Tribunal canadien des droits de la personne

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Décision rendue le 8 mars 1996 LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : SHIV CHOPRA

le plaignant - et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission - et -

MINISTERE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ETRE SOCIAL

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Daniel Soberman, président Linda Dionne, membre Gregory Pyc, membre COMPARUTIONS : Prakash Diar, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne Michael Ciavaglia, avocat du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : 5, 6, 7 et 8 septembre 1995 2, 3, 4, 5 et 11octobre 1995 Ottawa (Ontario)

TRADUCTION

TABLE DES MATIERES

LA PLAINTE

LES FAITS

1. EXPÉRIENCE PROFESSIONNELLE : DE 1957 A 1969

2. LA STRUCTURE ADMINISTRATIVE AU SEIN DE LA DIRECTION 4 GÉNÉRALE DE LA PROTECTION DE LA SANTÉ

3. ANTÉCÉDENTS PROFESSIONNELS AU SEIN DU MINISTERE

a) Le Bureau des médicaments humains prescrits, de 1969 à 1980

b) Évaluations annuelles du rendement par écrit, de 1979 à 1987

c) Le Bureau des médicaments vétérinaires, de 1987 à avril 1990

d) Occasions pour le Dr Chopra d'être promu au rang de gestionnaire avant 1990 16

4. LES ÉVÉNEMENTS DE 1990 A 1992

a) 1990 : Vacance du poste de directeur du Bureau des médicaments 19 humains prescrits

b) 1991 et 1992 : Les appels interjetés par le Dr Chopra à l'endroit de 22 la nomination de Mme Franklin

c) Incidences des événements de 1990 à 1992 sur le milieu de travail 27 et les évaluations du Dr Chopra

d) La vision qu'avait le Ministère du Dr Chopra immédiatement avant 30 le dépôt de sa plainte

LES POINTS EN LITIGE

CONCLUSIONS

1. LE TRAITEMENT DU Dr CHOPRA PENDANT QU'IL A TRAVAILLÉ 34 AU BUREAU DES MÉDICAMENTS HUMAINS PRESCRITS

2. LES OCCASIONS D'AVANCEMENT OUVERTES AU DR CHOPRA 35 DE 1988 A 1992

3. L'OPINION DE LA DIRECTION AU SUJET DU DR CHOPRA

4. LES OPINIONS DE LA DIRECTION SUR LES DIFFÉRENCES 40 CULTURELLES

DÉCISION ET ORDONNANCE

LA PLAINTE

La plainte du Dr Shiv Chopra, déposée le 16 septembre 1992, fait valoir qu'à compter de 1990, le ministère de la Santé nationale et du Bien- être social s'est rendu coupable d'actes discriminatoires contraires à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne à son endroit, lorsqu'il l'a défavorisé en cours d'emploi, en le privant d'occasions adéquates de participer à un concours pour pourvoir le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits, et dans le traitement et les évaluations de son rendement subséquents.

Le jour même où le Dr Chopra a déposé sa plainte, l'Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales (ACNRI) déposait elle aussi contre le Ministère une plainte portant qu'il avait engagé des actes discriminatoire en violation de l'article 10 de la Loi en appliquant des lignes de conduite susceptibles d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'une catégorie d'individus. Par contraste avec la plainte personnelle du Dr Chopra, il était question de discrimination systémique dans la plainte de l'ACNRI, c'est-à-dire le fait que l'application de lignes de conduite au sein du Ministère défavorisait certains groupes d'employés - les minorités visibles - tout particulièrement en matière d'avancement. Lors d'une conférence préparatoire à l'audience à Ottawa, le 16 mars 1995, le tribunal a appris que, dans une lettre adressée à la Commission après le dépôt de sa plainte, le Dr Chopra avait maintenu que sa plainte soulevait aussi des questions visées par l'article 10, en matière de discrimination systémique, et qu'elle devrait être modifiée en conséquence.

A la même conférence, la Commission a annoncé, avec le consentement du Dr Chopra, qu'elle songeait à demander que les deux plaintes -- la plainte individuelle et la plainte systémique -- soient réunies et entendues ensemble. Toutes les parties ont reconnu que la réunion aurait pour effet de complexifier l'audience et de causer du retard. Toutefois, comme il n'était pas acquis que la Commission décide finalement de demander la réunion des plaintes, la conférence a été ajournée. Les parties ont procédé à d'autres échanges.

La conférence a repris le 24 avril 1995 et, à cette occasion, la Commission a annoncé au tribunal que toutes les parties avaient décidé de renoncer à la réunion; le tribunal ne serait saisi que de la plainte du Dr Chopra. La Commission n'ayant pas modifié la plainte, le tribunal n'est pas saisi des questions de discrimination systémique sous l'angle de l'article 10 de la Loi. La plainte du Dr Chopra n'invoque que l'article 7. L'avocat de la Commission a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

Si je comprends bien, il s'agit d'une plainte en vertu de l'article 7 seulement. La formule de plainte se limite à l'article 7. Je crois que vous avez été nommés pour faire enquête sur une plainte fondée sur l'article 7.

Les arguments du Dr Chopra peuvent avoir été présentés à la Commission, et les arguments relatifs à l'article 10 n'ont manifestement pas été acceptés à cette fin, et par conséquent vous n'avez pas compétence. [Mis en italique par le tribunal.]

L'avocat du Ministère a abondé dans le même sens, en déclarant [TRADUCTION] Cela met fin à cette question. Les deux avocats ont convenu de l'opportunité qu'un autre tribunal soit saisi distinctement de la plainte

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de l'ACNRI sous l'article 10. Le tribunal s'est donc limité à la question de la discrimination dont le Dr Chopra aurait été personnellement victime.

LES FAITS

Un examen assez détaillé de la carrière professionnelle du Dr Chopra, tout particulièrement de sa carrière au sein du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, constitue une partie essentielle du contexte des événements survenus entre 1990 et 1992 qui sous-tendent la plainte.

1. EXPÉRIENCE PROFESSIONNELLE : DE 1957 A 1969

Le Dr Chopra est né en Inde. Il a obtenu un diplôme en médecine vétérinaire et en zoothechnie à l'université de Punjab, en 1957, puis un diplôme d'études supérieures en produits biologiques au Central Indian Veterinary Research Institute. Il a travaillé pendant quelques mois dans un hôpital vétérinaire gouvernemental, puis a occupé un poste en recherche au Punjab Veterinary College, institution qui produisait des vaccins, des sérums et d'autres produits biologiques employés par les vétérinaires. Le Dr Chopra a fait d'autres études supérieures d'une durée de neuf mois en Inde.

En 1960, soit trois ans après avoir reçu son premier diplôme, il est venu au Canada étudier la microbiologie à l'université McGill. Il a terminé ses études de maîtrise en 1962, puis a entrepris ses études en vue du doctorat, qu'il a obtenu en 1964. Il a ensuite consacré une année de recherches à titre de boursier post-doctoral à l'hôpital Royal Victoria à Montréal.

En 1965, le Dr Chopra s'est rendu en Angleterre, où il a travaillé pour Miles Laboratories, une importante société pharmaceutique. Il y a dirigé une section de chercheurs en biologie chargés principalement de tester de nouveaux médicaments. La section comptait treize chercheurs dans diverses disciplines connexes, et, en incluant le personnel de soutien, elle comprenait une vingtaine d'employés.

A la fin de 1968, le Dr Chopra a été pressenti en Angleterre par le Dr Jeffrey Bishop, directeur du Bureau des services de consultation scientifique du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social du Canada. Le Dr Bishop lui a offert un poste au sein de la Division de la médecine et de la pharmacologie, une composante de son Bureau. (Le Bureau a par la suite été rebaptisé Bureau des médicaments humains prescrits, et la Division du Dr Chopra, Division de l'infection et immunologie.) Le Dr Chopra a accepté l'offre, et il a donné à Miles Laboratories un préavis de six mois avant de revenir au Canada en juin 1969. Il travaille depuis au service du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social.

2. LA STRUCTURE ADMINISTRATIVE AU SEIN DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA PROTECTION DE LA SANTÉ

Pour situer dans leur contexte les événements des années subséquentes et la plainte du Dr Chopra -- et comprendre la réaction du Ministère -- il est utile de décrire la structure administrative de la Direction générale de la protection de la santé. La présente description se fonde sur les organigrammes en vigueur en septembre 1992, mais ce cadre général existait

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déjà pour une grande partie, voire la totalité, de la période d'emploi du Dr Chopra au sein du Ministère.

  1. La Direction générale était dirigée par un sous-ministre adjoint.
  2. Elle comportait sept directions, y compris la Direction des médicaments, chacune dirigée par un directeur général qui relevait du sous- ministre.
  3. Au sein de la Direction des médicaments se trouvaient neuf bureaux, chacun dirigé par un directeur qui relevait du directeur général. La Direction des médicaments comprenait à la fois le Bureau des médicaments humains prescrits, où le Dr Chopra a travaillé de 1969 à la fin de 1987, et le Bureau des médicaments vétérinaires, où il travaille depuis lors. iv. Chaque bureau comprend un certain nombre de divisions, chacune gérée par un chef qui relève du directeur du bureau. Le Dr Chopra a d'abord travaillé au sein de la Division de l'infection et immunologie, à l'intérieur du Bureau des médicaments humains prescrits, puis au sein de la Division de l'innocuité pour les humains, à l'intérieur du Bureau des médicaments vétérinaires. Les chefs semblent superviser un nombre variable d'employés, tant des professionnels que d'autres employés, le nombre pouvant varier d'une demi-douzaine à une quinzaine. Les parties n'ont versé en preuve aucun chiffre précis.

Comme nous le décrirons plus en détail par la suite, le tribunal a entendu en preuve qu'à une certaine époque, le chef du Dr Chopra avait suggéré qu'on établisse des sections à l'intérieur d'une division, et qu'on nomme des gestionnaires de section de niveau immédiatement inférieur à celui de chef de division, mais cela ne s'est pas réalisé. Par conséquent, au sein de la Direction des médicaments, le poste de cadre intermédiaire de premier échelon -- en vertu duquel un gestionnaire est appelé à superviser un certain nombre d'employés qui relèvent de lui ou elle -- semble être celui de chef de division. Les parties n'ont produit aucun élément de preuve indiquant si les employés promus à des postes de gestion avaient invariablement débuté au premier échelon susmentionné, ou si certains avaient débuté à l'échelon plus élevé de directeur de bureau -- point qui est au coeur du différend dans la présente espèce. (Nous ne parlons pas ici des personnes qui ont pu être recrutées à l'extérieur de la fonction publique pour combler un poste particulier.) Il semble toutefois raisonnable de présumer que, à tout le moins dans la plupart des cas, la première nomination d'un employé à un poste de gestion se faisait au niveau de chef plutôt qu'à celui de directeur.

3. ANTÉCÉDENTS PROFESSIONNELS AU SEIN DU MINISTERE

a) Le Bureau des médicaments humains prescrits, de 1969 à 1980

La première classification de l'emploi du Dr Chopra était celle de Conseiller scientifique 1 (SA-1). Peu de temps après son arrivée au Canada, il s'est porté candidat au poste de chef de sa division devenu vacant. Même si c'est le Dr Michael Davis qui a obtenu ce poste à la suite d'un concours et que le Dr Chopra travaillait sous sa supervision, les deux hommes de sciences furent tous deux promus au rang de SA-2. Selon le Dr Chopra, un SA-1 serait aujourd'hui l'équivalent d'un Biologiste 4 (BI- 4), et un SA-2, l'équivalent d'un BI-5. Toutefois, le système de classification a subi une révision majeure en 1971, et le Dr Chopra a été reclassifié de SA-2 à BI-4; il s'est opposé à la nouvelle classification, mais le Ministère a confirmé que son poste était un BI-4 et non un BI-5.

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Au cours de ses cinq premières années de travail environ, sous la direction du Dr Davis, le Dr Chopra agissait fréquemment à titre de chef pendant les absences du Dr Davis, pour diverses périodes pouvant aller de un ou deux jours à cinq ou six semaines à une occasion, lorsque le Dr Davis a été malade. Un chef remplaçant s'acquitte habituellement de presque toutes les fonctions du chef, selon les circonstances qui se présentent au jour le jour.

Nombre d'éléments de preuve montrent que le Dr Chopra était intéressé à élargir ses horizons et exercer d'autres fonctions que celles de biologiste au sein de sa propre division.

i. En 1972, le Dr Chopra a négocié avec ses supérieurs et avec le Conseil des sciences du Canada une affectation provisoire au Conseil des sciences. Cette affectation ne s'est toutefois pas matérialisée puisque ses supérieurs ont décidé qu'ils n'y étaient pas intéressés.

ii. En 1974, le Dr Carolyn Scott a succédé au Dr Bishop à la direction du Bureau. L'année suivante, en 1975, le Conseil du Trésor a décidé d'établir un comité chargé d'élaborer un système de comptabilisation amélioré pour la Direction générale de la protection de la santé. Il portait le nom de comité de la gestion axée sur les objectifs (GAO), et il était dirigé par le Dr A.J. Liston. En sa qualité d'ancien chef d'une division au sein de la Direction générale, le Dr Scott connaissait déjà la compétence du Dr Chopra. Elle l'a proposé comme représentant de la Direction des médicaments, qui faisait partie des huit directions à l'époque, chacune ayant un représentant. Le Dr Chopra avait pour tâche d'examiner le fonctionnement de sa direction et de proposer un système de vigilance et de mesure qui répondrait aux attentes du Conseil du Trésor. Le Dr Chopra a travaillé avec le comité et fait rapport de son projet au Dr Liston. L'une des principales tâches du Dr Chopra consistait à discuter avec les gestionnaires de divers niveaux des problèmes qu'ils éprouvaient, d'en faire une analyse et de formuler des recommandations.

Il semble que le travail du comité se soit poursuivi pendant plus de trois ans, le Dr Liston ayant renouvelé l'affectation du Dr Chopra pour les deuxième et troisième années. Aucun élément de preuve n'a été produit relativement aux autres membres du comité et à la question de savoir s'ils ont été réaffectés. Les réaffectations du Dr Chopra confirment son témoignage portant que son travail était satisfaisant. Il a aussi déclaré que le Dr Liston était très satisfaite de la qualité de ses propositions. Nous n'avons entendu aucune déclaration directe de quelque autre témoin sur la qualité du travail du Dr Chopra. Nous remarquons en outre que si le projet du comité était clairement orienté vers la gestion en termes d'élaboration de systèmes de gestion, aucun élément de preuve n'établit que les membres du comité aient agi à titre de superviseurs d'autres employés. iii. Au début de 1977, le Dr Liston a inscrit le Dr Chopra à un programme de six semaines de formation à la gestion, en internat, au Bureau du perfectionnement et de la formation du personnel, maintenant appelé le Centre canadien de gestion. Ce programme de perfectionnement des cadres supérieurs était offert à des personnes que des cadres supérieurs comme le Dr Liston considéraient comme de bons candidats à des postes de gestion. Selon les souvenirs du Dr Chopra, il y avait une vingtaine de personnes dans la classe, et il était le seul de son ministère. Le Dr Chopra a complété ce programme de formation avec succès.

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iv. A la fin de 1977, le Dr Liston a demandé au Dr Chopra d'agir à titre de représentant de la Direction des médicaments au sein d'un autre groupe de travail, chargé de l'étude sur l'interface de la Direction des médicaments et de la Direction des opérations régionales. Le groupe de travail était composé du Dr Chopra, de deux représentants des opérations régionales et de Mme J. Ullyat à la présidence. L'étude a duré plus d'un an et le rapport du projet fut remis directement au sous-ministre adjoint.

v. A peu près à la même époque, vers la fin de 1977, le Dr Scott a quitté son poste de directeur du Bureau pour prendre sa retraite et c'est le Dr Henderson qui a pris la relève. Au début de 1978, le Dr Henderson a demandé au Dr Chopra de préparer un rapport d'ensemble et un survol du programme des médicaments. Le Dr Chopra était toujours consultant au sein du GAO et il n'était pas encore revenu à sa division. Il a expédié son rapport au Dr Henderson le 8 février 1978. Dans une note de service de la même date, en prévision de son retour imminent du GAO à sa Division de la médecine et de la pharmacologie (comme elle s'appelait toujours à l'époque), le Dr Chopra a brossé rapidement sa carrière de neuf ans au sein du Bureau, de même que les divers éléments de développement de la gestion dans son travail et dans sa formation; il a demandé au Dr Henderson d'examiner sa carrière et de lui dire s'il pouvait s'attendre à voir un changement (une promotion) dans un avenir rapproché, mais il ne s'est rien passé de nouveau.

Le Dr Chopra est ensuite revenu à sa division et, au cours des mois suivants, le Dr Henderson a fait en sorte qu'il agisse comme chef de section de facto d'un petit groupe de chercheurs travaillant dans le domaine en pleine expansion de l'immunologie. Le Dr Henderson a sérieusement songé à mettre sur pied au sein de la division une section appelée à suivre les développements en immunologie, et il a soulevé la possibilité de créer formellement le poste de chef de section. Toutefois, pour des raisons structurelles, en vertu desquelles la création du poste de chef de section aurait nécessité une révision du système de classification du bureau, et à cause de l'opération de réduction des effectifs en cours au sein du Bureau à la fin de 1978, aucune suite n'a été donnée à cette proposition.

vi. En 1980, fort de l'appui du Dr Henderson, le Dr Chopra a demandé et obtenu une bourse auprès de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui lui permettait, pendant une période de trois mois, d'étudier à l'échelle de la planète les systèmes relatifs aux programmes de gestion des médicaments, en particulier dans le domaine du contrôle et de la normalisation des allergènes. Le Dr Chopra a visité douze pays de l'Europe de l'Est et de l'Ouest, et rencontré des personnes venant du secteur industriel et d'organismes de réglementation. Il a produit un rapport écrit à ce sujet.

b) Évaluations annuelles du rendement par écrit, de 1979 à 1987

En 1979, le gouvernement a mis en oeuvre un système d'évaluations annuelles par écrit des employés. Dans sa première évaluation annuelle, datée du 19 septembre 1979, le Dr Chopra a clairement exprimé son intérêt pour la gestion:

[TRADUCTION]

Mes aspirations professionnelles visent un poste de gestion dans des programmes scientifiques, sanitaires et sociaux... [suit un survol de sa formation et de son expérience au cours des 22 ans qui ont suivi l'obtention de son diplôme de vétérinaire] J'attends une occasion pour mettre à profit l'expérience susmentionnée

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dans un contexte beaucoup plus large que celui que me permet mon poste actuel.

En sa qualité de directeur du Bureau, le Dr Henderson a reconnu les aspirations du Dr Chopra dans ses [TRADUCTION] commentaires additionnels joints au rapport d'évaluation du rendement :

[TRADUCTION]

Il est évident que les intérêts de cet employé pour l'avenir se trouvent dans les domaines de l'élaboration de politiques et de la gestion. Il agit de facto comme chef de section pour le domaine de spécialité de l'immunologie, mais ceci n'a pas été établi formellement dans sa description de tâche, ni dans sa rémunération. Il est quelque peu frustré par cette incapacité à progresser au sein de la structure de direction de la Direction générale de la protection de la santé et, à l'heure actuelle, il est à la recherche d'une occasion de s'engager sur la voie d'une carrière de gestionnaire, tout en tentant de maintenir son expertise dans la discipline scientifique de l'immunologie. Il vient tout dernièrement de demander une bourse de déplacement à l'Organisation mondiale de la Santé. [Mis en italique par le tribunal.]

Le supérieur immédiat du Dr Chopra dans sa division, le Dr Davis, a lui aussi fait des commentaires sur les qualités du Dr Chopra dans son évaluation. Il a écrit :

[TRADUCTION]

Il fonctionne plus efficacement dans des situations complexes impliquant des problèmes de nature large et théorique. Il est stimulé par des responsabilités supplémentaires.

Suivent une série d'évaluations subséquentes qui indiquent le rendement du Dr Chopra et son intérêt constant pour la planification et la gestion. En avril 1981, sous la rubrique [TRADUCTION] Facteurs ayant une incidence sur le rendement, le Dr Davis a déclaré :

[TRADUCTION]

Une réorganisation radicale qui n'utilise pas l'expertise très étendue de cet employé en matière d'immunologie, compte tenu tout particulièrement du stage de boursier auprès de l'OMS dans le domaine des allergies, est considérée comme un manque d'appréciation de la qualité et de l'initiative de la part de la direction...[mis en italique par le tribunal.]

Le Dr Davis commentait le fait qu'à cette époque, un domaine technique de l'expertise principale du Dr Chopra, l'immunologie, avait été transféré à l'extérieur de son bureau, ce qui avait des incidences sur son travail de chercheur. Aucune explication ne nous a été fournie quant aux raisons qui ont motivé cette mesure, bien que le Dr Chopra, dans sa déposition, ait émis l'hypothèse qu'il ait pu y avoir des rivalités internes entre son bureau et un autre que le Dr Liston aurait favorisé. Le tribunal ne dispose toutefois d'aucun élément de preuve qui puisse fonder quelque conclusion en cette matière.

L'évaluation de 1981 contenait au bas de la première page un ensemble de cases récapitulatives qui portaient sur cinq catégories d'évaluation :

[] Exceptionnel [] Supérieur [] Entièrement satisfaisant [] Satisfaisant [] Insatisfaisant

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Aucun élément de preuve n'a été produit pour expliquer ces catégories, si ce n'est le sens qui se dégage des mots eux-mêmes. La case indiquant la cote de rendement entièrement satisfaisant du Dr Chopra a été cochée. Les [TRADUCTION] Commentaires du comité d'examen se terminaient par les mots suivants :

[TRADUCTION]

...il a obtenu une cote entièrement satisfaisant à ce moment (il retourne à un domaine scientifique différent de sa formation originale). Ceci ne signifie pas qu'en bon nombre de domaines, il n'est pas de calibre supérieur. [Mis en italique par le tribunal.]

Dans toutes ses évaluations subséquentes, la même catégorie de cote de rendement, à savoir entièrement satisfaisant, a été cochée.

Dans l'évaluation du rendement du Dr Chopra faite en avril 1982, le Dr Davis a repris l'évaluation de la compétence du Dr Chopra qu'il avait faite en 1981 :

[TRADUCTION]

Jugement particulièrement bon, discrétion, esprit analytique, communications orales et écrites efficaces, volonté d'assumer des responsabilités d'une façon réfléchie et souple.

Sous la rubrique [TRADUCTION] Facteurs ayant une incidence sur le rendement, il a déclaré :

[TRADUCTION]

Le plein potentiel de cet employé demeure sous-utilisé. En dépit d'une grande formation et d'une vaste expérience en matière de systèmes de gestion ainsi que d'une perception rare des processus de contrôle réglementaire internationaux des produits des soins de la santé, aucun avancement dans son plan de carrière n'a encore été possible. Cet employé a quand même réussi à contenir sa frustration et à garder son sens de l'initiative et son dynamisme de façon typiquement professionnelle. [Mis en italique par le tribunal.]

Les évaluations pour les années 1983, 1984, 1985 et 1986 continuent de souligner les qualités du Dr Chopra dans le règlement de questions délicates relatives à l'industrie du médicament et à l'intérêt du public. Dans l'évaluation de 1984, par exemple, le Dr Davis a noté ce qui suit :

[TRADUCTION]

Cet employé possède une formation et une expérience inhabituellement vastes à l'égard des aspects tant scientifiques qu'administratifs de l'élaboration et du contrôle des médicaments. Toutefois, en raison d'une absence totale d'occasions d'avancement, il y a peu de marge de manoeuvre pour exploiter ce bagage et ce potentiel. [Mis en italique par le tribunal.]

La propre perception du Dr Chopra de la situation transpire de son témoignage :

[TRADUCTION]

Rien ne changeait, et je sentais que mes supérieurs immédiats continuaient à reconnaître mon travail et mon potentiel, mais que rien ne changeait plus haut. Je n'avais donc aucune raison d'avoir une attitude critique à leur égard. Ils faisaient de leur mieux, et c'était la haute direction -- en

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fait, dans ce cas, le Dr Liston -- qui semblait être le problème. Je ne pouvais donc rien faire.

Ces mots ne représentent que la perception du Dr Chopra, mais ils laissent voir sa frustration de plus en plus grande à l'endroit de sa situation d'emploi. Au cours de ces années, il a continué à assumer le rôle de directeur intérimaire de temps à autre; apparemment, d'autres employés de la même catégorie faisaient de même dans diverses divisions, mais on ne nous a donné aucune indication générale des normes régissant les affectations à ces tâches.

Nous remarquons que l'évaluation de 1986 du rendement du Dr Chopra contenait les commentaires suivants sur ses compétences :

[TRADUCTION]

Le Dr Chopra peut travailler avec perspicacité et efficacité. Il présente ses arguments de façon lucide, avec tact et circonspection, et il écrit de façon efficace.

Dans l'évaluation d'avril 1987, le Dr Davis a noté que le Dr Chopra avait agi à titre de représentant de la Direction des médicaments au sein du Comité de la Direction générale de la protection de la santé (DGPS) chargé d'élaborer des lignes directrices sur la génotoxicité. Le Dr Davis a déclaré que [TRADUCTION] sa contribution a été considérée comme extrêmement valable, et qu'il [TRADUCTION] a travaillé diligemment et efficacement pour contribuer à la gestion globale de la Division. Au sujet des compétences du Dr Chopra, le Dr Davis a ajouté :

[TRADUCTION]

Il est ouvert aux suggestions et il négocie bien avec les fabricants. Pour les travaux en comité, il fonctionne avec diligence et créativité. Lorsqu'on lui en donne l'occasion, il agit à la façon d'un gestionnaire compétent.

Dans la même évaluation, le Dr Davis a fait un commentaire sur un autre sujet qui a incité le Dr Chopra à demander une mutation de son Bureau des médicaments humains prescrits, où il avait accumulé dix-huit ans d'expérience, au Bureau des médicaments vétérinaires. Dans l'évaluation, le Dr Davis a noté que :

[TRADUCTION]

En 1985, l'Ontario Veterinary Association a accédé à la demande du Dr Chopra de devenir praticien autorisé à titre d'évaluateur de médicaments pour le ministère de la Santé. Toutefois, à son désarroi, le Ministère n'a pas jugé que cela devait améliorer sa classification à des fins de rétribution [de BI 4 à VM 4]. Il perçoit cela comme un cas de discrimination personnelle puisqu'il y a plusieurs précédents où d'autres classifications de postes ont été rajustées de façon appropriée. [Mis en italique par le tribunal.]

Le Dr Davis et le Dr Henderson avaient tous deux appuyé la demande de licence présentée par le Dr Chopra, et c'est le Dr Davis qui a employé les mots [TRADUCTION] discrimination personnelle dans ses commentaires manuscrits ajoutés sur une note de service du Dr Chopra datée du 1er décembre 1986.

Le Dr Chopra était choqué par le refus du Ministère de le reclassifier; il croyait que d'autres employés, dans des situations semblables, avaient pu profiter d'une reclassification. Le 29 avril 1987,

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le Dr Henderson a expédié au Dr Chopra une note de service décrivant la position du Ministère, à savoir que les fonctions du Dr Chopra dans son poste d'alors ne faisaient pas suffisamment appel à ses compétences de vétérinaire pour justifier une reclassification. Dans le dernier paragraphe de sa note de service, le Dr Henderson déclarait :

[TRADUCTION]

Si vous désirez être reclassifié comme chercheur vétérinaire, je vous suggérerais de demander une mutation au Bureau des médicaments vétérinaires dès qu'un poste sera vacant.

Les évaluations annuelles, et d'autres documents écrits comme la note de service du Dr Henderson, montrent qu'après dix-huit ans de service, et ce tout spécialement au milieu des années 1980, le Dr Chopra devenait de plus en plus frustré par ce qu'il considérait comme l'absence d'occasions d'avancement en dépit de ses évaluations favorables. Comme l'implique l'expression [TRADUCTION] discrimination personnelle (employée par le Dr Davis dans l'évaluation susmentionnée), le Dr Chopra commençait à soupçonner qu'il faisait l'objet d'un traitement qui le défavorisait.

c) Le Bureau des médicaments vétérinaires, de 1987 à avril 1990

Le Dr Chopra a suivi le conseil du Dr Henderson et, lorsqu'un poste de VM-4 est devenu vacant à la fin de 1987, dans la Division de l'innocuité pour les humains au sein du Bureau des médicaments vétérinaires, il a posé sa candidature et obtenu le poste. Étrangement, sa nouvelle nomination au niveau VM-4 était assujettie à l'origine à une période de probation; son supérieur, le Dr R.R. MacKay, chef de la Division de l'innocuité pour les humains, avait, compte tenu des dix-neuf ans d'expérience du Dr Chopra, demandé qu'il ne soit assujetti à aucune période de probation. En dépit d'abondants échanges sur les suites de cette demande, on n'a produit aucun élément de preuve qui permette de clarifier la question. Le Dr Chopra a déclaré n'avoir reçu aucune communication de la part du Ministère, et le Ministère n'a produit en preuve aucune réponse écrite à la demande présentée par le Dr MacKay. De toute façon, le Dr Chopra a terminé la période de probation sans que cette question ne soit soulevée de nouveau, et il a été nommé titulaire régulier de son poste.

Peu de temps après l'arrivée du Dr Chopra au sein de la Division de l'innocuité pour les humains, le Dr MacKay a pris sa retraite, ce qui a entraîné la vacance du poste de chef. Pendant six mois, cette vacance a été comblée [TRADUCTION] de façon intérimaire, par rotation, et le Dr Chopra a rempli les fonctions de chef pendant cinq semaines au cours de cette période. Sa première évaluation dans son nouveau poste a été faite en 1988 (la date n'est pas précisée) par le Dr Jacques Messier, directeur du Bureau des médicaments vétérinaires. Cette évaluation était, encore une fois, favorable.

Comme aucune évaluation pour 1989 n'a été produite en preuve, l'évaluation suivante est datée de mai 1990. Le Dr M.S. Yong avait été nommé nouveau chef de la division au milieu de l'année 1989 et c'est lui qui a signé l'évaluation du Dr Chopra. Voici comment il a décrit les qualités de ce dernier :

[TRADUCTION]

Le Dr Chopra est capable de communiquer de façon efficace. On peut facilement constater ses aptitudes pour les relations interpersonnelles comme la discrétion, le tact, la courtoisie, et celles-ci se manifestent dans le travail qu'il accomplit.

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En dépit d'une évaluation favorable, les propres commentaires du Dr Chopra laissent percevoir une anxiété croissante au sujet de son poste. Il y affirme :

[TRADUCTION]

L'évaluation du rendement à la section 6 [la case où est apposé un X, à l'instar de ce qui s'est toujours fait depuis 1979, à savoir Entièrement satisfaisant plutôt que Supérieur ou Exceptionnel] ne correspond pas aux objectifs et aux fonctions désignés à la section B.1. Les statistiques du rendement montrent clairement que mon apport au succès de la division en matière de réduction de l'arriéré pernicieux de travail a été amplement au-delà de ce que mes fonctions exigeaient que je fasse. J'estime que cela devrait se refléter de façon appropriée et juste dans l'évaluation.

Le Dr Messier savait que le Dr Chopra n'était pas heureux, mais il ne croyait pas que l'évaluation était injuste, ni que la solution dépendait du Bureau. Sa réponse sur le formulaire de l'évaluation était la suivante :

[TRADUCTION]

Le comité de révision a examiné l'évaluation et il conclut que cela représente une cote entièrement satisfaisant qui correspond au rendement donné. Le comité de révision encourage le Dr Chopra à poursuivre le programme PAM; l'expérience ainsi acquise profiterait à la fois au candidat et à l'organisme.

Par conséquent, il encourageait le Dr Chopra à recourir au Programme d'affectations ministérielles (PAM) pour être réaffecté à un autre bureau.

d) Occasions pour le Dr Chopra d'être promu au rang de gestionnaire avant 1990

Le Ministère a prétendu que le Dr Chopra avait laissé passer des occasions raisonnables de se faire nommer à des postes de gestion de premier échelon. L'avocat l'a contre-interrogé au sujet d'un certain nombre de postes qui avaient été annoncés. Nombre d'entre eux ont été annoncés après le dépôt de la plainte du Dr Chopra, certains aussi tard qu'à la fin 1994; pourtant, ils sont dépourvus de pertinence en la présente espèce. Certaines offres visaient des postes de directeur, et non des postes de premier échelon, comme le prétendait le Ministère. Quant à la plupart des autres postes, le Dr Chopra a prétendu ne pas avoir été au courant de leur annonce ou, de toute façon, ne pas être qualifié pour les occuper parce qu'ils avaient trait à d'autres disciplines scientifiques que la sienne et qu'ils ne se trouvaient pas dans des domaines où il avait suffisamment d'expérience. Outre le libellé des avis en soi, le Ministère n'a pas produit d'éléments de preuve permettant d'établir que ces postes convenaient au Dr Chopra.

Il y a toutefois eu, dans ses domaines d'expertise, deux vacances qui ont été portées à sa connaissance et pour lesquelles le Dr Chopra n'a pas posé sa candidature. La première visait le poste de chef de la Division de l'infection et immunologie, au sein du Bureau des médicaments humains prescrits; il s'agissait du poste même pour lequel il avait posé sa candidature dans un concours qui l'opposait au Dr Davis peu après son arrivée au Ministère, et qui se trouvait dans la division où il avait travaillé sous les ordres du Dr Davis jusqu'en 1987. Or le Dr Davis est parti peu de temps après la mutation du Dr Chopra; les dates exactes n'ont pas été précisées, mais il semble que le Dr Davis soit parti à la fin de 1987. Selon le Dr Chopra - et son témoignage n'a pas été contredit - ce

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poste n'a pas été annoncé et il a jusqu'à maintenant été comblé à titre intérimaire au sein de la division. Au cours du contre-interrogatoire, le Dr Chopra a reconnu ne pas avoir demandé s'il pouvait se porter candidat pour le poste de chef alors vacant. Comme nous le verrons plus loin, quelque trois ans plus tard, il s'est porté candidat au poste plus élevé de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits même si ce poste, lui aussi, n'avait pas été annoncé au moment où il a présenté sa candidature.

La deuxième vacance s'est produite au sein de la Division de l'innocuité pour les humains, où travaillait le Dr Chopra. Le poste de Chef a été annoncé en février 1989, soit à peine plus d'un an après son arrivée dans la division. Après le départ pour la retraite du Dr MacKay, le Dr Chopra était certainement au courant de la vacance - comme nous l'avons précisé, il avait lui-même agi à titre de chef intérimaire pendant cinq semaines.

Le Dr Chopra a déclaré avoir refusé de postuler l'emploi en raison d'une modification de la classification. A l'instar du Dr Chopra, le Dr MacKay était vétérinaire et, jusqu'au départ du Dr MacKay pour la retraite, le poste de chef de la division avait été classifié VM-5 (ainsi que les postes de deux des trois autres chefs de division du Bureau). Après le départ du Dr MacKay toutefois, la classification a été changée pour BI-5, qui exige que le titulaire soit biologiste, mais pas nécessairement vétérinaire.

Nous avons appris que, parce qu'ils sont des médecins vétérinaires, les VM reçoivent un salaire sensiblement plus élevé (une différence de l'ordre de 6 000 $) que les BI du même niveau. En fait, l'avantage principal tiré par le Dr Chopra de sa mutation au sein du Bureau des médicaments vétérinaires en 1987, était qu'il avait été reclassé de BI-4 à VM-4. Par conséquent, si le Dr Chopra, à titre de VM-4, avait posé sa candidature pour combler la vacance et occuper le poste de chef de la division, à titre de nouveau BI-5, l'augmentation de sa rémunération aurait été très minime; le Dr Chopra a prétendu qu'il aurait obtenu une rémunération additionnelle de 800 $ tout au plus. Au cours du contre- interrogatoire sur ce point, il a affirmé :

[TRADUCTION]

... je n'avais aucune raison de me porter candidat pour occuper un poste qui ne m'apportait aucun avantage financier, mais seulement du travail supplémentaire; voilà pourquoi j'ai choisi de ne pas poser ma candidature.

...Je n'ai aucune raison de me porter candidat pour un poste qui ne m'apporterait aucun autre avantage que de pouvoir dire que je suis maintenant gestionnaire...

En réponse à la question suivante :

[TRADUCTION]

Ne croyez-vous pas, Monsieur, qu'à un moment donné, si vous obteniez ce poste de chef, que ce serait un point de départ pour votre ascension dans la hiérarchie de la gestion?

le Dr Chopra a déclaré :

[TRADUCTION]

Je ne voyais pas comment cela pouvait être raisonnable pour moi, si je devais recevoir le même montant d'argent, qui est relativement moins élevé que celui que reçoivent d'autres collègues

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qui sont maintenant VM-5. Cela me paraît absolument dénué de tout sens. Pourquoi devrais-je être défavorisé, puisque les autres chefs de division sont VM-5 et que moi, qui ai une licence, je serais classifié comme BI-5 et j'obtiendrais 6000 $ ou 7000 $ de moins? [Mis en italique par le tribunal.]

En 1989, les préoccupations du Dr Chopra étaient dominées par ce qu'il percevait comme des questions de traitement équitable, plus que par l'opportunité de tirer profit de la possibilité d'un premier pas vers la gestion.

4. LES ÉVÉNEMENTS DE 1990 A 1992

En octobre 1990, le Dr Messier a été muté au Bureau des drogues dangereuses et remplacé à titre de directeur par le Dr Leonard Ritter, qui venait de la Direction de l'hygiène du milieu.

a) 1990 : Vacance du poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits

Au début de septembre 1990, on savait de façon informelle que le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits, où le Dr Chopra avait travaillé pendant dix-huit ans, deviendrait vacant; M. Gordon Johnson, qui avait succédé au Dr Henderson à titre de directeur à la fin de 1987, a démissionné afin de reprendre son poste à l'université. Le Dr Chopra a entendu parler de cette vacance et, le 13 septembre, il a soumis par écrit sa candidature au Dr E. Somers, directeur général de la Direction des médicaments. Après avoir décrit ce qu'il considérait comme les lacunes du Bureau, le Dr Chopra a proposé ce qui suit :

[TRADUCTION]

C'est avec cela en tête que je souhaite qu'on examine ma candidature au poste de directeur... Advenant qu'on me nomme à ce poste, je serais prêt à accepter une affectation à plus court terme, conformément aux principes généraux de FP2000 en vertu desquels seuls les gestionnaires raisonnablement efficients pourraient être appelés à rester en poste.

Il a aussi eu une rencontre avec le Dr Somers. Afin d'appuyer sa candidature, il a, le 27 septembre, écrit au Dr A.J. Liston qui, à l'époque, était sous-ministre adjoint. Le Dr Liston a répondu le lendemain, accusant réception de la lettre et affirmant avoir discuté avec le Dr Somers de l'intérêt du Dr Chopra pour ce poste. Il a aussi fait remarquer que le Dr Somers [TRADUCTION] lui avait fait part de son intérêt à examiner la possibilité de confier ce poste à une personne qui a une formation de médecin.

La classification de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits était, et cela depuis nombre d'années, MD MOF 5 : le directeur devait être un médecin autorisé, à l'instar du Dr Henderson et de ses prédécesseurs. M. Gordon Johnson n'était pas médecin, mais pharmacologiste, et pour compenser ce changement durant son directorat, il avait fallu créer un nouveau poste de directeur adjoint, Services médicaux, dont le titulaire était chargé d'accomplir les fonctions du directeur qui nécessitaient l'autorisation d'exercer la médecine.

Aucun concours n'a été lancé pour combler la vacance créée par le départ de M. Johnson; le jour même où le Dr Chopra écrivait pour la

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première fois au Dr Somers -- le 13 septembre -- le Dr Liston expédiait à la sous-ministre, M. Catley-Carlson, une note de service dans laquelle il affirmait que le Ministère :

[TRADUCTION]

...cherchait activement un MD-MOF-5, ce qui, selon moi, devrait prendre jusqu'à un an, si nous trouvons un candidat qualifié. Au cours de cette période, il est extrêmement important d'assurer un leadership solide au sein du Bureau des médicaments humains prescrits. Mme Claire A. Franklin a fait montre de fortes capacités de gestion combinées à des qualités professionnelles, et elle serait intéressée à assumer cette fonction à titre intérimaire. Je recommanderais que Mme Franklin soit nommée directrice par intérim, Bureau des médicaments humains prescrits, au niveau EX-2, à compter du 22 octobre 1990, pour une période de un an.

... Nous préparons en ce moment une description de poste qui sera expédiée au personnel en vue d'une classification de niveau EX-2.

Mme Franklin n'est pas bilingue à l'heure actuelle...[Elle] entreprend toutefois en ce moment des cours de langue et je demanderais qu'elle soit libérée de toute obligation linguistique jusqu'au moment où elle pourra incessamment y satisfaire.

Nous remarquons que Mme Franklin avait déjà été chef de division pendant près de neuf ans au sein de la Direction de l'hygiène du milieu, d'abord à titre de chef de la Division des pesticides, de 1981 à 1984, puis à titre de chef de la Division des intoxications environnementales et professionnelles, de 1984 à 1990. Elle avait une expérience significative en gestion, mais elle était physiologiste, et non médecin.

Dans une nouvelle note de service adressée à la sous-ministre et datée du 28 septembre, le Dr Liston a demandé que la nomination de Mme Franklin soit d'une durée de quatre mois. La description de poste (énoncé de qualités, directeur, Bureau des médicaments humains prescrits) faisait mention de la citation précédente, elle a été établie par écrit le 25 mars 1991, et son application rétroagissait au mois d'octobre 1990. Elle ne stipulait aucune obligation pour le directeur d'être un médecin autorisé.

Dans une lettre au Dr Chopra en date du 4 octobre, le Dr Somers a déclaré :

[TRADUCTION]

«nous avons conclu des arrangements intérimaires pour que Mme C. Franklin occupe ce poste [libéré par M. Johnson]».

Le Dr Chopra a répondu le 10 octobre, en remerciant le Dr Somers de l'avoir informé, et en ajoutant :

[TRADUCTION]

Toutefois, quand cela vous conviendra, j'aimerais bien connaître les points pour lesquels, selon vous, je n'ai pas réussi à satisfaire aux critères souhaités pour ce poste. Cela m'aidera à mieux me préparer pour l'avenir.

Selon le Dr Chopra, le Dr Somers a répondu à cette lettre par téléphone environ deux semaines plus tard. La conversation a été ardue, et le Dr Chopra y a suggéré qu'en matière de promotion, on accordait la préférence aux immigrants britanniques plutôt qu'aux gens comme lui. La conversation s'était terminée rapidement après cette remarque. Le Dr Somers n'a pas été appelé à témoigner à l'audience.

Le Dr Chopra était manifestement très déçu de ces événements; dans une lettre à la Commission de la fonction publique, datée du 22 octobre, il a

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soulevé la question de l'équité en matière d'emploi et celle de savoir si la dotation de ce poste sans concours avait entraîné de la discrimination envers des minorités visibles.

Le 7 décembre 1990, le Dr Chopra a formellement demandé l'avis de la Commission de la fonction publique sur la question de savoir si la dotation de ce poste sans concours avait réduit ses chances d'avancement.

b) 1991 et 1992 : Les appels interjetés par le Dr Chopra à l'endroit de la nomination de Mme Franklin

A une date indéterminée au début de 1991 (mais avant la mi-février), le Ministère a [TRADUCTION] créé un poste parallèle de directeur EX-02 pour le Bureau des médicaments humains prescrits, avec les mêmes qualifications que le poste de directeur MD-MOF-05, exception faite toutefois de l'exigence que le directeur soit un médecin autorisé, qui avait été éliminée. On nous a avisé que le Ministère avait pris des dispositions pour que les fonctions qui nécessitaient la qualité de médecin autorisé et qui autrefois étaient assumées par le directeur soient exercées à l'extérieur du Bureau. Le 21 février 1991, le directorat intérimaire de Mme Franklin a pris fin, mais celle-ci a été [TRADUCTION] immédiatement réaffectée à titre intérimaire au poste de directeur EX-02 pour quatre autres mois (puis réaffectée de nouveau en juin 1991, jusqu'à la fin de novembre de la même année).

Le 10 avril 1991, la Commission de la fonction publique a déclaré que l'affectation intérimaire de Mme Franklin avait défavorisé le Dr Chopra. Après avoir pris connaissance de l'avis de la Commission de la fonction publique, le Dr Chopra a interjeté appel contre le Ministère, sous le régime de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, en faisant valoir qu'en procédant à cette affectation par intérim, le Ministère ne s'était pas conformé à la Loi. L'audience en devant le comité d'appel a eu lieu le 9 juillet, et la présidente, Helen Barkley, a rendu sa décision le 19 juillet 1991.

En citant la décision Le procureur général du Canada c. Le Comité

d'appel établi par la Commission de la fonction publique 1, elle a conclu que lorsque les gestionnaires considèrent que c'est dans l'intérêt de la fonction publique de ne pas procéder à un concours, un comité d'appel ne peut infirmer cette décision, à moins qu'elle ne soit si déraisonnable qu'elle ne saurait être le fait d'une personne raisonnable. Elle a en outre conclu

[TRADUCTION] ...[qu'] il n'était pas déraisonnable pour le Dr Somers de conclure que le Dr Chopra ne satisfaisait pas ...[aux critères nécessaires de l'expérience de la gestion]. L'appelant [le Dr Chopra] avait eu une expérience très limitée de la gestion à l'échelon intermédiaire au cours de ses vingt (20) années au sein du Ministère, et l'expérience de gestion acquise plus de vingt ans auparavant pouvait ne pas être pertinente pour ce poste. Comme il avait été établi que l'appelant ne satisfaisait pas à l'un des critères du poste, le Ministère n'était pas tenu de l'évaluer plus amplement.

1 [1982] 1 C.F. 803.

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En revanche, Mme Barkley a accueilli l'appel au motif que le Ministère n'avait pas établi que Mme Franklin était entièrement qualifiée pour le poste de directeur en ce qui a trait aux conditions relatives au bilinguisme et à la connaissance nécessaire des médicaments commercialisés destinés à l'usage humain.

En dépit de cela et des protestations du Dr Chopra et d'Iris Craig, présidente de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le syndicat du Dr Chopra), Mme Franklin a continué à occuper le poste de directeur pendant les deux mois suivants. Le 31 septembre 1991, le Dr Chopra a avisé la Commission de la fonction publique de son intention d'interjeter de nouveau appel du maintien de l'affectation de Mme Franklin.

Le 10 octobre, Robert Cousineau, directeur exécutif de la Commission de la fonction publique, a répondu au Dr Chopra pour l'informer que la nomination intérimaire de Mme Franklin avait pris fin le 20 septembre, et que [TRADUCTION] deux processus de concours [l'un visant une nomination intérimaire de quatre mois, et l'autre, une nomination pour une durée indéterminée] sont en cours. Entre-temps, précisait-il dans sa lettre, [TRADUCTION] Mme Franklin conserve les responsabilités du poste...à son niveau de titularisation [mis en italique par le tribunal]. Cette expression semble vouloir dire qu'elle conservait la classification et le salaire qu'elle avait avant sa mutation au sein du Bureau des médicaments humains prescrits, tout en comblant le poste de directeur à titre moins formel qu'une affectation. La conséquence de cet arrangement informel était, selon M. Cousineau, [TRADUCTION] [qu'il] semble n'y avoir aucune nomination réelle ou proposée susceptible d'un appel dans cette affaire.

Le 25 octobre 1991, la Commission de la fonction publique a annoncé un concours interne pour le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits. Les personnes admissibles étaient des [TRADUCTION] employés titulaires d'un poste de niveau SM (haute direction) ou supérieur, c'est-à-dire les personnes qui occupent déjà un poste de gestionnaire de premier échelon comme celui de chef d'une division. Par conséquent, avec sa classification d'un échelon sous le niveau SM, le Dr Chopra n'était pas admis à poser sa candidature.

Le 4 décembre 1991, croyant qu'il avait épuisé tous ses moyens d'appel au sein de la fonction publique, le Dr Chopra s'est adressé à la Cour fédérale, à qui il a demandé une ordonnance qui obligerait le Ministère à révoquer la nomination de Mme Franklin.

Vers la fin de janvier 1992, la secrétaire du Dr Liston a téléphoné au Dr Chopra pour convenir d'une rencontre le 4 février. La réunion s'est déroulée entre ces deux personnes seulement et, le lendemain, le Dr Chopra en a rédigé le procès-verbal. Le principal sujet de discussion a été les qualifications du Dr Chopra pour un poste de gestion. Le Dr Liston lui a demandé pourquoi il ne s'était pas porté candidat à des postes de gestion; le Dr Chopra a répondu qu'il n'y avait pas eu de concours dans la direction générale. Selon le Dr Chopra, le Dr Liston avait reconnu que ses qualifications correspondaient à un point situé entre les niveaux EX-1 et EX-2, et promis qu'il aurait l'occasion de participer à d'autres concours à l'avenir. Le Dr Liston a aussi assuré au Dr Chopra que les poursuites judiciaires que ce dernier avait engagées ne lui seraient pas reprochées.

Dans les jours qui suivirent, les parties sont parvenues à s'entendre sur un règlement qui a été approuvé dans l'ordonnance rendue par le juge

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Joyal, le 13 février 1992, et comportant les dispositions essentielles suivantes :

  1. L'affectation immédiate de Mme Franklin à d'autres fonctions;
  2. La demande formelle du ministère à la Commission de la fonction publique de tenir un concours entièrement nouveau pour doter le poste à durée indéterminée de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits;
  3. L'exclusion du Dr E. Somers de toute participation en quelque qualité que ce soit au processus de dotation et de sélection par concours.

Le 20 mars 1992, la Commission de la fonction publique a annoncé un concours interne pour le poste de directeur du Bureau. Les personnes admissibles étaient les employés qui occupaient un poste [TRADUCTION] de niveau EX moins 1, ou supérieur, ce qui comprenait les employés de niveau VM-4 comme le Dr Chopra. Une recherche dans l'ensemble de la fonction publique et la diffusion d'un bulletin annonçant la vacance ont incité sept personnes à manifester leur intérêt, dont le Dr Chopra, Mme Franklin et le Dr Michele Brill-Edwards, qui avait occupé par intérim le poste de directeur adjoint, Services médicaux, auprès du directeur du Bureau, au cours du directorat du Dr Johnson, puis de celui de Mme Franklin. En tout, dix-huit candidats ont été identifiés en vue de la présélection.

Le 31 mars, le comité de sélection a éliminé le Dr Chopra à la présélection au motif qu'il n'avait pas l'expérience de la gestion nécessaire. Celui-ci en a été avisé le 3 avril, dans une lettre de Thomas J. Kanigan, agent principal de ressourcement, de la Commission de la fonction publique. Mme Franklin et le Dr Brill-Edwards ont quant à elles été retenues à la présélection. Par la suite, le Dr Brill-Edwards a été jugée non qualifiée pour le poste, tandis que Mme Franklin a été jugée qualifiée. Le 21 avril, la nomination de Mme Franklin au poste de directeur a été confirmée par la Commission de la fonction publique, et le même jour, le poste de directeur adjoint, Services médicaux, qu'occupait le Dr Brill-Edwards a été aboli.

Les Drs Chopra et Brill-Edwards ont interjeté appel de la nomination de Mme Franklin devant le Comité d'appel de la Fonction publique. Le 27 juillet 1992, le directeur, Gaston Carbonneau, a rendu sa décision portant rejet des deux appels. Il a notamment tiré les conclusions suivantes :

[TRADUCTION]

  1. il était loisible au Ministère, au titre de ses prérogatives patronales, de réorganiser le Bureau des médicaments humains prescrits de façon à éliminer la nécessité d'affecter un médecin autorisé, soit au poste de directeur, soit à celui de directeur adjoint; il n'a commis aucun abus en établissant la nouvelle classification et le nouveau profil de sélection pour le poste de directeur;
  2. le comité de sélection avait agi de bonne foi et sans partialité, et ses conclusions, y compris l'acceptation de Mme Franklin à la présélection et sa sélection au poste de directeur, n'étaient pas déraisonnables;
  3. 17

  4. le Dr Chopra n'avait pas l'expérience de la gestion nécessaire au moment où il a été éliminé à la présélection.

En août, les Drs Chopra et Brill-Edwards ont saisi la Cour fédérale d'une requête en annulation de la décision de M. Carbonneau.

Le 12 août 1992, la réunion du dernier palier du comité des griefs s'est tenue en présence du Dr Chopra, de sa représentante, Danielle Auclair de L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, de la sous-ministre du Ministère, Margaret Catley-Carlson, et de Shirley Cuddihy des Relations de travail. Le Dr Chopra a présenté une déclaration écrite énonçant les motifs de son grief. Selon les notes prises par Mme Cuddihy lors de cette réunion, rien ne paraissait réglé, même s'il semblait que le Dr Chopra avait reçu l'assurance [TRADUCTION] qu'il aurait l'occasion d'être pressenti pour des emplois à l'avenir. Ce fut la dernière réunion avant le 16 septembre 1992, date à laquelle le Dr Chopra a déposé sa plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne.

Le 23 novembre 1992, le juge Gibson de la Cour fédérale a rendu son jugement déboutant les requérants. Il a statué qu'il n'existait aucune raison de modifier la décision par laquelle le comité d'appel avait reconnu le bien-fondé de la présélection et de la sélection de Mme Franklin. Il a conclu que le comité d'appel n'avait pas commis d'erreur en ne décelant aucun accroc au principe de la sélection au mérite. Il semble que ni la question des qualifications du Dr Chopra ni le fait qu'il a été éliminé à la présélection n'ont été soulevés par les requérants. Le juge Gibson ne s'est donc pas penché sur ces questions.

c) Incidences des événements de 1990 à 1992 sur le milieu de travail et les évaluations du Dr Chopra

L'évaluation du rendement du Dr Chopra en avril 1991 a eu lieu après les événements suivants :

  1. En septembre 1990, il a présenté sa candidature au poste de directeur par intérim du Bureau des médicaments humains prescrits.
  2. Peu de temps après, il était déçu d'apprendre la sélection de Mme Franklin.
  3. En décembre 1990, il a demandé à la Commission de la fonction publique de déterminer si la nomination sans concours de cette dernière avait nui à ses chances d'avancement.

En d'autres termes, dès avril 1991, il craignait beaucoup pour ses possibilités d'avancement professionnel.

Quoi qu'il en soit, le Dr Yong, son supérieur, a continué à décrire ses qualités de façon positive. Sous la rubrique [TRADUCTION] Facteurs capacités, compétences, aptitudes figure la description suivante :

[TRADUCTION]

Comme d'habitude, le Dr Chopra s'est avéré un actif pour la DIH. Sa capacité de communiquer efficacement, ses qualités interpersonnelles, sa discrétion, son tact, sa courtoisie et sa volonté de s'adapter ont contribué à la très grande harmonie et à l'efficience de la DIH. Ses communications avec les clients, tout particulièrement avec le secteur industriel, sont dignes de mention.

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Sous la rubrique suivante, [TRADUCTION] Facteurs ayant une incidence sur le rendement, figurent les commentaires positifs suivants :

[TRADUCTION]

Le Dr Chopra est un travailleur énergique et imaginatif et il demande peu de surveillance.

Le Dr Chopra est prêt à entreprendre des travaux nouveaux et pleins de défis. Il a une expérience considérable de la gestion qui, au sein de la DIH, ne pouvait pas être exploitée complètement. Apparemment, depuis sa dernière évaluation, il tente de trouver d'autres possibilités de carrière au sein du Ministère et ailleurs. Toutefois, en raison de restrictions et d'autres difficultés, aucune occasion réelle ne semble s'être présentée pour lui. Nous espérons toutefois que la situation pourra s'améliorer à l'avenir et que le Ministère pourra lui trouver une meilleure affectation, qui corresponde mieux à ses qualifications et à son potentiel. [Mis en italique par le tribunal.]

Toutefois, sur la photocopie déposée en preuve, les mots en italique ont été rayés au stylo. Les mots [TRADUCTION] [Le Dr Chopra] travaille avec peu de [surveillance] directe ont été rajoutés au-dessus de la première phrase. Au-dessus de la troisième phrase, les mots [Il] a manifesté de l'intérêt à l'égard de la [gestion] mais... ont été rajoutés. Ces modifications n'ont pas été expliquées dans la preuve; nous faisons remarquer que les mots a une expérience considérable de la gestion ont été retirés.

Avant l'évaluation de 1992 du Dr Chopra, les événements suivants s'étaient produits :

  1. En avril 1991, la Commission de la fonction publique avait exprimé l'avis que la nomination de Mme Franklin au poste de directeur intérimaire du Bureau avait réduit ses chances d'avancement.
  2. En juillet, le Comité d'appel de la Fonction publique avait accueilli son appel parce qu'on n'avait pas réussi à démontrer que Mme Franklin était totalement qualifiée pour le poste de directeur.
  3. En octobre, il avait appris le rejet de son appel à l'égard de la prorogation de l'affectation à titre intérimaire de Mme Franklin au poste de directeur.
  4. En décembre, il a interjeté appel devant la Cour fédérale afin d'obtenir la destitution de Mme Franklin de son poste.
  5. En février 1992, par suite d'une ordonnance de la Cour fédérale, Mme Franklin a été démise de son poste et le Ministère a consenti à procéder à un nouveau concours pour combler le poste de directeur.
  6. Au début d'avril, il a appris qu'il avait été éliminé à la présélection dans le cadre du nouveau concours parce qu'il n'avait pas l'expérience de la gestion nécessaire.

Au moment de son évaluation de 1992, il avait vécu une année marquée par les extrêmes : il avait eu partiellement gain de cause devant le Comité d'appel de la Fonction publique, puis gain de cause devant la Cour

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fédérale, mais on lui a refusé l'occasion de s'opposer au maintien de l'affectation de Mme Franklin et, plus particulièrement, il a été éliminé à la présélection dans le cadre du nouveau concours. La première version de son évaluation comprenait le commentaire suivant :

[TRADUCTION]

Le Dr Chopra travaille avec peu de surveillance directe. Même s'il a exprimé de l'intérêt à l'égard de la gestion, il n'existe aucun poste ou affectation qui lui convienne au sein du Ministère. [Mis en italique par le tribunal].

L'évaluation de 1992 a fait l'objet d'une série de nouvelles versions qui ont donné lieu à des divergences d'opinions entre le Dr Chopra et ses supérieurs : le Dr Chopra a déclaré en preuve avoir été d'accord avec la première formulation préparée par son chef de division, le Dr Yong, qui lui aurait toutefois alors dit qu'il lui faudrait d'abord consulter le directeur du Bureau, le Dr Ritter. Dans la deuxième version, les mots précités mis en italique furent radiés et remplacés par les mots suivants :

[TRADUCTION]

il ne s'est pas porté candidat à un poste de chef à titre intérimaire qui s'est ouvert au sein du Bureau. Le Dr Chopra n'a pas non plus demandé de participer à des conférences ou à l'exposition du Bureau.

Le Dr Chopra s'est opposé à ce libellé, et après plusieurs révisions, il semble que la version finale ait repris le libellé original.

Chaque version de l'évaluation reprenait aussi le commentaire suivant de l'employé, inchangé d'une fois à l'autre :

[TRADUCTION]

Demande a été faite au Ministère de permettre l'expérience d'un poste de haute direction, soit par nomination à titre intérimaire, soit dans le cadre d'un PAM. Même s'il existait de nombreux postes et que des affectations ont été accordées à d'autres, aucune occasion de ce genre ne m'a été offerte, et aucune raison n'a été avancée.

Il est évident que le désaccord entre le Dr Chopra et ses supérieurs s'était amplifié, et que leurs relations s'étaient envenimées au cours des années 1990 et 1991.

d) La vision qu'avait le Ministère du Dr Chopra immédiatement avant le dépôt de sa plainte

Grâce à Loi sur l'accès à l'information, le Dr Chopra a obtenu copie d'une note de service de Shirley Cuddihy transmise par courrier électronique à R. Ballantyne, directeur général de la Direction de l'administration du personnel, le 1er septembre 1992. Y figurent ses notes des conversations tenues le 27 août 1992 avec le Dr Liston et le Dr Somers, deux semaines après la réunion du dernier palier du comité des griefs avec le Dr Chopra et Danielle Auclair, dont il a été fait mention à la page 27.

La note de service se divise en trois parties. Dans la première, sous la rubrique [TRADUCTION] Généralités, Mme Cuddihy rapporte que le Dr Liston a fait le commentaire suivant au sujet des différences culturelles :

[TRADUCTION]

... les compétences non techniques comme la communication, la persuasion, la négociation -- il arrive souvent que

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leur héritage culturel n'ait pas accentué ces domaines et qu'ils [les employés de cultures différentes] soient défavorisés.

... [N]ous fonctionnons en affaires selon la méthode américaine - - le modèle consensuel qui est très étranger à certaines cultures.

Le Dr Liston a rappelé des échanges avec Ivy Williams, employé du Ministère qui présidait un Comité consultatif sur les minorités visibles, et selon Mme Cuddihy, il aurait poursuivi ainsi :

[TRADUCTION]

Il y a toutefois un certain paradoxe lorsque nous soulignons ce qui doit être changé, parce que nous courons le risque de devoir nous défendre contre des accusations d'assimilation. Il suggère que nous fournissions de la formation aux groupes minoritaires -- nous devrions les orienter vers un miroir et dire : du fait de votre bagage culturel, il vous faut communiquer mieux ou adopter un style moins autoritaire. Ce n'est pas un problème de couleur, mais bien de culture, et ce n'est pas un problème de la direction générale ni même du Ministère, mais cela semble se produire le plus souvent dans des ministères comme le nôtre qui sont orientés vers la technique ou les sciences.

La note de service passe ensuite à la deuxième partie, qui porte le titre [TRADUCTION] Détails relatifs au Dr Chopra :

Il [le Dr Chopra] est autoritaire Il [le Dr Liston] voyait dans SC [le Dr Chopra] une grande connaissance théorique et pensait qu'il avait avantage à acquérir des compétences non techniques. SC avait un style porté à l'affrontement dont les effets ne se sont manifestés que quelque temps après son affectation au poste de consultation rattaché au Dr Liston. Les gens l'évitaient après une certaine période plutôt que d'être contestés par lui. SC n'est pas un négociateur - il ne se fait pas d'alliés facilement. Il ne s'est pas placé dans une situation propice pour se préparer à occuper des postes au niveau de la haute direction.

La troisième partie de la note de service de Mme Cuddihy est intitulée [TRADUCTION] L'entrevue du Dr Somers et elle comporte le paragraphe suivant :

[TRADUCTION]

Ma rencontre avec le Dr Somers n'a apporté que peu de résultats concrets. L'élément d'information objectif et utile a trait à un thème indiqué par le Dr Liston et porte sur le manque d'initiative dont a fait preuve SC lorsqu'il s'agissait de postuler des postes de niveau de plus en plus élevé. Ils m'ont donné une liste de onze postes pour lesquels SC aurait pu poser sa candidature mais qu'il a refusés ... Cette note de service contient le seul élément documentaire produit en preuve décrivant les opinions que les gestionnaires avaient du Dr Chopra, opinions qui ont été consignées deux semaines après la dernière tentative de médiation et moins d'un mois avant le dépôt de sa plainte relative aux droits de la personne. Comme nous l'avons noté, les relations entre la direction de son ministère et lui s'étaient considérablement dégradées

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depuis 1990. Quelle que soit la valeur des opinions discutables du Dr Liston au sujet des minorités culturelles, elles contiennent la suggestion - faite après au moins deux ans de controverse - que le Dr Chopra était l'auteur de ses propres déboires, qui découlaient de ses propres lacunes dues en partie du moins à ses antécédents culturels.

LES POINTS EN LITIGE

Pour pouvoir obtenir gain de cause dans la présente plainte, le plaignant et la Commission doivent d'abord faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a eu discrimination, c'est-à-dire qu'ils doivent produire une preuve suffisante pour justifier un verdict en leur faveur, en l'absence de réplique de l'intimé 2. L'intimé a choisi de ne pas présenter plus de preuve que ce qui a été produit au cours du contre- interrogatoire, et il a prétendu que le plaignant et la Commission n'avaient pas établi une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire. Par conséquent, le tribunal doit déterminer si la preuve du traitement réservé au Dr Chopra par le Ministère au cours de ses années d'emploi, combinée à la preuve de l'opinion que la direction avait à son égard, constitue une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire de discrimination à l'endroit du Dr Chopra, en violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le présent point en litige comporte deux volets. En premier lieu, est-il raisonnable de conclure que la conduite du Ministère constituait un traitement inéquitable du Dr Chopra? En deuxième lieu, si nous concluons qu'il y a eu traitement inéquitable, cela constituait-il de la discrimination prohibée par la Loi? L'insensibilité et l'injustice bureaucratiques - même la perception raisonnablement fondée de discrimination par le plaignant - ne constituent pas en soi de la discrimination. Il ne suffit pas de conclure que l'intimé a traité le plaignant injustement pendant un certain nombre d'années; pour pouvoir conclure qu'il y a eu violation de la Loi et accorder une mesure de réparation, le tribunal doit d'abord conclure qu'un motif de distinction illicite visé par la Loi constituait un facteur de la conduite de l'intimé. Il n'est pas nécessaire qu'un motif de distinction illicite soit la seule, voire la principale motivation, mais il faut que ce motif ait une certaine importance 3.

2 Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558.

3 Cette exigence a été formulée dans nombre de décisions. Voir, par exemple, Balbir Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1988) 9 C.H.R.R. D/5029, au par. 38497:

...Il suffit toutefois de parvenir à la conclusion que la discrimination était l'un des motifs pour lesquels l'employeur a refusé l'emploi à M. Basi; il ne m'appartient pas de décider s'il s'agissait de la seule raison ou de la raison principale qui a motivé la décision.

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CONCLUSIONS

1. LE TRAITEMENT DU Dr CHOPRA PENDANT QU'IL A TRAVAILLÉ AU BUREAU DES MÉDICAMENTS HUMAINS PRESCRITS

A notre avis, la haute direction a manqué à son devoir de répondre de façon appropriée aux évaluations et recommandations faites par les supérieurs immédiats du Dr Chopra sur une longue période qui s'est échelonnée jusqu'à la fin des années 1980. Les préoccupations du plaignant appelaient à tout le moins une réponse directe de la haute direction et méritaient d'être considérées lorsque survenaient des vacances. De telles responsabilités ne peuvent être laissées totalement à la seule attention de l'employé dans une bureaucratie aussi grande. L'insensibilité et l'inaction de la haute direction ont conduit, et cela est fort compréhensible, à une aggravation de la frustration du Dr Chopra et, en fin de compte, à la naissance chez lui de soupçons sur la possibilité que la discrimination raciale ait joué un rôle dans le fait qu'il a été ignoré.

Les antécédents de travail du Dr Chopra aident à comprendre son refus, aussi malavisé qu'il fut, de solliciter le poste de chef de sa propre division; il estimait injuste qu'une promotion impliquant un accroissement de ses responsabilités n'entraîne aucune augmentation correspondante ou qu'une augmentation minime de sa rémunération. Sa frustration devait conduire à sa réaction émotive au rejet de sa candidature au poste de directeur, et à sa recherche de réparation par voie d'appels formels. En revanche, ces événements ont raffermi l'opinion que se faisait la direction du Dr Chopra, c'est-à-dire une personne portée à l'affrontement et ont entraîné une dégradation des relations entre les parties.

Les lacunes de la direction ne suffisent toutefois pas en soi à établir une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a eu discrimination en violation de l'article 7 de la Loi.

2. LES OCCASIONS D'AVANCEMENT OUVERTES AU Dr CHOPRA DE 1988 A 1992

Ainsi qu'il a été mentionné aux pages 24 et 25, le Dr Chopra n'a pas tiré profit des occasions de se porter candidat à des postes de direction à titre de chef d'une division. Au cours du contre-interrogatoire du Dr Chopra, l'avocat du Ministère a prétendu qu'en laissant passer les nombreux avis de vacances affichés, le Dr Chopra avait été à l'origine de son incapacité à être promu. Toutefois, comme le Ministère n'a produit aucun élément de preuve autre que les avis eux-mêmes, il est difficile de déterminer dans quelle mesure ces postes convenaient au Dr Chopra et d'établir si celui-ci avait facilement accès à ces avis. Ce qui est le plus important à notre avis, c'est qu'il y a eu deux vacances pour des postes, relevant clairement de ses champs de compétence, dont il a eu connaissance.

La première a eu lieu à la fin de 1987, au sein de la Division de l'infection et immunologie, où il avait travaillé pendant plus de dix-huit ans. Il a prétendu ne pas avoir postulé parce qu'aucun avis de concours pour ce poste n'avait été publié et que ce poste était toujours occupé à titre intérimaire. Une personne plus optimiste aurait peut-être examiné la possibilité d'une promotion en faisant des recherches, puisque la vacance visait un poste qui se trouvait dans son champ d'expertise.

Nous avons déjà parlé de la décision prise par le Dr Chopra de ne pas postuler à l'égard de la deuxième vacance, qui s'est produite au sein de sa propre division de l'innocuité pour les humains en 1989, parce qu'il

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croyait qu'en raison de la reclassification, le salaire était injustement peu élevé. Découragé et méfiant, il était devenu très sensible aux questions d'équité.

On pourrait prétendre que l'insensibilité bureaucratique avait miné son moral au point de l'empêcher d'exercer son bon jugement. Malgré toute la sympathie que nous inspire le Dr Chopra, force est de reconnaître, comme les événements subséquents devaient le montrer, qu'il était malavisé de laisser passer une occasion de s'engager sur le premier échelon de la gestion, au niveau de chef, et d'acquérir ainsi l'expérience nécessaire pour se qualifier dans des promotions subséquentes :

  1. Un an plus tard, en septembre 1990, le Dr Chopra a posé sa candidature pour le poste non encore annoncé de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits. Le Ministère a toutefois arrêté son choix sur Mme Franklin, qui avait neuf ans d'expérience à titre de chef de division.
  2. Le Dr Chopra a interjeté appel de cette nomination et, en juillet 1991, Mme Barkley, du Comité d'appel de la Fonction publique, a rendu sa décision portant qu'[TRADUCTION] ...il n'était pas déraisonnable pour le Dr Somers de conclure que le Dr Chopra ne satisfaisait pas ... aux critères nécessaires de l'expérience de la gestion.
  3. Par la suite, en mars 1992, le comité de contrôle chargé de trouver un nouveau titulaire pour le poste de directeur a éliminé le Dr Chopra à la présélection parce qu'il n'avait pas l'expérience de la gestion nécessaire.
  4. Le Dr Chopra a de nouveau interjeté appel et, en juillet 1992, M. Carbonneau, du Comité d'appel de la Fonction publique, a reconnu que celui-ci n'avait pas l'expérience de la gestion nécessaire à l'époque où il a été éliminé à la présélection.

Nous remarquons que Mme Franklin avait une longue expérience de la gestion à titre de cadre intermédiaire, tandis que le Dr Chopra avait relativement peu d'expérience à ce titre. Nous ne disposons d'aucun élément qui nous permette d'être en désaccord avec les conclusions des autres tribunaux administratifs qui ont jugé que l'expérience de la gestion nécessaire pour le poste de directeur d'un bureau était un motif raisonnable pour éliminer le Dr Chopra à la présélection.

3. L'OPINION DE LA DIRECTION AU SUJET DU Dr CHOPRA

Le portrait du Dr Chopra dressé par le Dr Liston dans la note de service citée dans la section précédente était très négatif, puisqu'il y est décrit comme une personne autoritaire, qui avait un style porté à l'affrontement, que les gens l'évitaient après une certaine période, pas un négociateur et qui ne se fait pas d'alliés facilement. Ces observations ne correspondent pas aux descriptions de ses qualités qui figurent dans ses évaluations annuelles :

[TRADUCTION]

Jugement particulièrement bon, discrétion, esprit analytique, communications orales et écrites efficaces, volonté d'assumer des responsabilités d'une façon réfléchie et souple. (1981 et années suivantes) [Mis en italique par le tribunal.] [TRADUCTION] Le Dr Chopra peut travailler avec perspicacité et efficacité. Il présente ses arguments de façon lucide, avec tact et circonspection, et il écrit de façon efficace. (1986) [Mis en italique par le tribunal.]

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[TRADUCTION] Il est ouvert aux suggestions et il négocie bien avec les fabricants. Pour les travaux en comité, il fonctionne avec diligence et créativité. Lorsqu'on lui en donne l'occasion, il agit à la façon d'un gestionnaire compétent. (1987) [Mis en italique par le tribunal.]

[TRADUCTION] Le Dr Chopra est capable de communiquer de façon efficace. On peut facilement constater ses aptitudes pour les relations interpersonnelles comme la discrétion, le tact, la courtoisie, et celles-ci se manifestent dans le travail qu'il accomplit. (1990) [Mis en italique par le tribunal.]

Si le Dr Liston, en 1992, le décrivait comme une personne autoritaire et qui avait un style porté à l'affrontement, ses supérieurs immédiats avaient, pour leur part, déclaré en 1986 qu'il avait du tact, en 1987 qu'il était ouvert aux suggestions et qu'il négocie bien, et, aussi récemment qu'en 1990, que ses aptitudes pour les relations interpersonnelles incluaient la discrétion, le tact, la courtoisie. En supposant que le Dr Liston tout autant que les supérieurs immédiats du Dr Chopra étaient animés de bonne foi, comment expliquer leurs grandes divergences d'opinion à son égard?

Il semble que le Dr Chopra avait du tact et négociait bien lorsqu'il agissait pour le compte du Ministère, avec un sain degré de détachement, lorsque rien de personnel n'était en cause. Sa conduite a toutefois pu changer lorsque sa propre carrière était fortement en jeu. Un tel changement d'attitude peut être considéré comme assez normal : les mêmes avocats qui agissent avec discrétion lorsqu'il s'agit de représenter leurs clients trouvent très difficile d'agir sans passion lorsqu'il leur faut défendre leur propre cause. En fait, il est une maxime bien connue suivant laquelle [TRADUCTION] L'avocat qui défend sa propre cause a un sot pour client. L'avocat avisé retient toujours les services d'un collègue pour défendre ses propres intérêts.

Parmi les autres facteurs, il se pourrait bien qu'avec le temps et l'aggravation de la frustration de se voir privé d'occasions de promotion pendant une période échelonnée entre la fin des années 1970 et les années 1980, le Dr Chopra ait vu naître en lui non seulement de la frustration, mais aussi des soupçons quant à la possibilité qu'on l'ait ignoré délibérément. Une telle perception risquait certainement d'augmenter sa tension et de lui donner un profil apparent encore plus porté à l'affrontement.

Les allégations de discrimination raciale faites contre la haute direction pouvaient aussi exacerber le conflit. La direction qui croit agir équitablement est certainement portée à s'offusquer de ce que de telles accusations soient portées contre elle, et à percevoir l'accusateur comme une personne portée à l'affrontement et non comme un négociateur. En outre, les remarques à l'endroit du Dr Chopra ont été faites à la fin d'une longue période de conflit (quatre audiences devant des Comités d'appel de la Fonction publique et devant les tribunaux) au cours de laquelle celui-ci a notamment accusé le Ministère de discrimination.

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Enfin, le fait de décrire le plaignant comme une personne affectée de ces défauts aidait à justifier la perception que s'en faisait la direction comme une personne incapable d'assumer un poste de gestion.

Indépendamment de la question de l'expérience de la gestion, tous ces facteurs semblent avoir créé de façon cumulative chez les hauts dirigeants la perception selon laquelle c'est à bon droit que le Dr Chopra a été éliminé à la présélection en raison de son manque de compétence en matière de relations personnelles.

Nous n'acceptons pas cette perception. Les évaluations positives répétées du rendement du Dr Chopra faites par ses supérieurs immédiats et la reconnaissance par ceux-ci de son potentiel de gestion -- allant jusqu'à l'inscrire à des programmes de formation en gestion et à appuyer sa demande de bourse auprès de l'OMS -- indiquent à tout le moins qu'avant sa mutation du Bureau des médicaments humains prescrits à la fin de 1987, c'est le Ministère qui avait manqué à son obligation d'être attentif aux besoins et aux intérêts de ses employés dans l'évaluation de ses propres besoins.

Les opinions négatives qu'entretenaient à la fin les hauts dirigeants ne semblent pas reposer sur des préjugés, mais plutôt découler des relations d'affrontement nées de l'incurie administrative au fil des ans.

4. LES OPINIONS DE LA DIRECTION SUR LES DIFFÉRENCES CULTURELLES

Les seuls éléments de preuve, produits devant le tribunal, à contenir des opinions plus générales de la direction, lesquelles pourraient vraisemblablement avoir quelque lien avec la discrimination, figurent dans la note de service de Mme Cuddihy transmise par courrier électronique (citée plus amplement aux pages 30 à 32 de la présente décision) :

[TRADUCTION]

... les compétences non techniques comme la communication, la persuasion, la négociation -- il arrive souvent que leur héritage culturel n'ait pas accentué ces domaines et qu'ils [les employés de cultures différentes] soient défavorisés . ... [N]ous fonctionnons en affaires selon la méthode américaine -- le modèle consensuel qui est très étranger à certaines cultures. ... du fait de votre bagage culturel, il vous faut communiquer mieux ou adopter un style moins autoritaire. Ce n'est pas un problème de couleur, mais bien de culture ...

Ce sont là les seules références à un sujet qui pourrait être considéré comme un domaine interdit -- la culture, qui peut être interprétée comme englobant la race, l'origine nationale ou ethnique. Les commentaires attribués à la direction peuvent être considérés comme des opinions simplistes et peut-être pleines d'inexactitudes, mais il s'agit tout au plus de propos équivoques.

Cette opinion correspond à celle de Mme Frances Henry, professeur émérite d'anthropologie sociale à l'université York, à Toronto, appelée par la Commission à déposer comme témoin expert dans des affaires de racisme, tout particulièrement en matière d'emploi. Lors du contre-interrogatoire relatif aux observations figurant dans la note de service de Mme Cuddihy, la question suivante a été posée à Mme Henry :

[TRADUCTION]

Vous conviendrez avec moi, n'est-ce pas, lorsque vous regardez ces commentaires généraux, que ce qui est dit, ce n'est pas que des personnes de culture différente ne peuvent pas devenir des

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gestionnaires au sein de Santé nationale et Bien-être social? Ce qui est dit, c'est qu'elles peuvent devenir des gestionnaires au sein de Santé nationale et Bien-être social, n'est-ce pas?

Mme Henry a répondu : Oui, et elle a ajouté :

[TRADUCTION]

Le troisième paragraphe [de la note de service] suggère explicitement une solution.

Le tribunal n'a pas devant lui le contexte global des conversations au cours desquelles les remarques ont été faites, aucune des parties n'ayant jugé utile d'assigner le Dr Liston ou le Dr Somers comme témoins.

Nous concluons que les remarques contenues dans cette note de service ne peuvent raisonnablement être interprétées comme démontrant qu'un motif de distinction illicite a été un facteur dans les décisions défavorables rendues par le Ministère à l'égard de la candidature du Dr Chopra au poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits et dans des évaluations subséquentes.

Si le tribunal avait examiné des éléments de preuve relatifs à des lignes de conduite susceptibles d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement de catégories d'individus en violation de l'article 10 de la Loi (discrimination systémique), nous aurions peut-être examiné ces commentaires sous un angle différent. Faute de tels renseignements -- et d'autres points qui doivent être tranchés par un autre tribunal saisi de la plainte de l'ACNRI -- , nous concluons qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve à l'égard du traitement réservé au Dr Chopra lui-même pour conclure que ce dernier a personnellement fait l'objet de discrimination en raison de ces lignes de conduite.

DÉCISION ET ORDONNANCE

Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, pour ce qui est du traitement raisonnable et équitable des employés en général, nous n'hésiterions pas à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le Dr Chopra a été mal traité, à tout le moins jusqu'à la fin des années 1980. L'inaction du Ministère à son endroit, des années 1970 à la moitié des années 1980, a de plus en plus découragé le Dr Chopra. En conséquence, au moment où il a demandé d'être muté au Bureau des médicaments vétérinaires en 1987, il a estimé que l'occasion qui se présentait pour lui d'acquérir de l'expérience dans un poste de gestion intermédiaire a été contrariée; il était devenu amer et méfiant. Toutefois, en examinant les faits avec une objectivité que l'on ne pouvait raisonnablement exiger du Dr Chopra dans les circonstances, nous concluons que la conduite équivoque, voire contradictoire, de la direction dénote une insensibilité à l'égard des employés en général et un manque de clarté à l'égard du perfectionnement professionnel, mais qu'elle ne résulte pas d'un traitement différentiel interdit par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Nous notons que l'avocat du Ministère a prétendu que la plainte était sans fondement, futile et vexatoire, et a demandé que le plaignant et la Commission soient condamnés à payer les dépens au tarif des frais entre avocat et client. Nous ne mentionnons ce point que pour le rejeter entièrement : l'impression du Dr Chopra d'avoir été traité injustement n'était pas du tout déraisonnable; le maintien de sa plainte était

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compréhensible et il s'est comporté avec dignité. La Loi canadienne sur les droits de la personne ne comporte aucune disposition relative à l'adjudication des dépens, qu'il s'agisse de frais entre parties ou de frais entre avocat et client. De toute façon, même si la Loi nous habilitait à le faire, nous n'adjugerions aucuns dépens de l'une ou l'autre catégorie.

Par conséquent, et en dépit de nos réserves quant à l'équité du traitement accordé au Dr Chopra et à sa crainte compréhensible de discrimination, la plainte est rejetée.

Fait le 12 janvier 1996.

Daniel Soberman

Linda Dionne

Gregory Pyc

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