Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 8/91 Décision rendue le 25 juin 1991

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (L.R.C. 1985, ch. H-6 et amendements)

DANS L'AFFAIRE d'une audience tenue devant un tribunal d'appel des droits de la personne constitué en vertu du paragraphe 56 (1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE

FRANCE GRAVEL

et

LUCIE CHAPDELAINE

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Appelantes

et

AIR CANADA

Intimée

et

L'ASSOCIATION CANADIENNE DES PILOTES DE LIGNES AÉRIENNES

Intervenante

DÉCISION DU TRIBUNAL D'APPEL

DEVANT: Me Maurice Bernatchez, président Dr. Maria Domaradzki, membre Dr. Demagna Koffi, membre

ONT COMPARU: Me Paula Laviolette et Me Diane Brais, procureurs des Appelantes Lucie Chapdelaine et France Gravel

Me Anne Trotier, pour l'Appelante la Commission canadienne des droits de la personne

Me Louise-Hélène Sénécal, pour l'Intimée Air Canada

Me Lila Stermer, pour l'Association canadienne des pilotes de lignes aériennes

Appel entendu à Montréal (Québec) du 21 au 23 août 1990, et les 17 et 18 septembre 1990.

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TABLE DES MATIERES

I CONSTITUTION DU TRIBUNAL

II LES FAITS

III LE DROIT

A) EMPLOI (INTÉGRATION) -VS- POSSIBILITÉ D'EMPLOI

B) LES DEMANDES DE NATURE FINANCIERE

C) LES DEMANDES RELATIVES A L'ANCIENNETÉ

D) LES DOMMAGES MORAUX

E) INTÉRET ET REQUETE EN SUSPENSION D'INTÉRET

a) La demande relativement aux intérêts

b) Requête en suspension d'intérêt

IV LES ORDONNANCES

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I CONSTITUTION DU TRIBUNAL

Le 13 août 1990, le président du Tribunal des droits de la personne constituait le présent tribunal (pièce T-2) aux fins d'entendre l'appel logé par les Appelantes France Gravel, Lucie Chapdelaine et La Commission des Droits de la Personne à l'encontre d'un jugement rendu par un Tribunal des droits de la personne conformément à l'article 53 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prononcé par Me Daniel H. Tingley le 23 octobre 1987. Ce jugement avait déclaré bien fondé les plaintes des Appelantes et qui avait accueilli en partie les demandes de nature financière (pertes de salaire) réclamées par les Appelantes, jugement qui par ailleurs refusait l'intégration réclamée des Appelantes comme pilote au sein de l'Intimée Air Canada, avec pleine ancienneté rétroactive à la date de l'acte discriminatoire.

L'appel fut entendu à Montréal les 21, 22 et 23 août 1990 et fut continué à Montréal les 17 et 18 septembre 1990 devant Me Maurice Bernatchez, Madame Maria Domaradzki et Monsieur Demagna Koffi.

POUVOIR DU TRIBUNAL

Les pouvoirs du Tribunal d'appel sont énumérés à l'article 56 de la Loi canadienne des droits de la personne (L.R. (1985), ch. H-6 et amendements) et plus particulièrement les alinéas 3, 4 et 5 de cet article, qui stipulent ce qui suit:

(3) Le tribunal d'appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

(4) Le tribunal d'appel entend l'appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l'ordonnance fait l'objet de l'appel et sur les observations des parties intéressées; mais il peut, s'il l'estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

(5) Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus à l'article 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l'objet des appels."

II LES FAITS

Succinctement, les faits non contestés par les parties peuvent se résumer comme suit:

1- L'Appelante France Gravel a déposé une demande d'emploi auprès de l'Intimée Air Canada en août 1978 en y indiquant comme grandeur: 5' et 7". A cette époque Air Canada avait comme exigence de grandeur minimale 5' et 6'' et c'est pourquoi, en date du 7

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décembre 1978 l'Intimée Air Canada avisait France Gravel, qu'elle ne pouvait considérer son offre d'emploi (pièce C-1). Quant à l'Appelante Lucie Chapdelaine, selon la preuve, celle-ci aurait déposé sa demande d'emploi en août 1979, et en raison de sa grandeur, elle recevait également une lettre du 26 octobre 1979 (pièce C-2) d'Air Canada à l'effet que sa candidature ne pouvait être retenue en raison des exigences d'Air Canada, quant à la grandeur minimale soit 5' et 6".

Subséquemment, les plaignantes ont déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, leurs plaintes (pièces C-3 et C-4) respectivement datées du 26 février 1980 et de septembre 1980. Par la suite, d'après la preuve, l'Intimée Air Canada fut mis au courant de ces plaintes qu'à la fin 1981. Toujours selon la preuve (notamment pièce D-4) Air Canada modifia au cours de l'année 1982 son exigence relativement à la grandeur. Suivant la pièce D-4, l'Intimée Air Canada acceptait de réduire avec l'assentiment de la Commission, son prérequis de 5' et 6 à 5' et 2 avec le tempérament suivant:

"que le (la) postulant (e), et ce de l'avis seul de Air Canada, devra pouvoir, en toute sécurité, opérer, manoeuvrer et piloter tout appareil de la Compagnie avec aisance et sans aucunes difficultés."

La preuve a également révélé que l'Intimée Air Canada avait invité au cours de l'année 1982 les Appelantes à postuler pour un emploi au sein de cette compagnie.

Il fut également mis en preuve qu'au cours de septembre 1985 (notamment pièce C-6) que les Appelantes furent invitées à une entrevue auprès de l'Intimée Air Canada. L'Appelante France Gravel ne s'est pas présentée à cette entrevue, alors que l'Appelante Lucie Chapdelaine s'y est présentée, mais par une lettre en date du 3 octobre 1985, Madame Chapdelaine avisait Air Canada qu'elle retirait sa candidature.

Le tribunal de première instance fut constitué en date du 16 avril 1986 (pièce D-7) et l'audition en première instance a débuté le 17 septembre 1986 pour se terminer le 1er avril 1987.

Comme susdit, la décision dont appel, fut rendue le 23 octobre 1987 et rendu public le 6 novembre 1987.

La Commission canadienne de droits de la personne, et France Gravel et Lucie Chapdelaine déposaient le 2 décembre 1987 un avis d'appel conformément à l'article 42.1 (ancienne numérotation) devenu l'article 55 de la nouvelle numérotation.

Les motifs indiqués à leur avis d'appel se lisent comme suit:

1- Le tribunal a erré en faits et en droit en n'accordant pas aux plaignantes les droits, chances ou avantages dont l'acte

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discriminatoire les a privées, à savoir:

i) Un emploi de pilote à Air Canada à la première occasion raisonnable;

ii) L'ancienneté rétroactive à la date de l'acte discriminatoire;

2- Le tribunal a erré en faits et en droit en réduisant les réclamations pour perte de salaire ainsi que les réclamations pour dépenses entraînées par l'acte discriminatoire."

Lors de la première journée d'audition devant le tribunal d'appel le 29 août 1988, les Appelantes Lucie Chapdelaine et France Gravel ont soumis oralement une requête pour présentation de nouveaux éléments de preuve et audition de témoins, requête visant à démontrer que les pertes pécuniaires qui leur avaient été causées par l'acte discriminatoire étaient supérieures à ce qui leur avait été accordé par le tribunal de première instance. Cette requête fut l'objet d'un jugement unanime du tribunal d'appel le 14 novembre 1988 qui a rejeté cette requête. Les Appelantes ont inscrit cette dernière décision en appel devant la Cour Fédérale d'appel conformément à l'article 28 de la Loi. Subséquemment et suite au dépôt d'une requête du Procureur général du Canada, l'appel ainsi logé fut rejeté par la Cour Fédérale d'appel, de telle sorte que le dossier est revenu devant le présent tribunal d'appel.

III LE DROIT

Les Appelantes, qui se sont fait représenter personnellement par procureurs devant le tribunal d'appel ont sollicité une demande de réouverture d'enquête pour preuve additionnelle, puisque selon elles, les documents D- 9 et D-11 auraient été produits à leur insu et d'autre part, les pertes pécuniaires réelles causées par l'acte discriminatoire aux Appelantes étaient selon leur prétention, respectivement de l'ordre de 361 316.00$ et de 345 706.00$.

La requête verbale pour réouverture d'enquête et pour la présentation de nouveaux éléments de preuve et audition de témoins présentée lors de l'ouverture de l'audition en appel a été l'objet d'un jugement préliminaire du président d'alors Me Gilles Mercure en date du 14 novembre 1988 et auquel ont souscrit entièrement les autres membres du tribunal. Le présent tribunal d'appel n'a pas l'intention de revenir sur cette question, puisqu'il l'endosse entièrement.

Par ailleurs, le présent tribunal d'appel entend discuter ci-après, de l'argumentation des Appelantes à l'effet que les pièces D-9 et D-11 ont été déposées à leur insu, de telle sorte, selon leur prétention, la règle audi alteram partem n'aurait pas été respectée.

Tout d'abord il y a lieu de rappeler l'article 50 (1) de la Loi qui stipule ce qui suit:

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"Le tribunal, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, examine l'objet de la plainte pour laquelle il a été constitué; il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations."

Pour des raisons qui leurs sont propre et que le présent tribunal n'a pas à commenter, les Appelantes n'ont pas jugé nécessaire en première instance de se faire représenter par procureurs. Ce qui était leur droit. Elles ont décidé de s'en remettre aux procureurs de la Commission. Elles ont certainement travaillé de concert avec la Commission, pour constituer leurs réclamations, apparaissant tant à la déclaration initiale du 21 novembre 1986, qu'à la déclaration amendée du 22 janvier 1987. Elles ont été présentes en tout temps, lors des représentations devant le tribunal de première instance de même, qu'à la quasi-conférence préparatoire tenue le 17 septembre 1986. (vol. 1 (a) des notes sténographiques de première instance page 3).

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Les Appelantes étaient également présentes, lors de l'audition du 3 février 1987 (vol. 3 page 155), lorsqu'il y a eu entente entre les parties sur l'établissement des salaires, qui auraient été gagnés par les Appelantes, n'eût été de l'acte discriminatoire. Les Appelantes étaient également présentes, lorsque fut déposée la pièce D-9 (audience du 3 février 1987 vol. 3 pages 188 et suivantes); elles étaient également présentes, lorsque les procureurs de la Commission ont sollicité de la part d'un témoin de l'Intimée, le dépôt d'un autre document, qui a été préparé subséquemment et déposé sous la cote D-11 et qui visait la période de 1978. Finalement, les plaignantes étaient présentes, lors des plaidoiries (vol. 5 audition du 13 mars 1987 page 332), où les procureurs de la Commission ont réitéré les admissions relativement aux salaires qu'auraient gagnés les Appelantes, si elles avaient été engagées par l'Intimée Air Canada, n'eût été de l'acte discriminatoire.

De tous ces faits, le tribunal d'appel n'a aucune hésitation pour conclure, que le principe de justice naturelle a été largement respecté et que les pièces D-9 et D-11 n'ont pas été produites à l'insu des plaignantes. Ces pièces n'ont pas été introduites proprio motu au dossier par les procureurs de l'Intimée Air Canada (Commission des affaires sociales -vs- Mouice Mess (1985 R.D.) 295, 302.

D'ailleurs, rappelons que l'audition en première instance a duré plus de cinq (5) jours et qui plus est, cette audition a été à plusieurs reprises ajournée; ce qui laissait largement aux Appelantes, le temps nécessaire en première instance de prendre connaissance des pièces D-9 et D-11, et de faire ou présenter une contre preuve pour démontrer que ces pièces D-9 et D-11 ne représentaient pas suffisamment et correctement leurs pertes de salaire.

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Pour ces raisons additionnelles, et celles mentionnées à la décision préliminaire du tribunal d'appel du 14 novembre 1988, le tribunal d'appel est d'opinion que le principe de justice naturelle a été respecté, de telle sorte que la demande de preuve complémentaire sollicitée par les Appelantes à nouveau devant le tribunal d'appel (notamment vol. 6 audience du 18 septembre 1990 tribunal d'appel page 855) est rejetée.

A) EMPLOI (INTÉGRATION) -VS- POSSIBILITÉ D'EMPLOI

Tel qu'il appert du dossier d'appel, seules les plaignantes, Lucie Chapdelaine et France Gravel et la Commission canadienne des droits de la personne ont interjeté appel de la décision rendue le 23 octobre 1987 par le Tribunal de première instance présidé par Monsieur Daniel Tingley. Cet avis d'appel déposé suivant l'article 42.1 de la loi (ancienne numérotation) devenu l'article 55 de la loi Canadienne des droits de la personne (chap. H-6 des lois refondues de 1985). Essentiellement l'avis d'appel est fondé sur le fait que le Tribunal de première instance n'aurait pas octroyé aux Appelantes, un emploi de pilote à Air Canada à la première occasion raisonnable, accompagné d'une ordonnance d'ancienneté rétroactive à la date de l'acte discriminatoire. Deuxièmement cet avis d'appel vise à rescinder la décision de première instance, qui a réduit les réclamations prouvées par les Appelantes pour pertes de salaire, ainsi que les réclamations pour dépenses occasionnées par l'acte discriminatoire dont elles furent l'objet.

De son côté l'Intimée Air Canada n'a pas inscrit en appel de cette décision. Bien au contraire, suivant les admissions des parties, devant le tribunal d'appel, Air Canada a fait parvenir à la Commission des droits de la personne, pour et au bénéfice des Appelantes les montants d'argent qu'Air Canada s'était vu ordonner de verser aux termes de la décision du 23 octobre 1987, dont appel.

Même si l'Intimée Air Canada n'a pas interjeté appel de la décision du Tribunal Tingley, il y a lieu, en raison des plaidoiries de ses procureurs de trancher immédiatement le débat: à savoir s'il s'agit d'un emploi ou plutôt une possibilité d'emploi, que les plaignantes se sont vues refuser par suite de la commission de l'acte discriminatoire que les Appelantes prétendent avoir été l'objet.

Il ne fait aucun doute dans l'esprit du présent tribunal d'appel, que les Appelantes ont été victimes d'un acte discriminatoire commis par l'Intimée Air Canada.

Sur ce point il y a lieu de reproduire le passage suivant du jugement, dont appel, et contenu à la page 14:

"Comme le tribunal l'a déjà fait remarquer plus haut (à la page 8), la ligne de conduite du mise en cause relativement à la taille des pilotes, bien qu'elle ait été neutre à première vue, avait pour effet dans son application d'interdire les postes de pilote à 82 p. 100 de toutes les femmes et à 11 p. 100 de tous les hommes du Canada âgés de 20 à 29 ans. Une proportion

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considérablement plus grande de femmes que d'hommes était donc ainsi lésée. L'on peut donc dire, dans ce contexte, que les femmes s'en trouvaient affectées différemment des hommes (Griggs -vs- Duke Power Co., 401 U.S. 424 (1971) décision approuvée dans l'affaire Simpsons Sears ci-dessus à la page 549.

Le tribunal conclut donc que les plaignantes ont établi l'existence jusqu'à preuve contraire, d'une discrimination fondée sur le sexe. Faisant fond sur cette constatation, il s'agit maintenant de déterminer si, oui ou non, le mis en cause avait des justifications pour imposer cette exigence quant à la taille aux candidats pilotes, entre 1979 et 1980..."

L'exigence de la grandeur de 5 pieds et 6 pouces comme condition d'embauche chez Air Canada l'Intimée, d'après la preuve de première instance, n'était pas justifiée au sens de l'arrêt Etobicoke. A cet effet, il y a lieu de citer le passage suivant de la décision de première instance (page 16):

"...En fait, l'avocat du mis en cause a reconnu qu'aucune tentative n'était faite pour établir une défense aux termes de l'article 14 (vol. 5 page 382).

Les exceptions à la règle générale doivent être interprétées de façon étroite. Le tribunal conclut, d'après les éléments de preuve déposés lors de l'audience et dont il a été question plus haut, que le mis en cause ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait de manière à satisfaire au critère objectif dans l'affaire Etobicoke. Si l'un ou l'autre des critères n'est pas respecté toute défense aux termes du paragraphe 14 (a) est irrecevable. De plus, le fait que le mis en cause ait modifié ses normes au cours du printemps de 1982 vient confirmer qu'aucune exigence professionnelle valide n'existe pour justifier que les pilotes doivent mesurer au moins 5 pi. et 6 po.."

Ceci étant dit, l'Intimée Air Canada a soutenu devant le tribunal d'appel que le jugement de première instance devait être confirmé; conséquemment, les ordonnances ayant pour but d'indemniser les Appelantes (pour des pertes de salaire) devraient être confirmées par le présent tribunal d'appel.

Suivant une telle argumentation, l'on serait tenté à prime à bord, de conclure que, si le tribunal de première instance a condamné l'Intimée Air Canada à payer ces indemnités, c'est qu'il estimait que les Appelantes avaient perdu un emploi et non une possibilité d'emploi. Si ce n'était qu'une possibilité d'emploi, le tribunal de première instance aurait comme dans l'affaire Frank Mc Creary, (C.H.R.R. vol.6 décision 408; février 1985 D/2512) ordonné à l'Intimée Air Canada, de remettre les plaignantes dans la même situation où les Appelantes étaient rendues, avant que l'Intimée n'avise les Appelantes, qu'il refusait leur candidature pour raison de

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grandeur (pièce C-1 et C-2). Dans la décision de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Mc Creary (numéro A-15-86) l'honorable juge Heald écrivait ce qui suit à la page 14 de son jugement:

"Le tribunal d'appel a commis une erreur en refusant de conclure que Mc Creary avait perdu en l'espèce son emploi de conducteur d'autobus et que l'ordonnance appropriée aurait dû exiger que Mc Creary obtienne un emploi à la première occasion raisonnable, sous réserve qu'il réponde aux conditions normales d'emploi et qu'il réussisse le programme de formation destiné aux conducteurs. Par conséquent, d'après la prétention de l'avocat, l'ordonnance concernant l'emploi aurait dû également lui accorder les droits d'ancienneté auxquels il aurait eu droit s'il avait été accepté en mai 1980.

Cette question a été traitée par Monsieur Kerr qui a déclaré ce qui suit (Case vol. 24 p. 3482 (traduction):

"Pour ce qui a trait au refus d'embaucher le plaignant, ce dernier a le droit d'être replacé dans la position dans laquelle il aurait été si la défenderesse n'avait pas appliqué sa politique restrictive à l'égard de l'âge d'embauchage... cela ne signifie pas qu'il a droit à une offre d'emploi, mais simplement à une possibilité de s'inscrire au programme de formation pour les nouveaux conducteurs."

L'avocat de Mc Creary a repris cet argument devant le tribunal d'appel. L'argument a de nouveau été rejeté pour les raisons exposées dans le paragraphe suivant (Case vol. 24 p. 3511 (traduction):

L'argument soumis repose sur un raisonnement spécieux. Ce qui a été refusé à M. Mc Creary, c'est la possibilité de s'inscrire au programme de formation, et non un emploi. Accorder à M. Mc Creary une possibilité qui ne lui était pas encore acquise constituerait un excès de juridiction de la part du tribunal d'appel, comme de la part du tribunal saisi de la plainte. On a refusé à M. Mc Creary la possibilité de s'inscrire au programme de formation de Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd, et de réussir ce programme. Ce droit lui a été reconnu par l'ordonnance de M. Kerr et ce tribunal d'appel n'est pas disposé à l'étendre."

Je souscris à l'opinion de M. Kerr exprimée ci-dessus. Je souscris également à la décision du tribunal d'appel de ne pas ajouter à l'ordonnance de M. Kerr."...

Or, devant le tribunal d'appel, l'Intimée Air Canada a soutenu que la décision de Monsieur Tingley n'a pas conclu expressément et déclaré que les Appelantes avaient perdu un emploi, de telle sorte, que le tribunal Tingley aurait indemnisé les appelantes sur la base d'une possibilité d'emploi. Air Canada soutient qu'au moment où l'acte discriminatoire a été causé, celle-ci avait reçu 1 200 demandes d'emploi alors qu'environ 525 ont été retenues, soit donc un pourcentage de 43.75% de probabilité d'emploi pour

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les plaignantes, ce qui selon l'Intimée, expliquerait la décision du tribunal Tingley accordant 40% des sommes réclamées par les Appelantes.

Pour soutenir son argumentation, l'Intimée Air Canada a référé à deux arrêts soit, l'arrêt Boucher -vs- Service Correctionnel du Canada (rapporté à vol. 9 C.H.R.R., D-4910 décision 766 de juillet 1988) ainsi que l'arrêt Szabo -vs- Atlas Employees Welland Credit Union (vol. 9 C.H.R.R. décision 738 de juin 1988 D/4735).

Sans nous prononcer sur le bien fondé de ces décisions quant à l'effet d'attribuer un pourcentage relativement à la probabilité d'obtenir un emploi dans le cours d'un processus d'embauche, nous considérons que ces deux décisions ne sont pas dans la présente affaire pertinentes.

Avec déférence, et contrairement à l'opinion de l'Intimée, de la lecture de la décision de première instance, il ressort que les plaignantes se sont vues refuser un emploi et non pas une possibilité d'emploi. Pour nous en convaincre, il s'agit de relire certains passages de la décision, dont appel et notamment à la page 11: Le mis en cause a refusé un emploi à Madame Gravel en décembre 1978. A ce moment, il venait d'entamer une campagne de recrutement qui allait se poursuivre jusqu'en 1980. Madame Chapdelaine a vu sa demande refusée vers le milieu de cette période d'embauche. Aucun pilote n'a été engagé par le mis en cause après 1980, jusqu'en décembre 1985. (Pièce I-3)

Plus loin à la page 22:

"En 1982 et en 1985, le mis en cause a cherché à prendre en considération les demandes d'emploi des plaignantes (voir à la page 10 ci-dessus). Pour cette raison, le tribunal n'ordonnera pas au mis en cause de répéter ce geste maintenant. Comme il a été dit plus haut (à la page 10), le tribunal est convaincu que ni l'une ni l'autre des plaignantes n'accepterait un emploi chez le mis en cause à moins que ne lui soient octroyés ses droits d'ancienneté avec effet rétroactif."

Il y a lieu également de reproduire la deuxième conclusion de l'ordonnance prononcée par le tribunal Tingley:

"Déclare que le mis en cause a perpetré des actes discriminatoires en refusant d'employer les plaignantes, pour un motif de discrimination illicite à savoir le sexe."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Il ressort donc implicitement, pour ne pas dire expressément, que le

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tribunal de première instance reconnaissait aux Appelantes le droit à ce poste. D'autre part, pourquoi, s'il ne s'agissait que d'une possibilité d'emploi, Air Canada l'Intimée n'a-t-elle pas en première instance tenté de faire une preuve statistique ou autre preuve tentant à démontrer qu'effectivement les plaignantes s'étaient vues refuser la possibilité d'un emploi plutôt qu'un emploi?

Par ailleurs relativement à cette argumentation de l'Intimée, il y a lieu de rappeler ce qu'écrivait le juge en chef Thurlow dans une décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Via Rail Canada Inc. -vs- Butterill et autres (1982 2 C.F. 830) et particulièrement à la page 844:

"A mon avis, la preuve de l'attitude des plaignants à subir avec succès l'examen de la vue mentionné dans l'ordonnance du tribunal des droits de la personne ne constituait pas un élément, qu'il leur incombait de prouver à l'appui de leur demande d'indemnité pour la perte de salaire subie par suite de l'acte discriminatoire. A mon avis, ils ont établi le bien-fondé de leur plainte lorsqu'ils ont prouvé qu'on avait refusé de les engager par suite d'un acte discriminatoire illégal."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Il y a lieu également de rappeler ce qu'écrivait le président Robinson dans l'affaire Morgan -vs- Les forces armées canadiennes (décision de première instance rapportée à vol. 10 C.H.R.R. décision 950 d'octobre 1989 D/6386 et suivantes) et notamment les paragraphes suivants (45226):

"Quelle différence y a-t-il entre se faire refuser un poste et de se faire refuser la possibilité de concourir pour un poste? Si le plaignant a fait le nécessaire pour poser sa candidature et que le rejet de sa demande repose uniquement sur un motif illicite de discrimination, il s'agit d'un déni d'emploi. Lorsque le plaignant est éliminé de toute concurrence avant que sa demande d'emploi ne soit considérée, cela constitue la perte d'une possibilité de concourir pour un poste, si cette discrimination est fondée, sur un motif illicite de discrimination."

Et plus loin au paragraphe 45234:

"D'après la preuve documentaire présentée dans cette affaire, la seule raison du rejet qui soit mentionnée aussi bien dans la décision communiquée par le quartier général au centre de recrutement de Victoria que dans la lettre envoyée au plaignant, est l'état de santé du plaignant. Les mis en cause n'ont déposé devant le présent tribunal aucun élément de preuve démontrant que le plaignant était incapable de remplir une exigence justifiée.

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Paragraphe 45235:

Les mis en cause ont déposé des pièces tendant à prouver que les demandes qu'elles avaient reçues au cours de l'année 1980 étaient environ trois fois plus nombreuses que les postes disponibles et qu'elles s'étaient donc trouvées dans l'impossibilité de les accepter toutes. Il a également été démontré en preuve qu'à l'époque où le plaignant a sollicité un réenrôlement, les Forces armées étaient surdotées en cuisiniers, en techniciens de véhicules et en conducteurs de matériel mobile de soutien.

Toutefois rien ne nous a été présenté pour démontrer que les mis en cause avaient rejeté la demande du plaignant parce que dans le cadre de la concurrence avec d'autres anciens membres du service, les compétences, l'instruction et les autres caractéristiques du plaignant avaient été jugées moins méritoires. Qui plus est, rien ne prouve que les mis en cause aient rejeté la demande du plaignant parce que tous les postes que celui-ci sollicitait étaient surdotés."

Et finalement au paragraphe 45237:

"Quant à toutes les raisons éventuelles de rejeter la demande du plaignant, si elles avaient réellement constitué un motif, la chose aurait certainement été consignée dans les documents et signifiée au plaignant. En l'absence de mention de ces raisons je dois conclure qu'à défaut de motif médical, les mis en cause auraient accepté la demande du plaignant en vue d'un réenrôlement..."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

De ces deux arrêts, il ressort qu'il incombait à Air Canada l'Intimée, de démontrer par des preuves statistiques ou autre, que nonobstant le critère de grandeur les Appelantes n'auraient pas et n'auraient pu obtenir les emplois recherchés. Selon l'opinion du présent tribunal, l'indication que 525 pilotes ont été engagés par rapport à 1 200 demandes reçues ne peut constituer à elle seule un motif démontrant que les plaignantes n'ont été l'objet que d'une possibilité d'emploi. L'intimée Air Canada aurait pu démontrer par exemple et non limitativement que les 525 pilotes engagés durant la période en cause avaient une expérience et/ou des qualifications supérieures à celles des plaignantes, de telle sorte que ces dernières n'auraient pu obtenir un des 525 postes attribués par l'intimée Air Canada durant cette période.

Une preuve quelconque de la part d'Air Canada démontrant l'existence de candidats plus qualifiés que les Appelantes, aurait contribué à diminuer la probabilité d'embaucher des Appelantes par rapport à la probabilité de 43.75% tel qu'argumenté devant le tribunal d'appel. Par ailleurs

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l'existence d'un quelconque candidat moins qualifié que les Appelantes aurait contribué à augmenter leur probabilité d'emploi. En terminant sur ce premier point (emploi -vs- possibilité d'emploi) il y a lieu de rappeler le passage suivant de l'avis de refus adressé par Air Canada à Madame France Gravel (Pièce C-1), extrait:

"...je garderai toujours un bon souvenir de cette entrevue et je suis convaicue qu'avec les qualités que vous possédez vous réussirez en tant que pilote."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Cette déclaration nous convainc d'autant plus, que n'eût été du critère de grandeur, les Appelantes auraient été engagées par l'Intimée Air Canada. Enfin, il y a lieu de rappeler l'admission de l'Intimée, par son procureur en première instance (vol 2 p. 70, audition du 2 février 1987:

"Me Marchand: Monsieur le président, il est admis par l'Intimée Air Canada que les postulantes avaient les conditions de base requises pour postuler pour un emploi à Air Canada.

Le président: A ce moment?

Me Marchand: Oui, évidemment sauf la grandeur."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Il nous apparaît donc évident qu'il s'agissait d'un emploi et non d'une possibilité d'emploi.

B) LES DEMANDES DE NATURE FINANCIERE

Tout d'abord, il y a lieu de rappeler que dans leur déclaration amendée (procédure assez inhabituelle devant un tribunal des droits de la personne) en date du 22 janvier 1987 l'Appelante France Gravel réclamait au paragraphe 20 la somme de 52 418.00$ pour perte de revenu, et au paragraphe 25 en ce qui concerne Lucie Chapdelaine la somme de 83 054.00$ à titre de perte de salaire.

Malgré les montants réclamés dans leur déclaration amendée les parties se sont entendues au cours de l'audience, (notamment celle du 3 février 1987 vol. 3 page 155 des notes sténographiques) sur l'établissement des salaires qui auraient été gagnés par les plaignantes dans l'hypothèse où les Appelantes (plaignantes) auraient été engagées, n'eût été de l'acte discriminatoire dont elles furent victimes. C'est donc suivant cette entente intervenue entre les procureurs des deux parties, que fut déposé de consentement les pièces D-9 et D-11; lesquelles représentent une moyenne des gains pour 22 pilotes engagés en octobre 1978 (pièce D-11) et au même

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effet la pièce D-9 pour 13 pilotes engagés à compter de 1980.

D'autre part, appelé à expliquer les montants réclamés et relativement à la demande de réouverture d'enquête dont il a été question lors de l'audition en appel du 29 août 1988, le procureur de la Commission (vol. 1 pages 74 et suivantes des notes) donne sa version et sa compréhension quant aux chiffres (pertes de salaire) utilisés par le président Tingley dans le jugement du 23 octobre 1987 et dont appel.

Essentiellement cette première journée d'audience devant le tribunal a été l'objet d'une demande de réouverture d'enquête, pour verser devant le tribunal d'appel une preuve additionnelle concernant les dommages qui, auraient été causés aux Appelantes en raison de l'acte discriminatoire reproché à l'Intimée Air Canada et avec demande d'audition de témoins en conséquence. Cette requête fut l'objet subséquemment d'un jugement préliminaire rendu le 14 novembre 1988 par Me Gilles Mercure qui a rejeté cette requête pour les motifs auxquels les autres membres du tribunal ont souscrit. Ce jugement préliminaire fut par la suite porté en appel devant la Cour Fédérale d'appel. La Cour d'appel fédérale, par un jugement unanime du 8 décembre 1989 rejetait l'appel logé suivant les dispositions de l'article 28 de la loi de la Cour fédérale par suite du dépôt d'une requête de la part du Procureur général du Canada. Le présent dossier fut donc retourné devant le tribunal d'appel. Entre temps, le président Me Gilles Mercure fut nommé juge à la Cour Supérieure, ce qui explique la nouvelle composition du présent tribunal d'appel.

Il n'est donc pas question pour le présent tribunal d'appel de revenir sur les objets dont a disposé le jugement préliminaire puisque ce jugement est fort bien motivé et lequel est endossé entièrement par les présents membres du tribunal. D'autant plus, que siégeant de nouveau comme tribunal d'appel, nous ne pouvons réviser cette décision, contrairement à ce que les procureurs des Appelantes ont tenté d'argumenter lors de la première journée d'audience devant le présent tribunal. D'ailleurs, au début de la présente décision, le tribunal s'est déjà prononcé sur cette demande de réouverture d'enquête réclamée de nouveau par les Appelantes Gravel et Chapdelaine.

Ceci étant précisé, il y a lieu d'étudier les motifs d'appel contenus dans l'avis d'appel du 2 décembre 1987 et plus précisément quant aux pertes monétaires. Essentiellement, les Appelantes prétendent que le jugement de première instance est mal fondé en faits et en droit, puisque selon les Appelantes le tribunal Tingley n'était aucunement justifié de diminuer de l'ordre de 60% les réclamations des Appelantes et par surcroit, les Appelantes soumettent que les motifs invoqués sont, selon leurs prétentions, manifestement déraisonnables et qu'ils constituent une erreur évidente et aux termes desquels, le présent tribunal d'appel doit intervenir de façon à leur attribuer et accorder 100% des sommes réclamées.

Leur prétention est à l'effet qu'une erreur déraisonnable commise dans l'appréciation des faits par un tribunal de première instance, habilite un tribunal d'appel à intervenir et à substituer ou modifier en conséquence le jugement. A cet effet, les Appelantes ont référé le présent tribunal au

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principe émis par l'affaire Stein et al c. Le Navire Kathy K, (1976) 2 R.C.S. 802, principe également repris à plusieurs occasions depuis, et dont par le juge Thurlow dans l'arrêt Breenan (1984) 2 C.F. 799, (C.A.) principe également repris par le juge Mac Guigan dans l'affaire Cashin 1988 3 C.F. 494.

Il y a donc lieu d'étudier les motifs invoqués par le tribunal Tingley pour accorder aux plaignantes 40% des sommes qu'elles réclamaient en première instance.

Les motifs invoqués par le président Tingley sont énoncés à la page 20 du jugement et nous citons:

"Compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, du fait que des mises à pied auraient pu survenir entre 1980 et 1984, et des autres aléas de la vie, le tribunal estime qu'il n'est pas déraisonnable de condamner le mis en cause à quarante pour cent (40 p.100) des sommes demandées par les plaignantes pour dommages-intérêts financiers. Pour madame Gravel cela représente 32 600.00$ et pour madame Chapdelaine 24 480.00$."

Quelles sont les autres circonstances de la présente affaire auxquelles il est référé? Le président Tingley en discute aux pages 18 et 19 et elles peuvent se résumer en cinq points. Tout d'abord il y a le processus d'embauche complexe dont il est question à la page 18, il y a également l'invitation adressée aux Appelantes en 1985 par l'Intimée. Il y a aussi la période qui existe entre les entrevues d'emploi et la période réelle d'embauche, qu'il évalue de 12 à 18 mois, quatrièmement le retard des plaignantes à déposer leurs plaintes et finalement le délai entre la plainte et l'avis adressé à l'Intimée Air Canada.

Il y a lieu immédiatement de retenir le passage suivant de la décision du tribunal Tingley à la page 20:

"...Bien entendu, tout cela reste du domaine des conjectures, mais c'est un raisonnement vraisemblable, d'après la conduite qu'a eue le mis en cause après avoir été avisé des plaintes en 1981."

(Le souligné est du présent tribunal)

Il y a lieu maintenant d'étudier un à un les motifs invoqués par le tribunal Tingley pour conclure qu'il était justifié de diminuer de 60% les montant réclamés.

Tout d'abord concernant le processus d'embauche complexe, auquel a référé le tribunal Tingley. Comme nous l'avons déjà largement souligné, le présent tribunal d'appel est d'avis que les Appelantes ont été privées en raison de l'acte discriminatoire reproché à Air Canada l'Intimée, non pas

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d'une possibilité d'emploi mais d'un emploi. Dès lors, il incombait à l'Intimée Air Canada de prouver: conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondérance des probabilités, (arrêt Etobicoke 1982 1 R.C.S. 202 p. 208) que les Appelantes n'auraient pas été embauchées en raison de la complexité du processus d'embauche, malgré l'acte discriminatoire commis. De l'opinion du présent tribunal, aucune preuve à cet effet n'a été versée en première instance par Air Canada. Il est vrai que les Appelantes n'avaient pas encore subi toutes les étapes du processus d'embauche avant de recevoir leurs refus (pièce C-1 et C-2). Il restait l'entrevue devant un groupe de trois à six pilotes, et également l'examen médical. Cependant, il y a lieu de rappeler, encore une fois, ce qu'écrivait l'honorable juge Thurlow dans l'affaire Via Rail Canada -vs- Butterill et autres (opere citatur) et notamment à la page 844:

"...A mon avis, ils ont établi le bien fondé de leur plaintes, lorsqu'ils ont prouvé qu'on avait refusé de les engager par suite d'un acte discriminatoire illégale."

C'est donc dire, qu'il n'incombait pas aux Appelantes de prouver qu'ils auraient eu l'emploi, mais il appartenait plutôt à l'Intimée Air Canada de démontrer que les Appelantes n'auraient pas traversé le processus d'embauche en raison de sa complexité. Cette preuve n'ayant pas été versée en première instance, cet argument ne pouvait donc servir pour diminuer les indemnités accordées aux Appelantes par le tribunal Tingley.

PERIODE D'EMBAUCHE DES APPELANTES FIXEE ENTRE 12 ET 18 MOIS APRES LEURS DEMANDES D'EMPLOI

Le président Tingley à la page 19 du jugement dont appel écrivait ce qui suit:

"Bien qu'il ne soit aucunement certain que les plaignantes auraient été embauchées par le mis en cause n'eut été des exigences relatives à la taille, le tribunal estime qu'étant donné leurs compétences et le fait qu'Air Canada avait besoin de pilotes entre 1978 et 1980, les plaignantes auraient probablement été embauchées de 12 à 18 mois après leurs demandes d'emploi respectives. Mme Gravel a présenté sa candidature en septembre 1978 (pièce D-1) et Mme Chapdelaine en octobre 1979 (pièce D-2)."

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Le tribunal Tingley évalue donc qu'une période de 12 à 18 mois se serait écoulée entre les demandes d'emploi des plaignantes (pièces D-1 et C-2) et la date effective de leur emploi:

Il est vrai que la preuve a démontré, qu'il restait aux Appelantes, deux (2) étapes à subir avant leur embauche (l'entrevue devant un groupe de 3 à 6 pilotes, l'examen médical et le cours de formation.)

De l'opinion du présent tribunal d'appel, il est déraisonnable de conclure qu'il se serait écoulé de 12 à 18 mois entre les demandes d'emploi et l'embauche réelle. En effet, la preuve a révélé (témoignage de France Gravel (vol. 2 notes sténographiques de première instance, audience du 2 février 1987 p. 76, et également le témoignage du commandant Pigeon vol. 4 p. 199-200-201, audience du 4 février 1987) qu'entre la fin 1977 et la fin de 1980, l'Intimée Air Canada a procédé à un programme massif d'embauche de pilotes (525 pilotes). Par ailleurs la preuve a révélé, que la plaignante France Gravel a déposé sa deuxième demande auprès d'Air Canada en août 1978 (pièce D-1) et elle a reçu son refus en décembre 1978 (pièce C-1). Quant à Lucie Chapdelaine, elle avait postulé auprès d'Air Canada en août 1979 et elle a reçu son avis de refus en octobre 1979 (pièce C-2).

Il est donc manifeste, que les Appelantes se sont vues refuser un emploi chez l'Intimée Air Canada durant la période massive du programme d'embauche de pilotes. Et rien ne justifiait le tribunal Tingley de conclure qu'il se serait écoulé de 12 à 18 mois entre la date des demandes d'emploi et leurs embauches réelles.

Certes, il est tout à fait concevable et vraissemblable, qu'une certaine période se serait écoulée entre les demandes d'emploi et leurs acceptations par Air Canada. Qu'il suffise de souligner le temps nécessaire à l'étude des dossiers des postulants (1,200 entre 1977 et 1980) puis par la suite le temps nécessaire à subir avec succès (4 à 6 semaines) le cours de formation et la date effective d'embauche (témoignage du commandant Servos p.161 des notes sténographiques vol. 3, audience du 3 février 1987 et celui du commandant Pigeon p. 210 et ss, vol. 4 audience du 4 février 1987).

Pour ces raisons le tribunal d'appel conclut, qu'il se serait écoulé une période maximale de 6 mois entre la date de demande d'emploi des plaignantes et la date effective de leur embauche, contrairement à la période de 12 à 18 mois prévue par le tribunal Tingley.

Conséquemment, pour la plaignante France Gravel, en considérant sa deuxième demande d'emploi (pièce D-1 datée du 21 août 1978), le tribunal d'appel estime au 1er mars 1979, la date où elle serait devenue à l'emploi de l'Intimée Air Canada. Pour ce qui est de la plaignante Lucie Chapdelaine, selon sa plainte (pièce C-4) et selon la correction relativement à l'année autorisée par le tribunal de première instance (vol. 3 p. 149 des notes sténographiques de l'audience du 3 février 1987) et également par déduction logique de la date de son refus par Air Canada en octobre 1979, (selon pièce C-2), sa demande d'emploi en date d'août 1979, le tribunal d'appel estime au 1er mars 1980, la date où elle serait devenue à l'emploi de l'Intimée Air Canada.

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Quant au motif de l'invitation faite par l'Intimée Air Canada en 1985, il nous apparaît évident que ce motif ne peut être retenu pour diminuer les pertes de salaires réclamées par les Appelantes. Cette invitation de 1985 ne peut servir de moyen pour réduire les dommages subis par les Appelantes avant cette invitation. Or, la preuve a révélé que les dommages (pertes de salaire) réclamés par les Appelantes à Air Canada l'Intimée et qui sont basés sur les pièces C-7 et D-11, ont été subis par les Appelantes avant l'invitation lancée par Air Canada en 1985 de telle sorte, que cet argument ne peut être retenu.

Un autre argument soulevé par le président Tingley est le défaut ou plutôt la négligence des Appelantes à déposer leur plainte, ce qui aurait pu selon le tribunal Tingley, permettre à l'Intimée Air Canada de réviser sa position et conséquemment diminuer les dommages des Appelantes. Avec déférence une telle situation demeure du domaine de la conjecture. De plus, il faut se rappeler que l'exigence de grandeur requise par Air Canada (5 pieds et 6 pouces) n'était aucunement fondée scientifiquement. A cet effet, il y a lieu de se référer à la page 16 du jugement du Tribunal Tingley, où celui-ci conclut de la preuve, et voir même de l'aveu de l'Intimée Air Canada, que l'exigence de la grandeur n'était pas justifié.

Bien au contraire, Air Canada l'Intimée n'a jamais reçu des fabricants de ses appareils une directive écrite à cet effet; alors que l'Intimée Air Canada savait ou devait savoir que les standards américains (pièce C-5 Airworthiness standards: Transports Category airplanes et le témoignage du commandant Pigeon vol. 4 p. 204-205 audition du 4 février 1981) exigeaient que les appareils fabriqués devaient permettre à des personnes de 5 p. et 2 pou. de les opérer. Il est vrai qu'une compagnie telle qu'Air Canada pouvait avoir des exigences plus sévères que les autres compagnies d'aviation ou celles de ministère des transport. Mais encore faut-il qu'Air Canada démontre par une preuve scientifique ou autrement la justification, la raison d'être, de cette exigence supérieure.

Le motif du délai indu

Quant à ce motif le tribunal Tingley écrit ce qui suit à la page 20 de la décision:

"La plainte de Mme Chapdelaine a été déposée environ six mois après l'acte discriminatoire. Cette période est largement inférieure au délai d'un an qu'impose l'alinéa 33 (b) (iv) de la Loi. Toutefois, le mis en cause n'a été prévenu que plus d'une année plus tard, soit dix-neuf mois après l'acte discriminatoire. En ce qui concerne Mme Gravel, sa plainte n'a été déposée que quinze mois après le rejet de sa demande d'emploi. Le délai d'un an a donc été dépassé. Le mis en cause n'a connu l'existence de la plainte de Mme Gravel que trente et un mois après l'acte discriminatoire. Ces périodes sont beaucoup trop longues et, de l'avis du tribunal, elles ont contribué à aggraver les préjudices subis par les plaignantes."

Avec déférence, nous ne pouvons accepter comme motif de diminution des

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pertes de salaire subies par les Appelantes, ce motif de délai.

D'une part la preuve de première instance a révélée que la véritable période d'embauche par Air Canada s'est déroulée entre 1978 et 1980. A partir de la fin de l'année 1980 jusqu'à 1985 pratiquement aucun autre emploi de pilote n'a été octroyé par Air Canada. Par ailleurs, le tribunal Tingley fait supporter uniquement aux victimes de l'acte discriminatoire, les Appelantes, les conséquences de cet acte dont Air Canada, l'Intimée est l'auteur. A plusieurs reprises, différents tribunaux des droits de la personne ont eu l'occasion de se prononcer quant au délai relativement au dépôt d'une plainte. On peut lire à cet effet l'arrêt Cashin et Commission canadienne des droits de la personne et Société Radio Canada, décision du 14 juin 1990 D.T. 7/90 où madame Susan M. Ashley qui présidait le tribunal écrivait ce qui suit à la page 22 et 23:

"Il est évident que si la Commission avait donné suite à la plainte en 1981, il aurait été possible d'éviter le délai de deux ans au cours duquel la plaignante a été obligée de demander à la Cour d'appel fédérale d'infirmer la décision de la Commission de ne pas donner suite à la plainte (ce que la Cour a fait). En théorie, si la Commission avait agi adéquatement à cet égard, un tribunal aurait été constitué et il aurait rendu sa décision deux ans plus tôt. L'argument de l'employeur voulant qu'il ne devrait pas être tenu responsable financièrement des retards provoqués par la Commission est convaincant. Par contre il serait injuste envers la plaignante d'exclure cette période du calcul de l'indemnité en raison d'événements sur lesquels elle n'avait aucun contrôle.

La Commission devrait assumer une certaine part de responsabilité pour ses actes à cet égard étant donné que ceux-ci ont des conséquences grâves à la fois pour la plaignante et pour l'intiméee. Toutefois, le pouvoir d'un tribunal d'accorder un dédommagement en vertu de la Loi se limite à ordonner (...) à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire (...)"

de prendre diverses mesures (paragraphe 41 (2).

Et plus loin Madame Ashley continue à la page 24:

"Bien que je comprenne la position de l'employeur sur cette question, celui-ci n'ayant pas plus de contrôle sur le retard que la plaignante, je m'oppose à l'idée d'exclure cette période des calculs car cela ferait assumer la responsabilité du délai par la partie innocente, c'est-à-dire la plaignante. Le délai de deux ans ayant mené à la constitution du tribunal était une conséquence directe de l'acte discriminatoire de l'intiméee. En outre, les retards dans une poursuite ne devraient pas échapper aux prévisions des parties à un différend de manière à avoir une incidence sur l'étendue de l'indemnité accordée."

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(Les soulignés sont du présent tribunal)

Il y a lieu également de citer l'affaire Morgan dans la décision du premier tribunal rapporté à vol. 10 C.H.R.R. décision 950 paragraphe 45214 à 45302 et particulièrement au paragraphe numéro 45247 qui se lit comme suit:

"Normalement, l'ordonnance d'indemnisation pour perte de salaire vise la période se terminant par l'audience du tribunal. En l'espèce, toutefois nous devons retenir certaines considérations. Le plaignant n'a déposer sa plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne que le 31 juillet 1983, soit plus de trois ans après la date à laquelle il a été informé que sa demande d'enrôlement avait été rejetée. En vertu de la Loi, le dépôt des plaintes n'est pas sujet à une limite de temps. Néanmoins, le fait que le plaignant ait laissé s'écouler un délai substantiel avant d'amorcer sa démarche doit peser dans la balance lorsqu'il s'agit d'évaluer l'indemnité pour pertes de salaire et si une ordonnance disposant que les mises en cause doivent offrir au plaignant le premier poste vacant est émise. Si, dans ces circonstances, l'on ne tenait pas compte du retard, les mises en cause seraient tenues de rémunérer le plaignant pour ses services pendant une longue période, sans avoir pu en tirer avantage. Il a fallu un certain temps au plaignant, après réception de la lettre annonçant le rejet de sa demande, pour réfléchir à sa situation, prendre des renseignements et consulter des experts. J'estime raisonnable d'attendre d'un plaignant qu'il dépose sa plainte dans un délai d'une année."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Or dans la présente affaire, tel que déjà mentionné, l'Appelante Lucie Chapdelaine a déposé sa plainte dans l'année du refus (pièce C-1) et conséquemment dans le délai prévu par l'article 41e) de la loi (nouvelle numérotation). Dans le cas de l'Appelante Gravel, celle-ci a déposé selon la preuve, sa plainte 15 mois après l'acte discriminatoire soit donc trois mois de retard aux termes de l'article 41 e) de la Loi.

Pour toutes ces raisons, le tribunal d'appel considère mal fondé en faits et en droit le motif du délai indu reproché par le président Tingley et qui a eu comme conséquence de diminuer la réclamation des plaignantes.

Un autre motif, retenu par le président Tingley pour diminuer à 40% les sommes réclamées par les Appelantes est que des mises à pied auraient pu survenir entre 1980 et 1984.

Nous sommes d'opinion que cet autre motif n'est pas bien fondé en faits et en droit. En effet aucune preuve n'a été versée au dossier de première instance de sorte que, si ce motif pouvait avoir des conséquences ou plutôt justifiait une diminution des dommages réclamés par les Appelantes, il

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incombait à l'Intimée Air Canada de prouver qu'entre 1980 et 1984, des mises à pied avaient été effectuées par cette dernière et que conséquemment, il était tout probable que les Appelantes, en raison du peu d'ancienneté dont elles auraient pu jouir à cette époque, auraient été l'objet de mises à pied.

Cette preuve n'ayant pas été versée devant le tribunal, il s'agit d'une erreur de droit révisable par le tribunal d'appel tel qu'il a déjà été décidé dans l'affaire Kotyk et Alary et la Commission canadienne d'emploi et émigration, (vol. 5 C.H.R.R. d/339 de février 1984 D/1895 et notamment au paragraphe 16276 où le tribunal référait à une décision anglaise dans l'affaire Watt or Thomas -vs-Thomas (1947) A.C. 484 p. 486 où il est écrit ce qui suit:

[TRADUCTION]

Je veux faire quelques observations sur les circonstances dans lesquelles une cour d'appel peut, à bon droit, être en désaccord avec le juge de première instance sur les faits... Mis à part les cas où la cour d'appel ne connaît que des questions de droit... elle a, bien entendu, compétence pour examiner le dossier afin de décider si la conclusion initialement tirée de la preuve doit être maintenue. Cependant, la cour doit exercer ce pouvoir avec circonspection. En l'absence de preuve pour appuyer une conclusion donnée (ce qui est vraiment une question de droit), la cour d'appel n'hésitera pas à trancher. Mais s'il est raisonnable de penser que la preuve, prise dans son ensemble, justifie la conclusion tirée en première instance et si surtout cette conclusion a été dégagée à la suite de l'audition par le tribunal des dépositions contradictoires des témoins, la cour d'appel n'oubliera pas qu'elle n'a pas eu la possibilité de les entendre et qu'en ce qui concerne la crédibilité des témoins, il faut accorder une grande importance à l'opinion du juge de première instance. Cela ne veut pas dire qu'on peut tenir le juge de première instance pour infaillible lorsqu'il décide quelle partie dit la vérité ou quelle partie ne commet aucune exagération. Comme d'autres tribunaux, il peut se tromper sur une question de fait, mais l'argument voulant que le juge de première instance qui apprécie un témoignage oral a l'avantage (que n'ont pas les cours d'appel) d'entendre les témoins et de voir comment ils rendent témoignage est fort convaincant.

Enfin le dernier motif, invoqué par le président Tingley pour diminuer la réclamation des Appelantes est des autres aléas de la vie. Ce dernier argument soulevé par le président Tingley est de notre avis un argument qui ne peut être mis de côté. Par définition aléa est un événement imprévisible, c'est le hasard. Dans la présente affaire existe-t-il quelque preuve, qui puisse permettre, d'envisager quelques événements imprévisibles?

De l'opinion du présent tribunal, certains faits permettent de conclure, qu'il existe dans la présente affaire des événements imprévisibles. A cet effet il y a lieu de se référer à la pièce C-9 document intitulé Airline

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pilot Air Canada en date du 4-77, lequel document contient une description des aptitudes fondamentales, des qualités personnelles et de la formation préalable exigées des candidats pilotes par la société Air Canada. (selon le tribunal Tingley p.18). D'ailleurs, le paragraphe suivant tiré de la pièce C-9 a été traduit de la façon suivante par le président Tingley:

"La concurrence entre les candidats risque d'être très serrée pour les prochaines années. La préférence est accordée aux pilotes possédant plus d'expérience; ceux qui n'ont pas rempli qu'un temps de vol minimal devront-être plus instruits."

Or, la preuve a révélé que les plaignantes au moment de leur demande d'emploi auprès d'Air Canada avaient peu d'expérience. Par ailleurs, comme nous l'avons déjà souligné, un aléa est un événement imprévisible. Or, même si les Appelantes avaient été engagées par Air Canada en l'absence de l'acte discriminatoire de cette dernière, il est possible que les Appelantes entre 1980 et 1984 auraient accepté un poste auprès d'une compagnie concurrente par exemple. On pourrait nous rétorquer, qu'il s'agirait alors d'une pure spéculation pour ne pas dire, de conjecture, mais n'est-ce pas de l'essence même des aléas de la vie?

Le procureur de la Commission, appelé à commenter l'affaire Cashin (décision du 14 juin 1990 déjà citée) a avoué devant le tribunal

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d'appel ce qui suit: (vol. 4 des notes sténographiques page 623, audience du tribunal d'appel du 23 août 1990).

"Pour disons comme vous le dites, ce que l'on appellerait les aléas de la vie et le pur exercice d'une discrétion c'est peut- être un peu plus vulnérable comme raison d'intervention. A ce niveau là vous avez raison. Je pense qu'il aurait été mieux de justifier de façon précise les motifs pour lesquels on refusait, mais dans l'affaire Cashin, vous avez raison, effectivement on a réduit du tiers la réclamation en tenant compte, ni plus ni moins, effectivement de ces aléas possibles de la vie."

A cela, il faut ajouter, le pouvoir large et discrétionnaire, qui est dévolu à un tribunal des droits de la personne en vertu de l'article 53 (2) sous paragraphe c) où il est dit:

"d'indemniser la victime de la totalité ou de la fraction qu'il juge indiquée des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Par ailleurs, cet argument invoqué par le président Tingley comme motif de diminution des montants réclamés par les Appelantes constitue-t-il à lui seul un motif raisonnable de diminuer leurs réclamations de l'ordre de 60%? Comme nous l'avons déjà mentionné les autres motifs invoqués par le président Tingley pour diminuer les pertes salariales subies par les Appelantes ne peuvent être retenus. Seul ce dernier argument relativement aux aléas de la vie est de l'avis du tribunal d'appel, un motif permettant une diminution des montants réclamés et en conséquence le présent tribunal d'appel conclut que le tribunal de première instance a commis une erreur manifeste en diminuant de 60% les montants réclamés par les Appelantes puisque seul, ce motif des aléas de la vie de l'opinion du présent tribunal dans la présente affaire justifiait une diminution.

Par conséquent, le présent tribunal se prévalant des dispositions de l'article 56 de la loi, intervient sur cette partie du jugement de première instance, et lui substitue son opinion, de telle sorte qu'il ordonne à l'Intimée Air Canada de payer 80% des sommes réclamées par les plaignantes pour dommages et intérêts financiers.

Procédons maintenant à établir les pertes de salaire encourues par les Appelantes selon la preuve établie en première instance, et notamment les pièces C-7 et D-11 et le témoignage de l'Appelante France Gravel en première instance (vol. 2 audience du 2 février 1987 première instance p. 76), et quant à l'Appelante Lucie Chapdelaine selon son témoignage versé en première instance (vol. 3, audience du 3 février 1987 p. 147) et la pièce D-9, et selon la compréhension du présent tribunal d'appel des chiffres utilisés par le président Tingley dans sa décision du 22 octobre 1987, et

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également suivant les explications fournies et non contestées des procureurs de la Commission devant le tribunal d'appel, lors de sa première journée d'audition soit le 29 août 1988 (vol. 1, tribunal d'appel p.37 et suivantes). Le présent tribunal d'appel établit les pertes de salaire subies par l'Appelante France Gravel à la somme de 65 928.11$, et à la somme de 48 986.40$ pour l'Appelante Lucie Chapdelaine, par suite de l'acte discriminatoire dont elles ont été victimes, le tout tel que plus amplement détaillé ci-après:

FRANCE GRAVEL

A partir des pièces D-11 et C-7 quant à France Gravel

Période d'indemnisation (pertinente à la présente) du 1er mars 1979 au 31 décembre 1984. (La preuve ayant révélé qu'à compter de 1985 les Appelantes ne subissaient plus comme tel, des pertes de salaire en raison de leur emploi chez Nordair).

A) Selon pièce C-7 revenu total de France Gravel pour 1979 = 13 054.00 $

Pour l'année 1979 1/6 de cette somme soit 2 175.67 $ doit être retenu comme salaire gagné avant la date d'embauche présumée par le tribunal d'appel soit le 1er mars 1979.

A partir de la pièce C-7, l'Appelante France Gravel a donc gagné les salaires suivants:

pour l'année 1979 5/6 de 13 054.00 $ = 10 878.33 $ pour l'année 1980 16 510.00 $ pour l'année 1981 19 595.00 $ pour l'année 1982 18 777.00 $ pour l'année 1983 20 118.00 $ pour l'année 1984 37 436.00 $ Grand total des revenus de France Gravel du 1er mars 1979 au 31 décembre 1984 123 314.33 $

B) Selon pièce D-11: (revenu moyen de 22 pilotes engagés en 1978) pour l'année 1979 5/6 de 14 148.00 $ (date présumée d'embauche 1er mars 1979) 11 790.00 $

pour l'année 1980 21 707.58 $ pour l'année 1981 33 299.97 $ pour l'année 1982 40 472.92 $ pour l'année 1983 42 228.50 $ pour l'année 1984 46 225.50 $

Total des salaires selon pièce D-11 pour la période pertinente 195 724.47 $

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C) Total des salaires selon pièce D-11 (195 724.47 $) - C-7 (123 314.33 $) = 72 410.14 $

D) Total de C (72 410.14 $) + le 10 000.00 $ représentant les avantages perdus et admis par les parties 82 410.14 $

E) Total de D (82 410.14 $) X 20% aleas de la vie soit 16 482.03 $ Pertes de salaire France Gravel entre le 1er mars 1979 et 31 décembre 1984 65 928.11 $

LUCIE CHAPDELAINE

A) Salaire déclaré selon son témoignage (p. 147 des notes sténographiques vol. 3 du 3 février 1987). Début de la période d'indemnisation estimé par le tribunal d'appel à compter du 1er mars 1980

pour l'année 1980 5/6 de 13 218.42 $ = 11 015.35 $ pour l'année 1981 10 270.21 $ pour l'année 1982 7 803.01 $ pour l'année 1983 19 811.29 $ pour l'année 1984 31 617.82 $

Grand total des salaires gagnés entre le 1er mars 1980 et le 31 décembre 1984 80 517.68 $

N.B. Salaire déclaré par la plaignante Chapdelaine pour 1985 (voir témoignage vol. 3, audience du 3 février 1987 p. 147) est supérieure à celui gagné par un pilote d'Air Canada pour cette même année 1985 selon pièce D-9

B) Selon pièce D-9 (salaire moyen gagné entre 1980 et 1986, par 13 pilotes d'Air Canada engagés en janvier 1980)

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pour l'année 1980 5/6 de 13 098.84 $ = 10 915.70 $ pour l'année 1981 22 422.01 $ pour l'année 1982 29 570.92 $ pour l'année 1983 33 018.23 $ pour l'année 1984 35 823.82 $

Total des salaires selon pièce D-9 pour période pertinente 131 750.68 $

C) Total des salaire selon pièce D-9 (131 750.68 $) - salaire déclaré par Lucie Chapdelaine (80 517.68 $) 51 233.00 $

D) Total de C (51 233.00 $) + 10 000.00 $ (avantages perdus et admis par les parties) 61 233.00 $

E) Total de D (61 233.00 $) - 20% aleas de la vie soit 12 246.60 $ Pertes de salaire de Lucie Chapdelaine entre le 1er mars 1980 et le 31 décembre 1984 48 986.40 $

C) LES DEMANDES RELATIVES A L'ANCIENNETE

Les Appelantes ont notamment inscrit le jugement de première instance en appel, puisque le premier tribunal avait conclu qu'il n'avait pas juridiction pour accorder une ordonnance octroyant une ancienneté de pilote aux plaignantes à la date de l'acte discriminatoire. Les Appelantes soutiennent que selon les dispositions des articles 52 et 53 de la loi, un tribunal des droits de la personne est habilité en raison des termes larges et utilisés octroyer une ordonnance visant l'ancienneté. Partant de ce principe, les Appelantes soutiennent que le tribunal de première instance a erré en droit, en refusant d'exercer sa juridiction de telle sorte, que le présent tribunal d'appel serait justifié d'intervenir. A cet effet, ils ont référé à l'arrêt Cashin -vs- Société Radio Canada (1988 3 F.C. 494) et notamment à la page 500 où l'honorable juge MacGuigan écrivait à la page 500 ce qui suit:

"Dans l'arrêt Brennan c. La Reine (1984) 2 C.F. 799 (C.A.) à la page 819, une décision qui a été infirmée par l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), (1987) 2 R.C.S. 84; 40 D.L.R. (4e édition) 577, pour des motifs étrangers aux premiers, le juge en chef Thurlow a écrit au nom de la majorité de cette Cour:

"Il ne fait aucun doute que dans une situation de ce genre où la preuve portée à la connaissance du tribunal d'appel est exactement la même que celle dont disposait le tribunal des droits de la personne, le premier doit, conformément aux principes bien connus, adoptés et appliqués dans Stein et als c. Le navire Kathy K (1976)

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2 R.C.S. 802, 62 D.L.R. (3 D.) 1), accorder tout le respect qui convient à l'opinion du tribunal des droits de la personne quant aux faits, en raison particulièrement de l'avantage qu'a eu ce dernier de pouvoir évaluer la crédibilité des témoins puisqu'il les a vus et entendus. Toutefois, cela dit, le tribunal d'appel avait néanmoins le devoir d'examiner la preuve et de substituer sa propre conclusion sur les faits et s'il était convaincu que la conclusion du tribunal des droits de la personne était entachée d'une erreur évidente ou manifeste."

Les Appelantes, tant la Commission Canadienne des Droits de la Personne que les Appelantes personnellement par leurs procureurs soutiennent qu'un tribunal des droits de la personne a juridiction et compétence afin d'ordonner à Air Canada d'offrir un poste de pilote aux Appelantes à la première occasion raisonnable, avec pleine ancienneté rétroactive à la date de la commission de l'acte discriminatoire reproché à Air Canada l'Intimée. Les Appelantes soutiennent que le tribunal de première instance a erré en droit, lorsqu'il déclare à la page 21 du jugement dont appel:

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"...Même si le tribunal était habilité à délivrer une ordonnance de cet ordre, mais il ne croit pas l'être, cela serait imprudent et peut-être préjudiciable..."

Avant d'étudier les autres motifs invoqués par le président du tribunal de première instance, qui militaient selon lui à refuser une telle ordonnance, abstraction faite de la question de compétence; il y a lieu de décider, si un tribunal des droits de la personne a ce pouvoir et cette compétence, et dans l'affirmative, de déterminer si un tribunal d'appel a juridiction aux termes de l'article 55 de la loi, pour rescinder un tel jugement.

Tout d'abord, il y a lieu de rappeler les pouvoirs d'un tribunal d'appel tel qu'édicté par l'article 56 (5) de la loi:

"Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus par l'article 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant objet des appels"

Il ressort donc qu'un tribunal d'appel a le pouvoir de substituer son opinion, si selon son avis, l'opinion du tribunal de première instance est entachée d'erreur de faits et de droit évidente dans l'appréciation des faits; le tribunal d'appel est d'autant plus justifié d'intervenir et de substituer son opinion, s'il s'agit d'une erreur de droit, alors que le tribunal de première instance avait le pouvoir d'accorder l'ordonnance d'ancienneté réclamée par les Appelantes.

En d'autres termes, nier sa propre juridiction et/ou compétence alors que l'on a ce pouvoir, constitue une erreur juridictionnelle, qui sans l'ombre d'un doute permet à un tribunal d'appel d'intervenir.

La loi canadienne sur les droits de la personne permet-elle ce genre d'ordonnance recherchée par les Appelantes tant en première instance que devant le présent tribunal d'appel? Il y a lieu de rappeler l'objet de cette loi prévu à l'article 2 et qui stipule ce qui suit:

"La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant: le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne grâciée ou la déficience. 1976-77, ch. 33 art. 2; 1980-81-82-83, ch. 143, art. 1 et 28."

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Il y a lieu également de rappeler les pouvoirs d'un tribunal des droits de la personne, quant aux différentes ordonnances, qu'il peut rendre aux termes de son enquête. A cet effet, il y a lieu de lire l'article 53 (2) qui stipule ce qui suit:

"(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire:

a) de mettre fin à l'acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment:...

b) d'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal l'acte l'a privée;

c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte;"...

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Par ailleurs, le paragraphe 4 de l'article 53 stipule ce qui suit:

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"Le tribunal qui, à l'issue de son enquête, juge fondée une plainte portant sur une déficience et estime que les locaux ou les installations de l'auteur de l'acte discriminatoire doivent être adaptés aux besoins des personnes atteintes de cette déficience:

a) soit rend une ordonnance d'adaptation en vertu du présent article qui, à son avis, n'entraîne aucune contrainte financière ou commerciale excessive et est indiquée;

b) soit, s'il ne peut rendre une telle ordonnance, fait les recommandations qu'il estime indiquées;

le tribunal ne peut toutefois rendre d'autres ordonnances que celle qui est prévue au présent paragraphe. 1976-77, ch. 33, art. 41; 1980-81-82-83, ch. 143, art. 20."

L'article 54 quant à lui stipule:

"(1) Le tribunal qui juge fondée une plainte tombant sous coup de l'article 13 ne peut rendre que l'ordonnance prévue à l'article 53 (2) a).

(2) L'ordonnance prévue au paragraphe 53 (2) ne peut exiger:

a) Le retrait d'un employé d'un poste qu'il a accepté de bonne foi;

b) L'expulsion de l'occupant de bonne foi de locaux, moyens d'hébergement ou logements. 1976-77 ch.33, art. 42."

Comme nous pouvons le constater à la lecture de ces articles, les pouvoirs dévolus à un tribunal des droits de la personne sont larges, vastes et puissants. A cet effet, il y a lieu de se référer aux termes puissants utilisés et employés par la Cour Suprême dans Action Travail des Femmes - vs- Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et als (1987 1 R.C.S. 1114 et l'affaire Bonnie Robichaud -vs- Sa Majesté La Reine (1987 2 R.C.S. 84 et suivantes) dans ces affaires, la Cour Suprême a émis les principes, qui doivent servir pour guider dans l'interprétation des dispositions de la loi canadienne sur les droits de la personne, non seulement sur des questions de responsabilité mais également en matière de compensation suite à la commission d'acte discriminatoire. L'honorable juge en chef Dickson dans l'arrêt A.T.F. écrivait à la page 1132 du jugement:

"...Le vrai litige porte uniquement sur la légalité de l'ordonnance réparatrice rendue par le tribunal des droits de la personne.

Je ne pense pas que l'on puisse répondre à la question soulevée

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dans le présent pourvoi au moyen d'une interprétation grammaticale et stricte de l'expression prévenir les actes semblables de l'article 41 (2) a), et ce pour au moins trois raisons. En premier lieu, une telle solution fait perdre tout son sens à la référence expresse au paragraphe 15 (1) que fait l'article 41 (2) a). Le paragraphe 15 (1) de la loi vise à protéger les programmes d'équité en matière d'emploi contre toute contestation pour le motif qu'il constitue de la discrimination à rebours. Si l'al. 41 (2) a) était interprété de façon à limiter la portée de ces programmes, aucun programme d'équité en matière d'emploi obligatoire et efficace ne pourrait-être mis en oeuvre dans quelques circonstances que ce soit et la garantie législative apportée au principe de l'équité en matière d'emploi se trouverait annulée. En deuxième lieu, en ne s'intéressant qu'à l'aspect limité des objectifs de l'al. 41 (2) a) lui-même, on oublie le but premier de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Pourtant, on ne nous a pas laissé dans l'incertitude quant à l'objet général de la Loi. Ses rédacteurs ont jugé bon d'inclure une déclaration d'intention expresse à l'art. 2: ...

En troisième lieu, la jurisprudence de cette Cour, dont une partie est postérieure à l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale en l'espèce, a une incidence directe sur l'issue du présent pourvoi. La Cour s'est prononcée sur l'attitude à adopter quand il s'agit d'interpréter des lois et des codes sur les droits de la personne...

On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet. Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se rappeler ce guide qu'offre la Loi d'interprétation fédérale lorsqu'elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets..."

Et plus loin l'honorable juge Dickson continue:

"Les objets de la loi sembleraient tout à fait évidents, compte tenu des termes puissants de l'art. 2. Pour que tous puissent avoir des chances égales d'épanouissement, la Loi cherche à interdire les considérations fondées notamment sur le sexe. C'est l'acte discriminatoire lui-même que l'on veut prévenir. La Loi n'a pas pour objet de punir la faute, mais bien de prévenir la discrimination."

Et plus loin l'honorable juge Dickson à la page 1136 rappelle les propos de l'honorable juge McIntyre dans cette affaire Simpsons-Sears qui avait rendu le jugement de la Cour à l'unanimité:

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"Ce n'est pas, à mon avis, une bonne solution que d'affirmer que, selon les règles d'interprétation bien établies, on ne peut prêter au Code un sens plus large que le sens le plus étroit que peuvent avoir les termes qui y sont employés. Les règles d'interprétation acceptées sont suffisamment souples pour permettre à la Cour de reconnaître, en interprétant un code des droits de la personne, la nature et l'objet spéciaux de ce texte législatif [...] et de lui donner une interprétation qui permettra de promouvoir ses fins générales. Une loi de ce genre est d'une nature spéciale. Elle n'est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d'une nature qui sort de l'ordinaire. Il appartient aux tribunaux d'en rechercher l'objet et de le mettre en application. Le Code vise la suppression de la discrimination."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

On peut lire également au même effet l'affaire Bonnie Robichaud (1987, 2 R.C.S. 84) où la Cour Suprême rappelle encore la façon dont doit être interprétée la loi canadienne des droits de la personne. Dans cette affaire, sous la plume de l'honorable juge La Forest la Cour Suprême à la page 89 s'exprimait comme suit:

"Comme le juge McIntyre l'a expliqué récemment, au nom de la Cour, dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., (1985) 2 R.C.S. 536, on doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous-tendent. Il s'agit là d'une tâche qui devrait être abordée non pas parcimonieusement mais d'une manière qui tienne compte de la nature spéciale d'une telle loi dont le juge McIntyre a dit qu'elle n'est pas vraiment de nature constitutionnelle; voir également Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, (1982) 2 R.C.S. 145, le juge Lamer, aux pp. 157 et 158."

Et plus loin l'honorable juge La Forest à la page 92 continue:

"Tout doute qui pourrait subsister à cet égard est complètement dissipé par la nature des redressements prévus pour donner effet aux principes et aux politiques énoncés dans la Loi. Cela est d'autant plus révélateur que la Loi, nous l'avons vu, ne vise pas à déterminer la faute ni à punir une conduite. Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer. Pour ce faire, il faut que les redressements soient efficaces et compatibles avec la nature quasi constitutionnelle des droits protégés."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

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En raison donc des termes de la Loi, et des principes émis par la Cour Suprême relativement à l'interprétation que doit recevoir la Loi canadienne des droits de la personne, et afin que les buts et objectifs de cette loi puissent être véritablement réalisés et considérant également les termes larges utilisés par l'article 53 quant aux mesures réparatrices qu'un tribunal des droits de la personne peut accorder et notamment et sans limiter la généralité de ce qui précède, des termes dont il est question au paragraphe 53 (2) b):

"...les droits, chances et/ou avantages dont..."

Pour toutes ces raisons, il apparaît évident au présent tribunal d'appel, qu'un tribunal des droits de la personne a compétence et le pouvoir dans l'hypothèse, où il trouve bien fondée une plainte dont il a la charge d'examiner, d'accorder entre autres, comme mesure réparatrice, une ordonnance visant l'ancienneté dont l'acte discriminatoire a privé la victime.

D'ailleurs, les Appelantes ont référé le présent tribunal d'appel à différentes décisions du tribunal des droits de la personne qui ont été rendues depuis le jugement dont appel et qui ont accordé l'ancienneté. A cet effet, on a fait référence à l'affaire Edwin Erickson -vs- Canadian Pacific Express and Transport Ltd (1987) 8 C.H.R.R., D. 3942, l'affaire Bhinder c. Canadien National (1981) 2 C.H.R.R., D. 546 décision rendue en vertu de la loi canadienne des droits de la personne, et également d'autres décisions provenant des différentes législations provinciales en matière des droits de la personne, Hamlyn c. Cominco Ltd. (1990) 11 C.H.R.R. D/333, Bhupinder Singh Dhaliwal c. B.C. Timber Ltd (1983) 4 C.H.R.R. D/1520, et Morley Rand -vs- Sealy Eastern Limited, (1982) 3 C.H.R.R. D/938.

Le tribunal d'appel ayant conclu donc qu'un tribunal des droits de la personne a juridiction et compétence pour octroyer une ordonnance d'ancienneté, il y a lieu maintenant d'étudier et d'analyser les autres motifs invoqués par le président du tribunal de première instance et qui selon lui militaient contre une telle ordonnance d'ancienneté.

Monsieur Tingley dans son jugement, dont appel, invoquait comme entre autre motif, de refuser l'ancienneté, abstraction faite de sa compétence générale, qu'une telle ordonnance dans la présente affaire aurait des effets sur un tiers, la Calpa, alors que l'auteur de l'acte discriminatoire reproché était Air Canada.

En effet, le tribunal Tingley écrivait à la page 20 ce qui suit:

"Avant tout, soulignons que le tribunal ne peut emettre une ordonnance aux termes des articles 4 et 41 que contre la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire."

Conséquemment, le tribunal Tingley a accepté la prétention de l'Intervenante la Calpa et l'Intimée Air Canada à l'effet que des pilotes à l'emploi d'Air Canada se verraient possiblement affectés par l'octroi d'un poste de pilote aux plaignantes, assortie d'une ordonnance d'ancienneté rétroactive, puisque ce faisant, une telle ordonnance pourrait être considérée comme étant émise contre eux. Le tribunal Tingley a fait référence à cet égard à l'arrêt Greyhound -vs- McCreary, 1986 C.H.R.R. vol. 7 par. 25911-25959, par. 25953.

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Avec déférence pour l'opinion contraire, nous sommes d'opinion d'une part qu'une telle conclusion ne peut être retenue. En effet, les Appelantes demandent qu'il soit ordonné à Air Canada, l'Intimée, de leur offrir un poste à la première occasion raisonnable, de sorte qu'il ne pourrait y avoir de mises-à-pied éventuelles des deux pilotes qui se trouveraient à la fin de la liste d'ancienneté négociée entre l'Intimée Air Canada et la Calpa. Mais il y a plus. La Cour Suprême dans l'affaire Bhinder et La Commission Canadienne des droits de la personne -vs- Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1985) 2 R.C.S. 561 et plus particulièrement à la page 589, sous la plume de l'honorable juge McIntyre:

"On a dit dans l'arrêt Etobicoke que selon le Code ontarien des droits de la personne, la non discrimination était la règle, la discrimination étant l'exception. Cela est également vrai en ce qui concerne la Loi canadienne des droits de la personne. Le tribunal a été d'avis qu'il fallait donner une interprétation libérale aux dispositions interdisant la discrimination et une interprétation étroite aux exceptions.

(Les soulignés sont du présent tribunal)

C'est donc dire qu'en vertu de cet arrêt, il y a lieu d'interpréter restrictivement toutes les exceptions qui viendraient contrecarrer les effets et les ordonnances, que peut rendre un tribunal des droits de la personne aux termes de l'article 53 de la loi. Les termes larges et libéraux utilisés par l'article 53 2 b):...les droits, chances ou avantages... ils réfèrent certainement à un rang sur une liste d'ancienneté et conséquemment un rang sur une liste d'ancienneté ne constitue pas un poste au sens de l'article 54 (2) b).

Nous sommes d'opinion qu'un rang sur une liste d'ancienneté ne constitue pas un poste au sens de l'art. 54 (2) a), bien que le rang de plusieurs pilotes inscrits sur la liste d'ancienneté pourrait être touché, au cas où une ordonnance, accordant un poste de pilote à la première occasion raisonnable était émise contre l'Intimée Air Canada, ordonnance assortie d'une conclusion additionnelle quant à l'ancienneté rétroactive à la date de l'acte discriminatoire.

Un autre motif invoqué par le tribunal Tingley pour refuser l'ordonnance d'ancienneté est qu'une telle ordonnance aurait certainement pour résultat de nuire aux droits et obligations contractuels et de négociation de la Calpa et de ses membres d'une part et de la Calpa et du mis en cause, d'autre part" (p. 21 du jugement du tribunal Tingley).

Hormis l'argumentation de la Calpa et de l'Intimée Air Canada à cet effet devant le tribunal d'appel, aucune preuve de faits n'a été déposée en première instance pour justifier le bien fondé de cette argumentation, par exemple, mise-à-pied, licenciement ou autre.

Par ailleurs, une telle argumentation fait fi du principe établi par la Cour Suprême dans l'affaire Bhinder -vs- C.N. (1985) 2 R.C.S page 561 et notamment à la page 574 où l'honorable juge Dickson écrit ce qui suit:

"...En fait, le tribunal a jugé que la législation fédérale est inopérante dans la mesure où elle est incompatible avec la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'estime que le tribunal a eu raison de tirer cette conclusion. Dans l'arrêt Winnipeg School Division no 1 -vs- Craton (1985) 2 R.C.S 150, cette Cour est arrivée à une conclusion semblable au sujet d'une disposition concernant la retraite obligatoire. Le

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juge McIntyre s'exprimant au nom de la Cour affirme à la page 156:

"L'article 50 de The Public Schools Act de 1980 ne saurait être considéré comme un texte ultérieur ayant pour effet de créer une exception aux dispositions de l'article 6 (1) de The Human Rights Act.

Quoi qu'il en soit je partage l'avis du juge en chef Monnin lorsqu'il dit:

"Une loi sur les droits de la personne est une loi d'application générale d'intérêt public et fondamentale. S'il y a conflit entre cette loi fondamentale et une autre loi particulière, à moins qu'une exception ne soit créée, la loi sur les droits de la personne doit prévaloir.

Cela est conforme au point de vue exprimé par le juge Lamer dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia -vs- Heerspink (1982) 2 R.C.S. 145. Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger ou encore de créer des exceptions à ces dispositions."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Par cet extrait, la Cour Suprême réitère le principe à l'effet que la Loi canadienne des droits de la personne a primauté sur tout autre texte législatif. A fortiori, la primauté de la Loi canadienne des droits de la personne doit avoir préséance sur des relations contractuelles.

Le tribunal de première instance a écrit ce qui suit à la page 21 du jugement dont appel:

"Dans la mesure où la Calpa et ses membres pilotes seraient négativement touchés, une telle ordonnance pourrait-être considérée comme étant émise contre eux (Greyhound Lines of Canada Limited et als c. McCreary et als (1986) C.H.R.R. volume 7 paragraphe 25911-25959, paragraphe 25953"

Comme nous l'avons déjà souligné, ce qui a été refusé par l'Intimée Air Canada est non pas une possibilité d'emploi mais un emploi. C'est donc dire

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que cette référence par le tribunal de première instance à l'arrêt Greyhound n'est pas pertinente. En effet le paragraphe auquel réfère le président Tingley dans l'affaire Greyhound précité stipule ce qui suit:

"Ce point de vue comporte une faille de taille. En effet, M. McCreary s'est vu refuser une demande d'inscription à un cours de formation et non pas une demande d'emploi. Il n'est ni de la compétence du tribunal d'appel, ni de celle du tribunal de première instance de redonner à M. McCreary une chance qu'il n'avait pas encore méritée. M. McCreary s'est vu refuser la possibilité de s'inscrire au programme de formation de la Eastern Canadian Greyhound Lines Ltd. L'ordonnance de Monsieur Kerr prévoyait que cette possibilité devait lui être offerte à la première occasion et cette ordonnance ne sera pas poussée plus loin par le tribunal d'appel."

Les faits de la présente affaire sont donc différents de l'affaire Greyhound Lines Ltd.

Par ailleurs, comme le présent tribunal l'a déjà invoqué, et souligné, toute exception à la Loi canadienne des droits de la personne doit être interprété restrictivement et qui plus est, la Loi canadienne des droits de la personne doit dans le contexte du droit de la personne recevoir préséance et primauté sur toute autre texte législatif (à moins d'exception expresse et explicite); il en est d'autant plus vrai en matière contractuelle.

Considérant que le tribunal de première instance avec compétence pour rendre une ordonnance d'intégration puisque les Appelantes ont été privées d'un poste et non pas d'une possibilité d'emploi; Considérant qu'en vertu des dispositions de la loi canadienne des droits de la personne, un tribunal ainsi formé, a le pouvoir et la compétence d'émettre une ordonnance visant à octroyer l'ancienneté aux victimes de la discrimination dont l'acte illicite les a privées;

Il y a lieu maintenant de décider, si cet octroi d'ancienneté constitue une mesure appropriée dans la présente affaire.

Le président Tingley à la page 21 écrivait ce qui suit:

"Abstraction faite de la question de la compétence, divers facteurs militent contre une ordonnance obligeant à l'embauche des plaignantes avec ancienneté remontant aux dates des actes discriminatoires. Ces facteurs sont notamment: le temps écoulé, le fait que le mis-en-cause et la Nordair n'emploient pas le même type de matériel, le fait que les lignes aériennes n'emploient pas toutes les mêmes techniques de formation, le temps qu'il faudrait nécessairement pour que les plaignantes se familiarisent avec les méthodes et le matériel du mis-en-cause et pour, d'une façon générale s'intégrer dans la structure d'Air Canada."

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(Le souligné est du présent tribunal)

Les procureurs des Appelantes ont soutenu devant le tribunal d'appel, que ces motifs invoqués étaient manifestement déraisonnables en regard de la preuve. Bien plus, les procureurs des Appelantes Gravel et Chapdelaine ont même souligné au tribunal d'appel, que ces motifs étaient limitatifs, de telle sorte que le présent tribunal ne pouvait ajouter et/ou substituer d'autres motifs que ceux invoqués par le tribunal Tingley.

Avec déférence, nous ne pouvons partager cette dernière argumentation et cela en raison de l'arrêt Kathy K déjà cité, auquel le juge MacGuigan référait dans l'affaire Cashin (1988) 3 F.C. 494 et particulièrement à la page 500.

Sans nous prononcer, outre mesure, sur les motifs invoqués par le tribunal Tingley, motifs que les Appelantes prétendent être mal fondés en faits et en droit, nous sommes d'opinion que l'ordonnance d'ancienneté recherchée par les Appelantes n'est pas un remède ou mesure approprié en regard de toutes les circonstances actuelles du dossier, et en regard des principes émis par la jurisprudence et notamment dans la décision du tribunal d'appel dans Forces Armées Canadiennes et Commission canadienne des droits de la personne et Richard Roderick Morgan, décision du 14 septembre 1990 rapportée à D.T. 10/90.

Rappelons que le présent tribunal a déjà conclu, que l'acte reproché à l'Intimée Air Canada par les Appelantes, a privé ces dernières d'un poste de pilote au sein de cette compagnie et non d'une possibilité d'un poste. Conséquemment en raison des pouvoirs conférés à un tribunal des droits de la personne en vertu de l'article 53 de la loi et notamment l'article 53 (2) b) de la loi celui-ci avait le pouvoir discrétionnaire d'ordonner l'intégration ou la réintégration des plaignantes. Par ailleurs le tribunal d'Appel a également ce pouvoir qui lui est reconnu par l'article 56 (5) qui stipule ce qui suit:

"Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus à l'article 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l'objet des appels."

Une jurisprudence abondante a déjà reconnu ce pouvoir d'intégration ou de réintégration, à titre d'exemple seulement, il y a lieu de se référer à la liste non exhaustive produite par les procureurs de la Commission canadienne des droits de la personne à cet effet devant le tribunal d'appel. D'autre part, tel que nous l'avons déjà souligné, le tribunal des droits de la personne peut également et a compétence pour accorder et ordonner dans des circonstances qui le permettent, les droits chances ou avantages dont de l'avis du tribunal l'acte discriminatoire l'a privé. Ces droits, chances ou avantages comprennent certainement l'ancienneté.

Dans la présente affaire l'ordonnance d'intégration des plaignantes assortie d'une ordonnance d'ancienneté rétroactive à l'acte discriminatoire sont-elles des ordonnances que les circonstances permettent? Sommes-nous

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dans des circonstances appropriées pour rendre de telles ordonnances?

Quant à l'ordonnance d'intégration des plaignantes au sein des pilotes de l'Intimée Air Canada, nous faisons nôtres, les commentaires suivants du président Tingley dans sa décision du 23 octobre 1987 à la page 22 et nous citons:

"Comme il a été dit plus haut (à la page 10), le tribunal est convaincu que ni l'une ni l'autre des plaignantes n'accepterait un emploi chez le mis en cause à moins que ne lui soient octroyés ses droits d'ancienneté avec effet rétroactif"

Cette conclusion du président Tingley est largement soutenue par les témoignages des plaignantes dont celui de Madame France Gravel (vol. 2 de l'audition du 2 février 1987 et particulièrement à la page 81) ainsi que celui de Madame Lucie Chapdelaine (vol. 3 de l'audience du 3 février 1987 et notamment aux pages 147 et 148 des notes sténographiques).

Cette conclusion du président Tingley à l'effet que les plaignantes refuseraient un emploi chez le mis en cause Air Canada, à moins que cette ordonnance ne soit assortie d'une ordonnance d'ancienneté rétroactive à la date de l'acte discriminatoire a également été confirmée par les procureurs de la Commission lors de l'audition devant le présent tribunal. (vol. numéro 6 de l'audience du 18 septembre 1990 devant le tribunal d'appel et notamment à la page 914 et 915 des notes sténographiques).

Cette conclusion de faits par le tribunal de première instance justifiait ce dernier, de ne pas ordonner, dans sa décision, d'offrir un poste de pilote aux plaignantes à la première occasion raisonnable. Par conséquent, le présent tribunal d'appel n'a pas l'intention de pousser plus loin l'argument des Appelantes contenu au paragraphe 1 du sous-paragraphe i) de leur avis d'appel du 2 décembre 1987, à moins que le présent tribunal arrive à la conclusion que la demande d'ancienneté sollicitée par les Appelantes au paragraphe 1 sous-paragraphe i) de leur avis d'appel ne leur soit accordée.

Essentiellement il s'agit donc de déterminer si les circonstances actuelles du présent dossier justifient et permettent d'accorder l'ancienneté.

A cet effet, le présent tribunal endosse l'opinion du président Normand Fetterley (la décision minoritaire quant à la question de l'indemnisation et des pertes de salaire) dans l'affaire Forces armées canadiennes et Commission Canadienne des Droits de la Personne et Richard Roderick Morgan et notamment aux pages 73 et suivantes et nous citons:

"Il est important de souligner que les alinéas a) et b) sont discrétionnaires et, d'après mon interprétation, ne s'excluent pas mutuellement et ne dépendent pas l'un de l'autre. En d'autres termes, la Loi n'apporte aucune limite à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Il peut ordonner l'une ou l'autre des mesures correctives prévues à ces alinéas ou les

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deux, selon les circonstances de l'affaire. A titre d'exemple, disons que lorsqu'un demandeur sollicite l'exécution intégrale d'un contrat, le tribunal peut refuser ce redressement mais accueillir une demande subsidiaire de dommages-intérêts. Il n'accordera pour ainsi dire jamais les deux. Lorsque les dommages-intérêts sont accordés, le principe restitutio in integrum est invoqué et appliqué."...

Dans l'affaire Rosanna Torres -vs- Royalty Kitchenware Limited et al., (1982) 3 C.H.R.R. d/858 (tribunal des droits de la personne de l'Ontario), le professeur Cummings a procédé à un examen exhaustif de l'évolution de la législation applicable en matière des droits de la personne ainsi que des décisions rendues par la commission d'enquête au Canada. Son analyse des affaires Butterhill Foreman et autres contre Via Rail, 1 C.H.R.R. d/233 (tribunal d'appel) et Albermarle Paper Co. -vs- Moody 422 U.S. 405,45 L.E.D. (2e édition) 280 (1975), l'a amené à conclure que (traduction) la décision d'accorder des dommages-intérêts ne devrait pas être entièrement discrétionnaire (voir le paragraphe 7720).

Commentant la réintégration il affirme par contre:

(traduction)

"Une autre sorte d'ordonnance qui est parfois rendue pour obtenir une exécution complète (ou pour corriger tout préjudice) est la réintégration d'un employé qui a été congédié pour un motif discriminatoire. Les tribunaux rendent rarement de telles ordonnances et ce, pour des motifs évidents; néanmoins, elles sont indiquées dans certains cas où on désire obtenir une exécution immédiate quant au fond."

Je conclus de ces commentaires qu'une indemnité devrait-être accordée plus ou moins automatiquement dès que l'on décide qu'il y a discrimination. Par contre, la réintégration est une mesure corrective purement discrétionnaire que les tribunaux accordent rarement, sauf lorsqu'ils estiment qu'il est indiqué de le faire.

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Le tribunal Tingley a pour sa part considéré que l'intégration des Appelantes avec ordonnance d'ancienneté rétroactive à l'acte discriminatoire n'était pas selon lui appropriée dans la présente affaire, tel qu'il l'indique à la page 21. Le tribunal Tingley y indique, notamment différentes raisons, qui selon le présent tribunal d'appel ne sont aucunement limitatives et exhaustives.

Le présent tribunal d'appel, sans se prononcer sur les motifs invoqués par

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le tribunal Tingley, estime que d'autres motifs, tant à la lecture des notes sténographiques de première instance, ainsi que de la jurisprudence en matière des droits de la personne rendue depuis la décision du tribunal Tingley, justifiaient largement le tribunal Tingley de ne pas accorder la demande d'ancienneté recherchée par les Appelantes.

Tout d'abord, les Appelantes depuis les actes discriminatoires dont elles ont été victimes de la part de l'Intimée Air Canada en 1979 et 1980, ont pu réaliser leur plan de carrière, soit de devenir pilote pour une compagnie aérienne. Par surcroît, devenir à compter de 1983, pilote au sein d'une compagnie concurrente de l'Intimée Air Canada, soit Nordair devenue subséquemment Canadien Pacific. Bien plus la plaignante France Gravel pour sa part est devenue entre 1983 et le 2 février 1987 date de son témoignage en première instance, premier officier sur un Boeing 737 pour la compagnie Canadien Pacific (témoignage de France Gravel page 49 volume 2 des notes sténographiques de première instance du 2 février 1987). Pour sa part, la plaignante Lucie Chapdelaine a été embauchée par la compagnie Nordair en 1983 et est devenue entre cette période et le 3 février 1987 premier officier pour Canadien Pacific sur un Boeing 737 (voir son témoignage, première instance volume 3 du 3 février 1987 page 136). En fait, les plaignantes ont réalisé depuis l'acte discriminatoire dont elles ont été victimes de la part de Air Canada, leur rêve de devenir pilote, et ont obtenu un emploi comparable. Contrairement à l'affaire Morgan, où ce dernier, malgré ses démarches n'avait pu obtenir un emploi comparable à celui qu'il recherchait au sein des forces armées canadiennes de telle sorte que son plan de carrière, axé principalement sur le fait de devenir membre des forces armées canadiennes n'avait pu être réalisé.

Non seulement, la preuve de première instance a révélé que les plaignantes ont, à tout le moins, depuis 1983, réalisé leur rêve de devenir pilote, mais encore les Appelantes ont acquis de l'ancienneté depuis janvier 1983 auprès de Nordair devenue Canadien Pacific, de telle sorte qu'elles jouissent auprès de cette compagnie aujourd'hui, d'au moins 7 années d'ancienneté. C'est donc dire qu'à compter de 1983, les droits, chances ou avantages dont les appelantes ont été privées par l'acte discriminatoire, s'estompent en partie à compter de cette date. Or, il y a lieu de souligner le passage suivant de l'opinion minoritaire de M. Fetterly dans l'affaire Morgan que le présent tribunal d'Appel fait sien à la page 91:

"Hormis les adjudications de dommages-intérêts lorsque la victime subit un préjudice physique ou mental permanent comme c'est le cas dans les réclamations relatives à des blessures corporelles, il me semble qu'on arrive à un stade où la logique exige que la victime d'un acte discriminatoire assume son bien-être et où l'obligation d'atténuer les dommages-intérêts l'emporte sur toutes les autres considérations. C'est là l'envers de la médaille: l'auteur du dommage ne peut-être tenu responsable que des pertes subies, qu'une personne prudente et diligente s'étant posée la question peut raisonnablement prévoir. L'application de ce principe ne devrait pas amoindrir le caractère réparateur de loi ni faire obstacle à la réalisation de ces objets."

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(Les soulignés sont du présent tribunal)

Il est vrai que cette opinion de Monsieur Fetterly dans l'affaire Morgan est l'opinion minoritaire et par surcroît, ce passage a été rendu dans la partie de la décision relativement à l'indemnisation des pertes de salaire. Cependant de l'avis du présent tribunal, il s'agit d'une circonstance qui milite en faveur du refus d'accorder l'ancienneté dans la présente affaire. En effet, selon le présent tribunal, il faut que l'effet d'un acte discriminatoire prenne fin un jour. Comme le soulignait le procureur de la Commission des droits de la personne devant le tribunal d'appel à la page 900 des notes sténographiques:

"Donc, vient un temps où la vie étant ce qu'elle est, on ne peut pas pleurer toujours, la vie continue, on refait sa vie, on ne peut pas subir toute sa vie des échecs aussi sérieux et aussi graves soient-ils.

Ceci dit, on peut en subir longtemps des dommages, c'est évident. Ils peuvent être très importants. Tout ça est une question de faits. En termes monétaires ça s'apprécie, combien on a eu et combien on aurait eu et tout ça, mais je veux dire les conséquences d'un acte discriminatoire doivent un jour s'estomper.

C'est en tout cas ce que nous dit le tribunal d'appel. Tout ça est une question de faits, tout ça est une question de circonstances, tout ça est une question de gravité, tout ça est à la discrétion du tribunal de soupeser les événements et par conséquent le jour où l'individu se remet sur pieds ou aurait du se remettre sur pieds, et bien on considérera que les conséquences sont terminées, les conséquences compensables si vous voulez."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Une autre circonstance, qui milite en faveur du refus d'octroyer l'ancienneté est et serait en quelque sorte l'impossibilité ou plutôt l'arbitraire d'octroyer aux plaignantes, le rang qu'elles auraient sur la liste d'ancienneté, n'eût été de l'acte discriminatoire dont elles ont été victimes. D'ailleurs, le tribunal Tingley à la page 11 de la décision dont appel, en ce qui regarde la plaignante France Gravel évalue que celle-ci se trouverait environ à la position 1 377 sur la liste si celle-ci avait été embauchée la journée où sa demande a été rejetée. D'autre part, le président Tingley évalue en ce qui regarde à la plaignante Lucie Chapdelaine, que cette dernière occuperait environ la position 1 684 sur la liste d'ancienneté d'Air Canada à la date où sa demande d'emploi a été rejetée soit le 26 octobre 1979. Or, l'utilisation du mot environ démontre clairement que l'attribution de ces deux rangs d'ancienneté est

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arbitraire et par surcroît aléatoire. D'autant plus arbitraire puisque, comme le soulignait le capitaine Pigeon dans son témoignage, l'attribution d'un rang d'ancienneté est déterminé au moment où les postulants ont réussi leurs examens de formation de sorte que dans l'hypothèse où plusieurs postulants ont réussi cette étape, l'attribution d'un rang sur la liste d'ancienneté est attribuée par ordre des résultats, de ces postulants. Or, les Appelantes n'ont jamais passé cette étape, laquelle pourrait nous permettre d'attribuer un rang plus réaliste aux plaignantes sur la liste d'ancienneté. Donc en l'absence de cette étape, attribuer un rang sur la liste d'ancienneté aux plaignantes constituerait de l'arbitraire d'autant plus que la pièce I-3 démontre clairement que plusieurs postulants ont réussi leur examen de formation le même jour, mais n'ont pas le même rang sur la liste d'ancienneté.

Une autre circonstance qui selon le tribunal d'appel, ne justifie pas l'attribution aux Appelantes d'un rang sur la liste d'ancienneté de l'Intimée Air Canada est l'extrait suivant du témoignage du Commandant Pigeon (vol. 4 des notes sténographiques de première instance et de l'audience du 4 février 1987 pages 208 et 209).

Q.: Je vous montre la pièce I-3, la liste d'ancienneté du système de pilotes d'Air Canada. Pourriez-vous indiquer sur cette liste, d'après ce que vous en savez, quel poste occupent présentement les pilotes qui ont été embauchés de 1979, si j'ai bien compris ce que vous avez dit, jusqu'au printemps 1980, pendant le programme de recrutement?

R.: Bien, rappelez-vous, comme je l'ai déjà dit, que le programme de recrutement était en vigueur de 1978 à 1980.

Q.: Très bien, je suis désolé.

R.: Il serait très difficile de dire quel poste occupent les divers pilotes qui ont été embauchés dans ce groupe de 525 parce que certaines des personnes qui ont été engagées au début sont nécessairement assez expérimentées et peuvent occuper une multitude de postes ou, vous savez, parmi le groupe, et je ne pourrais pas en parler de façon précise.

Certaines pourraient être premiers officiers et certaines des toutes premières personnes embauchées, la vaste majorité du dernier groupe, les derniers 150 pilotes, je dirais, et peut-être davantage, sont certainement toutes deuxièmes officiers encore aujourd'hui mais certaines des toutes premières personnes embauchées sont probablement premiers officiers et si je regarde cette liste, compte tenu du fait que je connais certaines des personnes qui y figurent, je pourrais peut-être déceler les rares premiers officiers.

Q.: Si vous deviez effectuer cette recherche, par exemple, pour une personne qui a été embauchée en janvier 1980, où serait placée cette personne sur la liste?

R.: Une personne embauchée en janvier 1980 serait en dernier, ... bien,

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elle serait certainement deuxième officier, probablement encore à bord d'un 727, peut-être deuxième officier à bord d'un DC-8, si elle est affectée à Toronto, mais elle serait très probablement encore deuxième officier.

En examinant la liste des premières personnes du groupe de 1978-1979, je vois le nom de plusieurs personnes qui sont certainement premiers officiers aujourd'hui, mais, encore une fois, c'est à ça que sert l'ancienneté.

(Les soulignés sont du présent tribunal)

Il ressort donc de ce témoignage, qu'il est fort probable, si les Appelantes avaient été engagées en l'absence de l'acte discriminatoire reproché à l'Intimée Air Canada, elles seraient à peu près dans la même situation, qu'elles se trouvaient lors de l'audition en première instance en février 1987, à savoir: premier officier sur un 737. Il est même possible et probable, que les plaignantes soient toutes deux dans une meilleure situation qu'elles ne l'auraient été, si elles avaient été engagées aux périodes concernées, puisqu'elles étaient en 1987 toutes deux premiers officiers sur un Boeing 737, alors que selon le témoignage du commandant Pigeon une large part des candidats retenus durant les périodes en cause étaient en 1987 encore deuxième officier chez l'Intimée.

Une autre circonstance en vertu de laquelle il ne serait pas approprié d'accorder une ordonnance d'ancienneté aux plaignantes: le refus de ces dernières d'accepter le poste offert en 1985 par l'Intimée Air Canada et particulièrement la lettre qu'adressait la plaignante Lucie Chapdelaine au Commandant Pigeon et déposée sous la cote D-8, et aux termes de laquelle celle-ci déclinait l'offre d'emploi, bien qu'à cette date Madame Chapdelaine avait passé une autre étape du processus d'emploi. Pour ce qui est, de la plaignante France Gravel, celle-ci ne s'est pas présentée à l'invitation d'Air Canada en 1985, puisque selon son témoignage elle n'a reçu cette invitation qu'au milieu de la semaine au cours de laquelle Air Canada procédait à des entrevues pour des candidats potentiels. Non seulement Madame Gravel a-t-elle reçu l'invitation trop tard, mais également elle était alors devant la Commission canadienne des droits de la personne relativement à sa plainte de sorte qu'elle n'a pas jugé utile d'y donner suite (témoignage de Madame France Gravel page 102 et suivantes des notes sténographiques de première instance volume 3 du 3 février 1987).

Cette parenthèse étant faite dans le seul but de démontrer que le présent tribunal d'appel estime que les Appelantes devaient faire en sorte de mitiger leurs dommages de sorte qu'elles auraient pu accepter ce poste qui leur était offert par l'Intimée Air Canada en 1985, tout en se réservant leurs droits quant à une ordonnance d'ancienneté rétroactive aux dates de l'acte discriminatoire dont elles ont été victimes. Il embête le présent tribunal d'accorder aux Appelantes une ancienneté rétroactive de plus de dix ans, alors que les Appelantes n'ont pas jugé utile de mitiger cette perte d'ancienneté en acceptant le poste offert en 1985 tout en conservant le droit de débattre cette question d'ancienneté devant le tribunal des

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droits de la personne. A ce titre, et à contrario, on peut référer à l'affaire Cinq-mars -vs- Les Transports Provost Inc. (vol. 9 C.H.R.R., mai 1988 D/4704) où l'employeur, dans le but évident de minimiser les dommages, qu'il pouvait se voir ordonner de payer à la victime de l'acte discriminatoire, a engagé le plaignant, malgré que l'employeur persistait à prétendre que le refus d'emploi du plaignant était basé sur une exigence professionnelle justifiée.

Une autre circonstance, pour laquelle le présent tribunal d'appel estime qu'une ordonnance d'ancienneté ne serait pas une mesure appropriée, est le critère de la prévisibilité raisonnable qui doit être considéré comme une limite aux dommages-intérêts . Critère retenu par la jurisprudence à plusieurs occasions et notamment dans l'affaire Cashin et Commission canadienne des droits de la personne et Société Radio Canada (décision du 14 juin 1990 D.T. 7/90, par l'arrêt Procureur général du Canada c. McAlpine, (1989) 3 C.F. 530 ainsi que l'affaire Hinds -vs- Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (1988) 10 C.H.R.R. D/864. principe de la prévisibilité raisonnable également retenu dans l'opinion minoritaire du président Fetterly dans l'affaire Les Forces Armées Canadiennes et La Commission Canadienne des Droits de la Personne et Morgan (déjà citée et particlulièrement les pages 78 et 79).

Enfin donc, pour toutes les raisons ci-haut mentionnées, nous estimons qu'une ordonnance obligeant l'Intimée Air Canada à accorder aux plaignantes une ancienneté rétroactive à la date de l'acte discriminatoire dont les Appelantes ont été victimes, n'est pas une mesure appropriée dans le présent dossier. De sorte que, la décision du tribunal de première instance qui a refusé d'accorder cette ordonnance est confirmée.

En terminant sur la question relative à l'ancienneté, les Appelantes ont demandé au présent tribunal d'appel de les indemniser monétairement dans l'hypothèse où de l'avis de ce tribunal, l'ancienneté ne constituant pas un remède approprié en l'espèce, malgré qu'elles y auraient droit dans d'autres circonstances.

Cette notion de monnayabilité de l'ancienneté, si l'on nous autorise l'expression pourrait de l'avis du présent tribunal être comptabilisé, sauf que dans la présente affaire, cette question ne se pose pas pour deux raisons.

Premièrement, un montant global a été fixé arbitrairement par les parties en première instance au montant de 10 000.00$, pour équivaloir aux pertes d'avantages sociaux subies par les Appelantes, lesquels avantages découlent en bonne partie de l'essence même de l'ancienneté. Deuxièment, le rêve des Appelantes de piloter pour Air Canada, s'est en quelque sorte réalisé, puisque les Appelantes sont devenues des pilotes pour une compagnie de grand prestige et même le principal concurrent d'Air Canada, soit Canadien. Les Appelantes étaient probablement lors de l'audition en première instance professionnellement plus avancées, qu'elles ne l'auraient été, chez l'Intimée Air Canada, en l'absence de l'acte discriminatoire (selon témoignage du commandant Pigeon dont il a été question plus avant). Bien plus, la preuve tant testimoniale que documentaire, démontre que les

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Appelantes à compter de 1985 gagnaient d'avantage auprès de leur employeur actuel (pièce D-9, D-11, C-7 et témoignage de Lucie Chapdelaine vol. 3, audience du 3 février 1987 p. 147).

D) LES DOMMAGES MORAUX

Bien que les Appelantes Lucie Chapdelaine et France Gravel n'aient pas mentionné dans leur avis d'appel spécifiquement, et expressément, qu'elles en appelaient du jugement du tribunal Tingley quant au montant attribué relativement au chapitre des dommages moraux; elles ont demandé au présent tribunal d'appel de d'augmenter le montant accordé au montant de 1 000.00$ par le président Tingley, de façon à ce que le présent tribunal accorde le montant maximum prévu par l'article 53 (3) de la loi canadienne sur les droits de la personne, soit un maximum de 5 000.00$. Par ailleurs, les procureurs de l'Intimée Air Canada se sont objectés à toutes argumentations relativement à ce chapitre, puisque l'avis d'appel ne visait d'aucune façon ce motif d'appel. Cependant cette objection fut prise sous réserve, puisque de l'avis du présent tribunal, le paragraphe 2 de l'avis d'appel du 2 décembre 1987 était suffisamment libellé pour inclure cette réclamation pour dommages moraux. En effet le paragraphe 2 de l'avis d'appel se lit comme suit:

"Le tribunal a erré en faits et en droit en réduisant les réclamations pour pertes de salaire, ainsi que les réclamations pour dépenses entraînées par l'acte discriminatoire."

(Les soulignés sont du présent tribunal)

L'Intimée Air Canada a également soutenu que ce motif relativement aux dommages moraux n'ayant pas été spécifiquement inclus dans l'avis d'appel, une argumentation en ce sens, la prenait par surprise. Le présent tribunal a assuré l'Intimée Air Canada, qu'il lui serait accordé le temps nécessaire pour débattre et argumenter ce motif d'appel si besoin était.

De l'avis du présent tribunal exprimé lors de l'audition, il lui apparaît qu'un tribunal constitué en vertu de la loi canadienne des droits de la personne ne doit pas être empreint d'un formalisme tel, (avis d'appel) que cela constituerait un obstacle, au but et objet de la loi, d'indemniser et réparer les conséquences d'un acte discriminatoire. Objectif qui selon la Cour Suprême doit être recherché dans l'interprétation d'une telle loi comme le disait le juge La Forest dans l'arrêt Robichaud (opere citatur) p. 92:

"Pour ce faire, il faut que les redressements soient efficaces et compatibles avec la nature quasi constitutionnelle des droits protégés."

D'autre part, le présent tribunal estime que règle générale, les procédures écrites sont à peu près inexistantes devant un tribunal des droits de la personne. Il n'y a pas lieu dans la mesure du possible de limiter

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l'argumentation des parties sur un point important en raison d'une carence dans l'avis d'appel.

Ceci étant dit, le présent tribunal ne siégeant pas de novo doit restreindre l'argumentation des parties sur la preuve offerte en première instance sur cette question des dommages moraux.

Pour ces raisons, l'objection de l'Intimée quant à l'argumentation par les Appelantes devant le tribunal d'appel relativement aux dommages moraux ne peut être retenue.

Ceci étant dit, y a-t-il dans la preuve de première instance une erreur évidente et manifeste de la part du tribunal de première instance quant au montant attribué au chapitre des dommages moraux?

Rappelons tout d'abord qu'un tribunal d'appel ne doit intervenir sur des faits que lorsque selon lui, le tribunal de première instance a manifestement commis une erreur déraisonnable. Il y a lieu comme la jurisprudence l'a, à maintes fois, répété de respecter l'opinion de celui qui a eu l'occasion d'entendre la preuve, et d'évaluer la crédibilité des différents témoins en première instance.

En plaidoirie, devant le tribunal d'appel, les procureurs des Appelantes commentant le jugement du tribunal Tingley relativement aux dommages moraux attribués par ce jugement à la page 22, a soutenu (aux pages 429 et suivantes des notes sténographiques du tribunal d'appel vol. 3, audition du 22 août 1990) et nous citons:

"Alors, je vous soumets que la position, et si je comprends bien, du tribunal de première instance, aurait été que normalement il aurait possiblement accordé aucun dommage sous ce chef, si ça n'avait pas été la suggestion du procureur d'Air Canada d'offrir mille dollars (1 000$) à chacune des plaignantes.

Et les raisons invoquées pour justifier cette position là, je viens de les lire dans ce document. Je pense que l'on peut parfois se servir d'arguments ou de faits, je ne dirais pas insignifiants mais je vais le dire quand même, on peut s'en servir pour le rattacher à des faits qui ont une importance quelconque..."

Tout d'abord, soulignons que les procureurs de la Commission en première instance (vol. 1 de l'audition du 15 janvier 1987 et notamment aux pages 6 et 7) ont demandé au tribunal de première instance d'accorder une somme de 3 000.00$ à titre de dommages moraux et ils ont alors sollicité un amendement en ce sens dans les conclusions de leur déclaration du 21 novembre 1986.

Le présent tribunal n'a pas l'intention de substituer son opinion relativement à l'attribution par le tribunal de première instance d'une somme de 1 000.00$ à titre de dommages moraux, puisque de l'avis du présent tribunal les motifs invoqués par le tribunal Tingley qui encore une fois a eu l'occasion d'entendre et d'évaluer la crédibilité des témoins, n'a certes pas manifestement erré sur les faits relativement à l'indemnité accordée pour dommages moraux.

Nous nous permettons cependant d'expliciter les motifs invoqués par le

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président Tingley. Tout d'abord, quant à la connaissance par les Appelantes des exigences de grandeur requis par Air Canada, il y a lieu de rappeler le passage suivant du témoignage de Madame France Gravel (vol. 2 des notes sténographiques de première instance page 71 audience du 2 février 1987):

Q: "Est-ce vous pourriez nous expliquer Madame Gravel comment se fait-il que vous ayez grandi de deux pouces à l'intérieur de deux ans?

R: Disons que j'étais au courant qu'à Air Canada il y avait une exigence de grandeur mais que pour moi ça ne m'arrêtait pas dans le sens que je me suis dit si je marque ma grandeur réelle à ce moment là je n'aurai pas le droit de faire ce qu'ils appellent une entrevue avec Air Canada. Donc, pour faire changer le standard il faut absolument aller s'expliquer. Donc j'ai mis la deuxième fois 5 pieds et 7 parce que je pensais que c'était ce que Air Canada exigeait..." (Les soulignés sont du présent tribunal)

Or, la preuve a révélé que Madame Gravel avait déposé en 1976 une demande d'emploi et que la deuxième dont il est question dans l'extrait du témoignage ci-haut était de 1978. La preuve a également révélé, que c'est en vertu de cette deuxième demande d'emploi de 1978, que la plaignante France Gravel a déposé une plainte auprès de la Commission et cela après avoir reçu de la part

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de l'Intimée Air Canada le refus de considérer sa candidature. (pièce C-1)

Par ailleurs, la pièce C-9 intitulée Air line pilot Air Canada en date du 4-77 indique que la politique d'Air Canada à cette époque nécessitait comme exigence de base, que le candidat devait mesurer un minimum de 5 pieds et 6 pouces.

De cette preuve, le président Tingley était bien fondé d'écrire à la page 22: Elles ont donc pris un risque calculé en posant leurs candidatures. Il nous apparaît donc que l'humiliation dont les Appelantes estime avoir été l'objet, et la surprise de recevoir leur lettre de refus d'emploi par Air Canada (pièces C-1 et C-2) ne constituent certainement pas une humiliation et/ou surprise justifiant de verser une somme de 5 000.00$ à titre de dommages moraux. Au surplus, le présent tribunal estime que l'humiliation, dont ont été victimes les plaignantes ne nous apparaît pas aussi importante et cela en regard de la plainte déposée par Madame France Gravel en date du 26 février 1980 (pièce C-3) où elle indique au bas de cette plainte, et nous citons:

"P.S.: Je voudrais que ma plainte reste anonyme"

Comment peut-on concilier le fait que l'on a été grandement humilié, alors que l'on demande que sa plainte demeure anonyme? Certes, les plaignantes nous le concevons ont été humiliées par la décision d'Air Canada de ne point considérer leur demande d'emploi mais certainement pas pour équivaloir à un montant de 5 000.00$, puisque nous le réitérons, les Appelantes connaissaient ou devaient connaître les exigences d'Air Canada.

Les procureurs des Appelantes ont même prétendu devant le tribunal d'appel (page 284 et 285 vol. 2 de l'audition du 21 août 1990), qu'un des motifs invoqué par le président Tingley pour ne pas accorder l'ancienneté, constituait un motif en lui-même pour justifier une augmentation de l'indemnité pour dommages moraux par le présent tribunal d'appel. Les Appelantes ont référé au passage suivant du jugement dont appel à la page 21:

"Même si le tribunal était habilité à délivrer une ordonnance de cet ordre, mais il ne croit pas l'être, cela serait imprudent et peut-être préjudiciable à la sécurité des plaignantes et à celle du grand public, compte tenu de l'ensemble des circonstances de cette affaires."

Cet argument de danger public selon l'expression utilisée par les Appelantes constituerait donc un motif d'augmentation de l'indemnité pour préjudice moral.

Une telle argumentation nous apparaît insoutenable en faits et en droit. D'une part, cet argument n'est d'aucune façon imputable à l'acte discriminatoire reproché à Air Canada et d'autre part cet argument a été invoqué par le président Tingley en première instance pour refuser la délivrance d'une ordonnance relative à l'ancienneté. De plus, le jugement de première instance a accordé aux plaignantes différentes ordonnances réparatrices puisque selon ce tribunal, les plaintes étaient bien fondées.

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Donc pour toutes les raisons ci-haut mentionnées, le présent tribunal d'appel n'interviendra pas relativement aux dommages moraux accordés aux Appelantes, sauf que cette ordonnance relativement aux dommages moraux sera ajouté aux conclusions du présent jugement, puisqu'il n'apparaît pas dans les ordonnances émises par le tribunal Tingley aux termes de sa décision.

E) INTÉRET ET REQUETE EN SUSPENSION D'INTÉRET

a) La demande relativement aux intérêts

Les Appelantes France Gravel et Lucie Chapdelaine par leurs procureurs ont demandé au tribunal d'appel de modifier le jugement de première instance quant à la date de départ des intérêts sur les sommes accordées par le tribunal Tingley, fixée à la date de sa constitution, soit le 16 avril 1986.

A l'appui de leur argumentation ils ont référé à plusieurs décisions. Il ressort de leur étude, que la jurisprudence ne s'est pas encore fixée définitivement quant à la date de départ où les intérêts devaient être accordés. Plus encore, la jurisprudence ne s'est pas encore également fixée quant au taux d'intérêt à être accordé.

Qu'il suffise de rappeler que dans l'affaire DeJager 8 C.H.R.R. décision no 629 de 1987 D/3963 et notamment au paragraphe 31398, où la somme allouée par le tribunal ne comportait aucun intérêt, cette conclusion n'était aucunement motivée.

Dans l'affaire Boucher 9 C.H.R.R., de juin 1988, décision no 766 T/4910 et particulièrement à la conclusion numéro 6 contenue au paragraphe 37915, la date de départ des intérêts a été fixée à la date de la constitution du tribunal et au taux préférentiel des banques à charte du Canada. (conclusion similaire à la décision du tribunal Tingley).

Par ailleurs dans l'affaire Cameron 5 C.H.R.R., décision no 371 de 1984, D/2170 et notamment au paragraphe 18565, on a retenu la date de la signification de la plainte à l'auteur de l'acte discriminatoire et le taux a été fixé suivant le taux d'intérêt établi par la banque du Canada à cette époque.

Dans l'affaire Kearns 1989, 10 C.H.R.R., D/5700, la date de départ des intérêt fut fixée à la date de la Commission de l'acte discriminatoire au taux fixé par le greffier de la Cour Suprême de la Colombie Britanique.

Dans l'arrêt Morgan (Tribunal d'appel) décision du 14 septembre 1990, D.T. 10/90 le taux d'intérêt fut fixé suivant le taux variable applicable aux Obligations d'épargne du Canada. Quant à la date de départ de cet intérêt, elle est différente, selon que l'on adopte le point de vue de la décision majoritaire ou celle de l'opinion minoritaire.

Puisque la jurisprudence ne s'est pas encore fixée définitivement, quant au point de départ et au taux d'intérêt applicable, et malgré qu'il est possible de conclure, qu'un taux différent et une date de départ différente retenue par le président Tingley dans la présente affaire, seraient plus appropriés, le présent tribunal est incapable de conclure qu'il y a erreur évidente et manifeste quant à la date de départ et le taux d'intérêt utilisé par le tribunal Tingley, de sorte que, ses conclusions sur ce point sont confirmées et la demande des Appelantes sur ce point est rejetée.

51

b) Requête en suspension d'intérêt.

Quant à la requête pour suspension d'intérêt présentée par l'Intimée Air Canada, essentiellement fondée sur les délais courus depuis la date de l'acte discriminatoire, les délais pour l'audition, les délais causés par l'appel logé par les Appelantes devant la Cour Fédérale quant au jugement préliminaire du 14 novembre 1988 et également possiblement, les délais subséquents qui découleraient d'un appel de la présente décision, requête de l'Intimée fondée également sur l'absence d'un dispositif de consignation en vertu de la Loi canadienne des droits sur la personne.

Nous sommes d'opinion qu'il y a lieu de rejeter cette requête, puisque d'une part, l'Intimée Air Canada est l'auteur de l'acte discriminatoire en cause et que les délais de la présente affaire sont des conséquences directes de leur acte discriminatoire et pour rappeler ce qu'écrivait Madame Ashley dans l'affaire Cashin (décision du 14 juin 1990 D.T. page 24):

"...les retards dans une poursuite ne devraient pas échapper aux prévisions des parties à un différend de manière à avoir une incidence sur l'étendu de l'indemnité accordée (Les soulignés sont du présent tribunal)

Ceci est d'autant plus vrai de l'opinion du présent tribunal lorsqu'il s'agit d'intérêts, puisque ceux-ci sont l'accessoire du principal, soit le montant d'indemnité accordé.

Bien plus, l'exercice d'un droit d'appel est manifestement un droit reconnu à chacune des parties dans une cause. A cet effet, il y a lieu encore de citer l'affaire Cashin page 24 où Mme Ashley à la page 24:

"Il est évident que chaque partie a le droit de faire valoir sa réclamation devant les tribunaux."

Pour ces raisons, la requête en suspension d'intérêt est rejetée.

IV LES ORDONNANCES

Pour tous les motifs exposés dans la présente décision et conformément aux dispositions de l'article 56 (5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le tribunal d'appel confirme en partie le jugement de première instance sur les points suivants:

DÉCLARE que les plaintes des plaignantes sont bien fondées;

DÉCLARE que le mis en cause a perpétré des actes discriminatoires en refusant d'employer les plaignantes pour un motif de discrimination illicite, à savoir le sexe;

CONFIRME également la décision du tribunal de première instance de ne pas octroyer l'ancienneté rétroactive à l'acte discriminatoire aux plaignantes, puisque ce remède n'est pas approprié en l'espèce;

52

AJOUTE aux dispositifs du jugement de première instance les ordonnances relatives à l'indemnité pour préjudice moral et en conséquence

ORDONNE au mis en cause Intimée Air Canada de verser à la plaignante France Gravel la somme de 1 000.00 $ à titre d'indemnité pour préjudice moral;

ORDONNE au mis en cause lntimé Air Canada de verser à la plaignante Lucie Chapdelaine la somme de 1 000.00 $ à titre d'indemnité pour préjudice moral;"

ACCUEILLE pour partie l'appel logé par les Appelantes en ce qui regarde les indemnités pour pertes de salaire et en conséquence le tribunal d'appel:

ORDONNE au mis en cause l'Intimée Air Canada de verser à la plaignante France Gravel la somme de 66 728.43 $ et à Lucie Chapdelaine la somme de 48 986.40 $ avec intérêts sur ces sommes à partir de la date de constitution du premier tribunal soit le 16 avril 1986 avec intérêts au taux privilégié des principaux banquiers du mis en cause l'Intimée Air Canada.

J'ai signé à Québec ce jour de 1990.

MAURICE BERNATCHEZ

J'ai signé à Trois-Rivières ce jour de 1990.

MARIA DOMARADZKI

J'ai signé à Montréal ce jour de 1990.

DEMAGNA KOFFI

53

DEVANT:

Maurice Bernatchez Maria Domaradzki Demagna Koffi

ENTRE:

FRANCE GRAVEL LUCIE CHAPDELAINE COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

les Appelantes

- et -

AIR CANADA

l'Intimée

- et -

ASSOCIATION CANADIENNE DES PILOTES DE LIGNES AÉRIENNES

l'Intervenante

ENTENDU que le président du Comité du Tribunal des droits de la personne a nommé un nouveau Tribunal d'appel le 14 juin 1991 constitué de Maurice Bernatchez, Maria Domaradzki et Demagna Koffi pour entendre l'appel interjeté par France Gravel, Lucie Chapdelaine et la Commission canadienne des droits de la personne le 2 décembre 1987;

ENTENDU qu'une conférence téléphonique fut tenue le 14 juin 1991 entre les membres dudit Tribunal d'appel et les personnes suivantes:

Diane Brais, avocate pour les plaignantes/appelantes; France Gravel, plaignante/appelante Lucie Chapdelaine, plaignante/appelante; Louise-Hélène Sénécal, avocate pour l'intimée; John Keenan, avocat pour l'intervenante; René Duval, avocat pour la Commission/appelante;

ENTENDU que toutes les parties ont consenti à ce que la preuve entendue lors des audiences concernant l'appel précité tenues les 21, 22 et 23 août 1990 et les 17 et 18 septembre 1990, ainsi que l'argumentation, soit versée au dossier dudit Tribunal d'appel;

CONSÉQUEMMENT, le Tribunal d'appel adopte et entérine la décision signée le 5 décembre 1990 comme étant sa décision dans le présent dossier.

SIGNÉ le 17e jour de juin 1991.

Maurice Bernatchez, président

SIGNÉ le 18e jour de juin 1991.

Maria Domaradzki, membre

SIGNÉ le 19e jour de juin 1991.

Demagna Koffi, membre

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