Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 5/91

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE

ANDREW HAY

le plaignant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

CAMECO - CORPORATION CANADIENNE D'ÉNERGIE ET D'EXPLOITATION MINIERE

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

MEMBRES DU TRIBUNAL :

RAYMOND WILLIAM KIRZINGER - président LOIS RAE SERWA - membre SEECH GAJADHARSINGH - membre

ONT COMPARU :

Me PETER C. ENGELMAN - avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Me A.R. GARDEN - avocat de l'intimée

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 16 et 17 octobre 1990, Saskatoon (Saskatchewan)

DÉCISION

Les faits

Le 27 avril 1988, ANDREW HAY a déposé à l'encontre de KEY LAKE MINING CORPORATION (faisant maintenant affaires sous la dénomination Cameco - Corporation canadienne d'énergie et d'exploitation minière) une plainte qui se lit comme suit :

[Traduction]

"Key Lake Mining Corporation fait ou a fait montre de discrimination fondée sur le sexe, contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne du 11 janvier 1988 au 1er février 1988 environ à Key Lake Camp, en Saskatchewan. Les détails sont les suivants : Key Lake Mining Corporation a fait montre de discrimination à mon endroit en me suspendant de mes fonctions d'opérateur de contrôle électrique en raison de mon sexe (masculin), contrairement aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le 4 janvier 1988, des gardes de sécurité qui faisaient leur ronde habituelle m'ont trouvé dans le bloc d'hébergement des femmes. J'étais là parce que j'y avais été invité par une résidante. C'est pour cette raison que j'ai été suspendu de mes fonctions du 11 janvier 1988 au 1er février 1988. Bien que les hommes n'aient absolument pas le droit de se trouver dans le bloc d'hébergement des femmes, les femmes ont un accès illimité à celui des hommes."

Les parties ont déposé comme pièce un exposé conjoint des faits et chacune d'elles a présenté d'autres éléments de preuve conformément à l'entente.

L'emplacement du camp et l'aménagement de ses installations ont beaucoup d'importance en l'espèce. Lorsque la plainte a été déposée, l'intimée exploitait une mine d'uranium dans une région éloignée du nord de la Saskatchewan, le village le plus près se trouvant à 190 kilomètres de là. Même si la mine était accessible par voie routière, le parcours était très long et l'intimée assurait par avion le transport de ses employés en provenance et à destination de l'emplacement de la mine.

L'emplacement se composait de la mine elle-même et d'un campement ou résidence destiné aux employés.

Le campement était réservé à l'usage des employés de l'intimée, c'est-à-dire que le grand public n'y avait pas accès. Il se composait d'une grande partie centrale comportant un bar, une salle à manger, une bibliothèque, un hall, un gymnase, un terrain de racquetball et une salle d'exercices/bain tourbillon. Chacun de ces endroits était pleinement accessible pour tous les résidants, qu'ils soient hommes ou femmes. La partie centrale comprenait également des salles de bain séparées pour les hommes et les femmes.

La partie centrale était entourée de sept ailes résidentielles réparties sur deux étages. Chaque étage comprenait un long couloir et des

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chambres privées des deux côtés. A une extrémité de chaque aile, une salle de bain et un vivoir avaient été aménagés pour les résidants de cet étage. Il n'y avait pas de salle de bain dans les chambres des résidants, ni de téléviseur, sauf lorsque le résidant apportait son propre appareil.

Chaque cabine de douche était fermée par des rideaux; il y avait aussi des rideaux qui séparaient la partie des douches du reste de la salle de bain.

L'aile G du niveau inférieur était réservée aux femmes seulement et l'autre aile avait été aménagée pour les employés d'une entreprise de restauration. Toutes les autres ailes abritaient des résidants de sexe masculin seulement. Le plaignant occupait une chambre située dans l'aile F.

L'intimée a adopté un certain nombre de règles régissant son camp. Apparemment, la règle en question aurait été adoptée à la suite d'un acte d'agression sexuelle dont une employée aurait été victime en 1982 au cours de la construction de la mine, à une époque où environ 1 200 employés y travaillaient.

Les règles en vigueur au moment pertinent ont été rendues publiques le 23 juillet 1987 et prévoyaient quatre catégories d'infractions: les infractions mineures (comme le fait de jeter délibérément des détritus sur les lieux du camp), les infractions graves (comme le fait de nourrir des animaux sauvages et de fumer à un endroit où il est interdit de fumer), les infractions majeures (comme le fait de causer volontairement des dommages aux biens de l'intimée) et les infractions intolérables (comme la consommation de drogues illégales, le vol de biens et l'infraction dont il est question en l'espèce, soit le fait pour un homme de se trouver dans le bloc d'hébergement des femmes).

Selon les règles relatives aux infractions intolérables, [TRADUCTION] si une personne commet une infraction appartenant à cette catégorie, ses privilèges de camp seront révoqués et, par conséquent, elle sera licenciée.

Les règles prévoyaient également l'attribution de points de démérite. Un nombre précis de points de démérite étaient attribués aux infractions mineures, graves et majeures tandis que, dans le cas des infractions intolérables, la personne concernée voyait ses privilèges de camp révoqués et était licenciée (ce qui remplaçait l'attribution de points de démérite).

Il appert de la preuve que tous les employés ont été avisés en bonne et due forme des règles du camp lorsqu'ils ont été engagés. Le plaignant a explicitement admis qu'il avait été avisé et qu'il était bien au courant de la règle interdisant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes ainsi que des conséquences prescrites à l'égard de cette infraction. Cependant, il a expliqué brièvement et sans trop de conviction au cours de son interrogatoire qu'à son avis, l'intimée

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n'appliquait pas cette règle à la lettre. D'autres éléments de la preuve indiquent que l'intimée appliquait la règle et que deux employés de sexe masculin ont perdu leur emploi parce qu'on les a trouvés dans le bloc d'hébergement des femmes.

Les quelque quatre cents employés de l'intimée, y compris le plaignant, travaillaient pendant une période d'affectation composée de sept jours consécutifs de 11 heures de travail sur place. La période d'affectation était suivie de sept jours consécutifs de congé en dehors de l'emplacement. Au cours de sa période d'affectation, l'employé travaillait et restait à l'emplacement de la mine et au campement et y passait tout son temps.

Le plaignant, qui est marié et a deux enfants, travaillait à l'époque comme opérateur de contrôle électrique et gagnait 18,05 $ de l'heure.

Le soir du 4 janvier 1988, le plaignant a rencontré une collègue dans le bar situé dans la partie centrale. Ils étaient amis depuis environ trois ou quatre mois. Ils n'étaient pas de service ni l'un ni l'autre et ils ont pris deux ou trois verres chacun pendant une période d'une heure à une heure et demie. Le plaignant et la femme ont ensuite décidé de se rencontrer dans la chambre de celle-ci, qui se trouvait à côté de la sortie d'incendie, à une extrémité de l'aile G du niveau inférieur (l'extrémité opposée à la celle où se trouvaient le vivoir et la salle de bain. Après avoir pris cette décision, ils sont retournés dans leur propre chambre.

Peu après, le plaignant s'est introduit dans l'aile G en empruntant la porte de la sortie d'incendie et est entré dans la chambre de son amie, où il est resté pendant environ une heure et demie. Au cours de son interrogatoire en chef, le plaignant a dit qu'il a décidé d'utiliser la porte de la sortie d'incendie, parce qu'il ne voulait pas passer par l'autre extrémité (qui donnait accès à la partie centrale) et gêner les autres résidantes. En contre-interrogatoire, le plaignant a admis que l'une des raisons pour lesquelles il a utilisé cette entrée était qu'il voulait éviter de se faire prendre. Il a également admis qu'il savait que sa présence dans l'aile réservée aux femmes comportait un risque, mais il a dit que c'était un risque mineur. Plus précisément, il a dit :

[TRADUCTION]

"... Compte tenu des précautions que j'avais prises, je ne m'attendais pas à être découvert".

Vers minuit, des gardes de sécurité qui faisaient leur ronde régulière ont entendu une voix d'homme dans la chambre de l'amie. Ils ont frappé à la porte et ils ont demandé à M. Hay de sortir. Après une courte discussion, M. Hay est retourné dans sa chambre.

Le lendemain, l'administrateur du personnel a avisé M. Hay que ses privilèges de camp étaient suspendus jusqu'à la tenue d'une enquête. Le plaignant a été autorisé à travailler au cours du reste de sa période d'affectation (soit un ou deux jours).

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A son retour à Saskatoon, le plaignant a rencontré son épouse à l'aéroport. Ils se sont rendus à un bar, au sommet de l'édifice où se trouvait le bureau de l'intimée à Saskatoon. Vers 16h30, alors qu'ils quittaient l'édifice, le plaignant et son épouse ont rencontré par hasard le directeur des relations industrielles de l'intimée, un dénommé Jerry Bissett, qui revenait lui aussi chez lui. Le plaignant a pressé M. Bissett de questions au sujet de sa situation et M. Bissett a fini par lui dire qu'il n'était pas certain de ce que la décision de l'intimée serait, mais qu'il avait tendance à opter pour le licenciement. Le plaignant a également demandé à M. Bissett si les gardes de sécurité seraient entrés dans la chambre si la porte n'avait pas été ouverte et M. Bissett aurait apparemment dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Oui, ils l'auraient fait, mais ils vous auraient donné le temps de vous habiller. L'épouse du plaignant était présente lors de cette conversation.

M. Hay a déclaré qu'il n'avait rien de plus qu'une relation platonique avec la femme en question. Tous deux conversaient simplement lorsque les gardes de sécurité sont arrivés et ils n'étaient certainement pas dévêtus. Aucune preuve indiquant le contraire n'a été présentée au Tribunal.

M. Hay a mentionné qu'il a eu des problèmes matrimoniaux à cette époque en raison de l'ensemble de la situation (c'est-à-dire à la suite du fait qu'on l'avait trouvé dans la chambre d'une femme) et surtout en raison des commentaires de M. Bissett.

L'intimée a pris sa décision concernant le plaignant le 8 janvier 1987 et lui a envoyé le même jour une lettre dans laquelle elle a résumé sa décision comme suit :

[TRADUCTION]

"Les mesures disciplinaires prises contre vous sont les suivantes: vos privilèges de camp (hébergement) seront suspendus jusqu'au 1er février 1988 inclusivement et, par conséquent, vous perdrez deux périodes d'affectation complètes.

Vous êtes également avisé que, si l'on vous trouve à nouveau dans le bloc d'hébergement des femmes, vous serez renvoyé.

Vous devrez retourner au travail le lundi, 8 février 1988 - date du début de votre période d'affectation régulière suivant la suspension susmentionnée. A votre retour, six points de démérite vous seront attribués ..."

Une lettre semblable a été envoyée à l'amie du plaignant.

Allan Pettigrew, qui était responsable des ressources humaines chez l'intimée à la date en question, a dit au cours de son témoignage que M. Hay a été traité avec plus de compassion qu'il aurait pu l'être parce

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qu'il se trouvait dans le bloc d'hébergement des femmes à la suite d'une invitation.

Après la suspension, M. Hay a recommencé à travailler et il a continué jusqu'à ce jour sans incident. Le plaignant a dit que, à son avis, il a reçu toutes les promotions possibles et que ses chances de promotion ne seront pas amoindries par la suspension et les points de démérite qui lui ont été attribués. M. Hay faisait allusion aux promotions qui sont régies par la convention collective conclue entre l'intimée et ses employés, selon laquelle les promotions sont assujetties à un mécanisme arbitraire. Cependant, le témoignage de M. Pettigrew en contre- interrogatoire donne à penser que des incidents semblables [TRADUCTION] ... pourraient, selon la nature de l'infraction... nuire aux chances d'un employé d'être promu à un poste de supervision, c'est-à-dire d'obtenir une promotion qui déborde le cadre de la convention collective.

En outre, la preuve a révélé que les points de démérite sont effacés (au rythme d'un point par mois).

La preuve concernant la question de savoir si un dossier de l'infraction est tenu était plutôt contradictoire et confuse. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Pettigrew s'est fait poser la question suivante :

[TRADUCTION]

L'entreprise tient-elle un registre des infractions? et M. Pettigrew a répondu comme suit [TRADUCTION] Oui, je pense que le registre est conservé dans les dossiers du personnel. En conséquence, le Tribunal est d'avis que l'intimée a conservé un registre de l'infraction du plaignant dans ses dossiers du personnel.

Au cours de son témoignage, M. Hay a mentionné que, à son retour à la mine, des rumeurs circulaient au sujet de la rupture de son mariage. Son témoignage et celui de deux collègues de sexe féminin ont confirmé qu'il y avait constamment des rumeurs à l'emplacement. Effectivement, M. Hay a dit que l'une des raisons pour lesquelles il était dans la chambre en question est le fait que son amie était allée dans sa chambre peu de temps auparavant et qu'elle craignait que des rumeurs ne soient répandues à son sujet si on l'apercevait là encore une fois. La preuve a révélé que les femmes se rendent souvent au bloc d'hébergement des hommes (comme elles ont le droit de le faire); cependant, certaines femmes sont sensibles aux rumeurs et se rendent rarement à cet endroit, si elles y vont.

L'intimée a demandé à deux de ses employées de venir exprimer leur opinion au sujet de la règle concernant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes. Suzanne Manley, superviseure et chimiste, a dit que, si la présence d'hommes était autorisée dans son aile, elle se sentirait mal à l'aise et n'apprécierait pas le manque d'intimité.

Mlle Manley a dit que, si la règle n'était plus en vigueur, elle songerait peut-être à quitter son emploi :

[Traduction]

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"Je devrais voir comment les choses évolueraient, les types de libertés que les hommes se permettraient, si la règle était abolie; mais si la présence d'hommes dans l'aile devait augmenter considérablement et s'il devait y avoir des incidents qui me mettraient mal à l'aise, je chercherais un emploi ailleurs."

Mlle Manley a également mené une enquête non officielle auprès de dix à quinze femmes qui travaillaient au sein de son équipe et qui étaient toutes en faveur de la règle.

Quant à Elaine Lafleur, apprentie en mécanique industrielle chez l'intimée, elle a dit elle aussi au cours de son témoignage qu'elle était en faveur du maintien de la règle, pour des raisons de sécurité et d'intimité. Cependant, elle a ajouté qu'elle ne changerait pas d'emploi, que la règle demeure ou non en vigueur sous sa forme actuelle.

M. Pettigrew a déclaré au cours de son témoignage que la règle a été adoptée en juillet 1982, au cours de la construction de la mine, lorsqu'un homme a été accusé d'agression sexuelle. La règle est demeurée en vigueur, parce que les employées préfèrent qu'elle soit maintenue. Il se demandait si l'intimée pourrait attirer des employées à la mine en l'absence de règle interdisant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes.

Dans deux autres mines d'uranium du nord de la Saskatchewan (celles de Rabbit Lake et de Cluff Lake), les hommes ont le droit de se rendre dans les chambres des femmes. A Cluff Lake, les chambres comportent une entrée privée et ce sont les femmes qui décident elles-mêmes de permettre ou non la présence d'un homme. A Rabbit Lake, les hommes ont le droit de se trouver dans le bloc d'hébergement des femmes, s'ils y sont invités par une femme et que toutes les autres femmes présentes y consentent.

Cela résume les faits essentiels de la cause et nous examinerons maintenant le droit pertinent et son application à la présente plainte.

Le but de la Loi canadienne sur les droits de la personne est énoncé à l'article 2 :

"2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations..."

Le paragraphe 3(1) de la Loi définit les motifs de discrimination interdits comme suit :

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"Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience."

M. Hay soutient qu'il a fait l'objet d'une distinction allant à l'encontre des articles 7 et 10 de la Loi, dont le libellé est le suivant :

"7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi.

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motifs de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

  1. de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;
  2. de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

La réponse de l'intimée à la plainte est une réponse à deux volets. D'abord, elle a soulevé un certain nombre d'arguments techniques selon lesquels les faits de la présente cause ne tombaient pas sous le coup des articles 7 ou 10, l'une des principales raisons étant que la discrimination reprochée n'était pas liée à l'emploi, mais plutôt à l'hébergement. En deuxième lieu, l'intimée a soutenu que la distinction faite entre les hommes et les femmes était acceptable, puisqu'elle constituait une exigence professionnelle justifiée.

La politique en question en l'espèce prévoit clairement un traitement différent des hommes et des femmes. Un homme ne peut se trouver dans le bloc d'hébergement des femmes, que ce soit à la suite d'une invitation ou autrement, alors qu'aucune restriction semblable n'est imposée aux femmes. La règle ou politique établit une distinction entre les employés en fonction de leur sexe, ce qui est un motif de discrimination interdit par le paragraphe 3(1).

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Tel qu'il est mentionné ci-dessus, l'intimée soutient surtout que le comportement discriminatoire se rapportait aux activités du plaignant en dehors des heures de travail, qu'il touchait ses privilèges de camp seulement et qu'il n'est pas lié à son emploi.

Le plaignant a le fardeau d'établir un cas de discrimination prima facie, c'est-à-dire qu'il doit démontrer que la plainte est visée par l'article 7 ou 10 ou les deux. L'arrêt-clé au sujet de la question du fardeau de la preuve est l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, où le juge McIntyre a dit ce qui suit à la page 208 :

"Lorsqu'un plaignant établit devant une commission d'enquête qu'il est, de prime abord, victime de discrimination, en l'espèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l'absence de justification de la part de l'employeur. La seule justification que peut invoquer l'employeur en l'espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence professionnelle réelle de l'emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondérance des probabilités."

Le juge McIntyre fait sans doute allusion à une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire d'un cas de discrimination au sens des articles 5 à 14 de la Loi. Cela signifie qu'il ne suffit pas pour le plaignant en l'espèce d'établir simplement qu'il y a eu discrimination; il doit aussi démontrer que cette discrimination est visée par l'article 7, l'article 10 ou les deux. Ce n'est qu'à ce moment-là que le fardeau de la preuve sera déplacé : il incombera alors à l'intimée de justifier la discrimination. Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons Sears Limited, [1985] R.C.S. 536, la Cour suprême du Canada a appuyé ce raisonnement, lorsqu'elle a défini comme suit la preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire (p. 558) : ... celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de ... l'intimé. S'il n'est pas établi que la plainte tombe sous le coup de l'article 7 ou de l'article 10, aucun verdict ne pourra être rendu en faveur du plaignant. En conséquence, le fardeau de la preuve incombe au plaignant sur ce point.

Le plaignant s'est-il déchargé de son fardeau?

L'orientation des tribunaux au sujet de l'interprétation des articles 7 et 10 a une importance primordiale. La Cour suprême du Canada a indiqué très clairement qu'il faut interpréter la Loi d'une façon large afin d'en étendre les buts et objectifs (qui sont énoncés à l'article 2). Dans Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, aux pages 89 et 90, le juge Laforest, s'exprimant au nom de la majorité de la Cour, a

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indiqué qu'une interprétation large et libérale de la Loi est nécessaire et cité avec approbation trois autres décisions dans lesquelles la Cour suprême du Canada avait adopté le même raisonnement :

"Suivant son art. 2, la Loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet au principe selon lequel tous ont droit à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment de motifs de distinction illicites dont ceux fondés sur le sexe. Comme le juge McIntyre l'a expliqué récemment, au nom de la Cour, dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, on doit interpréter la Loi de manière à promouvoir les considérations de politique générale qui la sous-tendent. Il s'agit là d'une tâche qui devrait être abordée non pas parcimonieusement mais d'une manière qui tienne compte de la nature spéciale d'une telle loi dont le juge McIntyre a dit qu'elle n'est pas vraiment de nature constitutionnelle; voir également Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, le juge Lamer, aux pp. 157 et 158. Bien sûr, ce que laisse entendre cette expression n'est pas que la loi en cause est en quelque sorte enchâssée dans la Constitution, mais plutôt qu'elle exprime certains objectifs fondamentaux de notre société. Plus récemment encore, dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (l'arrêt Action Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114, le juge en chef Dickson a souligné la nécessité de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits énoncés dans ladite loi, conformément à la Loi d'interprétation qui exige que les lois soient interprétées de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets."

Nous examinerons l'applicabilité de chacun des alinéas 7a), 7b) et 10a) séparément. Cependant, il y a une question commune et essentielle à trancher au sujet de l'applicabilité de chacune de ces dispositions en ce qui a trait à la discrimination reprochée en l'espèce : s'agit-il ici d'une pratique discriminatoire liée à l'emploi?

De l'avis de l'intimée, la plainte aurait dû être fondée sur l'article 5 de la Loi, qui porte sur le refus de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public. S'il s'agit ici d'une plainte fondée sur l'article 5, elle n'est pas justifiée, parce que le campement de l'intimée n'est pas destiné au public. Cependant, la plainte n'était pas fondée sur cet article.

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Le juge Laforest a examiné la portée des mots en cours d'emploi utilisés à l'alinéa 7b) aux pages 91 et 92 de l'arrêt Robichaud, précité. Voici ce qu'il a dit :

"A ce sujet, l'avocat de Sa Majesté a beaucoup insisté sur l'exigence de l'al. 7b), selon laquelle l'acte reproché doit avoir été accompli dans le cadre de l'emploi. Toutefois, il est clair que cette limite, fixée en vertu du principe de la responsabilité du fait d'autrui en matière délictuelle, ne peut pas être appliquée d'une manière significative au présent régime législatif. Car en matière délictuelle, ce qui est visé ce sont les actes qu'une personne accomplit de quelque manière dans l'exercice des fonctions pour lesquelles elle a été engagée et non pas quelque chose, comme le harcèlement sexuel, qui n'a vraiment rien à voir avec le travail pour lequel la personne a été embauchée. La Loi a pour objet de supprimer certaines conditions peu souhaitables qui, en l'espèce, ont cours dans le milieu de travail, et il semblerait étrange qu'en vertu de l'al. 7a) un employeur soit responsable du harcèlement sexuel auquel se livre un employé lors de l'embauchage d'une personne, sans que sa responsabilité ne soit engagée lorsque cet employé agit ainsi dans le cadre de la surveillance d'un autre employé, en particulier un employé stagiaire. Il semblerait plus raisonnable et plus conforme à l'objet de la Loi d'interpréter l'expression in the course of employment que l'on trouve dans le texte anglais de l'article, comme signifiant relié aux fonctions ou à l'emploi, surtout quand cette expression est précédée par les mots directly or indirectly (directement ou indirectement)."

De l'avis du Tribunal, la position de l'intimée selon laquelle la sanction disciplinaire adoptée et la règle en question ne sont pas liées à l'emploi est inconcevable, pour diverses raisons.

Dans la lettre qu'elle a fait parvenir au plaignant pour l'aviser de la suspension, l'intimée a mentionné qu'à la suite de la suspension de ses privilèges de camp, le plaignant raterait deux périodes d'affectation complètes et se verrait attribuer six points de démérite. Elle l'a également avisé que, si [TRADUCTION] on vous trouve encore dans le bloc d'hébergement des femmes, vous serez renvoyé.

M. Pettigrew, qui était responsable des ressources humaines de l'intimée à la date en question, a dit au cours de son témoignage qu'une suspension des privilèges de camp signifiait à toutes fins pratiques une suspension des privilèges d'emploi. M. Pettigrew a également parlé de deux autres employés de sexe masculin qui ont été congédiés parce qu'ils avaient

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enfreint la règle concernant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes.

M. Bissett, qui était à l'époque le directeur des relations industrielles de l'intimée, a dit au plaignant qu'il avait tendance à opter pour le licenciement à la suite de la transgression dont il s'était rendu coupable.

En outre, la sanction prescrite à l'égard de la violation de la règle comporte des conséquences liées à l'emploi : les privilèges de camp sont révoqués et, par conséquent, la personne trouvée coupable est licenciée.

Par ailleurs, d'après les directives d'exploitation de l'intimée qui étaient en vigueur à l'époque (lesquelles directives ont été déposées comme pièce au cours de l'audience), les personnes qui se verraient attribuer douze points de démérite devaient être avisées que, si leurs privilèges de camp sont révoqués, leur emploi prendra automatiquement fin.

La preuve indique également de façon très claire l'éloignement de la mine de l'intimée. Dans ce genre de situation, la suspension des privilèges de camp d'un employé aurait des effets identiques à ceux, par exemple, du déni à un employé de l'accès au lieu de travail (même si l'employeur dans cet exemple peut alléguer que l'employé a néanmoins le droit de travailler - lorsque cet accès est refusé, l'employé ne peut travailler en réalité).

A la lumière des faits, il semble clair que les privilèges de camp constituaient une condition d'emploi chez l'intimée et c'est la conclusion à laquelle le Tribunal en arrive. La révocation ou la suspension des privilèges de camp d'un employé avait le même effet sur son emploi.

L'intimée soutient aussi qu'il y a une différence entre la règle ou politique et la punition. La règle est peut-être discriminatoire envers les hommes, mais elle n'est pas liée à l'emploi. La punition est peut-être liée à l'emploi, mais elle n'est pas discriminatoire. En l'espèce, le plaignant et son amie ont été punis de la même façon et, pour d'autres cas possibles, la punition prescrite ne fait pas de distinction entre les hommes et les femmes.

A notre avis, l'établissement d'une distinction entre la règle et la punition irait à l'encontre de l'objet de la Loi et serait contraire à l'obligation qu'a le Tribunal d'interpréter les alinéas 7a), 7b) et 10a) d'une façon large et libérale, afin de promouvoir l'objectif énoncé. L'exemple suivant indique comment cette distinction irait à l'encontre de l'objet de la Loi. L'employeur X pourrait établir la règle suivante :

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Aucun employé noir, catholique ou juif n'a le droit d'aller à la résidence d'un autre employé après les heures de travail et la violation de cette règle sera considérée comme une infraction intolérable pour cet employé et l'autre employé qui a reçu le visiteur, à moins que celui-ci n'ait pas consenti à la présence en question.

La punition prescrite par l'employeur X pourrait être la suivante: Tout employé qui commet une infraction intolérable sera immédiatement renvoyé.

Dans cet exemple, la règle ou politique comporte manifestement une distinction fondée sur la race et la religion, mais elle s'applique uniquement après les heures de travail. D'autre part, la punition touche l'emploi, mais elle est la même pour tous les employés.

Il semble que, si l'on fait une distinction entre une règle ou politique discriminatoire et une punition, la règle dans cet exemple serait valide et de nombreuses autres politiques discriminatoires pourraient être élaborées pour contourner la Loi, ce qui est tout à fait inacceptable et contraire aux objets de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En conséquence, le présent Tribunal n'est pas prêt à faire une distinction entre la règle ou politique en l'espèce et la punition imposée. Les deux sont liées entre elles et il faut examiner l'ensemble des conséquences des deux pour déterminer s'il s'agissait d'une pratique discriminatoire au sens des articles 7 ou 10.

Compte tenu de ce qui précède et de l'interprétation large et libérale que le Tribunal doit donner aux alinéas 7a), 7b) et 10a), il est évident que la règle et la punition en question étaient liées à l'emploi. En ce qui a trait à l'alinéa 7a), cela signifie que l'intimée a refusé de continuer à employer le plaignant, au sens de cette disposition, en décrétant la suspension (nous reviendrons plus loin sur la question de savoir s'il y a eu interruption d'un emploi continu). Dans le cas de l'alinéa 7b), cela signifie que la pratique discriminatoire a eu lieu en cours d'emploi. Quant à l'alinéa 10a), cela signifie que la pratique discriminatoire a eu pour effet de priver le plaignant d'une chance d'emploi plutôt que d'une chance non liée à l'emploi (nous reviendrons plus loin sur la question de savoir s'il s'agissait d'une chance).

La décision du Tribunal selon laquelle la suspension des privilèges de camp équivaut à suspension d'emploi (et la révocation des privilèges de camp équivaut à licenciement) ne signifie pas que chacun des articles pertinents s'applique. Une analyse plus approfondie s'impose.

L'autre question qui concerne l'alinéa 7a) est celle de savoir si la suspension de deux semaines équivaut à un refus de continuer d'employer. De l'avis du Tribunal, la suspension constitue effectivement une cessation d'emploi, bien que ce soit sur une base temporaire. La Loi

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n'indique pas si la cessation doit être permanente (c'est-à-dire s'il doit y avoir licenciement) et, compte tenu du fait que, selon les tribunaux, la Loi doit être interprétée de façon large, il semble raisonnable de dire que, en suspendant M. Hay de son emploi pour deux périodes d'affectation, l'intimée a refusé de continuer à l'employer pendant cette période. En conséquence, le Tribunal est d'avis que le plaignant a établi une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire de discrimination au sens de l'alinéa 7a).

Nous estimons que l'alinéa 7b) s'applique aussi en l'espèce. L'intimée soutient à cet égard qu'elle n'a pas fait de distinction qui a défavorisé un employé. Selon l'intimée, sur le plan de la punition, le plaignant et son amie ont tous deux été traités de la même façon. En conséquence, il n'y avait pas de distinction.

Cet argument est fondé sur la distinction dont nous venons de parler entre la règle et la punition. Comme nous l'avons déjà dit, il s'agit là d'une interprétation trop restrictive de la Loi et, en l'espèce, de l'alinéa 7b). La vérité, c'est que la suspension des privilèges de camp (et de l'emploi) a été une conséquence directe du fait que le plaignant (personne de sexe masculin) se trouvait dans les appartements d'une personne de sexe féminin. Si le plaignant avait été une femme (et que cette personne était allée dans la chambre de cette employée ou de tout autre employé), l'intimée n'aurait adopté aucune mesure. Cela indique que le plaignant a été traité différemment d'une employée qui se serait trouvée dans sa position. Selon le Tribunal, en agissant de cette façon, l'intimée a défavorisé le plaignant par rapport à ses employées. Le fait que l'amie du plaignant a été punie de la même façon ne saurait racheter l'intimée, qui a refusé au plaignant, personne de sexe masculin, un privilège dont jouit une employée.

En conséquence, le Tribunal est d'avis que le plaignant a également établi une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire de discrimination fondée sur l'alinéa 7b).

Nous en arrivons maintenant à l'applicabilité de l'alinéa 10a).

Selon l'intimée, l'alinéa 10a) ne s'applique pas, étant donné que la pratique discriminatoire reprochée n'a pas privé le plaignant d'une chance d'emploi, ce qui est nécessaire pour qu'une plainte fondée sur l'article 10a) soit jugée valide.

Dans la cause qui nous occupe, nous devons déterminer si l'intimée a établi une politique ou suivi une pratique qui était susceptible d'annihiler les chances d'emploi d'un individu (en l'occurrence, le plaignant) ou d'une catégorie d'individus (c'est-à-dire les employés de sexe masculin de l'intimée) d'une en raison de leur sexe. Pour trancher cette question, il faut examiner deux éléments, soit la discrimination véritable et la discrimination éventuelle. Dans une décision du 29 juin 1990, Procureur général du Canada c. Brian Mossop, la Cour d'appel fédérale a examiné l'article 10. Dans cette cause-là, un

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employé s'était vu refuser un congé pour décès payé qui était prévu dans une convention collective pour un motif de discrimination prohibé. Dans une remarque incidente, le juge Marceau a dit ce qui suit : ... l'article 10, contrairement aux articles 7 et 9, ne s'applique pas seulement à la discrimination véritable, mais aussi à la discrimination éventuelle. Le Tribunal est d'accord avec le juge Marceau et examinera donc les deux aspects de la règle concernant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes, c'est-à-dire l'effet de cette règle sur le plaignant et l'effet possible de cette règle sur les autres employés de sexe masculin.

Le juge Marceau a également fait un autre commentaire incident dans l'arrêt Mossop :

Avait-on l'intention de faire en sorte que tout avantage découlant d'un emploi soit perçu comme une chance d'emploi ou d'avancement? J'en doute sérieusement. Chose certaine, la version française et, irais-je même jusqu'à dire, la version anglaise suggèrent un sens plus restreint, à savoir que seuls l'engagement et les promotions étaient visés."

Le juge indique que, comme l'article 10 porte à la fois sur la discrimination véritable et la discrimination éventuelle, il est raisonnable de restreindre la définition des chances d'emploi.

De l'avis du Tribunal, les mots l'engagement et les promotions sous-entendent nécessairement un emploi continu et ininterrompu. Si telle n'était pas l'intention du juge Marceau, alors, en toute déférence, ses commentaires constituaient une remarque incidente et nous ne sommes pas prêts à adopter une définition aussi restreinte. De l'avis du Tribunal, la perte d'un emploi continu et ininterrompu est aussi une chance d'emploi perdue, notamment lorsque l'interruption entraîne la perte de deux périodes d'affectation.

Si la règle demeure en vigueur, il est indéniable que son application pourra entraîner la perte de chances d'emploi, compte tenu de la punition prescrite, selon laquelle les privilèges de camp seront révoqués et, par conséquent, l'employé sera licencié. En conséquence, nous sommes d'avis qu'il y a eu une perte réelle des chances d'emploi en l'espèce et que la règle peut entraîner une perte de chances d'emploi.

L'intimée a également soutenu que, sur le formulaire même de la plainte, on ne contestait pas la règle (c.-à-d. en ce qui a trait aux effets discriminatoires futurs ou possibles selon l'article 10), mais plutôt la suspension du plaignant. Ce que dit l'intimée, c'est que la règle elle-même n'est pas mentionnée dans la plainte comme motif de contestation, seule la punition imposée en application de ladite règle étant reprochée en l'espèce.

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D'abord, le plaignant fait allusion à la règle ou politique dans la plainte, bien que de façon indirecte. Il s'exprime en ces termes :

[TRADUCTION]

bien que la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes soit absolument interdite, les femmes jouissent d'un accès illimité au bloc d'hébergement des hommes. En deuxième lieu, selon les tribunaux, le formulaire de plainte dans les causes administratives ne doit pas être examiné de la même façon que le formulaire de dénonciation ou de mise en accusation dans une cause de nature pénale (voir Cousens v. The Canadian Nurses Association, [1988], 2 C.H.R.R. D/78 et Bernard v. Fort Francis Board of Police Commissioners, 7 C.H.R.R. D/3167). Bien entendu, si une partie intimée soulève une question au sujet de laquelle elle n'a pas reçu un avis raisonnable, le Tribunal devrait faire droit à toute demande raisonnable de cette partie pour qu'elle ne subisse aucun préjudice et qu'elle bénéficie d'une audience impartiale. Dans la cause qui nous occupe, l'intimée n'a pas indiqué au Tribunal de questions au sujet desquelles elle n'a pas été avisée. Elle a simplement soutenu qu'aucune plainte précise concernant la règle n'était énoncée sur le formulaire proprement dit et que, par conséquent, la plainte devrait être rejetée, puisqu'elle portait sur la règle. L'intimée n'a pas formulé d'autre demande à cet égard. Bref, l'intimée demandait que la plainte soit rejetée pour un motif technique. Comme les arrêts susmentionnés l'indiquent, cet argument n'est pas acceptable dans un litige portant sur le droit administratif. Même si un préjudice est établi, il est préférable d'accorder la demande d'ajournement, etc., d'une partie intimée plutôt que de rejeter la plainte.

En conséquence, pour les motifs exposés ci-dessus, nous sommes d'avis que, en l'espèce, le plaignant a été privé d'un emploi continu pendant deux semaines et qu'il a donc été privé d'une chance d'emploi.

En outre, la politique ou règle en question prévoit la révocation des privilèges de camp et, par conséquent, le licenciement à la suite de la violation de cette règle. Cette règle est susceptible d'avoir des effets discriminatoires pour tous les employés de sexe masculin de l'intimée et de les priver d'une chance d'emploi. Pour reprendre les propos déjà cités du juge Marceau, l'article 10 ... ne s'applique pas seulement à la discrimination véritable, mais aussi à la discrimination éventuelle. En conséquence, une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire de l'existence de discrimination fondée sur l'alinéa 10a) a été établie tant en ce qui a trait au traitement du plaignant qu'à la règle ou politique.

Après avoir examiné les arguments liés à l'interprétation des articles 7 et 10, le Tribunal estime que le plaignant s'est déchargé du fardeau qu'il avait et qu'il a établi une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire de discrimination fondée sur les alinéas 7a), 7b) et 10a). Les faits nécessaires ont été établis aux fins d'une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire. D'une façon générale, la règle discriminatoire et la mesure de distinction ont été décrites en termes clairs et la plupart des éléments de cette description n'ont pas été contredits. La cause était simple à cet égard et le plaignant s'est assez facilement déchargé du fardeau qui lui incombait.

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Lorsqu'une preuve de discrimination suffisante jusqu'à preuve du contraire est établie, l'alinéa 15a) prévoit une exception ou un moyen de défense :

"15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées (EPJ);"

L'arrêt-clé au sujet de l'EPJ est l'arrêt Etobicoke, précité. Il incombe maintenant à la partie intimée d'établir ce moyen de défense. A la page 208, le juge McIntyre a défini le critère applicable comme suit :

"Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général."

En ce qui a trait à cet élément subjectif du critère, le Tribunal est d'avis que l'intimée a imposé la règle et la punition en l'espèce de façon honnête et de bonne foi. La règle a été établie à la suite d'une agression sexuelle qui remonte à plusieurs années. M. Pettigrew, porte- parole de l'intimée, s'est montré très persuasif lorsqu'il a dit que l'intimée croyait que la règle permettrait de satisfaire et de protéger les employées. L'intimée semble avoir agi de bonne foi.

L'arrêt Etobicoke précité indique également que la preuve à présenter pour établir l'élément objectif du critère doit être davantage qu'une preuve impressionniste. Une preuve scientifique ou empirique est certainement préférable et toujours plus persuasive, bien qu'elle ne soit pas requise dans tous les cas. Aux pages 212 et 213, le juge McIntyre indique le genre de preuve requise :

"Il serait imprudent de tenter de formuler une règle fixe concernant la nature et le caractère suffisant de la preuve requise pour justifier la retraite obligatoire avant l'âge de soixante-cinq ans en vertu

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des dispositions du par. 4(6) du Code. En dernière analyse et toujours sous réserve du droit d'appel prévu à l'art. 14d) du Code, le commissaire enquêteur doit être le juge en cette matière...

Je ne suis pas du tout certain de ce qu'on peut qualifier de preuve scientifique. Je ne dis absolument pas qu'une preuve scientifique sera nécessaire dans tous les cas. Il me semble cependant que, dans des cas comme celui en l'espèce, une preuve de nature statistique et médicale qui s'appuie sur l'observation et l'étude de la question du vieillissement, même si elle n'est pas absolument nécessaire dans tous les cas, sera certainement plus convaincante que le témoignage de personnes même très expérimentées dans la lutte contre les incendies, portant que le travail de pompier est une affaire de jeune homme. L'examen que j'ai fait de la preuve m'amène à souscrire aux conclusions du commissaire enquêteur. Tout en étant persuadé que la preuve et les opinions entendues ont été soumises honnêtement, c'est avec raison, à mon avis, qu'on a dit qu'elles étaient impressionnistes et qu'elles n'étaient pas concluantes."

L'intimée a demandé à deux de ses employées de venir témoigner au sujet de l'élément objectif de ce critère. Les employées ont mentionné leur besoin d'intimité et de protection. Une employée a semblé plus préoccupée et a dit qu'elle ne conserverait peut-être pas cet emploi en l'absence de la règle concernant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes, tandis que l'autre employée a dit qu'elle ne chercherait pas d'emploi ailleurs. M. Pettigrew a également indiqué qu'il se demandait si l'intimée pourrait embaucher des employées et les garder à son emploi en l'absence de la règle.

La preuve de l'intimée est tout simplement insuffisante pour établir la défense fondée sur une EPJ.

Les préoccupations liées à la sécurité peuvent évidemment constituer le fondement d'une EPJ. Dans ce cas-ci, on sous-entend apparemment que la présence d'un homme dans le bloc d'hébergement des femmes pose plus de problèmes de sécurité que la présence d'une femme dans le bloc d'hébergement des hommes ou simplement la présence de toute autre personne (homme ou femme) dans le bloc d'hébergement d'une autre. De toute évidence, il faut démontrer un peu plus que la crainte de deux employées au sujet de leur sécurité. De l'avis du Tribunal, il aurait fallu présenter le témoignage d'un expert, des statistiques et ainsi de suite pour démontrer que la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes comporte un risque accru pour la sécurité. Si ce risque n'est pas établi, il n'y a aucune raison d'exclure uniquement les personnes du sexe masculin

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pour des motifs liés à la sécurité. La preuve selon laquelle un homme a commis une agression sexuelle en 1982 n'a guère d'importance : il s'agit d'un événement trop éloigné et isolé (survenu à un moment où 1 200 travailleurs se trouvaient à l'emplacement) pour aider l'intimée. A notre avis, même si l'agression était survenue récemment, il aurait fallu présenter plus de données scientifiques indiquant l'accroissement des risques liés à la sécurité et les avantages liés à la règle concernant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes.

Dans Maline Stanley et al v. Royal Canadian Mounted Police, [1987], 8 C.H.R.R. D/605 et Annie McKale v. Lamont Auxiliary Hospital and Nursing Home District No. 23 [1988], 8 C.H.R.R. D/638 (C.B.R. Alb.), on a jugé que les préoccupations liées à l'intimité des détenus et des résidants de maisons de convalescence constituaient le fondement d'une défense valide reposant sur une EPJ. Dans chaque cas, des témoignages d'expert très détaillés ont été présentés au Tribunal. Certains des experts ont parlé des réactions et préoccupations typiques des personnes concernées; c'est là le genre de preuve qui aurait aidé le Tribunal en l'espèce. Voir également Ville de Saskatoon et the Saskatoon Professional Firefighters Union Local 80 c. The Saskatchewan Human Rights Commission et Len Craig, [1989], 2 RCS 1297, pour un autre exemple de la preuve requise.

Le Tribunal souligne que les femmes avaient le droit de se trouver dans le bloc d'hébergement des hommes et que la preuve n'indique nullement que les hommes avaient moins de préoccupations liées à leur intimité que les femmes. Les préoccupations liées à l'intimité sont peut- être tout aussi particulières que les préoccupations liées au sexe, ou peut-être ne le sont-elles pas. Cependant, le Tribunal n'avait aucune preuve devant lui au sujet de cette question et d'autres questions de nature similaire.

Le Tribunal ajoute que la disposition des résidences au campement de l'intimée semble offrir une intimité raisonnable aux résidants lorsque les membres du sexe opposé sont présents (p. ex. chambres privées, rideaux dans la salle de bain, etc.). Il ne semble pas nécessaire d'apporter des changements de structure pour tenir raisonnablement compte des besoins d'intimité de chacun.

L'intimée a également présenté une preuve indiquant que certains employés (ou du moins les employées du sexe féminin) préféraient que la règle en question demeure en vigueur. La préférence des employés ne suffit tout simplement pas. Ainsi, les employés peuvent souhaiter que leur employeur n'embauche pas d'autres employés appartenant à une certaine race ou religion. L'employeur ne saurait se fonder sur la préférence des employés pour justifier une pratique d'embauche discriminatoire; de la même façon, l'intimée ne peut invoquer ce motif pour conserver sa règle concernant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes.

En conséquence, le Tribunal est d'avis que la preuve présentée par l'intimée au sujet de l'EPJ est, tout au mieux, impressionniste et, de

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ce fait, insuffisante. En conséquence, nous sommes d'avis que l'exception prévue à l'alinéa 15a) ne s'applique pas en l'espèce.

Récemment, la Cour suprême du Canada a indiqué clairement la mesure que le Tribunal doit adopter à l'égard de la règle en question. Il s'agit ici d'un cas de discrimination directe, puisque la règle établit à sa face même une distinction défavorable à tous les hommes. Dans Alberta Human Rights Commission c. Central Alberta Dairy Pool, décision de la Cour suprême du Canada en date du 13 septembre 1990, le juge Wilson, qui s'exprimait au nom de la majorité, a dit ce qui suit : Lorsque la règle établie par l'employeur tombe dans la catégorie de la discrimination directe et qu'elle n'est protégée par aucune justification légale, elle est simplement annulée.

Décision

Nous sommes donc d'avis que la plainte en question est fondée, étant donné que l'intimée a fait montre de discrimination à l'endroit du plaignant contrairement aux alinéas 7a), 7b) et 10a) et que, de plus, la règle concernant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes constitue une pratique discriminatoire au sens de l'alinéa 10a).

En conséquence, le Tribunal ordonne à l'intimée, conformément à l'alinéa 54(2)a), de révoquer immédiatement la règle concernant la présence d'hommes dans le bloc d'hébergement des femmes et lui enjoint de ne pas adopter d'autres règles semblables par la suite. Même si le Tribunal ne rend aucune autre ordonnance au sujet d'une règle que l'intimée pourrait établir pour remplacer la règle visée aux présentes, il lui recommande fortement d'adopter cette règle en consultation avec la Commission canadienne des droits de la personne de façon à éviter la tenue d'autres audiences à ce sujet et à économiser les deniers du trésor public.

Le Tribunal ordonne également, conformément à l'alinéa 54(2)a), que tous les registres de l'incident en question soient éliminés de tous les dossiers que l'intimée possède ou tient au sujet du plaignant, qu'il s'agisse du dossier d'employé ou d'autres dossiers.

Conformément à l'alinéa 54(2)c), le Tribunal ordonne également à l'intimée de payer immédiatement au plaignant la somme de 2 779,70 $ à titre de dédommagement relatif au salaire perdu ainsi que les intérêts sur cette somme au taux en vigueur à l'égard des obligations d'épargne du Canada, composé chaque année, pour la période allant du 1er février 1988 jusqu'à la date du paiement au plaignant.

Il convient de souligner que toutes les parties se sont entendues sur le montant de salaire que le plaignant a perdu. En outre, l'intimée n'a pas contesté le paiement des intérêts ou le taux de ceux-ci.

Le plaignant a également demandé un dédommagement spécial pour préjudice moral, conformément à l'alinéa 54(3)b). Le Tribunal a entendu le témoignage du plaignant au cours duquel celui-ci a dit qu'il avait souffert de problèmes matrimoniaux, d'angoisse et de stress, étant donné qu'il

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ignorait s'il aurait encore un emploi après la suspension, qu'il entendait des rumeurs au travail et qu'il était possible que l'incident ait des répercussions sur des promotions non visées par la convention collective. Malgré ces facteurs, à la lumière de la preuve présentée devant lui, le Tribunal est d'avis que le plaignant était bien au courant de la règle en question et des risques liés à la violation de cette règle. Il a décidé de courir le risque et il s'est fait prendre. Les malheurs dont il a parlé auraient pu être évités s'il avait rencontré son amie dans sa chambre ou dans la partie commune du campement. Même si nous sommes d'avis que cette question n'est aucunement liée à celle de savoir s'il y avait une pratique discriminatoire, la conduite du plaignant est pertinente quant à la question du dédommagement pour préjudice moral et une indemnité nominale seulement est appropriée. En conséquence, le Tribunal ordonne à l'intimée de verser au plaignant une somme de 1 $ à titre de dédommagement pour préjudice moral, conformément à l'alinéa 54(3)b).

Le plaignant demande également des excuses, mais le Tribunal n'est pas prêt à exiger de l'intimée qu'elle s'excuse. Comme nous l'avons mentionné, le plaignant est en grande partie responsable de son propre malheur. En outre, l'intimée a établi la règle de bonne foi (bien qu'à tort) et a traité le plaignant de façon raisonnable et avec compassion, compte tenu de la punition qui était prescrite (soit le licenciement). En outre, à la date de l'audition de la présente cause, le plaignant travaillait encore pour l'intimée, il avait reçu toutes les promotions auxquelles il avait droit et il semblait être traité de façon favorable par l'intimée; de plus, il n'avait nullement l'intention de se chercher un emploi ailleurs. A notre avis, des excuses ne sont pas appropriées.

SIGNÉ ET FAIT LE 28 mars 1991.

RAYMOND WILLIAM KIRZINGER Président

SIGNÉ ET FAIT LE 13 mars 1991.

LOIS RAE SERWA Membre

SIGNÉ ET FAIT LE 25 mars 1991.

SEECH GAJADHARSINGH

Membre

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