Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

D.T. 5/90 Décision rendue le 29 mars 1990 LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE, L.R.C. (1985), ch. H-6, et ses modifications

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

ALAIN RIVARD

Plaignant

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

et

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

L'intimée

DÉCISION DEVANT : Niquette Delage

ONT COMPARU : René Duval pour la Commission canadienne des droits de la personne

Alain Préfontaine et le major Gouin-Boudreau pour les Formes armées canadiennes

DATES ET LIEUX DES AUDIENCES : Les 6 et 7 septembre 1989 à Montréal (Québec) et le 30 octobre 1989 à Ottawa (Ontario)

1

1: Constitution d'un Tribunal des droits de la personne

Cette constitution remplace la constitution d'un Tribunal des droits de la personne en date du 20 décembre 1988.

En vertu du paragraphe 49 (1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, je constitue, par la présente, un Tribunal des droits de la personne se composant de Niquette Delage, de la ville de Montréal, dans la province de Québec, chargé d'examiner la plainte de Alain Rivard en date du 14 octobre 1986, telle que modifiée le 10 juillet 1987, contre les Forces armées canadiennes, et de déterminer si les actes décrits dans la plainte constituent un acte discriminatoire fondé sur la déficience en matière d'emploi en vertu de l'alinéa 7 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Fait à Toronto, ce 5e jour de septembre 1989. Sidney N. Lederman Q.C.

2: La plainte

Le 14 octobre 1986 est déposée à la Commission des droits de la personne une plainte de M. Alain Rivard. Une modification à cette plainte est apportée le 10 juillet 1987.

Le Tribunal est saisi de la plainte suivante:

«On a refusé de considérer ma candidature pour des postes de commis à l'administration en raison de ma déficience physique (problème à un genou) en contravention de l'article 7 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Après avoir été reclassifié par les médecins de l'armée (G3- O3) à cause de mon problème de genou, j'ai demandé à être considéré pour des postes de commis à l'administration auxquels j'étais éligible selon ma catégorie et apte à remplir malgré mon problème de genou. En septembre 1985, j'étais renvoyé de l'armée. J'ai appris depuis que 13 cours de formation avaient été offerts pour des postes de commis entre septembre 1985 et avril 1986 à des personnes ayant été acceptées à ces postes.» (HRC- 1)

Il convient de noter que M. Rivard n'est pas représenté devant le Tribunal, et, qu'en son nom, le procureur de la Commission canadienne des droits de la personne, (ci-après désignée comme étant la Commission), prévient, dès le point de départ, que «M. Rivard n'a rien à ajouter». (p. 4, du Volume I des transcriptions).

3: Les faits

M. Alain Rivard est milicien considéré comme homme d'équipage (p. 36) dans les Hussards de Sherbrooke, une unité blindée affiliée au 12 RBC, depuis six ans, lorsqu'en août 1980 il s'enrôle dans l'armée canadienne comme soldat. On fixe sa catégorie médicale à G2O2. Il devient homme d'équipage dans une unité, le 12e Régiment blindé du Canada cantonné à Valcartier, où il est arrivé le 14 septembre 1980 (p. 37). Il y conduit des véhicules, est canonnier, équipe les véhicules, Lynx, Cougar, etc. (pp. 41 à 48).

En avril 1984, M. Rivard est victime d'un accident sur le champ Termoli à Valcartier. En voulant grimper sur une échelle afin d'atteindre le toit d'un camion d'un quart de tonne, il reçoit sur la jambe gauche ladite échelle qui s'est détachée au moment où il a posé le pied dessus.

Le résultat? «Un saignement en bas de la jambe où c'était grafigné, et il y avait la marque de l'échelle, mais en haut ça pas saigné», d'expliquer M. Rivard. (p. 78 du Volume 1 des Transcriptions) M. Rivard se présente au médecin qui se trouve sur le champ de tir à ce moment-là; on

2

lui donne des médicaments. A la fin de la journée, il revoit le médecin qui le fait évacuer, et lui dit d'aller voir un médecin le lendemain matin.» (p. 79). Le lendemain matin, M. Rivard se rend à l'hôpital: «ils ont pris des radiographies de la jambe, puis là, veut veut pas, on voyait qu'il avait commencé à avoir une fusion de sang à l'intérieur, la jambe commençait à devenir rouge», (pp. 79-80). Un peu plus loin dans son témoignage, M. Rivard dit:

«R: Durant la nuit ça me faisait mal, j'ai même très mal dormi cette nuit-là. Le lendemain matin vers quatre heures du matin je me suis aperçu qu'il y avait du sang à l'intérieur, c'est devenu rouge. J'ai attendu au matin à six heures et demie quand je suis allé à la base.

Q: Vous n'avez pas mis de compresses ni rien?

R: Non, j'ai gardé la jambe élevée dans les airs.

Q: Et là vous vous présentez à la parade des malades?

R: Là je me suis présenté à la parade des malades le lendemain matin, suite à l'accident, et là il y a eu des prises de radiographies et tout ça.

Q: Les médecins qui étaient là est-ce que c'était des généralistes ou s'il y avait des spécialistes?

R: C'était des généralistes qu'il y avait là, madame.

Q: Et une fois que les radiographies ont été faites qu'est- ce qui s'est passé?

R: Une fois que les radiographies ont été faites, il y avait le genre de pansement qu'il y avait vis-à-vis la grafigne. Ça ils l'ont changé puis là ils m'ont donné d'autres pilules pour enlever l'enflure au niveau de la jambe puis ils m'ont retourné à l'unité en voulant dire retourne à l'unité, travaux légers, jambe élevée.

Q: Puis le genou dans tout ça?

R: Le genou il faisait mal. J'avais beau leur dire que ça faisait mal mais là il dit il faut attendre que ça désenfle pour voir qu'est-ce qu'il y a là-dedans parce que là la jambe était venue, au bout d'une semaine, du genou jusqu'à la cheville le pied était tout bleu, c'était venu tout bleu à la grandeur.» (pp. 80, 81. Volume 1 des Transcriptions).

Dans les 15 jours qui suivent, M. Rivard qui est affecté à des travaux légers en raison de sa blessure à la jambe, revoit un médecin à plusieurs reprises. On constate l'enflure de la jambe, du genou à la cheville. Des soins sont prodigués à M. Rivard qui se voit donné un congé de maladie d'une semaine. De retour à son unité, M. Rivard s'adonne à des travaux légers. Sa jambe a pris du mieux. Il peut marcher, mais il y a une bosse sur le côté de la jambe. M. Rivard est assigné à des travaux administratifs. Pendant l'été M. Rivard se marie, puis il est transféré à Gagetown où il rejoint son unité. Sa jambe a conservé une enflure, dit-il, mais il effectue un travail normal pendant une semaine (p. 16, p. 18). Il y voit un médecin civil affecté à la base qui lui donne une semaine de congé, et lui prescrit des traitements de physiothérapie, après avoir diagnostiqué un hématome sur l'intérieur de la jambe. (p. 17).

Puis, M. Rivard voit un médecin militaire et fait de la physiothérapie; une visite au Dr Menzies, un chirurgien, se solde par la décision d'extraire l'hématome. L'opération a lieu en août 1984. (pp. 19, 20). M. Rivard est absent de Gagetown pendant sa convalescence, qui est

3

ajoutée à ses vacances annuelles, et il y revient pour effectuer, en garnison, du travail partiel, car une unité en garnison a moins de travail à faire que lorsqu'elle est en campagne. Éventuellement, M. Rivard se plaint d'une douleur, et le médecin qu'il consulte en septembre l'envoie consulter les Drs Menzies et Phillips, chirurgiens-spécialistes. On détermine alors que sa catégorie médicale est, du moins temporairement, G4O4. (p. 22). On procède à un arthrogramme puis à une arthroscopie qui est une radiographie du dedans du genou que l'on examine alors à l'aide d'une lunette. (p. 24). On ne décèle rien. Les traitements de physiothérapie continuent, et M. Rivard essaie de reprendre ses activités normales dans son régiment. (p. 24, p. 96). Éventuellement, M. Rivard se plaint d'une douleur quand il a à effectuer un saut de trois à quatre pieds pour rejoindre le sol en quittant un char Lynx.

Le Conseil médical de révision des carrières détermine en janvier 1985 que la catégorie médicale de M. Rivard est G3O3 «avec restrictions». (p. 25, p. 97). Ce sont : pas de course, pas de marche pour plus d'une heure, pas de station debout prolongée, pas de sauts. Étant donné la situation, M. Rivard rencontre un gérant de carrière en janvier 1985. Le document qui identifie la nature du problème de M. Rivard est daté du 17 janvier 1985.

«This man has chondromalacia patella». Tel est le rapport du médecin Scott Cameron. La fiche d'examen médical du Caporal Rivard, datée du 29 janvier 1985 indique, elle aussi, dans la Section «observations et/ou conclusions d'ordre médical, consécutives à l'examen: Chondromalacia patellae has been unresponsive to restricted duties and medical management. Reviewed by Dr Phillips who recommends permanent category with restrictions as below». (p. 97). C'est en février 1985 qu'il demande à devenir commis d'administration, puisqu'il ne peut plus être homme d'équipage. Il dit qu'il n'avait pas le choix; il connaissait les exigences. (p. 28). Il ne s'informa pas des cours requis. Il voulait un métier pour rester dans l'armée. (p. 29). Il discuta par après avec le commis de son unité, et apprit qu'il y avait un entraînement (cours) de base à St-Jean d'Iberville. (p. 30). Il s'agissait de 11 cours. (p. 33). Il «savait ce qui se passait» (p. 99). Entre février 1985 et septembre 1985, il travailla comme aide menuisier (p. 99), de 7h à 16h (p. 100). Il prit ses vacances annuelles pendant l'été 1985, et de retour, demande en septembre 1985 des nouvelles de son changement de métier. (p. 32).

La réponse qu'il reçoit en novembre 1985 est négative. (pp. 32, 101, 102). Sa demande de changement de métier est refusée pour raison médicale. Il est déclaré inapte au métier indiquent les documents officiels (pp. 33, 102).

L'armée doit donc le libérer pour des raisons médicales.

«Me DUVAL:

Q: Maintenant, monsieur Rivard, vous avez dit que le changement de métier on vous l'avait refusé et qu'on vous avait dit que c'était à cause d'un problème médical. Est-ce qu'on vous a dit quel problème médical?

R: Non, ils m'ont pas dit rien. Ils m'ont dit que ça avait été refusé point. Et avec les dates de libération sur la lettre et là je m'en allais avec ça.

Q: Mais est-ce qu'on vous a dit la raison pour laquelle on vous avait refusé le changement de métier? C'est ça ma question.

R: Peut-être à cause des restrictions qu'il y avait avec la

4

catégorie médicale G3O3.

Q: Pourquoi dites-vous peut-être?

R: Parce que je ne suis pas sûr. Ils ne me l'ont jamais dit.

Q: Ils ne vous l'ont jamais dit?

R: Non.

Q: La chose vous était refusée?

R: Oui.

Q: Pour votre libération toutefois on vous a dit pourquoi vous étiez libéré?

R: Oui, on me libérait sur des raisons médicales qui étaient mon G3O3.

Me DUVAL: Je n'ai pas d'autres questions.» (pp. 34, 35).

M. Rivard décide de quitter l'armée immédiatement, soit dès le 6 décembre 1985, alors qu'il pouvait rester jusqu'en juillet 1986. (p. 102)

Le 3 février 1988, M. Rivard, voit à la demande de la Commission canadienne des droits de la personne, (p. 55) un orthopédiste, le Dr Roger Morcos, qui procède à une arthroscopie et détermine, sans avoir vu le dossier médical de l'armée (p. 56), que M. Rivard souffre de chondromalacie patellaire. Le certificat médical qu'il délivre à M. Rivard indique que ce dernier doit s'adonner à un travail sédentaire. (p. 58). Au moment où M. Rivard se présente devant le Tribunal canadien des droits de la personne, il est chauffeur de camion chargé de livraisons. (p. 8).

4: La preuve

M. Rivard avait décidé d'une carrière militaire. Il savait à quoi s'attendre. Il connaissait le milieu, du fait d'avoir été milicien pendant six ans. Il passa les examens médicaux requis, et fut classifié, quant à la cote médicale, G2O2. Sans vouloir reprendre les longues explications données par certains témoins sur la cote médicale, le Tribunal juge à propos de résumer les propos tenus surtout par les Docteurs Smallman et Bélanger, respectivement orthopédiste et généraliste; le major Bibeau a lui aussi fourni des renseignements intéressants. (pp. 138, 153, 174, 175, 176, 437, 438, 439).

Le Tribunal emprunte surtout au témoignage du Docteur Bélanger, colonel dans les Forces armées canadiennes, les explications suivantes. Il existe donc dans l'armée un système de classification: «Normes médicales applicables aux Forces canadiennes». «Système de notation et de limitations qui décrivent l'aptitude d'un individu à servir dans les Forces armées canadiennes, et un peu plus précisément à servir dans certains groupes professionnels militaires des Forces armées canadiennes» (OAFC-34- 30, onglet 2, paragraphe 3 du Cahier de documents du Colonel Bélanger et p. 541 du Volume 3 des Transcriptions). «(...) Système GO qui est basé sur les facteurs «G» et «O» le facteur géographique et le facteur opérationnel ou fonctionnel: ce système comporte six cotes...» (p. 542).

Ledit système établit la condition du militaire par rapport à l'emploi qui est envisagé au sein de l'armée. Les six cotes?

V pour acuité visuelle CV pour acuité de perception chromatique H pour acuité auditive G pour facteur géographique O pour facteur professionnel ou occupationnel A pour aptitude au vol

5

Cotes numériques aussi. Il y en a six de 1 à 6, 1 étant le meilleur, et 6 le pire. Et la même chose s'applique tant au facteur G qu'au facteur O.

Le facteur géographique (G) est constitué de trois sous-facteurs:

1) climatique susceptibilité au climat

2) environnement

a) le logement et les conditions de vie b) les conditions de travail

3) soutien médical

a) la fréquence de la nécessité b) le niveau des soins.

Qu'en est-il maintenant des commis d'administration, et des tâches qu'ils doivent accomplir compte tenu de ce qui précède?

«R: Les commis d'administration ne sont pas obligés de faire un travail aussi ardu qu'on s'attend de l'homme de troupe des armes de combat, et ils peuvent souffrir de légères afflictions qui peuvent leur demander d'être déployés dans moins d'endroits plus restreints que les troupes d'équipage,» d'expliquer le Dr Bélanger.

«Le commis d'administration d'abord peut être employé dans les trois (3) environnements, soit dans la Marine, l'Aviation ou l'Armée, d'une façon interchangeable. L'homme de troupe, l'homme d'équipage ou la personne d'équipage, pardon, n'est employée que dans l'environnement de l'Armée, l'Armée de terre, quoiqu'il peut avoir des affectations en garnison, soit avec la Milice, comme instructeur, ou dans des écoles, soit à Gagetown. Mais le commis d'administration, lui, va être apte à aller partout, mais on s'attend quand même de la personne d'équipage. Il doit cependant être capable de faire, en modération, le même travail que n'importe quel autre soldat: creuser sa tranchée, camoufler son véhicule, être capable de travailler sous les Tropiques ou dans l'Arctique, être capable de faire son métier en campagne, dans des terrains assez rugueux et raboteux ou être capable de faire son travail à bord d'un vaisseau de la Marine au milieu du roulis et du tangage.

Le travail de commis d'administration est quant même aussi un travail qui demande un certain effort physique, même en garnison, pour faire certaines tâches qui nous paraissent assez banales.

Q: Par exemple?

R: Par exemple: le commis au comptoir va travailler quatre (4) heures de temps, des fois sans arrêt, debout derrière un comptoir, on a tous vu ça. Un commis, c'est un commis, c'est un «va "cri"», comme on dit en anglais un «gofer», «go for this and go for that», «va "cri" ci puis va "cri" ça», «va quérir» si vous préférez. Ils font certaines tâches, si vous me permettez, madame la Présidente, qui semblent banales; il est facile devant un classeur de regarder les dossiers qui sont sur le troisième (3e) ou le quatrième (4e), mais reste que vous avez affaire au premier (1er), à ce moment-là il n'est pas facile d'aller chercher les documents, et c'est dur sur les genoux, on l'a tous fait, alors lorsqu'il faut quérir des documents ainsi assez souvent dans le jour, ça demande quand même une bonne forme physique.

Q: Et quand vous dites le premier (1er), vous voulez dire le tiroir le plus bas du classeur et le quatrième (4e) le tiroir supérieur?

R: Exactement. L'inférieur et le supérieur. Trimbaler des boîtes comme vous en avez une d'un étage à l'autre, aller à la malle porter des colis, transporter son dactylo, le monter à bord du camion de cinq (5) tonnes et puis, dans un petit escabeau, sans appui, le monter, le

6

descendre, ça demande quand même un travail physique qui est assez grand. Au point de vue de stress mental, et bien il y a toujours des urgences: «Cette chose-là je veux l'avoir tout de suite», «ce message- là je veux qu'il parte hier»; plus on travaille dans un grand bureau, quelquefois plus il y a de panique; le patron n'est pas toujours facilement identifiable, comme dans un endroit ici au quartier général où il y a tellement de patrons que pratiquement il n'y a pas de patron parce que tout le monde est patron, parce qu'il y a toute une hiérarchie de patrons en partant du sergent en montant jusqu'au lieutenant-colonel, il y a énormément de personnes interposées, alors ça demande un état de santé assez bon pour être commis d'administration, surtout au début, c'est-à-dire comme soldat et caporal lorsqu'on commence dans ce métier-là, on commence au bas de l'échelle où les tâches manuelles sont les plus grandes.»

Toujours dans la contexte médical, le Tribunal a retenu des témoignages qu'en 1984-85 l'armée ne comptait qu'un orthopédiste; les médecins militaires assignés aux diverses bases à travers le Canada étaient des généralistes ayant reçu une formation de base en orthopédie, suffisante pour leur permettre de traiter les soldats dont l'état nécessiterait des soins de ce genre.

M. Rivard a été vu 60 fois par des médecins et à trois reprises par des chirurgiens entre avril 1984, date de son accident et janvier 1985, moment où il apprend qu'il est devenu inapte à exercer le métier d'homme d'équipage.

Soldat avant tout

Tous les témoins présentés au Tribunal par l'intimée ont affirmé que l'engagement premier de toute personne qui s'enrôle dans l'armée est de devenir soldat, en tout temps le soldat, quelle que soit sa fonction, homme d'équipage, artilleur, commis d'administration, cuisinier ou autre, est et demeure un soldat. Il embrasse la carrière militaire pour une raison: défendre son pays contre une attaque ennemie. Et la milice? La milice regroupe des personnes qui, à temps partiel, notamment les weekends, s'adonnent à des activités militaires. A partir du moment où M. Rivard a abandonné l'état civil pour se joindre à l'armée, et endosser l'état militaire, il a fait le passage, d'après ce que le Tribunal a compris, du temps partiel dans la milice au plein temps dans l'armée.

Le soldat est, d'abord et avant tout, un soldat, et si un état de guerre existe, il doit être en mesure d'accomplir son travail de soldat pour lequel il a été formé. Il ressort donc qu'une personne qui oeuvre au sein de l'armée dans un poste administratif par exemple, ne peut oublier sa vocation première, même si ses tâches quotidiennes n'impliquent pas le port d'arme, comme c'est le cas du militaire dans le champ; ce dernier s'adonne, de façon suivie, à des exercices de tir, à des opérations diverses qui le mettent en contact avec des conditions de combat qui seraient vraisemblablement celles auxquelles il aurait à faire face advenant un conflit armé. C'est dire qu'un individu, homme ou femme, n'est pas recruté dans l'armée comme commis de bureau en tout premier lieu, mais comme soldat, et est toujours appelée à prendre les armes selon les besoins: ayant été formée comme soldat, la personne ne sera pas prise au dépourvue.

Elle pourra agir comme soldat et prêter main forte à ses compagnons d'armes.

Les témoignages nous ont appris aussi que les personnes affectées à des tâches «non-militaires», donc à des tâches administratives par exemple,

7

sont appelées à reprendre du service militaire afin de ne pas s'engourdir dans leurs tâches sédentaires. Le Tribunal est conscient de cette logique puisqu'elle découle de l'engagement pris par les recrues de l'armée: elles commencent par être des soldats, et le demeurent en tout temps jusqu'à leur libération ou leur mort à toutes fins utiles.

«Soldat d'abord», un mot d'ordre qui, dès la page 77 du Volume 1 des transcriptions fait son apparition. On y fait allusion encore aux pages 165, 175, 202, 209, 253, 333 et 567, entre autres. Chacun des six témoins appelés devant le Tribunal par le procureur des Forces armées canadiennes reprend cette sorte de profession de foi, ce qui n'a rien d'étonnant.

La sollicitation de recrues ne laisse aucun doute: c'est la vie militaire qui est offerte; pas une carrière de cuisinier, de menuisier, etc. Le Tribunal a pris bonne note, également, du fait que les Forces armées canadiennes sont dépêchées à l'étranger dans le cadre des opérations du maintien de la paix, (p. 136), notamment à Chypre (p. 140), où, d'ailleurs, M. Rivard a été stationné d'avril à octobre 1983, et où il a côtoyé des commis d'administration. (pp. 62 à 69, 137, 143). M. Rivard a posé des questions au commis d'administration affecté à son unité à Chypre.

Il dit, en réponse aux questions posées par le procureur de l'intimée, avoir su que les commis d'administration étaient appelés à servir dans des unités de combat, sur les navires, avec les Forces de l'ONU à l'étranger, dans les unités statiques sur les bases, etc. (pp. 62-63). Les troupes canadiennes vont un peu partout, en Syrie et en Israël, en Namibie, par exemple. (p. 146).

De plus, a noté le Tribunal, s'il est possible qu'un soldat passe toute sa carrière dans un endroit donné, ce n'est pas là une règle générale. Bien au contraire. Les soldats sont envoyés dans différentes bases au Canada et dans le Grand Nord canadien aussi. Ainsi, M. Rivard a séjourné à Valcartier, puis à Gagetown. Par ailleurs, des membres des Forces armées canadiennes peuvent se retrouver sur des navires, le Canada maintenant une armée de terre, de mer et de l'air. (Livre Blanc sur la défense de 1971, exposé du Gouvernement canadien en matière de défense, politique de défense du gouvernement du Canada, p. 135, Volume 1 des Transcriptions).

Le problème médical

Le problème qui a amené la libération de M. Rivard, parce que devenu inapte au métier, se situait au niveau du genou.

Au moment de l'accident dont il fut victime, il n'eut pas mal au genou. Cette douleur se manifesta plus tard. (p. 79). Le tribunal trouve une première mention sur un problème de genou dans le document daté du 4 septembre 1984, produit à l'onglet 12 du cahier de documents du Dr Smallman, et intitulé: Rapport de consultation externe: «today, cpl Rivard also relates another problem and that is of his left knee locking on extension when he is running...» (pp. 422, 423, Volume 2 des Transcriptions).

Aucun des documents consultés par le tribunal avant cette date ne mentionne le genou gauche. Il n'est toujours question que de la jambe gauche. On rapporte a «full knee and ankle «ROM» le 25 juin 1984 (onglet 6). ROM veut dire que «le genou a une bonne rangée, que le mouvement est complet», ainsi que l'explique le Dr Smallman en commentant l'inscription du 9 octobre 1984, qui apparaît à l'onglet 2, (p. 432, Volume 2 des Transcriptions) et ou l'on mentionne: «L Knee full ROM.» Ls signification

8

de ROM (range of motion) ne fut mise en lumière qu'à la page 432. «Il mentionne un coude barré en plus de la douleur à sa jambe,» d'ajouter le Dr Smallman. (p. 79). Contre-interrogé par le Procureur de la Commission, il indique, aux pages 473, 474 et 475:

«Me Duval:

Q. Supposons par exemple qu'on a un individu qui vient consulter neuf fois pour douleur ou genou avec oedème et un hématome apparent.

R. Non, je pense que c'est pas vrai ce que vous dites.

Q. C'est pas vrai ce que je dis?

R. Non. La plupart des visites que vous avez mentionnées sont pour le traitement local de cette abrasion. Dans les premières quatre ou cinq on parle de l'abrasion et le traitement local. Durant cette période on note l'oedème et c'est ainsi de suite.

Q. Docteur, est-ce que ça n'est pas exact que dès le 28 avril 84 on a une note d'oedème?

R. Oui.

Q. Et à chaque fois, évidemment on s'entend pour dire qu'à chaque visite il est relaté que l'individu se plaignait d'avoir mal au genou. Le mal est toujours là. Il n'a pas disparu ce mal-là.

R. Non, ce n'est pas vrai. On parle d'oedème, on parle d'une abrasion de jambe mais c'est pas marqué...dans la plupart des évaluations ce n'est pas un problème de genou qui est marqué.

Q. Docteur, à un moment donné là on va faire une chirurgie pour drainer le genou et enlever un hématome assez important qui est allé en pathologie là, on a vu l'analyse tantôt. Est-ce que vous affirmez qu'une personne peut avoir un hématome de cette grosseur-là dans le genou et ne pas avoir de douleur au genou? Est-ce que c'est votre témoignage?

R. L'hématome c'est pas dans le genou. L'hématome c'est dans les tissus du mollet.

Q. Dans les tissus du mollet et c'est là qu'il avait son hématome.

R. Oui. C'est pas dans le genou. Ce n'était pas considéré je pense comme un problème de genou selon ce que je vois ici. Durant le traitement de cette blessure le patient a commencé à avoir des plaintes du genou et la plupart du traitement initial était pour résoudre le problème, soit l'hématome qui était là.

On a déjà noté que l'oedème n'est pas un vrai problème et que c'est quelque chose qui arrive souvent, presque totalement toujours là après des blessures de jambe.»

Des radiographies de la jambe de M. Rivard furent faites à l'hôpital dès le lendemain de son accident, ainsi qu'il l'explique lui-même. On nota une rougeur de la jambe. Lui a-t-on prescrit d'appliquer des compresses humides sur la jambe? Non. (pp. 79 et 80). Le Tribunal a noté que M. Rivard parle tout d'abord d'une rougeur qui se serait manifestée à l'hôpital. (p. 80). Au moment de son examen, elle aurait été évidente.

Puis, plus tard dans son témoignage, il mentionne que la rougeur était apparue alors qu'il était à la maison. (p. 80).

Au bout d'une semaine, dit-il, sa jambe est devenue bleue. (p. 81).

Les médecins qui l'avaient vu lui avaient recommandé de maintenir sa jambe élevée, et de ne faire que des travaux légers. Les dits travaux, explique- t-il, s'accomplissaient dans un endroit auquel il avait accès par un

9

escalier comportant deux série de marches qu'il empruntait le matin, puis le midi pour aller déjeuner et en revenir, puis en fin d'après-midi en quittant son lieu de travail où il effectuait des tâches cléricales. (p. 87).

M. Rivard, suivi par les médecins, se voit alors mis en congé de maladie, pendant une semaine, parce que, nous dit-il, son genou fait des siennes et que l'enflure de la jambe est plus prononcée. (pp. 8, 84). Mais cet état s'améliora pendant sa semaine de repos, explique-t-il. (p. 84). M. Rivard s'est déplacé à l'aide d'une canne. (pp. 83, 118, 119). Il a aussi circulé avec des béquilles. (p. 118).

M. Rivard n'a pas vu de spécialiste à ce moment-là, ni de médecins civils. (p. 80). Il aurait pu consulter un médecin civil, en dehors de la base sur son propre temps, mais il lui aurait alors fallu débourser de sa propre poche, car une fois devenu soldat, il n'était plus éligible à la carte d'Assurance-santé du Québec, les soins prodigués par l'armée étant gratuits. Des médicaments? Il en prit pendant deux semaines dans le but de faire désenfler sa jambe. (pp. 85, 86).

Il fut opéré une première fois pour extraire l'hématome qui s'était formé (p. 94).

Après avoir été transféré à Gagetown, il se déclara insatisfait des traitements qu'il suivait à ce moment-là; il avait subi un nouvel examen de son genou qui le faisait de nouveau souffrir. (p. 91). Sa jambe était encore enflée quoique moindrement. La douleur au genou persistait, selon M. Rivard, à qui on prescrit, derechef, des traitements de physiothérapie. (p. 95). Éventuellement, il est opéré: arthroscopie après qu'on lui eut fait un arthrogramme. (pp. 433, 434, Volume 2 des Transcriptions) (p. 91 et p. 435, Volumes 1 et 2 des Transcriptions). M. Rivard reprit ses activités normales; mais, il constata que les exercices physiques lui causaient de la douleur. (pp. 96, 97).

Quand, en novembre 1985, M. Rivard apprit qu'il ne pouvait accéder à un poste de commis d'administration, parce qu'inapte au métier, il choisit de partir le 6 décembre 1985, car il ne voulait pas faire les «devoirs» jusqu'en juillet 1985.

«Le Tribunal:

Q: Qu'est-ce que c'est des devoirs?

R: Sur la base ça peut être que tu vas travailler comme responsable de baraques, tu vas passer la nuit-là à surveiller pour voir s'il n'y a pas de problème dans la baraque ou dans la bâtisse, des affaires de même. Tu peux faire ça peut-être sept, huit fois...tu peux te ramasser avec sept, huit devoirs dans un mois tandis que d'habitude tu en as un ou deux au mois. Alors tu as un surplus de travail à cause que tu t'en allais. Alors j'ai décidé de quitter le plus tôt possible. Ça sert à rien de rester là, ça m'en donnait pas plus de toute façon.» (pp. 102-103, Volume 1 des Transcriptions).

A-t-il fait appel de la décision de le libérer de l'armée? (p. 103 et suivantes). Non. Il n'a logé aucun grief. Le pouvait-il? Certainement.

En vertu de l'article 27 de la Loi sur la défense nationale qui porte sur le redressement des griefs dans l'armée. (p. 103, p. 120, Volume 1 des Transcriptions). M. Rivard dit ne pas avoir été au courant de ce recours. (pp. 104, 105, Volume 1 des Transcriptions). A-t-il pris connaissance du document qui mentionnait explicitement cette possibilité d'appel? Non. Ce document serait celui qui lui annonce sa libération. (pp. 119, 120, Volume

10

1 des Transcriptions). Or, plus tôt dans son témoignage, M. Rivard dit ne pas avoir jamais vu le document intitulé « National Defense Headquarters, Career Medical Review Board, 7 novembre 1985, «Career Disposition» que lui présente le procureur de la Commission. (p. 10, Volume 1 des Transcriptions).

Plus tard dans son témoignage M. Rivard répond au procureur de la Commission:

«R: Non. Ils m'ont pas dit rien. Ils m'ont dit que ça avait été refusé point. Et avec les dates de libération sur la lettre et là je m'en allais avec ça». (Le souligné est de nous) (p. 34, Volume 1 des Transcriptions).

Le Tribunal n'a pu examiner le document de libération, soit la lettre à laquelle M. Rivard fait allusion. Ce document contenait-il l'information portant sur un appel de la décision? Le procureur de l'intimée situe, pour sa part, une telle mention sur «le document annonçant votre libération» (p. 120, Volume 1 des Transcriptions).

A défaut d'avoir pu éclaircir ce point au moment des audiences, le Tribunal se voit obligé de conclure que M. Rivard avait décroché; lui qui avait fait un choix conscient d'une carrière militaire, semble avoir fait un choix, conscient ou non, de ne pas se débattre pour obtenir des explications et, bien plus, une révision de son cas. (pp. 106, 107).

Or, cette décision l'affectait grandement, ainsi que l'a souligné le procureur de la Commission lorsqu'il mentionna: «C'est très important parce qu'on est dans un domaine, madame, où on joue avec l'avenir professionnel des individus.» (p. 482, Volume 2 des Transcriptions). Ce commentaire faisait suite à l'objection du procureur de l'intimée qui jugeait que le procureur de la Commission débordait le cadre du contre-interrogatoire en laissant entendre que la décision de libérer M. Rivard avait été peut-être précipitée, hâtive. Le Tribunal est d'accord avec le procureur de la Commission quant à l'importance de prendre son temps avant de décider. Et, à son humble avis, M. Rivard aurait dû poser des questions, de sorte que son départ de l'armée fut moins amer et moins rapide. Après tout, il pouvait rester jusqu'en juillet 1986. Il choisit de quitter un mois après l'annonce de sa libération, soit le 6 décembre 1985, et rien n'indique qu'entre le 7 novembre 1985 et le 6 décembre 1985 il ait posé quelque geste que ce soit pour «renverser la vapeur», si on peut dire.

«Me Préfontaine:

Q: Vous avez répondu tout à l'heure à une question de Me Duval qu'on vous avait pas informé des motifs de votre libération.

R: Non. On m'a simplement dit que j'étais unfit pour le commis d'administration. J'ai pas cherché à en savoir plus long.

Q: Vous saviez ce que ça voulait dire?

R: Bien unfit, en bon français ça veut dire que tu ne fais pas l'affaire.

Q: Vous saviez que c'était à cause de votre catégorie médicale?

R: Ils disaient à cause du G3O3. Je ne comprenais pas le pourquoi parce que le G3O3 c'est une norme qu'on peut avoir un métier de commis d'administration. Peut-être à cause des restrictions, mais même là encore je ne comprenais pas.» (pp. 73, 74, Volume 1 des Transcriptions).

Par ailleurs, le Tribunal a pris connaissance du document du 7 novembre 1985, en consultant le Cahier de documents du Capitaine Davis à

11

l'onglet 5. A sa face même, ce document ne comporte aucune mention d'une possibilité d'appel. Serait-elle à l'endos? Impossible de le savoir. D'après ce qu'il nous dit aux pages 110 et 112 du Volume 1 des transcriptions, M. Rivard, était conscient de la description des tâches d'un commis d'administration (p. 110), et qu'elle comportait une mention à l'effet de prendre part à des opérations, (p. 112), tout comme il savait pouvoir retourner dans une unité de combat, (p. 113) une fois remis sur pied, ce qu'il avait fait d'ailleurs. (pp. 96-97).

Le procureur de la Commission a attiré l'attention du Tribunal sur le fait que, de septembre 1985 à avril 1986, 13 cours de formation pour commis d'administration furent dispensés et que 260 commis ont été formés. (p. 122).

Dans leur exposé, les Forces armées canadiennes traitent du rôle que joue l'armée au Canada et à l'étranger; de sa structure; de ses exigences médicales; de la nécessité de remplir toutes les fonctions apparaissant dans la Monographie générale (p. 116, Volume 1 des Transcriptions), en raison des besoins au pays ou à l'étranger, le Canada participant, de façon continue, aux opérations de paix dans divers pays.

Or, l'armée a connu, dans les années 1980, une pénurie de personnel.

(p. 177). De plus, les femmes n'avaient pas accès à certains postes qui étaient réservés aux hommes. En raison de la pénurie, et de l'absence de femmes dans des postes hors des bases, sur les navires par exemple, certains membres des forces armées devaient, plus souvent qu'à leur tour, être de service; un système de rotation devait leur permettre de «changer le mal de place», si l'on peut dire. La nature des tâches à accomplir, et les lieux où elles se déroulaient justifiaient cette rotation qui ne s'exerça cependant pas.

En ce qui a trait aux tâches qu'accomplissait M. Rivard comme homme d'équipage, cote médicale G2O2, le Tribunal a dénoté au moins 22 activités répertoriées dans la transcription du témoignage du Capitaine Davis, à compter de la page 272 du Volume 2 des transcriptions.

La preuve révèle que M. Rivard ne pouvait reprendre le service comme homme d'équipage. Il lui fallait changer de métier, et, étant donné sa nouvelle cote médicale permanente, G3O3 avec restrictions, il devait, en consultation avec le gérant des carrières, examiner les postes pertinents.

Son choix se porta sur un poste de commis d'administration.

«Me Préfontaine:

Q: Le premier, le plus simple, vous mentionnez que vous avez consulté un petit livret dans lequel les tâches de commis d'administration étaient décrites.

R: Oui.

Q: Vous en avez consulté qu'un?

R: Plusieurs.

Q: Plusieurs?

R: Oui.

Q: Vous savez probablement que dans les Forces armées il y a trois niveau de brochures qui sont applicables à chaque membre des Forces armées, d'abord une monographie générale qui explique quelles sont les tâches du membre des Forces armées en tant que membre des Forces armées?

R: H'mmm-H'mmm.

Q: Ce qui est commun à tout le monde.

R: Oui.

12

Q: Vous avez également des monographies...

R: S'il vous plaît, un instant là. J'aime bien tes questions mais je vais t'expliquer qu'est-ce que j'ai eu à Gagetown quand je suis allé là. Il y avait un beau gros livre, description du métier à l'intérieur, cotes médicales en bas et c'est ça que j'ai vu. Description du métier dedans. C'est juste ça que j'ai vu.

Q: Alors vous avez donc pas vu la première brochure qui s'appelle monographie générale qui est applicable à tout le monde?

R: Non.

Q: Vous n'avez pas vu non plus la monographie qui est particulière à l'environnement dans lequel vous exercez votre métier, par exemple le milieu de la Terre ou le milieu de la Mer?

R: Non.

Q: Vous avez pas consulté ces monographies-là?

R: J'ai pas pu les consulter moi, c'est le livre qu'ils m'ont donné quand je suis entré, on était dans un genre de petite salle puis il y avait des livres sur les cent quelques métiers de l'armée.

Q: En bref la seule chose que vous avez regardée c'est les tâches particulières au métier de commis à l'administration?

R: J'ai fait le tour.» (pp. 116, 117, 118, Volume 1 des Transcriptions).

Quand il obtient sa réponse, il put constater que l'on avait établi, compte tenu des restrictions dont s'assortissait sa cote médicale: «on medical grounds, being disabled and unfit to perform his duties in his present trade or employment, and not otherwise advantageously employable under existing service policy. (p. 334 et HRC-2).

Que faut-il comprendre de cet énoncé « unfit to perform his duties in his present trade»? M. Rivard ne peut retourner dans son régiment blindé comme homme d'équipage du fait qu'il ne peut accomplir les tâches prescrites, ni participer aux activités prévues. Donc, du côté de son métier actuel (present trade), la question est réglée.

Qu'en est-il du reste de l'énoncé? Le Tribunal comprend que M. Rivard, doté d'une nouvelle cote médicale qui, en principe, devrait lui permettre d'avoir accès à un autre métier, se fait dire: «non, ce métier- là, celui de commis d'administration, ne vous est pas accessible.»

Pourquoi? Parce que, -(et c'est la preuve déposée par les Forces armées canadiennes) - même si la cote G3O3 pouvait lui ouvrir des portes, le fait que ladite cote soit assortie de restrictions précises rend cette perspective impossible. Qui plus est, en 1985, de nouvelles directives consignées dans un premier avis daté du 24 octobre 1984, avis en vigueur jusqu'au 31 décembre 1985, puis prolongé indéfiniment par un deuxième avis daté du 30 décembre 1985, rendent inaccessible un poste de commis d'administration, à un soldat affecté des problèmes de M. Rivard.

Que dit cet avis?

13

October 24, 1984

REMUSTER TO ADM CLK 831

RESTRICTION

Refs: A. CFAO 11-12 B. ADM CLK 831 - TRADE REVIEW 1983

1. Remuster referrals to ADM CLK 831, for all remuster types at ref A, must be fit for field and/or sea duty for remuster selection purposes. This proviso will be effective until 31 Dec 85.

2. Ref B identified specific remuster problems in the ADM CLK trade ratio of fit to unfit males, and the direction at para one to this memorandum is a consequence of the trade review disclosure. The subject shall be further addressed in the 1984 trade review.

J.E.P. Lalonde Col DPCAOR 2-1106

14

December 30, 1985

REMUSTER RESTRICTION INTO ADM CLK 831

Refs: A. 5077-1 (DPCAOR) 24 Oct 84 B. Minutes of the Annuel Adm Clk Trade Review 1151-1

(PCOR/CLK/PM)

dated 5 Jul 85

1. The reference A proviso requiring that remuster selections for Adm Clk 831 be fit for field and/or sea duty is hereby extended indefinitely. This direction satisfies the reference B recommendation to alleviate the trade problem associated with medically unfit personnel in trade.

R.G. Hurley Col DPCAOR 992-1106

15

Que faut-il comprendre de ces deux directives? Le Capitaine Verville explique:

Me Préfontaine:

Q: Et que nous dit cette directive-ci?

R: Cette directive nous a dirigé de ne pas accepter aucune application pour un reclassement dans le métier de commis d'administration dans laquelle l'individu en question n'est pas apte à remplir les fonctions dans un milieu de champ, ou navire, ONU, et cetera, jusqu'au 31 décembre 1985.

Q: Les Forces armées ont-elles fait un suivi du problème? On a vu sous l'onglet 4 qu'on avait étudié l'état du métier en 83 et on a fait une recommandation qui a donné cette ordonnance que vous venez de nous décrire. Par la suite les Forces armées ont-elles fait un suivi de la question?

R: Le suivi c'est le...si on tourne à l'onglet 6, on retrouve essentiellement le même rapport annuel que l'on vient de voir...

Q: Pour quelle année?

R: Pour l'année 1984 qui est l'année suivante, et dès la première page qui est en effet un résumé bref du rapport, on voit en premier lieu au paragraphe 1 a. que le problème avec le personnel masculin inapte à remplir les positions de champ, de navire, et cetera, existe encore.

Q: Alors quelle a été la conséquence de ça?

R: La conséquence de ça c'est que, je crois à l'onglet 7 il y a une note de service qui a été rédigée encore par les mêmes autorités qui ont rédigé la première et ce que ça dit en effet c'est que la restriction qui a été imposée auparavant était demeurée en vigueur pour une période indéfinie.

Q: Alors cette restriction qui exigeait qu'avant d'être reclassé d'une autre occupation à l'occupation de commis d'administration il fallait être capable d'exercer dans le champ ou sur un bateau était prolongée indéfiniment.

R: Exactement.» (pp. 390, 391 du Volume 2 des Transcriptions).

Il ne fait aucun doute que M. Rivard ne pouvait devenir, dans les circonstances, un commis d'administration étant donné les obligations imposées aux commis d'administration de servir, non seulement sur terre, mais également en mer, et ce, de façon systématique. Sur terre, les commis d'administration doivent, entre autres choses, répondre au comptoir, et peuvent y passer de longs moments debout. La restriction imposée par les médecins à M. Rivard, à ce chapitre pour ne mentionner que lui, l'empêchait donc d'accomplir cette tâche-là en particulier.

De plus, il n'est pas question qu'il aille en mer, de toute évidence.

Par ailleurs, les commis d'administration sont appelés à accomplir différentes tâches telles que décrites à la page 374 du Volume 2 des Transcriptions. Ils font partie de la force de défense de la base à laquelle ils sont affectés. (p. 181, Volume 1 des Transcriptions). Cela veut dire qu'ils auront, à un moment donné, à faire de la marche, de la surveillance, etc. (p. 182 et suivante).

Les soldats sont censés être mobiles, l'armée pouvant avoir besoin d'eux à divers endroits, dont Alert, au Moyen-Orient aussi, à Chypre, en Allemagne ou ailleurs dans le monde. Les soldats sont également appelés à

16

venir en aide aux civils (p. 147) dans certaines circonstances, ce qui exige d'eux des déplacements, des stations debout, de la course également, et quoi d'autre encore? Les commis d'administration, faut-il le rappeler, sont d'abord et avant tout des soldats, et ils n'échappent pas à ces divers devoirs dont ils sont informés au point de départ. En raison des restrictions imposées à M. Rivard, le fait qu'il ne puisse participer à ce genre d'activités créait un autre empêchement à son accession à un poste de commis d'administration.

On est donc en présence d'un cas qui ne laisse aucun doute sur le problème qui se pose. La solution appliquée par l'armée? M. Rivard ne pouvant plus être un soldat, il ne reste plus qu'à le laisser aller, à le libérer, quoi!

Le procureur de la Commission a tenté de démontrer que M. Rivard n'aurait pas été placé dans la situation de quitter l'armée s'il avait reçu des soins appropriés à son véritable état. Le procureur des Forces armées canadiennes s'est objecté à cette conclusion, et le Tribunal partage son avis.

Pourquoi? Parce que les problèmes de genou ne sont apparus qu'en cours de route. M. Rivard a été traité immédiatement sur le champ de tir où il se trouvait au moment de l'accident. Dans les jours, les semaines et les mois qui ont suivi, M. Rivard a reçu des soins médicaux. Les interventions chirurgicales pratiquées le furent aux moments où elles ont été jugées nécessaires par les médecins traitants.

Un diagnostic fut posé: chondromalacie patellaire. Toutes les questions posées par les deux procureurs et par le Tribunal lui-même, le convainquent que les Forces armées canadiennes ont prodigué à M. Rivard les soins qu'il était en droit d'attendre d'elles. Et d'ailleurs, M. Rivard dit lui-même,

«Q: Est-ce que vous avez raison de croire que vous avez été maltraité?

R: J'ai pas été maltraité.» (p. 59, Volume 1 des Transcriptions).

Les décisions prises par les médecins au sujet des problèmes que M. Rivard leur indiquait, sont consignées par écrit, de même que leurs constatations, leurs recommandations, leurs commentaires et leurs ordonnances. Ces professionnels de la santé ont agi, ainsi que la preuve le démontre, à la lumière des faits.

En ce qui a trait aux radiographies, le témoignage non contesté du plaignant est à l'effet qu'on y a procédé dès le lendemain de l'accident.

De son côté, le procureur de la Commission situe les premières radiographies au 28 juin 1984, trois mois après l'accident, ce qui, selon lui, démontrait un manque de la part des médecins consultés par M. Rivard. Lues attentivement, les réponses du Dr Smallman révèlent ceci: (p. 467 et suivante) La blessure ne fut pas identifiée comme une torsion du genou, contrairement à ce que soutient le procureur de la Commission. On a plutôt conclu, semble-t-il à «une contusion, une frappe, une abrasion de la jambe». Ainsi s'exprime l'orthopédiste pour contester la qualification faite par ledit procureur. La question des radiographies proprement dite est soulevée par le procureur de la Commission à la page 468. Le Docteur Smallman ne se prononce pas catégoriquement sur la question de l'absence de radiographies entre avril et juin 1984. A la page 473, il nuance l'affirmation du procureur de la Commission:

17

«Q: Vous êtes d'accord avec moi, docteur, pour dire que lorsqu'un individu a eu un accident au genou le 24 avril 84, attendre au 28 juin 84 pour faire une radiographie c'est un peu beaucoup?

R: Comme j'ai mentionné, ça dépend de ce qu'on voit à l'examen.

Q: Supposons par exemple qu'on a un individu qui vient consulter neuf fois pour douleur au genou avec oedème et un hématome apparent.

R: Non, je pense que c'est pas vrai ce que vous dites.

Q: C'est pas vrai ce que je dis?

R: Non. La plupart des visites que vous avez mentionnées sont pour le traitement local de cette abrasion. Dans les premières quatre ou cinq on parle de l'abrasion et le traitement local. Durant cette période on note l'oedème et c'est ainsi de suite.

Q: Docteur, est-ce que ça n'est pas exact que dès le 28 avril 84 on a une note d'oedème?

R: Oui.

Q: Et à chaque fois, évidemment on s'entend pour dire qu'à chaque visite il est relaté que l'individu se plaignait d'avoir mal au genou. Le mal est toujours là. Il n'a pas disparu ce mal-là.

R: Non, ce n'est pas vrai. On parle d'oedème, on parle d'une abrasion de jambe mais c'est pas marqué...dans la plupart des évaluations ce n'est pas un problème de genou qui est marqué.

Q: Docteur, à un moment donné là on va faire une chirurgie pour drainer le genou et enlever un hématome assez important qui est allé en pathologie là, on a vu l'analyse tantôt. Est-ce que vous affirmez qu'une personne peut avoir un hématome de cette grosseur-là dans le genou et ne pas avoir de douleur au genou? Est-ce que c'est votre témoignage?

R: L'hématome c'est pas dans le genou. L'hématome c'est dans les tissus du mollet.

Q: Dans les tissus du mollet et c'est là qu'il avait son hématome.

R: Oui. C'est pas dans le genou. Ce n'était pas considéré je pense comme un problème de genou selon ce que je vois ici. Durant le traitement de cette blessure le patient a commencé à avoir des plaintes du genou et la plupart du traitement initial était pour résoudre le problème, soit l'hématome qui était là. On a déjà noté que l'oedème n'est pas un vrai problème et que c'est quelque chose qui arrive souvent, presque totalement toujours là après des blessures de jambe.

Q: Mais pendant toute cette période-là il se promène en béquilles, n'est-ce pas, et à l'occasion il utilise une canne?

R: Je ne suis pas sûr de ça puisque il y a une annotation qui indique des béquilles et une autre qui indique une canne et ce n'est pas clair s'il marchait ou non durant cette période.

Q: Le 30-4-84 on dit: «doit continuer à utiliser une canne (douleur).» C'est bien ça?

R: Oui.

Q: En tout cas en date du 30 avril 84, c'est six jours après son accident, voici un individu que l'on soigne à l'origine pour des

18

égratignures et qui se promène encore avec une canne parce que c'est douloureux.

R: H'mmm-h'mmm.

Q: Vous ne pensez pas, docteur, que c'était le temps de faire une radiographie? Honnêtement là, entre nous.» Le Tribunal ne peut tirer une conclusion dans le sens que le souhaite le procureur de la Commission, car selon lui, il faut s'en remettre aux évaluations faites par les différents médecins de M. Rivard, et apprécier les jugements médicaux rendus, ainsi que les décisions prises en toute connaissance de cause.

Les médecins furent-ils à la hauteur de la situation? Le Tribunal estime, quant à lui, que ce débat ne peut se dérouler devant lui. Il appartient à un autre tribunal de trancher la question soulevée par le procureur de la Commission. La prétendue « incompétence» des professionnels de la santé que le procureur de la Commission a introduite dans ses interventions n'est pas en cause ici.

Le Tribunal a, cependant, pris note de certains facteurs qui ont pu rendre la vie de M. Rivard moins facile, et compliquer sa récupération, notamment le fait qu'il ait pris du poids en raison du manque d'exercice, sa jambe le forçant, - toujours selon la preuve déposée, - à accomplir des tâches plus sédentaires. (p. 119, Volume 1 des transcriptions et p. 454, Volume 2 des transcriptions).

Le Tribunal a aussi pris bonne note du fait que les médecins ont commenté, de la façon suivante l'état de la situation de M. Rivard: (pp. 119, 120)

«Me Préfontaine:

Q: Et quand on s'est rendu compte suite à l'opération que la douleur de votre genou ne disparaissait pas vous avez dit à Madame la Présidente que là on a dit il y a un problème particulier, on pensait qu'en enlevant l'hématome ça allait le régler mais ça ne l'a pas réglé et qu'il y a quelque chose d'autre et on a continué à faire enquête. On a fait les opérations que vous avez décrites. N'est-il pas exact que le médecin qui vous traitait vous aurait fait mention de l'impact que votre poids pourrait avoir sur votre genou. Il vous a mentionné en fait que vous étiez un peu trop gros, un peu trop corpulent?

R: Oui, j'ai maigri. Si vous avez remarqué dans mon dossier médical, j'ai tombé au poids de 165 livres ou 160 livres dans le temps que j'étais à Gagetown. J'ai tombé puis ça faisait encore mal.

Q: Je comprends, mais y avait un problème initialement avec votre poids?

R: Oui, mais j'ai maigri. J'ai poigné le poids de 160 livres...165 livres je pense à ma libération.» (pp. 119-120, Volume 1 des transcriptions - contre-interrogatoire par l'intimée.)

La question du poids est, de nouveau soulevée au cours de l'interrogatoire du Dr Smallmann:

«R: Et aussi il a suggéré qu'il devrait être vu et suivi par le système de la base pour réduire son poids.

Q: Et dans l'opinion du docteur Menzies, je comprends donc que la corpulence du Caporal Rivard peut être une source de problème pour son genou.

R: Oui.

19

Q: Enfin, ça peut contribuer.

R: Oui, exactement.» (p. 454, interrogatoire en chef du Docteur Smallman par le procureur de l'intimée, Volume 2 des transcriptions, document du 19 décembre 1984 signé par le Dr Menzies)

Autre chose notée par le Tribunal, ce commentaire du Dr Menzies:

«These problems are undoubtedly going to take a long time to resolve themselves and I am really seriously at this point questioning whether or not there is not some secondary gain involved in his prolonged recovery course.»

Un commentaire sybillin s'il en est un! Le Tribunal a donc cherché un éclaircissement, et il s'est vu confirmer que M. Rivard avait à faire face à ces problèmes d'un ordre autre que médical, ce qui rendait sa situation plus difficile encore. (p. 451, Volume 2 des transcriptions.)

«La présidente:

Q: Q'est-ce que ça veut dire ça?

Me Duval: Est-ce qu'on pourrait me situer. Je m'excuse.

La présidente: La dernière phrase, pas tout à fait la dernière phrase.

Le témoin: C'est une question que à chaque fois qu'on voit un problème qui ne va pas bien, on se demande s'il y a quelque chose d'autre qui fait partie du problème. Ca peut être toutes sortes de choses, des choses que l'on appelle psycho-sociales et des problèmes de maison, des problèmes d'enfants, des problèmes de volonté, toutes des choses comme ça peuvent être une partie du problème.

La présidente: Qui rentrent en ligne de compte.

Le témoin: Exact.

La présidente: Et affecter le redressement de la situation.

Le témoin: Exact.» (pp. 451 et 452, interrogatoire en chef du Docteur Smallman par le procureur de l'intimée, Volume 2 des transcriptions. Document 28 produit par l'intimée pour le témoignage du Docteur Smallman.)

La cote médicale de M. Rivard a fait l'objet de nombreuses questions et réponses ainsi que l'on a pu le constater. Ce que le Tribunal a retenu, c'est qu'à compter du 24 octobre 1984, toute nouvelle recrue de l'armée qui se voyait attribuer une cote G3O3 devait être apte à la campagne et à la mer. M. Rivard demanda à devenir commis d'administration en janvier 1985, car sa cote de G3O3 avec restrictions lui fut communiquée à ce moment là. (pp. 23, 24, 26 du Volume 1 des transcriptions.)

Doit-on assimiler M. Rivard à une nouvelle recrue de l'armée qui se fait dire en janvier 1985: -(après qu'elle a reçu sa cote médicale de G3O3 avec restrictions, et qu'un poste de commis d'administration lui est, en principe, accessible) - «il vous faut être apte à la campagne et à la mer, sinon pas de poste de commis d'administration?»

Ou bien, M. Rivard, étant déjà dans un métier, pouvait-il y rester? Voyons l'échange de questions et réponses aux pages 605 et suivantes du Volume 3 des transcriptions:

«Me Duval:

Q: En révisant brièvement tous ces métiers-là, Colonel, est- ce que je me trompe en pensant qu'il n'y a pas de catégorie moindre que G3O3, c'est-à-dire que quand on regarde la liste des métiers, pour chaque métier on regarde le «G» et le «O», il n'y a jamais rien d'inférieur à

20

G3O3.

R: D'accord.

Q: Est-ce que je dois conclure de ça, Colonel, qu'un non- officier dont la catégorie médicale va en deçà ou en bas de G3O3, cesse d'être employable dans n'importe quel de ces métiers-là?

R: Non, ça serait une fausse conclusion.

Q: Ça serait une fausse conclusion.

R: Oui. Une personne qui aurait un G4 ou un O4 ne pourrait pas entrer dans un métier, mais une personne qui est déjà dans un métier aurait continué à oeuvrer dans ce métier à la suite d'une décision du Conseil de révision des carrières.

Q: C'est peut-être parce que j'ai mal compris le document; je pensais qu'on parlait de la catégorie minimum pour chacun des métiers dans ce document-là.

R: Oui.

Q: Mais est-ce que c'est minimum au sens de minimum à l'enrôlement ou minimum pendant toute la durée de la carrière?

R: Minimum lors de la première affectation dans ce métier.

Q: D'accord. Alors est-ce à dire qu'un individu qui est dans un de ces métiers-là, prenons le cas dont on a discuté antérieurement du commis d'administration, d'accord?

R: Oui.

Q: On sait que c'est G3O3.

R: Oui.

Q: Est-ce à dire qu'un individu qui était commis d'administration et un jour, pour différentes raisons, il y a une condition médicale qui entraîne une réduction de sa catégorie à mettons G4O4, que ce gars-là pourrait rester commis d'administration?

R: Oui.

Q: Il pourrait.

R: Il pourrait.

Q: Donc c'est la première fois que la personne entre dans le métier qu'on va exiger qu'elle ait le minimum qui est marqué là, G3O3.

R: C'est ça.

Q: Mais si un individu qui est un commis à l'administration, sa catégorie médicale tombe à G4O4, vous nous dites qu'il peut rester dans le métier; ça veut dire, n'est-ce pas, parce qu'il est G4O4, il ne sera pas différent d'un autre individu, il ne pourra plus aller à la mer, il ne pourra plus aller aux champs, enfin il y a un certain nombre d'affectations auxquelles il ne pourra pas être assigné.

R: D'accord.

Q: Je comprends. Si vous pouvez, Colonel, prendre deux (2) documents que vous avez déjà examinés avec mon confrère, les documents neuf (9) et dix (10); à un, on décrète une politique provisoire puis l'autre, comme vous l'avez expliqué, décrète une politique permanente. Est-ce qu'il est bien exact de dire là qu'on parle de ce qui s'est produit, que des gens qui étaient des commis aux écritures, qui étaient des G3O3 avec restrictions, qui étaient pendant un certain temps, retenus dans leur travail à cause de cette nouvelle politique-là, ne le seraient plus, c'est bien ça?

R: Non.

Q: Non?

21

R: Cette politique dit que pour l'entrée initiale dans le métier de commis administration 831, il fallait que l'individu soit apte à la campagne et à la mer.

Q: D'accord. C'est donc dire qu'avant ça on n'exigeait pas ça. Jusqu'à l'arrivée du document neuf (9).

R: D'accord.» Le Tribunal juge que M. Rivard ne pouvait avoir accès au poste de commis d'administration pour deux raisons.

  1. Parce que sa cote médicale G3O3 avec restrictions l'en empêchait, et
  2. parce que les nouvelles exigences imposées aux commis d'administration d'être aptes à la campagne et à la mer, et ce, à compter du 24 octobre 1984, l'en empêchaient.

En prévenant M. Rivard que sa libération avait été recommandée par le Conseil médical de révision des carrières, les Forces armées canadiennes ont-elles agi à l'encontre de l'article 7 a) de la Loi canadienne des droits de la personne, comme le stipule la plainte? Ou ont-elles, au contraire, convaincu le Tribunal qu'elles pouvaient invoquer avec succès l'alinéa 15 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la décision de libérer M. Rivard, en raison de son incapacité à remplir une exigence professionnelle réelle, étant justifiée?

Le Tribunal s'est fait expliquer à la page 154 du Volume 1 des transcriptions pourquoi il était important de remplir toutes les fonctions qui sont le lot des soldats là où ils oeuvrent; on lui a aussi décrit les conséquences de l'absence de participation aux activités d'un soldat qui n'est pas «opérationnel» (pp. 155 et suivantes).

Un commis d'administration a des tâches précises à remplir, telles que décrites aux pages 160, 161, 163, 166, 167, 168, 169 et 170, ainsi qu'aux pages 179 et 181, pour ne mentionner qu'elles.

Outre les travaux cléricaux qui constituent le service soutien de combat, un commis d'administration est appelé à remplir d'autres tâches, dont celles de soutien au combat, soit donc de poser des gestes de soldat:

  1. utilisation des armes au cas où l'organisation à laquelle il appartient est menacée, ou au cas où sa propre vie est menacée,
  2. capacité de réagir physiquement aux conditions présentées par la situation (p. 165 interrogatoire du Major Bibeau, Volume 1 des Transcriptions).

Tout au long des divers témoignages rendus devant le Tribunal, on a fait état du contexte particulier dans lequel évolue l'armée canadienne, et on a souligné à l'intention du Tribunal la différence entre la vie civile et la vie militaire.

S'il est vrai qu'en principe, M. Rivard, du fait de sa cote médicale G3O3, pouvait remplir les fonctions de commis d'administration, avec un G3O3 avec restrictions, rien ne va plus. Pourquoi? Parce que l'armée forme des soldats dans un but précis, et c'est là qu'interviennent les difficultés: car, du jour au lendemain peut survenir un événement tout à fait imprévu qui modifie de façon radicale les conditions de vie et de travail d'un soldat. Un conflit se déclenche, et l'on a besoin de tout le monde. Ce n'est pas le temps de s'attarder aux problèmes du soldat X ou du soldat Y. L'appel au combat se fait et, en vertu de l'engagement pris, le soldat doit y répondre.

S'il est vrai que le Canada moderne n'a pas connu sur son territoire les deux grandes guerres du siècle actuel, et que les chances d'un conflit

22

armé au Canada même sont à peu près nulles, sinon nulles, il n'en demeure pas moins que le fait pour un pays de se doter d'une armée, et de la maintenir en tout temps, est une sorte de police d'assurance: «au cas où».

Des événements mondiaux récents témoignent de cette façon de penser largement répandue. Les gouvernements ne prennent pas de chance. Le Canada n'est donc pas isolé dans cette perspective, et ce sont des décisions politiques qui expliquent la présence de l'armée, décisions avec lesquelles vivent les populations, décisions qui emportent des conséquences, cela va de soi. Et puisqu'armée canadienne il y a, les différents rôles qu'elle joue sont des réalités et non pas de la fiction.

Ceci dit, peut-on demander aux Forces armées canadiennes d'oublier l'objectif premier de leurs campagnes de recrutement: la formation de soldats aptes à jouer un rôle précis dans des circonstances précises, guerre, crise, urgence nationale? (p. 134). Peut-on leur demander, comme le suggère le procureur de la Commission, d'accommoder un soldat qui ne peut plus en être un? Peut-on leur demander de «proportionaliser» leurs évaluations et leurs décisions aux circonstances particulières de M. Rivard? Doivent-elles passer sous silence le mécontentement des soldats qui, en raison d'une pénurie de personnel, doivent continuer à remplir des tâches dont ils devraient être relevés à des moments prévus par les autorités militaires afin d'assurer le meilleur rendement possible des soldats? Peut-on demander aux forces armées canadiennes de réduire à de la «simple amertume déraisonnable», comme le soutient le procureur de la Commission, les réactions de ces soldats? Et, par conséquent, de ne pas tenir compte de la baisse de moral enregistrée chez les militaires, alors que 11.4% des soldats s'avéraient inéligibles au 22.7% de postes à remplir sur les navires et dans le champs, et que les 872 femmes que comptaient les Forces armées à ce moment-là ne pouvaient être mutées dans le champ ou sur les navires?

C'est pourtant ce que l'on invite le Tribunal à faire, en rejetant les arguments invoqués par les Forces armées canadiennes. En effet, il ne serait d'aucune pertinence de retenir de tels arguments, car la conclusion à tirer de ce qu'a vécu M. Rivard s'imposerait d'elle-même: il n'a pas été traité adéquatement, et voilà pourquoi il s'est retrouvé dans la situation d'un militaire privé de la vie qu'il avait choisie.

Dans son contre-interrogatoire du Dr Smallman, le procureur de la Commission tenta d'amener ce dernier à son point de vue, et il vint un moment où le procureur de l'intimée s'objecta. Il demanda, en gros, que l'on ne s'écartât pas de la question en litige soulevée par la plainte de M. Rivard: les Forces armées canadiennes pouvaient-elles justifier une exigence professionnelle pour le libérer?

C'est la forme de contre-interrogatoire et la façon de contre- interroger le témoin que contestait le procureur de l'intimée, car elles éloignaient, selon lui, le débat de la question fondamentale à trancher.

A cela le procureur de la Commission répondit par l'invocation d'une cause qui, selon lui, établit un «principe en matière d'exigences professionnelles justifiées sur la nature de la preuve médicale qui doit être faite au soutien d'une telle défense». (p. 481, Volume 2 des Transcriptions).

Le procureur de la Commission cita alors, malheureusement de façon incompréhensible pour le Tribunal, un texte qu'il avait emprunté au mémoire de l'intimée dont ne disposait évidemment pas le Tribunal. La citation se

23

trouve reproduite à la page 481 du Volume 2 des transcriptions, et est tirée de l'affaire David C. Rodger v. Canadien Railways, Canadian Human Rights Reporter, Volume 6, Décision 465.

Sous réserve d'une décision ultérieure au sujet de ladite citation, le Tribunal, pressé par le procureur de la Commission, nota que cette citation, qu'il demanda de relire, ne lui semblait pas pertinente au moment même où on exigeait de lui une réponse immédiate. Ceci dit, le Tribunal ayant eu l'occasion, depuis la fin des audiences, de prendre connaissance de l'affaire Rodger et de lire attentivement ladite citation, note son contenu: « bien que la société ne peut permettre aucune menace substantielle à la sécurité publique, elle ne peut approuver des présomptions hâtives quant aux capacités des handicapés. Les employeurs doivent s'assurer qu'en imposant une exigence professionnelle en rapport avec le travail ou le métier d'une personne, ils fondent leur décision sur l'information médicale et statistique la plus solide, la plus à jour, et adaptée aux circonstances de chaque cas individuel». (La traduction est de nous: paragraphe 23674, David C. Rodger v. Canadian National Railways, Vol. 6, Décision 465, Canadian Human Rights Reporter).

Le Tribunal estime, maintenant qu'il peut le faire en toute connaissance de cause, que cette ligne de conduite tracée par Me Sidney Lederman qui présidait dans l'affaire Rodger, a certes sa place dans toute évaluation qu'il est appelé à faire de la preuve déposée devant lui.

Le Tribunal n'a jamais envisagé d'empêcher le procureur de la Commission de faire sa preuve qui a consisté à tenter de démontrer qu'il y aurait eu «hasty assumptions», «présomptions hâtives» (p. 483), en ce sens que les Forces armées canadiennes seraient «allées un peu vite en affaires» comme le veut l'expression populaire: ce qui aurait eu pour effet de priver M. Rivard d'une carrière continue dans l'armée.

Le Tribunal estime que la règle édictée par Me Lederman permet une bonne latitude, et l'introduction d'une question collatérale, - ainsi que la qualifiait le procureur de la Commission lorsqu'il s'engagea dans une série de questions jugées impertinentes par le procureur de l'intimée -, ne pose pas de problème; en fait, elle ne posa pas de problème lors de l'audience elle-même, puisque le procureur de la Commission eut tout loisir de continuer son contre-interrogatoire dans le sens où il l'entendait, le but recherché, comme il le dit lui-même à la page 490, étant de «tester la démarche qui a été faite pour en venir à la conclusion qu'on connaît tous aujourd'hui, pour exclure la possibilité qu'on ait décidé un peu sommairement du cas de l'individu.»

Le Tribunal comprend parfaitement la démarche du procureur de la Commission, mais doit-il ou peut-il l'endosser? Pour éviter de conclure hâtivement que les Forces armées canadiennes ont agi sans désinvolture à l'endroit de M. Rivard, poussons plus loin la réflexion. Le Tribunal mis en présence des explications fournies de part et d'autres se prononce maintenant sur la question de l'exigence professionnelle justifiée qui est le noeud de toute cette affaire.

Au moment où la décision fut prise de libérer M. Rivard, le Conseil médical de révision des carrières prit position en fonction de ce que lui révélait le dossier de M. Rivard. Il ne semble pas qu'il ait appliqué une procédure différente dans ce cas-ci. La preuve n'a révélé aucunement que ce Conseil se soit départi de son objectivité habituelle. S'est-il posé les questions qu'a soulevées le procureur de la Commission? Il ne semble

24

pas. L'aurait-il dû? C'est à voir. Chose certaine, le Conseil a examiné le dossier de M. Rivard, et n'y a décelé rien d'anormal d'après la preuve déposée devant nous: tout ce qu'il y avait à savoir s'y trouvait, et en présence des annotations médicales qui scellaient le sort de M. Rivard, le Conseil se prononça.

De toute évidence, M. Rivard ne pouvait remplir les fonctions d'un commis d'administration. Il ne pouvait rester debout plus d'une heure, alors que ce travail prévoit que le commis d'administration doit servir au comptoir les soldats qui s'y présentent, ce qui implique une station debout constante. Et s'il n'y avait que cela? Mais non. Les devoirs militaires restent toujours à remplir. Là encore, la situation ne permet pas l'accomplissement des exercices et des tâches, ni les déplacements et surtout pas à bord d'un navire, ni dans le champ. Quelle autre conclusion s'impose, sinon la libération?

Nul ne peut contester la déception de M. Rivard. La carrière envisagée lui échappait. Pour des raisons médicales. Sa cote a diminué. De G2O2 qu'elle était, elle devient G3O3. De plus, sa nouvelle cote est assortie de restrictions. Ce sont elles qui modifient le cours de son existence, il faut bien le reconnaître. Nous y reviendrons. Ce que nous ne pouvons oublier, cependant, et ce dont il faut tenir compte à tout instant, c'est que le contexte est celui de l'armée canadienne, avec ses structures, ses exigences, ses objectifs dont la réalisation amène des prises de décisions hors du commun.

La jurisprudence

A l'appui de sa thèse, le procureur de la Commission cita tout d'abord l'affaire Etobicoke ( The Ontario Human Rights Commission and Bruce Dunlop and Harold E...Hall and Vincent Gray and the Borough of Etobicoke (1982 1 S.C.R.) qui explique, entre autres, le renversement du fardeau de la preuve: le plaignant n'a qu'à démontrer qu'il était employé, et que son emploi lui a été retiré par son employeur, pour que ce dernier ait à démontrer que le retrait de l'employé était justifié. Ainsi, M. Rivard a établi qu'il était dans l'armée depuis 1980, et qu'il en fut libéré en 1985 pour cause médicale. Son employeur, invoquant une exigence professionnelle justifiée relativement à cet emploi, doit convaincre le Tribunal qu'il ne pouvait parvenir à aucune autre conclusion que celle de laisser aller M. Rivard.

Ceci dit, le procureur de la Commission soutient devant le Tribunal que les Forces armées canadiennes ne peuvent invoquer avec succès l'argument de l'exigence professionnelle justifiée, car, dans ce cas-ci, comme dans celui de la jeune Laurin qui s'était vu refuser un poste à la Ville de Brossard, - sa mère étant une employée de Brossard,- l'armée canadienne est allée trop loin. Oh, bien sûr, la Cour n'a pas contesté la légitimité du règlement municipal voté par Brossard dans le but d'éviter le népotisme. Elle jugea, cependant, que dans ce cas particulier, la ville de Brossard ne devait pas soumettre à la rigueur de son règlement la jeune Laurin, car il n'existait aucun risque de conflit d'intérêt. (Commission des droits de la personne du Québec c. Ville de Brossard et Line Laurin, (1988) 2 R.C.S. page 279).

Cette cause mit de l'avant la notion de «proportionalité», selon le procureur de la Commission: l'effet de l'application de ce règlement municipal au cas Laurin était disproportionné, nous dit-il, par rapport à l'effet recherché par la municipalité soucieuse d'éliminer tout risque de

25

népotisme. Et puis, cette décision précisait, de soutenir le procureur de la Commission, qu'une exigence professionnelle, pour être justifiée, devait se rapporter à l'exécution de la tâche: à ce sujet la lecture des pages 618 et suivantes du Volume 3 des transcriptions s'avère fort intéressante. Ainsi, l'affaire Laurin rejoindrait l'affaire Etobicoke qui se prononce sur le même sujet.

L'affaire O'Malley (Commission ontarienne des droits de la personne et Theresa O'Malley (Vincent) et Simpsons-Sears Limited et Commission canadienne des droits de la personne, Commission des droits de la personne, Commission des droits de la personne de la Saskatchewan, Commission des droits de la personne du Manitoba, Commission des droits de la personne de l'Alberta, Association canadienne pour les déficients mentaux, Coalition of Provincial Organizations of the Handicapped et Congrès juif canadien, (1985) 2 S.C.R., page 536), citée ensuite par le procureur de la Commission, qualifie la Loi sur les droits de la personne de «législation de nature spéciale, d'une nature qui sort de l'ordinaire» (M. le Juge McIntyre, p. 547). Le procureur de la Commission fit alors allusion à d'autres arrêts qui vont dans le même sens: Craton vs. Winnipeg School Teachers' Association, Travail des femmes, et Robichaud c. le Conseil du Trésor.

«A cause de leur nature spéciale, il faut que ces lois (des droits de la personne) reçoivent une interprétation large, libérale, de manière à éliminer les problèmes pour lesquels elles ont été passées», ajoute M. le Juge McIntyre, toujours dans l'affaire O'Malley. Fort de cette citation, le procureur de la Commission invite le Tribunal à se montrer généreux. Puis, il cite l'affaire Singh (Harbhajan Singh et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et al, (1985) 1 R.C.S.) et le prononcé du Juge Bertha Wilson de la Cour Suprême du Canada qui rejeta l'argument utilitaire invoqué par le Procureur général du Canada; ce dernier avait soutenu que le fait de «donner raison aux personnes qui avaient demandé le statut de réfugié, et pour qui les auditions sur papier éliminaient la possibilité de se faire entendre, entraînerait le déclenchement de 50 000 causes du jour au lendemain.»

«Les garanties de la Charte seraient certainement illusoires de répliquer le Juge Wilson, s'il était possible de les ignorer pour les motifs de commodité administrative». (Mme le Juge Bertha Wilson, p. 218, 3e paragraphe)

La prétention du procureur de la Commission est à l'effet que les Forces armées canadiennes posèrent un geste administratif lorsqu'elles établirent que M. Rivard ne pouvait pas remplir les fonctions de commis d'administration au sein de l'armée, compte tenu de sa nouvelle cote médicale assortie de restrictions.

De là à soutenir que les Forces armées canadiennes ne se sont pas déchargées du fardeau de la preuve qu'il leur incombait de faire, et que la décision de libérer M. Rivard n'est nullement justifiée en fonction des exigences établies par les tribunaux, à quel que niveau qu'ils soient, il n'y a qu'un pas que le procureur de la Commission franchit, en ajoutant l'élément de la disproportion de la mesure adoptée par l'armée par rapport au problème qui existait. A cet égard, il nous renvoie, encore une fois, à l'affaire Laurin. N'y avait-il pas d'autres moyens de régler le problème de M. Rivard? A la page 629 du Volume 3 des transcriptions, le procureur de la Commission souligne que la question de la proportionalité plaidée

26

avec succès dans l'affaire Laurin n'a pas été soulevée depuis. Et, il invite le Tribunal à la considérer dans le cas de M. Rivard dont l'exclusion de l'armée lui apparaît «extrême» pour reprendre son qualificatif. (p. 629)

Puis, il s'attarde aux restrictions rattachées à la cote médicale G3O3 de M. Rivard, cause de sa libération. «Vous devez vous demander donc si les restrictions étaient justifiées? Et aussi, si ces restrictions n'imposaient pas un fardeau trop grand aux membres des forces armées affligées de cette condition-là». (p. 631)

Le procureur de la Commission applique le «test» de la proportionalité à l'une des considérations dont a tenu compte l'armée lorsqu'elle a décidé d'interrompre le reclassement de soldats comme M. Rivard. En principe, il pouvait l'envisager; mais, à cause des restrictions dont sa nouvelle cote médicale était assortie, il était devenu inapte audit métier, et le reclassement ne put se faire; d'où la décision de le libérer de l'armée, décision qui avait, selon le procureur de la Commission, comme fondement «le règlement d'un problème d'amertume des co-employés de M. Rivard.»

Et, à partir de cette prémisse, le procureur de la Commission cite les causes de Barbara Joyce Hajla, de Géraldine Letendre, d'Iberto Imberto et d'Ingrid Andersen qui rejettent toutes les arguments d'exigence professionnelle justifiée en rapport avec l'emploi, car ils s'appuient sur les «perceptions», les «réactions» qu'ont des employés, des clients, etc.

Pour renforcer son argumentation, le procureur de la Commission cite aussi l'affaire Berry, la cause Procureur général du Québec c. Service de Taxi Nord-Est (1978) Inc., et l'arrêt Varma.

(Barbara Joyce Hajla v. Mike Nestoras, carrying on business as Welland Plaza Restaurant Canadian Human Rights Reporter, Volume 8, Decision 613, April 1987

Geraldine C. Letendre v. The Royal Canadian Legion, South Burnaby Branch, No 83, Canadian Human Rights Reporter, Volume 10, Decision 887, June 1989

Mr. Iberto Imberto vs. Vic and Tony Coiffure and Vince and Tony Ruscica, Canadian Human Rights Reporter, Volume 2, Decision 87, May 20, 1981

Ingrid Andersen v. Mario Blanchet, Daniel Blanchet and Tero Painting and Decorating Division, Canadian Human Rights Reporter, Volume 8, Decision 611, April 1987

Donald J. Berry against the Manor Inn, Canadian Human Rights Reporter, Volume 1, Decision 30, September 20, 1980

Procureur général du Québec c. Service de Taxis Nord-Est (1978) Inc., Canadian Human Rights Reporter, Volume 7, Decision 491, January 1986

Gitanjali Varma v. G.B. Allright Enterprises Inc., doing business as «Allright Inn», Canadian Human Rights Reporter, Volume 9, Decision 822, November 1988)

Et, il assimile aux raisons invoquées par les intimés dans ces causes, celles des Forces armées canadiennes qui auraient fondé leur décision sur «l'amertume des soldats» (p. 636, 637), sur leur mécontentement que le procureur de la Commission qualifie ainsi: «pas raisonnable» (p. 649), parce que «disproportionné». «Est-ce que vous pensez que le mécontentement des autres (soldats) est légitime lorsqu'il y a 3 049 postes dont 700 sont comme ceux-là? Des postes que les gens qui ont des restrictions ne peuvent accomplir?» «C'est leur mécontentement qu'on accommode, d'après ce qui est dans les documents. Alors, un mécontentement qui n'est pas raisonnable, qui n'est pas rationnel ne vaut pas mieux qu'une attitude de préjugé, et à

27

mon avis, ça ne peut servir de défense.» (p. 649).

En somme, ce que le procureur de la Commission demande au Tribunal, c'est de rejeter tout les arguments de l'intimée, car aucun ne résiste à l'analyse, ni aux règles édictées par les tribunaux qui se sont respectivement prononcés dans les causes mises de l'avant par lui.

Que répond à cela le procureur de l'intimée?

Dans le but d'expliquer le point de vue des Forces armées canadiennes, le procureur de l'intimée cite un certain nombre de causes qui devraient permettre de trancher en sa faveur la question en litige: l'intimée a-t- elle prouvé que la libération du Caporal Rivard résultait d'une exigence professionnelle réelle justifiée, la restriction imposée l'ayant été de bonne foi en vue d'assurer la bonne exécution du travail que devait accomplir M. Rivard d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique?

Tous les éléments que comporte cette longue question ont été mis en lumière dans ces différents arrêts, alors que s'est développée la jurisprudence en matière de droits de la personne. On invoque donc, en tout premier lieu, l'affaire Etobicoke (The Ontario Human Rights Commission and Bruce Dunlop and Harold E. Hall and Vincent Gray and the Borough of Etobicoke, [1982] 1 S.C.R.) qui devient la toile de fond; et, au fur et à mesure de la progression du raisonnement élaboré par l'intimée, s'ajoutent les pièces qui forment le tableau.

Quelle était donc l'exigence professionnelle réelle? Celle d'accomplir un travail. Mais, pas n'importe lequel. Celui de soldat. L'examen médical imposé par l'armée détermine le métier qu'exercera la recrue. G2O2 permet, entre autres, d'être homme d'équipage. G3O3, d'être commis d'administration. G3O3 avec restrictions ne permet pas d'être commis d'administration. Telle est la décision de l'armée. Pourquoi? Parce que les restrictions imposées à M. Rivard rendaient impossibles et l'accomplissement de sa tâche de commis d'administration, mais, bien plus, celle de soldat, les deux étant inséparables.

Qui plus est, à cause de ces restrictions, M. Rivard ne pouvant exécuter son travail sans s'exposer à un danger et sans exposer ses compagnons de travail et le public en général à un danger, l'armée a jugé qu'elle n'avait d'autre choix que celui de se séparer de M. Rivard. Il existait, de soutenir le procureur de l'intimée, un accroissement réel des risques à sa propre sécurité, à celle de ses compagnons de travail et à celle du public en général. (p. 663, Volume 3 des Transcriptions). Et les Forces armées canadiennes n'ont de cesse de démontrer que cet accroissement du risque en question dépend d'un risque réel sans égard à la probabilité de réalisation de ce risque.

Nombre d'arrêts cités mettent en cause les Forces armées canadiennes, et tous témoignent du contexte particulier dans lequel se meut l'armée canadienne, un monde à part qui n'a pas d'équivalence réelle dans la vie civile. Une mise en garde souventes fois répétées par le procureur de l'intimée, ne laisse aucun doute sur l'importance qu'il attache à la distinction à faire entre la vie civile et la vie militaire.

D'ailleurs pour en convaincre le Tribunal, le procureur de l'intimée lui rappelle le paragraphe 33.1 de la Loi sur la défense nationale, chapitre N-5 des Lois refondues du Canada de 1985. «De ce texte découle le concept de ce qu'on appelle la responsabilité illimitée de servir des militaires, qui les distingue, - et ça va être un de mes argument

28

fondamentaux,- les distingue des gens qui occupent d'autres professions civiles, et qui peuvent être, dans le quotidien de leur réalisation, comparables; il y a peut-être un grand nombre de comparaisons qui sont possibles, sauf qu'à la différence de la secrétaire qui, à 5h, peut ranger ses choses et rentrer chez elle, le commis d'administration, de par la nature même de son emploi, est sujet à cette responsabilité illimitée qui découle de:

«La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ces officiers et autres membres non-officiers sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime.»

Un emploi, comme le qualifie le procureur de l'intimée «à responsabilité illimitée.» (pp. 655, 656, du Volume 3 des Transcriptions). Afin de répondre à l'argument du procureur de la Commission qui a cité l'arrêt Etobicoke, le procureur de l'intimée cite le paragraphe suivant:

«Dans un métier où, comme en l'espèce, l'employeur cherche à justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la Cour doivent, pour décider si on a prouvé l'existence d'une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l'âge de la retraite obligatoire présentent un risque d'erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général.»

(The Ontario Human Rights Commission and Bruce Dunlop and Harold E. Hall and Vincent Gray and the Borough of Etobicoke, (1982) 1 S.C.R., M. le Juge McIntyre p. 210 du jugement, citation faite à la page 657 du Volume 3 des Transcriptions).

La libération de M. Rivard serait donc l'application d'une «considération de sécurité» dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général», de conclure le procureur de l'intimée, et le critère de sécurité étant ainsi établi, il cite les arrêts qui en font un point de repère indispensable à rechercher lorsque la défense d'exigence professionnelle justifiée est soulevée.

Ainsi, ce fut l'augmentation du risque du danger auquel s'exposait la personne qui doit retenir l'attention du Tribunal appelé à trancher, dans l'affaire Bhinder, le problème causé par l'exigence professionnelle réelle imposée par le CN à ses employés: celle de porter un casque de sécurité dans un atelier de réparation, alors que le plaignant, en raison des prescriptions de sa religion, ne pouvait se départir de son turban: «La règle du casque de sécurité est une exigence professionnelle normale», une conclusion qui s'imposait, de dire la Cour, étant donné les faits». (K.S. Bhinder v. CN (1985) 2 R.C.S., M. le Juge McIntyre, p. 588, 1er paragraphe).

Dans l'affaire Mahon, citée ensuite par le procureur de l'intimée, la notion de risque mettant en cause la sécurité de l'individu et du public refait surface. «Il ressort de ces décisions, (Bhinder et Etobicoke), à mon sens, qu'à plus forte raison l'exigence professionnelle reliée au travail qui, selon la preuve, est raisonnablement nécessaire pour éliminer le danger réel de préjudice grave au grand public doit être considérée comme une exigence professionnelle normale». (Canadien Pacifique Ltée c. Commission canadienne des droits de la personne, Peter Cumming et Wayne Mahon, (1988) 1 C.F., M. le Juge Pratte, p. 221, 3e paragraphe).

29

«La preuve doit démontrer que le risque est réel et ne repose pas sur de simples conjectures, en d'autres termes, l'adjectif suffisant en question se rapporte au caractère réel du risque et non à son degré». (CP Ltée c. CCDP et al, (1988) 1 C.F., M. le Juge Marceau, 3e paragraphe p. 224).

Ces passages tirés de la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Mahon permettent au procureur de l'intimée d'écarter l'approche statistique. «Ce qui est important, c'est que le risque soit réel et non pas comme le dit le Juge Marceau...ne repose pas sur de simples conjectures». (Op cit. pp. 663-664, du Volume 3 des Transcriptions.) Pour renforcer son argument au sujet d'une approche statistique qu'il juge impertinente, et donc à déconsidérer, le procureur de l'intimée cite l'affaire Little c. St-John Shipbuilding & Drydock Co., Canadian Human Rights Reporter, Volume 1, Decision 1, January 1980, qui, justement, la repousse. La citation est extraite du paragraphe 40, p. D/5, intitulé:

«Where medical tests are not appropriate, is statistical data required to prove a bone fide occupation qualification ought to exist?» Le Tribunal se contente de reprendre la citation du procureur de l'intimée: «These statistics, however, often only become available after the failures in the performance of the jobs have occurred. To experiment with such failures in order to gather statistical data is not permissible, of course, in jobs which endanger public safety and it, therefore, is impossible to make such statistical data always essential to justify the existence of a bone fide occupation qualification.»

La conclusion à tirer s'impose d'elle-même: On ne doit pas fonder une exigence professionnelle sur un nombre X de cas qui justifieraient l'imposition d'une telle exigence. C'est le même argument qu'accepte le président du Tribunal, John I. Laskin, dans l'affaire David Galbraith et Les Forces armées canadiennes, D.T. 13/89, 23 août 1989.

«M. de Pencier m'a mentionné l'affaire Little v. Saint John Shipbuilding, (1980) 1 C.H.R.R. D/1 au soutien de l'argument selon lequel il n'est pas nécessaire qu'il y ait risque d'erreur humaine pour recueillir des données statistiques à l'égard d'emplois mettant en danger la sécurité du public et que, en conséquence, il n'est pas toujours nécessaire de fournir des données statistiques pour établir l'existence d'une exigence professionnelle justifiée. Je retiens cet argument. (p. 24).»

Les arrêts Gaetz et Galbraith présentent également de l'intérêt, car ils font état de plaintes portées contre les Forces armées canadiennes, respectivement par une personne diabétique insulino-dépendante libérée de l'armée, et par une personne dont la demande d'emploi comme milicien avait été rejetée parce qu'elle avait subi une résection de l'intestin.

Encore une fois, la notion de sécurité, préoccupation des Forces armées canadiennes, est invoquée, ainsi qu'une autre notion que le procureur de l'intimée désigne comme étant la «criticalité». Pourquoi? On avait tendance, du côté du plaignant, à penser et à affirmer que le rôle d'un milicien n'était pas aussi «critique» que celui d'un soldat puisque le réserviste est un soldat «de fin de semaine»!

Le Tribunal se prononce de la façon suivante: «Le fait est que, une fois qu'ils sont placés en service actif, les membres de la milice doivent être en mesure d'assumer les tâches qui leur sont assignées. L'aptitude de l'individu à s'acquitter de ses fonctions aura des répercussions non seulement sur sa propre sécurité et, en raison du fait que le travail

30

d'équipe et la confiance mutuelle sont des facteurs essentiels, sur la sécurité des membres de l'équipe, mais également sur la sécurité des Canadiens et la défense du Canada. A la lumière de ces considérations, il n'est pas déraisonnable pour les Forces armées canadiennes d'appliquer des normes d'enrôlement strictes à l'égard des nouvelles recrues de la Milice. (Voir Séguin vs. G.R.C., dans laquelle un raisonnement analogue a été appliqué).» (David Galbraith c. Les Forces armées canadiennes, TDP, D.T. 13/89, 23 août 1989, John I. Laskin, p. 43, 1er paragraphe).

L'arrêt Séguin, (André Séguin, George Tuscovich c. Royal Canadian Mounted Police, CHRR, 4/1/89) ainsi que l'explique le procureur de l'intimée, confirme la notion de «criticalité». C'est un problème de vision qui amène MM. Séguin et Tuskovich à se plaindre de la Gendarmerie Royale du Canada qui «refused to them the opportunity to apply for the position of Special Constable Static Guard, with the RCMP because their uncorrected visual acuity did not meet the RCMP minimum standards.»

En raison des différentes tâches que sont appelés à remplir les «Special Constable Static Guards» (gendarmes spéciaux), la GRC invoqua, avec succès, la défense d'exigence professionnelle justifiée, et le Tribunal tint compte du contexte particulier dans lequel opère la GRC.

Appelé à se prononcer sur le test subjectif, -(le Tribunal rappelle que c'est l'arrêt Etobicoke qui parle du test objectif et du test subjectif à appliquer),- le Tribunal conclut que la GRC a agi de bonne foi en établissant des normes visuelles. «I fully accept that these standards are maintained by the RCMP solely for the bona fide purpose of ensuring safety and protection of the public.» (Op. cit, Séguin, Tuscovich, p. 26, 2e paragraphe). Quant au test objectif à appliquer, le Tribunal se prononça ainsi, après avoir établi que la question à trancher était la suivante: «Is the minimum uncorrected visual acuity standard of the RCMP related in a objective sense to the performance of the duties of a static guard? Is this standard reasonably necessary to assure performance of such duties without endangering the safety of the public? (...) Or, without the minimum uncorrected visual acuity standards, would there be an increased risk to the public?» (Op. cit. Séguin, Tuscovich, p. 26, 4e paragraphe).

«I find that the RCMP's standards are justified». (p. 31), «First the risk to the public is real and substantial. The role of static guards is a critical one. It is vital that the function be carried out competently and without compromise.» (p. 31)

Ces citations rejoignent celle que le procureur de l'intimée a mise de l'avant, et encore une fois elles touchent du doigt un fait indéniable. La vie militaire et la vie des policiers, notamment de la Gendarmerie Royale du Canada, se déroulent dans un contexte spécial; et ce que fait ressortir le procureur de l'intimée, c'est le côté critique de leurs interventions puisque, dans les deux cas, c'est la sécurité du public qui est en cause.

Et le procureur de l'intimée de faire ressortir le fait que ce n'est pas le nombre de fois qu'un commis d'administration est appelé à exercer sa fonction purement militaire qui importe, mais bien le fait qu'il est appelé à l'exercer, et doit être en mesure de l'exercer. (pp. 670, 671, Volume 3 des Transcriptions).

Dans l'affaire Loveday, c'est une règle évidente en soi que souligne le procureur de l'intimée, car il estime qu'elle s'applique à M. Rivard, ce dernier, en raison des problèmes de genou qu'il a, et compte tenu des restrictions qui lui sont imposées, se retrouvant dans la même situation

31

que M. Loveday.

«No employee has the right to risk serious injury to himself, and no employer should be required to employ someone whose physical condition subjects him to the risk of more than trivial injury.» (Manitoba Human Rights Commission and A. Rey Loveday v. Bake Manufacturing Ltd. C.H.R. Reporter, Volume 7, Decision 498).

Le Tribunal en est venu à se prononcer de la sorte parce que M. Loveday, ayant été blessé au dos, occupait néanmoins un poste qui le forçait à soulever des poids lourds; son employeur jugea nécessaire de le libérer. Avait-il le devoir de l'accommoder? Non. Les circonstances étaient telles que cette possibilité n'existait pas. Et même si l'employé affirmait assumer entièrement la responsabilité d'autres blessures à son dos, l'employeur ne pouvait pas le garder à son emploi; et, pour se défendre de ce renvoi, il invoqua, avec succès, l'exigence professionnelle justifiée.

La dernière cause citée par le procureur de l'intimée est celle de David C. Rodger v. Canadian National Railways, CHRR, Volume 6, Decision 465 qui fut victime d'une attaque (seizure). Ses tâches, comme employé des chemins de fer, le plaçaient dans une situation où les risques étaient certains, en ce qu'il devait travailler près des trains en marche, y monter, en descendre, etc.

La citation présentée au Tribunal se rapporte à un critère en particulier, déjà examiné: «Tant que le risque est réel, que l'accroissement du risque est réel, nul n'est besoin de le quantifier,» d'expliquer le procureur de l'intimée. (p. 677, Volume 3 des Transcriptions).

La décision

Après avoir entendu la preuve, après avoir écouté les arguments des deux parties, après avoir lu la jurisprudence citée par les deux procureurs, le Tribunal conclut que:

  1. les Forces armées canadiennes ont agi avec bonne foi.
  2. les Forces armées canadiennes ont prouvé une exigence professionnelle justifiée en relation avec l'emploi de M. Rivard.
  3. les Forces armées canadiennes n'étaient pas tenues d'accommoder M. Rivard, étant donné les conclusions précédentes.
  4. les Forces armées canadiennes n'avaient pas à proportionaliser leur décision en fonction du problème que posaient les restrictions médicales imposées à M. Rivard.
  5. les Forces armées canadiennes jouent un rôle précis qui est critique, en regard d'une politique clairement définie par l'autorité gouvernementale. On ne peut donc assimiler sa situation à d'autres qui ont été invoquées devant le Tribunal dans le but de le convaincre que la décision de libérer M. Rivard n'avait pas d'assises, et que la défense invoquée était vouée à l'échec.

Le Tribunal juge qu'il n'y a pas eu infraction à l'article 7 a) de la Loi canadienne des droits de la personne.

De plus, le Tribunal juge que l'intimée a démontré que la libération de M. Rivard ne constituait pas un acte discriminatoire, en fonction du contenu de l'article 15 a) de la Loi canadienne des droits de la personne, L.R. (1985), ch. H-6, alors qu'il a plaidé une exigence professionnelle justifiée, dont le Tribunal reconnaît le bien fondé.

32

Étant donné, sa décision, le Tribunal n'a pas à discuter de dédommagement ou autres questions qui s'y rattacheraient.

Le 15 février 1990


Niquette Delage

33

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.