Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 5/96 Décision rendue le 9 avril 1996

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C., 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: SATISH CHANDER NARENDRA NATH JOSHI

les plaignants

-et-

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

-et-

MINISTERE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ETRE SOCIAL

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL CONCERNANT LES DOMMAGES-INTÉRETS

TRIBUNAL: Keith C. Norton, c.r. - président Janet Ellis - membre Subhas Ramcharan - membre

ONT COMPARU: Eddie Taylor Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Arnold Fradkin Avocat de l'intimé

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: 19 et 20 février 1996 Ottawa (Ontario)

Référence: D.T. 16/95 13 décembre 1995

TRADUCTION

L'audience a repris le 19 février 1996 pour entendre la preuve relative à la réparation.

1. LA POSITION DES PARTIES

La Commission canadienne des droits de la personne ( la Commission ) a présenté le point de vue suivant :

M. Narendra Nath Joshi

La Commission a fait valoir que M. Joshi devrait être réintégré dans le poste de niveau BI-04 qui lui a été refusé le 30 mai 1989 avec les années de service appropriées. Elle a également soutenu qu'il avait droit de recouvrer les pertes de salaire subies depuis le 10 juin 1989, y compris les augmentations d'échelon et tous les avantages dont il a été privé, notamment la pension, après déduction de ses prestations d'assurance- chômage et des revenus qu'il a tirés de toutes les autres sources pendant cette période.

Les autres mesures de réparation demandées se limitaient à des frais de déplacement et des frais généraux, notamment des frais juridiques et une indemnité pour préjudice moral.

M. Satish Chander

La Commission a soutenu que M. Chander devrait être promu à un poste de niveau BI-04, ce qu'on lui avait refusé le 30 mai 1989, et qu'il devrait recevoir une somme correspondant à la différence

entre sa rémunération actuelle et celle qu'il aurait reçue à compter de juillet 1989, y compris les augmentations d'échelon, s'il avait obtenu le poste.

Dans le cas de M. Chander, la Commission a également demandé les avantages dont celui-ci a été privé, les frais juridiques et une indemnité pour préjudice moral.

L'intimé prétend que la réparation appropriée est une ordonnance visant l'établissement d'un autre concours et la constitution d'un autre jury de sélection formé de personnes ne faisant pas partie de Santé Canada (nouvelle désignation du ministère) aux seules fins de trancher la question de savoir si les deux plaignants ont les qualités requises pour le poste de niveau BI-04.

L'avocat de l'intimé a en outre affirmé que si les plaignants étaient jugés qualifiés par le jury de sélection, l'intimé ne s'opposerait pas à leur nomination à un poste de niveau BI-04 avec salaire et avantages rétroactifs comme le demande la Commission, à l'exception de quelques détails.

2. LE DROIT

La Loi canadienne sur les droits de la personne ( la Loi est libellée ainsi :

Paragraphe 53(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire :

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b) d'accorder à la vicitme, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privée;

c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte.

Dans la décision Procureur général du Canada c. Morgan et autres, [1992] 2 C.F. 401, le juge d'appel Marceau abordant la question de la période d'indemnisation a dit ce qui suit au sujet de l'indemnité, à la page 414 : [...] Dans les deux cas (en matière de droits de la personne ou de la responsabilité délictuelle), le principe est le même: la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort ne s'était pas produit. Tout autre but entraînerait un enrichissement sans cause et un appauvrissement injustifié parallèle. Les principes établis par les tribunaux pour atteindre cet objectif [...] s'appliquent donc nécessairement. Il est bien connu que l'un de ces principes consiste à exclure les conséquences de l'acte qui sont trop lointaines ou seulement indirectes.

A la page 416, il fait allusion à la difficulté de fixer une limite à la période d'indemnisation et il a conclu en faisant sienne l'analyse de la question faite dans l'opinion minoritaire du juge d'appel McGuigan qui tire la même conclusion que le tribunal dans l'affaire De Jager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (1987), 8 C.H.R.R. D/3963 (Trib. C.D.P.), à savoir que seules les pertes subies qui sont raisonnablement prévisibles par la personne qui a commis l'acte discriminatoire sont recouvrables.

3. CONCLUSION

Avant de rendre une ordonnance en l'espèce, le Tribunal tient à déclarer qu'il est unanime sur un point : dans la décision rendue le 13 décembre 1995, tant la majorité que le membre dissident ont estimé en des termes clairs, sinon exprès, que la preuve appuyait sans équivoque la conclusion voulant que chacun des deux plaignants soient qualifiés pour occuper un poste de niveau BI-04.

Au surplus, aucune preuve n'a été présentée par l'intimé pour réfuter une telle conclusion.

Le Tribunal estime qu'il ne conviendrait pas d'ordonner la constitution d'un autre jury de sélection pour trancher la question.

4. ORDONNANCE

M. JOSHI :

(i) RÉINTÉGRATION

Le Tribunal ordonne, en application de l'alinéa 53(2)b) de la Loi, que

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M. Joshi soit nommé pour une période indéterminée à un poste approprié de niveau BI-04, dès que les circonstances le permettent. Le poste devrait correspondre à son niveau de connaissances et à son expérience professionnelle.

En outre, il est ordonné que l'on tienne compte du fait que M. Joshi a été absent du ministère intimé pendant une longue période et qu'il devrait par conséquent recevoir l'appui ou la formation nécessaire pour se réadapter à ses fonctions et responsabilités.

(ii) INDEMNITÉ

Dans son appréciation de la preuve présentée au sujet des pertes de salaire, le Tribunal a tenu compte des dispositions de la Loi énoncées ci- dessus relativement à la prévisibilité raisonnable.

Les bordereaux T4 introduits en preuve (pièce HR-8, onglet D) montrent qu'en 1991, le revenu de M. Joshi a presque atteint le niveau du poste de BI-04 du tableau A auquel il prétendait (pièce HR-8, onglet A).

Le Tribunal estime, compte tenu des règles du droit énoncées ci- dessus, qu'il convient d'indemniser M. Joshi pour les pertes de salaire subies jusqu'au 31 décembre 1991.

Par conséquent, le Tribunal ordonne que l'intimé verse à M. Joshi la somme de 63 588,44 $ pour les pertes de salaire.

Cette somme a été calculée en additionnant le salaire réclamé dans le tableau A (pièce HR-8, onglet A) jusqu'à la fin de 1991 et en déduisant le revenu tiré de toutes les sources jusqu'à cette date, conformément à l'onglet D de la même pièce.

Les hypothèses contenues dans les tableaux présentés, à l'exception du tableau A, ont été rejetées par le Tribunal parce que les preuves sont insuffisantes pour les étayer. Le Tribunal a également décidé qu'il ne convenait pas d'accorder des avantages rétroactifs en l'espèce.

(iii) INTÉRETS

Le Tribunal ordonne que la somme de 63 588,44 $ qui doit être versée par l'intimé à M. Joshi porte des intérêts simples au taux de la Banque du Canada, depuis le 31 décembre 1991 jusqu'à la date du paiement.

(iv) FRAIS DE DÉPLACEMENT

Le Tribunal conclut que M. Joshi s'est rendu à la Nouvelle-Orléans pour le compte de l'intimé avant la cessation d'emploi. M. Joshi n'a pu produire ses reçus parce qu'il lui a été impossible de se rendre à son bureau après le 9 juin 1989. Il avait reçu une avance de 1 000 $ US et un billet d'avion d'une valeur de 972,65 $.

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En l'absence d'une demande de paiement, avec pièces justificatives à l'appui, l'intimé a déduit ces sommes du paiement au titre du régime de pension de retraite de M. Joshi après la cessation d'emploi.

Le Tribunal ordonne à l'intimé de verser à M. Joshi la somme véritablement déduite, soit 2 162,65 $, avec intérêts au taux de la Banque du Canada depuis le 16 octobre 1989 jusqu'à la date du paiement.

(v) FRAIS JURIDIQUES

Comme les preuves produites pour démontrer que les frais juridiques ont été nécessairment engagés par le plaignant pour faire valoir sa plainte ne sont pas suffisantes, le Tribunal rejette la demande de remboursement.

(vi) INDEMNITÉ SPÉCIALE EN APPLICATION DE L'ALINÉA 53(3)b)

La preuve étaye amplement la décision du Tribunal d'accorder à M. Joshi l'indemnité maximale de 5 000 $ pour préjudice moral.

M. CHANDER :

(i) RÉINTÉGRATION

M. Chander continue d'être à l'emploi de l'intimé dans un poste de niveau BI-03. Le Tribunal ordonne en application de l'alinéa 53(2)b) de la Loi qu'il soit nommé pour une période indéterminée à un poste approprié de niveau BI-04 dès que les circonstances le permettent.

L'ordonnance du Tribunal serait respectée si M. Chander était nommé dans n'importe laquelle des divisions du ministère intimé dans la mesure où le poste permanent de niveau BI-04 correspond au niveau de connaissances et à l'expérience du plaignant.

(ii) INDEMNITÉ

Le Tribunal a examiné tous les tableaux de la pièce HR-8, onglet B, et il a décidé que le tableau A est le seul qui soit applicable. A la différence de M. Joshi, avant l'acte discriminatoire, M. Chander occupait depuis longtemps un poste permanent dans la fonction publique.

Il était raisonnablement prévisible dans le cas de M. Chander que ses pertes seraient permanentes puisqu'il ne pouvait rechercher un poste qu'au sein de la fonction publique sans pouvoir pousser ses recherches ailleurs en raison des longues années passées dans la fonction publique ou de son cheminement de carrière.

Le Tribunal accorde à M. Chander la somme de 40 601,25 $ pour les pertes de salaire, avec intérêts au taux de la Banque du Canada à compter de la date de l'ordonnance jusqu'à la date du paiement.

Le Tribunal a décidé qu'il ne convenait pas d'accorder des avantages rétroactifs en l'espèce.

(iii) FRAIS JURIDIQUES

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Pour les motifs énoncés ci-dessus, le Tribunal n'ordonne pas le remboursement de ces frais.

(iv) INDEMNITÉ SPÉCIALE EN APPLICATION DE L'ALINÉA 53(3)b)

Il ressort clairement de la preuve que si M. Chander a subi un préjudice moral, il n'a pas souffert autant sur le plan émotionnel que M. Joshi. Le Tribunal ordonne que soit versée à M. Chander la somme de 1 000 $.

FAIT le mars 1996.

Keith C. Norton, c.r. Président

Janet Ellis Membre

Subhas Ramcharan Membre

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