Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

BENNO KURVITS

le plaignant

- et -

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LE CONSEIL DU TRÉSOR et L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

les intimés

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Peter Bortolussi

ONT COMPARU:

Jim Hendry Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Andrew Raven Avocat de l'Alliance de la Fonction publique du Canada

Roger Lafrenière Avocat du Conseil du trésor

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE:

Le 6, 7 et 8 juin 1991 Thunder Bay (Ontario)

Traduction

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Voici la décision rendue par le tribunal des droits de la personne appelé à trancher, après examen, deux plaintes formulées puis modifiées par le plaignant, BENNO KURVITS, en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (modifiée).

LES PLAINTES

Déposées initialement le 4 octobre 1985, les deux plaintes ont été modifiées le 12 février 1986.

Selon la plainte modifiée visant le Conseil du Trésor, le plaignant a des motifs raisonnables de croire que le Conseil du Trésor commet un acte discriminatoire [TRADUCTION] depuis le mois de mars 1982 approximativement fondé sur la religion, en matière d'emploi, suivant les art. 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Selon la plainte modifiée visant l'Alliance de la Fonction publique du Canada, le plaignant a des motifs raisonnables de croire que l'Alliance de la Fonction publique du Canada commet un acte discriminatoire [TRADUCTION] depuis le mois de mars 1982 approximativement fondé sur la religion, en matière d'emploi, suivant l'al. 9(1)c) et l'art. 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Bien que la partie intimée diffère dans chacune des plaintes, les faits invoqués sont les mêmes dans les deux cas. Voici la teneur des plaintes:

[TRADUCTION]

Je suis membre de l'Église baptiste de Marathon. En février 1982, je suis entré au service de Parcs Canada et, en mars 1982, j'ai demandé l'autorisation de verser l'équivalent de mes cotisations syndicales à un organisme de charité. Cette autorisation m'a été refusée du fait que l'Église à laquelle j'appartiens n'est pas enregistrée en application de la Loi de l'impôt sur le revenu. La convention collective qui régit mon emploi prévoit que les membres d'organismes religieux enregistrés en application de la Loi de l'impôt sur le revenu peuvent faire des contributions à des organismes de charité selon un montant équivalent aux cotisations syndicales au lieu de verser celles-ci au syndicat.

Or, l'enregistrement en application de la Loi de l'impôt sur le revenu va à l'encontre des principes théologiques de l'Église dont je suis membre. Nous croyons en une indépendance totale entre l'Église et l'État.

Les deux plaintes étant fondées sur les mêmes faits, toutes les parties ont convenu de l'opportunité d'une audience et d'une preuve communes.

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DISPOSITIONS DE LA LOI INVOQUÉES

Voici le libellé des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne sur lesquelles les plaintes sont fondées :

3.(1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

9.(1) Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour une organisation syndicale :

c) d'établir, à l'endroit d'un adhérent ou d'un individu à l'égard de qui elle a des obligations aux termes d'une convention collective, que celui-ci fasse ou non partie de l'organisation, des restrictions, des différences ou des catégories ou de prendre toutes autres mesures susceptibles soit de le priver de ses chances d'emploi ou d'avancement, soit de limiter ses chances d'emploi ou d'avancement, ou, d'une façon générale, de nuire à sa situation.

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

FAITS A L'ORIGINE DES PLAINTES

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Dès son plus jeune âge, lorsqu'il habitait Marathon (Ontario), le plaignant était membre de l'Église unie du Canada.

Au cours de ses études à l'Université d'Ottawa, en 1978, à la faculté d'éducation physique, le plaignant [TRADUCTION] ...a entendu la parole du Christ... a eu la foi ... a été sauvé... et est devenu chrétien.

Entre 1979 et 1981, il a séjourné à Ottawa, à Marathon et à Winnipeg où il a fréquenté des Églises baptistes ou des Églises évangéliques liées.

Au printemps de 1981, il est retourné à Marathon, s'est intégré à l'Église baptiste locale pour en devenir membre au mois d'août suivant, après quelques mois de formation quant aux enseignements de l'Église.

Il est devenu diacre de l'Église, puis trésorier, a enseigné à l'école du dimanche, a participé à des activités pour les jeunes, y compris l'enseignement de la Bible et la mise sur pied d'un ministère dans une autre localité.

Dans une lettre portant la date du 29 janvier 1982, le plaignant s'est vu offrir un emploi de magasinier au sein de Parcs Canada, devenu subséquemment Environnement Canada, et il a accepté le poste le 2 février suivant. L'offre d'emploi renfermait le paragraphe suivant :

Les conditions d'emploi de la plupart des fonctionnaires sont en grande partie déterminées par les dispositions des conventions collectives. La plupart des conventions actuellement en vigueur exigent que l'employeur retienne du traitement mensuel les cotisations syndicales prélevées par l'agent négociateur pour les membres du groupe de négociation en cause. La majorité des conventions renferment une disposition qui dispense du versement des cotisations syndicales tout employé qui est membre d'une société religieuse dont la doctrine lui impose l'interdiction morale de contribuer financièrement à une association de salariés.

Cet emploi était régi par une convention collective liant le Conseil du Trésor, à titre d'employeur, et l'Alliance de la Fonction publique du Canada, à titre de syndicat, même si le plaignant n'a pas adhéré, dans les faits, au syndicat.

Lorsque le plaignant est entré en fonction, une convention collective signée le 21 décembre 1981 était en vigueur à l'égard du groupe des Services divers auquel son poste appartenait. Cette convention renfermait les dispositions suivantes concernant la déduction ou le versement des cotisations syndicales par prélèvement sur la paie des employés faisant partie de l'unité de négociation :

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9.01 L'employeur, à titre de condition d'emploi, retient une fois par mois, un montant égal au montant des cotisations syndicales sur la rémunération de tous les employés faisant partie de l'unité de négociation. L'Alliance informe l'employeur par écrit de la déduction mensuelle autorisée à retenir pour chaque employé.

9.03 L'employé qui prouve à l'employeur, sous la forme d'une déclaration faite sous serment, qu'il est membre d'une association religieuse enregistrée en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, et dont la doctrine lui interdit, en conscience, de verser des contributions pécuniaires à une association d'employés et qu'il versera à une association de charité des contributions égales au montant des cotisations, n'est pas assujetti au présent article, à condition que la déclaration faite sous serment présentée par l'employé indique le numéro d'enregistrement de l'association religieuse et soit contresignée par un représentant officiel de celle- ci. Une copie de la déclaration sous serment sera fournie à l'Alliance.

La convention collective a été prorogée en application de la Loi sur les restrictions salariales du secteur public jusqu'au 21 janvier 1985 puis, en application d'une autre entente, jusqu'à ce qu'une convention cadre intervienne entre l'employeur et le syndicat, renfermant essentiellement les mêmes dispositions quant au précompte des cotisations. Voici le libellé de ces dispositions :

M-10.01 Sous réserve des dispositions du présent article et à titre de condition d'emploi, l'employeur retient sur la rémunération mensuelle de tous les employés-e-s de l'unité de négociation un montant égal aux cotisations syndicales mensuelles. Si la rémunération de l'employé-e pour un mois donné n'est pas suffisante pour permettre le prélèvement des retenues en conformité du présent article, l'employeur n'est pas obligé d'opérer des retenues sur les payes ultérieures.

M-10.02 L'Alliance informe l'employeur par écrit de la retenue mensuelle autorisée pour chaque employé-e.

M-10.04 N'est pas assujetti au présent article l'employé-e qui convainc l'employeur, par une déclaration faite sous serment, qu'il est membre d'un organisme religieux enregistré en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu dont la doctrine lui interdit, en conscience, de verser des contributions pécuniaires à une association d'employés-e-s, et qu'il versera à un organisme de charité des contributions égales au montant des cotisations, à condition que la déclaration de l'employé-e indique le numéro d'enregistrement de l'organisme religieux et soit contresignée par un représentant officiel de l'association religieuse en question.

En mars 1982, le plaignant a remis à l'employeur une déclaration sous serment signée par le plaignant et le pasteur de

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l'Église baptiste de Marathon, David A. Woodman, selon laquelle le plaignant était [TRADUCTION] membre en règle de l'Église baptiste de Marathon, dont la doctrine, fondée sur la parole de Dieu, l'empêche, en conscience, de devenir membre d'un syndicat ou de toute autre organisation syndicale, ainsi que de contribuer financièrement à un tel organisme ou de l'appuyer de quelque manière, et au lieu de verser des cotisations à l'Alliance de la Fonction publique du Canada... versera un montant équivalent aux cotisations à un organisme de charité dont lui-même et son employeur seront convenus.

La déclaration sous serment était accompagnée d'une lettre datée du 9 mars 1982 et portant la signature du pasteur et d'un certain Bill Morgan, alors trésorier de l'Église, selon laquelle [TRADUCTION] en raison de notre croyance en la doctrine biblique de l'indépendance complète entre l'Église et l'État, l'Église baptiste de Marathon n'est pas enregistrée en application de la Loi de l'impôt sur le revenu... nous participons à l'oeuvre du Seigneur sans mesures incitatives supplémentaires telle la remise de reçus aux fins d'impôt... l'absence d'un numéro d'enregistrement ne devrait pas être invoquée pour refuser d'accorder une dispense à BENNO .

Dans une lettre portant la date du 23 avril 1982, l'employeur a informé le plaignant que les documents remis ne remplissaient pas les conditions établies pour la dispense du versement des cotisations syndicales étant donné que l'organisme religieux n'était pas enregistré en application de la Loi de l'impôt sur le revenu et que les cotisations syndicales continueraient d'être prélevées et versées au syndicat de la manière habituelle.

Le 11 août 1983, le plaignant a écrit à l'employeur pour en appeler de la décision de ne pas lui accorder la dispense demandée. Il a réitéré sa croyance religieuse l'empêchant de faire partie du syndicat ainsi que de contribuer financièrement à ce dernier ou de l'appuyer de quelque manière, le fondement de sa demande de dispense et les motifs pour lesquels l'Église n'était pas enregistrée en application de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Le 1er février 1984, l'employeur a rejeté l'appel du plaignant pour le motif que [TRADUCTION] la convention collective n'autorise la dispense du précompte des cotisations que lorsque toutes les conditions qu'elle renferme à cet égard sont respectées. L'une de ces conditions étant que l'organisme religieux en cause soit enregistré en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, nous n'avons d'autre choix que d'opposer un refus à la demande de M. Kurvits.

Le plaignant a retenu les services d'un avocat et a tenté d'obtenir un redressement auprès de la Commission des relations de travail de l'Ontario. Celle-ci n'a pu se saisir de la demande en raison, semble-t- il, d'une absence de compétence.

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Après avoir consulté la Commission canadienne des droits de la personne, le plaignant a présenté pour la première fois sa demande de dispense directement à l'Alliance de la Fonction publique du Canada le 25 avril 1985.

Le 14 mai 1985, le syndicat a refusé de faire droit à la demande du plaignant en invoquant les motifs suivants :

[TRADUCTION]

Une dispense ne peut être accordée lorsque l'organisme religieux en cause n'est pas enregistré en application de la Loi de l'impôt sur le revenu. La raison en est fort simple. En effet, sans une telle exigence, toute personne qui, pour une raison ou une autre, souhaite ne pas verser de cotisations syndicales pourrait mettre sur pied un organisme religieux constitué d'une seule personne et l'appeler Église de Pierre, Jean, Jacques et obtenir une dispense. L'exigence d'enregistrement peut, dans son application, viser des Églises et des organismes religieux qui, en raison de l'interprétation qu'ils donnent aux Saintes Écritures, refusent de s'enregistrer comme l'exige la convention.

Le 27 juin 1985, en prévision des modifications proposées à l'égard du Code canadien du travail, le plaignant a présenté à l'employeur une dernière demande de dispense. Il a donné la dénomination de trois organismes de charité auxquels il souhaitait verser un montant égal aux cotisations syndicales. La preuve ne révèle pas si ces organismes de charité étaient enregistrés en application de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Le 16 août 1985, l'employeur a informé le plaignant que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui régit la négociation collective dans la fonction publique, ne renfermait pas de dispositions équivalentes à celles proposées à l'égard du Code canadien du travail et que, en raison du non-respect des conditions de dispense prévues dans la convention collective, le précompte des cotisations syndicales se poursuivrait.

Par la suite, le plaignant a présenté, en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les deux plaintes dont ce Tribunal est actuellement saisi.

CROYANCES RELIGIEUSES

Le plaignant a-t-il véritablement, sincèrement et légitimement d'authentiques croyances religieuses qui l'empêchent, en conscience, de faire une contribution financière à une organisation syndicale?

Le plaignant appartient-il à un organisme religieux dont la doctrine l'empêche, en conscience, de faire une contribution financière à une organisation syndicale?

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Les croyances religieuses personnelles du plaignant qui empêchent celui-ci, en conscience, de contribuer financièrement à une organisation syndicale correspondent-elles, à cet égard, à la doctrine de l'Église dont le plaignant est membre?

Le plaignant a témoigné que, à titre de membre de l'Église baptiste de Marathon, ses convictions et ses croyances religieuses l'empêchent, en conscience, d'appartenir ou de faire une contribution financière à une organisation syndicale.

Le plaignant a fait valoir que ses convictions découlent de trois principes issus des Saintes Écritures, et il a cité des passages de la Bible qui, selon lui, fondent ses croyances et renferment ces principes.

Le premier principe est la soumission à l'employeur, ce qui exige de l'employé qu'il obéisse à l'employeur en toute chose, sauf la désobéissance à Dieu. Le plaignant estime que, en règle générale, les syndicats ne considèrent pas la soumission à l'employeur comme un objectif à atteindre et que, en fait, ils s'opposent à de nombreux égards au principe de la soumission à l'employeur.

Le deuxième principe est celui de l'obéissance à l'employeur en symbiose avec ce dernier comme si l'employé était au service du Christ lui- même. Le plaignant estime que le fait de se joindre à une organisation qui s'oppose parfois à l'employeur empêche l'employé de s'acquitter de cette obligation que prévoient les Écritures.

Selon le troisième principe, le fidèle ne doit pas se trouver sous le joug d'athées. Le plaignant croit devoir éviter d'être lié par les décisions d'une organisation dont les membres ne partagent pas les mêmes croyances religieuses que lui et il estime que le fait d'appartenir ou de faire une contribution à un syndicat le lie de la sorte.

Le plaignant soutient que ses croyances religieuses personnelles correspondent aux principes religieux de l'Église baptiste de Marathon et qu'il a acquis ses croyances lors de discussions concernant ces principes et leur fondement biblique avec le pasteur et d'autres dirigeants de l'Église.

Le plaignant reconnaît que son opinion générale sur les syndicats ne date pas d'hier et que son fondement biblique ne lui est apparu qu'une fois qu'il est devenu chrétien et qu'il s'est mis à l'étude de la Bible. Il ressort du témoignage du plaignant que certaines de ses opinions, croyances et objections relatives à l'appartenance et à la contribution à un syndicat sont de nature séculaire ou sociale, et non religieuse. Le tribunal ne tient pas compte de ces opinions, croyances et objections pour statuer sur les croyances religieuses du plaignant quant à l'appartenance et à la contribution à un syndicat, telles qu'elles sont énoncées aux présentes.

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Le plaignant reconnaît que certains des objectifs et des activités du syndicat bénéficient aux employés, y compris le plaignant, et ne sont pas condamnables ni incompatibles avec ses croyances.

Le pasteur de l'Église baptiste de Marathon, le révérend David Allen Woodman, a témoigné que la doctrine de l'Église concernant l'appartenance et la contribution à un syndicat était celle énoncée par le plaignant et que, pour l'essentiel, la doctrine religieuse de l'Église et les croyances religieuses du plaignant étaient les mêmes à cet égard.

Le témoignage du plaignant et celui du pasteur permettent d'établir que le plaignant a véritablement et sincèrement d'authentiques croyances religieuses et qu'il est membre d'un organisme religieux dont la doctrine l'empêche, en conscience, de contribuer financièrement à une organisation syndicale et, en l'espèce, de consentir volontairement au précompte des cotisations que prévoit la convention collective, ce qui l'oblige à demander une dispense pour ce motif.

Selon les éléments de preuve présentés, les membres de l'Église ont, à la quasi-unanimité, adopté une position concernant leurs convictions religieuses à l'égard des syndicats, un pratiquant non encore membre ne partageant pas ce point de vue et ne considérant pas comme incompatibles la participation à des activités syndicales et celle à des activités religieuses au sein de l'Église dans l'éventualité où il deviendrait membre. Le pasteur a confirmé le fait qu'aucune sanction ou pénalité n'était prévue à cet égard. Cet élément n'a cependant pas pour effet de nier l'existence de la doctrine religieuse de l'Église ou des croyances religieuses du plaignant en la matière, ni de les modifier. Tout au plus, on peut conclure que le fait, pour un membre, de ne pas se conformer à la doctrine de l'Église n'entraîne pas, pour l'heure, une sanction ou une pénalité de la part de l'Église.

NON-ENREGISTREMENT DE L'ÉGLISE

Le fait que l'Église baptiste de Marathon ne soit pas enregistrée à titre d'organisme de charité en application de la Loi de l'impôt sur le revenu découle-t-il de la doctrine ou des principes religieux de l'Église et ces croyances religieuses sont-elles celles auxquelles le plaignant adhère à titre de membre de l'Église?

Le pasteur de l'Église baptiste de Marathon, le révérend David Allen Woodman, s'est établi à Marathon en 1970 à titre de pasteur de la mission baptiste Hiawatha, organisme missionnaire. Selon son témoignage, l'Église est régie, quant à ses activités, par ses propres statuts constitutifs, convention et articles de foi, et son serment de fidélité figure dans The London Baptist Confession of Faith of 1867 et dans le

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Keach's Catechism. Il a ajouté qu'en matière de foi et de pratique religieuse, l'Église s'en remet à la Bible.

L'Église dirige ses activités de manière indépendante, sous réserve des directives de la congrégation, et elle jouit d'une autonomie locale complète à l'exclusion de toute hiérarchie dirigeante et de toute association avec d'autres communautés religieuses, si ce n'est pour fraterniser.

L'Église a déjà été enregistrée comme organisme de charité en application de la Loi de l'impôt sur le revenu après avoir été conseillée en ce sens lors de sa venue au Canada à titre de mission établie aux États- Unis.

Avec le temps, l'Église en est venue à la conclusion qu'un tel enregistrement était inopportun, et par suite du vote unanime des membres de la congrégation, elle a demandé la révocation de son enregistrement. Voici les motifs alors invoqués :

  1. la volonté d'obtenir un reçu aux fins de l'impôt en échange d'un don à l'Église n'était pas jugée appropriée;
  2. l'un des principes théologiques de l'Église consiste en la séparation de l'Église et de l'État;
  3. en s'enregistrant, l'Église se soumettait volontairement à l'autorité de l'État et ce, à l'encontre de la doctrine de l'Église;
  4. au moyen de l'enregistrement, l'État pouvait s'immiscer dans les affaires de l'Église, y compris l'affectation de ses fonds;
  5. le non-respect des règlements relatifs au maintien de l'enregistrement pouvait entraîner la confiscation des biens de l'Église.

Dans son témoignage, le plaignant fait état de croyances semblables quant à la nécessité d'enregistrer l'Église à titre d'organisme de charité en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, étant donné l'interprétation qu'il donne à la doctrine religieuse de l'Église.

CAS PRIMA FACIE DE DISCRIMINATION

La convention collective liant l'employeur et le syndicat et régissant l'emploi du plaignant renferme un article qui prévoit le précompte des cotisations syndicales. Cet article exige, à titre de condition d'emploi, que l'employeur prélève le montant des cotisations syndicales sur la paie de tous les employés compris dans l'unité de négociation. L'employé qui convainc l'employeur 1) qu'il est membre d'un organisme religieux enregistré en application de la Loi de l'impôt sur le

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revenu, 2) que la doctrine de cet organisme l'empêche, en conscience, de contribuer financièrement à un syndicat et 3) qu'il fera une contribution d'un montant équivalent aux cotisations à un organisme de charité, est dispensé de l'application de cet article.

Existe-t-il un cas prima facie de discrimination découlant de l'application des dispositions susmentionnées de la convention collective à l'égard du plaignant?

J'ai déjà conclu, à partir des éléments de preuve présentés, à l'existence d'une religion authentique à laquelle le plaignant adhère véritablement.

Il ressort également de la preuve que le plaignant a adéquatement informé l'employeur de ses contraintes religieuses, une demande de dispense du précompte des cotisations ayant été faite peu après le début de l'emploi, après quoi un certain nombre de demandes se sont succédées au même effet, demandes auxquelles l'employeur a opposé un refus dans tous les cas, sauf une qui a été formulée à l'endroit du syndicat, mais qui a également été refusée.

Le plaignant a fait des efforts pour composer avec les besoins de l'employeur, dans la mesure du possible, sans devoir porter atteinte à ses croyances. Hormis celle relative à l'enregistrement, le plaignant a respecté toutes les exigences liées au dépôt de documents que prévoit la convention collective pour l'obtention d'une dispense du précompte des cotisations. Il a également fourni la dénomination de trois organismes de charité auxquels les fonds pouvaient être versés.

L'application, à l'égard du plaignant, des dispositions de la convention collective en matière de précompte des cotisations syndicales a donné lieu à un cas prima facie de discrimination.

En l'occurrence, l'exigence établie par l'art. 9.03, puis par l'art. M10.04, de la convention collective, voulant que l'employé qui, par ailleurs, a droit à une dispense de l'application des dispositions de la convention collective sur le précompte des cotisations doive également être membre d'un organisme de charité enregistré en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour obtenir la dispense, empêche le plaignant, dans les faits, de bénéficier d'une dispense et ce, pour un motif de distinction illicite, soit la religion. Le plaignant appartient à un organisme religieux dont la doctrine ne permet pas l'enregistrement. Les autres employés qui, par ailleurs, ont droit à la dispense et qui sont membres d'organismes religieux dont la doctrine permet l'enregistrement, ne subissent pas un tel préjudice.

Comme les dispositions relatives au précompte des cotisations constituent une condition d'emploi suivant la convention collective, la distinction établie entre les employés est exercée en cours d'emploi.

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Le tribunal doit, à cette étape-ci, prendre en considération le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans Alberta Human Rights Commission c. Central Alberta Dairy Pool, lequel constitue le plus récent arrêt faisant état des principes juridiques qui s'appliquent à l'égard des questions sur lesquelles le présent Tribunal est appelé à statuer.

Le jugement majoritaire prononcé par le juge Wilson dans Central Alberta Dairy Pool renvoie à un certain nombre d'arrêts de principe dont Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 R.C.S. 561, Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O'Malley (Vincent) c. Simpsons-Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, La ville de Saskatoon et autre c. La Saskatchewan Human Rights Commission et autre, [1989] 2 R.C.S. 1297, Caldwell c. Stuart et autres, [1984] 2 R.C.S. 603 et Commission des droits de la personne du Québec c. Ville de Brossard, [1988] 2 R.C.S. 279.

DISCRIMINATION DIRECTE OU DISCRIMINATION INDIRECTE

Le cas prima facie de discrimination en matière d'emploi dont le présent tribunal est saisi constitue-t-il un cas de discrimination directe ou indirecte?

Dans l'affaire O'Malley, le juge McIntyre précise la distinction à établir entre la discrimination directe et la discrimination indirecte, à la page 551 :

On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu'on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en matière d'emploi. A cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir. En l'espèce, il est évident que personne ne conteste que la discrimination directe de cette nature contrevient à la Loi. D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. Essentiellement pour les mêmes raisons qui sous-tendent la conclusion que l'intention d'établir une distinction n'est pas un élément nécessaire de la discrimination proscrite par le Code, je suis d'avis que cette Cour peut considérer que la discrimination

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par suite d'un effet préjudiciable, décrite dans les présents motifs, contrevient au Code. Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer.

Dans la présente affaire, les dispositions de la convention collective sur le précompte des cotisations n'établissent pas, à première vue, une discrimination fondée sur un motif de distinction illicite. En fait, les dispositions incriminées constituent, à première vue, une norme neutre qui s'applique également à tous les employés et qui exige, à titre de condition d'emploi, que les cotisations syndicales soient périodiquement prélevées sur la paie de tous les employés et versées au syndicat. L'employeur a adopté les dispositions de la convention collective concernant le précompte des cotisations syndicales pour de véritables raisons d'affaires, c.-à-d. dans le cadre d'une entente négociée avec le syndicat.

Par analogie, les conditions d'octroi d'une dispense établies par les dispositions de la convention collective concernant le précompte des cotisations syndicales et les exigences relatives à la dispense qui y sont prévues sont, à première vue, neutres et d'application générale, et il est improbable que, dans les faits, elles causent un préjudice aux employés de confession religieuse majoritaire. On peut également prétendre qu'il existe un motif d'affaires véritable pour l'adoption des normes en cause du fait que celles-ci facilitent le processus de détermination des employés qui ont droit à la dispense en évitant les longues procédures et la tenue d'un examen subjectif à cette fin. Ainsi, seul les membres de confession religieuse minoritaire subiraient un préjudice, comme c'est le cas, en l'espèce, d'un membre de l'Église baptiste de Marathon qui ne peut se conformer à l'exigence de l'enregistrement de l'organisme religieux en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, pour les motifs précédemment énoncés. Il en résulte des conséquences discriminatoires fondées sur le motif de distinction illicite qu'est la religion, pour un employé (ou, éventuellement, un groupe d'employés), étant donné que la norme prévoit, en raison des caractéristiques spéciales de l'employé, une condition restrictive qui ne s'applique pas aux autres employés. Nous sommes donc en présence, dans la présente affaire, d'une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous les membres de l'unité de négociation mais qui, dans les faits, est discriminatoire en ce qu'elle touche une personne, soit le plaignant, d'une manière non seulement différente par rapport aux autres, mais également préjudiciable.

EXIGENCES PROFESSIONNELLES JUSTIFIÉES

Voici le libellé de l'art. 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne :

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15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées.

Une fois qu'il est déterminé que la discrimination est indirecte et non directe, est-il nécessaire d'établir que les dispositions de la convention collective liant l'employeur et le syndicat, sur le précompte des cotisations syndicales, constituent des exigences professionnelles justifiées?

Non, ce n'est pas nécessaire. Si tel avait été le cas, j'aurais dû conclure que l'existence d'une exigence professionnelle justifiée n'a pas été établie en l'espèce, compte tenu des éléments suivants :

1) Le critère applicable à l'égard d'une exigence professionnelle justifiée, tel qu'il a été énoncé dans l'arrêt Etobicoke, est le suivant:

Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.

2) Les motifs exprimés par le juge Wilson dans Central Alberta Dairy Pool relativement au moyen de défense de l'exigence professionnelle justifiée invoqué dans l'arrêt Bhinder, sont les suivants :

J'estime, avec le recul, que la majorité de cette Cour s'est peut-être trompée en concluant que la règle du casque de sécurité était une EPN. Ce n'est pas que je sois en désaccord avec le critère énoncé dans l'arrêt Etobicoke ou que j'accepte la thèse des dissidents selon laquelle l'accommodement est une composante essentielle de l'EPN. L'opinion que j'exprime se fonde sur deux autres raisons.

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En premier lieu, la règle n'était pas, pour reprendre les termes utilisés dans Etobicoke, raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.

La deuxième raison qui me porte à remettre en question la justesse de l'arrêt Bhinder tient au postulat sous-jacent à l'opinion de la majorité comme à celle de la minorité, savoir que le moyen de défense de l'EPN s'applique dans les cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. A la réflexion, j'estime qu'il est possible que nous ayons commis une erreur en ne procédant pas à un examen critique de ce postulat.

Pour ces motifs, je suis d'avis que l'arrêt Bhinder est bien fondé lorsqu'il énonce que l'accommodement n'est pas un élément du critère de l'EPN et qu'une fois démontrée l'existence d'une EPN, l'employeur n'a pas d'obligation d'accommodement. En revanche, cet arrêt est mal fondé dans la mesure où il applique ce principe à un cas de discrimination indirecte. Il en résulte finalement que, lorsqu'une règle crée une discrimination directe, elle ne peut être justifiée que par une exception légale équivalente à une EPN, c'est-à-dire un moyen de défense qui envisage la règle dans sa totalité. (Je souligne au passage que les codes de droits de la personne au Canada contiennent tous une disposition d'exception fondée sur l'EPN.) Par contre, lorsqu'une règle crée une discrimination par suite d'un effet préjudiciable, il convient de confirmer la validité de cette règle dans son application générale et de se demander si l'employeur aurait pu composer avec l'employé lésé sans subir des contraintes excessives.

LIEN RATIONNEL ENTRE LA CONDITION (OU LA REGLE) ET L'EMPLOI

Dans Central Alberta Dairy Pool, le juge Wilson précise ce qui suit :

Il faut remarquer qu'il n'est pas essentiel que la règle de travail à laquelle s'applique l'obligation d'accommodement soit raisonnablement nécessaire, c'est-à-dire qu'elle soit une EPN.

Il importe seulement qu'elle soit une condition ou [...] une règle qui est raisonnablement liée à l'exécution des fonctions.

Compte tenu de mes conclusions sur les rôles respectifs de l'EPN et de l'obligation d'accommodement, il convient de se limiter en l'espèce à l'examen des critères permettant d'établir la défense d'accommodement. La règle avait-elle un lien rationnel avec l'exercice de l'emploi et, dans l'affirmative, l'employeur a-t-il

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composé avec l'employé tant qu'il n'en a pas résulté pour lui une contrainte excessive?

L'opinion du juge McIntyre dans l'arrêt O'Malley fournit certaines indications sur la façon de vérifier s'il existe un lien rationnel entre une règle donnée et l'emploi. A la page 551, il parle d'une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise....

OBLIGATION D'ACCOMMODEMENT

Dans O'Malley, le juge McIntyre donne le fondement des conséquences différentes qui résultent d'un jugement concluant à l'existence d'une discrimination directe par opposition à un jugement concluant à l'existence d'une discrimination indirecte (par suite d'un effet préjudiciable) (à la p. 552) :

La question ne se pose pas dans le cas de la discrimination directe. Lorsqu'une condition de travail ou d'emploi est jugée discriminatoire pour un motif prohibé et qu'elle ne satisfait à aucun critère de justification légale, elle est simplement annulée : voir l'affaire Etobicoke, précitée. Dans un cas de discrimination fondée sur la croyance et résultant de l'effet d'une condition ou d'une règle qui est raisonnablement liée à l'exécution des fonctions et qui n'est pas discriminatoire à première vue, un résultat différent s'ensuit. La règle ou la condition de travail n'est pas annulée, mais son effet sur le plaignant doit être étudié et si l'on veut mettre en application l'objet du Code ontarien des droits de la personne un accommodement quelconque s'impose de la part de l'employeur au profit du plaignant.

Il se prononce en outre sur l'obligation d'accommodement, à la p. 555 :

L'obligation dans le cas de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance, consiste à prendre des mesures raisonnables pour s'entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive : en d'autres mots, il s'agit de prendre les mesures qui peuvent être raisonnables pour s'entendre sans que cela n'entrave indûment l'exploitation de l'entreprise de l'employeur et ne lui impose des frais excessifs. Les cas comme celui-ci soulèvent une question très différente de celle que soulèvent les cas de discrimination directe. Lorsqu'on démontre l'existence de discrimination directe, l'employeur doit justifier la règle, si cela est possible en vertu de la loi en cause, sinon elle est annulée. Lorsqu'il y a discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la croyance, la règle ou la condition répréhensible ne sera pas nécessairement annulée. Elle subsistera dans la plupart des cas parce que son effet discriminatoire est limité à une personne ou à un groupe de personnes et que c'est son effet sur eux plutôt que sur l'ensemble des employés qui doit être examiné. Dans un tel cas,

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le problème de la justification ne se pose pas, car la condition raisonnablement liée à l'emploi n'a besoin d'aucune justification; ce qui est requis est une certaine mesure d'accommodement. L'employeur doit, à cette fin, prendre les mesures raisonnables qui seront susceptibles ou non de réaliser le plein accommodement. Cependant, lorsque ces mesures ne permettent pas d'atteindre complètement le but souhaité, le plaignant, en l'absence de concessions de sa propre part, comme l'acceptation en l'espèce d'un emploi à temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son emploi.

CONTRAINTE EXCESSIVE

Dans Central Alberta Dairy Pool, le juge Wilson se prononce de la manière suivante sur le concept de la contrainte excessive :

Pour ce qui est de la question de l'accommodement raisonnable, j'adopte les remarques qu'a faites le juge McIntyre à la p. 556 de l'arrêt O'Malley à l'égard de Mme O'Malley et je conclus que le plaignant était en l'espèce autorisé à pratiquer sa religion et à ne pas être forcé de travailler le lundi 4 avril 1983, contrairement à ses croyances religieuses. C'est à l'employeur qu'incombe le fardeau de prouver qu'il s'est efforcé de tenir compte des croyances religieuses du plaignant, dans la mesure où cela ne comportait pas une contrainte excessive.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de définir de façon exhaustive ce qu'il faut entendre par contrainte excessive mais j'estime qu'il peut être utile d'énumérer certains facteurs permettant de l'apprécier. J'adopte d'abord à cette fin les facteurs identifiés par la commission d'enquête en l'espèce - le coût financier, l'atteinte à la convention collective, le moral du personnel et l'interchangeabilité des effectifs et des installations. L'importance de l'exploitation de l'employeur peut jouer sur l'évaluation de ce qui représente un coût excessif ou sur la facilité avec laquelle les effectifs et les installations peuvent s'adapter aux circonstances. Lorsque la sécurité est en jeu, l'ampleur du risque et l'identité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents. Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats que l'on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l'employé de ne pas faire l'objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas.

CONCLUSIONS

Compte tenu des principes susmentionnés, le tribunal conclut que les dispositions de la convention collective sur le précompte des cotisations constituent une règle ou une condition ayant un lien rationnel avec l'emploi du plaignant du fait que ces dispositions constituent, aux termes de la convention collective, une condition d'emploi. Il s'agit d'une règle ou d'une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, c'est-à-dire d'un mécanisme sur lequel les parties se sont entendues pour le prélèvement de manière méthodique, économique et uniforme, des cotisations syndicales exigibles des membres compris dans l'unité de négociation. Les dispositions incriminées sont une condition d'emploi également applicable à tous les employés compris dans

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l'unité de négociation. Ces conclusions valent également pour les dispositions permettant l'octroi d'une dispense et faisant partie des exigences de précompte des cotisations que renferme la convention collective. Ces dispositions ne sont pas non plus, à première vue, discriminatoires.

La discrimination indirecte qui découle de l'application de ces dispositions, notamment de l'exigence voulant que l'Église à laquelle le demandeur appartient soit enregistrée en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour qu'une dispense puisse être obtenue, ne vise que les personnes de confession religieuse minoritaire qui ne peuvent satisfaire à l'exigence parce que l'enregistrement va à l'encontre de leurs convictions religieuses ou des principes théologiques de l'organisme religieux en cause. Membre de l'Église baptiste de Marathon, le plaignant se trouve précisément dans cette situation et, par conséquent, en raison de ses croyances religieuses et de celles de son Église, il subit un préjudice à cause d'une condition restrictive qui ne touche pas les autres membres de l'unité de négociation.

Dans un tel cas de discrimination indirecte fondée sur la religion, il incombe à l'employeur et au syndicat de prendre des mesures raisonnables pour composer avec les croyances religieuses du plaignant tant qu'il n'en résulte pas de contrainte excessive.

Il appartient à l'employeur et au syndicat d'établir qu'ils ont fait de tels efforts et ce, dans la mesure prévue. Or, en l'espèce, rien ne prouve que l'employeur ou le syndicat a pris de telles mesures raisonnables. Les deux intéressés s'en sont simplement tenus à la lettre des dispositions applicables de la convention collective, y compris la disposition incriminée, sans même envisager ou adopter de mesures ou de procédures raisonnables pouvant permettre au plaignant de les convaincre qu'il avait droit à une dispense du versement de cotisations au syndicat, pour un cas de conscience imputable à ses croyances religieuses.

L'obligation d'accommodement ne s'applique que tant qu'il n'en résulte pas de contrainte excessive et elle n'est pas illimitée.

Les facteurs comme le moral des autres employés, l'interchangeabilité des effectifs et des installations et la sécurité ne sont pas pertinents en l'espèce pour déterminer ce qui constitue une contrainte excessive.

Par contre, les facteurs comme le coût financier et l'atteinte à la convention collective doivent être pris en considération.

La question à laquelle il faut dès lors répondre est la suivante : Est-ce qu'une quelconque forme d'accommodement, raisonnable en soi et permettant au plaignant de convaincre l'employeur et le syndicat qu'il a droit à la dispense, porterait atteinte à la convention collective

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ou comporterait un coût financier élevé de manière à imposer une contrainte excessive?

Selon la preuve, il n'existe pas un nombre démesurément élevé de personne se trouvant dans la même situation que le plaignant de manière à obliger les intimés à engager des frais déraisonnables pour composer avec les convictions religieuses du plaignant ou celles d'autres personnes se trouvant dans la même situation. Bien au contraire, selon l'impression générale qui se dégage de la preuve prise dans son ensemble, des mesures d'accommodement pourraient n'être requises qu'à l'égard d'un très petit nombre ou d'une minorité de personnes, et peut-être même à l'égard d'une seule personne, le plaignant. Il en va de même pour toute modification procédurale donnant effet à un tel accommodement.

Ainsi, compte tenu de ce qui précède relativement au nombre de personnes pouvant être visées et à la procédure, des mesures d'accommodement pourraient être prises sans porter atteinte à la convention collective ni aux dispositions sur le précompte des cotisations qui y sont prévues, notamment de manière à causer une contrainte excessive.

En fait, de nombreux textes de loi qui ne s'appliquent pas à l'affaire dont le tribunal est saisi ni aux relations de travail en cause, prévoient déjà différentes formes d'accommodement; c'est le cas du Code canadien du travail, de la Loi sur la négociation collective des employés de la Couronne de l'Ontario et de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario.

En conséquence, je conclus que les plaintes sur lesquelles porte le présent examen sont fondées.

ORDONNANCE

Ce tribunal ordonne :

  1. Que l'employeur et le syndicat intimés mettent fin à l'acte discriminatoire commis à l'égard du plaignant.
  2. Que les exigences voulant que l'organisme religieux dont le plaignant est membre soit enregistré en application de la Loi de l'impôt sur le revenu et que le numéro d'enregistrement ainsi obtenu soit fourni pour que le plaignant puisse être dispensé de l'application des dispositions de la convention collective sur le précompte des cotisations, ne s'appliquent pas au plaignant.
  3. Afin que des actes discriminatoires comme ceux en cause ne se reproduisent plus, que les intimés prennent sans délai les mesures nécessaires pour modifier la convention collective de manière à supprimer les conséquences discriminatoires des dispositions de celle-ci sur le précompte des cotisations syndicales et ce, en consultation avec la Commission quant aux objectifs généraux de ces mesures.
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  5. Que, à partir de la date de la présente ordonnance jusqu'à la modification de la convention collective conformément au paragraphe 3 de la présente ordonnance, l'employeur prélève sur la paie du plaignant un montant équivalent à celui qu'il déduirait normalement à titre de cotisations syndicales, que pendant cette période, les fonds soient versés à un organisme de charité dont conviendront unanimement par écrit le plaignant, les intimés et la Commission, et que, faute d'entente entre les parties, les fonds soient déposés en fiducie dans un compte portant intérêt de l'employeur en vue de leur versement, avec l'intérêt couru, conformément aux dispositions applicables de la convention collective modifiée suivant le paragraphe 3 qui précède, une fois ces modifications effectuées.
  6. Que les intimés calculent le montant prélevé sur la paie du plaignant et versé au syndicat à titre de cotisations syndicales, depuis le 23 avril 1982 jusqu'à la date de la présente ordonnance, que le syndicat intimé, c.-à-d. la personne qui a touché la somme, la verse à l'organisme de charité désigné aux termes de l'entente unanime intervenue par écrit entre le plaignant, les intimés et la Commission, et, faute d'entente, que la somme soit déposée en fiducie dans un compte portant intérêt de l'employeur en vue de sa remise, avec l'intérêt couru, conformément aux dispositions applicables de la convention collective modifiée suivant le paragraphe 3 de la présente ordonnance, une fois ces modifications apportées.
  7. Que l'employeur intimé paie au plaignant la somme de cent soixante-dix-neuf dollars et soixante-quinze cents (179,75 $) à titre de remboursement de la moitié des frais juridiques engagés par suite de l'acte discriminatoire.
  8. Que le syndicat intimé paie au plaignant la somme de cent soixante-dix-neuf dollars et soixante-quinze cents (179,75 $) à titre de remboursement de la moitié des frais juridiques engagés par suite de l'acte discriminatoire.
  9. Que l'employeur intimé paie au plaignant la somme de cinq cents dollars (500 $) à titre d'indemnité pour le préjudice moral subi en raison de l'acte discriminatoire.
  10. Que le syndicat intimé paie au plaignant la somme de cinq cents dollars (500 $) pour le préjudice moral subi en raison de l'acte discriminatoire.

FAIT le 21e jour de mai 1991.

PETER L. BORTOLUSSI

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