Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 6/ 85

Décision rendue le 5 septembre 1985

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

GUILLAUME KIBALE, Plaignant,

-et

TRANSPORTS CANADA, Intimée.

DEVANT: Me Stanley H. HARTT, Président.

COMPARUTIONS: Mes RENÉ DUVAL et ANNE TROTTIER procureurs de la Commission canadienne des droits de la personne, M. GUILLAUME KIBALE, le Plaignant Mes JEAN- MARC AUBRY et JAMES M. MABBUTT, procureurs de l’Intimée, TRANSPORTS CANADA.

> DÉCISION

Les faits à l’origine de la cause impliquant M. Guillaume Kibale, le plaignant, et le ministère des transports du Canada, l’intimé, remonte à 1981. Depuis ce temps, le litige a franchi les étapes suivantes:

  1. une enquête par le Service anti- discrimination de la Commission de la fonction publique,
  2. une requête en vu de l’émission d’un Bref de mandamus devant la Cour fédérale du Canada (première instance et, plus tard, la division d’appel);
  3. une étude de la Commission canadienne des droits de la personne et - finalement, le 6 juillet 1984 le soussigné a été nommé président d’un

Tribunal des droits de la personne afin d’examiner la plainte de M. Kibale en date du 3 mai 1984 contre Transports Canada et de déterminer si les actes décrits dans la plainte constituaient un acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite tel que défendu par l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La plainte se lisait comme suit:

"Suite à une demande d’emploi pour un poste d’" économiste, Analyse Stratégique, ES- 4 au Ministère des transports Canada (poste T- EX- 5171), je suis sélectionné pour passer une entrevue le 15 juillet 1981 à Ottawa, Ontario devant un jury de sélection composé de Messieurs Jean Boulakia (Chef, Analyse Stratégique, Ministère des transports Canada) et John Sylvester (Directeur de Projet, Planification des systèmes, Transports Canada).

Jugé le meilleur candidat pour le poste d’économiste, Analyse Stratégique (je suis le seul candidat qui ait été trouvé qualifié par les deux membres du comité de sélection, Messieurs Boulakia et Sylvester), je suis invité à rencontrer M. Haritos, (superviseur de M. Boulakia) à Ottawa, le 28 juillet 1981 afin de discuter des conditions de travail.

Cependant, lors de ma rencontre avec M. Haritos, ce dernier me questionne, entre autres choses, sur l’origine ethnique et raciale de mon épouse.

Peu de temps après, soit en août 1981, j’apprends lors d’une conversation téléphonique avec M. Haritos que je ne suis pas trouvé qualifié pour le poste d’économiste, Analyse Stratégique. Celui- ci m’explique même assez spontanément que:

"... ne soyez pas étonné que je vous refuse un emploi, moi- même j’ai été discriminé quand je suis arrivé au Canada..."

De plus, un adjoint de M. Gravel à Transports Canada me confie lors d’une conversation téléphonique à Ottawa vers cette même période, qu’il y a certains projets au Ministère des Transports Canada sur lesquels les noirs ne peuvent pas travailler car ils concernent l’Afrique du Sud.

Un autre employé du même Ministère, M. Bisaillon (agent de personnel, Transports Canada) M’explique au téléphone que M. Haritos avait pressenti une autre personne pour le poste d’ économiste, Analyse Stratégique: une femme, anglaise, d’origine grecque (N. B. M. Haritos est d’origine grecque).

J’ai donc des motifs raisonnables et probables de croire que cette décision de me refuser l’emploi d’ économiste, Analyse Stratégique, le Ministère des Transports Canada agit de façon discriminatoire à mon endroit a cause de ma race, couleur (noir) et mon origine ethnique (française) et, qu’il contrevient à l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le plaignant a aussi produit une déclaration avec affidavit à l’appui, laquelle déclaration fut par la suite amendée sur permission du Tribunal. La déclaration amendée a donc été produite le 10 juillet 1985.

Les articles 7 et 3( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne se lisent comme suit:

"7. Constitue un acte discriminatoire le fait

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite."

3.( 1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

Il est à noter que la langue ne figure pas parmi les motifs de distinction illicite.

Le Tribunal a tenu des auditions à Ottawa les 30 et 31 octobre, le 1e novembre 1984 et les 26, 27, 28 et 29 mars, les 20, 21 et 25 juin et le 22 juillet 1985 ainsi que d’autres auditions pour fins procédurales.

Le plaignant a répondu à une annonce pour un concours public portant le numéro de référence 81- NCRSO- TC- 10 pour un poste d’économiste, Analyse Stratégique, au niveau ES- 4 portant le numéro de poste T- EX- 5171. Un nombre important de candidats ont aussi posé leur candidature et, après une sélection préliminaire, onze candidats, dont le plaignant, ont été convoqués en entrevue à Ottawa. Pour sa part, le plaignant fut le neuvième candidat à rencontrer les interviewers.

Il est important de noter que le statut des personnes que les candidats ont rencontrées les 10, 14 et 15 juillet 1981 est un des points principaux en litige. Normalement de par les règles de la dotation en personnel de la Commission de la fonction publique du Canada, les membres d’un Comité de pré- sélection ainsi que les membres d’un Comité de sélection sont nommés formellement à ces fonctions et signent une déclaration par laquelle ils promettent de remplir fidèlement et honnêtement la charge qui leur incombe relativement au jury et de ne révéler a qui que ce soit, sauf aux personnes autorisées par la Commission de la fonction publique, les résultats des délibérations du jury. Il ressort de la preuve que les Comités de sélection signent un rapport déstiné aux officiers bénéficiant de l’autorité déléguée afin qu’ils offrent un poste dans la fonction publique du Canada au meilleur candidat. En l’occurrence, la preuve a révélé qu’au niveau du Ministère des transports l’autorité déléguée, par la Commission de la fonction publique au Sous- ministre des transports, (et par la suite sous- délégué par ce dernier), l’a été uniquement en faveur des officiers du Service de personnel. Donc, si le processus normal avait été suivi, le Service de personnel aurait après la vérification des références et d’une enquête concernant les exigences relatives à la sécurité nationale, octroyé le poste au candidat le plus méritant.

Le but de toutes ces règles est de garantir un certain formalisme à la dotation en personnel au sein de la fonction publique, d’éliminer le favoritisme et d’appliquer le principe du mérite consacré par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [art. 17( 4)].

Le Comité de sélection prépare une liste de questions destinées à faire ressortir les qualifications des candidats à la lumière des exigences reliées au poste; les questions sont pondérées pour indiquer leur importance relative et pour se qualifier pour le poste, les candidats devaient récolter un nombre minimum de points. Tout ce processus d’élaboration de questions et de points est surveillé par un représentant du Service de personnel afin d’assurer le respect du principe du mérite. Aussi, un Agent de personnel participe à une ou plusieurs des entrevues afin de s’assurer que le Comité pose les questions convenues.

Le problème découle du fait que dans l’exercice en dotation en question, ces règles n’ont pas été respectées, et cela de plusieurs façons.

D’abord, les entrevues ont été dirigées par deux officiers du Ministère des transports, soit le Dr Jean Boulakia et M. John Sylvester. En ce qui concerne le Docteur Boulakia, son rôle au Comité de sélection était très controversé en raison du fait que son patron, le Dr Zissis Haritos, s’est réservé le droit d’interviewer le ou les candidats qualifiés par le Comité ayant réussi avec le plus grand nombre de points. Selon le Dr Boulakia le fait d’accorder au Dr Haritos le droit d’interviewer un ou plusieurs candidats à la suite des entrevues devant le Comité constituait une simple courtoisie à son directeur- général. Selon lui, le fait de vouloir rencontrer et connaître les postulants les plus méritant n’avait aucun statut formel dans le processus d’embauche. De plus, le Dr Boulakia insiste sur le fait qu’à aucun moment, il n’a considré que le Dr Haritos faisait partie du Comité de sélection pas plus qu’il ne voyait son travail comme une étape de pré- sélection. En d’autres mots il regardait l’intérêt du Dr Haritos comme étant hors du processus de dotation et n’envisageait pas la possibilité que le Dr Haritos revise la décision du Comité.

Pour sa part, le Dr Haritos insiste sur le fait que ses intentions ont été toujours clairement exprimées au Dr Boulakia et qu’il s’est réservé la décision finale. Il ne peut pas expliquer pourquoi le Dr Boulakia n’a pas compris ce fait. Selon les témoins ayant l’expérience en matières de dotation et au Service du personnel (y compris au sein de la Commission de la fonction publique) il n’est pas inconnu, même si ce n’est pas règle générale, qu’un gérant sénior se réserve ainsi le droit de sélection finale. D’ailleurs, une telle pratique ne contrevient à aucun règlement ou coutume du système de dotation dans la mesure où le gérant sénior, signe non seulement la formule de déclaration mais aussi le rapport du Comité. En l’occurrence, le Dr Haritos n’a rien signé d’autre qu’un rapport des motifs de sa décision après que le plaignant eu porté plainte contre le Ministère devant la Commission de la fonction publique.

La preuve démontre clairement que le Dr Boulakia connaissait cette réservation du droit d’entrevue de la part du Dr Haritos bien avant le début des entrevues (même s’il a éprouvé une mésentente avec le Dr Haritos quant à la nature formelle de cette réservation). Il y a litige entre les parties quant au moment où le Dr Boulakia a révélé ce fait à M. Sylvester. M. Sylvester est mort depuis la première audition dans cette cause et conséquemment n’a pas témoigné. Sa déclaration écrite datée du 16 avril 1982 (pièce C- 11) indique qu’il considérait le rôle du Comité de sélection, composé de lui- même et du Dr Boulakia, comme étant celui de prendre une décision finale sans que personne d’autre ne soit apte ou autorisé à modifier cette décision. Par contre, la pièce C- 9 qui date du 21 juin 1982 indique que M. Robert Bisaillon, Agent de dotation présent au premier entrevue a été témoin du fait que le Dr Boulakia aurait annoncé à M. Sylvester, avant de faire entrer le premier candidat, le fait que le Dr Haritos s’était réservé le droit de sélection finale. Le Dr Boulakia aurait en effet déclaré à M. Sylvester que tout candidat qu’ils choisiraient devrait d’abord être présenté au Dr Haritos pour approbation avant de recevoir une offre d’emploi. M. Bisaillon déclare avoir été grandement étonné.

Pour le soussigné, une fois le malentendu entre les Docteurs Haritos et Boulakia établi comme ayant existé avant les entrevues, il n’y a pas grand intérêt à savoir le moment où ils ont annoncé ce fait à M. Sylvester. Il se peut que M. Sylvester aurait refusé de participer au processus du Comité si la décision du Comité n’était pas finale, mais il y a des raisons très particulières concernant le rôle de M. Sylvester qui auraient expliqué un tel refus. Pour cette raison on ne peut pas présumer que son refus aurait résulté uniquement de son indignation face à l’ingérence du Dr Haritos dans le mandat du Comité.

Quant au rôle de M. Sylvester, il est encore plus étrange. A cause du fait que la dotation en personnel dans la fonction publique est compliquée et prend beaucoup de temps, on a adopté une pratique qui permet le chevauchement ( piggy- backing) d’un deuxième processus de dotation sur le premier pour que les deux gérants puissent combler des postes semblables comportant les mêmes exigences de postes et qualifications de candidats. Une liste de candidats ayant été établie, il n’y a aucune raison de ne pas permettre aux autres gérants de profiter de l’occasion afin de trouver des candidats sans avoir à passer par tout le processus de dotation.

M. Sylvester a saisi cette occasion pour combler deux postes dans sa section, soit T- EX- 5163, Responsable de programme et T- EX- 5183, Analyste et c’est la raison pour laquelle il figurait sur le Comité de sélection.

Malheureusement, il ressort de la preuve que les exigences de M. Sylvester n’étaient pas du tout les mêmes que celles recherchées par le Dr Haritos pour le poste à combler dans la section du Dr Boulakia, soient celles d’un économiste théorique pour analyser les effets stratégiques des politiques recommandées au gouvernement. De son côté, M. Sylvester cherchait des gérants de programme. Le fait que les postes de M. Sylvester n’auraient jamais dû être chevauchés sur ceux du Dr Haritos est révélé dramatiquement par le fait que M. Sylvester et le Dr Boulakia n’ont pas pu uniformiser leurs résultats d’entrevue. Tandis que le Dr Boulakia qualifiait deux candidats (M. Kibale et M. Datta), M. Sylvester en a qualifié cinq: les deux premiers et MM. Bartucci, Schubert et Morris, mais avec mention par M. Sylvester que même si M. Kibale était plus fort en économie académiquement parlant et avait l’expérience en matières de conseils politiques, ces derniers n’étaient pas des exigences importantes pour son poste. M. Datta était macro- économiste, établi et expérimenté mais selon M. Sylvester il ne s’intégrerait pas bien dans son équipe d’analystes de systèmes (pièce C- 7). Or, les résultats de concours, tel qu’établies par M. Sylvester, forent les suivants; M. Kibale figurait premier avec 71.5 points; M. Morris était deuxième avec 70; M. Schubert était troisième avec 69; M. Bartucci était quatrième avec 68 et M. Datta était cinquème avec 64.5. Ainsi, il y a contradiction de la part de M. Sylvester lorsqu’il décide que M. Kibale a réussi le premier parmi les candidats qualifiés mais qu’il n’a pas rencontré les exigences des postes que M. Sylvester cherchait à combler. Si vraiment les postes de M. Sylvester étaient propices au processus de chevauchement, et si les questions étaient élaborées et pondérées d’une façon destinée à faire ressortir le ou les candidats aptes à combler les postes en question, nécessairement le candidat ayant obtenu les meilleurs résultats aurait été le plus qualifié pour tous les postes en concours. Il est clair que M. Sylvester a abusé du processus de chevauchement en essayant de sauver du temps puisqu’il ne recherchait pas du tout des personnes ayant les mêmes qualifications que le Dr Haritos.

A la suite des résultats d’un concours irrémédiablement irrégulier, le Dr Boulakia a présenté au Dr Haritos deux candidats - M. Kibale et M. Datta pour entrevue; le Dr Haritos a décidé qu’aucun candidat n’était qualifié qualifiait pour le poste dans la section du Dr Boulakia. Aucune liste d’admissibilité n’a été dressée. M. Kibale a reçu une lettre en date du 27 août 1981, signée par Lise Dagenais, Agent de dotation en personnel, l’avisant qu’aucun candidat n’avait été retenu. Par contre les deux postes de M. Sylvester ont été offerts à M. Schubert (T- EX- 5163) et à M. Bartucci (T- EX- 5183). M. Morris, paraît- il, aurait refusé une offre parce qu’il aurait pu se placer ailleurs. M. Kibale demande au Tribunal de conclure que soit le Dr Haritos, soit M. Sylvester ou les deux furent coupables d’une discrimination prohibée par la Loi canadienne sur les droits de la personne pour avoir refusé de l’employer pour un motif de distinction illicite, fondé soit sur la race, l’origine nationale ou ethnique et/ ou la couleur.

Le Tribunal a le droit de recevoir des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire (art. 40( 3)( c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne). Il s’en suit que le Tribunal a le droit d’accepter des moyens de preuve indirects et il est normal qu’il soit invité à tirer certaines conclusions des faits mis en preuve. Le problème juridique que le Tribunal doit trancher ici est de savoir si le défaut de suivre les pratiques normales, ou même celles exigées par la loi, en matière de dotation donne ouverture, dans les circonstances, à une présomption quelconque en faveur du plaignant ou permet au Tribunal de tirer une conclusion à l’effet que les agissements des représentants du Ministere étaient motivés par la discrimination.

D’abord il faut souligner que devant le Tribunal c’est sur le plaignant qui repose le fardeau de la preuve et que ce fardeau est le même qu’en matière civile, c’est- à- dire qu’il doit convaincre le Tribunal que la balance des probabilités est en sa faveur. Le plaignant a bel et bien allégué plusieurs choses qui, s’il avait été capable de les prouver, auraient donné au Tribunal la possibilité de décerner un atmosphère négatif vers la race, l’origine nationale ou ethnique et/ ou la couleur du plaignant. Toutefois, aucun des faits allégués (avec une seule exception discutée ci- dessous) n’a été prouvé plus loin que la simple déclaration du plaignant et/ ou de son épouse et tous ces faits ont été nié par tous et chacun des témoins indépendants auxquels ces déclarations ont été présentées sous forme de question. Il semble au soussigné très dangereux d’établir une règle selon laquelle, lorsqu’il y a irrégularité ou même illégalité absolue dans l’administration du processus de dotation en personnel de la fonction publique du Canada, un Tribunal des droits de la personne doit présumer que cette irrégularité ou illégalité a été motivée par une pratique de discrimination sans d’autre preuve rattachant cette irrégularité ou illégalité à un motif de distinction illicite. Le refus ou la négligence par des fonctionnaires à se conformer aux règles en vigeur pour limiter leur discrétion et leur champs de manoeuvre peut s’expliquer par maintes d’autres faiblesses humaines que la discrimination. Le Dr Haritos s’est réservé la décision finale quant aux candidats qualifiés mais le Dr Boulakia avait mal compris ces instructions. Le fait pour le Tribunal de conclure, sans autre preuve, que le Dr Haritos a été motivé par un désir de se fonder sur un motif de distinction illicite constituerait une présomption en faveur du plaignant que la loi n’autorise pas.

En ce qui concerne M. Sylvester, il est clair que toutes ses objections à la suite du concours, tous les allégués relatifs aux pressions exercées contre lui pour changer ses notes ou pour réconcilier son rapport d’entrevues avec celui du Dr Boulakia étaient fondés non pas sur une distinction illicite mais sur son abus du processus de chevauchement ainsi que sur la possibilité inattendu (par M. Sylvester) que le Dr Haritos (dont M. Sylvester ne connaissait pas avant le tout dernier moment le rôle) n’embauche pas M. Kibale, avec le résultat que M. Sylvester se verrait obligé de lui offrir un des deux postes disponibles au sein de sa section au lieu de les offrir à ses candidats préférés, MM. Morris, Schubert et Bartucci. Il a été complètement frustré de la piège dans laquelle il avait tombé, même si cela ne soit pas dû à une tentative de discriminer contre M. Kibale. Au contraire il n’aurait jamais dû qualifier M. Kibale pour les postes disponibles au sein de sa section. En réalité, il ne l’aurait pas fait si les questions posées avaient vraiment été destinées à exclure des économistes théoriques ou analystes stratégiques et à faire ressortir les candidats ayant les habilités nécessaires dans la gestion des programmes. Pour le soussigné tout l’effort subséquent au concours irrégulier afin de mettre de la pression sur le Dr Boukalia et M. Sylvester s’explique par un désir de corriger au moins quelques lacunes dans le fonctionnement du processus de dotation. Ces efforts auraient pour but de leur faire uniformiser leurs résultats pour pouvoir élaborer une seule liste afin de permettre au Service de personnel d’offrir le poste du Dr Haritos au premier candidat sur cette liste et les postes de M. Sylvester aux deux candidats suivants. Il est à noter que le Dr Haritos s’était réservé le rôle de membre du Comité de sélection final sans avoir interviewé MM. Schubert, Bartucci et Morris.

Il faut remarquer que ce n’est pas au Tribunal des droits de la personne qu’incombe le pouvoir de contrôle et de surveillance du fonctionnement du processus de dotation en vertu de la Loi concernant l’emploi dans la fonction publique du Canada et les règlements décrétés sous son autorité. Ce pouvoir de contrôle et de surveillance appartient à la Cour fédérale du Canada. M. Kibale s’était adressé à cette cour en vue de l’obtention de l’émission d’un bref de mandamus laquelle requête a été refusée par ladite cour dans un jugement rendu par l’honorable Juge Marceau le 3 novembre 1981. Même si le Tribunal des droits de la personne constate des irrégularités dans le processus d’embauche, notre pouvoir est limité à dire si oui ou non ces irrégularités ont été motivées par des motifs de distinction illicite.

Il reste le seul aspect concrèt de la preuve offerte par le plaignant dans le but de démontrer qu’il existait au sein de Transports Canada une attitude discriminatoire envers les noirs: M. Kibale prétend (et il a témoigné à cet effet) que suite de sa deuxième visite à Ottawa, celle où il a rencontré le Dr Haritos pour sa deuxième entrevue, on a mis du temps à lui expédier son chèque pour frais de déplacement. Comme il avait besoin de cet argent, il a téléphoné au Ministère pour s’informer du moment où il serait payé. Selon son témoignage, on l’aurait informé que son chèque avait été envoyé par erreur au Ministère des transports, section Montréal. Il s’est rendu là- bas pour chercher son chèque et en revenant à la maison il a ouvert son enveloppe en présence de sa femme. Toujours selon son témoignage, en ouvrant l’enveloppe, une petite note écrite à la main y est tombé par terre et elle se lisait: No black in Transport Canada. Il déclare ne pas avoir donné trop d’importance à cette note et avoir omis toute mention de cette note dans sa plainte et dans sa déclaration suivant les conseils des représentants de la Commission et d’autres organismes auxquels il a recourru. Remarquons que M. Charles Lafrenière qui a comparu à la demande de la Commission et qui est le directeur général de la Commission des droits de la personne pour la région de la capitale nationale ne se rappel pas avoir discuté d’une telle note avec le plaignant.

A la demande des procureurs du Ministère des transports et de la Commission, la note a été envoyée au laboratoires juridiques de la Gendarmerie Royale du Canada pour une analyse de l’écriture là- dessus. Le rapport fourni par M. Gaudreau de la Section des documents indique que la comparaison de l’écriture sur la pièce avec les specimens de comparaison a révélé des similitudes et des points non expliqués. En conséquence, l’écriture sur la pièce n’a ni été identifiée ni éliminée comme étant celle de M. Kibale.

Un interprète appellé par les procureurs du Ministère de la Justice a informé le Tribunal que lors de la pause du midi le 20 juin 1985, elle a entendu dans la cafetéria de l’immeuble M. Kibale demandant à sa femme si vraiment c’était possible de vérifier l’âge de l’encre sur la pièce C- 15 et déclarant En tout cas, les dès sont jetés.

Le Tribunal conclut qu’il n’y a pas de preuve que la note produite comme pièce C- 15 est un faux. Par contre, il n’y a aucune preuve qui relie cette pièce aux auteurs de la prétendue discrimination, soit le Dr Haritos et/ ou M. Sylvester. On peut facilement spéculer sur la façon dont la note a été incluse, si c’est le cas, dans l’enveloppe contenant le chèque de frais de déplacement et pourquoi M. Kibale n’y a pas donné d’importance. Toutefois on ne peut conclure que l’existence de la note indique une pratique de discrimination contre les noirs à Transports Canada.

Il reste une dernière chose: à l’audition, le Tribunal a pris sous réserve des objections quant à l’admissibilité d’une pièce déposée par M. Kibale soit un rapport préparé par la section anti- discrimination de la Commisison de la fonction publique et d’une autre pièce déposée par Transports Canada soit le rapport daté du 24 novembre 1983 de M. Trefflé Lacombe, commissaire de la Commission de la fonction publique du Canada. Puisque ces deux rapports traitent des mêmes faits que ceux mis en preuve devant le Tribunal, qu’il s’agissait à l’époque d’une juridiction partagée entre la Commission de la fonction publique et le Tribunal des droits de la personne, qu’aucune conclusion de l’un ou l’autre des rapports de la Commission de la fonction publique ne devrait influencer le Tribunal, que les règles de la preuve, du fardeau de la preuve et des présomptions disponibles au plaignant pourraient être différents pour les fins d’une étude par la Commission de la fonction publique d’une part et devant le Tribunal d’autre part, le Tribunal a jugé bon de ne pas admettre en preuve ces deux documents et de ne pas être influencé de quelque façon que ce soit par les conclusions tirées par ces organismes.

Pour toutes ces raisons le Tribunal conclut que le plaignant, tout en établissant devant le soussigné une série de pratiques irrégulières dans le processus d’embauche suivi dans son cas, a fait défaut de se décharger du fardeau de la preuve qui lui incombait. Le Tribunal n’est pas persuadé que les agissements du Dr Haritos, de M. Sylvester et d’autres représentants du Ministère des transports ont été motivés par un motif fondé sur distinction illicite et par conséquent le Tribunal rejette la plainte comme étant non fondée. Chaque partie payera ses propres dépenses.

Signé à Montréal le 30 août 1985.

Stanley H. Hartt

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