Tribunal canadien des droits de la personne

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DT- 5/ 83 Jugement rendu le 1er mars 1983

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: ANGIE SCHAEPSMEYER La plaignante - et WARDAIR CANADA (1975) LTÉE Le mis en cause

JUGEMENT DU TRIBUNAL

Devant: L. David Wilkins, membre du tribunal

AVOCAT DE LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE: R. Juriansz

REPRÉSENTANTS DE LA PLAIGNANTE: Max Jamernik, vice- président de l’APNLAC, et Larry Leblanc, président de l’APNLAC

REPRÉSENTANTE DU MIS EN CAUSE: Linda J. Wendel, gestionnaire de la base, Section du service cabine

DATE: le 13 octobre 1982, à Vancouver (Colombie- Britannique) >

Dans la plainte qu’elle a déposée, Angie Schaepsmeyer

allègue:

"avoir été temporairement suspendue, sans rémunération, de son poste d’hôtesse de l’air pour la compagnie mise en cause, en raison de son handicap physique, en l’occurrence la nécessité de porter des lunettes, et avoir été, par conséquent, victime de discrimination fondée sur l’handicap physique de la part de son employeur qui est donc coupable de discrimination aux termes de l’article 20 de la Loi canadienne sur les droits de la personne".

(traduction)

A l’audience, aucune des parties n’était représentée par un avocat, mais, vers la fin, le mis en cause, par l’entremise de sa

représentante, a soumis à l’étude du tribunal un mémoire préparé, semble- t- il, par son conseiller juridique.

Par l’intermédiaire de leurs représentants, les parties ont pu s’entendre sur l’exposé des faits suivants:

  1. Avant le mois de juin 1981, Wardair Canada avait pour politique d’interdire à tout agent de bord de porter des lunettes correctrices de la vue.
  2. Mlle Angela Schaepsmeyer travaillait, au cours de la période qui nous intéresse, pour Wardair Canada comme agent de bord. Elle souffre d’un défaut de la vue qui doit être corrigé par le port de lunettes ou de verres de contact. > - 2
  3. Au mois d’août 1980, Mlle Schaepsmeyer a eu des problèmes avec un verre de contact déchiré et a avisé Wardair Canada qu’elle devrait porter ses lunettes.
  4. Le 27 août 1980, le directeur du service cabine a rayé le nom de Mlle Schaepsmeyer de la liste des agents de bord jusqu’au 5 septembre 1980, date à laquelle elle s’est procurée un nouveau verre de contact.
  5. Le 17 juin 1981, la compagnie a modifié sa politique et a permis aux agents de bord de porter des lunettes. Elle a admis, en principe, que Mlle Schaepsmeyer devrait être indemnisée pour la perte de rémunération attribuable à sa suspension

En se fondant sur cet exposé des faits, le tribunal juge que la suspension de Mlle Schaepsmeyer constituait un acte discriminatoire en matière d’emploi, basé sur son handicap physique, acte qui allait à l’encontre des dispositions de la Loi sur les droits de la personne.

Malheureusement, même si le mis en cause a reconnu qu’il était de son devoir d’indemniser Mlle Schaepsmeyer à la suite de cet acte de discrimination, les parties ont été incapables de s’entendre sur le montant de l’indemnité à lui verser.

> - 3 A cet égard, Mlle Schaepsmeyer prétendait avoir le droit d’être rémunérée pour un total de 33,95 heures de plus. Au nom du mis en cause, Linda Wendel a déclaré que la compagnie était prête à l’indemniser pour une période additionnelle de 18,55 heures, selon son interprétation de la convention collective conclue entre la compagnie et ses employés. Un exemplaire de la convention collective a été déposé à titre de pièce R. 1 et, au cours de l’audience, Mlle Wendel, représentant le mis en cause, ainsi que M. Leblanc et Mlle Schaepsmeyer en ont invoqué les clauses à de nombreuses reprises.

La position du mis en cause est énoncée au paragraphe 6 de la page 2 du mémoire constituant la pièce R. 2. Dans ce document, la compagnie prétend pouvoir retrancher 19,35 heures de cette période du fait que Mlle Schaepsmeyer a travaillé dans le cadre d’une autre affectation à bord du vol jumelé 700. Par l’entremise de son représentant, Mlle Schaepsmeyer prétend que les seules heures que la compagnie a le droit de retrancher sont les quatre heures de vol de Montréal à Toronto pour rejoindre le vol jumelé 700.

Tout au long du mémoire présenté au nom du mis en cause, il est question d’un retrait de service de la part de Mlle Schaepsmeyer. Le tribunal est d’avis que c’est plutôt le mis en cause qui, par suite d’un acte discriminatoire fondé sur son handicap physique, l’a empêchée d’exécuter le travail qu’elle aurait normalement accompli pour lui.

> - 4 En outre, le mis en cause affirme que Mlle Schaepsmeyer n’aurait pu compléter le vol jumelé 700, le 5 septembre, si elle avait eu la permission de travailler selon l’horaire régulier prévu. Le mis en cause invoque à ce sujet les dispositions de la convention collective qui auraient empêché Wardair de l’affecter, après un vol régulier, à un autre vol sans lui avoir donné un préavis de 48 heures. Selon la preuve présentée devant le tribunal, Mlle Schaepsmeyer a été affectée au vol 700 parce que le mis en cause manquait de personnel. Ce vol jumelé coïncidait avec la fin de semaine de la Fête du Travail où il est indiscutable que la compagnie devait faire face à un nombre beaucoup plus élevé d’absences en raison de congés de maladie ou autres. Selon son témoignage non démenti, Mlle Schaepsmeyer a été appelée à faire cette étape de vol en remplacement d’un superviseur de la compagnie qui s’était occupé de la première. D’ailleurs, Mme Wendel a admis que la compagnie n’avait pas pour politique de confier ce genre de travail à un superviseur. Le tribunal en vient donc à la conclusion que le rappel de Mlle Schaepsmeyer avait pour but de résoudre un problème de personnel et que celle- ci, en acceptant cette affectation sans y être obligée, solutionnait ce problème. De l’avis du tribunal, l’argument avancé par le mis en cause pour ne pas tenir compte de la seconde étape de ce vol est absolument indéfendable.

Cet argument est fondé sur l’interprétation que la compagnie donne de la convention collective, selon laquelle elle

> - 5 n’aurait pu demander à Mlle Schaepsmeyer d’accepter cette affectation si elle avait fait, à la fin du mois d’août, le vol dont elle a été suspendue. De là, la compagnie prétend qu’en lui proposant cette affectation, elle lui a permis de faire les heures nécessaires pour compenser celles qu’elle avait perdues par suite de sa suspension.

Le tribunal est d’avis que cet argument ne tient pas et que le

fait d’avoir fait appel à Mlle Schaepsmeyer pour régler un problème de personnel n’autorisait pas la compagnie à défalquer les heures de travail ainsi faites de l’indemnité à laquelle Mlle Schaepsmeyer avait droit par suite de l’acte discriminatoire commis à son égard par le mis en cause.

Le tribunal estime que Mlle Schaepsmeyer a le droit d’être indemnisée par le mis en cause pour un total de 33,9 heures, par suite de l’acte discriminatoire commis à son égard par celui- ci, compte tenu de la défalcation des quatre heures du vol de Montréal à Toronto qu’elle a dû prendre, en septembre, afin de rejoindre le vol jumelé 700. Par conséquent, nous ordonnons au mis en cause d’indemniser Mlle Schaepsmeyer pour un total de 33,9 heures de vol supplémentaires, au taux et selon les modalités d’emploi en vigueur pendant les mois d’août et de septembre 1980.

Le tribunal a également étudié les dispositions du paragraphe 41 (3) de la Loi traitant de l’indemnité spéciale. A son avis, dans le cas qui nous préoccupe, ces dispositions ne

> - 6 s’appliquent pas et, en conséquence, aucune ordonnance à cet égard n’est rendue contre le mis en cause.

De même, étant donné que l’audience a été tenue chez la plaignante et que celle- ci n’était pas représentée par un avocat, il n’y a pas lieu d’émettre une ordonnance de remboursement des dépenses additionnelles engagées par Mlle Schaepsmeyer par suite de cet acte discriminatoire.

Avant de conclure, il est nécessaire d’étudier les paragraphe 9, 10 et 11 du mémoire présenté par le mis en cause dans cette affaire.

Au paragraphe 10, le mis en cause déclare ne pas avoir été avisé de la plainte portée par Sanka Dukovitch. Or, le tribunal n’a pas été saisi de cette plainte étant donné qu’elle avait été réglée et retirée, et il n’en a absolument pas tenu compte.

Au paragraphe 11, le mis en cause prétend que la plaignante n’aurait pas dû invoquer les dispositions correctives de la Loi canadienne sur les droits de la personne avant d’avoir épuisé la procédure de règlement des griefs prévue par la convention collective. Il ne précise pas sur quoi se fonde cette affirmation qui revient à dire que le pouvoir conféré en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne peut être annulé par une clause d’une convention entre employeur et employés. Dans le cas qui nous préoccupe, le tribunal ne peut accepter cet argument bien qu’aucune clause de ce genre n’existe dans la

> - 7 convention collective régissant les rapports entre la plaignante et le mis en cause. De l’avis du tribunal, toute clause contractuelle visant expressément à annuler le pouvoir conféré à un tribunal, en

vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, en attendant l’épuisement de la procédure de règlement des griefs, serait inopérante parce que contraire à l’intérêt public.

Finalement, il est allégué au paragraphe 9 que la compagnie n’a pas été avisée dans les délais du dépôt de la plainte d’Angie Schaepsmeyer et, par conséquent, qu’une condition préalable à l’exercice du pouvoir du tribunal a fait défaut. Le tribunal ne peut que déplorer le fait que le mis en cause, par l’entremise de sa représentante, fasse une telle affirmation sans fournir de preuve ou d’argument à l’appui. Dans son mémoire, le mis en cause affirme que la Commission ne l’a pas avisé des mesures qu’elle avait prises conformément au paragraphe 36 (4) de la Loi. Or, la Commission canadienne des droits de la personne a adressé à M. Barry Corbett, directeur, Relations industrielles, Wardair Canada (1975) Ltée, une lettre, en date du 16 septembre 1981 (pièce C- 4), l’informant des mesures prises en application de ce paragraphe de la Loi. Au cours de l’audience, il n’a pas été prouvé que le mis en cause n’avait pas reçu cet avis. Par conséquent, le tribunal est convaincu que la Commission s’est acquittée de son obligation statutaire en vertu du paragraphe 36 (4) de la Loi.

> - 8 Les éléments de preuve et les pièces présentées lors de l’audience indiquent clairement que le mis en cause a été informé comme il se devait de la constitution du tribunal et de la tenue d’une audience par celui- ci, ce dernier fait ayant été reconnu par la représentante du mis en cause dans la pièce C. 5. En conséquence, l’argument concernant le pouvoir du tribunal est rejeté, et nous sommes d’avis que les mesures prises avant la tenue de l’audience autorisaient pleinement le tribunal à exercer son pouvoir.

Le tribunal conclut donc:

  1. que le mis en cause s’est rendu coupable d’un acte discriminatoire en suspendant Angie Schaepsmeyer en août 1980;
  2. qu’Angie Schaepsmeyer a droit à une indemnité correspondant à la rémunération qui lui aurait été payable conformément à sa convention collective pour un total de 33,9 heures additionnelles au cours des mois d’août et de septembre 1980;
  3. que les arguments concernant le pouvoir du tribunal contenus dans le mémoire du mis en cause sont, par les présentes, rejetés.

L. DAVID WILKINS

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