Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 16/90 Décision rendue le 19 décembre 1990

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S.C. 1976-77, ch. 33 et ses modifications)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

BRENT L. SPURRELL

Plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

Intimées

TRIBUNAL :

HUGH L. FRASER Président DÉCISION DU TRIBUNAL SUR LA REQUETE VISANT A FAIRE ARRETER LES PROCÉDURES ONT COMPARU :

DAVID BERTSCHI Avocat du plaignant

ALAIN PRÉFONTAINE Avocat des intimées

BRIAN EVERNDEN Avocat des intimées

LCOL R.A. MACDONALD Avocat des intimées

RENÉ DUVAL Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE : 20 septembre 1990 Ottawa (Ontario)

TRADUCTION

Cette affaire porte sur des plaintes déposées conformément à l'alinéa 7a) et à l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne par Brent Spurrell, en date du 22 octobre 1985, contre le ministère de la Défense nationale. Le plaignant alléguait que les intimées avaient fait un acte discriminatoire, fondé sur une déficience, touchant un aspect d'un emploi.

Le 31 octobre 1986, l'enquêteur nommé par la Commission canadienne des droits de la personne a présenté son rapport à la Commission après la fin de son enquête sommaire. L'enquêteur a constaté que, selon la norme d'acuité visuelle appliquée par les intimées à l'égard de l'emploi en cause, la myopie ne devait pas dépasser l'équivalent sphérique de 2.00 dioptries dans chaque oeil. L'enquêteur a également constaté que la vue du plaignant ne satisfaisait pas à cette norme, car sa myopie était de -2.75 dioptries dans chaque oeil. En outre, d'après le rapport de l'enquêteur, les intimées avaient offert au plaignant, en février 1986, la possibilité de faire rouvrir son dossier, mais ce dernier avait refusé. L'enquêteur a aussi fait observer que cette offre était subordonnée à l'obtention par les intimées d'une opinion médicale attestant que le plaignant satisfaisait à la norme d'acuité visuelle.

Le 24 septembre 1987, le président de la Commission canadienne des droits de la personne a informé par écrit les intimées du rejet de la plainte fondée sur l'article 10 (appelée plainte relative à une ligne de conduite), en vertu du sous-alinéa 36(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, parce que la norme d'acuité visuelle constituait une exigence professionnelle justifiée. Toutefois, la plainte déposée conformément à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (appelée plainte personnelle) a été renvoyée à un tribunal. Les intimées soutiennent que la plainte fondée sur l'article 7 n'aurait pas dû être renvoyée à un tribunal. Elles ont donc présenté une requête en vue de faire arrêter la plainte personnelle de Brent Spurrell fondée sur la déficience visuelle. Par cette requête, le tribunal est saisi de la question de savoir si un tribunal est compétent pour statuer sur la plainte fondée sur l'article 7.

Preuve et argumentation

Le premier point soulevé par les intimées concerne le rôle de la Commission des droits de la personne après que l'enquêteur lui a présenté son rapport. La Cour suprême du Canada a étudié cette question dans l'affaire Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Commission canadienne des droits de la personne et Société Radio-Canada et le procureur général du Canada, C.A.F. (1986) 90 N.R. 16, 9 (arrêt rendu le 12 octobre 1989), aux pages 16 et 17 des motifs du juge Sopinka :

«Le paragraphe 36(3) prévoit deux possibilités sur réception du rapport. La Commission peut adopter le rapport si elle est convaincueque la plainte est fondée ou bien rejeter la plainte si elle est convaincue [...] que la plainte n'est pas fondée. Je présume que, dans l'hypothèse de l'adoption du rapport, un tribunal est alors constitué en vertu de l'art. 39, à moins qu'intervienne un règlement de la plainte. J'arrive à cette conclusion parce qu'aucun autre redressement n'est prévu pour le plaignant à la suite de l'adoption du rapport. Cet aspect de la procédure devant la Commission a été élucidé par des modifications apportées à la Loi (S.C. 1985, chap. 26, art. 69). La version actuelle du par. 36(3) se

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trouve au par. 44(3) des L.R.C. (1985), chap. H-6 (modifié par chap. 31 (1er suppl.), art. 64) qui dispose que, sur réception du rapport de l'enquêteur, la Commission peut demander la constitution d'un tribunal si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances, l'examen de la plainte est justifié.

L'autre possibilité est le rejet de la plainte. A mon avis, telle est l'intention sous-jacente à l'al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante.»

Les intimées soutiennent en outre que la Commission ne pouvait pas, en droit, être convaincue que l'examen de la plainte concernant la déficience visuelle était justifié, puisque la plainte fondée sur l'article 10 avait été rejetée au motif que la norme constituait une exigence professionnelle justifiée.

Les intimées ont également affirmé que l'alinéa 15e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne fournissait à la Commission une deuxième raison d'ordre juridique pour ne pas constituer un tribunal chargé d'examiner la plainte fondée sur l'article 7. L'alinéa 15e) est ainsi conçu :

«Ne [constitue] pas [un acte discriminatoire] le fait qu'un individu soit l'objet d'une distinction fondée sur un motif illicite, si celle- ci est reconnue comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne rendue en vertu du paragraphe 27(2)».

Le paragraphe 27(2) de la Loi est ainsi libellé :

«Dans un cas ou une catégorie de cas donnés, la Commission peut, sur demande ou de sa propre initiative, décider de préciser, par ordonnance, les limites et les modalités de l'application de la présente loi.»

Le paragraphe 27(3) dit ceci :

«Les ordonnances prises en vertu du paragraphe (2) lient, jusqu'à ce qu'elles soient abrogées ou modifiées, la Commission, les tribunaux des droits de la personne constitués en vertu du paragraphe 49(1) et les tribunaux d'appel constitués en vertu du paragraphe 56(1) lors du règlement des plaintes déposées conformément à la partie III.»

Selon l'argument des intimées, la Commission, quand elle a rejeté la plainte fondée sur l'article 10, a exercé le pouvoir que lui attribue le paragraphe 27(2), quoique le mot directivene figure pas dans l'en-tête de la lettre portant rejet de la plainte.

L'avocat du plaignant a affirmé que, bien que dans le passé, les tribunaux aient examiné les faits sur lesquels reposait la décision de la Commission de renvoyer l'affaire à un tribunal, ils n'ont examiné l'affaire qu'en

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invoquant des motifs très restreints. Le plaignant a prié le tribunal de se reporter à l'affaire Le syndicat des travailleurs de l'énergie et de la chimie, section locale 916 c. Énergie atomique du Canada Limitée, (1984) S.C.H.R.R. D/2066. On trouve au paragraphe 17574 la déclaration suivante :

«[...] nous estimons qu'il n'existe aucune preuve que la Commission ait abusé du pouvoir discrétionnaire dont elle dispose aux termes de l'article 33 ou 36.»

Le paragraphe 17577 commence par ce qui suit :

«Une question fondamentale ressort de l'étude de tous ces arguments, à savoir si un tribunal constitué en vertu de la Loi est habilité à examiner ou à critiquer la façon dont la Commission a exercé le pouvoir que lui confère la Loi. De l'avis de M. Juriansz, nous n'avons pas la compétence voulue. Cette question a déjà été étudiée dans plusieurs autres causes dont le contexte différait cependant de celui de l'affaire qui nous occupe. Après avoir examiné la façon dont il avait été constitué, un tribunal a jugé qu'étant donné qu'il existait des raisons légitimes de douter de son impartialité, même si ces craintes n'étaient pas fondées sur un article précis de la Loi, on avait eu tort de le constituer (Ward c. Les Messageries du Canadien National et la Commission canadienne des droits de la personne (1981) 1 CHRR D/415). Dans une autre cause, il s'agissait de déterminer si la plainte qui avait donné lieu à la constitution d'un tribunal en était vraiment une (CCDP c. Bell Canada (1981) l CHRR D/265). Le tribunal a conclu qu'étant donné que la plainte ne faisait état d'aucun détail, il n'était pas habilité à l'instruire. Il s'agissait d'une plainte dont la Commission avait pris l'initiative en vertu du paragraphe 32(3) qui l'autorise à agir de la sorte dans les cas où elle a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire. Le tribunal a jugé que la plainte en question n'en était pas vraiment une puisqu'il s'agissait d'une lettre adressée par la Commission à la société; par conséquent, la plainte n'ayant pas été présentée comme il se doit, le tribunal n'avait pas été constitué selon les règles et n'avait pas la compétence voulue pour entendre l'affaire.»

En substance, le plaignant soutient à l'appui de la requête que trois plaintes ont en fait été déposées. Deux de celles-ci ont été renvoyées à un tribunal. La plainte fondée sur l'article 10 et touchant une déficience a été rejetée. Le plaignant a en outre affirmé qu'il n'y avait pas de raison pour que le rejet de la plainte fondée sur l'article 10 implique ipso facto le rejet de la plainte déposée en vertu de l'article 7. Autrement dit, il se peut qu'une plainte fondée sur l'article 10 soit reçue et qu'une plainte fondée sur l'article 7 soit rejetée, et vice versa.

L'avocat de la Commission s'est référé à la décision Syndicat des travailleurs de l'énergie et de la chimie, section locale 916 c. Énergie atomique du Canada Limitée et a soutenu qu'un tribunal était un organisme créé par disposition législative et qu'à ce titre, il n'était investi que des pouvoirs que la loi constitutive lui attribue explicitement, ainsi que de ceux qui sont accessoires ou inhérents à l'exercice de sa compétence. Me Duval a également souligné que la décision de la Commission était soumise au pouvoir de révision de la Cour d'appel fédérale. Dans son arrêt récent S.E.P.Q.A. c. Commission canadienne des droits de la personne, la

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Cour suprême a déclaré que la décision de la Commission canadienne des droits de la personne, parce qu'elle est de nature administrative, doit faire l'objet d'une révision conformément à l'article 18 plutôt qu'en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Néanmoins, la Commission fait valoir que le tribunal n'est pas investi du pouvoir de révision de la décision de la Commission de renvoyer une affaire à un tribunal. La compétence du tribunal en vertu de l'article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est très limitée; elle consiste à examiner la plainte et à accorder la réparation qu'il estime convenable si la plainte est fondée ou à la rejeter, dans le cas contraire. La Commission en conclut que le tribunal n'est pas compétent pour examiner la décision de la Commission de renvoyer l'affaire à un tribunal. De l'avis de la Commission, cette question ne peut être tranchée que par la Cour fédérale du Canada.

La requête des intimées porte sur la question de savoir si le tribunal constitué conformément à la Loi est compétent pour entendre la plainte déposée en vertu de l'article 7 de la Loi relativement à la déficience du plaignant. En se prononçant sur cette question, le tribunal est appelé à examiner la conduite de la Commission canadienne des droits de la personne, qui a d'une part rejeté la plainte fondée sur l'article 10 et d'autre part renvoyé à un tribunal la plainte déposée en vertu de l'article 7. Le tribunal a été prié de prendre en considération la décision Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Commission canadienne des droits de la personne et Société Radio-Canada et le procureur général du Canada et, en particulier, les motifs du juge Sopinka.

J'estime que cet arrêt est très utile, car il éclaire le tribunal sur le rôle qu'il peut jouer dans l'examen de sa compétence. A la page 16 de ses motifs, le juge Sopinka cite le paragraphe 36(3) (maintenant 44(3)) qui dispose que la Commission peut soit adopter le rapport si elle est convaincueque la plainte est fondée, ou bien rejeter la plainte si elle est convaincue [...] que la plainte n'est pas fondée. Le juge Sopinka fait remarquer ce qui suit : Je présume que, dans l'hypothèse de l'adoption du rapport, un tribunal est alors constitué en vertu de l'art. 39, à moins qu'intervienne un règlement de la plainte. J'arrive à cette conclusion parce qu'aucun autre redressement n'est prévu pour le plaignant à la suite de l'adoption du rapport. Il ajoute que cet aspect de la procédure devant la Commission a été élucidé par des modifications apportées à la Loi en 1985.

La Loi porte maintenant que, sur réception du rapport de l'enquêteur, la Commission peut demander la constitution d'un tribunal si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances, l'examen de la plainte est justifié. Dans le cas où la preuve ne suffirait pas pour justifier la constitution d'un tribunal, l'autre possibilité serait le rejet de la plainte. Le juge Sopinka ajoute encore :

«Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. L'intention n'était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l'enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu'est rempli le critère énoncé à l'al. 36(3)a).

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Je conclus donc de ce qui précède que, compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions susmentionnées, il n'y a aucune intention d'astreindre la Commission à l'observation des règles formelles de la justice naturelle. Conformément aux principes posés dans l'arrêt Nicholson, précité, cependant, je compléterais les dispositions législatives en exigeant que la Commission observe les règles de l'équité procédurale.»

Le tribunal a ensuite été prié de se reporter à l'affaire Commission canadienne des droits de la personne et Forces armées canadiennes et Donald Douglas Gaetz. Dans cette affaire, deux plaintes avaient été déposées : l'une, personnelle, en vertu de l'article 7, l'autre, concernant une ligne de conduite, en vertu de l'article 10. Parmi les motifs d'appel invoqués par l'appelant devant le tribunal d'appel, figurait celui-ci : le tribunal de première instance avait commis une erreur en ne se prononçant pas sur l'allégation fondée sur l'article 10 et contenue dans la plainte. Le tribunal d'appel a fait remarquer que, d'après les conclusions du tribunal, le plaignant avait établi que, de prime abord, la plainte paraissait fondée, mais que les intimées avaient fait la preuve d'une exigence professionnelle justifiée conformément à l'alinéa 14a). Le tribunal d'appel a donc conclu que le tribunal de première instance avait estimé que, de prime abord, les articles 7 et 10 avaient été violés. Toutefois, cette violation était contrebalancée par la preuve de l'existence d'une exigence professionnelle justifiée prévue à l'alinéa 14a). Me Préfontaine a fait valoir que la décision Gaetz étayait le principe selon lequel, dans le cas où deux plaintes porteraient sur la même question et opposeraient les mêmes parties, et où l'une des plaintes serait expressément rejetée à cause de l'existence d'une exigence professionnelle justifiée, la deuxième devrait aussi être rejetée. Le tribunal affirme que cet argument vaudrait peut-être si le tribunal était saisi de la question de savoir si le moyen de défense de l'exigence professionnelle justifiée doit s'appliquer à toutes les plaintes, mais l'affaire Gaetz n'est d'aucune utilité pour ce tribunal et ne saurait appuyer la thèse selon laquelle un tribunal est habilité à examiner la décision de la Commission de renvoyer une plainte à un tribunal.

Me Préfontaine a également soutenu que l'alinéa 15e) de la Loi énonce une autre raison pour laquelle la Commission ne pouvait pas constituer un tribunal. Selon l'essentiel de l'argument de Me Préfontaine, la Commission, quand elle a rejeté la première plainte déposée en vertu de l'article 10, a exercé le pouvoir que lui confère le paragraphe 27(2), même si le mot directive ne figure pas dans l'en-tête de la lettre portant rejet de la plainte. Il a soutenu en outre que, par suite de la lettre de rejet de la plainte fondée sur l'article 10, il n'était plus possible pour la Commission d'être convaincue qu'un nouvel examen était justifié. Je n'accepte pas l'argument des intimées selon lequel la lettre de la Commission, qui rejetait la plainte fondée sur l'article 10, peut être tenue pour une directive qui empêche de renvoyer la plainte à un tribunal, et je ne considère pas que la lettre de M. Fairweather constitue une directive au sens de l'article 27.

Me Bertshi, avocat du plaignant, s'est référé à l'affaire Le syndicat des travailleurs de l'énergie et de la chimie, section locale 916 c. Énergie atomique du Canada Limitée, précitée, dans laquelle il s'agissait de trancher des questions préalables soulevées par Énergie atomique du Canada Limitée. Dans l'affaire de la Section locale 916, la Commission a émis

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l'avis que le tribunal des droits de la personne n'est pas habilité à statuer en appel sur les décisions de la Commission ni à examiner ou à critiquer la façon dont la Commission a constitué un tribunal. Après avoir étudié la décision Ward c. Les Messageries du Canadien National et la Commission canadienne des droits de la personne, (1981) 1 CHRR D/415 et l'affaire CCDP c. Bell Canada, (1981) 1 CHRR D/265, le tribunal conclut :

«L'affaire [Bell] traitait d'un déni de justice naturelle, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Dans les affaires Ward et Bell, l'examen par le tribunal de la façon dont la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire était directement lié à la question de sa compétence d'entendre l'affaire, tout comme dans le cas qui nous occupe, ce qui signifie que si nous jugions que la Commission s'est trompée dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, notre propre compétence s'en trouverait mise en doute. Dans les cas du genre de ceux dont il a été question plus haut et dans celui qui nous occupe, on ne peut affirmer que la Commission jouisse d'un pouvoir discrétionnaire absolu. Cependant, d'après les éléments de preuve qui nous ont été soumis, la Commission n'a pas abusé de son pouvoir discrétionnaire en s'abstenant de suggérer au syndicat d'épuiser les autres voies de recours.»

La question de l'exercice abusif du pouvoir discrétionnaire de la Commission est un élément important dont ce tribunal doit tenir compte en décidant s'il est habilité à statuer sur la plainte fondée sur l'article 7. Je reviens aux propos du juge Sopinka dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie, où il a dit que la Commission était tenue d'observer les règles de l'équité procédurale.

Dans cette espèce, les intimées n'ont pas soutenu que la Commission avait fait preuve de mauvaise foi ou qu'elle n'avait pas observé les règles de l'équité procédurale. Pour l'essentiel, l'argument des intimées veut qu'en toute logique, si la Commission a rejeté la plainte fondée sur l'article 10 pour la raison qu'elle a conclu à l'existence d'une exigence professionnelle justifiée, elle devrait réserver le même sort à la plainte déposée conformément à l'article 7. Le tribunal affirme que, si la Commission avait eu l'intention de rejeter la plainte fondée sur l'article 7, parce qu'elle a conclu à l'existence d'une exigence professionnelle justifiée, elle aurait certainement pu le manifester clairement au moment de rédiger la lettre et il n'appartient pas au tribunal de s'interroger ou de conjecturer sur les motifs pour lesquels la plainte fondée sur l'article 7 et celle déposée en vertu de l'article 10 n'ont pas été l'objet d'une décision identique.

Plainte

Le tribunal souscrit à l'argument de Me Duval, avocat de la Commission, selon lequel la compétence du tribunal est limitée et repose sur les pouvoirs que lui attribue la Loi sur les droits de la personne, en particulier, aux articles 49, 50 et 53. Le paragraphe 49(1) est ainsi conçu :

«La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer un tribunal des droits de la personne, appelé dans la présente partie le tribunal, chargé d'examiner la plainte,

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si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l'examen est justifié.»

«(1.1) Sur réception d'une demande présentée en application du paragraphe 44(3), le président du Comité du tribunal des droits de la personne constitue un tribunal chargé d'examiner la plainte visée par cette demande.»

Aux termes du paragraphe 50(1),

«[l]e tribunal, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, examine l'objet de la plainte pour laquelle il a été constitué; il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.»

Conclusion

Le tribunal a un mandat tout à fait clair, aux termes du paragraphe 50(1). Il doit examiner la plainte et donner à toutes les parties la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations. Un tribunal ne peut être constitué que si la Commission a décidé que l'examen de la plainte est justifié. Le tribunal peut légitimement mener son enquête avec l'assurance que la Commission a estimé que l'examen était justifié. L'article 53 dit qu'à l'issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte qu'il juge non fondée.

Par conséquent, ce tribunal conclut qu'en l'absence de preuve montrant que l'affaire a été renvoyée au tribunal sans que la Commission soit convaincue que l'examen de la plainte était justifié, le tribunal doit exercer ses fonctions conformément aux dispositions de la Loi. Le tribunal conclut donc qu'il est compétent pour statuer sur la plainte déposée en vertu de l'article 7 de la Loi et il est disposé à recevoir des éléments de preuve concernant la plainte dès que les parties seront à même de comparaître devant le tribunal.

FAIT à Ottawa, le 3 décembre 1990.

Le président,

Hugh L. Fraser

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