Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

CANADA

Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

GROUPE D’AIDE ET D’INFORMATION SUR LE

HARCÈLEMENT SEXUEL AU TRAVAIL DE LA

PROVINCE DE QUÉBEC INC.

 

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

la Commission

- et -

JEAN BARBE

l’intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE RELATIVE À LA DIVULGATION DE L’ENTENTE DE RÈGLEMENT ET DE L’ADDITION DE MME                   DES ROSIERS EN TANT QUE PARTIE À L’INSTANCE

MEMBRE:    Anne L. Mactavish                                                             2003 TCDP 15

2003/04/02

[TRADUCTION]


 

[1]               Le Groupe d’aide et d’information sur le harcèlement sexuel au travail de la province de Québec inc. (le Groupe d’aide) a déposé une plainte alléguant que Jean Barbe a harcelé Mireille Des Rosiers pendant qu’elle était employée à la Société Radio-Canada. L’allégation porte que ce harcèlement était fondé sur le sexe, la race et l’origine nationale ou ethnique de Mme Des Rosiers. Le Groupe d’aide a, évidemment, déposé une seconde plainte au nom de Mme Des Rosiers, en l’occurrence contre son employeur, la Société Radio-Canada. La plainte déposée contre la Société Radio-Canada a été réglée pendant que l’affaire était devant la Commission canadienne des droits de la personne. Le Tribunal canadien des droits de la personne a à présent été saisi de la plainte contre M. Barbe.

[2]               M. Barbe demande que soit produit le protocole d’entente énonçant le règlement qui est intervenu entre le Groupe d’aide et la Société Radio-Canada. Le Groupe d’aide, Radio-Canada et la Commission s’opposent à la divulgation de l’entente de règlement  en faisant valoir que l’entente est privilégiée et que, de toute façon, elle ne revêt aucune pertinence à l’égard des points en litige figurant dans la plainte déposée contre M. Barbe.

[3]               La Commission a également demandé que Mme Des Rosiers soit ajoutée comme plaignante dans le cadre de cette procédure.

[4]               Lors d’une conférence téléphonique préparatoire, le membre du Tribunal chargé d’entendre cette cause a proposé aux parties de faire statuer un autre membre du Tribunal sur ces requêtes. Je présume qu’il a fait cette proposition en se fondant sur l’hypothèse qu’il pourrait devenir nécessaire d’examiner la teneur de l’entente de règlement. La Commission et Radio-Canada ont toutes deux demandé que ces requêtes soient entendues par une autre personne que le membre chargé d’entendre cette cause. M. Barbe déclare que cette solution serait acceptable à ses yeux si l’entente devait être divulguée afin d’en établir la pertinence.

[5]               Compte tenu des circonstances, un autre membre du Tribunal a été saisi des requêtes.

I.                   REQUÊTE DE M. BARBE POUR LA PRODUCTION DE L’ENTENTE DE RÈGLEMENT

[6]               La demande de M. Barbe soulève deux questions. La première est de savoir si l’entente de règlement à laquelle est partie Radio-Canada est pertinente dans le cadre de cette procédure. La seconde est de savoir si l’entente est protégée par un privilège. Je traiterai d’abord de la question de la pertinence, car si je devais conclure que l’entente n’a aucune pertinence à l’égard de cette procédure, il serait inutile d’aborder la question du privilège.

A.        L’entente de règlement est-elle potentiellement pertinente dans le cadre de la plainte déposée contre M. Barbe?

[7]               M. Barbe soutient que l’entente de règlement conclue par le Groupe d’aide et Radio-Canada présente des éléments pertinents en matière de responsabilité et de dommages-intérêts. En ce qui concerne la responsabilité, M. Barbe déclare que la plainte déposée contre Radio-Canada de même que celle déposée contre lui émanent toutes deux de la même situation de fait sur les lieux de travail. M. Barbe agissait dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il traitait avec Mme Des Rosiers. Il croit savoir que l’entente de règlement envisageait le retrait de la plainte contre Radio-Canada et de la plainte contre lui. Il n’a cependant pas révélé au Tribunal sur quoi il se fondait pour formuler cet avis.

[8]               Comme Mme Des Rosiers a perdu ses droits contre Radio-Canada et lui-même, M. Barbe déclare qu’elle n’a plus le droit de le poursuivre dans cette affaire. Il s’ensuit que le Groupe d’aide ne peut pas poursuivre l’affaire au nom de Mme Des Rosiers, ce qui rend le Tribunal incompétent à l’égard de cette plainte. Une disposition de confidentialité énoncée dans l’entente de règlement ne peut être invoquée pour empêcher la divulgation lorsque celle-ci est nécessaire pour déterminer si le Tribunal a compétence pour entendre la cause.

[9]               En ce qui a trait à la question des dommages-intérêts, M. Barbe déclare que tout argent reçu par Mme Des Rosiers de Radio-Canada devrait être pris en compte par le Tribunal lorsqu’il évaluera les dommages-intérêts à l’encontre de M. Barbe, afin d’empêcher que Mme Des Rosiers touche une double indemnisation.

[10]           La Commission canadienne des droits de la personne fait valoir que la plainte déposée contre M. Barbe est distincte de celle déposée contre Radio-Canada. Les redressements sollicités contre M. Barbe sont distincts de ceux pour lesquels Radio-Canada peut être tenue responsable. Par conséquent, le règlement intervenu avec Radio-Canada n’a aucune pertinence à l’égard de la plainte déposée contre M. Barbe. La Commission soutient par ailleurs qu’il irait à l’encontre du bon sens et de l’équité qu’un règlement intervenu entre le Groupe d’aide et Radio-Canada puisse permettre à M. Barbe de se soustraire à ses responsabilités.

[11]           Pour ce qui est de la question des dommages-intérêts, la Commission déclare que les seuls dommages-intérêts auxquels Mme Des Rosiers pourrait avoir droit sont ceux pour lesquels elle n’a pas encore été dédommagée. La Commission fait valoir qu’il n’y a pas de problème de double indemnisation à l’égard des dommages-intérêts non pécuniaires et cite à l’appui la décision de la Commission d’enquête de l’Ontario dans l’affaire Ghosh c. Domglas Inc. (No 2) comme faisant autorité à l’égard de l’assertion que des intimés différents peuvent être appelés à verser des dommages-intérêts non pécuniaires distincts.

[12]           Radio-Canada fait valoir que M. Barbe n’a pas réussi à démontrer en quoi l’entente est pertinente à l’égard des points en litige dans ce cas. Selon Radio-Canada, ce règlement transcende la plainte en matière de droits de la personne déposée contre elle et règle également le litige impliquant Mme Des Rosiers, Radio-Canada et le syndicat de Mme Des Rosiers.

[13]           Selon Radio-Canada, les questions traitant des dommages-intérêts ne seront abordées que plus loin dans la procédure et encore seulement si la plainte déposée contre M. Barbe est fondée. Par conséquent, Radio-Canada soutient que la question de la divulgation devrait être reportée jusqu’à ce que celle des dommages-intérêts soit abordée.

[14]           Le Groupe d’aide déclare que l’entente en cause a été conclue entre Mme Des Rosiers et Radio-Canada. Selon le Groupe d’aide, les causes d’action invoquées contre Radio-Canada et M. Barbe sont distinctes. En tant qu’employeur de Mme Des Rosiers, Radio-Canada est responsable des gestes de harcèlement posés sur les lieux de travail, tandis que M. Barbe est responsable de sa propre conduite.

[15]           Le Groupe d’aide déclare que M. Barbe ne devrait pas pouvoir utiliser le règlement intervenu entre Mme Des Rosiers et Radio-Canada pour se tirer d’affaire. Bien au contraire, M. Barbe doit assumer la responsabilité de ses actes et en accepter les conséquences.

II.                ANALYSE

[16]           Je suis convaincu que l’entente de règlement est potentiellement pertinente à l’égard, à la fois, de la responsabilité et des dommages-intérêts. Pour ce qui est de la responsabilité, il me semble que l’étendue de la libération que peut avoir accordée le Groupe d’aide ou Mme Des Rosiers peut être potentiellement pertinente pour déterminer la responsabilité de M. Barbe. Il s’agit plus précisément de savoir si des employés, agents ou serviteurs de Radio-Canada ont été dégagés de responsabilité par Mme Des Rosiers ou le Groupe d’aide ou en leur nom.


 

[17]           En ce qui concerne la question des dommages-intérêts, je suis convaincu que le règlement intervenu avec Radio-Canada fait surgir la possibilité d’une double indemnisation de Mme Des Rosiers. Dans le questionnaire qu’elle a rempli et dans la divulgation qu’elle a faite préalablement à l’audience, la Commission a indiqué qu’elle pourrait demander le recouvrement du salaire que Mme Des Rosiers peut avoir perdu à la suite des prétendus actes de M. Barbe. De toute évidence, tout argent que Mme Des Rosiers peut déjà avoir reçu de Radio-Canada pour les pertes de salaire devrait être pris en compte dans la formulation du redressement contre M. Barbe, afin d’empêcher un double recouvrement.

[18]           En ce qui a trait à la demande de dommages-intérêts non pécuniaires, la question de savoir si les dommages-intérêts non pécuniaires versés par l’un des intimés devraient être pris en compte lorsque l’on accorde un redressement similaire contre un intimé différent s’est posée lors de plusieurs cas récents. Contrairement à la position adoptée par l’avocat de la Commission dans le cas présent, la décision du Tribunal dans l’affaire Woiden et autres c. Lynn indique que l’avocat de la Commission a adopté une position diamétralement opposée dans cette cause. Dans Woiden, la Commission a soutenu que le paiement de dommages-intérêts non pécuniaires par un employeur devrait être pris en compte dans les dommages-intérêts imposés à l’auteur du harcèlement lui-même. Le Tribunal a évalué les dommages-intérêts en se fondant sur ce principe. De même, dans l’affaire Bushey c. Sharma , le Tribunal a noté qu’un tel paiement effectué par un employeur pouvait être pertinent dans certaines circonstances. Comme je l’ai relevé précédemment, dans l’affaire Ghosh, la Commission d’enquête de l’Ontario a jugé que des intimés différents peuvent être appelés à verser des dommages-intérêts non pécuniaires distincts.


 

[19]           Il n’est pas nécessaire que j’établisse si les dommages-intérêts non pécuniaires payés par l’un des intimés doivent être pris en compte lorsque l’on accorde un redressement semblable contre un intimé différent à cette étape de la procédure. Je me contenterai de dire que je suis convaincu que le montant de tout paiement effectué par Radio-Canada à Mme Des Rosiers pour ses pertes non pécuniaires est potentiellement pertinent à l’égard de l’évaluation des dommages-intérêts non pécuniaires réclamés à M. Barbe.

[20]           Comme j’ai conclu que certains aspects de l’entente de règlement relative à la plainte déposée contre Radio-Canada sont potentiellement pertinents dans le cadre de la poursuite intentée contre M. Barbe, la question est de savoir si l’entente est privilégiée et de ce fait protégée contre la divulgation.

A.        L’entente de règlement est-elle privilégiée?

[21]           La Commission soutient que l’entente a été conclue dans le cadre du processus de conciliation de la Commission et qu’elle est par conséquent privilégiée. Selon la Commission, le privilège ne s’applique pas seulement aux négociations menant à un règlement, mais également à l’entente de règlement proprement dite. L’entente comporte par ailleurs une clause de confidentialité qui démontre que les parties s’attendent à ce que l’entente demeure privée.

[22]           La Commission déclare que dans ce cas, l’entente ne fait pas partie d’une des exceptions reconnues au privilège découlant d’un règlement. Selon la Commission, les questions relatives à l’interprétation de l’entente ne peuvent se poser qu’à l’endroit des parties à l’entente proprement dite, et non à l’égard d’un tiers qui n’est pas partie à l’entente tel que M. Barbe. Par ailleurs, l’audition de la plainte déposée contre M. Barbe ne soulève pas de question relative à l’interprétation de l’entente et ne crée de ce fait pas de situation exceptionnelle.

[23]           La Commission note par ailleurs que les ententes de règlement visées dans les affaires Woiden et Bushey n’ont pas été conclues dans le cadre du processus de conciliation de la Commission et que ces décisions sont de ce fait d’une espèce différente.

[24]           Radio-Canada soutient que les parties s’attendaient à ce que l’entente demeure confidentielle, principalement afin de protéger les intérêts de Radio-Canada. Aux dires de la Société, si l’entente était divulguée, ses droits seraient lésés. Radio-Canada ne s’étend pas sur l’effet qu’une divulgation aurait sur ses droits.

[25]           Le Groupe d’aide n’a pas fait de présentation sur la question du privilège.

[26]           M. Barbe déclare que les parties opposantes ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait d’établir que l’entente de règlement est en fait privilégiée. M. Barbe affirme que, même si l’entente est privilégiée, le privilège protégeant les règlements a des limites, et il cite les exceptions mentionnées dans Sopinka . Il cite la décision du Tribunal dans Bushey comme faisant autorité à l’égard de l’affirmation que le privilège porte sur les négociations menant à un règlement et non sur l’entente de règlement. Tout en admettant l’intérêt public sous-tendant le principe que les négociations menant à un règlement doivent rester confidentielles, M. Barbe fait valoir qu’une partie ne devrait pas être en mesure, en invoquant la disposition de confidentialité d’une entente de règlement, de poursuivre une tierce partie en violation des modalités de l’entente.

[27]           M. Barbe soutient que la jurisprudence établit que le privilège peut être levé lorsque l’on peut démontrer qu’un document est potentiellement pertinent pour la cause d’une des parties. Il n’a cependant cité aucun document faisant autorité à l’appui de cette affirmation.


 

[28]           Enfin, M. Barbe déclare que le préjudice qu’il subirait si l’entente n’était pas divulguée dépasserait celui que subiraient les autres parties si la confidentialité de l’entente n’était pas préservée.

B.        Analyse

[29]           La requête de M. Barbe m’oblige à parvenir à un équilibre entre deux considérations de principe à la fois importantes et antagonistes : en l’occurrence, l’intérêt public qui consiste à promouvoir le règlement de litiges en matière de droits de la personne et l’exigence en matière d’équité voulant que les parties à un litige en matière de droits de la personne aient la possibilité pleine et entière de comparaître pour présenter leurs positions.

[30]           Deux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne doivent être prises en ligne de compte lorsqu’on détermine comment ces intérêts antagonistes peuvent être résolus. Le paragraphe 47(3) dispose comme suit :

Les renseignements recueillis par le conciliateur sont confidentiels et ne peuvent être divulgués sans le consentement de la personne qui les a fournis.

Le paragraphe 50(4) se lit comme suit :

Il ne peut admettre en preuve les éléments qui, dans le droit de la preuve, sont confidentiels devant les tribunaux judiciaires.


 

[31]           Je me propose d’examiner d’abord la question plus générale de savoir si l’entente de règlement est privilégiée par rapport à une tierce partie dans des circonstances telles que celles qui se présentent dans ce cas. J’examinerai ensuite de quelle manière le paragraphe 47(3) de la Loi s’applique à des ententes de règlement conclues dans le cadre du processus de conciliation de la Commission.

[32]           Pour ce qui est de la question générale du privilège découlant d’un règlement, la loi établit clairement que les négociations menant à un règlement sont soumises au privilège et ne peuvent être divulguées que dans des circonstances bien délimitées. Un principe contraignant d’ordre public sous-tend cette règle: les parties doivent être encouragées à essayer de régler leurs différends par la négociation et ne doivent pas être entravées dans leurs efforts par la crainte que des admissions ou des concessions faites lors des négociations pourraient être utilisées contre elles, dans l’éventualité où les négociations n’aboutiraient pas au règlement du différend.

[33]           La jurisprudence relative à la nature privilégiée des négociations menant à un règlement est relativement claire, mais celle portant sur les ententes de règlement conclues est moins limpide. Bon nombre de débats dans la jurisprudence s’articulent autour de la question de savoir si les négociations menant à un règlement perdent leur caractère privilégié lorsqu’elles aboutissent à une entente. Sopinka laisse entendre que lorsque les négociations menant à un règlement aboutissent à une entente, la preuve à l’égard de ces négociations peut être présentée comme preuve du règlement, lorsque l’existence ou l’interprétation de l’entente est mise en question. Comme l’a noté mon collègue dans l’affaire Bushey, les exceptions citées par Sopinka portent sur la divulgation des négociations menant à un règlement dans des situations précises. Il n’y a aucune référence explicite à la question de savoir si des ententes de règlement peuvent être divulguées, et Sopinka non plus ne laisse pas entendre que les ententes de règlement ne peuvent être divulguées que dans des circonstances exceptionnelles.

[34]           La jurisprudence ne fait pas l’unanimité sur ce point. Dans Derco Industries Ltd. c. A.R. Grimwood Ltd., la Cour suprême de la Colombie-Britannique a permis la divulgation à un plaignant des documents de règlement (y compris les documents portant sur les négociations, de même que l’entente de règlement proprement dite), dans une cause où une entente avait été conclue par plusieurs défendeurs dans un différend portant sur la construction. En ordonnant que le document soit divulgué, la Cour a noté que la pondération d’intérêts divergents peut être différente lorsque la demande de divulgation provient d’un tiers qui n’est pas partie aux négociations, mais dont les intérêts peuvent être lésés par le règlement. Cette décision a par la suite été confirmée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Cependant, la Cour d’appel a expressément refusé d’émettre un avis sur la question de savoir si un tiers qui n’est pas partie aux négociations se trouve dans une situation différente envers les parties elles-mêmes.

[35]           La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a réexaminé la question dans Middelkamp v. Fraser Valley Real Estate Board. Le point en litige dans Middelkamp était la production de documents échangés pendant les négociations menant à un règlement, qui avait abouti à l’établissement d’une ordonnance sur consentement. En établissant que les documents étaient privilégiés et de ce fait non sujets à production, la Cour a réitéré que les documents établis « sous toutes réserves » communiqués au cours des négociations menant à un règlement sont visés par un privilège générique, indépendamment du fait qu’une entente soit conclue ou non. En parvenant à cette conclusion, la Cour a jugé que l’affaire Derco avait été mal tranchée. Il convient de noter, cependant, que la question dans Middelkamp était la possibilité de divulguer des documents échangés pendant les négociations menant à un règlement. La Cour n’avait pas à examiner si l’entente de règlement proprement dite pouvait être divulguée.


 

[36]           Cette distinction a été relevée par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans Ed Miller Sales & Rentals Ltd. v. Caterpillar Tractor Co.; la Cour a examiné si un tiers non partie à des négociations n’aboutissant pas à un règlement pouvait obtenir de l’information sur les négociations pendant un interrogatoire préalable. En concluant qu’un tiers non partie aux négociations n’avait pas le droit d’obtenir la divulgation de la teneur des négociations n’ayant pas abouti, la Cour a établi que l’affaire Derco était différente, en se fondant sur le fait que dans cette affaire, un règlement avait été conclu.

[37]           La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a récemment eu l’occasion d’examiner la question de la possibilité de divulguer une entente de règlement dans British Columbia Children’s Hospital v. Air Products Canada Ltd.; ce cas portait sur un règlement entre un plaignant et plusieurs défendeurs dans le cadre d’une action en justice impliquant plusieurs parties. La Cour a conclu que sa décision antérieure dans Middelkamp constituait une autorité contraignante à l’égard de l’assertion que les ententes de règlement sont privilégiées et de ce fait soustraites à divulgation. Nonobstant cette conclusion, cependant, il semble que la Cour n’ait pas considéré que ce privilège est absolu, car elle a confirmé par la suite la partie de la décision du juge des requêtes exigeant la divulgation de toute disposition de l’entente de règlement qui pourrait être interprétée comme étant une libération, selon le principe qu’elle pouvait éventuellement avoir une pertinence à l’égard de points qui étaient toujours en litige. Il semble donc que la divulgation puisse être ordonnée dans des situations où l’entente de règlement peut être potentiellement pertinente à l’égard de questions qui sont toujours en litige.

[38]           Il convient de se rappeler que ce sont les dispositions de l’entente de règlement intervenue entre le Groupe d’aide et Radio-Canada qui peuvent être interprétées comme une libération à l’égard de M. Barbe que je trouve potentiellement pertinentes à l’égard de la question de la responsabilité dans cette cause.

[39]           La Chambre des lords a examiné la possibilité de divulguer de la correspondance menant à la conclusion d’une entente de règlement dans Rush & Tompkins Ltd. v. Greater London Council and Another. La Cour a conclu que la correspondance envoyée « sous toutes réserves » au cours de négociations menant à un règlement demeure privilégiée, même si une entente est conclue. La correspondance n’a donc pu être admise dans la procédure ultérieure portant sur le même sujet, indépendamment du fait qu’elle impliquait la même partie ou des parties différentes. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a noté qu’en permettant que des admissions faites dans le but d’arriver à un compromis soient utilisées dans une procédure ultérieure on contribuerait à décourager les efforts déployés en vue d’arriver à un règlement. Par conséquent, la Cour a conclu que les négociations menant à un règlement ne doivent pas être divulguées, indépendamment du fait que les négociations aient par la suite abouti à une entente ou non. Dans ce cas encore, la Cour se penchait cependant sur la production de correspondance menant à un règlement, par opposition à l’entente de règlement proprement dite.

[40]           La Cour d’appel anglaise a par la suite eu l’occasion d’envisager l’application de la décision de la Chambre des lords dans l’affaire Rush & Tompkins à une cause où une entente avait été conclue. Dans l’affaire Gnitrow Ltd. v. Cape PLC., la Cour a sursis à une réclamation contre un défendeur jusqu’à ce que le plaignant ait divulgué les modalités d’une entente conclue entre le plaignant et d’autres parties. La divulgation était nécessaire parce qu’il existait un rapport entre ce que le plaignant réclamait du défendeur et l’argent que le plaignant avait dû payer aux autres parties. En rendant cette ordonnance, la Cour a indiqué que chaque cas dans lequel on demandait d’avoir accès à l’entente de règlement devait être examiné à la lumière des circonstances particulières en cause.

[41]           Dans le présent cas, j’ai trouvé qu’il existe une relation possible entre l’argent que le plaignant ou Mme Des Rosiers a reçu de Radio-Canada et les dommages-intérêts réclamés à M. Barbe.

[42]           Pour déterminer si une entente de règlement est privilégiée et de ce fait soustraite à la divulgation, il est utile de se souvenir des raisons d’ordre public qui sous-tendent la reconnaissance du privilège découlant d’un règlement. Comme l’a relevé Sopinka en examinant le privilège lié aux négociations menant à un règlement, [Traduction] « ... la règle d’exclusion avait pour objet de celer une proposition de règlement uniquement en cas de tentative de l’établir comme preuve de responsabilité ou de cause d’action faible, et non quand elle est utilisée à d’autres fins ».

[43]           Si l’on s’en tient à ce principe, il semble que si les négociations menant à un règlement sont privilégiées, indépendamment du fait qu’un règlement soit finalement conclu ou non, l’entente proprement dite, par contre, n’est pas visée par un privilège absolu et peut être divulguée lorsqu’elle se rapporte à des questions encore en litige dans une procédure. Tant et aussi longtemps que l’entente est potentiellement pertinente, sauf en tant qu’aveu, et n’est pas utilisée simplement pour établir la responsabilité d’une partie ou la faiblesse de la position de cette partie, le privilège n’en interdit pas la production.

[44]           Comme j’ai conclu que l’entente de règlement n’est pas visée par un privilège absolu et peut être divulguée lorsqu’elle a trait à des questions en litige en cours de procédure, le paragraphe 50(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s’applique plus. Il reste à établir si le fait qu’une entente a été conclue dans le cadre du processus de conciliation de la Commission influe sur la possibilité de divulguer l’entente.

[45]           La seule jurisprudence dont j’ai connaissance et qui examine cette disposition de la loi est la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Paul. Dans ce cas, le point en litige était le bien‑fondé de fournir aux commissaires de la Commission canadienne des droits de la personne de l’information portant sur les tentatives de conciliation n’ayant pas abouti, y compris une offre de règlement, afin qu’ils les prennent en compte pour décider de la façon de régler l’affaire.

[46]           La Cour a conclu que le paragraphe 47(3) énonçait une interdiction absolue contre la divulgation de toute information reçue par le conciliateur. La Cour a également relevé qu’une telle prohibition était cohérente avec le privilège découlant d’un règlement établi dans la common law portant sur les négociations menant à un règlement et qu’elle était d’autant plus nécessaire à la lumière de la nature obligatoire de la conciliation par la Commission.

[47]           Comme il a été dit plus haut, l’affaire Paul traite la divulgation de négociations menant à un règlement. Il n’a pas été demandé à la Cour de déterminer si une entente de règlement négociée dans le cadre du processus de conciliation pouvait être divulguée. La Cour a relevé, incidemment, que l’article 48 de la Loi exige que la Commission approuve les règlements conclus avant le début des audiences. De l’avis de la Cour, une demande d’approbation de la Commission est assimilée au consentement de divulgation des modalités de l’entente. Cette déclaration incidente peut être interprétée comme signifiant que le paragraphe 47(3) exige que l’on obtienne un consentement pour la divulgation d’ententes conclues dans le cadre du processus de conciliation.

[48]           Il faut cependant prendre en considération le libellé du paragraphe 47(3) lui-même. La version française dudit paragraphe se lit comme suit : « Les renseignements recueillis par le conciliateur sont confidentiels ... », alors que la version anglaise renvoie aux renseignements reçus par le conciliateur en ces termes « ... in the course of attempting to reach a settlement ... ». On peut donc soutenir que la version anglaise ne porte que sur les communications faites pendant les négociations menant à un règlement et non sur l’entente de règlement proprement dite. Cette interprétation serait cohérente avec les considérations d’ordre public examinées plus haut dans cette décision, portant que toute concession ou admission faite par une partie lors d’une conciliation ne peut être utilisée contre elle lorsque l’entente a été conclue.

[49]           Pour ces raisons, je suis d’avis que l’entente de règlement n’est protégée ni par le privilège d’origine législative ni par le privilège de common law.

C.        L’entente doit-elle être produite intégralement?

[50]           Même si j’ai conclu que l’entente de règlement n’est protégée ni par un privilège d’origine législative ni par un privilège de common law, nul ne conteste que l’entente a été conclue par les parties dans l’attente qu’elle demeurerait confidentielle. Dans ces circonstances, je suis d’avis que l’entente ne doit pas être divulguée au-delà de ce qui est nécessaire pour donner à M. Barbe l’occasion de préparer une réponse et une défense complètes à la plainte déposée contre lui. Par conséquence, j’impose certaines modalités à la divulgation.

[51]           Pour garantir que seuls les renseignements confidentiels absolument nécessaires pour garantir une audience équitable soient divulgués, j’instruis la Commission et le Groupe d’aide à remettre un exemplaire de l’entente au greffe du Tribunal dans les cinq jours suivant la présente décision, afin que je puisse l’examiner et garantir que seules les dispositions potentiellement pertinentes soient divulguées à M. Barbe.

[52]           Ce qu’il est permis de considérer comme potentiellement pertinent à ce point dépendra du fait que les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts seront traitées simultanément ou non. Si je me fonde sur les renseignements en ma possession, il semble que seule une partie de l’entente se rapportera vraisemblablement à la question de la responsabilité. Les autres dispositions pourraient être pertinentes pour l’évaluation des dommages-intérêts. À ce point, les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts n’ont pas été dissociées. Je me propose d’examiner le document et de remettre à M. Barbe les parties potentiellement pertinentes à la fois à l’égard des questions de responsabilité et de dommages-intérêts, à moins que je reçoive une requête de l’une des deux parties pour une disjonction de l’audience. Toute requête dans ce sens doit être reçue par le Tribunal dans les sept jours suivant la présente décision.

[53]           Si une demande de disjonction est reçue, seules les dispositions de l’entente potentiellement pertinentes à l’égard de la question de la responsabilité seront divulguées, jusqu’à ce qu’une décision à l’égard de la demande de disjonction soit prise. Dans le cas où le membre chargé d’entendre cette cause décide de scinder l’audience, les dispositions de l’entente potentiellement pertinentes à l’évaluation des dommages-intérêts ne seront pas divulguées à ce moment.

[54]           Dans l’éventualité où la plainte contre M. Barbe est fondée, je reverrai l’entente et j’ordonnerai que les dispositions potentiellement pertinentes à l’égard de la question des  dommages-intérêts soient divulguées.

[55]           La divulgation de toute disposition de l’entente de règlement à M. Barbe est sujette aux modalités supplémentaires suivantes :

i)                    l’entente ne doit être utilisée que par M. Barbe et son avocat aux fins de l’audition de la plainte contre M. Barbe; et

ii)                   aucune copie ne doit être faite d’une quelconque disposition de l’entente de règlement qui est divulguée. Dans les 30 jours suivant la conclusion de l’audience, l’avocat de M. Barbe doit retourner tout document relatif à l’entente qu’il a reçu à la Commission, à moins qu’une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal ait été déposée.

[56]           Il convient de noter que cette décision ne porte que sur la question de la production de l’entente de règlement. C’est le membre qui entendra la cause qui déterminera en définitive si elle est admissible.

[57]           L’avocat de Radio-Canada a demandé que je signale aux parties qu’aucune mention des modalités de l’entente ne sera faite dans la décision du Tribunal. Il ne m’appartient pas de prendre un engagement, au nom du membre qui entendra le fond de la cause, à l’égard de ce qu’il choisira de dire ou de ne pas dire dans sa décision. En fait, il serait hautement innoportun que je le fasse. Si les parties nourrissent quelque crainte à cet égard, elles peuvent faire part de leurs préoccupations au membre qui entendra la cause. De même, toute préoccupation à l’égard de la non-publication du dossier officiel de l’audience devrait être abordée au cours de l’audience.

III.             L’ADDITION DE MME DES ROSIERS EN TANT QUE PARTIE

[58]           La Commission a demandé que l’intitulé de la cause de cette procédure soit modifié de façon à ajouter Mme Des Rosiers en tant que partie. Selon la Commission, Mme Des Rosiers est la personne directement lésée dans cette cause, et la partie à laquelle devraient revenir toutes les indemnisations découlant du redressement. La Commission affirme que l’addition de Mme Des Rosiers comme plaignante éviterait toute ambiguïté lors de la procédure, et ne résulterait en aucun préjudice pour l’intimé.

[59]           M. Barbe s’oppose à cette demande en alléguant que Mme Des Rosiers n’a plus aucun intérêt dans l’affaire.

[60]           Je présume que l’affirmation de M. Barbe est fondée sur ce qu’il croit être la teneur de l’entente de règlement conclue entre Mme Des Rosiers et Radio-Canada. À ce point cependant, il n’y a aucune preuve devant moi donnant à penser que Mme Des Rosiers n’a plus d’intérêt dans l’affaire.

[61]           Je ne suis pas disposé à approuver la demande de la Commission à ce moment. Cette affaire est quelque peu inhabituelle en ce que la plainte a été déposée par une organisation au nom de la personne directement impliquée. Je ne dispose d’aucune information sur la raison pour laquelle Mme Des Rosiers n’a pas déposé plainte elle-même en premier lieu, et je suis de ce fait incapable d’établir s’il conviendrait de lui permettre de se joindre à l’action aussi tardivement.

[62]           En présentant sa demande, la Commission présume également que le Tribunal a compétence pour ajouter un plaignant après que l’affaire a passé par le processus de la Commission, dans de telles circonstances.

[63]           Par conséquent, je reporte la décision relative à la demande présentée par la Commission d’ajouter Mme Des Rosiers comme plaignante afin que le membre chargé d’entendre cette cause y donne suite après qu’un dossier de preuve plus complet aura été déposé.

                                                                                                                 

                                                                                            _________________________________

                                                                                                                  Anne L. Mactavish

OTTAWA, Ontario

le 2 avril 2003


 

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE DOSSIER DU TRIBUNAL :                            T736/4102

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       Groupe d’aide et d’information sur le

                                                                                    harcèlement sexuel au travail de la province

                                                                                    de Québec inc. c. Jean Barbe

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :              le 2 avril 2003

ONT COMPARU :

Linda Smith                                                                  Pour le Groupe d’aide et d’information sur le

                                                                                    harcèlement sexuel au travail de la province

de Québec inc. et Mireille Des Rosiers

Giacomo Vigna                                                 Pour la Commission canadienne des droits de

                                                                                    la personne

Katty Duranleau                                                           Pour Jean Barbe

Thierry Bériault                                                 Pour la Société Radio-Canada

(1992), 17 C.H.R.R. D/216

Il convient de noter que lors d’une conférence antérieure concernant cette cause, la Commission a indiqué que l’entente a été conclue par Mme Des Rosiers, Radio-Canada et le Groupe d’aide.

(2002) 43 C.H.R.R. D/296

2003 TCDP 5

Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, (2e édition) au paragraphe 14.220

Ibid.

Paragraphe 50 (1), Loi canadienne sur les droits de la personne

Sopinka, aux paragraphes 14.201 à 14.224

Société Radio-Canada c. Paul, [2001] ACF no 542, au paragraphe 26 (C.A.)

[1984] B.C.J. no 1979

(1992) 71 B.C.L.R. (2d) 276

[1990] A.J. no 232, Aff’d [1990] A.J. no 573, [1990] 5 W.W.R. 377

[2003] B.C.J. no 591

[1988] 3 All E.R. 737

La Cour d’appel fédérale est parvenue à une conclusion semblable dans Bertram c. Sa Majesté la Reine, [1996] 1 C.F. 756 (CA), et a déclaré que « il ne fait aucun doute qu’une règle ou un privilège d’exclusion s’applique pour protéger la preuve que l’on donne de l’existence des négociations menant à un règlement ». Dans ce cas encore, les observations de la Cour portaient cependant sur les négociations et non sur l’entente. La Section de première instance de la Cour fédérale est parvenue à une conclusion semblable dans Almecon Industries Ltd. c. Anchortek Ltd., [2000] ACF no 2008, qui traitait de la possibilité de divulguer un projet de protocole de règlement.

[2000] 1 W.L.R. 2327

Sopinka, supra, au paragraphe 14.220

Mueller Canada Inc. v. State Contractors Inc., (1989), 71 O.R. (2d) 397. Voir également Hudson Bay Mining and Smelting Co. v. Fluor Daniel Wright, [1997] M.J. no 398 (Man. Q.B.), au paragraphe 37 et Western Canadian Place Ltd. v. Con-Force Products Ltd., [1998] A.J. no 1295 (Alberta Q.B.)

Pour résoudre cette ambiguïté, il faut se reporter à l’avertissement de la Cour suprême du Canada dans Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique, (2001) 204 D.L.R. (4e) 33, que lorsque l’on est confronté à des lois ambiguës, il faudrait inférer que l’intention du législateur était de se conformer au principe de justice naturelle (au paragraphe 21).

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.