Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 10/ 83 Décision rendue le 14 septembre 1983

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. 1976- 1977, c. 33) Et dans l’affaire d’une audience tenue devant un tribunal des droits de la personne constitué en vertu de l’article 39 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE : EMILDA SHAFFER Plaignante et LE CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA représenté par le ministère des Affaires des Anciens combattants

Mis en cause

DEVANT : MARY LOIS DYER TRIBUNAL

ONT COMPARU : R. JURIANSZ AVOCAT DE la Commission canadienne des droits de la personne
G. GRENVILLE- WOOD AVOCAT DE la plaignante L. LEDUC AVOCAT DU mis en cause

DATES DE L’AUDIENCE : Les 15, 16 et 17 février 1983 Le 2 mai 1983

>I. INTRODUCTION

Il s’agit d’une plainte déposée par Emilda Shaffer contre le Conseil du Trésor du Canada en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne des droits de la personne (S. C. 1976- 7, C- 33).

Dans la plainte qu’elle a signée (pièce H- 2), Emilda Shaffer déclare ce qui suit :

"Je travaille au Foyer Rideau pour anciens combattants en qualité d’infirmière auxiliaire depuis 25 mois. Le 9 août 1981, pendant que je travaillais au département 3 de l’aile Est avec Mme McLean, Emile Bertrand et Marcel Côté, ce dernier m’a traité de négresse. Le 10 août a eu lieu un deuxième incident durant lequel M. Côté m’a giflée sans que je l’aie

provoqué en aucune façon. J’ai mis ma supérieure immédiate, Mme Knox, au courant de cet incident, et elle en a à son tour fait part à l’administrateur du Foyer, M. McGovern, mais rien n’a été fait pour remédier à la situation. Au contraire, M. McGovern a déclaré que a) il considérait qu’il s’agissait d’une affaire personnelle, b) que le Foyer ne s’en mêlerait pas et que c) M. Côté et moi- même devions nous arranger entre nous. J’estime par conséquent avoir été victime de discrimination en raison de ma race (indo- pakistanaise) et de ma couleur (noire), ce qui contrevient aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne."

La plainte a été signée à Ottawa (Ontario), le 28 août 1981. Le 8 novembre 1982, j’ai été nommée, aux termes du paragraphe 39( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, membre unique d’un tribunal chargé de déterminer s’il y avait discrimination aux yeux de la Loi.

> - 2 A l’audience ont été présentées des allégations de discrimination contre Mme Shaffer fondées sur la race et la couleur. La plainte avait été déposée contre le Conseil du Trésor du Canada et non contre des particuliers. L’avocat a présenté en preuve la transcription (pièce C- 1) d’une procédure criminelle qui avait eu lieu concernant les incidents qui s’étaient produits. Cette mesure était prise pour éviter d’avoir à faire témoigner l’un des résidants du Foyer Rideau et son témoignage est reçu par le dépôt de cette pièce.

L’avocat de la plaignante déclara son intention de démontrer que l’employeur était fautif en prouvant qu’il aurait dû prendre des mesures plus adéquates pour assurer à l’employée un lieu de travail où elle ne soit pas soumise à des insultes et à du harcèlement physique et que l’employeur était fautif aussi du fait qu’il n’avait pas satisfait à ses obligations. L’avocat entreprenait aussi de prouver que l’employeur, par le biais de ses représentants sur place, n’avait pas pris les mesures voulues soit en imposant une mesure disciplinaire à la personne en cause, soit en faisant comprendre clairement aux autres membres du personnel qui relevaient de lui que ce genre de comportement ou d’activité était totalement inacceptable et ferait l’objet d’une sévère mesure disciplinaire. (I- 9). L’avocat prétendait que, de la sorte, l’employeur avait négligé d’appliquer les principes à la base de la Loi sur les droits de la personne.

> - 3 Enfin, le tribunal a accepté une motion tendant à modifier le libellé de la plainte de manière que le Conseil du Trésor du Canada soit identifié comme le mis en cause représenté par le ministère des Affaires des anciens combattants.

Il. LA PREUVE

EMILDA SHAFFER Emilda Shaffer est née à Mangalore, en Inde, et a immigré au Canada avec son mari et ses enfants en novembre 1970. Mme Shaffer a terminé un cours général de nursing à Calcutta, en Inde, en 1957 et a travaillé dans cette discipline jusqu’à sa venue au Canada. Une fois au Canada, Mme Shaffer a travaillé à Ottawa et à Toronto comme infirmière avant de suivre le cours d’infirmière auxiliaire et d’obtenir sa licence en 1977- 1978. En 1979, Mme Shaffer a déménagé à Ottawa et a commencé, le 3 juillet 1979, à travailler au Foyer Rideau pour anciens combattants. Mme Shaffer y travaille depuis, sans interruption, comme infirmière auxiliaire.

D’après la preuve, il s’est produit deux incidents sur lesquels repose la plainte. Quoique chacun soit distinct de l’autre, les deux ne sauraient être considérés isolément.

> - 4 Mme Shaffer a déclaré qu’il y avait environ 130 lits au Foyer Rideau. En août 1981, M. McGovern était administrateur du Foyer et Mme Tassé était directrice du nursing. La structure administrative comprend également deux surveillantes du nursing, une pour l’aile Est et l’autre pour l’aile Ouest. Mme Shaffer témoigna que Mme Knox était surveillante de l’aile Est et Mme Ekhdal surveillante de l’aile Ouest. Dans l’aile Ouest, il y a un poste de nursing dans lequel se tiennent une ou deux infirmières, car les patients sont actifs et assez autonomes; ceux qui le sont moins logent au département 2 de l’aile Ouest. Pour ce qui est de l’aile Est, Mme Shaffer a témoigné qu’il y avait trois postes de nursing où se tenaient une ou deux infirmières, plusieurs auxiliaires et les aides. Mme Shaffer a témoigné en outre que le Foyer Rideau employait d’autres personnes de couleur.

Au sujet de l’incident du 9 août 1981, Mme Shaffer a déclaré ce qui suit :

"La diététicienne était en train de servir des oignons aux patients et comme un ou deux d’entre eux ne pouvaient manger de ces oignons espagnols, je dis à la diététitienne de ne pas leur en servir; Marcel Côté, qui était juste derrière moi, dit alors : Ces nègres- là ne peuvent pas s’offrir des oignons espagnols et c’est pour ça qu’ils veulent en priver les patients. Chaque fois que je le croisais dans le couloir en portant les plateaux, il ne cessait de me répéter : Ces nègres- là ne mangent pas d’oignons. Et il le répéta plusieurs fois." (I- 21). Voir également II- 180.

Mme Shaffer a déclaré en outre :

"Même pendant que nous étions, les deux aides et moi- même, en train de servir et de nourrir les patients, puisque certains

> - 5 avaient besoin d’être nourris, il (Côté) continuait à répéter

la même chose devant les patients et c’est alors que je lui ai dit C’est pas comme si tu battais ta femme, alors arrête de me harceler. (I- 22)

A l’époque, M. Côté travaillait au département no 3 de l’aile Est du Foyer Rideau, en qualité d’aide. D’après Mme Shaffer, peu après cet échange avec M. Côté, le téléphone s’est mis à sonner. M Côté a pris l’appel et durant la conversation, Mme Shaffer a pu entendre M. Côté dire :

"Il y a une négresse qui travaille ici, tu devrais lui dire ta façon de penser." (I- 24)

L’infirmière en chef était Mme McLean et Mme Shaffer a témoigné que :

"L’infirmière a dit qu’elle ne voulait pas entendre des conversations du genre et que nous ferions mieux de nous remettre au travail, et quand j’ai entendu cela, j’ai demandé la permission d’aller voir la surveillante." (I- 24) Voir également II- 190.

Mme Shaffer a témoigné que Mme McLean lui en avait refusé la permission, en lui disant de se remettre au travail. Mme Shaffer a témoigné que :

"Marcel Côté, sans demander de permission, est allé voir Mme Knox et lui a raconté sa version des faits." (I- 25)

Ce même jour, Mme Shaffer a fait un rapport sur l’incident (pièce C- 2) dans lequel elle déclare ce qui suit

> - 6 Marcel Côté, un aide, m’a à plusieurs reprises traitée de négresse et de noire devant les patients, l’infirmière Mme McLean et l’aide Emile Bertrand. Au cours d’une conversation téléphonique, il m’a traitée de négresse devant les patients et le personnel. (C- 2)

Plus tard, Mme Shaffer a déclaré que Mme Knox était venue à l’étage sitôt après que M. Côté l’ait rencontrée et qu’elle s’était contentée de :

"... me dire que je n’étais pas une négresse et que je ne devais pas m’en faire avec cette histoire." (I- 26)

Le deuxième incident a eu lieu le 10 août 1981. Mme Shaffer le rapporte de la façon suivante :

"Le 10 août, je venais juste de répondre, au téléphone, à quelqu’un qui demandait un aide du nom de Jim Ritchie et à qui j’avais répondu que Jim Ritchie ne se trouvait pas au département no 3 de l’aile Est et d’essayer plutôt au département no 2 de l’aile Est. Emile Bertrand, un autre aide, qui se trouvait juste derrière moi, avait entendu ce que je disais et, après que j’aie raccroché, il me dit "Jim Ritchie n’est pas au département no 2 de l’aile Est, il n’est

pas venu aujourd’hui". Je dis très bien, mais j’ai déjà raccroché; ils s’en apercevront bien." (I- 27)

Ensuite, Mme Shaffer a témoigné que, peu de temps après, comme elle était en train de transférer un patient d’une chaise à un fauteuil roulant, Marcel Côté est venu à elle et lui a dit :

"Ne parle plus jamais comme ça à ma femme" et qu’il l’a ensuite giflée alors qu’elle ne savait absolument pas de quoi il voulait parler. (I- 27)

> - 7 Mme Shaffer a décrit la gifle comme suit :

"Q. Parlez- moi de la gifle? S’agissait- il d’une simple tape

ou si c’était un coup appliqué avec force ? R. C’était un coup appliqué avec force qui a fait du bruit,

et assez fort. Q. Sur quelle joue vous a- t- il frappée, de quel côté du

visage? R. Il m’a frappée du côté droit. Q. Du côté droit? R. Oui. Q. De la paume ou du revers de la main? R. De la paume. Q. Et vous souvenez- vous si c’était de la main gauche ou de

la main droite? R. De la main droite. Q. Et comment avez- vous réagi sur le coup? R. J’étais choquée, stupéfaite, humiliée, toute rouge et je

suis sortie." (I- 126)

Mme Shaffer a témoigné qu’après avoir été frappée, elle avait quitté l’étage sans permission et s’était rendue chez Mme Knox lui raconter ce qui venait de se passer. Mme Shaffer a déclaré ce qui suit :

"Elle a fait appeler M. Côté et l’aide en chef était là; elle a entendu ma version et sa version des faits; il a nié m’avoir giflée; ils ont dit que si j’avais été giflée, on verrait des traces de doigts sur mon visage. Ils ne m’ont pas crue." (I- 28)

> - 8 -

Avant de partir ce jour- là, Mme Shaffer a fait un rapport (pièce C- 3) dans lequel elle déclare ce qui suit :

"Marcel Côté m’a, sans provocation de ma part, frappée au visage après m’avoir harcelée verbalement la journée précédente à cause de mon origine raciale (Inde)."

Mme Shaffer a témoigné qu’elle avait demandé l’autorisation de faire un appel, qu’on la lui avait refusée et que, plus tard dans la matinée, elle était rentrée chez elle. Mais auparavant, dit- elle, comme elle allait chercher son sac à main, elle s’informa autour d’elle si un patient avait été témoin de l’incident. L’un d’entre eux, M. Sweeney, lui déclara avoir vu Marcel Côté la gifler. Mme Shaffer a appelé Mme McLean, l’infirmière du service, et a alors demandé à M. Sweeney de lui dire ainsi qu’à Mme Knox, qu’il avait vu Marcel Côté la frapper et c’est ce que M. Sweeney a fait.

Comme on lui demandait si un autre membre du personnel avait assisté à l’incident, Mme Shaffer a répondu :

"Je ne me rappelle pas où Mme McLean se trouvait à ce moment mais je pense qu’Emile Bertrand devait être là puisque je l’ai entendu dire : "Marcel tu n’aurais pu dû faire cela". (I- 125- 126)

Mme Shaffer a témoigné que, dans la soirée du 10 août 1981, elle a écrit à M. W. L. Ford, le représentant de l’Alliance de la fonction publique, pour lui faire part de l’incident par écrit et l’informer

> - 9 des mesures prises à ce moment- là par la direction. (I- 32) Cette lettre, qui est la pièce C- 4 présentée en preuve, donne des détails sur les incidents des 9 et 10 août.

Mme Shaffer a témoigné qu’après avoir quitté le lieu de travail, le 10 août 1981, elle ne s’est pas présentée au travail de cinq jours. Le 11 août, elle souffrait, était très émue et ne pouvait tout simplement pas travailler. (I- 33). Elle se rendit voir son médecin, qui lui prescrivit du Tylenol contre la douleur et du Valium comme tranquillisant. Mme Shaffer a en outre témoigné que le 11 août, elle avait porté plainte contre Marcel Côté au service de la police d’Ottawa. Le procès- verbal de la procédure engagée au sujet de cette plainte a été enregistré parmi les pièces avec la cote C- 1 et est reçu comme preuve qu’il y a bel et bien eu gifle.

Pour ce qui est des cinq jours et demie de maladie, Mme Shaffer a témoigné, sans que cela soit démenti, qu’elle les avait bel et bien pris, que c’étaient des congés payés mais que le nombre de ses crédits de maladie s’en trouvait malgré tout diminué. Plus tard, au mois de novembre 1981, Mme Shaffer a dû prendre 20 jours de congé de maladie à cause du stress occasionné par les incidents du mois d’août et par diverses choses arrivées par la suite. (Voir la transcription I, pages 146 à 149).

> - 10 A son retour au travail, le 18 août 1981, Mme Shaffer a été informée qu’une rencontre aurait lieu avec M. McGovern. Y ont également assisté Mme McLean et Mme Knox. Mme Shaffer a témoigné que cette rencontre était au sujet du rapport qu’elle avait rempli et que M. McGovern avait donné instruction à Mme Knox de me donner des séances d’orientation professionnelle (I- 36). Mme Shaffer a déclaré s’être excusée d’avoir laissé un patient sans surveillance après avoir été frappée, le 10 août. Mme Shaffer a déclaré clairement qu’au cours de la réunion, qui avait duré environ dix minutes, aucune allusion n’avait été faite à l’incident de la gifle.

Lorsque Mme Shaffer s’est présentée au travail, le 19 août 1981, elle a été invitée à une rencontre avec M. McGovern, Mme Knox, Mme Gervais (représentante syndicale) et M. Côté. D’après ses dires, M. McGovern, après avoir ouvert la séance, a précisé qu’elle avait pour objet les incidents qui s’étaient produits entre Mme Shaffer et M. Côté. Mme Shaffer a déclaré :

"Il (M. McGovern) a dit que tout cela s’était passé entre nous deux, que c’était une affaire entre nous, que le Foyer ne s’en mêlerait pas, que nous devrions nous arranger entre nous et que je devais déclarer par écrit être disposée à travailler en bonne entente avec Marcel Côté." (I- 39)

Mme Shaffer dit avoir demandé du temps pour réfléchir à cette dernière demande et qu’on lui avait accordé plusieurs jours. (I- 40, II- 232- 233)

> - 11 Mme Shaffer a témoigné que le 20 août, elle avait reçu copie (pièce C- 5) d’une note de service adressée par M. McGovern à la directrice du nursing, Mme Knox, concernant les séances d’orientation :

La présente note pour confirmer la rencontre du 18 août à laquelle vous- même, moi- même, Mme McLean et Mme Shaffer étions présents. Comme Mme Shaffer a nié avoir reçu de nombreuses séances d’orientation en cours d’emploi, il a été convenu par toutes les personnes présentes que, pour éviter toute confusion à l’avenir, sa supérieure lui confirmera par écrit la teneur de toute séance d’orientation ultérieure. Il lui sera alors demandé de signer une copie du document, à verser à son dossier personnel. Mme Shaffer a, bien sûr, la possibilité de réfuter le contenu du document, mais si elle ne peut le faire et refuse de signer, un témoin pourra en témoigner. Il est à espérer que, de cette façon, les séances d’orientation atteindront leur but, c’est- à- dire renseigneront l’employée sur ses lacunes dans son travail, son attitude ou ses relations avec le personnel et les résidants, et aussi sur les moyens d’y remédier. Je vous demande donc d’appliquer immédiatement cette procédure dans le cas de Mme Shaffer, et ce pour toutes les autres

séances d’orientation, sans exception, qui pourraient avoir lieu avec elle."

Aux pages 221 et 222, de même qu’aux pages 290 et 291, Mme Shaffer déclare sans ambiguïté qu’elle n’avait jamais eu connaissance d’aucune séance d’orientation avant de recevoir cette note et explique ce qu’elle entend par séance d’orientation.

Le 31 août 1981, Mme Shaffer a fait un grief concernant les incidents en question, dans lequel elle déclare :

> - 12 "Le 9 août, j’ai été insultée et harcelée en raison de ma race par Marcel Côté. Le 10 août, j’ai été physiquement attaquée par Marcel Côté. Les deux incidents ont été signalés à Mme McLean et à Mme Knox et enfin à M. McGovern, l’administrateur du Foyer. A ma connaissance, aucun d’entre eux n’a pris quelque mesure disciplinaire que ce soit à l’égard de Marcel Côté ni rien fait pour assurer la sécurité et la santé au travail, notion qui recouvre au moins la protection d’un employé contre les insultes et les attaques par un autre employé, d’après l’article 34.01." (Voir page 143 de la transcription.)

Le dossier indique que, dans la réponse au grief, datée du 4 septembre 1981, la mesure réclamée contre M. Côté a été rejetée. A la pièce H- 3 sont joints la réponse, datée du 6 octobre 1981, à un grief de deuxième palier de même que la réponse, datée du 23 novembre 1981, à un grief de troisième palier, tous deux ayant été rejetés.

Mme Shaffer a témoigné que, plusieurs jours après, elle a fait parvenir à M. McGovern, une lettre datée du 27 août 1981 en réponse à la demande formulée au cours de la rencontre du 20 août. Cette lettre constitue la pièce C- 7 et les premier, troisième et dernier paragraphes figurent dans la transcription; ils sont reproduits ici bien que le contenu entier de la lettre ait été pris en considération.

"A la suite des incidents des 9 et 10 août, vous- même et Mme Knox avez fait pression sur moi de plusieurs façons dont celle, très discriminatoire, de faire de moi l’objet d’une surveillance et de rapports spéciaux. Vous avez par écrit donné instruction à M. Knox de me réserver un traitement spécial, ce qui est non seulement répugnant, mais contrevient à la convention collective. Ce procédé fera l’objet d’un grief." (paragraphe du milieu, page 2, pièce C- 7)

> - 13 En quelques jours seulement, d’agressée, je suis devenue agresseur. Voilà qui est curieux. J’ai été harcelée et insultée sans que la direction fasse rien. J’ai été physiquement agressée et la direction n’a toujours pas bougé. Me voilà obligée de me défendre pour un acte criminel dont

j’ai été la victime. La séance d’orientation du 11 août 1981 dont Mme Knox m’a gratifiée par écrit fera également l’objet d’un grief. Cette lettre est à l’évidence vexatoire et ne peut avoir qu’un objet différent de celui allégué. (Pages 3 et 4, pièce C- 7)

Quant à ce que vous exigez spécifiquement de moi, je veux vous informer que je continuerai à remplir mes fonctions en bonne entente avec mes camarades de travail et pénétrée d’un sens profond de mon devoir et de mes obligations à l’égard des patients du Foyer Rideau. Quant à savoir si, comme vous me l’avez demandé précédemment, je suis prête à pardonner et oublier les agissements criminels et illégaux de M. Côté, j’y réponds bien sûr par la négative." (page 5, pièce C- 7).

Mme Shaffer a témoigné que, quand elle a écrit cette lettre, elle ne savait pas que Marcel Côté avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire et ne l’a su, en fait, que peu avant les présentes audiences. (Voir les pages 49 et 145 de la transcription.)

Mme Shaffer a ensuite témoigné au sujet de la série d’incidents qui ont eu lieu durant l’automne de 1981 et l’hiver de 1982, qui lui ont fait connaître la réaction de l’employeur à toute cette affaire. Elle en a conçu un sentiment de crainte et de discrimination.

Le 17 octobre 1981 a eu lieu l’incident suivant :

> - 14 "Eh bien, j’étais en route pour le travail. J’ai eu une

crevaison et mon mari était censé appeler l’Ontario Motor League; j’attendais près de ma voiture et il est parti appeler le Foyer pour l’informer que je serais en retard. J’étais de soirée. Dans l’intervalle, l’infirmière a appelé chez moi à environ 15 h 35; mon mari arrivait à la porte juste comme le téléphone sonnait et j’ai perdu une demi- heure de salaire pour être arrivée en retard." (I- 51)

Mme Shaffer a fait un grief pour cette perte de salaire, estimant qu’elle avait pris les moyens appropriés pour prévenir ses employeurs (pièce H- 5). Le grief a été accepté et le salaire rendu.

La pièce C- 8 a été présentée à titre de compte rendu, daté du 28 octobre 1981, de réunions entre Mme Shaffer et d’autres personnes le 23 octobre 1981 à 10 h 30 et le 26 octobre 1981 à 15 heures. Outre Mme Shaffer, y assistaient M. Giroux à titre de représentant de la direction, Mme Tassé, Mme Gervais et M. Perkins, ces deux derniers représentant le syndicat. M. Giroux était administrateur par intérim. Ces réunions étaient motivées par le fait que Mme Shaffer avait exprimé des craintes pour sa sûreté. Le compte rendu porte que Mme Shaffer a été informée des différents moyens pris par la direction pour assurer sa protection et sa sûreté au Foyer et qu’elle a reçu des conseils quant à son comportement et à son rendement au travail.

En ce qui concerne les mesures prises pour sa protection et sa

sûreté, Mme Shaffer a témoigné aux pages 58 à 60, qu’à de nombreuses reprises, son poste de travail et celui de M. Côté se recoupaient et qu’elle craignait pour sa sûreté puisqu’elle devait le croiser dans les couloirs. Le compte rendu indique en outre qu’on a donné à Mme Shaffer une place de stationnement située dans un endroit mieux

> - 15 éclairé du parc de stationnement et qu’on lui a offert la protection du personnel du nursing aux heures de relève. Une façon de procéder à été établie pour que les deux ne se rencontrent pas durant les 10 minutes où les postes se recoupaient et la direction a fait savoir qu’elle la maintiendrait aussi longtemps que c’était humainement possible, sans pourtant promettre que ce serait indéfiniment.

En ce qui concerne le comportement personnel de Mme Shaffer, le compte rendu indique qu’on lui a signalé ses départs prématurés, ses nombreuses et longues conversations au téléphone du poste de nursing, son piètre rendement au travail et sa mauvaise attitude envers le personnel et les résidants de même que ses retards au travail.

Mme Shaffer a répondu à chacun de ces points (voir les pages 58 à 72 et 153 à 167). En résumé, Mme Shaffer a déclaré qu’elle- même et M. Côté avaient bel et bien été désignés pour les mêmes postes de travail, qu’on lui avait bien accordé une place de stationnement dans un endroit mieux éclairé du parc de stationnement mais qu’on avait fait de même pour toutes les femmes membres du personnel, que même si on lui avait promis la protection du personnel aux heures de relève, on ne la lui avait pas assurée, qu’on lui avait demandé de quitter son poste avant l’heure de relève parce qu’elle craignait de rencontrer M. Côté et qu’elle n’avait eu au téléphone qu’une seule conversation avec son mari en une occasion où elle craignait particulièrement pour

> - 16 sa sûreté. En ce qui concerne son rendement au travail, Mme Shaffer a donné des détails sur plusieurs cas où les patients s’étaient montrés récalcitrants ou peu coopératifs. (I- 67, 69- 70)

La pièce C- 9 est une lettre datée du 25 octobre 1981 et adressée par Mme Shaffer à M. W. L. Ford de l’Alliance de la fonction publique du Canada. Il y est essentiellement question de la réaction de Mme Shaffer à la réunion du 23 octobre.

Le pièce C- 10 est une lettre datée du 9 novembre 1981 et adressée à M. R. Singh, de la Commission canadienne des droits de la personne. C’est un exposé détaillé de tout ce qui s’est produit en rapport avec cette affaire et on y trouve une allusion à un incident survenu durant l’été de 1980 : Mme Shaffer avait signalé des lacunes dans le travail d’une autre infirmière. Il y est aussi question d’une autorisation qu’on avait refusée à Mme Shaffer de laisser sortir un résident qu’elle avait invité à dîner chez elle

un dimanche. Vers le 9 novembre 1981, Mme Shaffer a consulté son médecin, qui lui a conseillé une période de repos à cause du stress occasionné par tous ces incidents. (Voir les pages 80 et 81 du premier volume de la transcription et les pages 146 et 147 du deuxième volume.)

> - 17 Le 30 novembre, à son retour au travail, Mme Shaffer a été convoquée à une rencontre, dont le compte rendu constitue la pièce C- 11. Y ont assisté Mme Shaffer, M. Giroux, Mme Tassé, M. Ford, M. Perkins et Miss Johnson pour le syndicat, de même que M. Létourneaux et M. Killam. Mme Shaffer a témoigné qu’au sortir de cette réunion, elle avait eu l’impression qu’on était parvenu à un accord et qu’elle espérait que les choses se calmeraient. (I- 82) La pièce C- 12 témoigne que Mme Shaffer avait accepté de retirer ses trois griefs.

Vers la même époque, Mme Shaffer a demandé à voir l’évaluation de son rendement, qu’elle avait vue et signée pour la dernière fois le 16 octobre 1980. Une copie de cette évaluation a été présentée à titre de pièce C- 13. A l’examen, Mme Shaffer s’est aperçue qu’on avait rajouté quelque chose après qu’elle a eu signé. Elle a déclaré :

"Il n’avait pas été question avec moi de ce que Mme Tassé avait écrit; Mme Knox et moi- même avions déjà discuté de l’évaluation et l’avions signée et les observations de Mme Tassé n’y figuraient pas.

Q. Alors, c’était bien la première fois que vous les voyiez quand vous avez demandé à voir votre évaluation en novembre 1981?

R. Oui. (I- 88) Mme Shaffer a déclaré qu’en janvier 1982, on l’a avertie que sa prochaine évaluation serait retardée de 6 mois en raison des incidents récents.

> - 18 En février, Mme Shaffer a reçu, de l’ancien administrateur du Foyer Rideau, M. McGovern, qui avait dans l’intervalle été muté à l’Ile- du- Prince- Édouard, une lettre datée du 23 février 1982. Dans celle- ci (pièce C- 14) M. McGovern exprime ses regrets sincères et personnels pour les incidents qui se sont produits au Foyer Rideau les 9 et 10 août précédents et par la suite. Comme on lui demandait si c’était la première fois qu’elle voyait l’employeur reconnaître une quelconque responsabilité concernant les incidents, Mme Shaffer a répondu que oui. (I- 93) Aux pages 168 et 169 de même que 252 et 253 de la transcription, Mme Shaffer déclare que des avis de même qu’une copie de la Loi sur les droits de la personne ont été affichés dans la salle de conférence et la salle

de réunion du Foyer rideau. Le 16 juin 1982, Mme Shaffer a fait un rapport écrit (pièce C- 15) d’un accrochage avec une surveillante.

Elle a ensuite reçu, le 17 juin 1982, une note (pièce C- 16) signée de Mme Tassé, l’infirmière, qui dit ce qui suit :

"Votre surveillante, Mme Sparks, m’a fait savoir que vous aviez carrément refusé de donner, comme elle vous en avait enjoint, sa brosse à dent à M. Price. Il m’a également été signalé que, quand elle vous a demandé de faire la tournée de 22 h 30, vous lui avez répondu qu’elle (Mme Sparks) était paresseuse, ne faisait rien et n’avait qu’à s’en charger elle- même. Ce genre de comportement n’a rien de professionnel, est désordonné et déplacé chez une infirmière auxiliaire.

> - 19 C’est l’infirmière qui décide de ce qu’il convient de faire et un refus de la part de l’auxiliaire d’exécuter ses instructions constitue clairement de l’insubordination. Nous avons dû vous rappeler à de nombreuses reprises que vous étiez ici pour prendre soin des résidants, quels qu’ils soient. S’il se produit d’autres incidents du genre, nous devrons prendre d’énergiques mesures disciplinaires. Considérez la présente comme une réprimande écrite qui sera versée à votre dossier."

La pièce C- 17 est une note de service signée par Mme Tassé concernant des incidents qui se sont produits en juillet 1982. Elle indique que le 8 juillet 1982, après s’être vu refuser l’autorisation d’accompagner deux résidants aux funérailles d’un ancien résidant du Foyer, Mme Shaffer s’y était quand même rendue mais seulement pour quelques minutes; le 9 juillet 1982, encore sans autorisation, Mme Shaffer a fait un appel téléphonique laissant un résidant sans surveillance dans la baignoire. La note indique que c’était là un grave manquement, que la note devait être considérée comme un dernier avertissement écrit et qu’une réprimande serait versée au dossier de Mme Shaffer. Celle- ci explique clairement sa façon d’agir et estime n’avoir nullement manqué à ses devoirs. Mme Shaffer a témoigné avoir fait, concernant ces lettres de réprimande, un grief qui s’est rendu jusqu’au troisième palier et qui a été rejeté chaque fois. (I- 102)

En essayant de soulever un patient, Mme Shaffer s’était blessée au dos. Elle décrit ainsi l’incident :

> - 20 "J’étais en train de transférer, toute seule, un patient d’un fauteuil à un fauteuil roulant quand j’ai senti mes jambes fléchir et une douleur me traverser le dos; j’ai dû remettre le patient dans son fauteuil mais je ne l’ai pas laissé tomber. C’était le 28 novembre. (1982)" (I- 103)

Mme Shaffer a déclaré qu’elle s’était ensuite rendue à l’urgence de l’hôpital de Riverside et que son médecin lui avait par la suite prescrit des analgésiques pour sa blessure et lui avait recommandé le repos jusqu’au 13 décembre. Mme Shaffer a témoigné qu’elle avait fourni un certificat médical à son employeur et qu’elle était retournée au travail le 11 décembre. Comme elle souffrait encore à cette date, son médecin lui a recommandé des anti- inflammatoires, des séances de physiothérapie et deux autres semaines de repos. Mme Shaffer a témoigné en avoir informé son employeur le 11 décembre. Le 13 décembre, elle a reçu, de l’administrateur par intérim, M. Giroux, une lettre lui demandant de se présenter à un examen médical. Mme Shaffer a réagi de la façon suivante :

"Il avait arrangé un rendez- vous avec un médecin de Santé et Bien- être sans me demander si je pouvais y aller, ni si je souffrais, ni si j’étais libre à ce moment- là parce que je devais aussi suivre des séances de physiothérapie et il avait arrangé un rendez- vous pour le 20 décembre; j’ai répondu à sa lettre en lui demandant pourquoi je devais subir cet examen médical puisque j’aurais des prestations pour accident du travail..." (I- 106. Voir également II- 275)

Mme Shaffer a témoigné que M. Giroux l’a appelée le 20 décembre pour lui demander pourquoi elle ne s’était pas présentée à son rendez- vous. Elle a répondu lui avoir envoyé une lettre. Le 22 décembre, Mme Shaffer en recevait de M. Giroux une deuxième

> - 21 l’informant qu’un autre rendez- vous avait été pris pour le 24 décembre, à 8 h 30, et qu’elle devait s’y présenter. Mme Shaffer prenait à ce moment- là trois semaines de congés annuels, ce que l’employeur savait très bien. De retour de vacances, elle reçu, de M. Giroux, une lettre recommandée l’informant que, comme elle ne s’était pas présentée à son examen médical, elle aurait trois jours de suspension. Mme Shaffer a témoigné ne s’être pas présentée à ses rendez- vous pour les raisons suivantes :

"Premièrement, et surtout, je souffrais déjà assez sans être obligée de subir un autre examen médical. Deuxièmement, j’ai appris de sources fiables que c’était une exigence inhabituelle de la part d’un employeur. Les gens des accidents du travail demandent habituellement l’avis d’un deuxième médecin et lorsque je leur ai demandé à combien s’élèveraient les prestations..." (I- 109)

Dans une lettre (pièce R- 2) adressée à Mme Shaffer le 3 janvier 1982, la Commission des accidents du travail l’informe que sa réclamation a été rejetée parce que son employeur n’avait pas eu connaissance de l’accident.

La pièce R- 1 est une transcription d’une audience tenue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique, aux termes de l’article 20 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, entre Mme Shaffer et plusieurs intimés. La plainte a été rejetée.

Mme Shaffer a également fait état, dans son témoignage, de diverses difficultés à obtenir un congé spécial pour se présenter à l’audience. (I- 281)

> - 22 Enfin, Mme Shaffer a également témoigné (pages 55 et 152) que toute cette affaire la bouleversait.

"J’étais extrêmement blessée et j’étais bouleversée. Bien des fois, j’ai revu dans des cauchemars ce qui s’était produit au travail devant tant de résidants, tant de membres du personnel tandis que le bruit s’en répandait, que tout le monde savait que j’avais été frappée et que la direction ne faisait rien pour m’aider. Au contraire, j’étais assez harcelée et cela rendait le lieu de travail plutôt déplaisant (I- 55). Plus loin ... Tout ce qui s’était produit en août et puis, en octobre et en novembre, tous ces rapports et ces notes de service, ces réunions, tout se retournait contre moi, comme si j’étais la coupable; ils m’ont traitée d’une façon telle... et je sentais, vous savez, tout le monde était au courant et ils me traitaient si durement. (I- 152)

EMILE BERTRAND M. Emile Bertrand, employé au Foyer Rideau depuis environ deux ans et demie, a témoigné au sujet de cette affaire. Son témoignage était confus, incertain et contradictoire d’une question à l’autre. A la page 317 de la transcription, il indique qu’il n’a pas vu M. Côté donner de gifle mais seulement pointer le doigt au visage de Mme Shaffer. Il se souvient d’avoir entendu le mot négresse a diverses reprises durant les incidents des 9 et 10 août mais sans pouvoir se rappeler dans quelles circonstances exactement.

THOMAS J. MCGOVERN M. McGovern a témoigné être actuellement au service du ministère des Affaires des anciens combattants en qualité de directeur adjoint

> - 23 des services hospitaliers à Charlottetown. Il occupe ce poste depuis janvier 1982. M. McGovern a déclaré que d’octobre 1980 à la mi- septembre 1981, il avait été administrateur du Foyer Rideau. A la mi- septembre, il est allé suivre des cours de français et est retourné au Foyer en affectation spéciale pour les mois de novembre et de décembre avant de partir pour Charlottetown, en janvier 1982. D’après la preuve, M. McGovern est dans le domaine de la gestion des soins de santé depuis de nombreuses années :

"J’ai été comptable de deux grands hôpitaux de Toronto durant environ cinq ans. J’ai été administrateur d’un hôpital de

Toronto durant huit ans, administrateur d’un établissement psychiatrique régional du Service correctionnel, à Kingston, durant quatre ans et ensuite, je suis passé au Foyer Rideau." (III- 332)

Dans son témoignagne, M. McGovern indique qu’il a suivi des cours donnés par la Canadian Hospital Association en gestion des services de santé et également des cours sur l’organisation et la gestion des services de soins de longue durée.

M. McGovern a témoigné que, en sa qualité d’administrateur, il avait l’entière responsabilité de la bonne marche du Foyer pour anciens combattants, qui compte 142 lits. Quatre agents supérieurs relevaient directement de lui la directrice du nursing, qui avait la responsabilité de tout le département de nursing, la diététicienne, qui avait celle du service de la restauration, la directrice des loisirs, responsable des loisirs et des activités récréatives au

> - 24 Foyer, de même qu’un administrateur adjoint, responsable des finances, du secrétariat, de l’entretien et d’autres services extra- médicaux. (III- 333)

M. McGovern a dit que les responsabilités en matière de nursing étaient réparties entre la directrice du nursing, deux surveillantes, et un certain nombre d’infirmières, d’auxiliaires et d’aides. Les surveillantes relevaient de la directrice du nursing, qui relevait elle- même de lui. A l’époque des incidents en question, la directrice du nursing, absente, était remplacée par Mme Knox, qui cumulait ce poste et celui de surveillante. (III- 334)

Comme le dit M. McGovern, les responsabilités étaient réparties comme suit :

"La directrice du nursing me rend compte de tout le département du nursing. Elle délègue une partie de son autorité à ses surveillantes. Comme vous avez pu le constater, le Foyer est en quelque sorte divisé en deux ailes avec chacune une surveillante; à chaque poste de nursing il y a, durant le jour, au moins une infirmière. Les auxiliaires et les aides relèvent de l’infirmière. Alors, pour ce qui est de donner des instructions, la directrice du nursing donne les siennes aux surveillantes, qui donnent les leurs aux infirmières, qui à leur tour en donnent aux auxiliaires et aux aides." (III- 335)

> - 25 Le dossier indique que M. McGovern travaillait normalement du lundi au vendredi et qu’il était habituellement absent du Foyer les samedi et dimanche.

M. McGovern a témoigné que le lundi 10 août :

"Peu avant midi, entre 11 heure et midi, Mme Knox est venue me voir pour m’informer d’une affaire de gifle, me parlant également des insultes proférées la journée précédente. Elle était à ce moment- là directrice du nursing par intérim. Je lui ai donné instruction de se renseigner immédiatement et de me faire rapport." (III- 336)

M. McGovern a témoigné qu’il avait donné instruction à Mme Knox de procéder de cette façon pour bien établir les faits, ajoutant que, durant les quelques jours suivants, Mme Knox l’avait tenu au courant des renseignements qu’elle recevait, y compris des rapports écrits. Son enquête a été ralentie du fait que, ce jour- là, certains membres du personnel n’étaient pas de service et qu’il avait été impossible d’en joindre d’autres.

M. McGovern a déclaré qu’il n’avait pu rencontrer Mme Shaffer pour la première fois que le 18, à son retour au travail. Il convoqua alors une réunion parce que, comme il le dit, il avait reçu des renseignements contradictoires sur l’incident. (III- 339). M. McGovern a déclaré ce qui suit :

> - 26 "Mme Shaffer avait dit que, sans provocation de sa part, elle avait été insultée et frappée. M. Côté avait nié l’avoir frappée et fait allusion à ce qui, pour moi, pouvait être considéré dans une certaine mesure comme de la provocation. Comme je le leur ai dit à la rencontre, d’après mon expérience de gestionnaire, le mieux, dans ce genre de querelle, est encore de s’entendre entre soi. Alors, j’espérais bien pouvoir les persuader, comme j’avais réussi à le faire pour d’autres personnes dans le passé, qu’il valait mieux régler la chose entre soi sans que la direction ait à imposer un règlement, ce qui d’après mon expérience est habituellement mal accueilli par l’une ou l’autre des parties. Donc, je pense que la réunion avait principalement pour objet de persuader les deux parties de régler cette affaire entre elles. (I- 339- 340)

Mme Knox, en qualité de directrice par intérim, Mme McLean en qualité d’infirmière, de même que Mme Shaffer étaient alors présentes dans le bureau de M. McGovern. Il les a informées qu’il désirait discuter de l’affaire faisant remarquer que, d’après son expérience de gestionnaire, il valait habituellement mieux régler ces querelles entre les intéressés et qu’il espérait que ce serait le cas. M. Côté, qui était déjà parti, n’assistait pas à la réunion. M. McGovern a déclaré que, dans des cas du genre, il a l’habitude de rencontrer les deux personnes séparément et ensuite ensemble. (III- 341). Il a aussi déclaré que vers le début de la discussion, on avait parlé du fait que Mme Shaffer avait laissé un patient sans surveillance, à quoi Mme Knox avait ajouté que Mme Shaffer avait déjà bénéficié de plusieurs séances d’orientation. Selon M. McGovern, Mme Shaffer a immédiatement nié avoir déjà eu de ces séances. Pour en finir avec la contestation, M. McGovern a alors suggéré que Mme Knox fasse un rappel écrit de

>-

- 27 toutes les séances d’orientation ultérieures, pour réellement clarifier les choses à l’avenir (342) afin d’éviter les méprises ou les conflits d’interprétation (voir III- 416- 419).

M. McGovern a déclaré : Mon objectif premier était d’essayer de la persuader, et ensuite M. Côté, de régler cette affaire entre eux, mais ce n’était qu’une suggestion de ma part. Je n’ai jamais dit que le Foyer ne s’en mêlerait pas. J’essayais seulement de les réconcilier. (III- 343)

Le 19, M. McGovern a rencontré M. Côté à la fin de son poste de travail, à environ 7 h 30, et lui a dit à peu près la même chose qu’il avait dit, la veille, à Mme Shaffer

"Que cela devait se régler entre eux, qu’ils devraient se réconcilier et accepter de travailler en bonne entente." (III- 344)

Plus tard, Mme Shaffer a été convoquée et M. Côté est demeuré. M. McGovern récapitula l’affaire, disant qu’il espérait que tous deux régleraient leur problème ensemble et demanda à Mme Shaffer de donner l’engagement qu’elle travaillerait en bonne entente avec tous les membres du personnel. M. McGovern a confirmé que Mme Shaffer avait demandé à réfléchir. Prié de donner le même engagement, M. Côté s’exécuta verbalement à cette réunion. M. McGovern a déclaré qu’il avait demandé à Mme Shaffer de prendre cet engagement par écrit pour la raison suivante :

> - 28 "Je me suis aperçu que Mme Shaffer acceptait difficilement les opinions ou les interprétations des autres quand elles différaient des siennes. C’était le cas pour la question de l’orientation. Je connaissais d’autres exemples du genre et je voulais seulement m’assurer qu’il n’y aurait aucun malentendu quant à savoir si elle avait ou non pris l’engagement de travailler en bonne entente avec les autres." (III- 345)

M. McGovern a ensuite témoigné que cette rencontre avait eu lieu le 26 août en présence de Mme Shaffer, de Mme Knox, de lui- même et du représentant syndical et qu’à ce moment- là, Mme Shaffer avait dit :

"qu’elle avait repensé à ce que j’avais dit, à savoir que je ne m’en mêlerais pas, que le Foyer ne s’en mêlerait pas, que c’était une affaire privée entre eux deux et que je ne voulais pas m’en occuper. Je lui répondis que je ne me souvenais pas d’avoir dit cela et les autres, surtout Mme Knox, ont également déclaré que ce n’était pas ce que j’avais dit mais plutôt que j’avais suggéré et dit espérer que l’affaire se réglerait, sans pourtant déclarer que je ne m’en mêlerais pas." (III- 346)

Mme Shaffer avait répondu qu’elle ferait connaître sa réponse le vendredi 28 août, ce qu’elle fit en remettant, dans son bureau, une lettre à M. McGovern, avec copie à Mme Knox. M. McGovern a alors remarqué que, dans la dernière phrase de sa lettre, Mme Shaffer déclarait ne pas vouloir régler cette affaire en particulier. M. McGovern a témoigné que, pour lui, l’important était surtout d’essayer d’amener les deux parties à s’entendre et que, s’il en avait eu l’assurance, il aurait ensuite pu réfléchir au moyen à prendre. D’après son expérience, un règlement imposé satisfait habituellement une partie et pas l’autre. (volume 3 349).

> - 29 M. McGovern a témoigné avoir repensé à toute cette affaire durant la fin de semaine et aussi à son retour au travail le lundi, étant troublé par certains commentaires et interprétations de ses dires contenus dans la lettre de Mme Shaffer. Pour lui, les mesures disciplinaires ne visaient pas à punir les gens mais bien plutôt à les encourager à porter remède à ce qu’on leur reprochait. Dans le cas qui nous occupe, il tenait le raisonnement suivant

"D’un côté, j’avais la déclaration écrite d’une personne qui niait en avoir giflé une autre mais affirmait qu’il y avait eu provocation et cette personne avait un dossier vierge de tout reproche, qui faisait état d’un comportement digne d’éloge. De l’autre côté, j’avais la déclaration de Mme Shaffer disant qu’elle avait été frappée et insultée sans provocation, ce qui allait évidemment à l’encontre de la version donnée par M. Côté. Au milieu de cela, j’avais la déclaration d’un résidant, M. Sweeney. Il serait peut- être bon de préciser ici que le Foyer est destiné à des personnes qui ne demandent que très peu de soins mais que, comme les hôpitaux pour malades chroniques sont surpeuplés, nous devons accueillir des patients qui, à mesure qu’ils vieillissent, réclament de plus en plus de soins. Les plus malades, ceux qui ont besoin de plus de soins, nous les logeons surtout au département 3 de l’aile Est. Il existe plusieurs niveaux de soins aux malades chroniques. Les patients ont leurs bons et leurs mauvais jours. M. Sweeney loge dans le service qui dispense les soins les plus fréquents. Il porte des lunettes. Il a ses bons et ses mauvais jours; il avait déclaré, je crois, que Mme Shaffer avait été frappée sur la joue gauche tandis qu’elle- même avait déclaré avoir été frappée sur la joue droite. Alors, devant cette contradiction et ayant en main un témoignage dont je n’étais pas trop sûr, j’estimais que le mieux à faire était de... Je pensais que les deux parties étaient au courant du problème, de la discussion avec Mme Knox et des discussions avec moi et qu’il fallait, pour remédier à la situation, non pas prendre des mesures contre Mme Shaffer, parce

> - 30 que j’estimais qu’on lui avait suffisamment démontré ses torts, mais plutôt verser une réprimande écrite au dossier de

M. Côté. A ce moment- là, je ne savais pas encore qu’il y avait réellement eu une gifle. M. Côté avait dit que non, Mme Shaffer avait déclaré que oui et le témoignage de M. Sweeney était suspect à mes yeux." (III- 350- 352, voir aussi les pages 371 et 372)

On a alors présenté en preuve la pièce R- 4, une lettre de réprimande adressée à M. Côté et datée du 31 août 1981 où il est dit, en partie :

"... Bien qu’il semble y avoir eu provocation, je ne puis permettre qu’un membre du personnel soit exposé à des insultes raciales ou à des coups du genre de celui qui a présumément été porté... Étant donné que vous aviez décidé de prendre les choses en main, je dois vous réprimander en l’occurrence, malgré la provocation qui aurait présumément provoqué l’incident."

M. McGovern a témoigné qu’il avait pris la peine de parler d’incident présumé parce qu’il ne savait toujours pas s’il s’était réellement produit. En outre, si la lettre de réprimande n’avait pas été rendue publique parce que le Foyer avait pour principe de ne pas donner de publicité aux mesures disciplinaires. M. McGovern a témoigné qu’après avoir discuté avec M. Côté, il a eu la certitude que M. Côté s’attendait à une mesure disciplinaire, surtout pour les insultes. M. McGovern a fait remarquer, à son avis, la lettre de réprimande versée au dossier de M. Côté constituait une grave réprimande parce que M. Côté n’avait jamais eu de séance d’orientation ni même de réprimande verbale auparavant. (III- 402)

> - 31 M. McGovern a témoigné que, plus tard à l’automne, il avait parlé avec des représentants de la Commission canadienne des droits de la personne qui lui avait recommandé de faire afficher en permanence au Foyer un avis concernant la discrimination, d’expédier une lettre de regrets à Mme Shaffer et de lui verser une indemnisation en espèces. M. McGovern, quant à lui, estimait que cette indemnisation était sans objet. Après avoir pris conseil de ses supérieurs, il a expédié, vers la fin de février 1982, une lettre qui, selon ses dires, exprimait des regrets mais non des excuses, ce qui à son avis aurait laissé sous- entendre la responsabilité. Longuement questionné sur cette lettre, M. McGovern est resté inébranlable : cette lettre à Mme Shaffer ne reconnaissait aucune responsabilité mais n’exprimait que des regrets personnels de sa part. (Voir les pages 390 à 395 et également 403 à 408.)

M. McGovern a reconnu la pièce R- 5 pour une note signée par environ 18 des camarades de travail de Mme Shaffer et qu’il avait reçu le 28 janvier 1981. Les signataires déclaraient refuser de travailler avec Mme Shaffer, disant avoir toléré sa conduite assez longtemps. M. McGovern a témoigné avoir discuté de cette affaire avec la directrice du nursing, Mme Tassé, pour en venir à la conclusion qu’il était impossible de prendre quelque mesure que ce soit sur un énoncé aussi vague. M. McGovern a rencontré des représentants du groupe, les a mis au courant de son point de vue

en ajoutant que s’ils pouvaient > - 32 fournir des preuves et des témoins pour des cas en particulier, il pourrait alors reconsidérer la chose. M. McGovern a témoigné que les représentants du groupe paraissaient ne pas aimer beaucoup l’attitude de Mme Shaffer, qui allait à l’encontre de l’amicale camaraderie qui règne habituellement au sein des personnels peu nombreux comme ceux du Foyer; pour lui, ce n’était pas une question de race mais bien plutôt de conflit de personnalités.

A plusieurs reprises au cours de son témoignagne, M. McGovern a déclaré avoir laissé à ses subordonnés le soin de faire l’enquête nécessaire et de prendre les mesures qui s’imposaient. A la question de savoir si M. Côté et Mme Shaffer avaient été séparés ou mutés dans des services différents, M. McGovern a répondu qu’il présumait que la personne responsable aurait pris les mesures nécessaires en l’occurrence. (Voir page 363)

Le contre- interrogatoire mené par M. Juriansz a mis en lumière le fait que, durant l’audience tenue en 1982 par la Commission des relations de travail de la fonction publique, l’avocat de M. McGovern avait convenu que, le 10 août 1981, Mme Shaffer avait effectivement été frappée au visage par un des employés du Foyer Rideau.

> - 33 M. McGovern s’est expliqué en détail sur ce qu’il considérait être la provocation à laquelle il faisait allusion dans sa lettre du 31 août 1981 à M. Marcel Côté :

"Pour en revenir au premier incident qui a apparemment déclenché toute l’affaire, le régime des patients est surveillé par une diététicienne ou, en son absence, par un responsable de la restauration qui a suivi un certain nombre de cours, qui se fait conseiller par le médecin du Foyer et qui reste en étroites relations avec le Centre médical de la Défense nationale, grand hôpital situé à quelques centaines de verges de là. J’estimais que, si elle s’inquiétait tant de l’effet des oignons, Mme Shaffer aurait dû en parler d’abord à l’infirmière ou du moins à la diététicienne. J’estimais aussi que, en décidant d’ôter les oignons de l’assiette, elle aurait pu exaspérer n’importe qui d’autre, disons M. Côté, ce qui aurait pu provoquer les insultes. La plus forte provocation venait de l’affaire de l’appel téléphonique. J’avais cru comprendre que, après ces insultes raciales, elle avait fait des remarques désobligeantes concernant la femme de Marcel, insinué qu’il était un batteur de femme et passé d’autres remarques personnelles sur sa femme. Je croyais comprendre aussi que, le matin suivant, sa femme avait appelé, que Mme Shaffer lui avait apparemment raccroché au nez et que, quelques minutes plus tard, Mme Côté avait

rappelé et l’avait dit à Marcel. Donc, à mon avis, ces remarques personnelles sur lui et sa femme et le présumé incident de l’appel téléphonique avaient provoqué la présumée gifle." (III- 379- 380)

Quant à la question de savoir qui, de Mme Shaffer ou de M. Côté, il fallait croire, M. McGovern a déclaré qu’ayant considéré le comportement des personnes en cause et leurs dossiers, il avait tranché en faveur de M. Côté. (III- 381- 383)

> - 34 M. MARCEL COTÉ

M. Côté a témoigné qu’à l’époque, il travaillait en tant qu’aide au Foyer Rideau, pour le ministère des Affaires des anciens combattants. Il a déclaré que, depuis octobre 1982, il avait été prêté au Service d’entretien. Il a convenu que certains incidents avaient bel et bien eu lieu les 9 et 10 août; il a relaté que Mme Shaffer avait ôté des oignons de l’assiette d’un résidant et dit qu’il s’était mis à lui crier après, ajoutant :

"Elle était à un bout de la salle et moi à l’autre et nous étions en train de nous crier après et c’est comme ça que je l’ai traitée de noire. J’ai dit quelque chose là- dessus qui concernait les Indes. Je ne sais pas ce qui m’a pris." (III- 134)

Plus loin, il a ajouté :

"Eh bien, je me rappelle l’avoir entendue moi- même dire quelque chose, elle a dit que j’était un batteur de femme et c’est là que j’ai parlé de négresse et d’autre chose aussi. Je ne sais pas pourquoi ça n’a pas été écrit. Je l’ai traitée de gros tas de merde et aussi de... J’ai dit quelques autres choses aussi." (III- 434- 435)

M. Côté a témoigné qu’il était violemment ému, qu’il avait perdu les pédales et qu’il était allé passer quelque temps dans la hall et dans le vestiaire afin de se calmer. Il a rencontré Mme Knox, l’a mise au courant de l’incident et a par la suite parlé à Mme McLean.

> - 35 M. Côté a reconnu la pièce R- 3 comme un document écrit de sa main, plusieurs jours après l’incident, il ne se rappelait pas exactement quand. C’est sa description écrite de l’incident.

En ce qui concerne l’incident du 10 août, il l’a décrit comme suit durant son témoignage

"... vers 9 h 15, Mme McLean est venue me dire qu’on me demandait au téléphone. Je prends l’appel, c’était ma femme Judith qui me dit alors Marcel, qui a répondu au téléphone avant Mme McLean ?... J’ai répondu "Je ne sais pas, attends

un peu, pourquoi?". Elle dit Eh bien, qui que ce soit, elle a été très brusque, elle m’a raccroché au nez. Je dis : D’accord, attends une minute. Je pose le combiné. Emile était de l’autre côté du poste et je lui dis : Emile, qui a répondu au téléphone avant Mme McLean ?. Il me dit que c’est Mme Shaffer et alors je sors du poste, je vais la trouver. Elle était en train de préparer un patient, je pense que c’était M. Bélanger, qui n’était pas en fauteuil roulant, mais dans un fauteuil ordinaire, et elle se préparait à le transférer de son fauteuil sur un fauteuil hygiénique, une espèce de fauteuil sur roues pour le déplacer... Alors, je me suis approché d’elle et je l’ai frappée au visage en lui disant :

"Si jamais tu raccroches encore au nez de ma femme, je te botterai le derrière d’ici jusqu’au chemin Smyth", et c’est tout." (III- pages 438 et 439)

Pour ce qui est de la contradiction entre le contenu de la pièce R- 3 où il avait déclaré n’avoir pas frappé Mme Shaffer, et son témoignage ci- dessus, M. Côté a déclaré qu’il cherchait à se protéger ne voulant pas perdre son emploi. Il était, dit- il, fâché parce que Mme Shaffer avait été brusque avec sa femme et que, la veille, elle l’avait traité de batteur de femme. (Voir page 440) Il a déclaré que

> - 36 l’incident du 10 n’était pas du tout une affaire de race (III- 441). Il a témoigné que, sur le conseil de Mme Knox, il avait fait un rapport écrit de l’incident, la pièce R- 3. Il a déclaré aussi avoir rencontré à plusieurs reprises M. McGovern et lui avoir dit vouloir régler l’affaire lui- même. M. Côté a témoigné qu’aucun autre incident n’avait eu lieu entre lui- même et Mme Shaffer, qu’il ne lui avait pas bloqué le passage, ne l’avait pas menacée et n’avait pas cherché à lui nuire aux heures de relève. En fait, d’après son témoignage, il s’est donné du mal pour l’éviter. (Voir les pages 444- 445.)

M. Côté a témoigné que, après les rencontres avec Mme Knox et Mme Gervais, il croyait s’être excusé pour les insultes. Il ne se souvenait cependant pas des détails de la conversation.

La transcription fait ressortir une certaine confusion au sujet d’une période de 18 mois entre le moment où M. Côté a cessé de travailler pour le Foyer Rideau et celui où, en 1979, il a repris du service. M. Côté a témoigné qu’il avait un dossier vierge quand il est parti du Foyer en 1979. Aucune preuve du contraire n’a été présentée.

> - 37 Il est clair, d’après le témoignage de M. Côté, que celui- ci n’a pas vu Mme Shaffer répondre au téléphone le 10 août mais s’est contenté de croire Emile Bertrand. L’incident du coup de téléphone l’a porté à la frapper parce qu’elle s’était apparemment montrée grossière avec sa femme.

Il faut noter ici que, tout au long de son témoignage, M. Côté s’est montré imprévisible et que, plusieurs fois, il a fallu le rappeler à l’ordre pour ses écarts de langage. De même, son témoignage est en partie vague, nébuleux. Enfin, en ce qui concerne l’instance criminelle pour voies de fait, le procès- verbal indique clairement qu’il a trompé la direction et menti au sujet de la gifle.

JUDITH COTÉ Mme Judith Côté a témoigné être l’épouse de Marcel Côté et aussi que, le 10 août, elle avait téléphoné à son mari au Foyer Rideau :

"C’est une femme qui a répondu au téléphone et qui, très brusquement, m’a dit non, pas ici, et a carrément raccroché. J’ai rappelé de nouveau, et cette fois, j’ai pu parler à mon mari et je lui ai demandé qui s’était montré si brusque au téléphone." (III- 469)

Mme Côté a témoigné que la personne qui avait répondu au téléphone était à n’en pas douter une femme mais ne pouvait se rappeler aucun autre détail.

> - 38 ONA GERVAIS

Mme Gervais a témoigné travailler, depuis 18 ans, au Foyer Rideau. Infirmière auxiliaire, elle est en même temps représentante syndicale depuis 1978.

Elle a expliqué qu’un représentant syndical a pour rôle d’aider à résoudre les problèmes et de discuter de ces problèmes avec le surveillant pour essayer de les régler avant qu’ils ne deviennent critiques. Après avoir décrit l’organisation syndicale à l’intérieur du Foyer Rideau, Mme Gervais a témoigné avoir assisté à la rencontre du 19 août 1981 :

"Eh bien, M. McGovern a demandé aux parties intéressées si elles étaient disposées à retourner à leur poste et à travailler en bonne entente avec tous les membres du personnel; M. Côté répondit que oui; alors il a posé la même question à Mme Shaffer et celle- ci a répondu qu’elle avait besoin de temps pour y penser... qu’elle ferait connaître sa réponse le mercredi 26 août 1981." (III- 475- 476)

Mme Gervais a reconnu la pièce C- 8 comme une note de service concernant la réunion du 28 octobre 1981. Elle a déclaré avoir été présente à la discussion et a énoncé diverses mesures de sécurité prises, notamment, l’octroi d’une place de stationnement mieux éclairée et de la protection du personnel du nursing, et elle a

> - 39 -

également parlé des difficultés éprouvées lorsque Mme Shaffer quittait son poste avant le temps, et parlé aussi de ses conversations au téléphone (III- 476- 480). Plus loin, Mme Gervais a témoigné n’être plus la représentante syndicale de Mme Shaffer et avoir été remplacée par Kathy Johnson parce que, comme le dit Mme Gervais, Mme Shaffer n’avait plus confiance en elle. Le contre- interrogatoire de Mme Gervais a fait ressortir que celle- ci n’avait assisté qu’à une seule des rencontres d’octobre mais que, pourtant, elle se rappelait clairement de toutes les conversations aux réunions. Il y a ici contradiction et, de toute évidence, son témoignage doit être écarté à ce sujet. En outre, Mme Gervais a également reconnu avoir signé la pétition de janvier 1981 présentée par des employés qui refusaient de travailler avec Mme Shaffer.

THEODORA PRETO Mme Preto est, depuis 1978, enquêteuse à la Commission canadienne des droits de la personne. Elle a décrit son rôle à ce titre et indiqué qu’elle avait été chargée d’enquêter au sujet de la plainte déposée par Emilda Shaffer contre le Conseil du Trésor. Mme Preto a interrogé M. McGovern sur les incidents en question et, à cette occasion, se rappelle- t- elle en consultant ses notes sur cette rencontre, M. McGovern a dit :

> - 40 "que, le 19 août, il a rencontré Mme Shaffer et Marcel Côté en même temps, leur a dit que c’était une affaire entre eux, que c’était de cette façon qu’il considérait l’incident,.. et a demandé à Marcel Côté et à Mme Shaffer s’ils étaient de cet avis." (IV- 498)

Mme EMILDA SHAFFER Avec l’accord de toutes les parties concernées, Mme Shaffer a été appelée de nouveau à témoigner. Elle a déclaré que l’incident du 9 août se situait à l’heure du lunch et qu’elle avait retiré les oignons de l’assiette parce que le patient en question était âgé d’environ 80 ans, n’avait pas de dentiers et n’était pas capable de mastiquer. Mme Shaffer a de nouveau affirmé que M. Côté lui avait lancé, durant l’incident, que ces nègres- là ne peuvent pas s’offrir d’oignons, parce qu’ils coûtent cher, et c’est pourquoi elle ne veut pas que les patients en aient. Elle a témoigné n’avoir rien répondu à ces commentaires mais que M. Côté l’avait traitée de paranoïaque et avait continué à la narguer.

Mme Shaffer a ensuite poursuivi son témoignage, qui ne contredisait pas son précédent témoignage. Il y a alors eu une discussion concernant la possibilité de présenter de nouvelles preuves et l’avocat de la plaignante a présenté une motion pour rouvrir l’affaire (voir page 516), à laquelle il n’y a pas eu d’opposition.

> - 41 -

Mme Shaffer a témoigné que, en ce qui concerne la question des congés pour comparution devant le tribunal, son employeur l’avait informée qu’elle n’avait pas droit à un congé payé, parce que je n’étais pas convoquée à titre de témoin. Selon l’employeur, je n’étais pas un témoin, j’étais la plaignante. (IV- 517). Mme Shaffer s’était vue accorder deux jours de congé et, le troisième, elle devait le prendre sans salaire ou comme congé statutaire. Au sujet de cette affaire, Mme Shaffer a fait un grief qui est encore à l’examen.

WAYNE R. CUNNINGWORTH M. Cunningworth a témoigné travailler pour le ministère des Affaires des anciens combattants depuis environ 9 ans. Après avoir expliqué qu’il était chargé de conseiller la direction en matière de relations de travail, il a décrit de quelle façon il s’était trouvé mêlé à cette affaire :

"Mme Shaffer avait demandé au Foyer Rideau un congé payé pour les dates de l’audience du tribunal en février. Si je me souviens bien, c’était pour les 15, 16 et 17 février... Elle avait présenté sa demande conformément à un article de la convention collective intitulé autres congés payés ou non, et plus précisément, à l’endroit où il était question des congés pour service judiciaire. La direction du Foyer a alors demandé une interprétation de la clause... qui fut que, lorsqu’un employé était partie à l’affaire, à titre de plaignant, si vous voulez,

> - 42 ou autrement, il ne pouvait bénéficier du congé payé prévu à la convention collective... On essayait simplement de déterminer, d’après les termes de la convention collective,... si celle- ci prévoyait ou non un congé payé dans ce cas- là. J’avais également soulevé, en conseillant la direction, un autre point d’après le calendrier de travail en vigueur à ce moment- là, Mme Shaffer ne travaillait ni le 15 ni le 16 février. D’après la convention collective, l’employeur ne pouvait accorder de congé un jour où l’employé n’était pas censé travailler." (IV- 522- 523)

M. Cunningworth a témoigné que Mme Shaffer avait eu droit, en matière de congé payé, à tout ce que la convention collective permettait et que les conseils qu’il avait dispensés à la direction visaient simplement à faire en sorte que les principes de la convention collective soient respectés.

Avant qu’on en vienne aux arguments juridiques, l’avocat de la plaignante s’est réservé le droit de présenter, si besoin était, des preuves supplémentaires concernant le montant des dommages- intérêts. Il a été convenu que, dans l’éventualité où le tribunal se prononcerait en faveur de Mme Shaffer, on reviendrait sur la question des dommages et que le tribunal rendrait ensuite sa décision là- dessus.

> - 43 III. CONSTATATIONS

Ayant entendu tous les témoignages et observé le comportement des témoins, je vais maintenant résumer mes constatations. En cas de contradiction entre les témoignages, j’indiquerai lequel me semble être le plus crédible.

Après avoir bien examiné tous les témoignages et considéré également le comportement de chacun des témoins, j’ai fait les constatations suivantes. D’abord, je dois dire que j’ai acquis la conviction que les incidents dont il est fait état dans la plainte doivent être pris séparément et c’est ce que j’ai essayé de faire.

Le 9 août 1981, la plaignante, Mme Shaffer, et son camarade de travail, M. Côté, ont eu un échange verbal virulent au cours duquel M. Côté a fait de répugnants commentaires de nature raciale concernant l’origine raciale de Mme Shaffer. Il ne fait aucun doute que cet échange a bel et bien eu lieu et j’accepte pleinement le témoignage de Mme Shaffer à cet égard, lequel a d’ailleurs été corroboré par d’autres témoins devant ce tribunal.

Le 10 août, M. Côté s’est porté à des voies de fait sur la personne de Mme Shaffer en la frappant au visage. La question de savoir s’il y avait eu ou non provocation n’a jamais pu être établie clairement, ni à partir du témoignage de M. Emile Bertrand, ni à

> - 44 partir de celui de Mme Judith Côté. Quant aux versions données par M. Côté et Mme Shaffer, j’estime que celle de Mme Shaffer est la plus vraisemblable. Je dois cependant ajouter qu’à mon avis, M. Côté croyait réellement que sa femme avait été insultée ou traitée grossièrement et qu’il a agi à la hâte et sans réfléchir. Cela n’excuse pourtant en aucune façon son comportement violent et répugnant.

D’après le témoignage de toutes les parties, la gifle n’avait aucun motif racial, contrairement à l’incident de la veille.

Les constatations qui suivent ont trait au fond même de la plainte contre le Conseil du Trésor du Canada : il s’agit de savoir si l’employeur a bien pris, à l’égard des deux incidents en question, des mesures suffisantes.

En ce qui concerne les incidents du 9 août, j’estime que les deux parties ont été traités à peu près de la même manière chacune a été apaisée, s’est vu demander de présenter un rapport écrit et de retourner à son poste. A mon sens, cette façon de réagir à l’échange verbal n’était préjudiciable ni à l’une ni à l’autre des parties et elle était raisonnable vu que les deux parties avaient fait des remarques insultantes, même si, dans un cas, c’étaient des remarques de nature raciale, clairement inacceptables.

> - 45 Le 10 août, la directrice intérimaire du nursing est mise au courant par la plaignante de l’incident de la gifle et s’en entend donner une version différente par M. Côté qui en plus, prétend qu’il y a eu provocation. Un témoin indépendant, un patient, en donne une autre version. L’infirmière demande aux deux parties de faire un rapport écrit et va mettre l’administrateur au courant de la situation. L’administrateur donne instruction de faire immédiatement enquête. Mme Shaffer rentre chez elle et, sur le conseil de son médecin, ne se présente au travail que le 18 août.

Quant aux versions qui ont été données des réunions des 18, 19 et 26 août, je trouve celle de M. McGovern plus acceptable que celle de Mme Shaffer. Je ne suis pas convaincue que Mme Shaffer n’ait rien à se reprocher, comme elle voudrait le faire croire. Après avoir observé son comportement et entendu son témoignage, j’en suis venue à penser que c’était une femme prudente et avisée mais qui avait de la difficulté à comprendre et à accepter les idées des autres. Sa conduite indique qu’il lui est difficile de communiquer avec les autres, dans la vie de tous les jours ou au travail. En outre, il est évident qu’elle ne suit pas volontiers les instructions données. A mon avis, les incidents des 18, 19 et 26 août se sont bien passés comme les a décrits M. McGovern et l’employeur n’avait aucune intention discriminatoire.

Pour ce qui est de savoir si une réprimande à M. Côté constituait une mesure disciplinaire suffisante en l’occurrence, je crois

> - 46 M. McGovern quand il dit qu’à ce moment- là, il n’était pas certain que l’histoire de la gifle était vraie et qu’il a opté pour une réprimande croyant que tout reposait sur des insultes raciales. Nous savons maintenant, puisqu’il y a eu une procédure criminelle, d’autres audiences et d’après le témoignage de M. Côté lui- même, que M. McGovern se trompait. J’estime cependant qu’à l’époque, il a agi honnêtement, sans aucune intention discriminatoire.

Pour ce qui est des séances d’orientation, M. McGovern a déclaré estimer que c’était là une mesure propre à protéger Mme Shaffer puisqu’il s’était aperçu qu’elle ne comprenait pas toujours bien ce qu’on lui demandait et qu’il n’existait aucun document auquel faire appel. Pour ce qui est de la question de travailler en bonne entente avec les autres, je crois M. McGovern quand il dit avoir espéré tout d’abord que les parties pourraient s’entendre entre elles. Le fait qu’il a immédiatement réprimandé M. Côté après avoir reçu de Mme Shaffer une lettre indiquant qu’elle n’était pas d’accord avec lui, est une preuve supplémentaire de sa sincérité et de l’absence d’intention discriminatoire.

A partir de là, j’estime que ce qui s’est passé ensuite en octobre et en novembre est plutôt secondaire dans l’affaire qui nous occupe. J’estime que la direction du Foyer a continué à assumer ses responsabilités à l’égard de l’employée durant les mois

d’octobre et de novembre 1981 et a fait des efforts raisonnables pour répondre en tout temps à ses besoins.

> - 47 A mon avis, ce qui s’est passé après novembre 1981 n’a pas grand rapport avec l’objet de la plainte lui- même et ne témoigne aucunement d’une stratégie de harcèlement ou de discrimination.

Quant au point, soulevé sur le tard, du congé payé qui aurait dû être accordé à Mme Shaffer pour comparaître aux audiences, je n’ai aucune constatation à faire. Cela n’a pas trait à la plainte elle- même et ne nous aurait intéressé que si cela avait prouvé l’existence d’un traitement discriminatoire ou différent.

IV. CONSTATATIONS - LA LOI

Emilda Shaffer a présenté sa plainte en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La plaidoirie présentée au tribunal ne concernait aucune infraction à l’article 10 de la Loi mais s’en tenait uniquement au paragraphe 7b de la Loi.

Pour le tribunal, il s’agit essentiellement de décider si l’employeur, le Conseil du Trésor du Canada, a le devoir d’assurer un lieu de travail où l’on ne soit pas exposé au harcèlement racial et, dans l’affirmative, si la négligence à cet égard peut constituer une pratique discriminatoire aux termes du paragraphe 7b de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

> - 48 Le paragraphe 7( b) de la Loi se lit comme suit : Constitue un acte discriminatoire le fait de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

L’article 3 de la Loi englobe, dans les motifs de distinction illicites, la race et la couleur, qui sont les motifs allégués dans la plainte.

Dans ce contexte, il faut également se poser la question de savoir si les insultes raciales sont ou non discriminatoires et si l’employeur a pris des mesures appropriées pour assurer un milieu de travail où l’on n’y soit pas exposé.

Le tribunal a été amené à examiner la décision rendue dans la cause La Compagnie des chemins de fer nationaux c. La Commission canadienne des droits de la personne et K. S. BHINDER (1983), Cour d’appel fédérale, non encore publiée. Le tribunal a été convaincu par le raisonnement présenté et s’est guidé sur lui. Dans une décision majoritaire, M. le juge Heald déclare, à la page 2, être d’accord avec l’interprétation que donne le juge Le Dain de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne :

"Je suis également d’accord... avec sa conclusion suivant laquelle l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne vise que les actes de discrimination directe et non ceux d’où sont absents toute intention discriminatoire, et tout traitement défavorable."

> - 49 Plus loin, M. le juge Heald se dit en désaccord avec M. le juge LeDain lorsque ce dernier estime que l’article 10 de la Loi englobe la discrimination indirecte. Étant donné qu’aucun argument ne m’a été présenté concernant une infraction à l’article 10, je m’en tiendrai à ce qui se rapporte au paragraphe 7( b).

Dans la cause BHINDER (supra), le tribunal s’est dit d’avis que la Compagnie des chemins de fer nationaux n’avait eu aucune intention discriminatoire en exigeant que M. Bhinder porte le casque de sécurité comme les autres, mais que dans son cas, cette exigence avait eu un effet discriminatoire. En d’autres termes, cette exigence créait à son égard une distinction pour un motif illicite au sens de la Loi. M. le juge LeDain examine en détail la jurisprudence canadienne concernant l’intention discriminatoire et je suis pleinement d’accord avec son raisonnement. Aux pages 20 et 21 de sa décision, M. le juge Le Dain expose la question comme suit :

"... que de rechercher si ces articles visent autant la discrimination indirecte que la discrimination directe. De toute évidence, la Loi vise les conséquences discriminatoires et, dans les cas de traitement défavorable, tel l’inégalité des salaires, l’élément objectif de discrimination importe plus que l’intention. Il y a une distinction entre le traitement défavorable, qui peut être ou ne pas être le fruit d’une intention discriminatoire, mais qui généralement le sera, et le traitement qui à première vue semble uniforme, mais qui aura néanmoins une incidence discriminatoire sur un individu particulier pour un motif de distinction illicite."

> - 50 M. Le Dain poursuit, à la page 21 :

"Selon moi, l’article 7 ne vise que la discrimination directe, à savoir la discrimination avec l’intention de discriminer ou le traitement défavorable infligé avec ou sans intention pour un motif de distinction illicite. Cet article n’englobe donc pas les cas de discrimination ne comportant ni l’intention de discriminer ni traitement défavorable."

Pour le juge Le Dain, dans cet article, la discrimination directe concerne la façon dont l’acte illicite est commis plutôt que les effets discriminatoires qu’il peut avoir.

J’ai également été amenée à examiner la décision Ontario Human Rights Commission v. Simpsons Sears (1982), 3 C. H. R. R. D/ 796 (en

appel devant la Cour suprême du Canada), qui concerne le nouveau code des droits de la personne de l’Ontario et où le tribunal se dit d’avis qu’il doit y avoir eu intention discriminatoire pour qu’il y ait discrimination.

Dans la cause SIMMS v. Ford of Canada (4 juin 1970), le professeur Kreever, maintenant Juge, note à la page 18 :

"Selon moi, l’expression faire de la discrimination signifie, au sens du Code, traiter quelqu’un différemment ou, plus particulièrement au paragraphe 4( 1), rendre les conditions de travail d’un employé différentes (habituellement moins favorables) que celles des autres employés. Par conséquent, permettre, même de façon passive, qu’un travailleur noir employé dans une usine où il y a une majorité de travailleurs blancs, soit humilié de façon répétée par des insultes ayant trait à sa couleur que lui lancent les autres employés, et j’irai jusqu’à

> - 51 dire même s’il ne s’agit pas de personnel cadre, équivaut ni plus ni moins à obliger l’employé noir à travailler dans des conditions défavorables qui ne sont pas celles des employés blancs. En pareille circonstance, l’employeur a l’obligation, en vertu du paragraphe 4( 1), d’éliminer la cause de la discrimination et de veiller à ce que la conduite ou le langage humiliants disparaissent."

Il faut noter, dans la cause SIMMS, que les insultes verbales peuvent constituer une infraction au Code de l’Ontario mais que cela n’avait pas été le cas en l’espèce, car il s’agissait d’un incident isolé.

Le tribunal s’est également penché sur la décision rendue dans la cause SUCHA SINGH DHILLON v. S. W. Woolworth Company Limited, (1982), 3 C. H. R. R., D/ 743, où le tribunal avait constaté que le plaignant et d’autres employés indo- pakistanais étaient victimes d’un harcèlement verbal régulier et assez important, que l’employeur le savait et n’avait pas pris de mesures raisonnables pour y mettre fin.

Pour ce qui est de l’affaire qui nous occupe, je constate que Mme Shaffer a bel et bien été victime d’insultes et de harcèlement racial les 9 et 10 août, mais que ce harcèlement n’avait été ni assez régulier, ni assez important pour être de la discrimination aux termes de la Loi. Il s’agissait simplement d’un incident isolé où l’intention discriminatoire n’a pas été prouvée.

> - 52 Il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner la question, plus importante, de la responsabilité de l’employeur concernant les incidents des 9 et 10 août. Je dois donc déterminer si Mme Shaffer a été victime, directement ou indirectement, d’un traitement défavorable.

Le tribunal s’est reporté à la décision d’un tribunal des droits de la personne dans l’affaire KOTYK et ALLARY c. Commission canadienne de l’emploi et de l’immigration et Jack Chuba, avril 1983 (non encore publiée) où, en page 49, Mme Ashley, le juge, fait remarquer que dans la plupart des cas où l’employeur a été tenu responsable des actes de son personnel cadre et de ses employés, l’employeur avait lui- même commis l’acte discriminatoire. J’accepte les décisions citées par ce tribunal à l’appui de cette affirmation.

La cause Brennan c. Robichaud (1982) 3 C. H. R. R., D/ 977, a été portée en appel et le tribunal d’appel s’est dit d’avis que le Ministère en question avait, à l’égard de la plaignante, agi de façon discutable et avait contrevenu à la Loi (article 7b). Il faut cependant noter que cette décision fait l’objet d’un autre appel. A la page 8 de son jugement, le tribunal d’appel note :

"En l’espèce, l’employé n’avait été mis au courant d’aucune politique clairement définie contre le harcèlement sexuel. Deuxièmement, une fois que les plaintes ont été portées à la connaissance des supérieurs de M. Brennan, l’employeur n’a fait aucune enquête pour savoir la vérité concernant les allégations et aucune enquête non plus n’a été réclamée ou effectuée en vertu de l’article 10 de la Loi sur l’administration financière. Au contraire, on s’est efforcé de retirer à Mme Robichaud ses responsabilités."

> - 53 Dans la cause ALLARY (supra), le tribunal a constaté que le cadre supérieur avait décidé de ne pas faire enquête au sujet de la plainte, malgré l’avis de trois de ses employés. Dans cette affaire, la plaignante alléguait un harcèlement sexuel persistant durant une longue période, y compris un stage. A la page 51 de son jugement, Mme Ashley déclare :

"Il semble que M. Johnson, la personne qui avait la responsabilité directe de faire enquête, n’ait pas estimé que les plaintes de harcèlement sexuel étaient suffisamment graves, malgré l’avis de son personnel... cependant, c’est la décision de ne pas s’occuper des plaintes qui nous intéresse surtout. Cette décision laisse croire que le directeur du bureau régional fermait les yeux sur la conduite de M. Chuba."

IV. DÉCISION

Il s’agit donc de savoir si des mesures plus énergiques auraient dû être prises pour régler le problème et protéger la plaignante. Lorsque M. McGovern a été mis au courant, le 10 août, de ce qui avait eu lieu les 9 et 10 août, il a immédiatement demandé à la directrice du nursing, Mme Knox, de faire enquête. Diverses personnes ont été interrogées, les incidents ont fait l’objet de rapports écrits et M. McGovern a été tenu au courant de la situation. Les 18 et 19 août, des rencontres ont eu lieu avec Mme Shaffer et aussi avec M. Côté et d’autres personnes afin d’amener les intéressés à régler le problème entre eux. M. Côté

s’est excusé de sa conduite et a accepté de travailler, à partir de ce moment- là, en bonne entente avec les autres. Mme Shaffer a demandé à réfléchir. M. McGovern s’était

> - 54 aperçu qu’il pouvait y avoir des malentendus entre lui- même et la plaignante et a décidé que les communications se feraient par lettre pour éviter les malentendus et afin de protéger Mme Shaffer. M. McGovern a attendu la réponse de Mme Shaffer et, l’ayant reçue, a constaté que celle- ci ne pensait pas que cette affaire pouvait se régler entre elle et M. Côté. Après réflexion, M. McGovern s’est résolu à réprimander M. Côté pour son comportement offensant, a fait verser la réprimande à son dossier sans donner de publicité à l’affaire, ce qui était conforme à la pratique de l’établissement.

Le tribunal a pour mandat d’examiner la plainte et les circonstances qui l’entourent. Le tribunal a été saisi de faits qui se sont produits après janvier 1982, qui lui ont été présentés pour montrer le mobile racial et le harcèlement de la part de la Direction. Le tribunal estime cependant que ces événements n’ont rien à voir avec la plainte. Il se peut qu’au début, on se soit trompé en essayant d’amener les intéressés à régler cette affaire entre eux mais lorsqu’il est devenu évident que ce ne serait pas possible, une mesure disciplinaire a été prise. Ce qui est plus important encore, c’est que la direction s’est occupée de cette affaire, et avec sérieux. M. McGovern n’a pas nié ses responsabilités ou refusé d’agir. Il a toujours cherché à régler le problème. Par conséquent, le tribunal ne voit pas de traitement défavorable en l’espèce et reconnaît que des mesures ont été prises pour que Mme Shaffer puisse conserver son poste. Rien n’indique que M. McGovern ait fermé les yeux sur la

> - 55 conduite de M. Côté. Celui- ci a été traité de la même façon que Mme Shaffer durant les rencontres du mois d’août et a ensuite fait l’objet d’une mesure plus sévère, sous forme de réprimande versée à son dossier. Sur le conseil d’agents de la Commission des droits de la personne, M. McGovern a par la suite veillé à faire afficher un avis concernant les droits de la personne et la discrimination en différents endroits appropriés du Foyer Rideau et il a également fait parvenir à Mme Shaffer une lettre personnelle exprimant ses regrets au sujet des incidents.

Le tribunal estime qu’il est superflu de traiter de la question de la responsabilité subsidiaire par suite de cette décision.

Dans cette affaire, le tribunal s’est guidé, pour les définitions et le contexte, sur la cause Bhinder, jugée par la Cour fédérale du Canada. Étant donné que l’intention discriminatoire n’a pas été prouvée, il s’agissait de savoir si la plaignante avait été, directement ou indirectement, victime d’un traitement défavorable en raison de sa race ou de sa couleur. J’estime que non. La direction du Foyer Rideau n’a pas fait de discrimination,

directe ou indirecte, n’a pas imposé de traitement défavorable et n’a pas manqué à son obligation d’assurer un milieu de travail qui n’expose pas au harcèlement ou à la crainte du harcèlement. La plainte est rejetée.

FAIT A OTTAWA, ce 9 septembre 1983. Mary Lois Dyer, TRIBUNAL

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