Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 15/90 Décision rendue le 2 novembre 1990

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (L.R.C. (1985), ch. H-6 modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

DAN PHILIP, POUR LA NATIONAL BLACK COALITION

Plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

- et -

ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

Intimée DÉCISION DU TRIBUNAL TRIBUNAL : Niquette Delage - Présidente Daniel H. Tingley - Membre Antonio De Joseph - Membre

ONT COMPARU :

Anne Trotier Avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Daniel Dortelus Avocat de la National Black Coalition, représentée par Dan Philip

Gérard Rochon Avocat de l'Association des employeurs maritimes

DATES ET LIEUS 30 mai, 6 et 7 novembre, DES AUDIENCES : 21 et 22 décembre 1989 à Montréal (Québec)

TRADUCTION

1 : La plainte

[TRADUCTION]

"L'Association des employeurs maritimes a conclu une entente avec un Centre d'emploi et d'immigration relativement au recrutement de 150 candidats pour des emplois dans le port de Montréal. L'Association des employeurs maritimes avait précisé qu'elle ne voulait qu'aucun Noir ne soit envoyé pour ces emplois. Cet acte est susceptible d'annuler les chances d'emploi d'une catégorie d'individus de race noire. Il s'agit d'un acte discriminatoire contraire à l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne."

2 : Les faits

N.B. Voici les parties à la présente procédure :

La National Black Coalition, désignée par le sigle NBC

La Commission des droits de la personne, désignée par le sigle CDP

L'Association des employeurs maritimes, désignée par le sigle AEM

Sont également mentionnés fréquemment dans la procédure : Le Centre d'emploi et d'immigration, désigné par le sigle CEI

L'Association internationale des débardeurs, désignée par le sigle AID

Le 17 novembre 1986, l'AEM a diffusé Flash (HRC-3) à ses employés. Ce numéro de Flash s'intitulait L'embauche devient compliqué (sic). Dans ce document, l'AEM invoquait les rapides changements technologiques. Elle parlait également du processus d'engagement qui est beaucoup plus compliqué qu'auparavant et traitait aussi du projet de loi C-62, la Loi sur l'équité en matière d'emploi.

Flash faisait également allusion à une vieille pratique d'embauche dans le port de Montréal qui favorisait les fils des membres du syndicat. Le Conseil canadien des relations du travail a déclaré cette pratique illégale après avoir été saisi d'une plainte portée par un groupe de membres du syndicat à la suite d'une résolution adoptée par ce dernier.

Voici le texte de cette résolution :

«Cependant le 30 septembre 1981, à une réunion spéciale de ses membres, l'Association Internationale des Débardeurs, Local 375 adoptait à la majorité des voix, une résolution proposée par son exécutif qui modifiait ses règlements relatifs aux critères d'admission des nouveau membres. Alors qu'auparavant, les règlements du Local 375 ne référaient qu'à deux critères d'admission: (1) être âgé d'au moins 18 ans et (2) l'acquittement d'un honoraire d'initiation, l'amendement adopté ajoutait de nouveaux critères, dont certains donnaient préférence aux enfants, frères

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(soeurs) et gendres (brus) des membres actifs suivant l'ancienneté des pères, frères et beaux-pères. (Mémoire soumis par l'Association des employeurs maritimes à Me Marc Gravel, Montréal, le 2 juin 1987.»

(A ce moment-là, l'AEM s'était adressée à l'AID qui avait l'intention de maintenir une tradition interdisant à toute personne de l'extérieur d'obtenir un emploi dans le port de Montréal.)

L'AEM poursuivait en annonçant dans Flash qu'elle avait conclu une entente avec le CEI afin de trouver les meilleurs candidats possible pour répondre aux besoins d'une demande sans cesse croissante : par conséquent, des emplois réguliers devaient être offerts à de nouvelles recrues. De plus, il devenait nécessaire d'élargir la réserve des travailleurs. Les intéressés étaient invités à se présenter au CEI pour la présélection.

Le 26 novembre 1986, la Gazette, quotidien de langue anglaise de Montréal, a publié un article de David Whimhurst intitulé : Manpower Boss Gave no Blacks Order - Union (Syndicat : le centre d'emploi ne veut pas de Noirs).

Le syndicat dont il est question dans l'article est celui qui regroupe les employés d'Emploi et Immigration Canada (HRC-2). Le 27 novembre 1986, la Gazette a publié ce qui semblait un éditorial sans signature, intitulé Make Ban on Discrimination Clear to All (Interdiction de discrimination : tous doivent la connaître) (HRC-2). S'appuyant sur ces deux articles, M. Dan Philip, président de la NBC, a témoigné qu'il avait écrit, le 1er décembre 1986, au ministre de l'Emploi et de l'Immigration, M. Benoît Bouchard (R3 - p. 14 et 210, volume 1). M. Philip a reçu une réponse en date du 16 décembre 1986. Il a également témoigné qu'il avait appelé l'AEM mais n'avait pu obtenir aucune réaction. Il avait également rencontré un certain Lachapelle, du CEI (p. 14, 212). Puis il avait écrit à la CDP (p. 14, 213).

Par la suite, M. Michel Bibeau a tenu une enquête, et on a finalement décidé de recommander le dépôt d'une plainte officielle que M. Philip a signée le 27 mai 1987 (HRC-1) (p. 14, 15, 214, 215, volume 1). M. Philip a-t-il communiqué avec le syndicat des débardeurs? Non (p. 39, volume 1).

Dans son témoignage, M. Philip a fait allusion à une enquête interne tenue au CEI (p. 24). Constituent des faits pertinents de l'espèce, les réactions de certains débardeurs au numéro de Flash du 17 novembre 1986 :

[TRADUCTION]

"Certains membres de l'Association internationale des débardeurs (AID), qui prétend avoir compétence sur l'embauche de nouveaux travailleurs dans le port, font des visites répétées et profèrent des menaces de violence physique. (The Gazette, Man Power Boss Gave no Blacks Order-Union, le 26 novembre 1986) Le tribunal a choisi cette description des faits parce qu'elle confirme le témoignage de l'employé du CEI, M. Denis Duquette, qui en a été témoin. Après que les débardeurs eurent dénoncé l'entente conclue par l'AEM et le CEI, le bureau du CEI a fermé ses portes pendant quatre jours, [TRADUCTION] six employés refusant de s'occuper du dossier du port de Montréal (HRC-2-Article de la Gazette précité). Après une réunion de ses représentants et du président du syndicat des débardeurs, M. Théo

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Beaudin, le CEI a décidé de différer l'application de l'entente conclue avec l'AEM (lettre du 25 novembre 1986, R-2), disant que la décision était fortement contestée par l'AEM, comme en fait foi une série de lettres datées respectivement du 27 novembre 1986 (R-16), du 9 décembre 1986 (R-17) et du 16 décembre 1986 (R-18).

Le président du syndicat des débardeurs avait convaincu les représentants du CEI que l'entente était effectivement, comme le prétendaient les débardeurs qui s'étaient rendus au bureau du CEI de la rue Saint-Denis, contraire à la convention collective en vigueur à ce moment- là. Dans une note de service en date du 21 novembre 1986, le CEI, sous la signature de M. Roger Tardif, a informé son personnel qu'il ne souscrit pas au projet d'entente de recrutement de travailleurs pour le port de Montréal :

«Comme vous le savez sans doute, un document publié par l'Association des employés maritimes de Montréal est présentement en circulation.

Contrairement à l'information qui y apparaît, le Centre d'emploi du Canada MONTREAL CENTRE ne souscrit pas au projet d'entente de recrutement et, par conséquent, aucune activité de sélection ou de pré-sélection ne doit être effectuée par nos services pour l'Association des employeurs maritimes dans les occupations visées.

Je vous demande donc d'en informer tous les candidats qui pourraient se présenter au Service de placement occasionnel ainsi que dans tout centre opérationnel.

Merci de votre collaboration.» (R-1)

Le climat qui régnait dans le port de Montréal était peu stable. Les pourparlers concernant le contenu de la prochaine convention collective commençaient à la table des négociations. Par suite de ces faits, il n'y a eu aucune présélection d'employés pour le port et aucun recrutement en application de l'entente de 1986 conclue par le CEI et l'AEM, celle-ci ne s'étant jamais concrétisée.

La preuve

Selon la plainte, [TRADUCTION] l'Association des employeurs maritimes avait précisé qu'elle ne voulait qu'aucune personne de race noire ne soit envoyée pour les emplois dans le port de Montréal. (HRC-1) M. Denis Duquette, employé au bureau de placement d'employés occasionnels du CEI, a déclaré au tribunal que, le 12 novembre 1986, son patron, M. Lucien Therrien, était venu le voir à son bureau avec une demande de l'AEM; pendant la conversation, M. Therrien aurait déclaré qu'il ne fallait pas envoyer de Noirs au port de Montréal. Voici les réponses données par M. Duquette au cours de son interrogatoire par Me Trotier, avocat de la CDP, et par Me Dortelus, avocat de la NBC, et plus tard au cours de son contre-interrogatoire par Me Rochon, avocat de l'AEM :

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M. Duquette : (interrogé par Me Trotier)

«R. Le contact que j'ai eu, à un moment donné monsieur Therrien est venu à mon bureau, c'est des bureaux à aire ouverte et il m'a montré une application de AEM et on a regardé ça comme ça, on a discuté de choses...

Q. Je vous arrête tout de suite. Quand vous parlez d'application, ça veut dire quoi?

R. Un formulaire officiel de AEM, lorsque les gens font une demande ils doivent remplir un questionnaire qui a été fait je crois par AEM ou une firme.

Q. Continuez.

R. A ce moment-là en discutant il m'a dit qu'il préférait pas avoir de Noirs parce qu'ils n'étaient pas habitués au port et il dit que ça pouvait faire des conflits, c'est ce qu'il m'a dit.

Q. Maintenant, qui... Me Rochon: Est-ce qu'on peut loger ça dans le temps? Je m'excuse, mais je n'ai pas entendu de date quant à cette rencontre-là. J'aimerais ça savoir à quelle période on se place.

Le témoin: C'était je crois le 12 novembre 1986 que ça s'est assé. (P. 62, volume 1)

M. Duquette : (interrogé par Me Dortelus) R. Il nous a dit tout simplement il préfère ne pas avoir de Noirs parce que bon, ça pourrait causer des problèmes, ils ne sont pas habitués au port. (p. 70, volume 1) M. Duquette: (contre-interrogé par Me Rochon)

R. Non, il est arrivé dans mon bureau. Je pense qu'il avait reçu une pile dans une enveloppe puis il m'en a montré une puis on a regardé ça comme ça, c'est tout.

Q. Et c'est dans le cadre de cette conversation à bâtons rompus, si vous voulez, en vous montrant ce document-là qu'il vous aurait dit, suivant votre témoignage, qu'il préférait de pas avoir de Noirs au Port de Montréal?

R. C'est ça.

Q. Est-ce qu'il vous avait mentionné que c'était une de ces directives, de ces instructions?

R. Ça s'est arrêté là, j'ai pas été plus loin.

Q. Et est-ce que c'est la seule fois que vous avez entendu parler de cette question-là de la part de monsieur Therrien, comprenez-moi

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bien.

R. Oui. (P. 88-89, volume 1)

Le même jour, M. Therrien, M. Duquette et Mme Lahaye se sont rencontrés pour discuter de l'entente conclue par le CEI et l'AEM (p. 63, volume 1). Ils ont parlé des tests à faire passer aux candidats, car ceux- ci seraient tenus de s'y soumettre. M. Duquette a prétendu s'être opposé à tout le projet parce que l'employeur exerçait de la discrimination et parce qu'un article de journal avait fait allusion à un conflit possible dans le port de Montréal, l'article parlant de la situation qui existait au port de Québec (il n'était pas certain) et mentionnant un conflit possible dans le port de Montréal. M. Duquette a poursuivi en disant que lui-même et Mme Lahaye refusaient de travailler sur cette entente (p. 63, volume 1). Mme Lahaye n'a pas témoigné devant le tribunal. Le témoignage de M. Duquette sur les échanges verbaux entre les débardeurs qui s'étaient rendus au bureau du CEI, sur la rue Saint-Denis, le 18 novembre 1986, et le personnel du bureau est très clair : ils n'ont pas été marqués par la cordialité (p. 65, volume 1).

A ce moment-là, il n'était pas question de discrimination. Il s'agissait de la présélection des nouveaux travailleurs pour le port de Montréal et de l'interférence d'un organisme extérieur dans ce qui avait toujours été une chasse gardée du syndicat. M. Duquette a prétendu qu'il connaissait la pratique selon laquelle les fils des membres du syndicat étaient favorisés par rapport aux autres candidats possibles (p. 66). Il savait également que les négociations étaient en cours entre le syndicat et l'AEM (p. 66). Il avait compris que le syndicat réclamait un droit de regard sur l'embauche de travailleurs dans le port de Montréal. Il avait pris connaissance de la note de service de M. Tardif sur le retrait du CEI d'un projet d'entente avec l'AEM. Le tribunal utilise l'expression projet d'entente parce que c'est ainsi que l'entente est désignée dans la note de service. Le tribunal sait fort bien que l'AEM a prétendu qu'il y avait une entente réelle entre elle-même et le CEI. De plus, le témoignage de M. Duquette est tout à fait clair sur l'existence d'une telle entente. Celle-ci est aussi amplement confirmée par les documents suivants : HRC-3, HRC-4, R-16, R-17, R-18, R-19. M. Duquette a relié la fermeture du bureau de la rue Saint-Denis, survenue après les perturbations causées par la visite bruyante des débardeurs qui protestaient contre l'entente conclue par le CEI et l'AEM, à une question de sécurité (p. 69). Le syndicat des employés du CEI voulait la tenue d'une enquête externe et non seulement d'une enquête interne par le CEI sur les faits qui s'étaient produits le 18 novembre 1986.

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M. Duquette et ses collègues n'étaient pas prêts, comme il le prétend, à travailler sur une entente entre le CEI et l'AEM : ils estimaient qu'ils n'étaient pas en mesure d'administrer les tests dont avait parlé M. Lucien Therrien, leur patron. Ce bureau avait déjà fait passer des tests de dactylographie (p. 79), mais aucun depuis 1983. Comme l'AEM avait décidé que des tests devaient être administrés pour évaluer la dextérité des candidats et leur aptitude à effectuer des travaux dans le port de Montréal, les conseillers du CEI s'étaient opposés à tout cet aspect de l'entente conclue entre le CEI et l'AEM, prétendant que cela ne faisait pas parti de leur mandat (p. 80). Contre-interrogé par l'avocat de l'AEM, M. Duquette a qualifié sa rencontre avec M. Therrien d'informelle (p. 87-88). Selon le témoignage de M. Duquette, la première fois que l'on a parlé de façon officielle de la remarque censément discriminatoire de M. Therrien est le 20 novembre 1986, au cours d'une réunion avec M. Tardif, M. Pilon, M. Therrien et une autre personne non identifiée, agissant à titre intérimaire au CEI de la rue Saint-Denis. Le syndicat des employés du CEI était alors représenté par quatre personnes (p. 117). M. Duquette a dit qu'il avait déjà saisi son syndicat de la remarque censément discriminatoire faite par M. Therrien (pp. 119, 120, 121). Le tribunal a appris de M. Duquette qu'il existait alors un conflit entre M. Therrien et le personnel du bureau du CEI de la rue Saint-Denis : avant les faits qui se sont produits le 18 novembre 1986, lorsque les débardeurs et un représentant du syndicat des débardeurs s'étaient rendus au bureau du CEI de la rue Saint-Denis; et avant le 12 novembre 1986 lorsque, au cours d'une rencontre informelle avec M. Duquette, M. Therrien aurait fait cette remarque discriminatoire (p. 65, volume 1). Il semble qu'il y a eu plus tard mésentente avec M. Therrien sur la question de la convention collective qui, selon les visiteurs, accordait à leur syndicat un droit de regard sur l'embauche des travailleurs du port de Montréal (p. 126, volume 1). A plusieurs reprises au cours de son témoignage, le tribunal a constaté que M. Duquette modifiait son témoignage original lorsqu'il était confronté aux dates réelles de certains faits, alors que lui-même avait situés ces faits à d'autres moments. Les questions posées par le tribunal à M. Duquette (p. 173, volume 1) étaient destinées à régler une fois pour toute la séquence exacte des faits. En voici le résultat : il y a eu trois rencontres (p. 183-184-185) : la première, entre M. Therrien et M. Duquette le 12 novembre 1986, la deuxième, le 12 novembre 1986, entre M. Therrien, M. Duquette et Mme Lahaye; la troisième, le 20 novembre 1986, entre les directeurs du bureau du CEI et les employés. A la page 187 du volume 1, M. Duquette a parlé de rencontres informelles et déclaré que les discussions concernaient le type de travailleurs qui était nécessaire au port de Montréal. Il a dit que

«alors on en a toujours discuté (des types de travailleurs qu'ils recherchaient et tout ça), mais pas plus que ça, puis même là on était plus ou moins d'accord parce que ça répondait pas à nos besoins. Comme centre on pouvait pas, on ne se voyait pas du tout pouvoir répondre à ce besoin-là. Ça aurait été beaucoup trop exigeant pour notre centre.» (P. 188, volume 1)

Me Trotier :

Q. A combien de reprises est-ce que vous avez parlé à monsieur Therrien, et de quoi lui avez-vous parlé à ce moment-là? Est-ce qu'il y a plus, autrement dit, que trois rencontres? R. On se parle souvent naturellement... il y a eu trois rencontres. Il y a peut-être eu d'autres meetings informels où on disait

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écoute, de toute façon c'est pas notre mandat de faire du recrutement de cette façon, je veux dire on n'a pas les ressources matérielles et humaines.

Il pensait couper un poste dans notre département, alors si on était pour passer ces fameux tests-là à notre bureau tel qu'il était convenu, tel que monsieur Therrien voulait, il aurait fallu avoir du personnel supplémentaire, puis là étant donné que c'était des postes avec un très bon salaire et tout ça, naturellement on aurait été inondé de candidats, ce qui fait qu'on aurait peut-être perdu le contrôle de tout ça, notre vocation première aurait été...

Q. Mais est-ce que vous avez, à l'occasion de ces rencontres informelles, resouligné la question de discrimination, ce que vous avez appelé la question de discrimination?

R. De façon informelle, non, parce que ça s'est probablement passé un petit peu avant qu'il me dise ça tout simplement. (p. 188, Transcript 1).

Q. Donc, les réunions informelles se seraient produites avant le 12 novembre 1986!

R. Oui. (P. 188-189, volume 1)

Lorsque M. Duquette a témoigné au sujet de l'enquête au CEI, il a répondu à l'avocat de la NBC que lui-même et ses collègues avaient reçu des lettres de convocation à une enquête interne. Après discussion au sein de leur syndicat, on a décidé d'opter pour une enquête externe en raison du refus, opposé par lui-même et ses collègues, de travailler sur une offre de services. Ils ne voulaient pas avoir de difficulté à cause de cela. Ils voulaient se protéger parce que, comme l'explique M. Duquette, lorsqu'un employé du gouvernement refuse de travailler, il peut être licencié (p. 194).

Me Dortelus : Q. Est-ce que cette enquête-là, cette enquête externe qui a été demandée devait porter sur autre chose que l'aspect discrimination? Entre autres, ne pas envoyer de Noirs.

R. Je pense que c'était tout simplement sur l'ensemble de tous les événements, pas nécessairement l'histoire de Noirs, mais tout ce qui s'est passé, les avertissements qu'on avait faits à monsieur Therrien de pas continuer, et cetera, et cetera. En fin de compte, on trouvait qu'il avait été fautif là-dedans . Alors on voulait tout simplement faire la lumière là-dessus et en fin de compte c'est la Commission des droits de la personne que ... où on a été témoigner. En fin de compte il n'y a pas eu d'enquête externe, sauf la Commission des droits de la personne.

Q. Monsieur Tardif qui a signé la lettre du 25, c'est le supérieur de monsieur Therrien?

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R. C'est le directeur du réseau.

Q. Le 25 novembre, quand il a envoyé la lettre, avant le 25 novembre il était au courant de la demande que monsieur Therrien vous avait fait de ne pas envoyer de Noirs.

R. Oui. Ça avait été dit le matin du...

Me Rochon: Je m'objecte. Encore une fois, mon confrère perpétue dans sa façon de faire les choses; en d'autres termes, il paraphrase ce qui a été dit. C'est pas du tout ce que monsieur Therrien a dit. Monsieur Therrien a dit qu'il -- c'est ça la déclaration -- c'est pas je vous demande de ne pas envoyer de noirs, c'est pas ça du tout, et j'aimerais que mon confrère corrige encore une fois sa déclaration, il devrait être assez, avoir une mémoire suffisante pour s'en rappeler là.

Me Dortelus:

Q. Donc après que monsieur Therrien vous avait personnellement dit à vous il préfère -- c'est le terme exact, qu'il préfère qu'on envoie pas de Noirs...

R. C'est ça, il préférait.

Q. Vous avez rencontré monsieur Tardif?

R. En fin de compte on a rencontré notre syndicat pour les aviser de ça, pour l'histoire de discrimination et tout ça, puis à un moment donné ... bien, c'est pas moi qui a eu le premier contact parce qu'on voulait seulement se protéger, parce qu'on voulait faire un refus de travail avec tout ce qui était pour se passer, on a pas vu monsieur Tardif parce que monsieur Tardif je crois que cette semaine-là il était effectivement en meeting. Il y avait un seul superviseur je pense en bas.

Q. Si je comprends bien, le premier refus a été un refus individuel, vous avez refusé de continuer, vous avez refusé de participer...

R. Madame Lahaye la première je pense qui avait dit qu'elle refusait et moi je l'ai aussi appuyée par la suite le refus de travailler.

Q. Et ce premier refus-là était strictement suite à l'histoire de ne pas envoyer de Noirs...

R. C'était suite à ça et les autres événements qui se sont passés.

Q. Le 12, si on se reporte au 12 novembre, les autres événements ne s'étaient pas encore produits.

R. Non, mais disons qu'il reste quand même qu'on ne voulait pas de toute façon travailler sur ce dossier-là le 12, par l'article

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de journal que j'avais dit, on n'était pas encore rentré dans le conflit en tant que tel où il y a des gens qui se sont présentés. De toute façon, on était réticents en partant pour le fait de s'embarquer dans un processus d'embauche quand on n'était pas équipés pour ça. En partant c'était ça de toute façon. L'idée première, on n'était pas équipés pour répondre à ces besoins-là. C'était bien beau mais là à un moment donné il fallait faire passer des tests et tout ça, on n'était pas équipés pour faire passer ça, ces tests-là.

Q. Dans la lettre du 25 novembre que vous avez devant vous, R-2, où c'est signé par monsieur Tardif qui dit: Nous sommes toujours prêts à aller de l'avant avec ce projet si au préalable, l'Association Internationale des débardeurs était partie de l'entente.

R. H'mmm-H'mmm.

Q. A votre souvenance personnelle, est-ce qu'il y a eu des discussions pour que la suggestion ou encore la demande qui vous a été faite par monsieur Therrien de ne pas envoyer des Noirs...

Me Rochon: La demande n'a jamais été faite de ne pas envoyer des Noirs. On va le répéter encore une fois, on va s'amuser, mais je m'excuse, mon confrère devrait le savoir, il préférait...

Me Dortelus: Je pense qu'on joue sur les termes...

Me Rochon: Les termes c'est très précis. Je m'excuse, madame la Présidente, mais je suggère que mon confrère abuse des mots et il le fait en pleine connaissance de cause. Ça fait trois fois que je me lève là- dessus. Ça fait trois fois que vous maintenez exactement ce qui s'est passé. Je veux dire quand même il y a un abus là de la part de mon confrère.

Me Trotier: J'ai une suggestion à faire, madame la Présidente. Peut-être que au lieu que tout le monde paraphrase la fameuse déclaration, qu'on se réfère aux notes qui seront préparées par monsieur Legault et on verra exactement ce que le témoin a dit à ce moment-là. Comme ça on évite tous de s'y référer et de l'interpréter.

Me Dortelus: Alors je vais essayer d'utiliser une autre formulation qui pourrait peut-être convenir. Je vais faire référence aux propos de monsieur Therrien par rapport aux Noirs. Est-ce que ça convient?

La Présidente: Enfin, on a une déclaration extrêmement courte dont monsieur Duquette a parlé et c'est celle-là qui nous intéresse, et pas d'autres choses.

Me Dortelus:

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Q. Monsieur Duquette, alors ma question était vous avez dit que vous étiez satisfaits de cette entente-là, de cette lettre-là.

R. Oui, qu'on arrêtait le service.

Q. Vous avez également dit qu'il y avait deux problèmes: le problème de conflit de travail là, d'interprétation de la convention. Il y avait également le problème de discrimination. C'est vous qui avez utilisé ce terme-là.

R. Oui, oui.

Q. Discrimination illégale.

R. Il y avait plusieurs problèmes, aussi qu'on n'était pas en plus, en partant, équipés pour pouvoir répondre à ce genre de demande de travailleurs-là, c'était pas notre mandat.

Q. Ma question précise, cette lettre-là, la lettre du 25 de monsieur Tardif parle d'une éventuelle entente entre le syndicat et l'employeur.

R. H'mmm-H'mmm.

Q. Que suite soit donnée aux demandes. Moi ma question précise, je suis ici pour une fin bien spécifique, la discrimination.

R. H'mmm-H'mmm.

Q. Pour les fins de la discrimination, comment le service vous avait satisfaits?

R. Écoutez. Là il n'y avait pas eu enquête à ce sujet-là encore. Nous ce qui importait c'est qu'on arrête le service, point. Par la suite ce qui se passera on verra, mais là ce qui était important pour nous c'est qu'on arrête tout simplement le service, qu'on n'ait plus la visite des débardeurs puis qu'ils s'entendent une fois pour toute sur leur question à eux, qu'ils se débattent. L'autre question, si une personne a dit des choses, c'est une autre affaire. Écoutez. Il fallait pas ... s'il avait fallu commencer à donner des notes, monsieur Tardif, s'il avait dit que malgré... je pense pas qu'on aurait pu entrer dans cette question-là dans la note, ça n'aurait pas été tellement à propos d'envoyer la lettre à monsieur McMaster (sic) disant des choses comme ça.

Q. Ça fait qu'autrement dit, si je comprends bien, le 26... le 25 novembre 86 vous étiez d'accord avec cette lettre-là mais toutefois vous n'êtes pas revenu sur votre décision de ne pas participer à de la discrimination raciale.

R. Bien, on n'est pas revenus sur notre décision certain." (P. 194 à 201, volume 1)

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Le tribunal a cité une grande partie du témoignage de M. Duquette, car celui-ci contenait de nombreuses précisions. M. Duquette avait dit précédemment, à la p. 12 du volume 1, que lui-même et ses collègues ne voulaient pas travailler sur l'entente CEI-AEM. A la p. 13, interrogé sur la lettre de M. Tardif du 25 novembre 1986 et une rencontre avec M. Tardif, le témoin a répondu qu'il y avait eu une rencontre avec son syndicat au sujet de la discrimination et de leur refus de travailler sur l'entente.

A la p. 14, M. Duquette a fait allusion non seulement au commentaire pas de Noirs, mais aussi à [TRADUCTION] tous les faits qui étaient survenus, pour expliquer le refus de travailler sur l'entente CEI-AEM. Comme l'avocat de la NBC a fait ressortir une contradiction dans les dates, M. Duquette a admis que le refus de travailler sur l'entente CEI-AEM avait été causé par leur opposition à la nature du travail, avant que M. Therrien ne fasse sa remarque censément discriminatoire le 12 novembre 1986. Ce qui importait à M. Duquette et à ses collègues conseillers du bureau de la rue Saint-Denis était : Nous, ce qui importait c'est qu'on arrête le service, point. Par la suite ce qui se passera on verra, mais là ce qui était important pour nous c'est qu'on arrête tout simplement le service, qu'on n'ait plus la visite des débardeurs puis qu'ils s'entendent une fois pour toute sur leur question à eux, qu'ils se débattent. (p. 201, volume 1). M. Théo Beaudin, le président du syndicat des débardeurs, a témoigné que l'AID avait été créée en 1898 (p. 233), qu'elle dépose environ 750 griefs par année (p. 232), qu'en 1965, elle comptait 3 400 membres et que lui-même en était devenu membre en 1960 (p. 235, volume 2). La convention collective de 1986 avait été signée en août 1984. On s'est reporté à l'article 37 (HRC-5 et p. 239, volume 2) qui autorisait une prorogation de la convention jusqu'à la signature de la suivante.

Article 37 Durée de la convention collective

«La présente convention collective demeurera en vigueur pour une période de trois (3) ans, du 1er janvier 1984 au 31 décembre 1986, et continuera d'être en vigueur d'année en année à moins que l'une ou l'autre des parties ne fasse parvenir un avis de terminaison ou de révision de cette convention entre le 90e et le 60e jour précédent la date d'expiration de la présente convention.

Dans cette même période chaque partie devra faire parvenir à l'autre partie le texte des amendements qu'elle entend apporter à la présente convention.

Toutefois, l'effet rétroactif des nouveaux articles de la présente convention ne s'applique que relativement aux taux de salaire et aux montants des contributions au fonds de pension et de bien-être. Toute autre modification apportée par la présente convention collective n'entrera en vigueur qu'à compter de 08h00 le premier dimanche suivant la ratification de la présente convention collective.

Nonobstant ce qui précède, les dispositions de l'article 7.01(c) entreront en vigueur aussitôt que les changements dans la programmation auront été

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effectués.»

Par ailleurs, l'article 1.07 stipulait que le syndicat fournit la main-d'oeuvre à l'AEM, non seulement les travailleurs réguliers et ceux travaillant en heures supplémentaires mais également les travailleurs occasionnels, appelés aussi travailleurs à temps partiel (HRC-5 et p. 240, volume 2).

Article 1.07 (article 1 : Reconnaissance)

«Lorsque tous les membres disponibles du syndicat ont été appelés, des aspirants membres, sous le contrôle du syndicat, peuvent être engagés par l'entremise de la salle d'embauche. Si tous les employés précités ont été appelés, les employeurs pourront appeler des employés non syndiqués en donnant un avis immédiat au local.»

M. Beaudin a déclaré dans son témoignage qu'aucun nouveau membre ne s'était joint à son syndicat parce qu'il n'était pas nécessaire d'embaucher de nouveaux travailleurs. Entre 1898 et 1970, le travail effectué par les débardeurs était essentiellement un travail physique : ce dont on avait besoin, c'était des bras forts et de bonnes jambes. A compter de 1970, la situation a changé : en raison des changements technologiques, les conteneurs ont été de plus en plus utilisés. On avait besoin de main-d'oeuvre moins spécialisée. Le type d'équipement installé dans le port de Montréal était et est encore très complexe. M. Beaudin a témoigné du rôle que jouait le syndicat dans le recrutement des travailleurs, ainsi que le décrit la convention collective régissant la période de 1984 à 1986. Il a également expliqué qu'il n'y avait pas eu de recrutement depuis 1965 (p. 240, volume 2). Dans le contexte des changements, la main-d'oeuvre utilisée au port de Montréal est devenue trop abondante, et on a élaboré divers projets afin de la réduire. L'un d'eux était de racheter un certain nombre d'emplois en 1973 et en 1976 (p. 241). Huit cent cinquante employés ont accepté une somme de 12 000 $ pour se retirer du port de Montréal. En 1984, un nouveau régime de préretraite a été mis sur pied afin que les travailleurs âgés de soixante ans et plus puissent en profiter. En 1986, pour être prioritaires sur la liste de travail, les aspirants-membres du syndicat devaient verser 100 $ (60 $ dans les années soixante-dix) (p. 244, volume 2). Leurs noms étaient placés sur une liste communiquée à l'employeur, ce qui leur assurait la priorité d'une année d'emploi complète par rapport aux travailleurs occasionnels, qui venaient de n'importe où pour chercher du travail pour une journée ou plus (p. 244, volume 2)

Voici comment était composée la main-d'oeuvre (p. 244, volume 2) :

  1. les débardeurs ayant la pleine sécurité d'emploi, à titre de membres en règle du syndicat, l'AID,
  2. les aspirants-membres du syndicat,
  3. les travailleurs occasionnels ou à temps partiel.

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Pourquoi autant de catégories? La demande qui existait au port de Montréal expliquait cette situation.

M. Beaudin a mentionné qu'il existait un conflit entre l'AEM et son syndicat (p. 248, 249) qui remontait à 1985, au moment ou le syndicat et l'AEM avaient commencé à discuter de la sélection et du recrutement des travailleurs pour le port de Montréal. En décembre 1985, le syndicat a pris une décision, et tous les aspirants-membres qui avaient payé une cotisation annuelle afin d'être reconnus à ce titre (100 $) sont devenus membres du syndicat. Des listes de noms avaient été dressées en décembre 1985 et, en 1986, les groupes d'aspirants-membres ont été intégrés au syndicat jusqu'à l'automne 1986.

Ainsi, le syndicat comptait 250 membres de plus au moment où il se préparait à entamer les négociations avec l'AEM, à la fin de 1986 (p. 249, volume 2). L'employeur (AEM) était au courant de la pénurie de main-d'oeuvre. Il avait la prérogative soit d'engager un grand nombre de gens ayant une sécurité d'emploi complète soit de retarder le travail sur un nombre donné de navires jusqu'à ce que les travailleurs disponibles fournis par le syndicat puissent exécuter le travail en retard : depuis 1967, a expliqué M. Beaudin, par suite de l'enquête Picard, les débardeurs jouissaient d'un régime de sécurité d'emploi, ce qui coûtait cher. Et lorsque la question s'est posée d'ajouter de nouveaux travailleurs, le syndicat n'a pu considérer comme sans importance les répercussions économiques d'une décision concernant le recrutement de travailleurs additionnels. La question soulevée par l'avocate de la CDP sur la période postérieure à 1986 jusqu'en 1989 concernait le recrutement au cours de cette période. L'avocat de l'AEM s'y est fortement opposé. Il s'est reporté à la plainte déposée par la NBC et l'a considérée comme une plainte visée par l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a fait remarquer que la plainte portait strictement sur la question d'une entente, soit un contrat verbal, et qu'aucun employeur n'était accusé d'exercer de façon systématique des actes discriminatoires dans le recrutement au port de Montréal. Il ne s'agissait pas non plus d'une plainte portant sur le processus d'embauche utilisé actuellement.

Il a insisté pour dire que la situation qui avait donné lieu à la plainte portée par la NBC était bien située dans le temps et très précise (p. 252-253, volume 2). Il a rappelé au tribunal que l'entente entre le CEI et l'AEM n'avait pas été mise en application, que le CEI n'y avait pas donné suite et qu'il n'y avait eu aucun recrutement en 1986. Il s'est opposé à ce qu'on interroge le témoin au sujet de ce qui était survenu au cours des années ultérieures, car ce n'était pas pertinent. En réponse à son objection, l'avocate de la CDP a élaboré une argumentation portant sur un complot entre le CEI et l'AEM : point difficile à prouver, a-t-elle reconnu, à un point tel qu'il faut s'appuyer sur une preuve circonstancielle pour finalement conclure que, effectivement, l'entente en cause avait servi de cadre à l'acte discriminatoire faisant l'objet de la plainte. L'avocate de la CDP a cité un passage de l'ouvrage de Béatrice Vizkelety, Proving Discrimination, publié par Carswell. Elle a cité un extrait de la page 140 de ce livre (p. 258, 259, volume 2).

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[TRADUCTION]

"Même si l'intention n'est plus considérée comme une condition préalable à la preuve de la discrimination, il peut encore être difficile d'établir les motifs pour lesquels un intimé moins sincère a agi d'une façon particulière, en particulier lorsque la décision se fonde surtout sur des critères subjectifs. Le problème surgit avec une acuité semblable dans les cas d'allégation de harcèlement sexcuel lorsque les actes sont presque toujours exécutés en privé.

Dans les cas de ce genre, lorsque la preuve directe du comportement illégal n'est pas disponible, la discrimination peut être établie par inférence, par l'utilisation d'une preuve circonstancielle. Ce dernier type de preuve, qui peut être assimilé à un puzzle, dépend habituellement d'une série de faits dont chacun est en soi insuffisant pour conclure à une inférence de discrimination, mais qui, lorsqu'ils sont combinés, peuvent la justifier.

En l'absence d'une preuve directe, on ne peut tenter de prouver avec certitude un fait en cause. Toutefois, plus grand est le nombre d'éléments pouvant être réunis, quelquefois avec beaucoup de difficulté, plus solide sera le fondement de l'inférence ultime."

L'avocate de la CDP a également cité les extraits suivants (p. 148 et 150) du même ouvrage.

[TRADUCTION]

"Comme l'indiquent les commentaires qui précèdent, un plaignant peut produire une preuve concernant le comportement qu'a eu l'intimé à des occasions qui ne sont pas reliées directement à l'espèce afin de prouver la différence de traitement. Il est également possible, dans certaines circonstances, de présenter une preuve d'un mauvais comportement antérieur, afin de prouver indirectement la discrimination.

Cette preuve s'appelle preuve de faits similaires. Dans la même optique, les tribunaux des droits de la personne ont eu l'occasion d'examiner la valeur probante de la preuve de faits similaires et de l'évaluer par rapport au préjudice qu'elle pourrait porter à un intimé si cette preuve était admise."

L'avocat de l'AEM a maintenu son objection, attaquant la prétention selon laquelle un complot avait été tramé afin d'exercer une discrimination contre les Noirs. La plainte concernait, a-t-il soutenu une fois de plus, une entente et non un complot. L'intimé n'a aucunement tenté de nier l'existence d'une entente concernant l'engagement de nouveaux travailleurs au port. Celle-ci existait bel et bien et il y avait beaucoup de preuves à cet égard. L'avocat de l'AEM a également traité de la question de la preuve circonstancielle qui avait été introduite dans ce débat par l'avocate de la CDP (p. 262, 263, volume 2).

Me Rochon: Quand mon confrère cite Béatrice Viskelety puisqu'elle cite circumstantial evidence, elle a bien dit, mais elle a oublié d'arrêter sur ce mot-là:

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[TRADUCTION]

"Dans les cas de ce genre, lorsque la preuve directe du comportement illégal n'est pas disponible".

Est-elle vraiment non disponible? Avons-nous du moins demandé à Emploi et Immigration Canada s'il en avait une? Il faudrait d'abord prouver cet élément avant de dire qu'elle n'est pas disponible.

Il est incompréhensible qu'ils aillent aussi loin et qu'ils soulèvent maintenant la question du complot afin de prouver ou de faire figurer au dossier des choses qui n'ont rien à voir avec l'espèce parce que, et je le répète, nous sommes face à une situation qui est clairement précisée dans la plainte comme une entente entre une société de la Couronne, non pas une société de la Couronne, une branche du gouvernement, mon Dieu Seigneur!.

L'avocat de l'AEM ne pouvait convenir que la théorie de la preuve de faits similaires s'appliquait ici, parce que la preuve indiquait que, dans le port de Montréal, il y avait eu avant l'entente conclue en 1986 par le CEI et l'AEM des contrats d'emploi intervenus par l'AEM et le syndicat des débardeurs, qui avaient eu pour effet d'exclure du port de Montréal toute personne de l'extérieur, et ceci visait également les minorités visibles (p. 263, volume 2).

Selon le tribunal, la déclaration faite à la page 263 du volume 2 par l'avocat de l'AEM voudrait dire que personne n'avait accès aux emplois du port de Montréal pour les raisons suivantes : en premier lieu, ils étaient offerts, lorsqu'il y en avait, aux fils des membres du syndicat, et, en second lieu, comme il n'y avait eu, à toute fin pratique, aucun recrutement dans le port de Montréal depuis 1966, il était impossible de parler de recrutement dans ce port. L'avocat de l'AEM a insisté pour dire qu'il y avait effectivement une entente entre sa cliente et le CEI, mais elle n'avait jamais été mise en application. Par conséquent, on ne pouvait attaquer les pratiques de recrutement de l'AEM, les conseillers du CEI ayant refusé de travailler sur l'entente.

Il a poursuivi en faisant remarquer que le témoignage de M. Duquette était très clair. Ce dernier et ses collègues du bureau du CEI de la rue Saint-Denis avaient refusé de travailler sur cette entente parce que leur bureau n'était pas en mesure de répondre aux exigences posées par l'AEM dans le cadre de l'entente (p. 265, 266, volume 2). Pour réfuter les arguments avancés par l'avocat de l'AEM qui faisaient partie de son objection, l'avocate de la CDP a rappelé au tribunal qu'en l'espèce, il y avait eu contravention de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne :

Article 10 : Lignes de conduite discriminatoires

"Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

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a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite; b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel. 1976-77, ch. 33, art. 10; 1980-81-82-83, ch. 143, art. 5".

Voici comment elle a interprété l'article 10 :

«Ce qui est défini comme étant un acte discriminatoire dans cet article-là c'est le fait pour une personne visée de conclure une entente, entre autres choses, touchant le recrutement, cette entente ayant pour effet potentiel de nuire aux chances d'avancement, de promotions, et cetera, d'un individu ou d'un groupe d'individus ayant une des caractéristiques définies à la loi, et les motifs de distinction illicite on le sait sont prévus à l'article 3 de la Loi. Ce qui est donc l'acte c'est le fait, c'est ce qui est allégué, d'avoir conclu une entente qui aurait eu pour effet de priver un groupe d'individus de chances d'emploi en matière de recrutement. C'est ça l'acte qui est reproché à l'intimée. Donc, l'acte c'est bien l'entente. Qu'on utilise le mot complot, qu'on utilise le mot entente c'est tout à fait dans le même sens que j'ai utilisé ce mot-là. Maintenant, ce qui est une pratique similaire qui serait, je vous soumets respectueusement, admissible, c'est le fait d'avoir une pratique en matière d'emploi qui ait pour effet de nuire, soit susceptible de nuire à un groupe protégé.

C'est ça donc les actes similaires dont nous parle madame Viskelety et les références, et les causes qui y sont citées. L'acte similaire, la pratique similaire est mise en preuve au soutien de la preuve de l'acte principal qui est allégué et qui fait l'objet d'une plainte. C'est donc pour corroborer les autres éléments de preuve que cette preuve-là est introduite et c'est à ce titre que je vous soumets qu'elle est admissible. Merci.»

A ce moment-là, le tribunal a décidé de réserver sa décision sur l'objection soulevée par l'avocat de l'AEM. Après une lecture attentive de toutes les transcriptions, de toute la doctrine citée à l'appui des arguments avancés par les deux parties, le présent tribunal estime que l'objection soulevée par l'avocat de l'AEM était fondée. Il a adopté l'opinion selon laquelle il ne peut aller au- delà des faits survenus en 1986. Selon lui, étant donné que l'entente conclue en 1986 s'est éteinte et ne s'est jamais concrétisée, il n'y a aucune raison d'examiner les pratiques d'embauche en vigueur dans les années ultérieures, jusqu'en 1989. Comme le tribunal, au moment de l'audience, ne voulait manquer aucun élément qui pourrait l'aider à prendre la bonne décision, il a donné toute latitude au plaignant qui a produit beaucoup de preuves qui, finalement, ont convaincu le tribunal des faits suivants : L'AID, le syndicat des débardeurs dans le port de Montréal, aurait dû être partie à la procédure. La NBC ainsi que la CDP ont dû constater, au cours de la procédure, que le problème d'embauche, si nous pouvons le qualifier ainsi, avait des racines profondes et était attribuable à la tradition créée et maintenue au cours des années par le syndicat. Le tribunal s'est très bien rendu compte que l'employeur a tenté de modifier

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les règles du jeu, pour ainsi dire, mais ce dernier a découvert maintes et maintes fois, et plus précisément en 1986, que le syndicat n'était pas prêt à faire des concessions. Pour ce dernier, l'entente conclue par le CEI et l'AEM était tout à fait inacceptable; il considérait qu'elle interférait avec ce qu'il estimait être un droit définitivement acquis. Comme M. Beaudin l'a expliqué dans son témoignage (p. 270, volume 2) en réponse à une question de l'avocate de la CDP : en novembre 1986, le problème d'engagement dans le port de Montréal n'était pas plus aigu qu'auparavant. Le contexte était difficile, car les pourparlers devaient commencer relativement au renouvellement de la convention collective qui devait expirer le 31 décembre 1986. M. Beaudin a également expliqué qu'un problème important existait pour le syndicat, car certains travailleurs pouvaient accumuler soixante heures supplémentaires outre leur semaine de travail ordinaire (p. 271).

Les relations entre l'AID et l'AEM étaient difficiles. A un moment donné, une liste de quinze noms est soudainement apparue. Personne ne connaissait le nom des gens qui figuraient sur la liste, dans un milieu où tout le monde se connaît. Il n'a pas fallu beaucoup de temps pour constater que l'employeur avait sollicité la collaboration du CEI pour envoyer des travailleurs au port de Montréal, a dit M. Beaudin (p. 272, transcription 2). Lorsque Flash a été distribué aux débardeurs le 17 novembre 1986, ils ont considéré la nouvelle qu'il contenait comme une stratégie afin de déstabiliser la position du syndicat au moment où commençaient les négociations.

M. Beaudin : Deux, trois jours après on entend parler qu'il y avait un débardeur qui avait été menacer les employés d'Emploi et Immigration Canada. Là on a réagi un peu plus... suite à ce qui s'est déroulé à la salle d'embauche je dois vous dire qu'il y en a pas un d'eux autres qui ont été octroyé du travail. Ils sont restés assis dans la salle puis on a entendu parler par après qu'ils avaient été payés huit heures sans travailler. (P. 272, volume 2)

Cette déclaration de M. Beaudin laisse sous-entendre qu'aucune personne de l'extérieur, quelle qu'elle soit, n'aurait pu travailler dans le port de Montréal : ni la couleur ni l'origine ethnique de quiconque intéressé à travailler dans le port de Montréal ne semblaient constituer un motif pour avoir accès ou non aux emplois de débardeur.

M. Beaudin, ou son syndicat, était-il concerné par la discrimination? Pas du tout. Il a expliqué (p. 273, volume 2) qu'il se préoccupait surtout de retrouver ceux qui s'étaient rendus au bureau du CEI de la rue Saint-Denis et avaient proféré des menaces. Quant à la question de la discrimination, voici ce qu'il a dit à cet égard :

«Après bien on a entendu parler par les journaux de l'incident d'un nommé Therrien, Lucien Therrien qui avait été congédié dans Emploi et Immigration Canada par rapport à une entente supposée avec l'employeur de ne pas envoyer de Noirs sur le Port. Mais tout ça c'est des rumeurs entre-temps, ce que je vous raconte là. Mais pour

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l'incident du débardeur j'ai tenu à rencontrer les employés d'Emploi et Immigration Canada, j'ai reçu la visite de deux de ces messieurs-là. Si ma mémoire est bonne c'était un monsieur Beaulieu et un monsieur Tardif, de mémoire. Ils sont venus chez nous puis je leur ai expliqué le contexte syndical, on est en période de renouvellement de convention collective, on a une clause de convention qui prévoit que c'est le syndicat qui est le fournisseur de main-d'oeuvre à partir d'un groupe identifié. Quand ils ont pris connaissance de ça ils m'ont affirmé qu'il n'est plus question d'entente, ils n'enverront plus personne au Port sans que les deux parties, soit le syndicat et l'employeur, leur fassent une demande formelle.

L'incident s'est terminé là pour ce qui nous concerne. Si on avait pu identifier les débardeurs probablement que si... mais on a jamais cru à cette histoire de débardeurs-là franchement. Il y avait aussi un conflit à l'intérieur de la boîte à ce moment-là, un conflit syndical- patronal à l'intérieur de la boîte d'Emploi et Immigration Canada. On a jamais beaucoup cru cette histoire-là. Des enquêtes personnelles au sein de notre monde n'ont pas permis d'identifier personne non plus qui se serait présenté là. Après la rencontre avec les gens d'Emploi et Immigration Canada, ils nous avaient promis ces gens-là qu'ils n'enverraient plus personne sans l'assentiment des deux parties puis effectivement ils n'ont plus envoyé personne depuis ce temps-là, on a jamais eu de problèmes dans ce sens-là. On a eu des problèmes d'embauche d'un autre ordre, mais avec Emploi et Immigration Canada ça s'est terminé là.» (P. 273, 274, 275, volume 2)

Interrogé par l'avocat de la NBC, M. Beaudin a expliqué la nature du problème entre le syndicat et l'AEM. Quand on lui a demandé si M. Masters, président de l'AEM, et lui-même avaient discuté du problème d'engager des Noirs dans le port de Montréal, M. Beaudin a répondu ainsi (p. 304) :

Me Dortelus:

«Q. Au cours de 86, ou plus précisément en novembre 86, quand vous avez mentionné que le problème était rendu public, avez-vous eu personnellement des discussions avec monsieur Masters sur le problème d'embauche des Noirs au Port de Montréal?

R. En 86, après la circulaire de l'employeur, c'est-à-dire le petit journal que l'employeur a fait circuler, on a des réunions à toutes les semaines avec l'employeur, puis des fois plusieurs fois par semaine -- qu'on ait parlé des Noirs de façon plus spécifique, pour nous autres, pour le syndicat l'intervention que l'Association des Employeurs Maritimes avait faite avec Emploi et Immigration Canada, pour nous autres le problème des Noirs n'était pas là, ce n'était pas un problème de Noirs. C'était simplement, on a perçu ça comme une tentative de faire une percée dans notre convention collective. Le problème des Noirs n'était pas présent comme il est devenu après... après la Loi d'équité en emploi, par exemple. C'est pas ça. Nous autres ce qu'on a fait comme mesures au syndicat c'est qu'on a tenté de contrer ou de faire valoir notre convention collective. La lettre que vous m'avez montrée tout à

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l'heure, la lettre de Lacroix affirmant au syndicat qu'il va procéder à l'embauche, ça a été contesté par grief. On voulait tout simplement contrer une poussée de l'employeur pour tenter de rentrer dans notre convention collective. En même temps, bien on s'est rendu compte par les journaux et par les interventions d'Emploi et Immigration Canada qu'il y avait une question de Noirs là-dedans aussi. Supposément que l'employeur avait pris soin de spécifier à Emploi et Immigration Canada envoie du monde mais surtout pas de Noirs. C'est surtout pas une position syndicale celle-là.» (P. 304, 305, volume 2)

Puis M. Beaudin, essayant de nouveau de répondre à la même question, a fait allusion à la partie d'une discussion qu'il se rappelait avoir eue avec M. Masters (p. 305). Au cours d'une discussion sur la productivité dans le port de Montréal, M. Masters aurait mentionné que le port de Chicago était en crise parce que ses travailleurs noirs faisaient de fréquents arrêts de travail. M. Beaudin a continué en disant qu'il n'avait pas pris cette remarque au sérieux, la considérant comme l'éternelle blague sur la pluie qui ne cesse de tomber sur le port de Chicago. M. Beaudin a invoqué d'autres facteurs pour expliquer les faibles résultats du port de Chicago (p. 306). Comme l'avocat de la NBC essayait d'établir que M. Masters attribuait la situation qui existait à Chicago au fait que des Noirs travaillaient là-bas, les réponses faites par M. Beaudin empêchaient de tirer une telle conclusion. Il ne se compromettait pas :

[TRADUCTION]

"tous les ports de l'Amérique du Nord ont connu, à un moment ou l'autre, des périodes difficiles (p. 307)."

M. Beaudin a reconnu (p. 308) que M. Masters avait fait cette remarque, mais il n'y avait pas porté attention.

«Le témoin: C'est une déclaration de monsieur Masters effectivement mais moi à ce moment-là je n'ai pas prêté plus d'attention. Ça m'est revenu après avec l'histoire des Noirs et moi comme individu je me pose quand même des questions, qui à un moment donné ne se souvient pas de quelque chose qui s'est passé dans le temps puis dire est-ce que c'était correct, est-ce que c'était sérieux à ce moment-là ou pas. Ça fait partie du normal. Mais j'ai tout simplement sur le moment pris ça pour un argument que monsieur Masters tentait de faire valoir pour prouver que les débardeurs de Montréal, étaient plus ou moins productifs, mais c'est de la négociation et c'est de la discussion une négo, il y en a de toutes sortes.

Nos discussions ne s'arrêtent pas au Port de Chicago ni aux ports américains. De temps en temps on fait une exploration des ports européens aussi mais ça fait partie de la maîtrise qu'un gars peut avoir, qu'une personne peut avoir dans son dossier, c'est aussi simple que ça. Mais après ça m'est revenu comme étant un incident que j'ai relié avec l'embauche des Noirs.» (P. 308, volume 2)

Du témoignage qui précède, le présent tribunal conclut qu'en 1986, M. Beaudin n'était pas préoccupé par l'embauche des

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Noirs dans le port de Montréal. Il n'était pas non plus au courant d'actes discriminatoires exercés dans le port de Montréal. Contre-interrogé par l'avocat de l'AEM (à partir de la page 314, volume 2), M. Beaudin a expliqué que, pour autant qu'il pouvait se rappeler des remarques faites par son père, le syndicat fournissait la main- d'oeuvre. A ce moment-là, les employeurs du port de Montréal étaient tous indépendants et ils s'adressaient au syndicat pour engager les débardeurs dont ils avaient besoin (p. 314). Les travailleurs provenaient des chantiers de construction et travaillaient une partie de leur temps dans le port (p. 315). Le port était fermé pendant l'hiver, et ce n'est que dans les années soixante-dix qu'il y a eu plus de stabilité, au moment où le port a commencé à ouvrir douze mois par année. Il a poursuivi en expliquant que l'enquête Picard avait conduit à la création d'un régime de sécurité d'emploi dans le port de Montréal (p. 318). Cela voulait dire, en règle générale, qu'on promettait aux débardeurs une certaine somme afin qu'ils demeurent disponibles (p. 321). L'avocat de l'AEM a invoqué l'article 1.07 de la convention collective (HRC 5) afin de confirmer la situation d'atelier fermé qui existait dans le port de Montréal. La sécurité d'emploi est devenue réalité en 1967 et s'est poursuivie de façon ininterrompue jusqu'en 1986 à tout le moins (p. 324).

Seuls les travailleurs spécialisés étaient admis au régime de sécurité d'emploi pendant cette période (p. 325). En 1986, le nombre de membres du syndicat a diminué, comparativement aux 3 400 membres qu'il comptait en 1973. En 1974, ils étaient 1 400. Où étaient-ils tous partis? Huit cent soixante-dix-huit débardeurs avaient accepté une offre globale faite par l'AEM et, pour 12 000 $, avaient pris une préretraite (M. Beaudin avait indiqué un nombre de 850 débardeurs à la page 240 du volume 2). A ce moment-là, les membres du syndicat avaient en moyenne plus de cinquante ans (p. 330, 331) (M. Masters a dit cinquante- sept ans à la page 649 du volume 4). Un bref examen de la situation entre 1900 et 1966 permet au tribunal de comprendre l'évolution de l'emploi dans le port de Montréal. Au départ constituée d'employés occasionnels, c'est-à-dire que les gens étaient payés pour quatre heures de travail lorsqu'ils offraient leurs services, la main-d'oeuvre est devenue beaucoup plus intéressante (p. 596, voluem 4). En 1980, en 1981 et en 1983, il y a eu pénurie de main-d'oeuvre (p. 613, 614).

L'article 13.06 de la convention collective (R-10) en vigueur entre 1984 et la fin de 1986 prévoyait un effort commun de la part de l'AEM et du syndicat.

Article 13.06 (article 13 : Éligibilité au plan de sécurité d'emploi) S'il devient nécessaire, de l'avis de la gérance, d'augmenter le nombre d'employés sur la sécurité d'emploi pendant la durée de la convention collective, ces nouveaux employés seront sélectionnés conjointement par le syndicat et la gérance, à partir d'une liste fournie par le syndicat. Finalement, le syndicat a été incapable de répondre aux exigences du secteur du transport maritime, ce qui a créé un problème (p. 616, 617). La demande de travailleurs supplémentaires faite au syndicat était- elle valide? Les besoins reliés au travail dans le port de Montréal, pour les années 1985 et 1986, donnent au tribunal une idée des exigences.

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M. Masters :

[TRADUCTION]

"Ainsi, nous sommes en présence d'une main-d'oeuvre dont tous les membres jouissaient, d'après les rapports informatiques, de la sécurité d'emploi. Ils appellent, on leur donne du travail et lorsqu'il n'y a pas assez de noms dans l'ordinateur, les travailleurs occasionnels ou les travailleurs occasionnels réguliers viennent dans la salle d'embauche, dans la section 49 du port de Montréal. Nous donnons les commandes, et ils les prennent et ils travailler.

A la fin de ce processus, vous pouvez avoir certaines personnes qui viennent de la rue ou d'ailleurs, mais il vient un moment où on ne peut plus répondre aux besoins. A cette étape, les navires ne reçoivent aucun service. C'est davantage les navires manuels dont la cargaison n'est pas traitée. Il s'agit là de navires dont le traitement de la cargaison exige l'intervention d'une nombreuse main-d'oeuvre et ils sont là pendant assez longtemps. (p. 619, 620, volume 4). M. Masters a expliqué en détail les difficultés que l'AEM avaient connues en 1986. Sa description de la situation au port de Montréal à la fin de cette année-là est vivante :

M. Masters :

[TRADUCTION]

"De nouveau, dès novembre, décembre, c'est devenu très intensif. Ainsi, en 1985, l'Association voulait remplir les commandes. Lorsque vous êtes dans cette situation, c'est qu'il y a beaucoup de compagnies disant qu'on ne s'occupe pas très bien de leurs navires et, par conséquent, personne ne blâme trop les employés; ils se tournent vers nous et nous demandent pourquoi nous ne faisons rien à ce sujet. Un grand nombre de ces navires appartiennent à la catégorie des navires de 30 000 $ par jour et les autres navires doivent être traités rapidement pour répondre aux besoins.

Ainsi, il y a beaucoup d'actions lorsque nous sommes dans une situation comme celle de 1985. Q. Pourriez-vous parler de l'impact de novembre, en particulier de décembre 1985. R. Nous sommes dans le temps de Noël. Les navires vont s'en aller, et un grand nombre d'entre eux ne sont pas équipés pour la glace; ils doivent donc sortir, et nous n'avons pas encore eu un hiver aussi rigoureux que celui de 1985. Mais les choses sont ainsi, comme depuis les trente dernières années. En décembre, il y a toujours un très grand besoin. En 1985, il me semble que nous avons eu des problèmes, nous essayions de faire quelque chose au sujet de l'emploi, d'obtenir de nouveaux travailleurs. En 1986, si on examine la situation, dans les premiers mois encore, les conditions étaient assez graves et nous avions un nouveau problème : le syndicat est intervenu et a suggéré à ses membres de ne pas aller seiner. C'est le terme utilisé, je vais vous l'expliquer.

Seiner, c'est aller à la pêche, aller chercher du travail, les répercussions, c'est un terme qu'on utilise habituellement dans le milieu des débardeurs et certainement au Québec. On va seiner, c'est qu'on veut dire qu'on a un emploi, qu'on travaille tous les jours, mais si on veut faire un peu plus d'argent, on va à la salle d'embauche et on offre ses

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services pour avoir un autre emploi. Il n'y a pas beaucoup de gens qui font ça de façon régulière et, au cours des années, il y a eu des gens qui ont fait beaucoup d'argent en travaillant un très grand nombre d'heures supplémentaires. Par contre, depuis quelques années, on fait des pressions pour diminuer ce phénomène et certainement, en janvier 1986, elles ont assez porté fruit. La situation était pourrie, et le syndicat a suggéré aux membres de ne pas travailler en heures supplémentaires et va pas sur la seine (p. 621, 622, 623, volume 4). Le tribunal a beaucoup appris du témoignage de M. Masters, parce que ce dernier faisait ressortir la difficulté que posait le processus d'embauche et la solution que son organisme avait trouvée parmi les griefs déposés par le syndicat.

Finalement, l'AEM a trouvé 75 personnes, soit très peu comparativement à la main-d'oeuvre nécessaire pour traiter les navires dans le port de Montréal.

Voici comment il a décrit la situation dans le monde du travail à ce moment-là :

M. Masters :

[TRADUCTION]

"Ainsi, nous connaissions certaines données, nous avions la main-d'oeuvre qui avait un emploi assuré par ordinateur, ainsi que l'attrition normale. Deuxièmement, nous avions la possibilité de faire appel à la main-d'oeuvre qui n'a pas un emploi assuré et, troisièmement, nous savions combien d'employés purement occasionnels il y avait. Nous avions aussi une idée de nos besoins et, par conséquent, nous avions un problème, simple comme a, b, c.

Q. Est-ce à ce moment-là que vous vous êtes finalement adressé à la CEI?

R. C'était à la fin de l'été, au début de l'automne 1986. Nous leur avons dit que nous n'avions pas de main-d'oeuvre, que nous n'avions aucun moyen de l'obtenir, que notre partenaire ne devait pas résoudre ce problème avant que les négociations ne soient terminées; les négociations pouvaient durer beaucoup plus longtemps que la période que nous pouvions supporter. Nous avons décidé que la meilleure chose à faire était de former des gens ou d'essayer d'acquérir des gens qui pouvaient faire fonctionner de petits appareils comme des chariots-élévateurs de 6 tonnes ou de 12 tonnes. S'ils pouvaient être formés, acquis et formés et se joindre à la réserve de soutien, nous pourrions alors peut-être y arriver, nous pourrions peut-être répondre un peu plus à nos besoins. Le problème était alors dans la sélection et tous les aspects liés à l'emploi que nous-même, à titre d'association, n'avions jamais fait. Nous avions à notre disposition une main-d'oeuvre qui était avec nous depuis les années soixante. Et maintenant, nous étions obligés d'aller à l'extérieur, sur le marché du travail, pour trouver de nouveaux travailleurs. Les sources traditionnelles n'étaient plus valides. (P. 629, 630, volume 4). Quant à une politique relative à l'embauche qui tenait davantage compte de l'équité en matière d'emploi, M. Masters a expliqué comment il collaborait avec ETCOF, organisme regroupant les employeurs de transports et communications de régie fédérale

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et visant 400 000 employés relevant du fédéral (p. 631, 632, volume 4).

M. Masters a travaillé à un mémoire présenté par ETCOF au comité parlementaire, en date du 27 novembre 1985 (R-15). ETCOF appuyait le projet de loi 62 portant sur l'équité en matière d'emploi. Le mémoire traitait également des [TRADUCTION] problèmes existant dans ce domaine".

M. Masters :

[TRADUCTION]

"Deuxièmement, il a perçu des problèmes dans le secteur des conventions collectives, en particulier chez les débardeurs, lorsqu'un concept d'embauche était appliqué et lorsqu'il y avait des négociations sur des engagements communs pour recruter ensemble des travailleurs. Dans ce mémoire, les auteurs suggéraient au Ministre, à la CEIC et au Parlement, et finalement au Sénat, que si le gouvernement n'acceptait pas la proposition selon laquelle le syndicat devrait avoir des obligations, à l'instar de l'employeur, dans ces cas, il serait très difficile pour l'employeur de répondre aux exigences du projet de loi." (P. 634, 635, volume 4)

Dans un chapitre intitulé Role of Unions and Collective Agreements (rôle des syndicats et conventions collectives) de son mémoire, ETCOF (p. 5) [TRADUCTION] prouve qu'en raison du recours au licenciement par ordre inverse d'ancienneté et de la situation existant dans les industries fédérales à ce moment-là dans le secteur des transports, de toute évidence, pour respecter les exigences de la Loi, il y avait des problèmes dans l'avancement et les choses de ce genre lorsque l'ancienneté était le principal critère.

Q. Dans le bas de la page 5, Monsieur Masters, au dernier paragraphe, qui porte sur ce qui suit :

[TRADUCTION]

"L'exemple le plus frappant se trouve dans les secteurs de l'aconage et du transport maritime.... C'est là que les problèmes se posent.

R. Oui. (P. 635, volume 4) Le mémoire portait également sur la qualité et l'utilité des données recueillies d'après les renseignements fournis de plein gré par les employés.

A la page 8 du mémoire, selon le commentaire général apporté, [TRADUCTION] l'auto-identification avait fort peu de chance de produire des résultats solides et les données seraient difficiles sinon inutiles à certains moments.

[TRADUCTION] "Nous reconnaissons, reprend le mémoire, que dans notre société il ne serait pas acceptable que des individus soient tenus légalement de s'identifier comme handicapés ou comme appartenant à une minorité visible". (P. 636, volume 4)

M. Masters :

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[TRADUCTION]

"R. Du fait de ce mémoire et de notre intérêt vis-à-vis le projet de loi C-62, l'AEM s'est bien rendue compte de ses obligations et nous avons clairement compris que nous avions un problème parce que nous avions vécu pendant de nombreuses années avec l'obsession que le syndicat s'occupait de recrutement, et tout à coup nous avions une obligation que le gouvernement n'avait pas jugé bon de discuter avec le syndicat, et nous étions pris avec cette responsabilité.

Ainsi, avec le début des négociations, nous savions fort bien que nous devions élaborer une ligne de conduite en matière d'embauche qui non seulement résoudrait nos difficultés et nous fournirait des travailleurs, mais respecterait également les exigences du projet de loi C- 62. Ainsi, en 1985 et en 1986, il y avait deux problèmes parallèles : le premier, soit la pénurie de main-d'oeuvre et l'incapacité d'obtenir assez de travailleurs pour régler les problèmes, et le second, notre discussion avec le gouvernement au sujet de l'application du projet de loi C-62. Ainsi, l'AEM comprenait fort bien que la situation était différente et qu'elle devait en tenir compte au moment de l'embauche.

Deuxièmement, nous savions que notre main-d'oeuvre était et est encore aujourd'hui un reflet des conditions de 1966. Il était donc très évident que nous avions un problème grave à régler.

Q. Et quelle décision a donc été prise afin d'obtenir de nouveaux employés à ce moment-là?

R. Compte tenu des deux situations, nous avons communiqué avec la CEIC qui devait s'occuper de la sélection et de l'élaboration d'un programme qui répondait aux deux conditions et qui devait se poursuivre en septembre et en octobre. En novembre, nous avons réglé le cas avec la CEIC et nous avons averti les débardeurs...

Q. Avez-vous communiqué personnellement avec la CEIC afin de réunir tous les éléments nécessaires au processus d'embauche?

R. Non, j'ai participé à l'établissement des critères au sein de l'Association, mais c'est M. Bélanger qui s'est occupé des négociations avec la CEIC." (P. 637, 638, volume 4).

Interrogé au sujet du numéro de Flash du 17 novembre 1986, M. Masters a expliqué le contexte de cette publication.

M. Masters :

[TRADUCTION]

"Nous avons diffusé cette publication auprès de tous les débardeurs du port de Montréal en sachant fort bien... parce qu'en novembre 1986, et après avoir passé à travers la période que je viens de vous décrire, avec toutes les complications qu'elle comportait, les gens devaient

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comprendre qu'il y avait un changement et que les choses ne pouvaient se poursuivre comme ils les avaient toujours connues parce que, souvenez-vous, il n'y avait pas eu d'embauche. Par conséquent, ce que nous avons ici, c'est une attitude bien ancrée, par opposition à des gens qui participent de façon régulière; ces gens avaient en moyenne cinquante- sept ans à cette époque-là. Leur attitude, c'est que les nouveaux travailleurs qui viennent ici proviennent de la famille, par opposition aux procédures d'emploi normales.

Ainsi, pour communiquer avec les gens et leur dire pourquoi on change des choses et pourquoi il faut s'adresser à la CEIC, il fallait expliquer que le monde alentour d'eux changeait, et c'est ce que nous avons essayé de faire ici. Nous avons demandé conseil auprès de professionnels sur la façon de communiquer ce type de renseignements, et nous avons préparé et remis ce document à tout le monde.

Q. Dans ce document, parlez-vous de l'aspect particulier des obligations que vous impose le projet de loi C-62, des critères, du processus d'engagement, etc., de façon précise?

R. Oui, nous essayons de façon précise de prendre un sujet dans le contexte de 1986 et de l'expliquer à une personne qui pense encore selon la philosophie de 1966. Comme je l'ai déjà dit, nous avons demandé conseil à ce sujet, et ce document a été préparé expliquant ce qui suit : a) pourquoi il y avait eu un très gros changement, b) pourquoi il y avait une nouvelle loi. Ce gros changement et la nouvelle loi voulaient dire que les choses devaient se faire de façon différente et non qu'elles avaient été faites de façon différente... dans mon temps, ils n'engageaient jamais personne, mais nous croyions que c'était ainsi que cela devait se faire, et c'est exactement ce que ce document était destiné à faire." (P. 639, 640, volume 4).

Par suite de cette communication, l'AEM, après que certains faits se sont produits et dont le tribunal a été informé, a appris que le CEI [TRADUCTION] ne pouvait poursuivre le programme sans le consentement du syndicat (p. 644). Interrogé sur les commentaires qu'il aurait faits sur le port de Chicago, cités par M. Beaudin dans son témoignage, M. Masters a nié toute discussion qu'il aurait pu avoir avec M. Beaudin à ce sujet. M. Masters a insisté pour dire qu'il n'était jamais allé dans le port de Chicago, qu'on ne pouvait comparer au port de Montréal, ce dernier étant en concurrence plutôt avec ceux de New York et de Baltimore (p. 649, volume 4). Contre-interrogé par l'avocate de la CDP sur la question de la discrimination, M. Masters (p. 706, volume 4) s'est reporté à ses commentaires cités dans la Gazette [TRADUCTION] Si vous voulez savoir ce que je pensais, c'est à la page suivante :

[TRADUCTION]

"Le président de l'AEM, Arnold Masters, a dit à la Gazette qu'il n'était pas vrai que son association avait demandé qu'aucun Noir ne soit choisi.

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C'est complètement faux de suggérer que nous avons demandé qu'il y ait de la discrimination. Nous n'avons engagé personne depuis vingt ans, nous avons décidé que nous avions besoin de l'aide du gouvernement pour nous aider à appliquer les nouvelles règles régissant les lignes de conduite équitables en matière d'engagement. Vous auriez pu aller poser d'autres questions et vous auriez découvert que c'est Jean-Pierre Blier, que je n'ai jamais vu de ma vie, qui semble tout connaître, et, d'après cet article, ce sont tous des renseignements de seconde main.

Q. Mais ce que je voulais dire, Monsieur, c'est que lorsque vous avez lu cela, je suppose que vous étiez assez choqué.

R. Je ne vous le fais pas dire, et je le suis encore.

Q. Vous avez donc fait une déclaration publique à ce sujet.

R. Oui.

Q. Vous êtes-vous plaint à la CEIC, l'avez-vous mentionné dans une autre lettre à la CEIC, vous savez, que leurs employés divulguaient en quelque sorte des renseignements, en disant qu'il y avait entente entre l'AEM et quelqu'un de la CEIC au sujet de pratiques discriminatoires? Vous êtes-vous plaint de cela?

R. Si vous consultez l'autre lettre, nous avons, à partir de ce jour jusqu'en janvier, essayé d'éclaircir les choses avec la CEIC et à la fin, tout ce qu'ils nous ont dit, c'est que comme nous ne nous entendions pas avec le syndicat, ils ne nous donnaient pas les services normaux qu'ils fournissent aux employeurs.

Q. Ah, je comprends cela, mais leur avez-vous jamais mentionné que vous vous inquiétiez des accusations de discrimination? Vous êtes-vous plaint spécifiquement du fait que vous étiez en quelque sorte...

R. Je ne pense pas que la CEIC ait jamais dit que nous avions exercé de la discrimination, à ma connaissance. Je ne leur dirais pas... vous savez, ils ont effectivement dit que nous exercions de la discrimination. C'était le président du syndicat apparemment. Pas eux. Pourquoi devrais-je leur dire, pourquoi devrais-je les blâmer? J'ai dit ce que j'avais à dire en public, et je l'ai dit le jour où ça s'est produit.

Q. Mais vous ne vous êtes pas plaint officiellement du comportement des employés de la CEIC, si vous voulez, de façon précise dans des lettres ultérieures.

R. Je ne pense pas que la personne qui a dit cela est un porte-parole de la CEIC. Elle agit à titre de président du syndicat qui a fermé l'un de leurs bureaux et qui

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essaie de se défendre. C'est comme ça que je vois toute l'affaire, c'est exactement ce qui s'est passé. Quelqu'un a fermé le bureau parce qu'il avait peur et lorsqu'il l'a réouvert, il devait avoir une raison." (P. 706, 707, 708, 709, volume 4).

Contre-interrogé par l'avocat de la NBC, M. Masters a souligné que, pendant tout le temps où la décision du CEI d'annuler le service à l'AEM a fait l'objet de protestations,

[TRADUCTION]

"il ne s'agit de rien d'autre que de l'annulation de ce que nous estimions être un contrat légitime avec la CEIC. Et jamais la CEIC ne nous a dit qu'elle arrêtait de travailler pour nous pour des raisons de discrimination. Nous savons que, quant à nous, cela n'avait rien à voir avec la discrimination, et ce n'est que dans les journaux qu'on parle de discrimination. Ainsi, je ne comprends pas pourquoi j'aurais dû faire autre chose que ce que j'ai fait." (P. 714, 715, volume 4)

Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer les lignes de conduite en matière d'embauche à l'AEM, M. Masters a répondu de la façon suivante :

[TRADUCTION]

"R. Premièrement, de 1966 à 1984, ou disons 1980, je ne pense pas qu'il y ait eu de recrutement. Il n'y avait donc pas de politique comme telle. Puis il y avait, comme je l'ai dit ce matin, il y avait divers... et pendant ce temps, si on avait besoin de préposés à l'entretien, ils étaient engagés individuellement par les compagnies, après qu'elles eurent donné un avis en vertu de la convention collective, parce qu'il fallait donner un avis de formation. S'il n'y avait personne à former, on pouvait engager quelqu'un, et les compagnies engageaient quelqu'un individuellement. Je pense qu'il y a une clause précise de la convention qui porte sur des activités spécialisées ou mécaniques. Ainsi, pour l'embauche qui s'est fait dans ces secteurs, il n'y avait pas de politique, c'était une clause de la convention collective. Il n'y avait aucune politique régissant d'autres sujets avant 1984, lorsque nous avons tenté d'introduire une politique qui est l'article 13.06 que je vous ai cité et qui parle d'une liste de noms." (P. 720, 721, volume 4)

Interrogé au sujet d'une obsession concernant l'engagement des fils des membres du syndicat, M. Masters a expliqué qu'en 1984,

[TRADUCTION]

"nous avions besoin de personnel à court terme, et nous croyions qu'il s'agissait d'un besoin à long terme, de vingt menuisiers. Et comme la convention collective ne comportait aucune disposition sur la façon d'ajouter ces gens... en 1981, excusez-moi, à ce moment-là, nous avons écrit au syndicat pour lui dire que nous avions besoin de vingt menuisiers de plus. Nous avons donné un avis en l'absence d'une façon prescrite de faire." (P. 722, volume 4)

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Interrogé au sujet de l'équité en matière d'emploi, M. Masters a expliqué ce qui suit :

[TRADUCTION]

"Comme je l'ai indiqué dans Flash que j'ai envoyé le 17 novembre 1986, l'AEM était en 1985 et en 1986 très préoccupée par les obligations que nous imposait la nouvelle loi et également par le fait que nous ne pouvions résoudre nos problèmes de recrutement. Et c'est ce dont j'ai parlé dans tout mon témoignage ce matin, nous essayions de mettre sur pied un nouveau système de recrutement qui tenait compte des nouvelles obligations promulguées en vertu du projet de loi C-62. Oui effectivement, nous étions préoccupés par le recrutement et le projet de loi C-62." (P. 730, volume 4)

Combien de Noirs travaillaient pour l'AEM en 1986?

[TRADUCTION]

"Je ne sais pas exactement. Premièrement, le rapport que nous avons ici ne pourrait le dire parce qu'il ne porte que sur 1987.

En 1986, je crois qu'il y avait des membres des minorités visibles dans deux sections locales, d'après ce que je peux savoir. Je ne pourrais dire combien... il n'y avait pas eu de recrutement. Je sais qu'il y a deux Noirs qui travaillent dans le port, depuis très longtemps, mais c'est seulement parce qu'ils étaient dans l'Ouest et que je les connaissais." (P. 730, 731, volume 4)

Encore une fois, M. Masters a expliqué que

[TRADUCTION]

"notre main- d'oeuvre a la sécurité d'emploi, c'est une main-d'oeuvre âgée, et je ne connais certainement pas tout le monde. Nous avons une main-d'oeuvre occasionnelle qui provient de la salle d'embauche; je ne sais pas combien ils sont. Quant aux membres des minorités visibles, oui, il y en avait. Y en avait-il beaucoup? Je dirais que non, mais je ne peux pas dire combien; je sais également qu'il n'y avait pas beaucoup de femmes. Je veux dire qu'il n'y avait pas beaucoup de femmes, qu'il n'y avait pas beaucoup de membres des minorités visibles. Nous sommes en présence d'une main-d'oeuvre qui a évolué très très lentement, et nous n'avons engagé personne. Ainsi, la réponse est évidente. Vous savez qu'il n'y a pas beaucoup de femmes, qu'il n'y a pas beaucoup de membres des minorités visibles, et si c'est la réponse que vous voulez, c'est celle que je vous donne, mais ce qu'il me demandait, c'était combien. Je ne sais pas." (P. 731, 732, volume 4)

M. Jacques Bélanger, employé de l'AEM, a dit au tribunal (p. 763, volume 5) qu'il avait rencontré M. Lucien Therrien, d'Emploi et Immigration Canada, pour la première fois en 1985.

M. Jacques Bélanger J'ai parlé à monsieur Lucien Therrien que je connaissais antérieurement, qui s'était présenté à moi dans les années 85 pour nous offrir les services du Centre de la

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main-d'oeuvre en cas de pénurie sur le Port de Montréal. Alors j'ai rencontré monsieur Therrien...

Q. Vous connaissiez donc monsieur Therrien de ces événements-là antérieurs?

R. Oui, antérieurement, j'avais fait affaire avec monsieur Therrien en 1985.

Q. Est-ce que vous aviez eu -- avant de revenir en 86 là -- en 85 est-ce que vous aviez obtenu du Centre de main d'oeuvre à ce moment-là des employés occasionnels lorsque vous en avez eu besoin?

R. On avait téléphoné à monsieur Therrien deux fois, mais une fois seulement qu'on a requis de monsieur Therrien de nous envoyer des opérateurs de machinerie, qui, finalement, se sont rendus à la salle d'embauche le matin que nous avons fait la demande, et on ne s'en est pas servi finalement ce matin-là. On avait quand même payé les gens pour le déplacement qu'ils avaient eu. C'est la seule occasion où monsieur Therrien nous a fourni de la main d'oeuvre.

Q. Est-ce qu'à ce moment-là vous aviez épuisé toutes vos autres ressources internes; c'est-à-dire employés réguliers, employés casuels qui venaient à la salle d'embauche régulièrement?

R. Oui.

Q. Maintenant, à la fin de l'été, début de l'automne 86, vous dites que vous prenez contact avec le Centre d'emploi et Immigration Canada et c'est monsieur Therrien que vous connaissiez antérieurement avec lequel vous communiquez. Est-ce qu'il y a une rencontre qui a lieu?

R. Oui, il y a eu une rencontre qui a eu lieu entre monsieur Therrien et moi-même et monsieur Lafrance. (P. 763, 764, 765, volume 5)

Tout ce que M. Bélanger a dit après au sujet d'une série de faits rapportés au tribunal a confirmé les témoignages de MM. Duquette, Beaudin et Masters. L'AEM n'avait engagé aucun débardeur depuis vingt ans. Les travailleurs en place appartenaient à l'AID qui existait depuis 1912 (1898, a dit M. Beaudin, à la p. 222). Lorsque l'enquête Picard a été mise sur pied dans les années soixante, il y avait 3 400 débardeurs qui travaillaient dans le port de Montréal pour la Maritime Shipping Federation afin de charger et de décharger les navires. Dès le début des années soixante-dix, les changements technologiques sont apparus très rapidement; les employeurs, ayant à soutenir une main-d'oeuvre aussi nombreuse alors que le besoin n'était plus là, se sont conformés à la solution proposée par l'enquête Picard : la sécurité d'emploi a été négociée, et un programme de rachat des emplois a été instauré : 12 000 $ ont été remis à ceux qui décidaient de se retirer. Huit cent soixante-dix-huit l'ont fait. Qui étaient ces débardeurs qui travaillaient dans le port de Montréal? Des gens de diverses origines ethniques, la plupart travaillant là depuis de nombreuses années lorsque, en 1985, on a eu

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besoin de plus d'employés. Pour répondre à la demande de travailleurs spécialisés - le syndicat n'ayant transmis aucun nom - l'AEM, qui avait succédé à la Shipping Federation en 1968, a communiqué avec le CEI, qui avait déjà offert de fournir des employés au port de Montréal. Le CEI a envoyé un certain nombre de personnes demandées par l'AEM à cette époque, mais ces personnes n'avaient pas été employées ce jour-là, car le syndicat avait fourni le nombre d'employés dont on avait besoin. Comment cela fonctionnait-il dans le port de Montréal? Comme l'ont mentionné d'autres témoignages précédents, le syndicat avait toujours été celui qui fournissait la main-d'oeuvre, composée d'ouvriers spécialisés qui avaient été formés par les compagnies qui construisaient l'équipement installé dans le port de Montréal. A mesure que les stagiaires devenaient spécialisés, ils formaient à leur tour d'autres travailleurs. Le syndicat était une grande famille (p. 334, 425, 613, 616). Les pères s'attendaient à ce que leurs fils et leurs filles deviennent des membres en règle du syndicat, comme eux-mêmes.

Toutefois, ils devaient d'abord faire partie de la réserve des travailleurs occasionnels qui était destinée à fournir les travailleurs supplémentaires nécessaires pour répondre à la demande si, par exemple, plus de navires qu'à l'habitude venaient dans le port de Montréal : cela se produisait en période de pointe, depuis l'été jusqu'à la fin décembre, à la fermeture du port. Ainsi, la réserve de travailleurs occasionnels était une réserve de soutien, composée de travailleurs qui envisageaient de devenir membres du syndicat afin d'obtenir la sécurité d'emploi. Que comportait la sécurité d'emploi? Tant d'heures de travail par année pour tant d'argent! Les heures additionnelles étaient rémunérées en conséquence. Quand ils faisaient partie de la réserve de soutien, les travailleurs se présentaient au port de Montréal au début de la journée. Entre 6 h 00 et 7 h 30, les membres du syndicat qui étaient tenus d'appeler le soir avant d'enregistrer leur présence venaient dans la salle d'embauche pour pourvoir les emplois. S'ils ne se présentaient pas, il y avait moins de gens disponibles; après que tous les membres du syndicat avaient pourvu les emplois, on faisait appel aux travailleurs occasionnels dans la salle pour ceux qui restaient. Naturellement, les travailleurs occasionnels devaient être capables de pourvoir ces emplois et il ne leur suffisait pas d'être présents : ils devaient être capables de faire ce qu'on leur demandait. Comme nous l'avons déjà mentionné, ils devaient avoir eu une formation préalable; s'ils n'en avaient pas eu, l'emploi demeurait vacant. Comme ce processus ne marchait pas, il fallait de toute évidence trouver une solution. L'AEM a essayé de la trouver, et on a révélé au tribunal les approches favorisées par l'AEM ainsi que les réactions qu'elles avaient provoquées au niveau du syndicat. (Décision 559, Conseil canadien des relations du travail, Association des employeurs maritimes, requérants, et Association internationale des débardeurs, section locale 375, et Theodore Beaudin et Jacques Giroux, intimés. La page 3 contient une description plus détaillée du processus quotidien d'attribution des emplois (R-14).)

Au moment où les faits mentionnés dans la plainte par la NBC sont censés être survenus, il existait des tensions entre l'AID et l'AEM qui reconnaissait que le contexte dans lequel elle fonctionnait en 1986 n'était

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pas stable. Il y avait confrontation, car c'était le moment où s'entamaient les négociations concernant le renouvellement de la convention collective de 1984, qui devait expirer. Y avait-il des dispositions de cette convention collective autorisant l'AEM à engager des travailleurs à l'extérieur du syndicat? Oui. L'AEM était-elle fondée à essayer d'engager du personnel spécialisé par l'intermédiaire du CEI? Le fait que l'AEM a conclu une entente avec le CEI en vertu de laquelle ce dernier devait lancer un programme de présélection afin de trouver des travailleurs pour le port de Montréal, leur faire passer des tests puis les envoyer à l'AEM qui, à son tour, leur ferait subir des tests avant qu'ils aient accès aux emplois que, censément, le syndicat ne pouvait pourvoir, n'a pas obtenu l'approbation du syndicat. Tout ce processus effectué par l'AEM a été annoncé en même temps que cette dernière expliquait à la main-d'oeuvre son intention de respecter les exigences du projet de loi C-62, la Loi sur l'équité en matière d'emploi. L'AEM a décidé d'énoncer sa position en ce qui concerne les deux questions en diffusant le numéro du 17 novembre 1986 de Flash. La réaction des membres du syndicat a été vigoureuse, comme l'a découvert le tribunal, à un point tel que le CEI a décidé de fermer son bureau pendant quelques jours. Le président du syndicat a établi des contacts avec le CEI. Il a expliqué son côté de l'histoire et les objections de son syndicat à ce qui était proposé. Résultat : le CEI a dénoncé l'entente qu'il avait conclue avec l'AEM, invoquant l'absence d'entente entre le syndicat et l'AEM sur la présence, dans le port de Montréal, de travailleurs qui n'appartenaient ni au syndicat ayant la pleine sécurité d'emploi ni à la main-d'oeuvre occasionnelle ni à la réserve de soutien qui comprenait les aspirants-membres du syndicat, qui n'avaient toutefois pas la sécurité d'emploi (p. 350). Toutefois, le CEI était disposé à donner suite à l'entente dès qu'il aurait la preuve écrite que l'AEM et le syndicat étaient d'accord relativement au programme (R-10 et R-19). Au cours des divers témoignages qu'il a entendu, le tribunal a appris l'existence d'un troisième groupe de travailleurs que l'AEM voulait constituer, le bassin de réserve. Lorsqu'on lui a demandé comment il pouvait prétendre avoir eu des droits sur l'engagement de ce troisième groupe, M. Beaudin a répondu ainsi:

«Les relations normales employeur-employés, si le groupe nommé à 1.07 de la convention collective, n'aurait pas suffi, normalement l'employeur aurait dû demander au syndicat de tenter de grossir le groupe qui était les aspirants membres. Les relations normales employeur-employés».

Q. Dans ce cadre-là n'est-il pas vrai de dire, monsieur Beaudin, que l'employeur au cours de l'année 1985 vous a soumis une demande pour fournir des employés, conformément à l'article 13 de la convention collective, et je la cite. Je vais vous donner l'article précis, 13.06 de la convention collective, où il est écrit que: S'il devient nécessaire, de l'avis de la gérance donc l'employeur-- d'augmenter le nombre d'employés sur la sécurité d'emploi pendant la durée de la convention collective, ces nouveaux employés seront sélectionnés conjointement par le syndicat et la gérance, à partir d'une liste fournie

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par le syndicat. N'est-il pas vrai de dire que l'employeur vous a demandé de fournir une telle liste en 1985 et que le syndicat a systématiquement refusé de fournir une telle liste jusqu'à ce qu'une ordonnance d'un tribunal d'arbitrage vous y ordonne?

R. Oui. Vous parlez des grutiers?

Q. Je vous parle d'employés à être ajoutés sur la sécurité d'emploi.

R. Oui, mais dites donc au Tribunal toute la vérité, Me Rochon, c'est vous qui était dans ce dossier-là, une saga qui a duré trois ans. Le monsieur voulait des grutiers, des grutiers tout formés. La clause de la convention collective à l'article 19 disait qu'il fallait que l'employeur fasse de la formation parmi les gens qui étaient en place. Ça a duré trois ans la saga. C'est ça que ce monsieur-là tente de faire là puis aujourd'hui le Tribunal a dit il faut soumettre des listes, c'est sûr, puis j'ai soumis des listes de grutiers puis ça, bien ça s'est pas réglé plus.

Q. Est-ce qu'il serait vrai de dire, monsieur Beaudin, que le syndicat a systématiquement refusé pendant toute cette période-là (et jusqu'en 1988) de fournir les candidats nécessaires pour pouvoir permettre à l'employeur de procéder à l'embauche et qu'il a dû effectivement loger lui-même, l'employeur, un grief pour obtenir une ordonnance contre vous à cet effet-là?

R. Il y eu un grief qui a été étudié. Je ne le nie pas. (P. 350, 351, 352, 353, volume 2).

La lecture des pages suivantes du volume 2 a soulevé les commentaires insistants de M. Beaudin selon lesquels la convention collective, en vigueur en ce moment-là, justifiait son action lorsqu'il contestait, devant les représentants du CEI, l'entente conclue entre le CEI et l'AEM.

M. Beaudin:

«R. Je leur ai dit que j'avais une convention collective où j'étais fournisseur de main-d'oeuvre et puis ils n'avaient pas d'affaire dans le portrait à moins que les deux parties décident de faire appel à leurs services.

Q. Dans le fond est-ce qu'il serait vrai de dire que vous vouliez protéger vos 250 aspirants membres à ce moment-là qui étaient devenus membres?

R. Bien moi, c'est bien de valeur, t'sé, mais quand un homme rentre membre au local 375 il paye des cotisations syndicales et je ne me sens pas gêné de le défendre. C'est ce que je fais depuis que je suis responsable du syndicat.

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Q. Mais contrairement...

R. Je ne suis pas mal à l'aise avec ça du tout moi.

Q. Monsieur Beaudin, est-ce qu'il serait vrai de dire que contrairement à ce qu'on retrouve dans l'industrie en général, un employé devient membre d'un syndicat après qu'il est employé de l'employeur, alors que ici les personnes en question deviennent membres de votre Association, de votre syndicat avant même qu'ils soient embauchés à plein temps par l'employeur? Est-ce que c'est ça qui arrive dans votre cas?

R. Vous changez facilement d'historique.» (P. 357, 358, volume 2).

M. Beaudin ne voyait aucun problème dans le fait que le syndicat offrait aux 250 aspirants-membres qui avaient travaillé de façon temporaire pendant quinze ans, mais qui n'étaient pas des employés de l'AEM, de devenir membres du syndicat. Il a rappelé au tribunal qu'avant les décisions prises en vertu de l'enquête Picard, tout débardeur devait devenir membre du syndicat avant de commencer à travailler dans le port de Montréal (p. 360, volume 2). L'AEM a informatisé ses activités et produit le nom des débardeurs envoyés à la salle d'embauche. M. Beaudin n'avait aucun contrôle à ce sujet et il craignait qu'un grand nombre de gens envoyés par le CEI ne prennent les emplois de ses membres. M. Beaudin a admis, mais pas directement, qu'il voulait protéger les 250 mouveaux membres qui ne bénéficiaient pas de la sécurité d'emploi.

M. Beaudin: En 85 les aspirants membres ou les surnuméraires ne sont pas assignés comme aujourd'hui par ordinateur. Ils sont assignés via le hangar 49, la salle d'embauche. Tout le monde se présente là le matin, il y a 300, 350 personnes là le matin en quête de travail. C'est ça le contexte. C'est lui qui commande, c'est lui qui assigne. Si je ne compte pas des moyens de faire intervenir d'autre monde là je vais me retrouver avec combien de griefs par semaine du monde que lui va avoir désigné, décidé d'assigner au lieu d'assigner les miens conformément à la convention. Le contexte était affreux, avec Emploi et Immigration Canada je me suis expliqué clairement et ils m'ont compris parce qu'ils m'ont confirmé qu'ils n'enverront plus de personnel à l'Association des Employeurs Maritimes tant qu'ils n'auront pas la confirmation par le syndicat que effectivement il manque de la main-d'oeuvre.

Me Rochon:

Q. Pour tenter de clarifier, monsieur Beaudin, à la question que le Tribunal vous a posée, vous avez clairement indiqué tantôt que la priorité d'emploi était définie à l'article 1.07, les membres du syndicat couverts par la sécurité d'emploi en premier, priorité. Les aspirants membres en deuxième toujours et c'est seulement après avoir épuisé ces deux pools de main-d'oeuvre disponible qu'on peut aller à l'extérieur. Est-ce que c'est bien ça, monsieur Beaudin?

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R. Oui, c'est exact.

Q. Cette convention collective était en vigueur en 86, en novembre 86?

R. Bien non. On l'a signé en 88 celle-là que vous avez.

Q. Celle-ci?

R. Oui, c'est elle qui était en vigueur.

Q. Le 1.07 qu'on a vu tout à l'heure?

R. Oui.

Q. Alors donc, monsieur Beaudin, est-ce qu'il serait vrai de dire qu'effectivement lorsqu'il s'agissait de mettre des employés au travail il y avait donc priorité, vos membres, priorité ensuite aux aspirants membres, qu'ils soient devenus membres ou pas, de toute façon ils ont priorité, puis ensuite les tierces personnes?

R. C'est exact.

Q. Alors quand on demande, est-ce qu'il serait aussi vrai de dire, monsieur Beaudin, que quand on demande à Emploi et Immigration Canada de nous fournir de la main-d'oeuvre additionnelle parce qu'on manque de monde, que c'est dans cette troisième catégorie-là nécessairement que ces employés-là vont venir, c'est-à-dire après qu'on aura épuisé nos ressources de membres et d'aspirants membres?

R. Votre intention vous me la dites là. Je l'ai jamais su votre intention moi. Moi je vais me prémunir contre l'éventuelle position que vous auriez adoptée, parce que c'est beaucoup plus compliqué que ça. Quand bien même qu'il y aurait 200 personnes à la salle d'embauche demain matin, il s'agit là, puis allez à l'article 19, il s'agit pour l'employeur..." (P. 362, 363, 364, 365, volume 2)

L'avocat de l'AEM a parlé ainsi de l'opposition du syndicat (p. 373) :

«Q. Si vous écoutez mes questions vous allez voir c'est plutôt simple. La question de l'opposition à l'entente en question, la motivation du syndicat pour s'opposer à ce que Emploi et Immigration Canada dans un programme d'embauche fournisse à l'Association des Employeurs Maritimes la main-d'oeuvre additionnelle requise, la motivation pour s'opposer à ça, n'est-il pas vrai de dire, monsieur Beaudin, que c'est en raison de la traditionnelle et sempiternelle idée que c'est les fils de membres qui vont prendre les jobs et personne d'autre et que c'est vos membres qui s'objectaient à ça sur cette base-là et que l'employeur vous disait il n'en est pas question en vertu des dispositions de la loi, aujourd'hui ça marche plus?

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R. ...Je me suis jamais opposé au projet d'Emploi et Immigration Canada. Ces deux gens-là, ces deux types-là sont venus me voir parce que j'ai téléphoné là pour tenter d'enquêter sur ce qui s'était déroulé avec...» (P. 373, volume 2)

Après que M. Beaudin eut fait cet aveu dès plus étonnant, je me suis jamais opposé au projet d'Emploi et Immigration, l'avocat de l'AEM a voulu en savoir davantage; ce qu'il a découvert, c'est que M. Beaudin était convaincu que la main-d'oeuvre en place dans le port de Montréal à ce moment-là suffisait pour répondre aux demandes de l'AEM. Il y avait des pénuries, mais il a insisté pour dire que le CEI ne pouvait fournir les travailleurs spécialisés nécessaires (p. 376). Il n'a jamais accepté l'idée que l'AEM ne consulte pas le syndicat en premier lieu. Il a étendu la précondition de viser le troisième groupe d'employés, alors que l'AEM a réfuté toute obligation de sa part de consulter le syndicat. Convaincue comme elle l'était, l'AEM, par l'intermédiaire de M. Bélanger, a communiqué avec le CEI.

La jurisprudence et la doctrine

Les deux parties aux présentes ont cité de la jurisprudence à l'appui de leur position respective, fondée sur la preuve produite. Puisque le tribunal a convenu avec l'avocat de l'AEM que son objection d'examiner la situation existant entre 1986 et 1989 dans le port de Montréal était étrangère au présent débat était valide, il ne traitera donc que de la jurisprudence pertinente relative à la plainte déposée en 1987 par la NBC, par suite d'une enquête tenue par la CDP et la conclusion de celle-ci selon laquelle les faits justifient effectivement le dépôt d'une telle plainte. La NBC a fondé sa plainte sur deux reportages publiés dans la Gazette du 26 novembre 1986 et du 27 novembre 1986. S'agissait-il d'une plainte acceptable? Le tribunal juge que le processus par lequel la NBC a porté plainte au sujet d'un acte discriminatoire allégué dirigé contre un groupe précis d'individus ne pose aucun problème. Toutefois, si la NBC avait su ce que la preuve a, depuis le début des audiences, révélé, elle aurait peut-être insisté, comme l'a suggéré M. Philip lui-même dans son témoignage rapporté aux pages 209 et 216 plus précisément, pour que ladite plainte soit dirigée contre plus d'une seule partie, ou une autre partie. La NBC avait-elle [TRADUCTION] des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire? A l'appui de cette thèse, l'avocate de la CDP s'est reportée au jugement rendu par le juge LeDain dans l'affaire Latif (p. 695), lorsqu'il expliquait le sens de l'expression motifs raisonnables (Latif c. La Commission canadienne des droits de la personne, (1980) 1.C.F. 687)). Le tribunal en prend note.

Même si elle a reconnu qu'il n'existait, en l'espèce, aucune preuve directe de discrimination, l'avocate de la CDP a eu recours à la doctrine pour palier à cette absence. Elle a cité beaucoup d'extraits de l'ouvrage de Mme Béatrice Vizkelety, qui donnent bien à réfléchir, sans aucun doute, mais le

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tribunal doit se préoccuper des prescriptions de la Loi, et la Loi est très claire : L'article 32 de la Loi canadienne sur les droits de la personne intitulé Actes discriminatoires et dispositions générales se rapporte aux actes discriminatoires définis aux articles 5 et suivants, en particulier, à notre fin, à l'article 7 :

Article 7. Constitue un acte discriminatoire le fait

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou

b) de défavoriser un employé,

directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

La seule preuve produite touchant la discrimination est une remarque censément faite par M. Lucien Therrien au cours d'une réunion informelle avec M. Denis Duquette, deux employés du CEI. La remarque était sans contexte, sans mention de son origine ni de la personne au nom de qui elle avait été faite. Le demandeur n'a produit aucune preuve indiquant un lien entre cette remarque et l'intimée, l'AEM. Cependant, toutes les parties aux audiences ont confirmé le fait qu'il n'y avait eu aucun recrutement dans le port de Montréal depuis 1966, sauf de façon ponctuelle afin de recruter un certain nombre d'ouvriers spécialisés. En 1986, l'AEM a-t-elle refus[é] d'employer ou de continuer d'employer un individu? Au moment où les faits mentionnés dans la plainte se sont produits, l'AEM ne procédait à aucun recrutement. Elle le voulait, mais elle devait d'abord établir une formule de présélection qu'elle avait spécifiée au CEI et que celui-ci avait acceptée. Le recrutement effectif était la dernière étape d'un processus plutôt long qui a été interrompu abruptement en 1986. Peut-on alors dire que l'AEM a commis en 1986 un acte, qui plus est discriminatoire? L'intimée prétend depuis le début qu'elle avait conclu une entente avec un ministère, Emploi et Immigration Canada, et qu'on n'avait jamais vraiment donné suite à cette entente. Ceci est confirmé par la preuve produite aux audiences. Le tribunal a entendu le témoignage de M. Denis Duquette qui a déclaré, à la page 62 et plus tard, que M. Lucien Therrien à ce moment-là, en discutant, il m'a dit que il préférait pas avoir de Noirs parce qu'ils n'étaient pas habitués au port et il a dit que ça pouvait faire des conflits, c'est ce qu'il m'a dit. (P. 62, volume 1.) (Souligné par nos soins)

La déclaration rapportée ici constitue-t-elle un acte, un acte discriminatoire? La preuve a révélé que l'AID contrôlait l'attribution des emplois dans le port de Montréal. L'AEM était l'employeur, et les employés étaient les débardeurs, membres de l'AID. Il existait des catégories.

Les employés qui travaillent comme débardeurs au Port de Montréal sont divisés en quatre (4) grandes catégories. La plus grande partie d'entre eux se retrouvent dans la première catégorie des employés membres du syndicat et couverts par le régime de sécurité d'emploi. Ils sont toujours assignés par préférence à

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toute autre catégorie d'employés suivant le travail disponible. Le deuxième groupe se compose des employés membres du syndicat non couverts par le régime de sécurité d'emploi, la troisième catégorie regroupe les employés qui sont aspirants-membres et enfin, on retrouve les employés occasionnels que l'on qualifie de gens de l'extérieur du port. (R-8: Concernant les négociations en vue du renouvellement de la convention collective entre l'Association des employeurs maritimes et l'Association internationale des débardeurs, local 375, Port de Montréal, Mémoire soumis par l'AEM à Me Marc Gravel, commissaire conciliateur, Montréal, le 2 juin 1987, p. 71).

Le tribunal a trouvé, dans ce document officiel de l'AEM, une description plus détaillée de la main-d'oeuvre expliquée précédemment dans la présente décision. La convention collective en vigueur en 1986 prévoyait la collaboration entre l'AEM et le syndicat, et la preuve ne laisse planer aucun doute que le syndicat voulait à tout prix protéger ses droits acquis.

La pièce R-7 ainsi que ses annexes : F, L (1), (2), (3) et M sont plus révélateurs à cet égard. Il y a eu sans aucun doute une entente conclue entre l'intimée, l'AEM, et le CEI afin de présélectionner les candidats pour des emplois dans le port de Montréal et de leur faire passer des tests.

Cette entente comprenait-elle un arrangement visant à empêcher un certain groupe désigné d'individus, c'est-à-dire les Noirs, d'avoir accès à ces emplois? A aucun moment dans ses communications verbales ou écrites relativement à l'entente, le CEI n'a fait référence à des choses du genre, même pas quand il a dénoncé l'entente. Le seul argument qu'il a invoqué pour se retirer de l'entente, pour le moment, était que, comme l'AEM et l'AID étaient parties à un conflit, le CEI voulait en attendre le règlement avant de reprendre le travail relativement à cette entente. Cet argument a été de nouveau invoqué dans une lettre en date du 6 janvier 1987 dans laquelle M. Roger Tardif, directeur, Montréal-Centre CEI, a déclaré ce qui suit :

«Dans les circonstances actuelles, nous nous voyons dans l'obligation de maintenir notre décision d'interrompre nos services à l'Association des Employeurs Maritimes. Nous ne pouvons réactiver le processus de recrutement et de pré-sélection des nouveaux employés dans le Port de Montréal, tant et aussi longtemps qu'un contexte de collaboration ne sera évident de la part des parties en cause.» (R-19).

Le tribunal a remarqué que le CEI n'a pas mentionné à l'AEM, dans cette lettre, qu'il n'était pas en mesure de s'occuper du genre de travail à propos duquel il s'était entendu avec l'AEM : c'était l'argument invoqué par M. Duquette pendant tout son témoignage pour expliquer son refus et celui de ses confrères pour travailler sur ladite entente. Le CEI n'a jamais reconnu, officiellement ou autrement, qu'il ne pouvait s'occuper d'un tel contrat. Bien au contraire. Finalement le tribunal doit évaluer des documents officiels du CEI contenant des déclarations précises et le témoignage d'un employé due CEI qui n'est pas corroboré par aucune position officielle de ses supérieurs ou aucune protestation officielle documentée

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par M. Duquette lui-même ou par syndicat à qui il prétend avoir renvoyé l'affaire. Que doit faire le tribunal? Il doit tenir compte de cette situation particulière ainsi que du fait que le CEI, dans aucune de ses lettres officielles, n'a rien mentionné d'une enquête au sujet de la remarque alléguée faite par M. Therrien, son employé. M. Therrien n'a pas été convoqué par aucune des parties à la procédure.

Comme l'a déclaré M. Masters dans son témoignage,

[TRADUCTION]

"la CEIC nous revient pour dire qu'elle ne se préoccupe pas vraiment de nos problèmes, que son problème, c'est nous, que le syndicat n'est pas d'accord et qu'elle ne veut pas être partie à cette affaire. Maintenant, au cours de toute l'opération, il ne s'agit de rien d'autre que de l'annulation de ce que nous estimions être un contrat légitime avec la CEIC et, à aucun moment, jamais la CEIC ne nous a dit qu'elle arrêtait de travailler pour nous pour des raisons qui avaient trait à la discrimination. D'après nous, nous savons que la discrimination n'a rien avoir à cela, et ce n'est que dans le journal qu'on parle de discrimination. Ainsi, je ne comprends pas pourquoi j'aurais fait autre chose que ce que j'ai fait." (P. 714, volume 4)

Pour poursuivre son argumentation, l'avocate de la CDP a invoqué un complot, assimilant l'entente conclue par le CEI et l'AEM à un complot : La preuve du genre d'entente décrite dans la plainte ressemble à celle d'un complot civil. (p. 21 of Plaidoiries de la Commission canadienne des droits de la personne). En effet, l'allégation de la plainte est à l'effet qu'une entente entre le Centre d'Emploi du Canada et l'Association des employeurs maritimes avait pour but d'exclure les Noirs du processus de recrutement éventuel de travailleurs qualifiés. Ce genre de preuve est généralement difficile à faire. Il y aura rarement une preuve directe des éléments de la plainte et c'est pourquoi les tribunaux ont accepté, tant en matière civile que criminelle, que la preuve de telles infractions se fasse par preuve circonstancielle. De plus, dans le contexte de tels complots, les Cours ont accepté, tant en matière civile que criminelle, que la déclaration d'une des parties à l'entente fasse preuve contre une autre des parties. C'est à ce titre que la déclaration faite par M. Lucien Therrien est à la fois admissible contre lui à titre de preuve de son intention, ceci étant une exception à la règle du ouï-dire, et contre l'Association des employeurs maritimes à titre de partie à l'entente. (Paragraphe 37) Le tribunal n'est pas disposé à souscrire à l'opinion de l'avocate de la CDP à cet égard. L'idée selon laquelle il y a eu un complot en vue d'accomplir indirectement ce qui ne pouvait être fait directement, inobservation préméditée s'il en est d'une loi particulière, à savoir la Loi concernant l'équité en matière d'emploi (1986), ch. 31, ne s'appuie sur aucune des preuves entendues par le tribunal. Contrairement à ce que prétend l'avocate de la CDP (p. 22 de sa plaidoirie), le tribunal conclut que : l'ensemble de la preuve ne permet pas de conclure à l'existence d'une entente entre M. Lucien Therrien et les représentants de l'Association des employeurs maritimes de façon indépendante de la déclaration de M. Therrien. (Paragraphe 40) (Nous soulignons ne dans cette citation.)

Par conséquent,

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nous ne pouvons conclure à une supposée entente entre M. Therrien et l'AEM afin d'accomplir un acte discriminatoire. Il n'y avait pas de preuve directe de ce comportement illégal, comme l'a reconnu l'avocate de la CDP.

C'est pourquoi elle a eu recours à l'ouvrage de Mme Vizkelety :

[TRADUCTION]

"La discrimination peut être établie par voie d'inférence, par l'utilisation d'une preuve circonstancielle [...] Quel degré de preuve est-il nécessaire pour faire cette inférence? [...] Il y a tout lieu de croire que ce sont les normes habituelles de preuve civile qui s'appliquent et qui peuvent être formulées ainsi : une inférence peut être tirée s'il s'agit d'une déduction raisonnable des circonstances, et le tribunal doit agir selon la prépondérance raisonnable des probabilités. Par conséquent, ce fardeau de la preuve n'est ni trop léger de façon à permettre des inférences fondées sur de simples possibilités ou conjectures, ni trop sévère à l'instar de la norme de preuve au criminel qui exige une preuve hors de tout doute raisonnable." (Béatrice Vizkelety, Proving Discrimination, Carswell, 1987, p. 142)

Le tribunal souscrit plutôt aux déclarations faites par l'avocat de l'AEM, exprimées à la page 22 de ses plaidoiries : Le plaignant n'a pas réussi à établir une preuve prima facie de l'existence d'une directive discriminatoire provenant de l'AEM. (p. 22) (...) En l'espèce, l'existence d'une entente de recrutement conclue entre l'AEM et la CEIC est admise. Quant à l'exigence fondée sur une distinction illicite, la procureure de la Commission admet, à la page 3 de ses plaidoiries, qu'il n'existe aucune preuve directe à cet égard au dossier. Elle allègue cependant qu'elle a réussi, par une preuve circonstancielle, à démontrer que l'entente conclu par l'AEM comportait une exigence discriminatoire. (p. 22)

La Commission allègue que l'entente qui fait le sujet de la plainte est assimilable à un complot et que dans un tel contexte la prétendue déclaration de Monsieur Therrien est admissible contre l'AEM comme preuve de sa participation au complot. (p. 26) Si le Tribunal accepte d'assimiler l'entente à un complot, le contenu de la déclaration n'en demeure pas moins inadmissible à l'encontre de l'AEM. En effet, la jurisprudence énonce une condition préalable à l'admissibilité d'une telle preuve:

[TRADUCTION]

"Pour décider de la participation afin de déterminer la culpabilité ou l'innocence par rapport à l'accusation que contient l'acte d'accusation, l'exception à l'exclusion du ouï-dire peut être appliquée, mais seulement lorsqu'il y a preuve de la participation de l'accusé au complot directement admissible contre lui, sans qu'il soit nécessaire d'invoquer l'exception à l'exclusion du ouï-dire soulevant la probabilité de sa participation."

(Regina c. Carter, 67 C.C.C. (2d) 568, à la page 575) (Souligné par nos soins)

Il faut donc qu'il existe une preuve autre de la participation de l'AEM à un complot, soit à une entente de poursuivre une fin illicite. Or,

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une telle preuve n'existe pas. Certes il existe une preuve à l'effet que l'AEM a participé à une entente, mais pas à une entente de poursuivre une fin illicite. Bien au contraire, le but et le contenu de l'entente est de fournir des candidats ayant les aptitudes et la capacité de faire le travail de charpentier ou d'opérateur de charriots-élévateurs, ce qui n'est nullement illicite. Les éléments de l'entente qui se retrouvent dans le document produit sous la cote R-28 et non contredits en font preuve. Pour ces motifs, nous vous soumettons que la déclaration de Monsieur Therrien rapportée par Monsieur Duquette n'est pas admissible contre l'AEM.

D'abondant, à l'analyse du texte même de cette présumée déclaration, rien n'indique une exigence discriminatoire de l'AEM puisque c'est Monsieur Therrien qui en son nom aurait déclaré préférer ne pas avoir de Noirs.

Lorsque interrogé et contre-interrogé sur la présumée déclaration faite par Monsieur Therrien, Monsieur Duquette a déclaré que celui-ci lui avait dit qu'il préférait qu'il n'y ait pas de Noirs et que la déclaration n'avait pas été faite à titre de directive (page 89 des notes sténographiques, volume 1). De plus, Messieurs Masters et Bélanger ont affirmé sous serment qu'aucune telle exigence n'a été requise de l'AEM (pages 648 et 777 des notes sténographiques, volumes 4 et 5). Enfin, la valeur de la présumée déclaration de Monsieur Therrien replacée dans son contexte véritable prend une toute autre dimension. En effet il a été mis en preuve qu'il s'agit d'une déclaration isolée, faite lors d'une conversation à bâton rompu et non pas à titre de directive (page 89 des notes sténographiques, volume 1). (pp. 27, 28, 29) C'est parce qu'elle n'a pas fait témoigner Monsieur Therrien que la Commission est obligée de procéder par preuve circonstancielle indirecte et par oui-dire pour établir prima facie que l'entente aurait été discriminatoire. Outre cette preuve circonstancielle par oui-dire, il existe au dossier une preuve directe par les témoignages de Messieurs Bélanger et Masters à l'effet que l'entente ne comportait aucune exigence discriminatoire. Or, en droit, une preuve par oui-dire ne peut pas être préférée à une preuve directe du fait à prouver. A cet effet, nous vous référons au passage suivant de la décision Board of School Trustees of School District No. 68 (Nanaimo) and Canadian Union of Public Employees, Local 606, BCLRB 68/76, page 44:

[TRADUCTION]

"Les conseils d'arbitrage peuvent à juste titre et logiquement admettre la preuve par ouï-dire pour établir un grand nombre de faits nécessaires au règlement du litige. Toutefois, un conseil d'arbitrage ne peut accepter une preuve par ouï-dire s'il y a un témoignage direct fait sous serment, à moins qu'elle n'ait été corroborée par une autre preuve. En outre, lorsqu'un conseil d'arbitrage admet une preuve par ouï-dire relativement à une question cruciale, il ne faut accorder de valeur à cette preuve que si elle est corroborée par un autre témoignage direct fait sous serment."

De plus, la déclaration de Monsieur Therrien rapportée par Monsieur Duquette est, en l'espèce, le seul élément potentiel de discrimination. C'est d'ailleurs sur la seule base de cette déclaration que tout le processus qui

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a mené à la nomination du Tribunal, a été déclenché. Or, une preuve par ouï-dire ne peut être admise, en l'absence d'autres preuves, pour établir la véracité de la question cruciale et centrale débattue (voir Board of School, précitée). Nous vous soumettons donc que la présumée déclaration de Monsieur Therrien, rapportée par Monsieur Duquette ne peut être retenue comme preuve à l'effet que l'entente serait discriminatoire puisque cette supposition a été réfutée par une preuve directe et puisqu'il n'existe aucune autre preuve établissant que l'entente serait discriminatoire. (pp. 29, 30 des Plaidoiries de l'intimée). (P. 29, 30 des plaidoiries de l'intimée) Dans sa réfutation des plaidoiries de l'intimée, l'avocate de la CDP a discuté de l'intention de la Loi canadienne sur les droits de la personne et elle a, à juste titre, corrigé certains malentendus de la part de l'intimée. Le tribunal apprécie cette approche qu'il juge constructive, mais il maintient que ni l'avocate de la CDP ni le plaignant (l'avocat de la NBC n'a présenté aucune plaidoirie) ne se sont déchargés de leur obligation de prouver un acte, un acte discriminatoire de la part de l'AEM. L'avocate de la CDP a essayé autant comme autant de prouver l'existence d'un complot, de prouver sa thèse par une preuve circonstancielle, ayant également recours à la théorie de la preuve de faits similaires pour prouver la discrimination directe, mais elle ne peut tout simplement contourner un fait très simple : l'AEM n'a procédé à aucun recrutement en 1986. Elle n'avait pas embauché depuis une vingtaine d'années. Elle a conclu une entente avec le CEI afin d'obtenir de ce ministère des candidats pour des emplois qu'elle avait à pourvoir. M. Therrien était un employé du CEI. Si nous examinons de près les citations choisies par l'avocate de la CDP, comme elle l'a exigé, nous devons conclure en toute logique que le CEI est responsable de l'acte accompli par M. Therrien, comme le laisse entendre un extrait de l'arrêt Robichaud c. Le Conseil du Trésor, (1987) 2 R.C.S. 84, 89, 90, 91, 94 et 95.

Puisque la Loi s'attache essentiellement à l'élimination de toute discrimination plutôt qu'à la punition d'une conduite antisociale, il s'ensuit que les motifs ou les intentions des auteurs d'actes discriminatoires ne constituent pas une des préoccupations majeures du législateur. Au contraire, la Loi vise à remédier à des conditions socialement peu souhaitables, et ce, sans égard aux raisons de leur existence...

Les principes d'interprétation que j'ai énoncés me semblent largement décisifs en l'espèce. Pour commencer, ils réfutent l'argument voulant qu'on doive se reporter à des théories de la responsabilité de l'employeur qui ont été établies à l'égard d'une conduite criminelle ou quasi criminelle. Ces théories, étant axées sur la faute, n'ont absolument aucune pertinence en l'espèce, car, comme nous l'avons vu, une loi relative aux droits de la personne a un but essentiellement réparteur qui consiste à éliminer des conditions antisociales sans égards aux motifs ou intentions de ceux qui en sont à l'origine.

Cette dernière observation contribue également en quelque sorte à écarter la thèse selon laquelle la responsabilité d'un employeur devrait reposer sur la notion de la responsabilité du fait d'autrui en matière délictuelle...

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La conception d'un régime de responsabilité plus restreint aurait pour effet non seulement de faire perdre toute valeur aux objectifs réparateurs de la Loi, mais en même temps d'annuler les objets éducatifs qu'elle comporte...

En conséquence, je suis d'avis de conclure que la Loi envisage de rendre des employeurs responsables de tous les actes accomplis par leurs employés dans le cadre de leurs emplois (in the course of employment), en interprétant cette dernière expression en fonction de l'objet de la Loi, c'est-à-dire comme signifiant reliés de quelque manière à l'emploi. Il s'agit là d'un type de responsabilité qui se passe de tout qualificatif et qui découle purement et simplement de la Loi. Toutefois, cette responsabilité répond à un objectif quelque peu semblable à celui de la responsabilité du fait d'autrui en matière délictuelle, du fait qu'elle impose la responsabilité d'un organisme à ceux qui en ont le contrôle et qui peuvent prendre des mesures réparatrices efficaces en vue d'éliminer les conditions peu souhaitables qui peuvent exister. Robichaud c. Le Conseil du Trésor, [1987] 2 R.C.S. 84, 89, 90, 91, 94 et 95. (pp. 30, 31, Plaidoiries de la CCDP).

Voici la conclusion à laquelle est arrivée l'avocate de la CDP :

«En conséquence, nous soumettons respectueusement que l'Association des employeurs maritimes devrait être tenue responsable de l'entente intervenue entre M. Lucien Therrien et les représentants de l'Association des employeurs maritimes, entente ayant pour but d'exclure les noirs du processus de recrutement de débardeurs dans le Port de Montréal en novembre 1986. Il est également soumis que la preuve permet de conclure à l'existence d'une telle entente qui serait intervenue entre les représentants de l'Association des employeurs maritimes et M. Lucien Therrien. Il est respectueusement soumis que l'article 65 de la Loi canadienne sur les droits de la personne rend responsable l'Association des employeurs maritimes des faits et gestes commis par leurs employés, administrateurs et dirigeants, ainsi que des faits et gestes d'un mandataire. Il faut conclure en effet que M. Lucien Therrien agissait à titre de mandataire de l'Association des employeurs maritimes dans l'exécution de l'entente de service conclue pour le recrutement éventuel de débardeurs., (P. 31, 32 des plaidoiries de la CCDP). Aucun des éléments de preuve, quelle qu'en soit la nature, entendus par le tribunal pendant les cinq jours d'audience ne peuvent mener à une telle conclusion. M. Duquette n'a pas été offensé par la remarque censément faite par M. Therrien le 12 novembre 1986. Ca ne lui faisait rien :

Me Rochon:

«Q. Et c'est dans le cadre de cette conversation à bâtons rompus, si vous voulez, en vous montrant ce document-là (une application) qu'il vous aurait dit, suivant votre témoignage, qu'il préférait de pas avoir de Noirs au Port de Montréal?

R. C'est ça.

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Q. Est-ce qu'il vous avait mentionné que c'était une de ces directives, de ces instructions?

R. Ça s'est arrêté là, j'ai pas été plus loin.» (P. 88, 89, volume 1).

Il n'a pas signalé M. Therrien même si ce dernier avait, ce faisant - s'il a effectivement fait la remarque censément discriminatoire - contrevenu aux lignes directrices spécifiques établies par son employeur, le CEI, lesdites lignes directrices ayant clairement été définies dans les guides E et A.

Me Trotier:

«Q. Est-ce qu'il est à votre connaissance qu'il y ait des politiques ou des guides qui s'appliquent dans le cadre de vos fonctions, que vous devez suivre à titre d'employé?

R. Oui, il y a toujours ce qu'on appelle les Guides E et A qui dit que les politiques d'emploi et d'immigration, les différents chapitres au niveau des programmes, c'est un peu décrit de A à Z, peut-être pas les fonctions, mais les programmes. On en a, entre autres, justement au chapitre de la discrimination dans l'emploi, la présentation des travailleurs, et cetera.

Q. Qu'est-ce que ça prévoit en matière de discrimination ces règles-là?

R. Disons que naturellement on ne peut pas faire de discrimination aucunement lorsqu'on reçoit des offres d'emploi d'employeurs, si l'employeur a tendance à donner des signes disons de discrimination, il faut quand même dire qu'on ne peut pas faire ça et si jamais il voulait s'en tenir à ça on ne pourrait pas s'en servir à ce moment-là. Il contrevient aux lois. (P. 58, 59, volume 1) M. Duquette a prétendu qu'il avait consulté son syndicat. Quand exactement? Il n'a donné aucune date, mais on a dit au tribunal que l'on n'avait rien fait au sujet de cette remarque avant plus d'une semaine après qu'elle fut faite, au cours d'une réunion sur les faits du 18 novembre 1986 tenue avec les fonctionnaires du Centre situé sur la rue Saint-Denis qui s'étaient absentés ce jour-là (p. 117, 118, volume 1).

Lorsque, le 25 novembre 1986, M. Roger Tardif, directeur du Centre de la rue Saint-Denis, a écrit à l'AEM, il a fait allusion à un projet d'entente de recrutement (R-2), mentionnant le conflit entre l'AID et l'AEM pour ce qui est du recrutement et de la présélection de nouveaux employés réguliers dans le port de Montréal. Il a fait allusion aux pressions exercées sur les employés du CEI quelques jours seulement avant et il a conclu ainsi : nous sommes prêts à aller de l'avant avec ce projet si, au préalable, l'Association internationale des débardeurs était partie de l'entente. (R-2)

L'entente négociée par M. Lucien Therrien et M. Jacques Bélanger ne peut être contestée. Pourquoi l'AEM s'est-elle adressée au CEI? Ayant besoin de nouveaux travailleurs pour le port de Montréal, l'AEM a jugé

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qu'elle ne pouvait se fier à ses sources traditionnelles de recrutement, l'AID. L'AEM devait également respecter la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Tout ce qu'elle a fait, et qui est justifié par une preuve écrite (p. 777, 778, et les pièces R-29 et R-30), incite le tribunal à conclure qu'il est fort peu probable que, d'une part, l'AEM aurait annoncé ses couleurs officielles et que, d'autre part, elle tramerait un complot, de façon non officielle, afin de contrer tout ce qu'elle avait fait ouvertement : pour donner le change pour ainsi dire? Cela n'a aucun sens et ne s'appuie sur aucun élément de preuve, par inférence ou autre.

Ainsi, le tribunal doit conclure, comme le lui a demandé l'intimée, que la NBC, ne s'est pas acquitté de la charge de la preuve à ce sujet. La preuve directe est absente et les présomptions de faits auxquelles nous renvoie le BNC à l'appui de sa thèse, ne sont pas assez graves, précises et concordantes pour nous convaincre de la probabilité de l'acte discriminatoire, pour paraphraser la décision de la Cour d'appel du Québec dans Commission des droits de la personne du Québec c. C.E.G.E.P. St-Jean- sur-Richelieu, (1984) R.D.J. 76, à la p. 79. Si le plaignant avait réussi à faire la preuve d'un acte, d'un acte discriminatoire selon lequel une personne a commis un acte discriminatoire (article 32 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (1985), ch. 26), comme l'a expliqué le juge dans l'arrêt Latif c. Commission canadienne des droits de la personne, (1980) 1 C.F. 687, à la p. 695, la situation aurait pu être différente. Le présent tribunal conclut donc que la plainte portée par la NBC, représentée par M. Dan Philip, ne peut être maintenue. Par conséquent, l'AEM n'a pas contrevenu à l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, selon les termes de la plainte déposée par M. Dan Philip, représentant la NBC.

De plus, l'AEM n'est donc pas coupable de discrimination fondée sur la race et la couleur conformément aux termes de la plainte susmentionnée, en vertu de l'article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En date du 22e jour d'octobre 1990.

(Signature) Niquette Delage, présidente

(Signature) Antonio De Joseph, membre

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TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

DAN PHILIP POUR LA NATIONAL BLACK COALITION

Plaignant

- et -

ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES

Intimée

J'ai lu la décision de la présidente du tribunal et de M. Antonio DeJoseph et je souscris entièrement à leurs conclusions. Je souscris en particulier à la décision de maintenir l'objection de l'avocat de l'intimée à l'introduction de toute preuve des pratiques d'embauche de l'intimée après 1986.

La présidente et M. DeJoseph font remarquer dans leur décision que le tribunal a réservé sa décision au sujet de l'objection et a en fait entendu de nombreuses preuves des faits survenus après le 19 novembre 1986, soit la date mentionnée dans la plainte et vers laquelle les actes discriminatoires sont censés avoir été commis. Cependant, aucun élément de la preuve n'appuie la plainte contre l'intimée.

S'il y a eu discrimination dans les pratiques d'embauche au port de Montréal après 1986, il s'agirait plutôt de l'exigence selon laquelle un candidat doit avoir une connaissance d'usage du français. Une telle exigence n'est pas un motif illicite de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Charte de la langue française encourage plutôt (si elle ne l'exige) les employeurs du Québec à faire du français la langue de travail. Par conséquent, je ne peux accepter la déclaration de l'avocate de la Commission selon laquelle une telle exigence n'a été introduite que pour empêcher les Noirs d'être embauchés au port de Montréal.

(Signature) Daniel H. Tingley, c.r. membre

En date du 22e jour d'octobre 1990

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