Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 10/91 Décision rendue le 10 juillet 1991

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S.C. 1976-77, c 33 et ses modifications)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

RICHARD BEAULIEU le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Me ANTONIO DE MICHELE

ONT COMPARU: Me René Duval, avocat de la Commission

Me DOGAN D. AKMAN, avocat de l'intimée

Major SUZANNE GOUIN, ministère de la Défense nationale

DATES ET LIEU DE DU 28 AU 31 AOUT 1989 L'AUDIENCE: QUÉBEC.

CONSTITUTION DU TRIBUNAL

Le 5 octobre 1988, le président du comité du Tribunal des droits de la personne, M. Sidney Lederman, constituait le présent tribunal afin d'examiner la plainte déposée par le soldat Richard Beaulieu en date du 15 décembre 1985, telle que modifiée, contre le ministère de la Défense nationale.

L'acte de constitution du tribunal a été déposé sous la cote T-1.

LA PLAINTE

La plainte de M. Beaulieu allègue que l'Intimée, les Forces armées Canadiennes, membre du ministère de la Défense nationale, a exercé de la discrimination fondée sur la déficience en matière d'emploi, le tout contrairement aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (S.C. 1976-77, ch. 33 et modifications) et notamment en contrevenant aux articles 7a) et 10 de la Loi.

Le texte de la plainte, telle que déposée, allègue et se lit comme suit:

"Je crois que par sa décision de refuser de continuer de m'employer comme chauffeur, dans l'armée (poste MSE-OP-935), sous prétexte que dû a un diagnostic de comitialité temporale je ne satisfait pas aux exigences médicales pour le poste de chauffeur ni pour aucun autre poste dans les Forces canadiennes, le ministère de la Défense nationale agit de façon discriminatoire à mon endroit, contrairement aux dispositions des articles 7a) et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.;

La plainte a été signée à Neufchatel, Québec, le 15 décembre 1985, et attestée par Isabelle Rousseau comme témoin.

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LES FAITS

Le soldat Richard Beaulieu, le plaignant aux présentes, s'est enrôlé dans les Forces armées canadiennes le 18 février 1980. Il était alors âgé de 18 ans.

Ayant subi avec succès les examens médicaux obligatoires, le soldat Richard Beaulieu est affecté au métier de conducteur MMS au sein des Forces armées canadiennes.

Suite aux cours de formation d'usage, il a complété avec succès le niveau QM3 de son métier. Par la suite, il a été muté à Val Cartier.

En août 1982, suite à un examen médical, il a été admis à l'hôpital pour observation. De plus, il a été référé à un consultant externe spécialiste en sciences neurologique.

Par la suite, il a été déclassé médicalement et a été principalement utilisé comme cantinier au sein de son unité.

Le 29 octobre 1984, la nouvelle classification médicale n'ayant pas été modifiée et demeurant à G4 03, soit en dessous des normes minimales prescrites au sein des Forces armées canadiennes, et suite à un diagnostic médical négatif, le soldat Richard Beaulieu reçoit sa libération honorables des Forces armées canadiennes.

L'HISTORIQUE MÉDICAL

En 1982, le soldat Richard Beaulieu est référé au LCol P. Parenteau, M.D., médecin psychiatre de la base militaire de Val Cartier. Dans le rapport du docteur Parenteau, rapport reproduit à la section 1982 du cahier de documents de l'Intimée produit sous la cote R-1, ce dernier nous donne un historique assez détaillé de la situation tant émotionnelle que sentimentale du plaignant à cette époque.

A la lecture même dudit rapport, aux pages 39 et 40, nous constatons qu'à cette époque, le plaignant était affecté par plusieurs états d'angoisse se situant à plusieurs niveaux, dont un dans la famille au sujet du père alcoolique, un autre au sujet de sa relation de couple avec sa concubine, un autre au sujet d'un de ses frères qui est en prison...

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Le docteur Parenteau, toujours dans le même rapport, souligne que le patient (Richard Beaulieu) est bien angoissé (page 40), qu'il a des céphalées de type tentionne (page 40), qu'il voit peu d'espoir pour le futur (page 40).... mais note également qu'il n'est pas totalement désespéré (page 41).

Dans ses conclusions, le docteur Parenteau note que le patient (Richard Beaulieu) a une-capacité limitée d'abstraire (page 43), que son conscient intellectuel est probablement au niveau bas de la moyenne (page 44), lui prescrit de l'étrafon et termine en concluant avec une aide moyenne ... il pourrait récupérer assez pour avoir une vie de soldat acceptable (page 44).

Le soldat Beaulieu continue d'être sous surveillance médicale et est régulièrement assisté par le personnel médical de la base de Val Cartier. Il survient alors un incident de sommeil au volant du véhicule automobile que le plaignant conduisait sur une route et le soldat Beaulieu est alors déclasse' médicalement, temporairement par mesure de sécurité préventive.

Le soldat Beaulieu est suivi par plusieurs membres du corps médical de la base militaire de Val Cartier pendant toute cette période.

Dans le rapport du major R. Messier, M.D., médecin interne de la base militaire de Val Cartier, rapport daté du 9-9-82 et reproduit aux pages 94 et 95 de la pièce R-1, nous notons alors que le plaignant est également traité pour une question de problème de somnolence avec hypnotisme. Le docteur Messier note également que le patient se plaint d'une sensation d'absence, comme hypnotisé par la route dans les distances importantes (page 95).

Dans un rapport daté du 27-10-82, le même docteur Messier note que le soldat Beaulieu est un patient que nous voyons pour absence d'épisode narcoleptique possible..... qu'il effectuerait des automatismes importants sans réaliser ce qu'il faisait (pièce R-1, page 96).

A la page 97, le docteur Messier note que, suite à une investigation radiographique du crâne du patient On note la présence d'un kyste de rétention muqueux assez volumineux dans l'antre maxillaire gauche.

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Le 29-11-82, le docteur Messier recommande une consultation neurologique. Le soldat Beaulieu est alors référé à une clinique spécialisée externe, soit la Clinique des Sciences Neurologiques située à Québec. Il est alors reçu par le docteur Michel Drolet et ultérieurement, par le docteur Denis Simard, tous deux neurologues.

Suite à une consultation effectuée par le docteur Michel Drolet, ce dernier, dans une correspondance datée du 6 décembre 1982 et adressée au docteur Réal Messier, conclut en ces termes:

"IMPRESSION: Il peut quand même s'agir de comitialité partielle temporale, même si l'électroencephallogramme est normal.

"RECOMMANDATIONS: 1- Pas de permis de conduire. 2- Essai thérapeutique avec Tégrétol 200 mg.;

Le rapport complet est reproduit aux pages 104 et 105 de la pièce R-1.

Le soldat Beaulieu continue par la suite à être suivi par les médecins tant a l'intérieur de la base militaire que par des médecins spécialistes externes.

Le 20 avril 1983, le soldat Beaulieu est examiné par le Capt C. Cantin, M.D., médecin militaire, suite 'à des nausées et vomissements survenus durant la nuit. Il note que le patient s'est présenté après un repas gras des éructations, et procède a un lavement fleet qui s'est avéré efficace.

Le docteur Cantin note également dans son rapport que le patient a des crises de petit mal, et conclut à un diagnostic de colon irritable.

Le rapport du docteur Cantin est reproduit en totalité aux pages 151 a 155 de la pièce R-1.

Dans une correspondance datée du 29 juin 1983, adressée au docteur Messier de la base militaire de Val Cartier, le docteur Denis Simard, neurologue externe, émet son opinion professionnelle à l'Intimée.

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Le docteur Simard conclut en ces termes: OPINION: Il se peut que Monsieur Beaulieu présente une petite comitialité temporale, notamment considérant que la médication semble avoir prévenu tous les symptômes qu'il présentait. Actuellement je ne crois pas qu'avec cette médication, le malade soit enclin à présenter de nouvelles crises d'absences. Quant à moi, je serais d'accord pour augmenter sa catégorie médicale. Il m'est difficile de savoir s'il devrait augmenter à G3 03 ou G2 02; je laisse ceci à votre discrétion. Le pronostic ici me semble excellent."

Ce rapport, ainsi que cette opinion, est reproduit aux pages 177 et 178 de la pièce R-1.

Dans un rapport daté du 22 juin 1984 et signé par le Lieutenant R. Fillion, il est conclu que:

"Le Sdt Beaulieu souffre d'épilepsie. Sa situation médicale fait en sorte qu'il ne peut plus être employé comme chauffeur...."

Plus loin, dans le même rapport, le Lieutenant Fillion conclut en disant:

"Le Sdt Beaulieu souffre d'une condition médicale qu'il (sic) empêche de poursuivre sa carrière militaire. Celui-ci accepte tant bien que mal cette décision médicale. D'ailleurs, il a entamé des démarches pour faire réévaluer son cas. Nous recommandons qu'une période de temps additionnelle allant de 4 à 6 mois lui soit allouée avant de lui accorder sa libération des FC."

Ce rapport est reproduit aux pages 12 et 13 de la pièce R-2.

Finalement, le 29 octobre 1984, les Forces armées canadiennes émettent un certificat de libération honorable au soldat Beaulieu.

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REQUETE PRÉLEMINAIRE

Antérieurement au début de la preuve, le procureur des Forces armées canadiennes présente une requête préléminaire au Tribunal en vertu du paragraphe 2 de l'article 40 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le procureur de l'Intimée demande au Tribunal d'émettre une ordonnance envers le procureur de la Commission afin que le procureur de la Commission établisse et déclare clairement et sans ambiguité l'attitude et la position que la commission propose adopter dans cette plainte.

A cet effet, le procureur de l'Intimée pose une série de questions, lesquelles sont toutes reproduites aux pages 22 et suivantes du volume premier de la transcription stenographique de l'enquête.

Ces questions, au nombre de huit (8) se résument comme suit:

  1. - Est-ce que la Commission prend la position que le diagnostic de comitialité temporale sur lequel la libération du soldat Beaulieu était incorrect?
  2. - Est-ce que la Commission prendra position que le diagnostic de comitialité temporale était raisonnable ou déraisonnable vu l'ensemble des données médicales disponibles lorsque la décision de libération a été prise?
  3. - Est-ce que la Commission prend la position que le diagnostic était formule d'une façon négligente ou de mauvaise foi?
  4. - Est-ce que la Commission prend la position que même si le diagnostic de comitialité temporale est démontré, rétrospectivement d'avoir été erroné?
  5. 7

  6. - Est-ce que les symptômes médicaux manifestés, les symptômes cliniques manifestés par Monsieur Beaulieu sont incompatibles avec la performance sucre et sécuritaire par Monsieur Beaulieu de ses devoirs et tâches en tant que d'abord soldat et en tant que conducteur militaire de matériel mobile de soutien?
  7. - Est-ce que selon la Commission, l'exigence pour un soldat en général, et pour un soldat qui a le métier de Monsieur Beaulieu, de ne pas présenter un risque d'automatisme ou de perte de conscience et\ou de perte de contact avec son milieu immédiat et\ou d'absence temporaire de la réalité est une exigence professionnelle justifiée au sein des Forces armées canadiennes?
  8. - Est-ce que la Commission, basé sur la documentation qui lui a été soumise durant l'enquête et avant le Tribunal, est-ce que selon la Commission ces documents démontrent que la conduite de Monsieur Beaulieu vu à la lumière de ses antécédents médicaux, est incompatible avec les exigences de profession de soldat et de chauffeur militaire?
  9. - Est-ce que la Commission estime que la décision des Forces armées de libérer Monsieur Beaulieu basée sur l'opinion d'un groupe de médecins qui appuyaient une condition négative, est-ce que cette décision de libérer Monsieur Beaulieu a partir de ces opinions, est-elle incompatible avec la Loi canadienne sur les droits de la personne?

Le procureur de la Commission souligne tout d'abord que le paragraphe 2 de l'article 40 de la Loi fait présentement l'objet d'une discussion devant la Cour fédérale.

Ce dernier argumente également qu'il est dans les pouvoirs de la Commission de référer toute plainte, à tout moment, devant un Tribunal et qu'au surplus, il n'est pas de la juridiction du Tribunal de réviser une décision de la Commission.

Après argumentation des parties, le Tribunal conclut la l'effet que la requête préléminaire du procureur de l'Intimée ne peut être accueillie telle que présentée.

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Il est du ressort et du devoir du Tribunal d'enquêter et de faire la lumière sur une plainte déposée (article 39 de la Loi).

Accueillir la requête du procureur de l'Intimée équivaudrait ni plus ni moins a une révision de la décision de la Commission, décision sur laquelle d'ailleurs le Tribunal n'a aucune juridiction.

Pour ces motifs, la requête préliminaire de l'Intimée est rejetée.

LA PREUVE

Lors de l'enquête, le Tribunal a eu le plaisir d'entendre plusieurs témoins, tous experts dans leur domaine respectif.

Le docteur Jacques Henri Roy est venu témoigner à titre d'expert en médecine militaire. Il est, entre autre un des penseurs et concepteurs du système de codification médicale au sein des Forces armées. Le docteur Roy a expliqué au Tribunal que ce système a' été mis en place afin que justement, le personnel militaire n'ayant pas de formation médicale, puisse quand même évaluer l'état de santé précis d'un membre de la Force à même justement ce système de codification.

Le docteur Roy a également expliqué au Tribunal qu'en vertu de ce système, la cote minimale tolérable au sein des Forces armées est G 3 - O 3. Le soldat Beaulieu à l'époque ayant reçu une cote G 4, soit une cote au delà de la cote minimale tolérable, de ce fait, le soldat Beaulieu ne pouvait demeurer au sein des Forces armées, et ce même si la cote G 4 octroyée au soldat Beaulieu à cette époque avait de fait été octroyée par mesure de précaution sécuritaire.

Il en va de même pour la cote 0 4 octroyée au soldat Beaulieu. La cote minimale permissible ici également étant la cote 0 3.

Je fais grâce ici au lecteur de tout le côté technique étant donné que le cahier des Normes médicales applicables aux Forces canadiennes a été produit devant le Tribunal sous la cote R-7.

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Le Tribunal est informe qu'en matière de médecine militaire, ce document est considère comme étant la Bible des Forces armées.

Toutefois, en contre interrogatoire, le témoin déclare qu'effectivement, il y a au sein des Forces armées des soldats qui ont une cote supérieure a G 3 - 0 3, que lesdits militaires sont encore en service, mais que ce n'est que pour des raisons strictement humanitaires ou encore dans certains cas de préretraite.

Un autre témoin expert à venir témoigner devant le Tribunal est le lieutenant commandant Dominique Benoit qui, même si elle est rattachée à la marine, travaille avec les trois (3) éléments des Forces, soit les Forces aériennes, terrestres et navales.

Le lieutenant commandant Benoit vient également témoigner a titre de témoin expert puisqu'elle est détentrice d'une maîtrise en psychologie industrielle.

Le Tribunal est informé qu'en matière militaire, il y a une notion d'interdépendance entre les divers composants, soit une interdépendance entre tous les soldats d'une même unité, et que tous, en cas de besoin, doivent être aptes d'effectuer les diverses taches au sein d'une unité.

A cet effet, chaque nouvelle recrue, au moment de son recrutement, est assigné à un métier. Donc, par voie de conséquence, on ne peut être militaire sans avoir de métier.

En contre interrogatoire, le témoin informe le Tribunal qu'au sein des Forces canadiennes, il y a différentes classes de conducteur militaire.

L'adjudant Normand Leblanc est également venu témoigner devant le Tribunal. L'adjudant Leblanc a témoigné à titre de témoin expert, étant gérant de carrière et exercant le métier d'opérateur de matériel de soutien au sein des Forces.

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L'adjudant Leblanc est venu expliquer au Tribunal en quoi consiste le travail quotidien d'un soldat tel le soldat Beaulieu et de l'importance de son métier surtout en temps de guerre ou de simulation de guerre. L'adjudant Leblanc a également expliqué au Tribunal en quoi consistaient les opérations quotidiennes et usuelles a Val Cartier. Le Tribunal est également informé que les camions de la base sont régulièrement charges soit de munitions, soit de pétrole, soit de rations.

En matière de stratégie militaire, l'adjudant Leblanc informe le Tribunal que toutes les opérations militaires se font généralement la nuit et qu'un campement est sujet au déplacement a tous les trois ou quatre jours au plus. Lors des manoeuvres, le chauffeur militaire n'a pas de répit.

Le major Julien Bibeau est également venu témoigner. Le Major Bibeau est officier opérationnel d'état major et est Présentement affecté a Ottawa, quoiqu'il ait déjà été de service a Val Cartier dans le passé.

Le témoignage du major Bibeau doit également être considéré comme celui d'un témoin expert. Effectivement, le major Bibeau a éclaire le Tribunal sur le rôle des Forces canadiennes tant au niveau national qu'au niveau international. Il a d'ailleurs produit sous la cote R-4 un manuel spécifique à cet effet.

Les mots revenant le plus souvent lors de son témoignage sont PROTECTION, DÉFENSE et SÉCURITÉ. Selon lui, le soldat Beaulieu représentait un élément de risque, donc c'est une question de sécurité.

A cet effet, le major Beaulieu informe le Tribunal qu'un soldat doit étre ambivalent puisque la vie à la base (garnison) est complètement différente de la vie en opération (manoeuvre) et, comme tel, un officier des Forces n'est obligé de reprendre un soldat que si le médecin lui certifie, selon les standards militaires, que ledit soldat est en pleine santé et possède le plein contrôle de ses facultés.

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Il y a eu également le témoignage du plaignant, Richard Beaulieu ainsi que le témoignage de son épouse, Isabelle Rousseau-Beaulieu. A toutes fins pratiques, ce sont les seuls non experts à avoir témoigné dans cette cause.

Monsieur Beaulieu informe le Tribunal qu'il a été à l'emploi et ce pendant trois années, avec la société Brique Citadelle, que son travail consistait à la vérification de la brique et, qu'en moyenne, il travaillait entre quarante et soixante heures par semaine.

Il spécifie que c'est un métier qui est très exigeant physiquement mais qu'il ne s'en plaignait point.

Malheureusement, depuis le 7 juillet 1989, il était en chômage.

Monsieur Beaulieu par la suite témoigne quant à ses années au sein des Forces armées. Il confirme qu'en 1982 il est allé à l'infirmerie de la base (sick parade) se plaignant de migraines. Il confirme également que lors de ses entretiens avec le docteur Messier, il informa ce dernier qu'il avait des problèmes de pertes avec son entourage et que, lors de longs voyages, il prenait le fixe.

Il témoigne également à l'effet que durant la période de ses consultations avec le docteur Parenteau, il était en état dépressif. Il confirme également avoir consulté le docteur Drolet et le docteur Simard en clinique externe.

Le Tribunal apprend également que, nonobstant le fait que le permis de conduire militaire ait été révoqué à la suite des recommandations du docteur Simard, le plaignant continuait toutefois a conduire son véhicule automobile civil.

Le témoin affirme également que vers l'âge de douze ou treize ans, il avait eu de grosses migraines, mais que, à sa connaisance, il n'a jamais souffert de Petit Mal durant son enfance.

De plus, à l'exception du problème survenu dans les Forces armées, il n'a jamais eu connaissance qu'il souffrait d'épilepsie.

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En contre interrogatoire, le témoin déclare qu'au moment de sa rencontre avec le docteur Parenteau, il venait de vivre une mauvaise phase- à Noël 1981 et qu'il était dépressif et négatif .

Interrogé au sujet des manoeuvres militaires tenues à Gagetown, le témoin affirme qu'il a eu des problèmes d'automatismes en conduisant sa voiture, mais spécifie qu'il était alors sous l'effet du tégrétol.

Quant au motif de son renvoi des Forces armées, le témoin, après avoir pris connaisance de la pièce R-1, mentionne que selon lui, il n'y a jamais eu ni de certitude et encore moins de diagnostic épileptique.

Quant au Madame Isabelle Rousseau-Beaulieu, ce témoin affirme que Monsieur Beaulieu lui semble tout à fait normal et pas plus distrait qu'une autre personne. Elle'.dit se sentir en sécurité avec lui lorsqu'il conduit et ce, même sur de longues distances.

Elle déclare qu'elle même avait conseillé au plaignant de cesser de prendre les médicaments qu'on lui avait prescrit parce que ceux-ci semblaient avoir plus d'effet nocif sur le plaignant que de guérir.

Nous arrivons maintenant aux deux témoignages que le Tribunal considère crucial, soit le témoignage de l'expert du plaignant, le docteur George H. Reinhardt, médecin neurochirurgien, et, par la suite, le témoignage du docteur Denis Simard, neurologue, pour l'Intimée.

Le Tribunal déplore cependant le fait que ni le Docteur Parenteau ni le docteur Messier n'aient pu être présents pour témoigner dans cette cause. Après tout, ce sont eux qui ont suivi presque quotidiennement le soldat Beaulieu lors de toute cette période de temps précédant sa libération des Forces armées. Ce sont sûrement eux qui auraient été le plus en mesure d'éclairer le Tribunal quant a l'état de santé, tant physique que mentale et psychologique du soldat Beaulieu à cette-époque.

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Débutons tout d'abord par le docteur George H. Reinhardt, médecin neurochirurgien, témoin expert pour le plaignant.

L'expertise et rapport du docteur Reinhardt est reproduite la page 249 et suivantes de la pièce R-1.

Lors de son témoignage,le docteur George H. Reinhardt, affirme avoir eu une rencontre avec le plaignant le 18 mars 1987, à la demande de la Commission. Il déclare également avoir pris connaissance des antécédents médicaux du plaignant, et que son opinion est basée tant sur l'entrevue que sur l'examen médical et la consultation des documents médicaux (dossier médical) du plaignant.

Son mandat était clair. Établir si le plaignant, RICHARD BEAULIEU est épileptique ou-non, sil est apte ou inapte a exercer le métier de militaire et finalement, de déterminer s'il est apte ou inapte à manipuler une arme à feu.

Même si le dossier militaire du plaignant fait mention de cas de céphalique, même si on fait état de cas de perte de contact, d'automatisme et d'épilepsie, le docteur Reinhardt est catégorique.

Selon lui, il n'y a rien qui puisse lui faire conclure dans ce sens.

Lorsqu'on parle de pertes de contact, le docteur Reinhardt s'empresse d'ajouter que dans tous les cas, dans tous les rapports consultés (et produits lors de l'enquête), ce ne sont que des pertes de contact insignificatives, d'une durée d'à peine de quelques secondes et pouvant à être dûes à d'autres causes telles que la fatigue, l'état dépressif, l'alcool, etc....

De plus, le docteur Reinhardt porte a l'attention du Tribunal que tous les tests antérieurement subis par le plaigant, incluant les encéphalogrammes, s'avèrent tous négatifs, donc normaux.

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Lors de son analyse du cas de Monsieur Beaulieu, le docteur Reinhardt a même commandé un nouveau encephalogramme du patient. Cet examen a été réalisé par le docteur Patrice Drouin le 24-3-87.

Le résultat de ce nouvel examen est reproduit à la page 253 de la pièce R-1.

Le docteur Drouin conclut son rapport dans ces termes:

"A L'H.V, il y a certaines anomalies lentes provenant des structures sous-corticales. Ces anomalies ne sont pas significatives et en particulier, elles ne sont pas de nature épileptique."

Lors de son témoignage principal, le docteur Reinhardt soulève que les médecins traitants antérieurs n'ont fait qu'émettre que des doutes, doutes qu'il respecte d'ailleurs, mais néanmoins que des doutes purement et simplement, que des soupçons, des possibilités.

Selon lui, il n'y a jamais eu de diagnostic tel quel. Selon lui, un docteur émet son opinion par voie de diagnostic. Dans le dossier du soldat Beaulieu, il n'y a jamais eu de diagnostic d'épilepsie, et ce même si a un certain moment le soldat Beaulieu est catalogué et classé comme étant épileptique.

Cette affirmation, selon le docteur Reinhardt, n'est basée sur aucun diagnostic précis et devient donc une affirmation gratuite.

Selon lui, et tel que relaté dans son rapport ci-haut référé, il n'y a jamais eu chez le plaignant, aucun signe avant coureur d'épilepsie, sauf une fois toutefois, lorsqu'il était confus alors qu'il était hospitalisé.

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Dans ses conclusions, le docteur Reinhardt est catégorique quant aux capacités du plaignant Beaulieu:

  1. - à titre de chauffeur: aucune restriction quelconque
  2. - manipulation d'armes: aucune restriction quelconque
  3. - fréquence de besoin de soins médicaux; aucune restriction quelconque
  4. - endurance a la variation climatique; aucune restriction quelconque

Dans les conclusions de son rapport, le docteur Reinhardt s'explique en ces termes:

"Conséquemment, j'affirme que monsieur Richard Beaulieu ne souffre pas d'épilepsie temporale ni de Petit Mal, bien que je respecte le doute émis dans le passe par certains de mes collègues, doute d'ailleurs, qui n'a jamais été confirmé.

L'état de santé de monsieur Beaulieu le rend apte à travailler comme chauffeur militaire et également apte à un travail de militaire (c'est-à-dire manutention d'armes, contraintes amenées lors de situations de combat, etc... ) et que ce faisant, il ne présente aucun risque pour les personnes de son entourage ni pour lui-même."

En contre interrogatoire, le docteur Reinhardt avoue ne pas étre trop connaissant du métier militaire mais que pour lui, c'est un métier très exigeant comme l'est également le métier de briqueteur.

Questionné quant aux.conclusions de son rapport, le docteur Reinhardt les explique a l'effet qu'ils sont basées sur une absence de diagnostic de comitialité temporale soit partielle ou autre, donc, absence d'épilepsie.

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Quant aux automatismes poses et avoués par le plaignant Richard Beaulieu, le docteur Reinhardt témoigne a l'effet que dans nos gestes quotidiens, nous posons tous des gestes ou actions pouvant être qualifiés d'automatisme. Ce qui lui fait conclure dans le cas qui nous concerne que le plaignant Beaulieu n'a pas posé des absences ou des automatismes réels et véritables, c'est justement dû au fait qu'il se souvient et de ces absences et de ces automatismes.

De plus, d'apres ce témoin, une dépression nerveuse,peut, en examen, donner des éléments pouvant ressembler a des symptômes d'épilepsie.

Quant aux maux de tête fréquents dont se plaint le plaignant, le docteur Reinhardt les attribue surtout comme étant le résultat de situations de tension, et peuvent même être dues a une migraine.

Même si en matière d'épilepsie, subséquemment à une crise, le patient souffre de maux de tête qui sont deus à une hypertention crânienne temporaire, le docteur Reinhardt affirme catégoriquement que les maux de tête du Plaignant Beaulieu sont de toute autre nature.

Confronté à une série de documentation Reproduites majoritairement à l'intérieur de la pièce R-1, le témoin demeure catégorique et ferme quant à son diagnostic et ce même si certains de ces documents n'ont pas été porté à son attention antérieurement.

Selon lui, s'il les avait eus, il aurait peut-être demandé une période d'observation pour le patient, mais, à la lecture même desdits rapports, son diagnostic demeure le même.

De nouveau, le docteur Reinhardt mentionne que les médecins antérieurs, incluant le docteur Drolet, ne parlent que d'impressions et non de recommandations, de possibilité et non de probabilité. Ils n'émettent aucun diagnostic. Par contre, il trouve, sage et raisonnable les recommandations médicales émises a cette époque puisque, à cette époque il n'était pas déraisonnable de prendre des mesures de sécurité comme le recommande le docteur Vézina dans son rapport daté du 3 février, 1983 et reproduit à la page 140 de la pièce R-1.

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Par contre, le témoin se déclare en désaccord avec le congédiement éventuel du soldat Beaulieu étant donné qu'aucun diagnostic n'a été émis pouvant justifier cette décision.

Effectivement, le témoin rappelle que le soldat Beaulieu a été suivi par le corps médical des Forces armées depuis presque deux (2) ans. Cette période est plus que suffisante pour se faire une idée sur l'état du patient et d'émettre un diagnostic.

Nous arrivons maintenant au témoignage du docteur Denis Simard, neurologue, de la clinique des sciences neurologiques de Québec. Le docteur Simard a été assigné par l'Intimée et est le premier témoin à venir témoigner en contre-preuve.

Le docteur Simard informe le Tribunal qu'il est associé au docteur Drolet dont il a été mention à plusieurs reprises durant le procès.

Le docteur Simard témoigne à l'effet qu'il n'était pas au courant des rapports des autres médecins ayant traité le patient Beaulieu alors qu'il traitait le plaignant.

Lors de son témoignage, le docteur Simard déclare que l'épilepsie n'est pas une maladie, mais plutôt un symptôme cérébral et que poussé à j'extrême, l'individu épileptique va moins bien fonctionner. De plus, celui qui est épileptique à l'age adulte le restera, a moins d'intervention chirurgicale.

Confronté à la déclaration du docteur Reinhardt à l'effet que le plaignant Beaulieu n'est pas épileptique et ce malgré les divers tests E.E.G. subis par le patient, soit le plaignant Beaulieu, le docteur Simard atteste que le E.E.G. est un instrument instable et ne peut affirmer qu'en 1984, le plaignant Beaulieu n'était pas épileptique. Par contre, il n'affirme pas non plus qu'il l'était.

D'après le docteur Simard, l'épilepsie est très près de la migraine et que selon les probabilités, l'épilepsie ressort plus en période de stress, tout comme la migraine.

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Toujours selon le docteur Simard, beaucoup de gens sont près de l'épilepsie sans pour autant le savoir. L'épilepsie a comme conséquence directe des troubles de comportement.

Selon le docteur Simard, et en commentant le rapport du docteur Drouin, rapport produit à la page 253 de la pièce R-1, le docteur Simard fait remarquer que le docteur Drouin note des anomalies et que le patient Beaulieu a un cerveau instable. Par contre, les anomalies doivent être très précises et très fortes.

Quoique le docteur Drouin en arrive à un résultat négatif d'épilepsie, le docteur Simard atteste que vingt-cinq pourcent (25%) des épileptiques ont des E.E.G. normales.

Selon le docteur Simard, en 1982 et 1984, il est juste de dire qu'il y avait un diagnostic probable de comitialité partielle temporale chez Monsieur Beaulieu.

Contre interrogé par Me Duval, le témoin avoue ne pas connaître le docteur Messier de la base militaire de Val Cartier mais,par contre que son associé le connait comme étant très compétent.

Aux diverses questions qui lui sont posées, le témoin affirme que la céphalée n'est pas obligatoirement un symptôme d'épilepsie, que l'étraphon est un médicament anti-dépressif et que le tégratol est un médicament qui porte au sommeil.

Par contre, en matière d'épilepsie, un évanouissement n'est pas nécessairement synonyme de tomber par terre.

Le témoin procède également à une distinction entre un automatisme et une absence. Effectivement, selon le témoin, un automatisme est quelque chose qui se fait inconsciemment, qui peut se faire pendant une absence et dont le patient ne se souvient pas. Il cite en exemple les tics nerveux.

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Par contre, en ce qui concerne les absences, généralement le patient ne s'en souvient pas. De plus, dans une absence, il n'y a pas de mouvement.

LE DROIT

La Loi canadienne sur les droits de la personne est très claire en matière de discrimination quelconque envers la personne et l'individu.

De plus, lors de l'argumentation, les procureurs des parties ont soumis au Tribunal une série de jurisprudence au soutien de leurs arguments respectifs.

L'article 3 de la Loi stipule les divers motifs de distinctions illicites. Un de ceux-ci est la déficience.

L'article 7 de la Loi nous dit que constitue un acte discriminatoire, l'acte fondé sur un motif de distinction illicite, privant un individu de travail et d'emploi.

L'article 10 de la Loi va encore plus loin en ce sens en interdisant les lignes de conduites discriminatoires.

Dans le cas qui nous concerne, le Tribunal doit, a toutes fins de , droit, décider de deux choses:

la première: est-ce que, au moment de sa libération des Forces armées canadiennes, le plaignant Beaulieu était atteint d'épilepsie, ou tout au moins de comitialité temporale partielle?

la seconde: est-ce que le renvoi et la libération du plaignant des Forces armées canadiennes constitue un acte illicite et discriminatoire au sens de la Loi?

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Si la réponse du Tribunal à la première question est positive, à ce moment là, pour répondre a la seconde, il faut déterminer si le congédiement du plaignant découle d'exigences professionnelles justifiées ou non.

Si la réponse à cette question est également positive, le débat est clos.

Par contre, si la réponse du Tribunal à la première question est négative, il n'y a alors même pas lieu d'aborder la seconde question.

EST-CE QUE, AU MOMENT DE SA LIBÉRATION DES FORCES ARMÉES CANADIENNES, LE PLAIGNANT BEAULIEU ÉTAIT ATTEINT D'ÉPILEPSIE, OU TOUT AU MOINS DE COMITIALITÉ TEMPORALE PARTIELLE?

C'est la toute la question du présent débat. Selon le procureur de l'Intimée, le diagnostic ayant servi de base au congédiement du plaignant est un diagnostic de COMITIALITÉ PARTIELLE TEMPORALE PROBABLE.

Probable et non possible.

Ce diagnostic est basé sur un dossier médical de presque deux années du patient (plaignant) et ce tant en clinique militaire qu'en clinique civile. On ne peut certes pas reprocher aux Forces armées de manque d'attention ou de soin dans ce dossier.

Mais ce diagnostic de probabilité est basé sur quoi? Sur qui? Sur les rapports des médecins de la Sick Parade (docteur Messier), ou sur les diagnostics et recommandations du docteur Simard?

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Parlons tout d'abord du docteur Simard. Ce dernier n'a aucunement ni de quelque façon que ce soit impressionné le Tribunal pendant la durée de son témoignage. Autant il était clair et précis lorsqu'il était question de généralités, autant il était confus, imprécis et réticent lorsque les questions concernaient le plaignant lui-même.

D'ailleurs, l'histoire du docteur Simard dans ce dossier est remplie de contradictions.

Dans sa lettre du 29 juin 1983, adressée au docteur Messier le docteur Simard classifie le patient (plaignant) en ces termes:

"Le pronostic ici me semble excellent.... Quant h moi, Je serais d'accord pour augmenter sa catégorie médicale." (pièce R-1, page 178)

Dans sa lettre du 25 septembre 1985, adressée A QUI DE DROIT, lettre qu'il avoue avoir rédigée à la demande du plaignant, Richard Beaulieu, lettre composée de seulement deux (2) lignes, et laquelle lettre il sait fort pertinnemment sera déposée au dossier médical du plaigant, il s'exprime en ces termes:

"J'ai revu Monsieur Richard Beaulieu le 25 septembre 1985 et je le considère apte à reprendre son travail au sein des Forces armées canadiennes." (pièce R-1, page 233)

Lors de son témoignage, le docteur Simard avoue qu'il savait à cette époque que le métier du plaignant au sein des Forces armées était celui de chauffeur.

Il avoue par contre et en plus, que ni à cette époque, ni au moment du procès, il n'aurait pris place dans un véhicule automobile qui serait conduit et sous le contrôle du plaignant.

Où est la logique? Où est la rationalité du docteur Simard? Le Tribunal est en droit de se poser de très sérieuses questions quant à son témoignage dans cette cause.

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Au surplus, la réponse a l'avant-dernière question qui lui a été posée en interrogatoire principal est très révélateur de la totalité du témoignage du docteur Simard. Il s'explique en ces termes:

"Je pense qu'un malade... si monsieur Beaulieu était réellement un épileptique temporale, et on a parlé de minime, on est à la limite là, je veux dire si il en fait un peu, je pense qu'il aurait peut-être besoin d'un certain cas de médicament...."

D'un autre côté, nous avons le témoignage ferme, précis et catégorique d'un autre expert, d'un neurochirurgien qui affirme sans hésitation que le patient ne souffre ni de comitialité partielle temporale quelconque ni d'épilepsie.

De plus, il y a les divers rapports médicaux du docteur Messier, soit le médecin traitant de la base militaire, donc celui qui a suivi et traité le plaignant tout au long de cette histoire. Le Tribunal a déjà déploré le fait que le docteur Messier n'ait pû étre assigné pour témoigner dans cette affaire.

Toutefois, il y a assez d'écrits et de rapports au dossier qu'il nous est possible d'en tirer des conclusions rationnelles.

Dans un rapport daté du 15-08-84 et reproduit à la page 203 de la pièce R-1, le docteur Messier s'exprime ainsi:

"Le soldat Beaulieu nous est connu pour un problème difficile, dont le diagnostic n'a Jamais été prouvé et dont l'investigation s'est toujours avérée négatives. Le patient ... a demandé une nouvelle expertise neurologique. Cette expertise s'est-faite en date du 10 juillet 84 et cette expertise a été faite par le docteur Denis Simard, neurologue ... Le docteur Simard est d'avis qu'avec l'histoire et avec l'examen neurologique complètement normal de ce patient que la catégorie médicale attribuée au soldat Richard Beaulieu est trop sévère..."

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Ce rapport du docteur Messier a été rédigé a peine DIX (10) SEMAINES AVANT la libération du soldat Beaulieu.

Dans un rapport d'examen médical daté du 18 octobre 1984, sous la signature du docteur J.P. Vezina, M.D., docteur militaire, et lequel rapport est reproduit aux pages 205 et 206 de la pièce R-1, à la partie 4 dudit rapport, le docteur Vezina écrit ce qui suit:

"Comitialité probable. ... Devant l'insistance des neurologues et internistes, nous avons essayé de remonter sa catégorie à G 2-O 2, Ce qui a été refusé."

Or, le Quartier Général des Forces armées n'a pas tenu compte de ces rapports, ni d'autres qui sont versés au dossier du plaignant.

D'après la preuve au dossier, il y a même eu insistance a cet effet.

Le Tribunal est conscient que l'Intimée puisse requérir certains critères qui ne sont pas nécessairement identiques ou comparables que ceux retenus dans le civil. Le Tribunal est conscient également des exigences particulières du militaire en période de manoeuvres militaires, alors que le soldat est en période de stress.

Le Tribunal est aussi conscient que, dans le cas précis qui nous préoccupe, après au delà de DEUX (2) années de traitement, après au delà de deux (2) années de suivi médical et ce tant par les médecins militaires que par les médecins spécialistes externes, aucun membre de la profession médicale n'a été en mesure de déposer un verdict, un diagnostic clair au dossier du plaignant.

Au surplus, le médecin spécialiste externe appelé comme témoin par l'Intimée lors du procès, soit SEPT (7) ans après le début du dossier médical du plaignant, parle encore au conditionnel lorsqu'il s'agit du plaignant.

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Dans les circonstances le Tribunal conclut à l'effet qu'au moment de la libération du soldat Beaulieu, soit le 29 octobre 1984, le Soldat Richard Beaulieu n'était atteint ni d'épilepsie ni de comitialité temporale partielle.

La réponse à cette première question étant négatives il n'y a pas lieu pour le Tribunal de déterminer ni de statuer si le congédiement du plaignant Beaulieu, base sur un diagnostic de comitialité temporale temporaire probable découle d'exigences professionnelles justifiées ou non.

Toutefois, la réponse à cette première question étant négative, le Tribunal conclut à l'effet que la libération du plaignant Richard Beaulieu des Forces armées canadiennes constitue un acte illicite et discriminatoire au sens de la Loi.

LA DÉCISION

APRES avoir entendu la preuve, écoute les arguments des deux parties, pris connaissance de la Jurisprudence et après avoir délibéré, le Tribunal:

ACCUEILLE la plainte du plaignant, Richard Beaulieu;

ANNULE la libération du plaignant des Forces armées canadiennes, laquelle libération est datée du 29 octobre 1984;

ORDONNE la réintégration du plaignant au sein des Forces armées canadiennes, au poste de chauffeur MSE-OP-935, poste qu'il occupait antérieurement a son congédiement illégal;

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ORDONNE aux Forces armées canadiennes de payer le Plaignant l'équivalent du salaire qu'il aurait gagné et des avantages dont il aurait bénéficié depuis sa libération, et ce avec intérêts, incluant toute promotion quelconque au sein des Forces armées canadiennes, le tout cependant déduction faite de tous les revenus que le plaignant a eu depuis cette date;

LE TRIBUNAL SE RÉSERVE toutefois juridiction de fixer l'indemnité étant dûe au plaignant, à défaut par les parties de s'entendre a ce sujet, les parties devant alors revenir devant le Tribunal pour qu'il soit adjugé sur cette question.

SIGNÉ A MONTRÉAL, CE 29 AVRIL 1991

Me ANTONIO DE MICHELE

Président du Tribunal

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