Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS,

DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER,

FEMMES-ACTION

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

BELL CANADA

l'intimée

DÉCISION CONCERNANT LES PRIVILÈGES REVENDIQUÉS

2003 TCDP19

2003/05/28

MEMBRES INSTRUCTEURS :

J. Grant Sinclair, président
Pierre Deschamps, membre

[1] Le 30 décembre 2002, le Tribunal a ordonné que Bell Canada divulgue aux autres parties tous les documents concernant l'étude mixte qui se trouvaient au 1000, rue de la Gauchetière, à Montréal, à l'exception de ceux pour lesquels la compagnie Bell revendiquerait un privilège. Le Tribunal a subséquemment ordonné que la CCDP, le SCEP et Femmes-Action divulguent et produisent tous les documents concernant l'étude conjointe qu'ils avaient en leur possession, à l'exception de ceux pour lesquels un privilège était revendiqué. Tout compte fait, Bell a revendiqué un privilège pour 13 des 1 810 documents divulgués; le SCEP a revendiqué un privilège pour trois des quelque 148 documents divulgués; la CCDP et Femmes-Action n'ont pas revendiqué de privilège.

[2] Les documents pour lesquels Bell revendique un privilège sont énumérés à l'annexe III de la liste de documents de Bell :

  1. privilège des communications liées à un litige et privilège de négociation collective : 1490, 1493, 1500, 1501, 1732, 1746;
  2. privilège de négociation collective : 1484, 1494, 1495, 1498;
  3. privilège des communications liées à un litige, privilège de négociation collective, privilège découlant d'un règlement : 1752, 1753 et 1787.

[3] Le SCEP demande un privilège découlant d'un règlement pour les documents nos 21, 53 et 83 figurant à l'annexe 3 de sa liste de documents.

[4] Le Tribunal a reçu des copies des documents. Il a passé en revue les documents de Bell et du SCEP pour lesquels un privilège était revendiqué. Il n'y a pas de désaccord entre les parties quant aux critères qui s'appliquent à chaque type de privilège. Le désaccord porte plutôt sur la question à savoir si les documents répondent aux critères en question.

I. PRIVILÈGE DES COMMUNICATIONS LIÉES À UN LITIGE

[5] En ce qui concerne les communications liées à un litige, Bell doit satisfaire aux critères suivants pour qu'une revendication de privilège soit jugée fondée :

  1. la communication doit avoir été faite dans l'éventualité d'un litige;
  2. la communication doit avoir été faite dans le but principal d'obtenir des conseils juridiques ou de faciliter le déroulement de l'instance;
  3. l'éventualité d'un litige doit être raisonnable.

[6] Bell a fait observer, en ce qui touche les documents concernant les emplois du SCEP (1490, 1493, 1500, 1501, 1732), qu'il n'y avait pas à proprement parler de litige entre Bell et le SCEP au moment où ces documents ont été créés. Les plaintes systémiques du SCEP ont été déposées en 1994. Cependant, selon Bell, on pouvait raisonnablement prévoir qu'à défaut de parvenir à une entente pour remédier à l'écart salarial, le SCEP présenterait des plaintes à la Commission.

[7] En ce qui concerne le document de l'ACET no 1746, la Commission, au moment où ce document a été créé, avait été saisie de plaintes de la part de certains membres de l'ACET et ainsi que de plaintes présentées par l'ACET au nom de certains groupes. Dans ce cas-là, Bell soutient qu'il existait un litige non encore réglé entre Bell et l'ACET ou qu'il était à tout le moins raisonnable de prévoir qu'il y aurait litige, à défaut d'une entente pour combler l'écart salarial.

[8] Le Tribunal est d'avis que Bell n'a pas satisfait à tous les critères nécessaires. Plus particulièrement, nous estimons que le but principal de la création de ces documents n'était pas d'obtenir des conseils juridiques ou de faciliter le déroulement de l'instance. Les faits démontrent plutôt que les documents en question ont été créés afin de déterminer l'étendue de l'écart salarial à la lueur des résultats de l'étude mixte présentés à la direction de Bell, à l'ACET et au SCEP. Les résultats devaient être utilisés par le comité de négociation de chaque partie en vue de combler l'écart salarial révélé par l'étude mixte.

II. PRIVILÈGE DÉCOULANT D'UN RÈGLEMENT

[9] Pour qu'un privilège découlant d'un règlement puisse s'appliquer, il incombe à la partie qui invoque un tel privilège de démontrer :

  1. qu'un différend litigieux existe ou est anticipé;
  2. que la communication est faite dans le but, avoué expressément ou non, que son contenu ne soit pas dévoilé au tribunal en cas d'échec des négociations;
  3. que la communication a pour but de favoriser un règlement.

[10] Bell revendique un privilège découlant d'un règlement à l'égard des documents de l'ACET nos 1752, 1753 et 1787. Bell a toujours adopté la position que les résultats de l'étude conjointe devaient être mis à la disposition du comité de négociation de chaque partie. Tout écart salarial révélé par l'étude mixte devait être comblé à la faveur des négociations collectives. Nous avons conclu que les documents de l'ACET pour lesquels Bell revendique un privilège découlant d'un règlement ont été établis dans ce contexte, et non afin de favoriser le règlement d'un différend litigieux. À notre avis, le processus de négociation collective qu'envisageaient les parties n'équivaut pas à des négociations afférentes à un règlement.

III. PRIVILÈGE DE NÉGOCIATION COLLECTIVE

[11] La Commission et le SCEP ont contesté l'existence d'un privilège de négociation collective en droit canadien. Toutefois, si l'on reconnaît qu'il existe un tel privilège, toutes les parties ont convenu que, pour qu'il puisse s'appliquer, chacun des quatre critères Wigmore doit être satisfait :

  1. les communications doivent avoir été transmises confidentiellement;
  2. le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien de la relation dans le cadre de laquelle les communications ont été transmises;
  3. la relation est de la nature de celle qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenues assidûment;
  4. la cour doit se demander si le préjudice que causerait à la relation la divulgation des communications serait plus considérable que l'avantage à retirer de l'obtention de la vérité et d'une juste décision.

[12] Sur la foi de notre examen de ces documents (c.-à-d. les documents nos 1484, 1490, 1493, 1494, 1495, 1498, 1500, 1501, 1732, 1746, 1752, 1753 et 1787), nous avons conclu que seul le document no 1484 satisfait à l'ensemble des critères Wigmore.

[13] Le document no 1484 est une note de service interne que Michèle Boyer, du Groupe de l'équité salariale de Bell, a expédiée à Diane Long, l'agent négociateur en chef de la compagnie. Essentiellement, cette note en date du 16 mars 1992 traite des diverses stratégies de Bell par rapport aux questions de parité salariale dans le contexte de la négociation collective.

[14] Les documents nos 1490, 1500, 1501, 1732, 1746 et 1787 renferment des tableaux et graphiques ayant rapport à divers scénarios d'attribution de coûts, dont certains ont rapport à des emplois du SCEP et d'autres, à des emplois de l'ACET. Il y est fait mention de taux de rémunération en vigueur à différentes dates. Les tableaux et graphiques qu'on trouve dans les documents nos 1490, 1500, 1732, 1746 et 1787 sont très similaires à ceux que comportent les pièces HR-76 et HR-73. En ce qui concerne les scénarios d'attribution de coûts présentés dans le document no 1501, ils sont identiques à ceux qui sont présentés dans la pièce HR-76 (pages 1247, 1249 et 1251).

[15] Le document no 1493 expose un scénario d'attribution de coûts qui indique le total des versements que Bell aurait à faire au titre de la parité salariale, compte tenu des taux de rémunération en vigueur le 1er juin 1993, tels qu'ils figurent à la page 1244 de la pièce HR-76 indiquant les écarts entre les courbes salariales. Le document no 1752 compare la courbe salariale des hommes avec celle des femmes et indique, pour les 98 emplois repères, l'écart salarial en pourcentage et en chiffres absolus au 25 novembre 1992, calculé encore une fois en fonction des taux de rémunération figurant à la page 1244 de la pièce HR-76.

[16] Le document no 1753 est semblable au document no 1752, si ce n'est que les écarts salariaux sont ceux qui existaient le 1er décembre 1992 plutôt que le 25 novembre 1992.

[17] À la première page du document no 1494, on énumère les emplois à prédominance féminine de l'unité de négociation du SCEP pour lesquels un rajustement est nécessaire. À la deuxième page, on trouve un tableau qui indique le coût total des rajustements de parité salariale des employés du SCEP pour 1993 dans l'éventualité d'une augmentation de 0,919 % pour les emplois à prédominance féminine.

[18] À la première page du document no 1495, on indique le total des employés du SCEP, à l'exclusion des étudiants, au 31 décembre 1992 et au 30 juin 1993, et on présente les calculs. À la deuxième page, on trouve un tableau qui indique le coût total des rajustements de parité salariale des employés du SCEP pour 1993 dans l'éventualité d'une augmentation de 1 % pour les emplois repères à prédominance féminine.

[19] Les documents nos 1494 et 1495 présentent des scénarios d'attribution de coûts fondés sur les taux de rémunération figurant à la page 11 du document no 1490 et à la page 1244 de la pièce HR-76.

[20] La première page du document no 1498 est identique à la première page du document no 1495. À la deuxième page, on indique le total - inscrit à la main - des employés du SCEP, y compris les étudiants, en juin 1993 et décembre 1992.

[21] En supposant que Bell ait satisfait aux trois premiers critères Wigmore, notre examen des documents mentionnés ci-dessus révèle que ceux-ci sont identiques, très similaires ou étroitement apparentés à ceux déjà soumis en preuve. Une fois les intérêts mis en équilibre conformément au quatrième critère Wigmore, nous concluons qu'il est dans les meilleurs intérêts de la justice de produire ces documents.

IV. REVENDICATION PAR LE SCEP D'UN PRIVILÈGE DÉCOULANT D'UN RÈGLEMENT

[22] Les documents nos 21, 53 et 83 mentionnés dans la liste du SCEP (annexe 3) sont des notes manuscrites rédigées par Patricia Blackstaffe. Le document no 21 comporte deux pages et est daté du 11 octobre 1994. Le document no 53 compte quatre pages et porte la date du 24 mai 1994. Le document no 83 a 17 pages et est daté du 14 avril 1994.

[23] Nous avons examiné ces documents. Ils ont été créés après le dépôt des plaintes systémiques par le SCEP et dans le contexte de la médiation. Il existait un litige au moment de leur création. Il y est précisé que leur contenu ne serait pas divulgué en l'absence de règlement. Par conséquent, nous concluons que les documents nos 21, 53 et 83 sont privilégiés.

V. RATIFICATION D'UNE ENTENTE

[24] Après discussion, les parties se sont entendues sur les conditions de divulgation ou de production de certains documents établis par Bell qui comportent des calculs et des estimations quant aux écarts salariaux au cours d'une période déterminée. Les documents qui sont visés par cette entente et les conditions de celle-ci sont mentionnées dans la pièce T-5. Le Tribunal considère que la pièce T-5 fait partie de la présente décision et résout de façon satisfaisante les questions de production et de privilège liés à ces préoccupations particulières.

Originale signée par

J. Grant Sinclair, président

Pierre Deschamps, membre

OTTAWA (Ontario)

Le 28 mai 2003

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T503/2098

INTITULÉ DE LA CAUSE : SCEP et autres c. Bell Canada

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

(les 29 et 30 avril 2003)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 28 mai 2003

ONT COMPARU :

Peter Engelmann, Lisa Campbell au nom du SCEP

Francine Charron, Louise Grenier au nom de Femmes-Action

Andrew Raven, Patrick O'Rourke au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

Guy Dufort, Steve Katkin au nom de Bell Canada

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