Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

D. T. 3/ 85 Décision rendue le 31 mai 1985

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: BRIAN VILLENEUVE, Plaignant, -et- BELL CANADA, Intimée.

DEVANT: Me Nicole DUVAL HESLER, Présidente.

COMPARUTIONS: Me RENÉ DUVAL, procureur du plaignant et de la Commission canadienne des droits de la personne, ME LINE THIBAULT, procureur de la mise- en- cause.

> DÉCISION

La plainte instruite devant ce Tribunal a été déposée conformément à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne le 7 mai 1982. Il s’agit d’une plainte de discrimination fondée sur le handicap physique en matière d’emploi.

Le Tribunal a été constitué le 31 juillet 1984. L’enquête s’est déroulée à Ottawa les 13 et 14 août, 1 et 2 octobre 1984. L’acte de nomination du Tribunal a été déposé comme pièce P- 1.

Le Tribunal a d’abord disposé d’une objection préliminaire soumise par l’intimée Bell Canada en vertu de l’article 33 de la Loi, Bell Canada alléguant en substance que monsieur Villeneuve, le plaignant, aurait dû épuiser ses recours en vertu de la Convention collective avant que ne puisse procéder l’audition de sa plainte. Cette objection préliminaire a été rejetée au motif que l’article 33 confère à la Commission une discrétion administrative de se saisir ou non d’une plainte. Elle n’en confère pas une au Tribunal d’accepter ou de refuser d’entendre une plainte. Le Tribunal a de plus souligné qu’il n’avait aucune juridiction pour ordonner à monsieur Villeneuve de se soumettre d’abord à l’arbitrage, la seule juridiction qu’il possédait (et qui lui était conférée par la pièce C- 1) étant d’entendre la plainte. Cette position est appuyée par la décision d’un Tribunal des droits de

>-

2. la personne dans l’affaire Local 916, Energy and Chemical Workers -etAtomic Energy of Canada Limited (Decision of Preliminary Matters Human Rights Tribunal, 24 février 1984)

«The Act does not require that the parties exhause grievance or review procedures prior to laying a complaint. (p. 8)

... «We conclude that there is no evidence that the Commission exercised its discretion improperly under section 33 or 36. If we were to find that a Union must exhaust grievance procedures or pursue their rights under the Canada Labour Code before the Commission could accept a complaint from them, we would be severely restricting the rights of Union members to remedies provided by statutes such as the Canadian Human Rights Act. We do not feel that this was the intent of the legislation which purpose is stated in broad terms in Section 2 of the Act. Such fair, large and liberal interpretation as is reserved for remedial statutes in the Interpretation Act, Section 11, precludes this restricted approach. (p. 9)

... «In all of these arguments the fondamental question arises whether a Tribunal appointed under the Act has jurisdiction to examine or second- guess the exercise by the Commission of its statutory authority.« (p. 10)

> 3. Et le tribunal de conclure que bien que la Commission des droits de la personne ne jouisse pas d’une discrétion absolue, elle n’en use pas déraisonnablement lorsqu’elle évite de suggérer que d’autres recours soient d’abord épuisés.

LA PREUVE TESTIMONIALE

Le premier témoin entendu, Denis Fournier, préposé au matériel I chez Bell Canada et représentant syndical au Comité de santé et de sécurité, a décrit les tâches des préposés au matériel I, II et III, lesquelles se déroulent dans un centre de distribution à l’intérieur du garage, où se logent aussi des bureaux. C’est un travail sédentaire pour les trois quarts du temps:

Préposé au matériel I: vérifier la remorque de matériel qui lui parvient quotidiennement, décerner les tâches, s’occuper des compte- rendus des commandes de matériel (par ordinateur), répondre au téléphone au sujet des plaintes ou anomalies, vérifier la documentation et le rangement des pièces;

Préposé au matériel II: remplir les bordereaux de commandes de la veille en allant chercher les objets qui y sont énumérés. Puis, avec l’aide d’un ou de plusieurs autres employés, décharger la remorque en

> 4.

utilisant un chariot à main et un chariot à fourche (tout le matériel est emballé en palettes). Le travail manuel occupe de deux heures à deux heures et demie; le reste de la journée, la fonction est sédentaire;

Préposé au matériel III: assister le préposé au matériel II à remplir ses fonctions. Donner le service dans la cour à câbles; remplir des formulaires (il doit rendre compte des entrées et des sorties de matériel dont il a la responsabilité).

Selon M. Fournier, la répartition entre travail manuel et travail de bureau est la même pour un préposé au matériel III que pour un préposé au matériel II. Interrogé sur le poids des bobines de câbles, il souligne que dans la cour à câbles, il n’est pas question de soulever quoi que ce soit: tout le travail peut se faire au chariot à fourche. Il n’a pas été contredit sur ce point.

Le premier témoin expert entendu fut le docteur Lauréat Tremblay, urologue. Il décrit la condition médicale dont le plaignant est affecté, soit le varicocèle, comme une anomalie congénitale survenant chez 10 à 17% de la population mâle et consistant en la dilatation des veines du cordon spermatique. Si la dilatation survient du côté gauche, les symptômes apparaissent entre 20 et 25 ans en général. Beaucoup de varicocèles du côté gauche demeurent

> 5. asymptomatiques. En fait, seulement 30 à 35% des personnes affectées S’en plaignent. La symptomatologie est une douleur irradiante. Dans la plupart des cas, la douleur est faible et n’appelle aucune intervention autre que de rassurer le patient, mais si l’individu affecté occupe une fonction qui l’appelle à rester en position debout immobile, comme par exemple un soldat ou policier, la douleur sera exagérée et un traitement chirurgical s’imposera. Le docteur Tremblay affirme catégoriquement qu’il n’y a aucune contre- indication à ce que des gens affectés d’un varicocèle restent debout, à condition de circuler. Il confirme avoir recommandé au plaignant de cesser d’occuper la fonction d’épisseur parce que le fait de rester dans un poteau en position debout prolongée, avec une ceinture en plus, ce qui diminue encore la circulation, bien j’imagine que sa douleur devenait tellement importante qu’il en perdait connaissance (transcriptions, volume I, page 59). Le docteur Tremblay a opéré monsieur Villeneuve en avril 1981 et procédé à l’enlèvement de deux veines variqueuses. Cette opération amène la disparition du varicocèle. Le docteur Tremblay a procédé à plusieurs examens postopératoires du plaignant, dont le dernier le 25 juin 1981, et nous décrit ainsi sa condition:

«... Le patient n’éprouvait pas de troubles, n’avait pas de douleur, il pouvait jouer au golf, puis il pouvait faire son travail à temps partiel qu’il faisait, mais c’est un travail où là il ne montait pas dans les poteaux dans ce temps- là, il travaillait tout simplement sur les planchers à marcher.

> 6. «En autant qu’il marche, qu’il force ou qu’il force pas ça n’a pas d’importance. C’est pas une hernie qu’il a...

... «Quand je l’ai revu, moi, je lui ai conseillé de ne pas retourner à un travail qui produirait, parce que de l’autre côté à droite il commençait à en avoir un aussi parce que ce qui peut arriver c’est que si ces varices- là sont formées depuis un certain temps, il va se faire ... si on les bloque dans l’aine, il va se faire une dérivation dans l’autre côté du scrotum et il va se produire une autre varicocèle du côté droit.

«Alors c’est pour ça que je lui avais recommandé si tu veux pas te faire opérer du côté droit un bon jour, bien tu es mieux d’essayer de changer de travail pour pas que la même cause produise le même effet.» (transcriptions, volume I, pp. 62- 63)

Le docteur Tremblay a émis clairement l’opinion qu’il n’existe aucune contre- indication à ce que monsieur Villeneuve exécute les tâches de préposé au matériel I, II ou III. En contre- interrogatoire, le procureur de Bell Canada a tenté de l’amener à dire que le fait de lever des poids serait également contre- indiqué en raison d’une augmentation de pression intra- abdominale, mais l’explication donnée par le docteur Tremblay a été la suivante:

«Si c’est moi qui va forcer pour lever un poids de trente- cinq (35) livres, je vais le sentir parce que j’ai pas de muscles mais quelqu’un qui est habitué de travailler, pour lui trente- cinq livres ça le dérange pas. Ça augmentera pas sa pression intra- abdominale». (transcriptions, volume I, p. 88)

> 7. Interrogé par le Tribunal, le docteur Tremblay a précisé que la position assise n’est pas contre- indiquée dans un cas de varicocèle.

Entendu lui- même, M. Villeneuve, le plaignant, après avoir produit sa plainte (pièce C- 2) et expliqué qu’il était à l’emploi de Bell Canada depuis mars 1977 lors de son congédiement, le 29 septembre 1981, confirme que la recommandation du docteur Tremblay était de ne pas continuer à monter des poteaux, à rester dans les poteaux longtemps (transcriptions, volume I, p. 134). Il a donc cherché à changer d’emploi au sein de Bell Canada et produit une demande de mutation en date du 11 février 1981 (pièce C- 3) au poste de préposé au matériel I. Le plaignant relate avoir passé une entrevue aux Services spéciaux et avoir fait quatre (4) demandes de transfert à des postes différents, soit préposé aux essais, préposé au matériel, services spéciaux et préposé au bureau central, mais seule la demande de transfert comme préposé au matériel fait l’objet de la plainte.

Michel Pitre, enquêteur pour la Commission canadienne des droits de la personne, a relaté l’entrevue qu’il a eue avec monsieur Gannon, directeur du matériel de Bell Canada pour la région de l’ouest québécois, en octobre 1983. Ses conversations avec monsieur Gannon et d’autres représentants de Bell Canada ont porté

> 8. sur le poste de préposé au matériel III. Ce poste aurait été refusé au plaignant à cause de son varicocèle. Lisant les notes de son entrevue avec

monsieur Gannon, monsieur Pitre rapporte la conversation suivante: Monsieur Villeneuve lui a été offert par madame Bureau, croit que c’était madame Bureau. Prend information sur personne, évalue si capable de faire le travail basé sur l’information qu’il avait, basé sur les restrictions médicales, a jugé qu’il ne pouvait pas le faire. Restrictions médicales fournies par centre de recrutement. Lui ont soumis un dossier. (transcriptions, volume II, p. 167)

Il affirme catégoriquement que monsieur Gannon lui a parlé d’une demande de préposé au matériel III. Monsieur Pitre a persisté dans ce témoignage, malgré les questions répétées du procureur de Bell Canada voulant l’amener à dire que le plaignant n’avait pas été considéré parce qu’il n’avait pas fait de demande au poste de matériel III. Il admet qu’il est vrai que le plaignant n’avait pas fait de demande à ce poste mais persiste à dire qu’il avait été considéré pour ce poste. Il croit, sans en être sûr, que le préposé au matériel III est un poste d’entrée pour devenir préposé au matériel II et enfin, préposé au matériel I.

> 9. Madame Madeleine Bureau, directeur du Centre de recrutement à Hull en septembre 1981, est venue expliquer que ce Centre a pour fonction de trouver des postes aux employés qui demandent des mutations à l’intérieur de la compagnie. Elle a expliqué l’usage du formulaire de demande. Elle a confirmé le témoignage du plaignant quant aux demandes de transfert soumises par lui. Pour le poste de préposé au matériel I, elle indique qu’il n’y avait aucune ouverture à ce moment- là, mais elle se rappelle qu’il y ait eu une ouverture pour un poste de préposé au matériel III vers la même époque. Elle reconnais que monsieur Villeneuve a été considéré pour ce poste- là. Vers la fin août, le poste a été comblé par un autre formulaire de demande de candidat qui avait lui- même rempli un mutation.

Lina Bernier, deuxième témoin entendu de la part dé Bell Canada, était en septembre 1981 directeur du Centre de recrutement à Québec et a rencontré le plaignant Villeneuve pendant qu’elle remplaçait madame Bureau, alors en vacances. Elle dit avoir considéré monsieur Villeneuve pour le poste de préposé au matériel III, mais de façon non officielle; c’est- à- dire qu’il n’y avait pas de demande en filière de la part de l’employé désirant un poste de préposé au matériel III. (transcriptions, volume II, p. 199). Toutefois, monsieur Villeneuve ne lui avait pas indiqué qu’il refuserait

> 10. cet emploi. Elle a donc référé son nom au service et s’est enquis de savoir s’il pouvait accomplir les fonctions de la tâche. Elle a aussi mentionné d’autres postes ouverts à monsieur Villeneuve et, bien qu’il doive subir une assez grande perte de salaire, ce dernier lui a indiqué que s’il n’avait pas le choix, il accepterait. Il n’a refusé que le poste de préposé aux bâtiments (travaux ménagers). Elle a expliqué qu’il aimait son travail de technicien au départ et comme travail de technicien ne nécessitant pas à monter dans des échelles et des efforts physiques considérables, bien c’est assez difficile à trouver. (transcriptions, volume II, p. 204)

Fut ensuite entendu monsieur Michel Bélanger, directeur d’un Centre de

distribution du matériel. Il a passé en revue les fonctions de préposé au matériel I, II et III. Son témoignage ne présente pas de contradiction réelle avec celui du représentant syndical, sauf en ce qui concerne la proportion du temps consacré par les préposés II et III à la manutention de matériel. Selon lui, il est préférable, mais non nécessaire, d’être préposé au matériel III avant de devenir préposé au matériel I.

Ronald Gannon, contremaître au Service du matériel à Hull, fut ensuite entendu pour Bell Canada. Il a relaté qu’un poste de préposé au matériel permanent était devenu disponible vers

> 11. septembre 1981 et que monsieur Villeneuve avait été considéré pour ce poste. Il admet avoir considéré la capacité de monsieur Villeneuve d’effectuer le travail de préposé au matériel III en ces termes:

«Oui. Je crois que même si sa demande était pas pour le poste comme préposé III que si il y avait eu une demande éventuelle avec certaines restrictions qu’il semble avoir, qu’il ne pouvait pas le combler, d’après mes connaissances.»

(transcriptions, volume II, p. 225)

En contre- interrogatoire, monsieur Gannon répondit ainsi à certaines questions du procureur de la Commission:

«Q. Et ces restrictions- là c’était médical, n’est- ce- pas? R. Oui. Q. C’étaient des restrictions médicales reliées à un état de santé ou

à une condition médicale qui s’appelle varicocèle. C’est un mot que vous connaissez ça, monsieur? R. Oui. Q. Des varices. R. Oui, oui. Q. Et vous, vous avez décidé que à cause de ces conditions

médicales- là il ne pouvait pas remplir le travail. C’est ça? R. Pas à cause de maladie en tant que telle. Q. A cause des restrictions? R. Si je me rappelle bien, de la façon que ça été noté apparemment le

type ne pouvait pas travailler debout pour des longues périodes. C’est de cette façon- là que je le voyais. Q. Alors, ça c’est une restriction causée par sa maladie?

> 12. R. C’est ça que je me rappelle avoir été noté, oui. Q. Vous avez pris ça où ces restrictions- là, monsieur? Qui vous a dit

ça? R. Je m’excuse. Je ne vous ai pas compris. Q. A quel endroit est- ce que vous avez pris connaissance des

restrictions? Est- ce que c’était sur un document? Est- ce que c’est quelqu’un qui vous a dit ça? R. Je crois que ça m’a été dit. Q. Qui vous aurait dit ça? R. C’était des ... je crois que c’étaient des informations qui étaient

dans son dossier, qui m’ont été notées par le centre de recrutement.»

(transcriptions, volume II, pp. 230 et 231) Monsieur Gannon ajoute qu’il est arrivé par le passé que l’on considère pour un poste une personne qui n’avait pas fait de demande de transfert spécifique pour ce poste, expliquant qu’en général, quand il parle de candidat, il parle de candidat légitime. Il indique par contre qu’il est possible de considérer un individu pour le cas où il déciderait de réviser sa demande et de devenir candidat. Dans cette éventualité, il était d’avis que monsieur Villeneuve ne pouvait remplir l’emploi. Il réitère que la restriction, à sa connaissance, était de ne pas travailler debout pour de longues périodes de temps (transcriptions, volume II, p. 237) et que c’est pour cette raison qu’il a refusé d’envisager la candidature du plaignant.

> 13. Fut ensuite entendu le docteur Richard Pilon, médecin du personnel à Bell Canada. Il revoit l’employé en retour de travail et lui impose au besoin des restrictions temporaires pour faciliter sa réhabilitation. Les restrictions sur le travail futur de l’employé sont parfois permanentes. Son rapport de recommandation est produit sous la cote R- 5. Il explique ainsi la restriction médicale qui empêchait monsieur Villeneuve de continuer à être épisseur:

«C’est parce qu’il ne pouvait plus rester debout pour une période stationnaire, pour une longue période.» (le souligné est du Tribunal) (transcriptions, volume II, p. 248)

Monsieur Richard Simon, appelé également comme témoin de Bell Canada, contremaître actuel au Service du matériel pour les régions de Hull et Gatineau, vint à son tour expliquer le travail d’un préposé au matériel II. Au point de vue du temps consacré à des tâches administratives, il favorise plutôt la version du représentant syndical Fournier que celle du témoin Bélanger.

Le docteur Pierre Racine, urologue, appelé par Bell Canada, n’a pas contredit en substance le docteur Tremblay. En effet, après avoir insisté sur le fait que le varicocèle était dû à un phénomène de reflux qui se produit en situation de gravité, il a confirmé essentiellement les statistiques et la symptomatologie qu’avait

> 14. décrits le docteur Tremblay. Toutefois, il indique que tout exercice ou travail physique peut augmenter la distension des veines impliquées et provoquer des symptômes à long terme. En contre- interrogatoire, il reconnaît que le fait qu’une personne ait souffert de varicocèle gauche n’entraîne pas le développement de la même condition du côté droit. Il parle de la possibilité d’utiliser, une compensation mécanique pour empêcher une dilatation exagérée du plexus pampiniforme. Il admet que le meilleur traitement correspond à l’intervention subie par monsieur Villeneuve. Si elle est bien faite, les varices disparaissent, ainsi que les contre- indications.

Un troisième urologue amené par le plaignant, le docteur Louis Coulonval, confirme qu’une intervention bien faite empêchera toute réapparition de varicocèle. Il reprend environ les mêmes statistiques que

les deux autres urologues entendus. Il abonde dans le sens du docteur Tremblay pour dire que la seule position contre- indiquée est la station debout immobile et non pas la position debout active ou à la marche. Il a précisé que quelqu’un qui souffre d’un varicocèle douloureux non opéré ne pourrait accomplir les tâches d’un préposé au matériel II ou III, non plus que si son opération était manquée et qu’il y avait récidive.

> 15. Enfin, une preuve de préjudice moral a été faite, que le Tribunal ne croit pas essentiel de résumer.

LA PREUVE DOCUMENTAIRE: L’exhibit C- 2 démontre que le plaignant Brian Villeneuve n’identifie nullement dans sa plainte l’emploi que lui aurait refusé Bell Canada. Sa plainte est ainsi libellée:

«Je, Brian Villeneuve, croit avoir des motifs raisonnables de croire que Bell Canada exerce un traitement discriminatoire à mon égard par mon renvoi à cause de mon handicap physique subi au travail. Bell Canada me refuse un emploi dans d’autres départements dont je peux accomplir les tâches requises. Le tout à l’encontre des dispositions 3 et 7 de la partie 1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.»

Il est indéniable que le plaignant ait été congédié et qu’il n’était plus apte à remplir ses fonctions originales. La question est donc de savoir si Bell Canada lui a refusé, pour un motif illégitime, un emploi dans un autre département dont il aurait pu accomplir les tâches.

Parmi les autres documents pertinents, notons: > 16.

La pièce C- 4, soit le certificat du docteur Pilon, déclarant l’employé apte pour travail régulier à plein temps, avec comme seule restriction celle de grimper (rien n’est noté vis- à- vis les cases forcer, s’accroupir ou conduire), cette restriction étant indiquée comme probablement permanente;

Le rapport du médecin traitant, soit du docteur Tremblay, en date du 20 janvier 1981, avant l’intervention chirurgicale qu’il a pratiquée sur le plaignant, dans lequel il porte un diagnostic d’orchialgie gauche probablement secondaire à un varicocèle, et ajoute comme remarque:

«Je crois que le fait de travailler en position debout sans marcher est un facteur important de sa symptomatologie.» (pièce R- 3) (Le souligné est du Tribunal);

Un autre rapport du docteur Pilon (pièce R- 5) en date du 17 août 1981. Les commentaires suivants, nous apparaissent plus particulièrement pertinents:

«Depuis, le même problème urologique a débuté du côté droit et après discussion avec son médecin il semble que Brian ne puisse plus monter de poteaux dans le futur.

L’examen physique nous démontre un début de varicocèle à droite et une sensibilité à gauche.

Comme Brian travaille dans un poteau ou une échelle plus de 80% de son temps, il ne peut

> 17. donc plus remplir les exigences physiques du métier d’épisseur de câble dans le futur.

Je recommande donc que l’on essaie de transférer Brian dans un autre travail où il ne devra plus monter de poteaux.»

On peut constater que ce rapport ne réfère à aucune contre- indication possible vis- à- vis un travail où monsieur Villeneuve aurait à fournir un certain effort physique ou à marcher.

Les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont l’article 3( 1), qui identifie les motifs de distinction illicite, parmi lesquels se trouve la déficience ou le handicap physique ( disability), et l’article 7, qui prévoit que le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou de le défavoriser dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite, constitue un acte discriminatoire. Par contre, si l’employeur démontre que l’acte qui lui est reproché découle d’exigences professionnelles justifiées, il ne peut s’agir d’un acte discriminatoire (article 14). Le plaignant porte le fardeau initial de démontrer, selon la balance des probabilités, qu’un acte discriminatoire a pris place.

> 18. Ce fardeau, le plaignant s’en est déchargé. En effet, il importe peu aux yeux du Tribunal qu’une de ses demandes officielles de transfert ait été pour un poste de préposé au matériel I. Le fait demeure qu’on a refusé de le considérer pour un poste de préposé au matériel III, en raison d’une contre- indication que l’on percevait comme nécessitée par son handicap physique. Le Tribunal reconnaît que l’employeur n’avait pas, dans les circonstances, l’obligation de trouver un autre emploi au plaignant, devenu incapable d’accomplir les fonctions d’épisseur. Toutefois, ayant pris sur lui de le faire et ayant entrepris des démarches en ce sens, il devait, dans le cadre de ces démarches, s’abstenir de tout acte discriminatoire. Monsieur Gannon a clairement envisagé la possibilité que monsieur Villeneuve devienne un candidat officiel au poste de préposé au matériel III. Il aurait suffi au plaignant de remplir un formulaire. Cette opportunité lui a été refusée parce que les personnes en charge au Bell ont décidé que le handicap physique de monsieur Villeneuve l’empêchait d’occuper le poste de préposé au matériel III.

Ce Tribunal favorise une interprétation de la loi basée sur la doctrine du remedy construction. Il partage l’avis de l’auteur Black (1980 1 C. H. R. R., C/ 1, From Intent to Effect: New Standards in Human Rights) selon lequel le Parlement avait l’intention d’éliminer les barrières qui se dressent devant ceux qui font partie

>-

19. d’un groupe défavorisé. Il est donc logique de juger les comportements en fonction de leurs conséquences plutôt que de leurs motifs, et ce serait trahir l’intention du Parlement que de rejeter une plainte sur une technicalité du genre de celle que soulève l’intimée. La même approche a été suivie par d’autres tribunaux des droits de la personne dans des cas où l’on présentait de semblables arguments et, pour n’en donner qu’un exemple, le Tribunal mentionne l’affaire Sandiford v. Base Communications Ltd. and Jenkins (Saskatchewan Human Rights Commission, 84 CLLC 17,024).

La loi définit déficience comme toute déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée... (article 20). Il est indubitable que la condition de monsieur Villeneuve ait constitué une déficience physique et que c’est en raison des restrictions que l’employeur percevait comme dictées par cette déficience qu’il lui a refusé l’opportunité de postuler les fonctions d’un des postes de préposé au matériel.

Le Tribunal retient comme autorités sur ce point l’affaire James Anderson and Atlantic Pilotage Authority (Tribunal des droits de la personne, décision DT- 7/ 82) où l’on a tenu qu’une crise cardiaque constitue une déficience au sens de l’article 20 de la loi, et l’affaire Clément Labelle et Denis Claveau et Air Canada (Tribunal des

> 20. droits de la personne, décision DT- 1/ 83) où une spondylolyse, même asymptomatique, a été jugée répondre à la définition de la loi.

Le procureur de Bell Canada a souligné au cours de l’audition que, vu la prétention du plaignant que son handicap physique a été complètement corrigé par l’intervention qu’il a subie, nous ne serions plus en présence d’une plainte fondée sur un handicap physique. Cette question n’a pas été élaborée davantage au cours de l’argument, mais le Tribunal croit utile de citer les propos de Me Marie- Claire Lefebvre, dans l’affaire de Valère Brideau et Air Canada (Tribunal des droits de la personne, décision DT- 3/ 83):

«Dans l’arrêt Foucault (1) il a été décidé que ce n’est pas l’handicap physique qui compte mais bien la perception qu’a l’employeur de la condition physique du futur employé. Or dans le cas présent le plaignant, M. Valère Brideau, était perçu par Air Canada comme ayant des bulles d’emphysème aux poumons. Donc, comme un handicapé physique ... bien que rien de cette condition n’existait.» (page 4)

Ce Tribunal, gardant également à l’esprit les propos de l’auteur Black dans son article précité, fait sien ce raisonnement: la loi vise à assurer l’égalité des chances pour tous en matière d’emploi. C’est donc dans leurs effets qu’il faut analyser les comportements.

> 21. Même si l’intimée s’est livrée à un acte discriminatoire selon les principes étudiés ci- dessus, il peut lui être possible de justifier cet acte, en particulier aux termes de l’article 14( a), lequel se lit comme suit:

«14. Ne constituent pas des actes discriminatoires

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;»

C’est donc à l’employeur de prouver, encore une fois selon la balance des probabilités, qu’il a agi conformément à une exigence professionnelle justifiée ( bona fide occupational requirement). Appelé à interpréter une disposition semblable de la législature d’Ontario, l’honorable juge McIntyre, de la Cour suprême du Canada, définissait ainsi une exigence professionnelle justifiée:

«To be a bona fide occupational qualification and requirement a limitation, such as a mandatory retirement at a fixed age, must be imposed honestly, in good faith, and in the sincerely held belief that such limitation is imposed in the interests of the adequate performance of the work involved with all reasonable dispatch, safety and economy, and not for ulterior or extraneous reasons aimed at objectives which could defeat the purpose of the Code. In addition it must be

> 22. related in an objective sense to the performance of the employment concerned, in that it is reasonably necessary to assure the efficient and economical performance of the job without endangering the employee, his fellow employees and the general public.»

(Ontario Human Rights Commission & al. -vs- Borough of Etobicoke, 1982 132 DLR 14, pp. 19 et 20).

L’employeur doit satisfaire aux deux aspects de cette définition de l’exigence professionnelle justifiée. Le premier aspect est subjectif. L’employeur doit avoir agi selon une croyance sincère que l’exigence (ou la restriction, dans le cas présent) qu’il imposait était professionnellement justifiée. Ce Tribunal croit sans hésitation que l’intimée répond à cet aspect subjectif de l’exigence professionnelle justifiée. Demeure le second aspect, lequel est objectif. Il faut que le tribunal soit convaincu que l’exigence (ou, dans le présent cas, la contre- indication) ait été reliée au travail et raisonnablement nécessaire. Je suis convaincue du contraire. A ce sujet, je fais miens les commentaires de Me Kerr dans l’affaire Frank E. McCreary and Greyhound Lines of Canada Ltd. et al (Tribunal des droits de la personne, décision TD 11/ 84) en page 24:

«This involves two sub- issues in the circumstances of this case. First, does the evidence support the Respondents’ nationale for this policy on a factual basis? Secondly,

> 23. does the nationale, if factually supported, lead to the legal conclusion that the requirement is reasonably necessary to assure the efficient and economical performance of the job without endangering the employee, his fellow employées and the general public?»

La contre- indication attribuée par Bell Canada à la condition du plaignement ne répondait pas aux critères objectifs ainsi définis.

Enfin, le plaignant doit- il, en prouvant l’existence d’un acte

discriminatoire, démontrer de plus l’intention de poser un acte discriminatoire? La question sera définitivement tranchée lorsque la Cour suprême aura rendu sa décision en appel d’une décision de la Cour fédérale dans l’affaire Bhinder. (Bhinder v. Canadian National Railways, (1ère instance: 1981 2 C. H. R. R. D/ 546; en appel: 4 C. H. R. R. D/ 1404).

Ce Tribunal se rallie à la position de la Commission à l’effet que, la permission d’en appeler lui ayant été accordée par la Cour suprême dans l’affaire Bhinder, cela a pour effet de restituer aux tribunaux inférieurs toute latitude et discrétion dans l’appréciation du droit applicable que la règle du stare decisis aurait pu restreindre. Dans l’intervalle, ce Tribunal maintient donc la position qu’il a déjà

> 24. accepté dans l’affaire Denise Marcotte v. Rio Algom Limited (1984 5 C. H. R. R. D/ 2010) et dans Action Travail des Femmes v. Canadian National (1984 C. H. R. R. D/ 2327), c’est- à- dire que le Parlement Canadien, en adoptant la Loi canadienne sur les droits de la personne, avait l’intention d’éliminer les barrières dressées devant les groupes défavorisés, qu’elles aient été érigées intentionnellement dans un but de discrimination ou non. Bien des types de discrimination non- intentionnelle fondée sur les stéréotypes ou préjugés enracinés dans notre société pourraient persister à cause de l’impossibilité de prouver l’intention d’agir de façon discriminatoire. Ce Tribunal n’astreint donc pas le plaignant à démontrer chez Bell Canada une pareille intention.

La preuve démontre qu’il n’existait pas, dans les circonstances de cette espèce, d’exigence professionnelle justifiée. Nulle part n’a- t- il jamais été question d’autre restriction en ce qui concerne monsieur Villeneuve que celle de la position debout immobile. D’autre part, son varicocèle avait été guéri par l’intervention qu’il a subie; c’est par mesure de précaution, à titre préventif, que la station debout immobile était déconseillée au plaignant. Le poste de préposé au matériel III ne l’aurait pas appelé à demeurer debout immobile pendant de longues périodes de temps. Il est manifeste que les membres concernés du personnel de l’intimée ont mal interprété les données et restrictions médicales qui se trouvaient au dossier du

> 25. plaignant et ont appliqué un test trop sévère, avec le résultat que monsieur Villeneuve a été privé d’une opportunité d’emploi pour un motif discriminatoire.

Le procureur de la Commission nous a mentionné en argument que monsieur Villeneuve semblait avoir été l’objet d’une perception globale de problèmes physiques, qu’il n’y avait pas eu de tentative d’évaluer son aptitude individuelle à exercer la fonction. Cette question vaut d’être relevée. Ce Tribunal partage l’opinion que la loi implique une évaluation individualisée de la personne exerçant l’emploi. Ce point de vue a été très bien exprimé par Me Susan Mackasey Ashley dans l’affaire de Michael Ward et Les Messageries du CN (Tribunal des droits de la personne, décision DT 1/ 82):

«Il revient à l’employeur de prouver que ses exigences physiques sont raisonnables et non pas fondées sur des suppositions ou des stéréotypes injustifiés, c’est- à- dire que ses exigences sont fondées sur les faits

et la raison. J’ai conclu que l’employeur avait supposé que les candidats à qui il manquait des doigts à une main seraient incapables d’accomplir les tâches de l’emploi et que cette politique ne tenait pas compte du candidat exceptionnel, comme Michael Ward, qui a prouvé qu’il est capable de faire le travail malgré son handicap.

... Il est peut- être vrai que bon nombre de > 26.

personnes à qui il manque des doigts de la main seraient incapables de faire ce travail, mais Michael Ward a prouvé (par son ancien emploi et son expérience), qu’il a suffisamment de compétences, de motivation, de force physique, et d’adresse dans les deux mains, pour faire ce que ces autres personnes sont incapables de faire. En fait, des normes physiques minimales constituent un bon guide pour les employeurs. Néanmoins, il ne faut pas exclure automatiquement les personnes qui ne satisfont pas à ce minimum».

(pp. 46- 47, version française)

Tous les médecins entendus, à part le docteur Tremblay, auquel on n’a pas posé la question, se sont accordés à dire que l’intervention subie par monsieur Villeneuve est pratiquée à titre préventif dans les forces armées britanniques et dans certains corps de police. Doit- on croire que Monsieur Villeneuve pourrait être soldat mais non pas préposé au matériel II ou III? Quant au varicocèle droit, qui ne s’est jamais matérialisé, il était tout aussi susceptible de traitement que le gauche. Ce Tribunal ne s’attardera donc pas à en parler davantage, d’autant plus qu’il est convaincu que la possibilité d’un varicocèle à droite n’a nullement influencé l’employeur dans sa décision de congédier monsieur Villeneuve.

En argument, le procureur de Bell Canada a soulevé que le problème en était plutôt un d’absentéisme élevé. Le Tribunal présume qu’il y a là référence au quatrième paragraphe de l’exhibit

> 27. R- 5, soit le rapport du Dr. Pilon en date du 17 août 1981, lequel se lit ainsi:

«Durant la dernière année, il s’est absenté à 7 reprises dont une absence de 19 jours pour une opération urologique. Il a, en outre, dû être vu chez son médecin et son dentiste, ce qui lui fait un total de 24 jours d’absence.»

Ce rapport conclut qu’il serait opportun, non pas de congédier le plaignant, mais bien de transférer le plaignant dans un autre travail où il ne devra plus monter de poteaux. De plus, il est manifeste que l’absentéisme élevé dont fait mention le docteur Pilon est relié à l’intervention chirurgicale subie par monsieur Villeneuve. Il n’y avait aucune raison en septembre 1981 de supposer que ce taux d’absentéisme se maintiendrait et le Tribunal ne retient pas cet argument.

Le procureur de Bell Canada soulève également le fait qu’un autre employés à l’époque où monsieur Villeneuve a été considéré pour le poste de

préposé au matériel III, avait demandé d’y être transféré. Toutefois, il est également en preuve que cet autre employé n’a pas obtenu ce poste, lequel n’a finalement été comblé que plus tard. Il nous apparait donc, là encore, que cet argument ne peut constituer une exonération pour l’intimée.

> 28. Le procureur de Bell Canada soutient encore que la présente cause n’entre pas dans le cadre de l’article 7 de la Loi, puisque l’employeur n’a pas:

  1. refusé d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou
  2. défavorisé un employé pour un motif de distinction illicite.

Bell Canada soumet que de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu vise uniquement le refus de faire d’une personne un employé, et non pas le refus d’un poste en particulier. La discussion est quelque peu académique, le plaignant ayant été congédié. En outre, je ne peux souscrire à cette vue, qui me parait démontrer une interprétation par trop restrictive de la loi et qui ne répond pas aux principes d’interprétation statutaire édictés à l’article 11 de la Loi d’interprétation (S. R. C. 1970, c. 1- 23):

«Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets.»

> 29. Le procureur de l’intimée soulève encore que Bell Canada aurait enfreint la Convention collective si elle avait considéré monsieur Villeneuve alors qu’il y avait un autre candidat qui avait présenté une demande formelle pour le poste envisagé. De l’avis du Tribunal, ce serait déshumaniser les relations de travail et leur faire accomplir l’opposé de leur objectif premier que de soutenir ce point de vue. Il a été clairement établi que monsieur Villeneuve aurait pu en tout temps postuler la fonction de préposé au matériel III, mais qu’il n’en a pas eu l’opportunité, étant donné la prise de position de monsieur Gannon. Le Tribunal ne croit pas qu’en reconnaissant qu’on a défavorisé le plaignant par un refus de le considérer pour un poste non encore officiellement demandé, il rende une décision à l’effet que la seule voie ouverte à l’intimée était de défavoriser ses autres employés, d’autant plus, encore une fois, que le poste en question n’a été comblé que passablement plus tard, et par une autre personne que l’autre postulant à ce même poste.

Bell Canada soutient que le Tribunal devrait se prononcer à sa seule lumière de ce que les représentants de l’employeur savaient ou comprenaient à l’époque de la maladie dont souffrait monsieur Villeneuve. C’est faire abstraction de l’aspect objectif de l’exigence professionnelle justifiée et le Tribunal ne peut se rallier à ce point de vue. Bell Canada soutient encore qu’en

> 30.

maintenant la plainte, le Tribunal oblige l’employeur, non seulement à chercher un autre poste pour un employé devenu handicapé, mais à en lui trouver un. Avec respect, c’est là déplacer le problème. L’acte discriminatoire a consisté en ce que, ayant accepté, alors qu’elle n’en n’avait pas obligation légale, d’accomoder, son employé et de tenter de le muter à un autre poste, l’intimée lui a, en cours de route, refusé l’opportunité d’accéder à un poste de mutation pour un motif de distinction illicite. Vu cette initiative de Bell de placer monsieur Villeneuve dans un poste qui lui convienne, ce n’est pas lui imposer un programme spécial (au sens de l’article 15 par. (1)) que de juger qu’une fois engagée dans cette initiative, Bell devait agir sans poser d’acte discriminatoire.

Bell Canada invoque aussi les dispositions de l’article 10.07 de la Convention collective, dont le sous- paragraphe (b) se lit comme suit:

«( b) Les candidats retenus pour combler les postes vacants doivent être choisis conformément à l’ordre ci- dessous: (i) employés visés par une formule 912B; (ii) autres personnes.»

Par contre, le Tribunal souligne que le sous- paragraphe (f) prévoit que: > 31.

«( f) Nonobstant les dispositions de l’alinéa (b) du paragraphe 10.07, la Compagnie peut réaffecter des employés dans l’ordre ci- dessous: (i) lorsque des mutations sont nécessaires pour des raisons de santé ou à cause d’un handicap physique;

On n’a cité au Tribunal aucune décision d’arbitre ayant interprété ces dispositions, mais elles semblent très claires et Bell Canada ne peut se retrancher derrière elles. Le put- elle d’ailleurs, ce Tribunal serait d’avis qu’on ne pourrait, à cause des dispositions d’une Convention collective, obvier à celles de la Loi, lesquelles sont d’ordre public:

«... Lorsque l’objet d’une loi est décrit comme l’énoncé complet des droits des gens qui vivent sur un territoire donné, il n’y a pas de doute, selon moi, que ces gens ont, par l’entremise de leur législateur, clairement indiqué qu’ils considèrent que cette loi et les valeurs queue tend à promouvoir et à protéger, sont, hormis les dispositions constitutionnelles, plus importantes que toutes les autres. En conséquence à moins que le législateur ne se soit exprimé autrement en termes clairs et exprès dans le Code ou dans toute autre loi, il a voulu que le Code ait préséance sur toutes les autres lois lorsqu’il y a conflit.

... De plus, puisqu’il s’agit de droit public et de droit fondamental, personne ne peut, par contrat, à moins que la loi ne l’y autorise

> 32. expressément, convenir d’en écarter l’application et se soustraire ainsi à son champ de protection.»

Insurance Corporation of British Columbia et Robert C. Heerspink et Le

Directeur, Human Rights Code, (1982 2 R. C. S. 145, pp. 157- 159) En étant venu à la conclusion que le plaignant a été congédié pour un motif de discrimination illégale, ce Tribunal doit maintenant se pencher sur la question de la compensation:

Des admissions ont été produites, qui établissent que le plaignant a reçu de la Commission de santé et sécurité au travail une somme de $21,000.00 en prestations d’accident du travail. Toutefois, le Bureau de révision ayant renversé la décision initiale de l’agent d’indemnisation, monsieur Villeneuve doit rembourser ce montant. De plus, en raison de cette décision du Bureau de révision, il a été déclaré rétroactivement admissible à l’assurance- chômage et a reçu à ce titre un montant de $7,000.00. Il a porté en appel la décision du Bureau de révision et, dans l’éventualité où la Commission des affaires sociales lui donnerait raison, n’aura pas à rembourser le montant de $21,000.00, mais bien celui de $7,000.00 versé par la Commission de l’assurance- chômage. Il est à noter que l’employeur est directement responsable vis- à- vis les autorités concernées du

> 33. remboursement des prestations d’assurance- chômage, mais non de celui des prestations de santé et sécurité au travail. Le Tribunal tiendra compte de ce facteur.

Le salaire de préposé au matériel III, du 29 septembre 1981 au 3 octobre 1984, totalisait $67,371.50. Pour les semaines écoulées depuis le 3 octobre 1984, au nombre de 33, le Tribunal appliquera un salaire hebdomadaire de $487.75, aucune augmentation à venir n’ayant été mise en preuve et la Convention collective (pièce R- 8) n’étant d’aucune aide sur ce point, puisqu’elle prend fin au 30 novembre 1984.

Décision et Ordonnance Par ces motifs, ce Tribunal 1. Conclut que Bell Canada a posé, sans propos délibéré ni négligence

au sens de l’article 410) a) de la Loi canadienne, un acte discriminatoire à l’endroit du plaignant en le congédiant au motif de son handicap physique, le tout contrairement à l’article 7 de ladite loi, et que ce geste ne découlait pas d’exigences professionnelles justifiées au sens de l’article 14 de la même loi;

> 34. 2. Ordonne à Bell Canada de rembourser au plaignant Brian Villeneuve,

sous réserve évidemment de toute loi sur l’impôt sur le revenu applicable, un montant de $83,467.25, représentant les pertes de salaire entraînées par son acte discriminatoire; ce montant ne portera pas intérêt, vu qu’il n’aurait été acquis au plaignant que graduellement et que le plaignant aurait dû l’utiliser pour vivre, aucune preuve n’ayant été faite quant à l’intérêt que le plaignant aurait pu gagner sur une partie épargnée de son salaire;

3. Permet cependant à Bell Canada de retenir, à même ce montant de $83,467.25, un montant de $7,000 représentant les prestations

d’assurance- chômage qu’elle pourrait être appelée à rembourser jusqu’à adjudication ou entente avec la Commission d’assurance- chômage, et à payer alors à ladite Commission ou au plaignant, selon le cas, ledit montant de $7,000, sans intérêt;

4. Accorde au plaignant une indemnité pour préjudice moral au montant de $2,000, en vertu de l’article

> 35. 41( 3) b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne; 5. Ordonne à Bell Canada d’offrir au plaignant, dès qu’il deviendra

disponible, un poste de préposé au matériel III. Signé à Montréal, Québec ce 22ème jour de mai 1985

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.