituerait la mesure de redressement appropriée et à laisser aux organismes susmentionnés le soin de concevoir et d'appliquer un tel programme.

L'intimée, dans son objection préliminaire, s'est également opposée à la comparution de certains témoins proposés par les plaignants. Elle a soutenu à ce sujet que le fait d'admettre ces témoignages entraînerait une nouvelle audition de la plainte personnelle de discrimination des témoins en cause. Nous avons décidé que cette objection devrait être soulevée au fur et à mesure des témoignages contestés. L'objection a été soulevée à maintes reprises au cours de l'audience, nous en avons disposé à ce moment et nul autre commentaire n'est nécessaire ici à ce sujet.

Nous avons différé notre décision sur la question de la compétence jusqu'à la fin des témoignages et des plaidoiries. Il est manifeste que la cause des plaignants a trait à une discrimination systémique dans les pratiques de dotation de SC. Incontestablement, les preuves statistiques de la sous-représentation sont l'un des éléments sur lesquels les plaignants se sont appuyés pour prouver le bien-fondé de leur cause. Mais

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les plaignants ont systématiquement adopté comme position qu'ils ne se basaient pas uniquement sur des chiffres indiquant une sous-représentation pour faire une inférence de discrimination, mais bien sur l'ensemble de la preuve présentée, et ils ont demandé au Tribunal de tirer sa conclusion d'après l'ensemble de la preuve.

Comme on le verra plus loin dans nos motifs, c'est exactement ce que nous avons fait. Même si l'intimée a correctement décrit l'étendue de notre compétence, nous avons exercé notre compétence à l'intérieur de ce cadre.

Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas d'accord avec cette limite à notre compétence qui a été alléguée par l'intimée. Rien dans la LCDP, en particulier dans l'article 40, ne limite la compétence de la CCDP ou du Tribunal pour ce qui est d'instruire une plainte faisant intervenir une prétendue question d'équité en matière d'emploi. L'article 50 de la LCDP porte que le Tribunal doit tenir une audience et mener une enquête sur la plainte pour laquelle il a été constitué.

Si le Tribunal refusait d'exercer sa compétence relativement à l'audition de cette plainte, cela signifierait que la LGFP et la LEFP ont la suprématie sur la LCDP. Cela n'est pas une position soutenable en droit, comme nous le soulignons plus loin dans les présents motifs lorsque nous examinons la question de la compétence en matière de réparation. En conséquence, la partie de la requête contestant notre compétence pour instruire la plainte est rejetée.

III LA PREUVE

A) Preuves statistiques de la sous-représentation des minorités visibles

1. Témoignage d'Erika Boukamp Bosch

Le point de départ de la cause présentée par les plaignants est qu'au 30 septembre 1993, on ne comptait à SC qu'un membre d'une minorité visible dans l'effectif total de 118 cadres supérieurs (0,8 %). Cette preuve a été produite par Erika Boukamp Bosch, chef, Analyse statistique, Direction de l'équité en matière d'emploi, CCDP. Mme Bosch était qualifiée à titre d'expert en statistique, spécialisée dans les systèmes d'emploi et les données sur les professions.

a) Définitions

Il est utile à ce stade de définir certains des termes utilisés par Mme Bosch et d'autres experts qui ont témoigné à l'audience. Ces termes sont les suivants :

Disponibilité : Estimation du nombre de personnes d'un groupe désigné visé par l'équité en matière d'emploi qui ont les qualités requises pour travailler au service d'un employeur. Les estimations de ce genre peuvent être basées sur le bassin de main-d'oeuvre interne ou externe au sein duquel on peut raisonnablement attendre des employeurs qu'ils recrutent les employés; elles sont souvent exprimées en pourcentage de l'ensemble du bassin de main-d'oeuvre qualifiée.

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Groupes désignés : Les quatre groupes désignés en vertu des lois régissant l'équité en matière d'emploi, à savoir les femmes, les autochtones, les personnes handicapées et les membres des minorités visibles.

Groupe des EX : Catégorie professionnelle de l'APF qui regroupe des employés occupant des postes de direction.

Équivalent EX : Échelons supérieurs de certains groupes professionnels de l'AFP qui sont considérés comme équivalant à des postes de gestionnaire supérieur, mais qui ne font pas partie du groupe des EX.

EX moins un et EX moins deux : Postes d'échelon supérieur dans certains groupes professionnels qui se trouvent à un ou à deux paliers au-dessous du groupe des EX.

Groupe de relève : Groupe d'employés d'échelon supérieur dans certains groupes professionnels, parmi lequel on peut raisonnablement attendre de l'employeur qu'il choisisse des personnes qui seront promues au groupe des EX. Le groupe de relève se compose de certains employés de niveau équivalent EX et des niveaux EX moins un et EX moins deux.

Catégorie professionnelle : Grand groupe de professions dans l'administration publique fédérale (APF). L'APF compte une catégorie de gestionnaires, soit la catégorie Direction (EX), et cinq catégories d'employés autres que de direction : catégorie scientifique et professionnelle (SP), catégorie Administration et Service extérieur (ASE), catégorie technique (T), catégorie Soutien administratif (SA) et catégorie Exploitation (E).

Groupe professionnel : Groupe de professions au sein d'une même catégorie professionnelle. Par exemple, dans la catégorie SP, on compte notamment les groupes professionnels suivants : médecine vétérinaire (VS), sciences biologiques (BL), recherche scientifique (SE), chimie (CH), etc.

Niveau professionnel : Chaque groupe professionnel est subdivisé en divers niveaux ou échelons, par exemple : biologiste 1 - 5, chimiste 1 - 5, etc.

Représentation : Nombre ou pourcentage de membres d'un groupe désigné au service d'un employeur.

Sous-représentation : Représentation des membres d'un groupe désigné, dans l'effectif d'un employeur, qui se situe en deçà de la disponibilité.

Taux d'utilisation (de représentation) : Représentation des membres d'un groupe désigné au sein de l'effectif d'un employeur proportionnellement à la disponibilité des membres de ce groupe, c.-à-d., la représentation divisée par la disponibilité.

b) Sous-représentation des minorités visibles dans le groupe des EX

Au cours de son témoignage, Mme Bosch a affirmé qu'au 30 septembre 1993, la représentation des minorités visibles dans le groupe

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des EX à SC correspondait à 1 sur 118, soit 0,8 %. Les estimations de la disponibilité de membres des minorités visibles pour des postes EX variaient entre 8,7 % et 9,2 % selon qu'il s'agissait de la disponibilité à SC ou dans l'ensemble de l'APF. Ces estimations de la disponibilité portent à penser qu'à cette date, SC aurait dû employer 10 ou 11 (8,7 % ou 9,2 % 118) membres des minorités visibles dans le groupe des EX. Puisque la représentation n'était que d'une personne, Mme Bosch concluait que les minorités visibles étaient gravement sous-représentées dans le groupe des EX, à moins de 10 % de leur disponibilité.

Il convient de signaler que Mme Bosch, dans ses totaux, n'a inclus personne du groupe des équivalents EX dans les postes de direction. Elle considérait les groupes équivalent EX, EX moins un et EX moins deux dans les catégories SP et ASE comme les groupes de relève pour les EX. La pertinence de cette observation apparaîtra lorsque nous examinerons le témoignage d'Adele Furrie, la spécialiste de la statistique citée par l'intimée.

c) Recrutement aux postes EX à SC

Mme Bosch a tenté d'expliquer pourquoi, à son avis, les minorités visibles étaient sous-représentées au sein de la direction à SC. Elle a analysé des données en provenance de SC sur les groupes et niveaux professionnels de la catégorie SP dans lesquels des employés étaient recrutés pour combler des postes du groupe des EX. Les données étaient à jour au 12 avril 1994; à cette date, il y avait 115 employés dans le groupe des EX, dont 63 avaient été recrutés à SC, 45 autres, dans l'ensemble de l'APF et sept autres à l'extérieur de l'APF. Parmi les 63 cadres recrutés à SC, 33 provenaient de la catégorie SP et c'est sur ce groupe que Mme Bosch s'est concentrée.

Mme Bosch a comparé chacun des groupes et niveaux professionnels desquels ces gestionnaires étaient tirés à la disponibilité de membres des minorités visibles dans le même groupe. Les estimations de la disponibilité qu'elle a utilisées étaient à jour au 30 septembre 1993.

Trois tendances différentes se sont dégagées de l'analyse de Mme Bosch. D'abord, une majorité de membres du groupe des EX (17 sur 33, soit 52 %) ont été recrutés dans trois groupes professionnels où la représentation des minorités visibles était relativement élevée dans le groupe de relève; or, il semble qu'aucun membre d'une minorité visible n'ait été recruté au sein de ce dernier groupe.

Deuxièmement, le recrutement pour les postes EX était très faible dans les groupes professionnels comptant une très forte représentation des minorités visibles. Par exemple, seuls 3 % des cadres ont été recrutés dans le groupe des BL, qui compte une représentation de 19 % de membres des minorités visibles, et aucun cadre n'a été recruté dans le groupe des VS, qui compte une représentation de 30 % de membres des minorités visibles.

Troisièmement, le recrutement était très élevé dans des groupes professionnels ne comptant aucune représentation des minorités visibles.

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d) Sous-représentation des minorités visibles dans la catégorie ASE

Mme Bosch a aussi analysé les données relatives à la représentation des minorités visibles dans la catégorie ASE. Cette information est pertinente parce que le groupe ASE est la source de 25 % des gestionnaires dans ce groupe des EX. Puisqu'il s'agit d'un important groupe de relève, si la représentation des minorités visibles y est faible, il n'y aura pas la masse critique nécessaire pour que les membres des minorités visibles accèdent à des postes de niveau supérieur, puis à des postes de direction.

Mme Bosch a conclu que les minorités visibles sont gravement sous- représentées dans la catégorie ASE. Pour parvenir à sa conclusion, elle a analysé la représentation, la disponibilité et le taux d'utilisation des membres des minorités visibles dans toutes les catégories autres que celle de la direction à SC en 1992. Même si elle s'est concentrée sur la catégorie ASE, elle a examiné toutes les catégories autres que celle de la direction pour pouvoir mettre en contexte les résultats concernant la catégorie ASE.

Les données indiquent un taux d'utilisation de 48 % pour l'ensemble des catégories autres que celle de la direction, y compris la catégorie ASE, et un taux d'utilisation de 33 % pour la catégorie ASE; autrement dit, la représentation des minorités visibles dans cette catégorie ne correspondait qu'à 33 % de la disponibilité à l'époque.

2. Témoignage d'Adele Furrie

Mme Furrie a témoigné en qualité d'expert pour l'intimée, en réponse à Mme Bosch. Mme Furrie est à présent une consultante exerçant dans l'entreprise privée; elle a passé la plus grande partie de sa carrière professionnelle au sein de l'APF, surtout à Statistique Canada. Mme Furrie était qualifiée pour faire une déposition d'expert sur l'analyse des données concernant les minorités visibles en milieu de travail à SC.

La démarche adoptée par Mme Furrie était différente de celle de Mme Bosch. Puisque, selon la plainte, la discrimination s'exerçait depuis le 8 septembre 1992 ou auparavant et se poursuivait, Mme Furrie a analysé les données pour les cinq années allant du 31 mars 1991 au 31 mars 1995. De plus, puisque la plainte contenait certains indicateurs présumés de la discrimination, Mme Furrie a contrôlé la validité de ces indicateurs.

a) Indicateur no 1

Le premier indicateur mentionné dans la plainte est le suivant : la discrimination est indiquée par le nombre extrêmement faible de membres des minorités visibles au sein de la gestion supérieure. Mme Furrie a dû calculer le nombre de personnes ayant appartenu au groupe des EX au cours des années qu'elle a étudiées. Pour calculer ce nombre, elle a utilisé une base différente de celle de Mme Bosch. Mme Furrie considérait que la direction à SC devrait comprendre les membres du groupe des EX, de même que les employés de certains groupes et niveaux équivalents EX dans la catégorie SP. Ses critères de sélection relativement aux équivalents EX se fondaient sur des renseignements obtenus de SC et comprenaient une plage de rémunération comparable à celle des EX, d'importantes responsabilités de gestion et l'exclusion des négociations collectives en raison des responsabilités de gestion. En élargissant la gamme de postes examinée,

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Mme Furrie a obtenu un nombre de postes de gestion supérieure à SC plus élevé que celui de Mme Bosch. Pour estimer la disponibilité des membres des minorités visibles, Mme Furrie a fait appel à une méthode semblable à celle de Mme Bosch, mais elle a examiné les données sur cinq ans et non pas seulement sur un an.

L'analyse que Mme Furrie a faite des données indique que pour 1991, EX/éq. EX/GS 197, MMV = 6,3 %, disponibilité = 17 ou 8,4 %; pour 1992, EX/éq. EX/GS 209, MMV = 9 ou 4,3 %, disponibilité = 18 ou 9,2 %; pour 1993, EX/éq. EX/GS 216, MMV = 13 ou 6 %, disponibilité = 9,5 %; pour 1994, EX/éq. EX/GS 212, MMV = 12 ou 5,7 %, disponibilité = 19 ou 9 %; pour 1995, EX/éq. EX/GS 209, MMV = 10 ou 4,8 %, disponibilité = 19 ou 9,1 %.

Se fondant sur cette information, Mme Furrie a calculé que le taux d'utilisation des membres des minorités visibles dans le groupe des EX pour la catégorie SP était le suivant : 1991 : TU = 35,3 % (6/17); 1992 : TU = 50 % (9/18); 1993 : TU = 68,4 % (13/19); 1994 : TU = 63,2 % (12/19); 1995 : TU = 52,6 % (10/19). Ces résultats se comparent au taux d'utilisation de 10 % obtenu par Mme Bosch.

Ayant calculé le taux d'utilisation pour les années 1991 à 1995, Mme Furrie a conclu que les données ne corroboraient pas l'allégation contenue dans la plainte selon laquelle il y aurait un nombre extrêmement faible de membres des minorités visibles au sein de la gestion supérieure. Mme Furrie a défini le terme faible en faisant référence à un manuel intitulé The Canadian Class Structure, de Dennis Forcese (pp. 53-54), qu'elle a trouvé dans sa bibliothèque à la maison et qui était utilisé dans le cadre de l'un de ses cours de sociologie de premier cycle universitaire. Selon ce manuel, faible revenu se définit comme un niveau où 70 % ou plus du revenu est consacré à des dépenses obligatoires. Le corollaire est que 30 % ou moins du revenu est disponible pour des dépenses facultatives. Mme Furrie a adapté et adopté cette définition et l'a utilisée pour fixer le seuil de démarcation qu'elle a établi afin de mesurer la notion d'extrêmement faible. Puisque tous les taux d'utilisation pour les années 1991 à 1995 dépassaient 30 %, elle a conclu que l'allégation concernant le nombre extrêmement faible n'était pas corroborée par les données.

A notre avis, tant les conclusions de Mme Bosch que celles de Mme Furrie sur la question de la sous-représentation présentent des failles. Dans le premier cas, Mme Bosch s'est essentiellement concentrée sur les données de 1993 pour conclure que les minorités visibles étaient gravement sous-représentées. Son choix de l'année 1993 est malheureux puisqu'il y a eu cette année-là une vaste restructuration dans le cadre de laquelle l'ensemble du secteur du Ministère s'occupant du bien-être social a été cédé à un autre ministère et le secteur de la santé est devenu autonome pour constituer SC.

Facteur plus important, Mme Bosch a inclus un seul groupe professionnel, le groupe des EX, dans son analyse de la gestion supérieure. Il s'ensuit que ses calculs relatifs à la représentation, à la disponibilité et à l'utilisation des membres des minorités visibles sont sous-estimés.

Mme Furrie, pour sa part, a inclus neuf groupes professionnels

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(y compris le groupe des EX) dans ses calculs relatifs à la gestion supérieure, dont quatre, à notre avis, n'auraient pas dû l'être. Dans cette mesure, Mme Furrie a surestimé les nombres et ses calculs ultérieurs du taux d'utilisation des membres des minorités visibles sont surestimés.

Danielle Auclair, témoin de l'IPFPC, a présenté des données exhaustives sur les huit groupes additionnels que Mme Furrie avait extraits du groupe des équivalents EX. Son témoignage a montré que quatre de ces niveaux professionnels ne sont pas exclus des négociations collectives et ne devraient donc pas être inclus dans les totaux relatifs à la direction. Elle a cependant convenu avec Mme Furrie que les quatre autres niveaux professionnels devraient être inclus.

Ayant convenu d'inclure ces groupes, les plaignants, par l'entremise de Micheline Nehme, ont produit en preuve des calculs révisés indiquant la population totale, la représentation des minorités visibles, la disponibilité estimée de membres des minorités visibles, le taux d'utilisation et les estimations concernant les vacances futures, valeurs qui avaient été calculées à partir d'un examen des tendances du recrutement à SC sur une période de cinq ans.

Le Tribunal accepte tant la preuve de Danielle Auclair que celle de Micheline Nehme. Les données qui en résultent sur le taux d'utilisation des membres des minorités visibles pour les années susmentionnées sont les suivantes : 1991 : TU = 33 % (5/15); 1992 : TU = 27 % (4/15); 31 mars 1993 : TU = 42 % (7/17); 30 septembre 1993 : TU = 20 % (3/15); 1994 : TU = 36 % (6/16); 1995 : TU = 25 % (4/16). Le taux moyen d'utilisation pour ces cinq ans correspond à 33 % (à l'exclusion de la valeur du 30 septembre 1993).

Mme Furrie a conclu que, compte tenu de son seuil de démarcation de 30 %, les données ne corroboraient pas l'allégation d'un nombre extrêmement faible de membres des minorités visibles dans la gestion supérieure. Mme Bosch a conclu que les minorités visibles étaient gravement sous- représentées dans le groupe des EX. Bien entendu, la validité de l'une ou l'autre de ces deux conclusions dépend de la façon dont on définit la sous- représentation. Quoi qu'il en soit, il ne nous apparaît pas que Mme Furrie prétend que les minorités visibles ne sont pas sous-représentées dans les postes de direction; elle prétend uniquement que leur nombre n'est pas extrêmement faible.

Mme Bosch et Mme Nan Weiner ont présenté au Tribunal des éléments de preuve indiquant qu'une représentation à 100 % constitue l'idéal, mais que la règle des quatre cinquièmes, soit une représentation à 80 %, est généralement acceptée.

Si l'on applique ce critère, il est manifeste, selon les données de Mme Bosch ou de Mme Furrie, qu'il y a une importante sous-représentation des minorités visibles au sein de la gestion supérieure à SC.

b) Indicateur no 2

Nous abordons maintenant le deuxième indicateur contenu dans la plainte, soit que la discrimination est indiquée par le nombre extrêmement faible de membres des minorités visibles dans la catégorie ASE.

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Mme Furrie a limité son analyse aux groupes et niveaux professionnels autres que ceux de la direction, c'est-à-dire les groupes et niveaux équivalents EX autres que de direction et les groupes et niveaux EX moins un et EX moins deux. Les données indiquent que les taux d'utilisation (de représentation) des membres des minorités visibles dans ces groupes étaient les suivants : 31 mars 1991 : TU = 53 % (9/17); 31 mars 1992 : TU = 53 % (9/17); 31 mars 1993 : TU = 42 % (8/19); 31 mars 1994 : TU = 40 % (8/20); 31 mars 1995 : TU = 40 % (8/20). Par comparaison, Mme Bosch a calculé un taux d'utilisation de 33 % en 1992 pour la catégorie ASE. Mme Furrie ne considérait pas la représentation des minorités visibles comme extrêmement faible, faisant de nouveau appel à un seuil de démarcation de 30 %.

Si l'on applique la règle des quatre cinquièmes, il y a une importante sous-représentation des minorités visibles dans la catégorie ASE.

c) Indicateur no 3

Pour ce qui est du troisième indicateur, selon lequel la discrimination est soutenue, en particulier, par la concentration des membres des minorités visibles aux échelons inférieurs de la catégorie SP, Mme Furrie a défini les postes des échelons inférieurs comme ceux qui se situent au-dessous du groupe de relève, c'est-à-dire au-dessous des niveaux équivalents EX/autres que de gestion supérieure et des niveaux EX moins un et EX moins deux.

Selon les données qu'elle a analysées sur la période de cinq ans, les membres des minorités visibles ont constamment représenté une proportion plus faible des échelons inférieurs dans la catégorie SP et, à nouveau, elle a conclu que l'allégation n'était pas corroborée par les données.

Mais c'est le corollaire de sa conclusion qui est beaucoup plus révélateur. Les données que Mme Furrie a présentées indiquent que pour chaque année, de 1991 à 1995, le pourcentage de membres des minorités visibles aux niveaux équivalents EX/autres que de gestion supérieure, EX moins un et EX moins deux, c'est-à-dire le groupe de relève, a constamment dépassé le pourcentage de la population totale de ce groupe. Par exemple, au 31 mars 1991, les membres des minorités visibles constituaient 36 % des équivalents EX/autres que de gestion supérieure, EX moins un et EX moins deux (soit 36 % du groupe de relève) comparativement à 27 % pour les employés n'appartenant pas à une minorité visible. Au 31 mars 1995, les membres des minorités visibles totalisaient 35 % du groupe de relève de la catégorie SP, comparativement à 27 % pour les employés n'appartenant pas à une minorité visible. Cette tendance est constante pour les trois autres années et concorde avec la conclusion de Mme Bosch selon laquelle il y a une forte concentration de membres des minorités visibles dans le groupe de relève, mais un faible nombre d'entre eux dans le groupe de la direction, qui constitue le palier d'avancement suivant. Autrement dit, il y a dans la catégorie SP un goulot d'étranglement à l'échelon du groupe de relève pour les membres des minorités visibles.

d) Indicateur no 4

En ce qui a trait au quatrième indicateur, selon lequel les membres des minorités visibles dans la catégorie SP ne sont pas équitablement promus, ce qui a une incidence négative sur leurs possibilités d'avancement

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à des postes de gestion supérieure, Mme Furrie a analysé trois types de mesures de dotation à SC : les nominations intérimaires, les concours et les reclassements. Elle a procédé ainsi parce que les promotions à un échelon supérieur se font d'ordinaire par concours ou reclassement et les nominations intérimaires permettent aux titulaires d'acquérir une expérience qui s'avère très utile lorsqu'ils posent leur candidature à un poste supérieur en vue d'obtenir une promotion. Les données qu'elle a analysées avaient trait aux nominations intérimaires, aux concours et aux reclassements dans la catégorie SP pour les exercices financiers 1991-1992 à 1994-1995.

Les nominations intérimaires ont constitué la majorité des mesures de dotation au cours de cette période (environ 65 % du total). Les données ne révèlent pas de tendance uniforme quant au degré de succès avec lequel les membres des minorités visibles ont obtenu des nominations intérimaires, que celles-ci aient été de moins ou de plus de quatre mois. Par exemple, les membres des minorités visibles ont obtenu une plus forte proportion de nominations intérimaires de moins de quatre mois que les autres employés au cours de deux de ces années, mais une proportion inférieure pour les deux autres années. Dans le cas des nominations intérimaires de plus de quatre mois, les membres des minorités visibles ont obtenu une plus grande proportion des postes que les autres employés au cours de l'une des années et, pour les trois autres années, la majorité des nominations intérimaires ont été octroyées à des employés n'appartenant pas à une minorité visible.

Pour ce qui est des concours et des reclassements, les employés appartenant à une minorité visible ont connu un taux de succès légèrement plus élevé dans le cas des concours et un taux de succès sensiblement plus élevé dans le cas des reclassements.

La question sur laquelle le Tribunal doit maintenant se pencher est la suivante : quelle est la raison de cette sous-représentation? Est-ce à cause de certaines pratiques de dotation à SC qui, comme on l'allègue, ont un effet préjudiciable sur les possibilités d'avancement des employés appartenant à une minorité visible? Autrement dit, la sous-représentation peut-elle être liée à une discrimination dans les pratiques de dotation de SC? Le reste de la preuve des plaignants visait à répondre à ces questions.

3. Témoignage de Jeffrey Reitz : l'enquête par courrier-réponse

M. Reitz a obtenu un doctorat en sociologie de la Columbia University et est professeur de sociologie à l'University of Toronto. Il donne des cours de deuxième cycle sur l'ethnicité et les inégalités sociales ainsi que sur les méthodes de recherche par enquête et l'analyse des données. M. Reitz a pris part à diverses études sur les relations interraciales et sur le marché de l'emploi pour les immigrants; il a également publié divers ouvrages et articles de revue spécialisée sur des questions liées à l'appartenance ethnique et à la race.

L'IPFPC a retenu les services de M. Reitz pour la réalisation d'une enquête qui visait à déterminer si, à SC, les membres des minorités raciales dans la catégorie SP jouissaient d'une égalité d'accès aux possibilités d'avancement professionnel par rapport aux employés blancs. L'enquête consistait en un questionnaire à renvoyer par la poste, expédié à

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la fin d'octobre et au début de novembre 1995. Le questionnaire a été envoyé à 1 563 personnes, sur une population totale de 2 033 employés dans la catégorie SP. Les employés auxquels on n'a pas expédié le questionnaire étaient des cotisants à l'IPFPC selon la formule Rand, c'est-à-dire qu'ils étaient tenus de verser des cotisations syndicales à l'IPFPC, mais n'étaient pas membres de l'IPFPC et n'avaient pas signé de carte de membre de l'IPFPC. Puisqu'ils n'étaient pas membres, l'IPFPC n'avait pas leur adresse permanente dans ses dossiers et ne pouvait pas leur expédier le questionnaire. Il y a eu 533 répondants au questionnaire, soit un taux de réponse d'environ 34 %. M. Reitz considérait ce taux comme adéquat, bien qu'il soit légèrement inférieur à la norme pour les enquêtes par courrier- réponse.

M. Reitz a délimité cinq champs de possibilités d'avancement professionnel et les questions de l'enquête visaient à obtenir des réponses dans ces cinq champs : la formation axée sur l'avancement professionnel, les affectations spéciales, l'accès aux postes intérimaires, les responsabilités de supervision et la participation aux jurys de sélection.

L'analyse qu'a faite M. Reitz des réponses indique que l'échantillon d'enquête était représentatif des membres de l'IPFPC sur le plan des groupes professionnels de la catégorie SP. Par exemple, le groupe des sciences biologiques représentait 15 % de l'échantillon, comparativement à 16 % des membres de l'IPFPC; les valeurs correspondantes étaient de 13 % pour le groupe de la chimie, comparativement à 12 % des membres; de 18 % pour le groupe de la réglementation scientifique, comparativement à 17 % des membres; de 7 % pour le groupe de la recherche scientifique, comparativement à 6 % des membres; de 32 % pour le groupe des sciences infirmières, comparativement à 36 % des membres; et ainsi de suite. L'échantillon d'enquête correspondait de près à la population de membres de l'IPFPC sur le plan de la répartition selon le sexe : 44,6 % d'hommes, comparativement à 45,5 % chez les membres de l'IPFPC.

En ce qui a trait à la race, M. Reitz a indiqué dans son témoignage que les questions de l'enquête visaient à comparer la situation des employés blancs et celle des membres des minorités raciales, c'est-à-dire à évaluer l'expérience concrète de divers groupes raciaux. L'enquête n'avait pas pour objet de découvrir ce que les membres de l'IPFPC pensaient des répercussions de l'appartenance à une minorité raciale à SC. L'appartenance raciale était mesurée à l'aide de questions adaptées du recensement canadien de 1996 et l'on demandait aux répondants de déclarer volontairement leur appartenance. Les Blancs représentaient 82 % des répondants; 13,4 % des répondants appartenaient à une minorité raciale et 4,6 % des répondants ont déclaré être autochtones, ce qui se compare à 8,3 % de membres des minorités visibles et à 4,7 % d'autochtones parmi les employés de la catégorie SP selon les données de SC pour octobre 1994. Environ 60 % des répondants travaillaient à la Direction générale de la protection de la santé et 36 % des répondants travaillaient à la Direction générale des services médicaux.

Dans le questionnaire, on demandait aux répondants s'ils avaient déjà reçu une formation axée sur l'avancement professionnel et l'on énumérait des cours de formation. Les données de l'enquête ont indiqué que les membres des minorités raciales avaient moins souvent reçu une formation axée sur l'avancement professionnel que les Blancs (39 % par opposition à

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46 %). Cette différence selon la race dans le domaine de la formation liée à la gestion était plus importante chez les hommes et plus importante chez les employés plus âgés, ayant de plus longs états de service, ayant un degré de scolarité plus élevé et ayant davantage de responsabilités de supervision.

Les données de l'échantillon ont également indiqué une différence selon la race quant à la façon dont les répondants avaient connaissance d'une possibilité d'accès à la formation. Les Blancs étaient plus souvent informés de ces possibilités de formation par les gestionnaires, tandis que les membres des minorités adoptaient une attitude beaucoup plus anticipatrice et découvraient ces possibilités en faisant appel à leur propre initiative.

L'enquête contenait plusieurs questions se rapportant aux nominations intérimaires. On considérait qu'il s'agissait d'un champ important parce qu'un employé qui exerce par intérim un poste supérieur acquiert une précieuse expérience en gestion et peut bénéficier d'un avantage lors d'un concours ultérieur si le poste est appelé à être comblé à titre permanent.

Les résultats de l'échantillon indiquaient que les Blancs occupent plus souvent des postes intérimaires que les membres des minorités raciales (45 % par rapport à 34 %). Le désavantage auquel font face les membres des minorités est encore plus prononcé chez les hommes et chez les employés plus âgés, ayant plus d'expérience, ayant davantage de responsabilités de supervision et ayant fait des études universitaires de deuxième cycle. Chez les hommes blancs, 47 % des employés ont obtenu des postes intérimaires, comparativement à 27 % chez les hommes non blancs.

Il y avait aussi des différences selon la race dans la façon dont les employés avaient connaissance des postes intérimaires à pourvoir. Les Blancs se voyaient plus souvent demander par leur gestionnaire de poser leur candidature, tandis que les membres des minorités raciales comptaient davantage sur eux-mêmes pour découvrir les possibilités d'obtention d'un poste intérimaire.

L'enquête a également mesuré les responsabilités de supervision puisque celles-ci peuvent représenter des qualités requises pour l'avancement professionnel. Les données de l'enquête indiquaient que chez les Blancs, 42 % des employés supervisent d'autres employés, comparativement à 32 % chez les membres des minorités raciales. Cet écart ne s'expliquait pas par une différence sur le plan de l'âge, de l'expérience ou des études. De plus, la formation en gestion et la nomination à un poste intérimaire faisaient augmenter la probabilité de l'exercice de fonctions de supervision tant pour les Blancs que pour les membres des minorités raciales. Cependant, l'avantage était beaucoup plus considérable pour les Blancs. Pour les Blancs qui avaient reçu une formation en gestion ou qui occupaient un poste intérimaire, la probabilité de l'exercice de fonctions de supervision s'accroissait sensiblement comparativement aux membres des minorités raciales.

On a aussi demandé aux répondants s'ils avaient déjà participé à un jury de sélection. Cet élément est pertinent non pas pour l'évaluation des possibilités d'avancement professionnel, mais bien pour l'évaluation de la participation des groupes minoritaires aux décisions de promotion. Les

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données de l'enquête ont à nouveau montré que les membres des groupes minoritaires étaient désavantagés. En fait, les Blancs étaient près de deux fois plus susceptibles de prendre part à un jury de sélection que les non-Blancs. Il est intéressant de constater que cette différence selon la race ne s'explique pas par d'autres facteurs comme l'âge, l'expérience ou les études. En fait, l'écart selon la race est beaucoup plus considérable pour les personnes qui ont le plus d'ancienneté et les compétences les plus élevées. M. Reitz considérait cet élément comme particulièrement lourd de sens puisque la participation à un jury de sélection relève essentiellement d'une décision de la direction. A son avis, cela porte à penser que ces décisions de la direction favorisent les Blancs au détriment des non-Blancs pour des raisons qui ont peu de choses à voir avec le degré de scolarité, l'expérience ou les responsabilités.

M. Reitz a convenu que la totalité de la population de la catégorie SP n'avait pas été interrogée, mais selon lui, cela ne portait pas atteinte à la validité de l'enquête sur le plan de sa représentativité. A son avis, rien n'indiquait que les personnes non interrogées étaient de quelque façon différentes ou moins représentatives de la population interrogée.

La preuve produite par M. Reitz a aussi été contestée quant au fait que les membres des minorités visibles étaient surreprésentés parmi les répondants au questionnaire (13,4 % par opposition à 8,3 %). On lui a en outre signalé que 60 % des répondants à l'enquête provenaient de la Direction générale de la protection de la santé et que 83 % des non-Blancs qui avaient répondu provenaient de cette Direction générale. Cet élément, auquel venait s'ajouter le fait qu'un répondant peut, dans le cas d'une enquête par courrier-réponse, examiner toutes les questions avant d'y répondre, soulevait des doutes quant à la possibilité d'un biais dans les réponses.

Tout en convenant de ces faits, M. Reitz a signalé que, puisque la proportion de répondants appartenant à une minorité visible ne s'élevait qu'à 13 % du total, ces faits n'étaient pas particulièrement significatifs. De plus, l'enquête avait pour but de comparer les Blancs et les non-Blancs et un taux de réponse plus élevé dans un groupe que dans un autre n'est pas en soi une source de biais dans les réponses.

4. Témoignage d'employés de SC appartenant à une minorité visible

Le tribunal a entendu plusieurs autres témoins dont bon nombre ont fait part de leur expérience et de leurs perceptions à titre de membres d'une minorité visible à la recherche de possibilités d'avancement à SC.

a) Dennis Awang

M. Awang a été au service de Santé Canada de 1969 à 1993. M. Awang, membre d'une minorité visible, est né à Trinidad et a obtenu son diplôme de premier cycle et son doctorat en chimie organique de la Queen's University, à Kingston (Ontario). Il a passé deux années postdoctorales à titre de chargé de cours et d'agrégé de recherche au département de chimie de l'University of Illinois et de l'University of Michigan. Il parle couramment l'anglais et le français.

M. Awang a publié plus de 70 rapports dans des revues scientifiques

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nationales et internationales et a présenté de nombreux exposés dans des universités et des conférences savantes. En 1990, il était l'unique représentant du Canada au sein d'un groupe de participants provenant de huit pays à la conférence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la médecine traditionnelle et le sida. Il a été choisi pour prendre part à cette conférence en raison de ses connaissances d'expert en chimie médicinale et en botanique des plantes médicinales. En raison de ses connaissances d'expert, de son expérience et de la fréquence des invitations qu'il reçoit à des conférences nationales et internationales, M. Awang, en toute modestie, considère qu'il pourrait raisonnablement prétendre faire autorité dans son domaine au Canada.

M. Awang est entré au service de SC en 1969, en qualité de chercheur scientifique de premier échelon (RS-1) à la Section de la chimie pharmaceutique. Lorsqu'il a été embauché, on lui a affirmé qu'il avait été le meilleur candidat reçu en entrevue par SC. Pourtant, un collègue (blanc), M. Keith Bailey, n'appartenant pas à une minorité visible et originaire de Grande-Bretagne, ayant des titres et qualités analogues, a été embauché au même moment, à une classification et à une rémunération supérieures. M. Awang a discuté de cet écart avec son supérieur, M. Cook, à la suite de quoi il a reçu une modeste augmentation de traitement, mais son niveau de classification, qui avait beaucoup plus d'importance pour lui, n'a pas été modifié.

M. Awang a été nommé chef de la Section de la chimie des produits nationaux en 1979. A l'époque, il était chercheur scientifique de niveau 2, ayant obtenu de l'avancement en 1974. Il est demeuré chef de cette section jusqu'à ce qu'elle fusionne avec une autre section en 1991. Ce sont là le niveau et la classification les plus élevés qu'il a obtenus, à l'exception d'une brève période en 1984 où il a occupé par intérim le poste de chef de la Division des normes chimiques. M. Awang a quitté SC en 1993.

Pendant la durée de ses fonctions à SC, M. Awang a vécu plusieurs expériences désagréables dans ses rapports avec son collègue, M. Lodge, qui était chef de la Section des stéroïdes. Au printemps de 1984, ils ont tous deux assisté à une conférence universitaire donnée par un professeur provenant des États-Unis qui, durant sa conférence, a indiqué que la plus grande partie de la recherche de base pour ses travaux avait été effectuée par un étudiant de deuxième cycle, un candidat au doctorat originaire du Moyen-Orient. Entendant ce commentaire, M. Lodge a dit à M. Awang :

[TRADUCTION]

Ce type a travaillé comme un nègre. M. Awang a été étonné et troublé par ce commentaire et l'a signalé à M. Hughes, qui était alors directeur intérimaire du Bureau de recherche sur les médicaments. M. Hughes lui a répondu qu'il ne considérait pas ce terme comme particulièrement ennuyeux et que sa famille avait même déjà eu un chien appelé [TRADUCTION] Nègre.

M. Awang a affirmé lors de son témoignage que M. Lodge l'accueillait souvent par les paroles :

[TRADUCTION]

Bonjour, noirceur mon vieil ami et qu'à l'occasion, il l'avait appelé [TRADUCTION] Noiraud.

Pendant environ un an, M. Lodge a régulièrement apposé des autocollants provenant de fruits d'Afrique du Sud sur le téléphone de M. Awang, son bureau, sa lampe de travail et la porte de son bureau. Cela

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se passait avant l'abolition de l'apartheid et M. Awang estimait que la seule explication raisonnable de ce comportement était l'indication d'un appui à l'apartheid ou à la supériorité des Blancs.

M. Awang a abordé cette question avec M. Hughes et M. Lodge. Lors de la rencontre, M. Lodge a admis la responsabilité de sa conduite, mais n'a offert ni explication ni excuse. La rencontre a été efficace et M. Lodge a mis fin à ce genre de conduite insultante.

M. Awang a dit qu'il avait consigné les incidents dans un rapport qu'il avait transmis à l'IPFPC, mais qu'il avait décidé de ne pas y donner suite et que sa meilleure ligne de conduite consistait à continuer d'exercer ses fonctions et à persévérer.

M. Awang n'a pas quitté l'APF de son plein gré, mais plutôt parce que la Section des produits naturels a fusionné avec une autre section et tous les employés de la première section, y compris M. Awang, ont été déclarés excédentaires à compter du 1er juin 1991. Cela s'est passé en dépit d'une évaluation externe qui a conclu que la Section des produits naturels s'occupait d'un très important domaine et que les travaux effectués par M. Awang étaient très prisés.

Lorsque M. Awang a appris qu'il était désigné employé excédentaire, il a écrit au Sous-ministre pour lui demander un rendez-vous afin de discuter de la question. Dans sa lettre, il indiquait que, puisque l'un des objectifs déclarés de la Commission de la fonction publique consistait à accroître le nombre de membres des minorités visibles dans l'APF, il ne comprenait pas le raisonnement qui sous-tendait le licenciement d'un scientifique noir de renommée internationale. Il a rencontré le Sous- ministre et, par la suite, le directeur de la Direction générale de l'administration du personnel de SC, mais n'est pas parvenu à faire modifier la décision.

Entre 1991 et 1993, M. Awang a déployé des efforts persistants en vue d'obtenir un autre poste à SC, mais ses efforts se sont soldés par un échec. Durant cette période, un poste permanent de chercheur scientifique est devenu disponible. Mais, selon M. Awang, quelqu'un d'autre a été nommé à ce poste sans concours, même si la personne en question ne satisfaisait pas aux exigences relatives aux études énoncées dans la description de travail. M. Awang a porté cette question à l'attention de l'IPFPC, lequel est intervenu en son nom, mais n'est pas parvenu à obtenir un résultat positif. En une autre occasion, un autre poste est devenu disponible à l'égard duquel M. Awang croyait posséder les compétences requises. Il n'a pas obtenu le poste et a découvert par la suite que l'on avait abaissé le niveau du poste et qu'on l'avait accordé à un employé qui détenait un diplôme de premier cycle et travaillait en qualité de technologue dans une autre section de SC.

Après avoir reçu son avis d'employé excédentaire, M. Awang a présenté des demandes répétées de report de sa date de cessation d'emploi afin d'avoir le temps de chercher un autre poste dans son domaine d'expérience à SC. Il n'a à aucun moment souhaité prendre sa retraite. M. Awang a dit lors de son témoignage qu'il était prêt, à l'époque, à faire du travail de laboratoire si nécessaire et qu'il avait suggéré de retourner à l'université pour recevoir une formation dans un autre domaine. Cependant,

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lorsqu'il avait fait cette suggestion, on lui avait répondu qu'il lui faudrait plus de deux ans pour recevoir une formation et que cela n'était pas réalisable.

Après avoir épuisé toutes les possibilités d'obtention d'un autre poste permanent, n'ayant plus reçu de prorogation de délai, il a quitté SC en août 1993.

b) Ivy Williams

Mme Ivy Williams a obtenu une double maîtrise en éducation et en psychologie de la Columbia University. Elle a acquis sa principale expérience de travail dans les domaines de l'éducation, du développement de l'enfant et de la santé mentale chez les enfants. Elle a été maître de conférence au Mico Teachers College en Jamaïque et, par la suite, chargée de cours à la faculté de l'éducation de l'University of the West Indies (UWI). Elle a aussi été directrice d'un centre régional de développement de l'enfant d'âge préscolaire à l'UWI, exerçant des responsabilités de supervision sur l'ensemble du territoire des îles de la Barbade, de la Jamaïque et de Saint-Vincent. Actuellement, Mme Williams est chef intérimaire de l'Unité des plans de promotion de la santé mentale à SC. Elle occupe ce poste depuis avril 1995. Elle est classée au niveau PM-04, classification qu'elle détient depuis 1987, lorsqu'elle est devenue employée permanente de SC.

Les portions pertinentes du témoignage de Mme Williams étaient centrées sur deux questions : d'abord, le fait qu'elle n'a pas obtenu le poste de chef de l'Unité de la santé mentale des enfants à la Division de la santé mentale de SC; deuxièmement, le fait qu'elle a été la première présidente du Comité consultatif sur les minorités visibles (CCMV) à SC.

Lors de son témoignage, Mme Williams a affirmé que l'Unité de la santé mentale des enfants avait été mise sur pied vers 1992 par suite de sa propre initiative et de la proposition qu'elle avait rédigée visant la constitution de ce service. Sa proposition a été acceptée et l'on a créé l'unité en lui accordant des fonds initiaux d'environ 6,5 millions de dollars. Elle a aussi rédigé la description de travail du chef de l'unité, laquelle correspondait de très près au travail qu'elle avait effectué durant les cinq années précédentes, et elle s'attendait à être nommée à ce poste à titre permanent. Elle n'a pas été nommée et il lui semblait qu'une personne ayant un niveau de scolarité moindre et moins d'expérience pour occuper le poste avait été nommée chef intérimaire sans concours. Elle a par la suite appris que la personne nommée avait travaillé au niveau PM-04 à titre de chef des opérations, assumant la gestion d'un budget d'environ 18 millions de dollars.

Mme Williams a dit qu'elle ne s'était pas sentie personnellement victime de discrimination en raison de son appartenance à une minorité visible lorsqu'elle n'avait pas été nommée chef, et qu'elle n'avait pas déposé de grief. Elle estimait qu'il s'agissait d'un traitement terriblement injuste, mais elle n'était pas disposée à former un appel parce que c'était pour elle une démarche trop douloureuse. Elle n'a pas manqué de discuter de cette question avec sa supérieure immédiate et a affirmé d'un ton significatif que, d'après ses souvenirs, sa supérieure lui avait dit qu'elle [TRADUCTION] ne la voyait pas dans un poste de

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direction. Mme Williams a demandé à être immédiatement envoyée suivre un cours de formation linguistique, ce qui a été fait; après sa formation linguistique, elle a été détachée auprès de la Commission de la fonction publique pendant environ deux ans, puis elle est retournée à l'Unité de la santé mentale en décembre 1994.

On a signalé à Mme Williams lors du contre-interrogatoire qu'il y avait eu un concours, lancé le 25 juillet 1994, en vue de pourvoir le poste permanent de chef de l'Unité de la santé mentale des enfants. Mme Williams a répondu qu'elle entendait parler pour la première fois de ce concours parce qu'elle avait provisoirement été affectée ailleurs à l'époque. Personne ne l'avait avisée du concours, même si elle avait régulièrement eu des contacts avec sa supérieure à la Division de la santé mentale. Mme Williams a déclaré que si elle avait été au courant, elle aurait certainement posé sa candidature. Elle a en outre affirmé que le chef intérimaire aurait eu un avantage de deux ans sur le plan de l'expérience et de la connaissance du poste.

On a également signalé à Mme Williams lors du contre-interrogatoire que, selon son évaluation du rendement pour 1992, les responsabilités financières et les tâches administratives ne représentaient pas une priorité pour elle et que le chef de l'Unité de la santé mentale des enfants avait la responsabilité d'un budget considérable. Mme Williams a répondu qu'elle considérait ces commentaires comme une justification pour ne pas la nommer ou envisager sa nomination au poste intérimaire. A son avis, dans les fonctions rattachées à ce poste, les exigences relatives aux responsabilités financières et aux tâches administratives étaient beaucoup moins importantes que les responsabilités en matière de planification et d'élaboration de programmes.

Mme Williams a aussi parlé du Comité consultatif sur les minorités visibles (CCMV) qui avait été mis sur pied par SC en 1991. Le CCMV était composé de 12 personnes et Mme Williams a été la première personne élue à la présidence du Comité. Le CCMV avait pour mandat de recommander l'adoption de méthodes permettant de soutenir et de promouvoir le recrutement, le maintien en fonction et la promotion des membres des minorités visibles à SC, et de conseiller SC sur des programmes et politiques en milieu de travail adaptés à une population certainement hétérogène. Le CCMV a présenté en septembre 1992 son rapport intitulé :

[TRADUCTION]

Santé et Bien-être social : l'excellence par la diversité. Le CCMV y faisait état de la perception, de la part des membres des minorités visibles, d'un comportement discriminatoire à SC. Même s'il n'y avait aucune donnée quantitative à l'appui de la perception de discrimination, le Comité concluait que, peu importe son origine ou son exactitude, cette perception était préjudiciable aux personnes en cause et à leurs collègues. Le CCMV formulait diverses recommandations, notamment : que l'on mette sur pied un mécanisme en vue de recruter activement des membres des minorités visibles; que l'on prenne des mesures pour accroître la représentation des minorités visibles au sein des jurys de sélection; que l'on institue des mécanismes pour veiller à ce que les minorités visibles soient équitablement représentées à tous les échelons et dans toutes les catégories à SC; enfin, que SC reconnaisse, utilise et perfectionne les compétences des membres des minorités visibles et favorise activement leur avancement professionnel.

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Selon Mme Williams, le rapport du CCMV a été remis au Sous-ministre, mais il n'y a jamais eu d'accusé de réception officiel du rapport, ni de discussion avec le CCMV sur ses conclusions ou ses recommandations.

c) Tina Walter

Mme Tina Walter a obtenu une maîtrise de l'University of Western Ontario et participe à titre de stagiaire en gestion au Programme de formation des cadres offert par la Commission de la fonction publique. Mme Walter est membre d'une minorité visible et a été présidente du CCMV en 1993. Peut-être peut-on le mieux résumer son expérience en qualité de présidente du CCMV en se reportant à la note de service qu'elle a adressée le 12 janvier 1994 à Kent Foster, sous-ministre adjoint de la Direction générale de la protection de la santé, qui assurait la liaison entre le CCMV et SC. Mme Walter a rédigé cette note à l'époque où elle s'apprêtait à quitter le Ministère pour entrer au service du Conseil du Trésor.

Dans sa note de service, elle signalait que son appartenance au CCMV avait été une épreuve de persévérance. Elle indiquait qu'à quelques exceptions près, les cadres supérieurs n'avaient manifesté aucun engagement vis-à-vis de l'équité en matière d'emploi pour les minorités visibles et que les membres des minorités visibles eux-mêmes reconnaissaient cette absence d'engagement. Au cours des trois dernières années d'existence du CCMV, il n'y avait eu aucune véritable amorce de changement à SC, à quelque échelon que ce soit. Elle signalait en outre que le Sous-ministre avait demandé au CCMV de présenter un rapport, que le rapport avait été rédigé et qu'il avait été distribué en 1992. En 1994, aucune suite n'avait été donnée au rapport et la façon dont SC avait abordé et traité celui-ci était inadéquate. Elle concluait que le Ministère ne pouvait pas se permettre de continuer d'accorder une faible priorité à la question de l'équité en matière d'emploi pour les minorités visibles.

d) Daljit Dhillon

M. Daljit Dhillon est évaluateur scientifique au Bureau des services médicaux de la Direction de l'hygiène du milieu de SC. M. Dhillon a obtenu une maîtrise en chimie du Harcourt Technological Collegiate Institute, en Inde, et un doctorat (1970) en microbiologie de l'University of Manitoba.

Le témoignage de M. Dhillon a essentiellement porté sur le fait qu'il n'a pas obtenu de promotion ni de nomination à un poste intérimaire à SC.

Il croit que c'est par discrimination raciale qu'il n'a pas été sélectionné pour occuper par intérim des postes qui pourraient contribuer à son avancement professionnel. Lors de son témoignage, il a affirmé qu'en diverses occasions, il en avait appelé de la sélection du candidat retenu pour le poste intérimaire qu'il avait postulé, mais il a admis qu'il n'avait jamais allégué de discrimination lors de l'un quelconque de ses appels ni jamais déposé de plainte auprès de la CCDP. Son explication est la suivante : il croyait qu'une telle façon d'agir susciterait du ressentiment et engendrerait des antagonismes inutiles en milieu de travail. Il a adopté comme position qu'il devait travailler à SC et qu'il devait donc s'accommoder de la situation.

Il n'entre pas dans notre propos en l'espèce de déterminer si

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M. Dhillon a ou non personnellement été victime de discrimination raciale. Notre attention se porte plutôt sur le processus de nomination aux postes intérimaires que M. Dhillon a décrit lors de son témoignage.

Les préoccupations de M. Dhillon avaient trait à la nomination de Mme Mary Jane Bell au poste de chef intérimaire de la Section de l'évaluation initiale. M. Dhillon travaillait à titre d'évaluateur à cette section. Selon M. Dhillon, Mme Bell a été nommée à ce poste en janvier 1993, mais aucun avis de la nomination ni avis de droit d'appel n'a été affiché. Par suite de l'intervention de M. Dhillon et de l'IPFPC, un avis d'appel a été affiché en novembre 1993 et M. Dhillon ainsi que cinq autres personnes, dont quatre n'appartenaient pas à une minorité visible, ont formé un appel au motif qu'il n'y avait pas eu de concours pour cette nomination intérimaire. L'appel a été accueilli et le comité d'appel a ordonné la tenue d'un concours pour combler le poste intérimaire.

Le concours a par la suite été remplacé par une évaluation comparative sur papier des candidats. M. Dhillon a affirmé lors de son témoignage qu'il n'y avait eu aucun examen écrit, qu'il n'avait pas été convoqué à une entrevue et qu'il n'avait aucune idée de la façon dont il avait été évalué, hormis le fait qu'il avait été évalué. Il a été avisé en mars 1994 que ses titres et qualités avaient été évalués et qu'il n'avait pas été jugé apte à occuper le poste. L'évaluation avait été faite par M. Freeland, chef de la Division de l'évaluation des instruments dont relevait le chef de la Section de l'évaluation initiale. M. Dhillon a affirmé que M. Freeland ne le supervisait pas et qu'il n'avait pour ainsi dire aucun contact direct avec lui.

M. Dhillon a appris par la suite que M. Freeland avait évalué sa candidature en se fondant sur ses évaluations du rendement et en consultant son supérieur immédiat, lequel était en l'occurrence Mme Bell, chef intérimaire de la section et employée dont la nomination intérimaire était contestée en appel par M. Dhillon. M. Freeland avait à l'origine nommé Mme Bell et celle-ci a été confirmée dans ses fonctions intérimaires, M. Freeland ayant jugé qu'elle était la meilleure candidate.

Un concours a été tenu en septembre 1994 pour la nomination permanente au poste de chef de l'évaluation initiale. Les qualités requises pour le poste incluaient de l'expérience dans la supervision d'employés professionnels ou d'employés de soutien et comprenaient maintenant un diplôme en sciences naturelles, physiques ou appliquées. Auparavant, l'énoncé de qualités comprenait comme exigence un diplôme de deuxième cycle en biologie. Mme Bell n'a pas de diplôme en biologie, mais a un diplôme de deuxième cycle en chimie. M. Dhillon a postulé l'emploi et sa candidature a été rejetée à la présélection parce qu'il n'avait pas l'expérience en gestion requise pour le poste.

M. Dhillon en a appelé de la nomination permanente, mais a retiré son appel parce que, de son point de vue de délégué syndical de l'IPFPC, il n'avait aucune confiance dans le processus d'appel. D'après son expérience, même lorsqu'un appel est accueilli et des mesures correctives sont ordonnées, la personne qui occupait le poste par intérim semble obtenir la nomination au poste permanent. Mme Bell a été la candidate reçue.

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Il convient de signaler qu'avant la nomination de Mme Bell au poste intérimaire, Mme N. Chopra, membre d'une minorité visible, avait été chef de la Section de l'évaluation initiale de 1988 à 1991. M. Boulay lui a succédé et a été chef intérimaire en 1991 et 1992. M. Chander l'a remplacé et a été chef par intérim de septembre 1992 à janvier 1993 environ. M. Chander et M. Wadera sont membres d'une minorité visible. M. Dhillon n'en a pas appelé de leur nomination intérimaire.

e) Ajit Das Gupta

L'histoire de M. Das Gupta est intéressante. Il est né en Inde et est arrivé au Canada en 1952 à titre d'étudiant. Il possède un doctorat en physique et a fait des recherches post-universitaires à l'Oxford University. En 1959, il est devenu maître de conférence en technologie nucléaire et en technologie des radiations à la McMaster University et, en 1960, il est entré au service de SC en qualité de spécialiste des sciences physiques au Bureau de la radioprotection. M. Das Gupta a été promu assez rapidement, tout d'abord au poste de chef de section, ensuite au poste de chef adjoint, puis de chef et enfin de directeur du Bureau des matériaux médicaux. Il a été nommé à ce poste vers 1974.

Lorsqu'il est entré au service de SC, M. Das Gupta travaillait au sein du nouveau Programme de radioprotection qui avait été mis sur pied en réponse aux préoccupations du Canada concernant le risque d'émissions et de retombées radioactives attribuables au nucléaire. Il a joué un important rôle dans l'élaboration de la loi portant sur cette question, soit la Loi sur les dispositifs émettant des radiations. En raison de ses connaissances d'expert et de son travail dans le domaine, il était connu dans l'ensemble du Canada, selon ses propres termes, sous l'appellation de [TRADUCTION] Monsieur Radiations et il s'est rendu partout au pays pour aider les provinces à mettre sur pied des programmes de radioprotection.

En 1982, le Bureau des matériaux médicaux avait pris de l'ampleur et comptait 35 employés spécialisés dans divers domaines scientifiques. M. Das Gupta estimait que le Bureau devrait adopter une démarche davantage axée sur la prévention en procédant à une évaluation initiale des produits avant leur mise en marché, particulièrement dans le cas des produits utilisés comme implants chez les humains. A cette fin, il a demandé des ressources additionnelles, lesquelles ont été autorisées par le Sous- ministre et le Conseil du Trésor. Cependant, il lui fallait obtenir l'approbation du directeur général de la Direction de l'hygiène du milieu pour pourvoir à ces postes. Cette Direction était dirigée par M. Somers, qui n'était pas d'accord pour que ces ressources soient affectées au Bureau des matériaux médicaux. En conséquence, M. Das Gupta n'a pas obtenu ces postes additionnels et le Bureau des matériaux médicaux a accumulé d'importants arriérés de travail dans le traitement des nombreuses demandes d'autorisation qui lui étaient soumises.

Lors de son témoignage, M. Das Gupta a affirmé que, de 1982 environ jusqu'au moment où il a pris sa retraite en 1993, il a été engagé dans une lutte constante avec M. Somers en vue d'obtenir les ressources nécessaires pour pourvoir aux postes du Bureau. Dans bien des cas, il s'est vu attribuer des postes dont la classification était beaucoup plus basse que celle requise pour l'accomplissement des tâches. M. Das Gupta a offert de recourir au travail supplémentaire à titre volontaire et de réaffecter des

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ressources provenant d'autres services du Bureau pour réduire l'arriéré de travail, mais M. Somers refusait d'approuver ces mesures. A la longue, M. Das Gupta a été convaincu que M. Somers créait ces obstacles parce qu'il voulait qu'il quitte le Bureau et tentait de montrer qu'il était un directeur inefficace.

En 1985, M. Das Gupta a assisté à une conférence à Madrid et a ultérieurement été invité par le gouvernement espagnol à passer du temps en Espagne pour donner des conseils sur l'élaboration du programme des matériaux médicaux de ce pays, le programme de M. Das Gupta au Canada ayant acquis une réputation internationale. Il en a avisé M. Somers, mais M. Somers n'a pas approuvé cette collaboration étrangère et a annoncé à M. Das Gupta qu'il mettait en oeuvre un programme d'économie des ressources et qu'il avait l'intention de fusionner le Bureau de la radioprotection et le Bureau des matériaux médicaux. L'un des deux postes de directeur ne serait plus nécessaire; M. Das Gupta allait perdre son poste et être nommé conseiller spécial.

M. Das Gupta estimait que puisqu'il avait eu la responsabilité de la mise sur pied de l'Unité de la radioprotection, il devrait être le directeur des Bureaux fusionnés. M. Somers, toutefois, l'a informé qu'il n'avait pas une personnalité appropriée pour s'occuper des aspects politiques et autres qui étaient requis dans le cadre de ce nouveau poste. En particulier, il n'avait pas la personnalité qu'il fallait et n'était pas la personne qui convenait pour interagir avec les médecins, les scientifiques et les hommes et femmes politiques. M. Das Gupta a affirmé au cours de son témoignage que ce n'était pas la première fois que M. Somers lui disait qu'il n'avait pas les qualités personnelles qu'il fallait. M. Somers et lui-même avaient eu de nombreuses conversations au fil des ans et, lorsqu'il parlait des interactions avec les autres, M. Somers affirmait à M. Das Gupta que les gens de son origine ne convenaient pas tout à fait parce qu'ils étaient des [TRADUCTION] coloniaux. M. Somers lui disait que [TRADUCTION] les vrais types doués sont ceux qui viennent du Royaume-Uni. M. Somers affirmait également à M. Das Gupta qu'il y avait trop d'Indiens au Bureau et disait qu'à son avis, les Indiens étaient techniquement compétents, mais qu'il se demandait s'ils convenaient pour les programmes de réglementation.

En qualité de directeur du Bureau des matériaux médicaux, M. Das Gupta a pris part à des jurys de sélection, particulièrement pour des concours où le poste à pourvoir relèverait directement de lui. M. Das Gupta a affirmé qu'en certaines de ces occasions, M. Somers s'était adressé à lui pour lui dire quel candidat il préférait et quels candidats ne devraient pas être sélectionnés. M. Das Gupta se rappelait qu'en une occasion, il y avait eu un concours pour un poste de chercheur scientifique et l'un des candidats était un scientifique originaire de l'Inde. Avant la constitution du jury de sélection, M. Somers a dit à M. Das Gupta qu'il ne voulait pas qu'il prenne part au jury car il pourrait fort bien sélectionner ce candidat parce que celui-ci était Indien.

En une autre occasion, M. Somers, à son retour d'une conférence en Inde, a affirmé à M. Das Gupta que sa visite en Inde avait été une expérience très désagréable parce que les gens en Inde étaient très corrompus. Il a également déclaré :

[TRADUCTION]

J'espère que vous n'aurez pas une partie de cette corruption ici.

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Les deux Bureaux ont fusionné pour devenir le Bureau de la radioprotection et des instruments médicaux et M. Das Gupta n'en a pas été nommé directeur. Après ces événements, il a examiné les possibilités qui s'offraient à lui, lesquelles consistaient à accepter le poste de conseiller spécial, à prendre un congé pour des raisons médicales, à prendre sa retraite ou à livrer une lutte. Il a choisi de quitter SC pour prendre sa retraite, ce qu'il a fait en 1993.

f) Shiv Chopra

M. Chopra est actuellement président du comité sur l'équité en matière d'emploi de l'ACNRI; il est l'ex-président de l'ACNRI. Il a joué un rôle clé dans le dépôt de la plainte de l'ACNRI auprès de la CCDP. M. Chopra avait auparavant formulé une plainte contre SC aux termes de l'article 7 de la LCDP, plainte qui a été entendue par un autre tribunal. La plus grande partie de son témoignage devant le présent Tribunal avait trait à son expérience personnelle et, en particulier, à l'irritation qu'il ressentait manifestement par suite de son incapacité à gravir les échelons de la direction à SC. Le Tribunal n'est pas saisi de la plainte personnelle de M. Chopra et nous avons examiné la preuve qu'il a présentée uniquement dans la mesure où elle se rapportait aux pratiques de dotation à SC qui, selon l'allégation de l'ACNRI, créent des obstacles à l'avancement des membres des minorités visibles aux échelons de la direction.

M. Chopra a obtenu un baccalauréat en sciences vétérinaires (1957) du Punjab Veterinary College, en Inde, et un doctorat (1964) en microbiologie de l'Université McGill. Avant son arrivée au Canada et après avoir obtenu son baccalauréat en sciences vétérinaires, il a travaillé en qualité de chirurgien vétérinaire responsable du State Veterinary Hospital en Inde, où il supervisait un personnel de six adjoints. Ses fonctions à ce poste incluaient la gestion des questions techniques, des questions financières et du personnel. De 1958 à 1960, il a été agent de recherches aux services des produits biologiques et du contrôle de la qualité au Punjab Veterinary College et a dirigé un personnel de 30 employés scientifiques et techniques.

En 1965, M. Chopra est déménagé en Angleterre afin d'entrer au service de l'entreprise Miles Laboratories. Il y a dirigé un service constitué d'une équipe pluridisciplinaire de 13 chercheurs; les fonctions de son poste comprenaient la supervision et la gestion du programme de pharmacologie et de toxicologie réalisé pour les fins de l'autorisation réglementaire des nouveaux médicaments.

M. Chopra est revenu au Canada en 1969 et est entré au service de SC en qualité de conseiller scientifique (SA-1) au Bureau des médicaments de prescription à usage humain (BMPH) de la Direction générale de la protection de la santé; il a été reclassé en 1971 au niveau de biologiste 4 (BL-04).

M. Chopra a travaillé au BMPH de 1969 à 1987. En 1987, il a posé sa candidature et a été sélectionné à un poste de la Division de l'innocuité pour les humains du Bureau des médicaments vétérinaires, à la classification de médecin vétérinaire 4 (VS-4). Il est demeuré au service de cette Division, dans un poste de cette classification, depuis 1987 (à l'exception de certaines affectations spéciales).

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Pendant la durée de ses fonctions à SC, M. Chopra a reçu une formation relativement approfondie en gestion, dans le cadre de cours officiels de formation ou par sa participation à des comités liés à la gestion et à des groupes de travail. Il a souvent exercé les fonctions de chef de sa Division pendant de brèves périodes et accomplissait quotidiennement certaines des fonctions courantes du chef.

M. Chopra était vivement intéressé à accéder à des postes de direction à SC et il ressort clairement de son témoignage qu'au fil des ans, il est devenu de plus en plus irrité par ce qu'il a appelé l'insensibilité et l'inaction de la haute direction envers ses demandes, compte tenu de son expérience, de ses titres et qualités et de ses évaluations de rendement positives.

Lors de son témoignage, M. Chopra a parlé d'une mesure de dotation en particulier à SC, qu'il a présentée comme soulevant des questions d'équité de traitement dans le processus de dotation. Il s'agit des événements survenus entre 1990 et 1992 à propos de la nomination intérimaire de Mme Claire Franklin au poste de directrice des Médicaments humains prescrits et de toute la saga qui s'en est suivie.

En 1990, le poste de directeur du BMP, où M. Chopra travaillait depuis 18 ans, est devenu vacant. M. Chopra a écrit en septembre 1990 au directeur général, M. Somers, pour poser sa candidature au poste; il a également écrit à M. Liston, Sous-ministre adjoint. M. Liston a répondu que, de l'avis de M. Somers, ce poste devrait être comblé par une personne ayant des antécédents en médecine. Le poste était décrit comme bilingue et un doctorat en médecine constituait l'une des conditions requises. Le titulaire précédent n'avait pas de diplôme en médecine et les fonctions étaient partagées entre le directeur et le directeur adjoint, lequel était médecin.

Aucun concours n'a été tenu pour combler le poste et Mme Franklin a été nommée par intérim en octobre 1990.

Mme Franklin avait été chef d'une division de la Direction de l'hygiène du milieu pendant environ neuf ans et avait une expérience considérable à titre de gestionnaire. Elle n'était pas docteur en médecine et n'était pas bilingue au moment de la nomination.

L'énoncé de qualités pour le poste n'a pas été rédigé avant le 25 mars 1991, mais on lui a donné effet rétroactif jusqu'en octobre 1990. Il n'imposait pas comme condition que le directeur soit médecin. M. Chopra a contesté la nomination intérimaire et a interjeté appel auprès de la CFP en décembre 1990. Au début de 1991, SC a créé un poste de directeur de niveau EX-02 assorti de certains titres et qualités requis du directeur, mais non de l'exigence concernant le doctorat en médecine. Les fonctions médicales ont été attribuées à un autre poste. Mme Franklin a été nommée à ce poste par intérim pour quatre mois lorsque sa nomination intérimaire précédente est venue à échéance et elle a été renommée à deux autres reprises jusqu'à la fin de novembre 1991.

L'appel entendu le 19 juillet 1991 a été accueilli, le comité d'appel concluant que Mme Franklin n'avait pas la totalité des compétences requises pour occuper le poste de directeur. En dépit de cette décision,

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Mme Franklin a continué d'occuper le poste par intérim pendant encore deux mois jusqu'à ce que, par suite de l'intervention de M. Chopra et de l'IPFPC, la CFP ordonne que l'on mette fin à la nomination intérimaire de Mme Franklin le 20 septembre 1991 et qu'il y ait deux concours, l'un pour une nomination intérimaire de quatre mois et l'autre pour le poste permanent de directeur. Mme Franklin a continué d'occuper le poste et d'exercer les responsabilités de directeur, mais elle a été classée et rémunérée à son niveau antérieur, et non pas au niveau EX-02.

En octobre 1991, un concours visant le poste de directeur a été affiché, mais M. Chopra n'a pas pu poser sa candidature parce que sa classification était inférieure d'un échelon au niveau d'admissibilité fixé pour le poste. M. Chopra a réagi en demandant à la Cour fédérale de révoquer la nomination de Mme Franklin. Le litige a été résolu sur les bases suivantes : Mme Franklin serait affectée à d'autres fonctions, il y aurait un nouveau concours pour pourvoir au poste permanent de directeur et M. Somers serait exclu de toute participation au processus de sélection. Le 20 mars 1992, un concours a été affiché pour le poste de directeur; M. Chopra était admissible et a postulé l'emploi. Le comité de présélection a rejeté la candidature de M. Chopra au motif que celui-ci ne possédait pas l'expérience nécessaire en gestion. Mme Franklin a été jugée apte à occuper le poste et sa nomination à titre de directrice permanente a été confirmée le 21 avril. Au même moment, le poste de directeur adjoint était aboli. M. Chopra et Mme Michele Edwards, ancienne directrice adjointe, ont tous deux interjeté appel de la nomination de Mme Franklin, mais leur appel a été rejeté le 27 juillet 1992. Le comité d'appel a conclu que SC n'avait pas agi indûment en reclassant le poste de directeur à l'échelon EX-02 et en supprimant l'exigence concernant le doctorat en médecine. Le comité a également confirmé la sélection de Mme Franklin et conclu que M. Chopra n'avait pas l'expérience en gestion nécessaire pour occuper le poste.

Le 12 octobre 1992, le comité des griefs de dernier palier a tenu une réunion avec le sous-ministre de SC. M. Chopra a présenté une déclaration écrite exposant les motifs de son grief, mais rien n'a été résolu en faveur de M. Chopra, sauf que le Sous-ministre a ordonné à Shirley Cuddihy, des Relations de travail, de s'entretenir avec M. Liston et M. Somers sur les raisons pour lesquelles M. Chopra n'était pas promu à un poste de direction.

B) Obstacles structurels dans les systèmes de dotation et de perfectionnement de SC

1. Nan Weiner

Mme Nan Weiner, conseillère en ressources humaines, notamment dans les domaines de la dotation et du comportement organisationnel, a fait une déposition d'expert pour les plaignants. Mme Weiner a obtenu un doctorat (1977) en ressources humaines de l'University of Minnesota et compte 20 ans d'expérience en ressources humaines, acquise par la pratique, l'exercice de fonctions de consultation et l'enseignement. Mme Weiner était qualifiée à titre d'expert dans les domaines du perfectionnement professionnel et de la discrimination systémique.

Essentiellement, le témoignage de Mme Weiner a d'abord consisté à

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définir en termes généraux les obstacles structurels à la dotation et au perfectionnement professionnel qui nuisent à l'embauchage et à la promotion des membres des minorités visibles. Elle a ensuite examiné deux pratiques de dotation en particulier à SC pour déterminer si les obstacles que l'on constate dans d'autres systèmes d'emploi existaient à SC. Ayant conclu que certains obstacles étaient présents à SC, elle a ensuite suggéré des mesures correctives en vue de les supprimer.

Mme Weiner a défini la dotation comme correspondant à l'embauchage initial et à la promotion et le perfectionnement professionnel comme la réponse au besoin des employés d'acquérir les compétences nécessaires pour continuer d'exercer leurs fonctions actuelles et d'obtenir les compétences additionnelles requises pour avoir de l'avancement.

Les obstacles consistent en des pratiques de dotation qui désavantagent directement ou indirectement les membres d'un groupe donné pour des motifs qui ne sont pas liés à l'emploi.

Pour déterminer les obstacles pertinents, Mme Weiner s'est essentiellement fondée sur trois sources : le rapport de 1995 sur le plafonnement voilé appelé Glass Ceiling Report de la Federal Glass Ceiling Commission des États-Unis (qui portait sur les possibilités d'avancement des femmes et des membres des groupes minoritaires à des postes de direction et à des postes décisionnels dans l'entreprise privée aux États- Unis) et deux rapports préparés par la CFP, Pour une visibilité sans frontières : rapport provisoire du Groupe de consultation sur l'équité en matière d'emploi pour les minorités visibles (27 mars 1992) et Fausses images : observations des membres de minorités visibles au sein de la fonction publique du Canada (22 janvier 1993) (les deux rapports canadiens ont été préparés à l'intention du Secrétaire du Conseil du Trésor et du Conseil des sous-ministres).

Les deux pratiques précises de dotation et de perfectionnement à SC que Mme Weiner a examinées sont les suivantes :

  1. la promotion des membres des minorités visibles aux postes de gestion supérieure;
  2. l'embauchage initial et la promotion des membres des minorités visibles dans la catégorie ASE.

Relativement à la première de ces pratiques, Mme Weiner a extrait de la documentation les obstacles suivants qu'elle considérait comme pertinents dans le cas de SC et a cherché à déterminer si ces obstacles existaient à SC :

  1. la ghettoïsation ou la concentration des membres des minorités visibles dans des postes à caractère technique et professionnel qui ne conduisent pas à des postes de gestion;
  2. des décisions de dotation qui se fondent en dernière analyse sur un processus officieux;
  3. moins d'encouragement pour les membres des minorités visibles; et
  4. la perception des membres des minorités visibles comme différents et inaptes à occuper des postes de direction.

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a) Ghettoïsation

La ghettoïsation est le regroupement ou la concentration des membres des minorités visibles dans des postes d'exécution ou des postes à caractère fortement technique ou professionnel à partir desquels ils n'obtiennent pas d'avancement pour passer à des postes de gestion; autrement dit, il s'agit d'une frontière à la visibilité.

Mme Weiner considérait que la sous-utilisation des minorités visibles dans les postes de gestion supérieure pouvait avoir comme explications possibles le manque d'intérêt des membres des minorités visibles envers la gestion ou leur absence de compétences en gestion. Elle a conclu que rien n'indiquait que les membres des minorités visibles, collectivement, étaient moins intéressés que les autres employés à accéder aux postes de direction. A tout le moins, les témoignages de Mme Williams, de M. Dhillon, de M. Chopra et de M. Das Gupta n'indiquaient certainement pas un tel manque d'intérêt. En ce qui a trait aux compétences, Mme Weiner a affirmé que rien n'indique que les membres des minorités visibles dans la catégorie SP possèdent moins de compétences professionnelles ou techniques que les autres employés.

Mme Weiner a cependant noté que le manque d'expérience en gestion semblait empêcher les membres des minorités visibles d'accéder aux postes de direction. C'est la raison qui a été donnée pour le fait que M. Chopra, M. Dhillon et Mme Williams n'ont pas été promus à des postes de direction.

Pour Mme Weiner, l'exigence relative à l'expérience en gestion est légitime et n'est pas nécessairement discriminatoire. Cependant, pour que cette exigence soit appliquée de façon non discriminatoire, il faut que tous les employés aient la possibilité d'obtenir la formation et l'expérience nécessaires et que tous les employés soient évalués de façon uniforme en regard de cette qualité requise.

Mme Weiner s'est reportée aux données d'enquête de M. Reitz selon lesquelles les groupes minoritaires étaient désavantagés sur le plan de l'accès à la formation en gestion, de l'obtention de responsabilités de supervision et de la nomination à des postes intérimaires, éléments qui sont tous trois d'importantes méthodes d'acquisition de l'expérience nécessaire. Le témoignage de Mme Furrie a également confirmé que les membres des minorités visibles étaient désavantagés sur le plan de l'obtention de nominations intérimaires. Ces données montraient également que les membres des groupes minoritaires étaient désavantagés quant à la façon dont les employés sont évalués en vue des nominations intérimaires.

Mme Weiner a également examiné les tendances relatives au passage des membres des minorités visibles de la catégorie SP aux postes EX. Ces tendances (décrites dans le témoignage de Mme Bosch) indiquaient que la majorité des nouveaux titulaires de poste EX provenaient de professions au sein du groupe de relève où il y avait peu ou pas de membres des minorités visibles.

Mme Weiner a également noté, relativement à M. Chopra et à Mme Williams, que les compétences en gestion n'étaient pas évaluées de façon uniforme; on semblait ne pas avoir tenu compte de l'expérience en gestion et en supervision de ces deux personnes, bien que celles-ci, il est

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vrai, aient acquis cette expérience avant d'entrer au service de SC.

Mme Weiner a conclu que la sous-représentation des minorités visibles ne pouvait pas être expliquée par un manque d'intérêt ou un manque de compétence de la part des membres de ces minorités. La sous-utilisation et les tendances relatives à l'avancement sont compatibles avec une conclusion selon laquelle l'obstacle de la ghettoïsation existe à SC.

b) Moins d'encouragement pour les membres des minorités visibles

Mme Weiner a fait référence aux réponses à l'enquête selon lesquelles en milieu de travail, les membres des minorités visibles reçoivent moins d'encouragement que les Blancs. Mme Weiner a expliqué l'importance de ce facteur, du fait que les employés ont tendance à demander des promotions parce qu'ils se sentent compétents et sont désireux de gravir les échelons. Cependant, on éprouve toujours une certaine incertitude envers sa capacité de réussir à l'échelon suivant; de l'avis de Mme Weiner, les employés sont à l'affût d'indications de la part de leur supérieur ou de leur organisation qui les portent à penser que, s'ils posent leur candidature à un poste supérieur, cette candidature sera envisagée de façon équitable. Ces indications peuvent être l'encouragement à participer à des programmes de formation en gestion, ou encore la participation à des comités ou à des groupes de travail ou à d'autres activités qui permettent d'acquérir de l'expérience et d'entrer en contact avec d'autres employés de l'organisation.

Selon les données de l'enquête, les Blancs sont plus susceptibles d'être mis au courant des possibilités de formation que les membres des minorités visibles; on demande plus souvent aux Blancs de poser leur candidature à un poste intérimaire, tandis que les membres des minorités visibles ont dû faire preuve de davantage de dynamisme et d'autonomie dans leur recherche de possibilités de formation en gestion et de nomination à des postes intérimaires; enfin, les Blancs sont beaucoup plus susceptibles de se voir demander de siéger à un jury de sélection. Ce facteur a de l'importance puisqu'on demande aux Blancs de prendre part au choix des employés qui obtiendront de l'avancement et les membres des minorités raciales ne sont pas inclus dans ce processus décisionnel.

Il s'ensuit que les Blancs acquièrent une plus grande part de l'expérience et de la formation nécessaires pour accéder aux postes EX.

c) Décisions de dotation fondées sur un processus officieux

Les décisions de dotation fondées sur un processus officieux peuvent représenter un obstacle à la promotion car, selon Mme Weiner, moins le processus est officiel, moins il est probable que les qualités requises pour occuper le poste seront fixées à l'avance et évaluées d'une façon uniforme pour tous les candidats, et que le processus permettra de reconnaître ces qualités chez des candidats différents de ceux qui exercent généralement des fonctions du même genre.

Lorsqu'elle a examiné cet obstacle possible, Mme Weiner s'est concentrée sur les nominations intérimaires. Les données indiquaient que les nominations intérimaires étaient devenues un volet important des mesures de dotation à SC ces dernières années et que bon nombre des postes

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intérimaires étaient comblés sans concours. A son avis, plus il y a de postes intérimaires, plus il est probable que le processus de sélection sera officieux. Plus le processus est officieux, plus il peut être influencé par les préjugés involontaires.

Les nominations intérimaires de Mme Bell et de Mme Franklin fournissent des exemples de la façon dont les préjugés ou le traitement inéquitable apparent peuvent entrer en jeu dans le processus de sélection. Mme Bell a été nommée sans concours et, lorsqu'on a conclu en appel que sa nomination s'était effectuée d'une façon trop officieuse, le gestionnaire qui l'avait nommée à l'origine l'a nommée une deuxième fois en se fondant sur une évaluation sur papier de tous les candidats. Dans cette situation, il est très probable que la deuxième décision a été influencée par le fait que la même personne avait auparavant pris la première décision.

La nomination de Mme Bell et celle de Mme Franklin (laquelle s'est également faite sans concours) ont aussi été altérées par le fait que les qualités requises pour le poste avaient été adaptées de manière à concorder avec celles du candidat présélectionné ou avaient été modifiées après le début de la mesure de dotation.

Dans le cas de Mme Franklin, elle a conservé le poste même après que l'on eut conclu qu'elle n'avait pas les compétences requises pour l'occuper.

Ce caractère officieux peut engendrer des obstacles en ce sens que ce ne sont pas tous les employés éventuellement qualifiés qui peuvent poser leur candidature à un poste intérimaire. De plus, l'affectation intérimaire procure une précieuse expérience en gestion et confère au titulaire intérimaire l'apparence d'une personne qui convient pour le poste.

Les résultats de l'enquête de M. Reitz ont montré que les membres des minorités visibles obtenaient proportionnellement moins de nominations intérimaires que les Blancs, ce qui peut fort bien avoir pour effet qu'ils sont moins susceptibles de poser leur candidature parce qu'ils ne croient pas avoir de chances d'être nommés.

d) Perception des membres des minorités visibles comme inaptes à occuper des postes de direction

Pour Mme Weiner, les preuves de l'existence de cet obstacle à Santé Canada dans la note de service adressée le 1er septembre 1992 par Shirley Cuddihy, alors chef des Relations de travail, Opérations, à Rod Ballantyne, directeur de la Direction générale de l'administration du personnel.

Cette note de service faisait suite à l'ordre donné par le Sous- ministre à l'issue de l'audition du grief de M. Chopra. Le Sous-ministre voulait obtenir de l'information sur les obstacles à l'avancement de M. Chopra à un poste de direction. On a demandé à Mme Cuddihy de rencontrer des cadres supérieurs qui connaissaient M. Chopra; elle a rencontré M. Liston, sous-ministre adjoint chargé de la Direction générale de la protection de la santé, et M. Somers, directeur général de la Direction des médicaments.

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Mme Cuddihy a rédigé la note de service à partir des notes manuscrites qu'elle avait prises lors de son entretien avec ces deux personnes. Ses notes étaient écrites en style télégraphique et elle a rédigé la note de service à partir de celles-ci immédiatement après la réunion.

Mme Cuddihy a affirmé de façon très formelle lors de son témoignage que la note de service constituait une représentation fidèle des idées et des pensées que M. Liston et M. Somers avaient exprimées devant elle au cours de la rencontre. Le Tribunal accepte son témoignage selon lequel la note de service est une représentation exacte de leur position.

La quasi-totalité de la note de service porte sur les commentaires de M. Liston. Ce sont ses commentaires généraux qui ont de l'importance en l'espèce. Voici ses commentaires :

[TRADUCTION]

Généralités :

Les employés que l'on envisage uniquement pour les postes de nature technique semblent mieux s'en tirer que lorsqu'on les envisage pour des postes de gestion. Les différences culturelles sont réduites au minimum lorsqu'il est uniquement question de la démarche scientifique. Toutefois, lorsqu'on se met à examiner les compétences non techniques comme l'aptitude à communiquer, à influencer, à négocier [...] très souvent, leur patrimoine culturel n'a pas mis l'accent sur ces questions et ces gens sont désavantagés. (Pièce HR-4)

De l'avis de Mme Weiner, la référence aux postes de nature technique plutôt que de gestion et le fait que les différences culturelles sont réduites au minimum dans le cadre de la démarche scientifique indiquent une attitude selon laquelle les personnes du même groupe racial que M. Chopra exercent bien les fonctions des postes à caractère technique, mais n'exercent pas bien les fonctions des postes de gestion. Les différences raciales sont hors de propos dans le cas de la dotation des postes scientifiques, mais ne le sont pas pour les postes de gestion.

La note de service indique par la suite :

[TRADUCTION]

La capacité d'interagir avec divers intervenants comme les représentants de l'industrie, de même que sur le plan interne avec les collègues, les subordonnés et les supérieurs, est importante. En outre, nous faisons des affaires à la façon nord-américaine : nous appliquons le modèle consensuel, qui est très étranger à certaines cultures. (Pièce HR-4)

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Mme Weiner a fait remarquer que cela crée un stéréotype, à savoir, qu'il existe un seul style de gestion efficace, qu'un seul ensemble de personnes peut gérer de cette façon et que cet ensemble ne comprend pas des gens comme M. Chopra. Cette attitude vis-à-vis des différences culturelles et des compétences se trouvait également reflétée dans les commentaires de M. Somers, lequel a affirmé à M. Das Gupta qu'à son avis, [TRADUCTION] les vrais types doués sont ceux qui viennent du Royaume-Uni.

Mme Weiner a également mis en relief l'observation suivante de M. Liston :

[TRADUCTION]

Il y a cependant un léger paradoxe dans le fait de mettre l'accent sur ce que nous considérons qu'il faut changer, parce que nous courons le risque d'avoir à nous défendre contre des accusations d'assimilation. Il affirme que nous devons offrir une formation aux membres des groupes minoritaires - nous devons leur présenter un miroir, et leur dire : A cause de votre origine culturelle, vous devez mieux communiquer pour en venir à adopter un style moins autoritaire. (Pièce HR-4)

Mme Weiner a interprété ce passage comme signifiant que l'on suppose qu'il existe une seule façon d'accomplir avec succès les fonctions d'un emploi. Cela crée selon elle un type de dichotomie nous/vous : considérer les membres des minorités visibles comme différents et juger en conséquence nécessaire de modifier leurs façons d'agir afin qu'ils puissent devenir aptes à diriger.

Mme Weiner a convenu que les idées et les attitudes exprimées n'étaient peut-être pas représentatives de la direction à SC. Mais elle a signalé que M. Liston était Sous-ministre adjoint et que plus les cadres occupent un poste élevé, plus ils contribuent à donner le ton dans l'ensemble du ministère.

D'autres commentaires comme ceux faits à M. Das Gupta par M. Somers, selon lesquels les Indiens sont corrompus et l'affirmation selon laquelle M. Das Gupta ne devrait pas siéger à un jury de sélection parce qu'à titre de membre d'une minorité visible, il aurait un préjugé favorable envers un candidat appartenant à une minorité visible, ou comme les commentaires de M. Lodge à M. Awang, qui appelait celui-ci [TRADUCTION] Noiraud et lui disait [TRADUCTION] Bonjour, noirceur mon vieil ami, sont compatibles, de l'avis de Mme Weiner, avec une attitude organisationnelle fondée sur la dichotomie nous/eux (frôlant même la discrimination individuelle).

e) Sous-représentation dans la catégorie ASE

Enfin, Mme Weiner a abordé la question de la sous-représentation des minorités visibles dans la catégorie ASE. Le témoignage de Mme Bosch et celui de Mme Furrie indiquaient tous deux qu'il y a sous-représentation. Cela ne démontre pas en soi, bien entendu, l'existence d'une discrimination dans les pratiques de recrutement pour la catégorie ASE. Au cours de l'audience, l'avocat de l'intimée s'est opposé à ce que le Tribunal tire

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toute conclusion de discrimination dans les pratiques de recrutement de SC pour la catégorie ASE, faisant valoir que cette question n'avait pas été énoncée comme un point litigieux. L'avocat a cependant convenu que, si le Tribunal concluait que la sous-représentation des minorités visibles dans la catégorie ASE était l'une des raisons de la sous-représentation des minorités visibles dans les postes de direction, le Tribunal pourrait alors rendre une ordonnance en vue de remédier à cette sous-représentation sans déterminer si SC avait ou non exercé une discrimination dans ses pratiques de recrutement.

IV CONSTATATIONS

Le Tribunal fait les constatations suivantes à partir des éléments de preuve qui ont été portés à sa connaissance :

  1. Il y a une importante sous-représentation des minorités visibles dans la gestion supérieure à SC.
  2. Il y a une importante sous-représentation des minorités visibles dans la catégorie ASE à SC. Cette sous-représentation est un facteur contributif du très faible nombre de membres des minorités visibles dans la gestion supérieure.
  3. Il y a une forte concentration des membres des minorités visibles dans le groupe de relève de la catégorie SP; les membres des minorités visibles font face à un goulot d'étranglement dans le groupe de relève et n'accèdent pas à la gestion supérieure.
  4. La majorité des membres du groupe des EX en provenance de la catégorie SP ont été recrutés dans des groupes professionnels où la représentation des minorités visibles était relativement forte, mais aucun membre d'une minorité visible n'a été recruté à partir de ces groupes; ou encore, ils ont été recrutés dans des groupes professionnels ne comptant pas de membres d'une minorité visible; en outre, le recrutement des membres du groupe des EX à partir des groupes professionnels de relève comptant une très forte représentation des minorités visibles a été très faible.
  5. Le fait que les membres des minorités visibles n'accèdent pas aux postes de direction ne peut pas s'expliquer par un manque d'intérêt ni un manque de compétence technique ou professionnelle de leur part.
  6. Le fait que les membres des minorités visibles à SC n'ont pas l'expérience en gestion nécessaire pour pouvoir être promus à des postes de gestion supérieure a été un thème courant dans les témoignages.
  7. L'expérience nécessaire en gestion peut être obtenue par la nomination à des postes intérimaires, par l'exercice de responsabilités de supervision et par des programmes de formation en gestion.
  8. Les nominations intérimaires ont représenté une très forte proportion de l'ensemble des mesures de dotation à SC entre 1991
  9. /32

    et 1995.

  10. Les nominations intérimaires ont souvent été effectuées sans concours et selon un processus officieux. En conséquence, on n'envisage pas la nomination de personnes potentiellement qualifiées ou, lorsqu'une nomination intérimaire est contestée, le processus de sélection ultérieur est influencé par un préjugé involontaire de telle sorte que la personne nommée à l'origine est habituellement maintenue en fonction.
  11. Les membres des minorités visibles se sont proportionnellement vu accorder un nombre moindre de postes intérimaires que les autres employés.
  12. Les membres des minorités visibles étaient désavantagés quant à la façon dont ils prenaient connaissance des postes intérimaires à pourvoir. Les employés n'appartenant pas à une minorité visible se voyaient plus souvent demander par leur gestionnaire de poser leur candidature, tandis que les membres des minorités visibles devaient être plus dynamiques afin de découvrir les possibilités de nomination intérimaire.
  13. Les membres des minorités visibles ont reçu une formation moindre liée à la gestion que les employés n'appartenant pas à une minorité visible.
  14. Les employés n'appartenant pas à une minorité visible étaient plus souvent avisés des possibilités de formation en gestion par leur gestionnaire tandis que les membres des minorités visibles avaient à compter beaucoup plus sur eux-mêmes pour prendre connaissance de ces possibilités.
  15. Les membres des minorités visibles sont désavantagés dans le domaine de la supervision d'autres employés. La formation en gestion et le fait d'avoir auparavant occupé un poste par intérim accroissaient la probabilité de l'exercice de responsabilités de supervision tant pour les employés n'appartenant pas à une minorité visible que pour les membres des minorités visibles. Cependant, dans le cas des employés n'appartenant pas à une minorité visible et ayant reçu une formation en gestion, ou ayant occupé des postes par intérim, il y avait augmentation notable de la probabilité de l'exercice de fonctions de supervision comparativement aux membres des minorités visibles.
  16. La haute direction considère les membres des minorités visibles comme culturellement différents au sein de SC et comme ne convenant pas pour les postes de direction.
  17. Il y a une différence notable entre les membres des minorités visibles et les autres employés sur le plan de la participation aux décisions d'embauchage et de promotion. Les employés n'appartenant pas à une minorité visible étaient près de deux fois plus susceptibles de siéger à des jurys de sélection que les membres des minorités visibles. La différence est encore plus grande dans le cas des membres des minorités visibles qui ont le
  18. /33

    plus d'ancienneté et le plus de compétences. Cela porte à penser que la direction, qui a la responsabilité de nommer les membres des jurys de sélection, choisit ces membres pour des raisons qui ont peu de choses à voir avec le degré de scolarité, l'expérience ou les responsabilités.

V CONCLUSION

Dès le début, les plaignants ont adopté comme position qu'il s'agissait en l'espèce d'une plainte de discrimination systémique. Dans l'arrêt Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et al., [1987] 1 R.C.S. 1114, la Cour suprême du Canada, se penchant sur le sens des mots discrimination systémique, a fait référence au rapport Abella sur l'égalité en matière d'emploi, lequel ne contenait pas de définition de la discrimination systémique, mais en énonçait ainsi les éléments essentiels :

[...] la discrimination s'entend des pratiques ou des attitudes qui, de par leur conception ou par voie de conséquence, gênent l'accès des particuliers ou des groupes à des possibilités d'emplois, en raison de caractéristiques qui leur sont prêtées à tort [...]

La question n'est pas de savoir si la discrimination est intentionnelle ou si elle est simplement involontaire, c'est-à-dire découlant du système lui- même. Si des pratiques occasionnent des répercussions néfastes pour certains groupes, c'est une indication qu'elles sont peut-être discriminatoires. (pp. 1138 et 1139) Voilà pourquoi il est important d'analyser les conséquences des pratiques et des systèmes d'emploi. (Aux pages 1138 et 1139)

La Cour ajoutait :

En d'autres termes, la discrimination systémique en matière d'emploi, c'est la discrimination qui résulte simplement de l'application des méthodes établies de recrutement, d'embauche et de promotion, dont ni l'une ni l'autre n'a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination est alors renforcée par l'exclusion même du groupe désavantagé, du fait que l'exclusion favorise la conviction, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe, qu'elle résulte de forces naturelles [...] (p. 1139)

L'élément essentiel de la discrimination systémique, donc, est que celle-ci est issue des conséquences involontaires de systèmes et de pratiques d'emploi établis. Elle a pour effet de gêner l'accès à des possibilités d'emploi et à des avantages pour les membres de certains groupes. Puisque la discrimination n'est pas motivée par un acte

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conscient, elle est plus difficile à déceler et l'on doit se pencher sur les conséquences ou les résultats du système d'emploi en cause.

Il ressort clairement de la preuve en l'espèce que les membres des groupes minoritaires visibles à SC subissent des répercussions néfastes disproportionnées. Il y a une importante sous-représentation des minorités visibles à SC au sein de la gestion supérieure et dans la catégorie ASE. Les membres des minorités visibles font l'objet d'un goulot d'étranglement ou sont concentrés dans le groupe de relève de la catégorie SP et ne gravissent pas les échelons jusqu'à la gestion supérieure.

Pour paraphraser le juge Abella, c'est une indication que certaines pratiques d'emploi ayant ces répercussions néfastes sont peut-être discriminatoires.

Dans l'arrêt Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 9 C.H.R.R. D/5029 (décision du TDP), le tribunal a souligné, et nous considérons comme un principe de droit bien établi, qu'il appartient d'abord aux plaignants de présenter une preuve prima facie de discrimination et que, lorsque cette preuve est faite, il incombe ensuite à l'intimé de donner une explication raisonnable du comportement qui serait par ailleurs discriminatoire. De plus, il y a quasi-unanimité dans la jurisprudence quant au fait que la norme habituelle de preuve dans ce genre d'affaire est la norme de la prépondérance des probabilités qui s'applique dans les affaires civiles.

L'intimée, adoptant une stratégie plutôt audacieuse, a choisi de ne citer aucun témoin pour expliquer les raisons de l'importante sous- représentation des minorités visibles dans la gestion supérieure ou les raisons de la forte concentration de membres des minorités visibles dans le groupe de relève. Au lieu de cela, l'intimée a eu tendance à essentiellement se fonder sur le contre-interrogatoire des témoins des plaignants et a laissé les plaignants s'acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombait.

Le Tribunal a conclu que les plaignants avaient présenté une preuve prima facie de discrimination que l'intimée n'avait pas réfutée. Il y a diverses pratiques de dotation à SC qui ont des répercussions néfastes disproportionnées sur les minorités visibles à ce ministère et que le Tribunal juge discriminatoires.

Ces pratiques ont été énumérées dans les constatations du Tribunal, plus précisément aux constatations nos 4, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16. En conséquence, le Tribunal juge que SC a fixé ou appliqué des pratiques de dotation qui sont discriminatoires en violation de l'article 10 de la LCDP.

VI COMPÉTENCE EN MATIERE DE RÉPARATION

L'intimée a contesté la compétence du Tribunal pour rendre une ordonnance de la nature d'une réparation concernant l'équité en matière d'emploi, ce que nous entendons faire. L'intimée a fait valoir que la compétence du Tribunal se limitait à ordonner à SC de mettre fin aux pratiques discriminatoires. Elle allègue à cette fin que le pouvoir d'imposer un programme d'équité en matière d'emploi est dévolu à la CFP et au Conseil du Trésor en vertu des dispositions de la LGFP et de la LEFP.

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Comme nous l'avons indiqué plus haut dans nos motifs, nous ne sommes pas d'accord avec cet argument. L'alinéa 53(2)a) de la LCDP confère au Tribunal le pouvoir de rendre une ordonnance d'interdiction. De plus, si le Tribunal juge qu'il est opportun de le faire pour prévenir des actes semblables, il peut ordonner certaines mesures, y compris l'adoption d'un programme, d'un plan ou d'un arrangement visé au paragraphe 16(1) de la LCDP.

La Cour suprême du Canada s'est penchée sur la portée de cette compétence dans l'affaire Action Travail des Femmes. Adoptant l'opinion dissidente du juge MacGuigan en Cour d'appel fédérale, la Cour a affirmé :

[...] l'al. 41(2)a) [à présent, l'al. 53(2)a)] a été conçu pour permettre aux tribunaux des droits de la personne d'empêcher que des groupes protégés identifiables ne soient à l'avenir victimes de discrimination, mais il a jugé que le terme prévention est fort général et qu'il est souvent nécessaire de se référer à des régimes historiques de discrimination pour concevoir les stratégies appropriées à l'avenir. (à la page 1141)

La Cour suprême a également affirmé, relativement à l'ordonnance rendue par le tribunal dans cette affaire :

Lorsqu'on a affaire à un tel cas de discrimination systémique [comme c'était le cas pour le Canadien National], il se peut qu'une ordonnance comme celle rendue par le tribunal soit le seul moyen de réaliser l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans tout programme d'équité en matière d'emploi, on ne peut tout simplement pas dissocier radicalement la réparation et la prévention. En fait, il ne peut y avoir de prévention sans une forme quelconque de réparation. (aux pages 1141 et 1142)

La Cour soulignait :

Contrairement aux formes de réparation prévues aux al. b) à d) du par. 41(2) [à présent, l'article 53], la réparation de l'al. 41(2)a) vise un groupe et est donc non seulement compensatoire, mais est elle-même prospective. L'avantage est toujours conçu pour améliorer la situation du groupe à l'avenir, de sorte que le programme d'équité en matière d'emploi qui réussit se rend lui-même inutile. (à la page 1142)

Et, aux pages 1143 et 1144 :

Un programme d'équité en matière d'emploi comporte donc trois aspects. En premier lieu, en contrecarrant les

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effets cumulatifs de la discrimination systémique, un tel programme rend vaine toute discrimination supplémentaire. [...] En second lieu, en plaçant des membres du groupe antérieurement exclu dans le milieu de travail et en leur permettant de prouver leurs capacités, le régime d'équité en matière d'emploi s'attaque au problème des attitudes stéréotypées. [...]

En troisième lieu, un programme d'équité en matière d'emploi facilite la création de ce qu'on a appelé une masse critique du groupe antérieurement exclu de ce milieu de travail. Cette masse critique a des effets importants. La présence d'un nombre important de membres du groupe visé élimine les problèmes de symbolisme [...]

De l'avis du Tribunal, une mesure d'équité en matière d'emploi est nécessaire en l'espèce pour prévenir la discrimination systémique dans l'avenir et pour supprimer les anciens obstacles engendrés par les pratiques discriminatoires constatées.

L'intimée a soutenu qu'il n'y avait aucun conflit entre la LCDP, d'une part, et la LGFP et la LEFP, d'autre part. Les deux régimes se complètent plutôt l'un l'autre et, en conséquence, le principe de la suprématie ne s'applique pas. A cet égard, l'argumentation de l'intimée est analogue à celle qu'avait faite l'intimé dans l'affaire Procureur général du Canada c. Uzoaba, [1995] 2 C.F. 569.

Dans l'arrêt Uzoaba, le tribunal a enjoint au Service correctionnel du Canada, dans le cadre de son ordonnance, de réintégrer M. Uzoaba dans un poste qui correspondait à une promotion par rapport à son emploi antérieur. L'avocat du Procureur général a soutenu que cela irait à l'encontre des dispositions relatives au mérite de la LEFP et des mécanismes prévus par la LEFP pour les promotions, et qu'un tribunal des droits de la personne ne pouvait pas déroger à cette loi. L'avocat a également fait valoir que, dans le cas d'un conflit direct, la LCDP s'appliquerait, mais que le conflit dans l'affaire en question n'était pas direct. En réponse à cette argumentation, la Cour a affirmé :

A première vue, l'ordonnance du Tribunal semble respecter tout à fait la compétence accordée à un tribunal par l'alinéa 53(2)b) de la Loi.

Le droit est clair [...] Je ne vois pas comment cet argument peut être utile à l'avocat. En fait, l'avocat de M. Uzoaba prétend qu'il n'y a aucun conflit réel entre la Loi et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Il affirme que les dispositions de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique relatives à la promotion suivant le principe du mérite s'appliquent dans l'administration quotidienne et normale de la fonction publique et que la Loi n'est pas censée

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supplanter la Loi sur l'emploi dans la fonction publique à cet égard. D'un point de vue pratique, je suis d'accord avec cet argument. Cependant, même si le pouvoir d'un tribunal des droits de la personne d'ordonner qu'une promotion soit accordée à un fonctionnaire entre en conflit avec la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, je suis convaincu que les dispositions de la Loi doivent avoir préséance. (aux pages 576 et 577)

L'opinion unanime selon laquelle la LCDP a la suprématie a tout d'abord été énoncée dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, à la page 158, et précisée davantage par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150, à la page 156, où la Cour affirme :

Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions. (à la page 577)

Suivant ce principe, la Cour a affirmé dans l'arrêt Uzoaba : Je pense que le principe de la préséance doit s'appliquer en l'espèce pour permettre à un tribunal des droits de la personne d'ordonner l'octroi d'une promotion qui, selon lui, a été refusée pour des motifs discriminatoires, en violation de la Loi. En d'autres termes, la compétence de la Commission de la fonction publique et la procédure qui doit normalement être suivie pour l'octroi des promotions au sein de la fonction publique n'ont pas préséance dans ces rares cas où des promotions ont été refusées pour des motifs discriminatoires et où un tribunal, exerçant la compétence qui lui est conférée par la Loi, ordonne qu'une promotion soit accordée à une personne afin de corriger les effets de l'acte discriminatoire de l'employeur. (à la page 577)

Même s'il n'y a peut-être pas de conflit direct ou réel entre la LCDP, d'une part et la LGFP et la LEFP, d'autre part, l'argumentation de l'intimée aurait pour effet d'empêcher le Tribunal d'exercer l'ensemble de la compétence qui lui est conférée par la LCDP si le Tribunal concluait que SC s'est livré à des pratiques d'emploi discriminatoires.

Adhérer à l'argumentation de l'intimée consisterait donc à nier la suprématie de la LCDP sur la LGFP et la LEFP. Le droit établit sans

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équivoque que seule une déclaration législative claire peut permettre de modifier la compétence conférée au Tribunal en vertu de l'article 52 ou y créer des exceptions. Ni la LGFP ni la LEFP ne comportent une déclaration législative de cet ordre qui modifie de quelque façon que ce soit la compétence conférée au Tribunal par l'article 52 de la LCDP. En conséquence, nous rejetons la requête de l'intimée contestant la compétence du Tribunal pour rendre une ordonnance de la nature d'une réparation concernant l'équité en matière d'emploi.

VII ORDONNANCE

L'intimée a déposé comme pièce un document intitulé [TRADUCTION] Mesures détaillées : équité en matière d'emploi pour les minorités visibles à Santé Canada. Dans l'introduction de ce document, il est indiqué que SC a à coeur de faire en sorte qu'aucune personne ne se voie refuser des possibilités d'emploi ou des avantages pour des raisons qui ne sont pas liées aux compétences et que SC a à coeur d'assurer une représentation et une participation équitables des membres des minorités visibles à tous les échelons de l'organisation, en fonction de leur disponibilité. SC s'est également engagé à appliquer une série de mesures visant les minorités visibles et destinées à améliorer leur représentation, leur accès à la formation, au perfectionnement et aux promotions ainsi que leur avancement professionnel général.

Ce document énonce des mesures détaillées portant sur les objectifs numériques, les nominations, les stratégies de recrutement, les nominations intérimaires, la formation et le perfectionnement en supervision/gestion, les services d'orientation professionnelle et une méthode de surveillance de la mise en oeuvre.

Dans une lettre datée du 15 novembre 1995, le président de la CCDP, le Secrétaire intérimaire du Conseil du Trésor, le président de la Commission de la fonction publique et le sous-ministre de HC se sont engagés au nom de leur organisme respectif à mettre en oeuvre ces mesures.

La CCDP a également soumis au Tribunal un aperçu de la réparation que la CCDP et les plaignants demandaient. Cet aperçu a été étoffé lors du témoignage de Mme Weiner.

Il y a beaucoup de points d'entente entre les mesures détaillées et l'aperçu de la réparation. Mais il y a deux importants points de divergence, soit : d'une part, les objectifs numériques et le nombre d'années qu'il faudra pour que les membres des minorités visibles parviennent à une représentation proportionnelle dans le groupe des EX et, d'autre part, la mise en oeuvre et la surveillance des mesures de redressement.

Même s'il y a un considérable chevauchement entre les mesures détaillées et l'aperçu de la réparation, les parties n'ont pas pu s'entendre en fin de compte sur les mesures à prendre pour parvenir à une représentation équitable des minorités visibles à SC.

Le Tribunal, ayant conclu que SC s'était livré à certaines pratiques de dotation enfreignant l'article 10 de la LCDP, ordonne à SC d'adopter et de mettre en oeuvre le programme suivant de mesures correctives spéciales.

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PROGRAMME DE MESURES CORRECTIVES SPÉCIALES

Les objectifs du programme de mesures correctives spéciales sont les suivants :

  1. supprimer les obstacles discriminatoires à l'emploi des membres des minorités visibles à SC;
  2. supprimer les obstacles discriminatoires à l'entière participation des membres des minorités visibles dans les catégories EX/Gestion supérieure et ASE;
  3. assurer l'utilisation maximale des connaissances, des compétences et du savoir-faire des membres des minorités visibles;
  4. corriger les effets de la discrimination antérieure et faire en sorte que la structure organisa-tionnelle de SC reflète plus fidèlement la diversité de son effectif et de sa démographie.

MESURES CORRECTIVES PERMANENTES

  1. SC établira immédiatement des normes pour veiller à ce que l'on évalue les employés appartenant à une minorité visible en fonction non seulement de leur expérience, mais aussi de leurs compétences souhaitables lorsqu'on détermine leurs qualités personnelles en regard de postes à pourvoir.
  2. SC dispensera à toutes les personnes sélectionnées ou susceptibles d'être sélectionnées pour siéger à des jurys de sélection une formation sur les techniques d'entrevue requises pour faciliter une sélection dépourvue de préjugés. De plus, SC dressera une liste des employés formés appartenant au groupe des minorités visibles qui pourront être disponibles pour participer aux jurys de sélection. Dans la mesure du possible, SC devrait faire appel à des jurys de sélection dont la composition sera hétérogène.
  3. SC dispensera à tous les gestionnaires et spécialistes des ressources humaines une formation sur les stratégies de recrutement, de promotion et de maintien en fonction des membres des minorités visibles en établissant des lignes directrices et en assurant une formation sur les pratiques de sélection et de recrutement dépourvues de préjugés. Cette mesure comprendra également la sensibilisation de ces gestionnaires et spécialistes aux enjeux de la diversité et de l'équité en matière d'emploi et, notamment, aux obstacles systémiques.
  4. SC tiendra dans l'ensemble du Ministère des ateliers sur les avantages d'un effectif hétérogène et de la législation sur les droits de la personne, ateliers auxquels la participation des gestionnaires sera obligatoire.
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  6. SC établira des qualités requises clairement définies pour tous les postes EX/Gestion supérieure de même que pour tous les postes de la catégorie ASE et veillera à ce que ces critères soient connus de tous les employés intéressés à accéder à des postes de gestion supérieure et à des postes de la catégorie ASE, de même que de toutes les personnes prenant part au processus de dotation.
  7. SC élaborera à l'avance des parties du processus de sélection afin d'évaluer les compétences requises pour les postes EX/Gestion supérieure et les postes de la catégorie ASE, sur lesquels on se fondera lors de la dotation des postes intérimaires.
  8. SC tiendra un répertoire informatisé (Système d'information sur les ressources humaines) des employés appartenant à une minorité visible et des employés blancs occupant des postes du groupe de relève qui sont intéressés à accéder aux catégories EX/Gestion supérieure de sorte que cette information soit à la disposition des gestionnaires chargés de la dotation lorsqu'on aura à combler des postes intérimaires et des postes de durée indéterminée.

MESURES CORRECTIVES TEMPORAIRES

  1. Dans un délai de six mois à compter de la date de la présente ordonnance, SC commencera à nommer des membres des minorités visibles à des postes permanents de la catégorie EX/Gestion supérieure, au rythme de 18 % par année (soit le double du taux de disponibilité) pendant cinq ans, afin d'atteindre sur cette période une représentation proportionnelle à 80 % de ce groupe désigné dans cette catégorie.
  2. Dans un délai de six mois à compter de la date de la présente ordonnance, SC commencera à nommer des membres des minorités visibles aux postes permanents du niveau du groupe de relève dans la catégorie ASE, au rythme de 16 % par année (soit le double du taux de disponibilité) pendant cinq ans, afin d'atteindre une représentation proportionnelle à 80 % des membres de ce groupe désigné dans cette catégorie.
  3. Dans un délai de six mois à compter de la date de la présente ordonnance, SC commencera à nommer des membres des minorités visibles provenant de la catégorie SP à des postes intérimaires d'une durée de quatre mois ou plus dans la catégorie EX/Gestion supérieure, au rythme de 18 % par année (soit le double du taux de disponibilité) pendant quatre ans, afin de permettre aux membres des minorités visibles d'acquérir les compétences professionnelles requises pour être retenus à la présélection dans le cadre des concours de dotation des postes permanents lorsque ceux-ci seront lancés.
  4. Dans un délai de six mois à compter de la date de la présente ordonnance, SC commencera à nommer des membres des minorités visibles provenant de la catégorie ASE à des postes intérimaires d'une durée de quatre mois ou plus dans la catégorie EX/Gestion
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    supérieure, au rythme de 16 % par année (soit le double du taux de disponibilité) pendant quatre ans, afin de permettre aux membres des minorités visibles d'acquérir les compétences professionnelles requises pour être retenus à la présélection dans le cadre des concours de dotation des postes permanents lorsque ceux-ci seront lancés.

  6. Dans un délai de six mois à compter de la date de la présente ordonnance, SC commencera à nommer des membres des minorités visibles provenant de la catégorie SP, au rythme de 18 % par année (soit le double du taux de disponibilité) pendant quatre ans, à des postes intérimaires d'une durée de quatre mois ou plus aux niveaux EX moins trois et EX moins quatre, comportant des responsabilités de supervision/gestion, dans la catégorie SP.
  7. Dans un délai de six mois à compter de la date de la présente ordonnance, SC commencera à nommer des membres des minorités visibles dans la catégorie ASE, au rythme de 16 % par année (soit le double du taux de disponibilité) pendant cinq ans, à des postes intérimaires d'une durée de quatre mois ou plus aux niveaux EX moins trois et EX moins quatre, comportant des responsabilités de supervision/gestion.
  8. Pour faire en sorte que l'objectif des mesures correctives spéciales soit atteint dans les délais précisés, les gestionnaires chargés de l'embauchage du personnel de la catégorie EX/Gestion supérieure seront soumis à une mesure spéciale de reddition de comptes. Avant qu'une décision finale ne soit prise dans le cadre de tout concours où la candidature de membres des minorités visibles a été envisagée, mais où un membre d'une minorité visible n'a pas été sélectionné, le ou les gestionnaires chargés de l'embauchage ou le jury de sélection expliqueront au Sous-ministre ou au Sous-ministre adjoint pourquoi les candidats appartenant à des minorités visibles n'ont pas été considérés comme ayant les qualités requises pour le poste.
  9. Pour faire en sorte que les objectifs numériques soient atteints dans les délais précisés, SC énoncera expressément, dans tous les avis de dotation (publicités de recrutement interne et externe, avis d'emploi vacants, avis d'emplois vacants sur support électronique, recherches d'emplois à l'aide du SIRG et tout autre moyen de communication utilisé pour la dotation ) concernant les postes des catégories EX/Gestion supérieure et Administration et Service extérieur, que SC est un employeur souscrivant au principe de l'égalité d'accès à l'emploi et que cet énoncé s'adresse aux membres des minorités visibles.
  10. SC déterminera les membres des minorités visibles (et les employés blancs) occupant des postes du groupe de relève qui sont intéressés à accéder à des postes des catégories EX/Gestion supérieure et Administration et Service extérieur afin qu'il soit possible d'établir à l'intention des membres de ces groupes des plans de carrière personnels mettant en lumière ce que les employés doivent faire pour devenir des candidats viables à de
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    tels postes.

  12. SC se constituera des sources de recrutement externes pour les minorités visibles et y fera appel lorsqu'elle embauchera des employés pour des postes de la catégorie Administration et Service extérieur. Pour ce faire, il faudra que SC ait recours à des médias différents pour cibler les minorités visibles qui n'ont traditionnellement pas eu connaissance des possibilités d'emploi, p. ex., faire de la publicité dans des journaux s'adressant aux minorités visibles et faire appel aux réseaux officieux des minorités visibles à SC et dans d'autres ministères fédéraux.
  13. SC mettra sur pied des programmes d'encadrement, dispensera aux actuels gestionnaires supérieurs une formation sur les méthodes d'encadrement de l'effectif culturellement hétérogène et récompensera l'encadrement de qualité.
  14. SC invitera les membres des minorités visibles à participer aux programmes d'apprentissage vers le leadership du Ministère et leur réservera 25 % des places à ces programmes, lesquelles seront attribuées selon le principe du premier arrivé, premier servi.
  15. SC invitera les membres des minorités visibles à participer aux cours de formation ministériels et autres, y compris le programme de perfectionnement en gestion de la protection de la santé, 25 % des places de ce programme étant réservées et attribuées aux membres des minorités visibles selon le principe du premier arrivé, premier servi.
  16. SC invitera les membres des minorités visibles occupant des postes du groupe de relève à participer aux programmes de perfectionnement des cadres du Centre canadien de gestion (CCG) et aux programmes de formation des cadres de la CFP.
  17. SC nommera un responsable ayant pleins pouvoirs pour assurer la mise en oeuvre des mesures correctives spéciales temporaires et exercer toute autre fonction que SC lui confiera pour les fins de l'application de la présente ordonnance.
  18. On procédera à une évaluation annuelle du rendement des employés de la catégorie EX/Gestion supérieure, soit les sous-ministres adjoints, les directeurs généraux, les directeurs et les chefs de division, en ce qui concerne l'entière observation de la présente ordonnance.
  19. SC constituera un comité d'examen interne dont la présidence sera conjointement assumée par le directeur général des Ressources humaines et le président du Comité consultatif sur les minorités visibles. Le comité sera composé d'un nombre égal de représentants de la direction du Ministère et de délégués du Comité consultatif sur les minorités visibles et l'on mettra à sa disposition des ressources spécialisées additionnelles selon les besoins. Le comité d'examen interne surveillera la mise en
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    oeuvre du présent plan. Il se réunira tous les trimestres et les coprésidents rencontreront le Sous-ministre à la suite des réunions pour faire directement rapport des résultats à celui-ci. Un rapport sera présenté tous les semestres au comité exécutif du Ministère.

  21. 18) SC transmettra à la Commission canadienne des droits de la personne :
    1. dans un délai de 60 jours après le lancement du programme de mesures correctives spéciales, le nombre actuel d'employés occupant des postes de niveau EX, équivalent EX, EX moins un, EX moins deux, EX moins trois et EX moins quatre; de même que le pourcentage de représentation des employés occupant des postes de niveau EX, équivalent EX, EX moins un, EX moins deux, EX moins trois et EX moins quatre;
    2. dans un délai de 60 jours suivant la fin de chaque période trimestrielle après la mise en oeuvre des mesures correctives spéciales temporaires susmentionnées, et pendant toute la durée d'application desdites mesures, après en avoir transmis un exemplaire à l'ACNRI et à l'IPFPC pour leur gouverne, un rapport indiquant :
      1. le nombre et le pourcentage de nominations de membres des minorités visibles à des postes des catégories EX/Gestion supérieure et Administration et Service extérieur;
      2. le nombre et le pourcentage de nominations de membres des minorités visibles à des postes intérimaires dans les catégories EX/Gestion supérieure et Administration et Service extérieur;
      3. le nombre et le pourcentage de membres des minorités visibles choisis pour siéger à des jurys de sélection; les séances de formation offertes/dispensées; la rétroaction des participants; la validation du contenu des programmes de formation; les efforts déployés au cours du trimestre précédent pour recruter des membres des minorités visibles à des postes de durée indéterminée et déterminée dans les catégories EX/Gestion supérieure et Administration et Service extérieur;
      4. une comparaison du taux de participation des minorités visibles aux activités de formation et de perfectionnement et du taux correspondant pour la population générale d'employés du Ministère; enfin, les mesures précises que l'on a prises pour faire en sorte que les politiques et pratiques du Ministère soient dépourvues d'obstacles à l'emploi.

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FAIT à Toronto (Ontario), ce 31e jour de janvier 1997.

J. GRANT SINCLAIR, c.r., président

CAROL H.Y. BOXILL, membre

ALVIN TURNER, membre

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