Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S.C. 1976-77, chap. 33, modifiée

TRIBUNAL D'APPEL DES DROITS DE LA PERSONNE

DANS L'AFFAIRE D'une audience tenue devant un tribunal d'appel des droits de la personne constitué en vertu du paragraphe 42.1(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE

LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

appelante (mise en cause)

et

GAIL O'CONNELL ANNE CHIRKA PATRICIA OXENDALE

plaignantes

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission DÉCISION DU TRIBUNAL D'APPEL DEVANT : Marvin N. Stark, président Robin Adams, membre Donald Lee, membre

Ont comparu : Barbara A. McIsaac, avocate de la Société Radio-Canada

René Duval, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

DATE ET LIEU : les 12 et 13 décembre 1988 Calgary (Alberta)

DÉCISION DE LA MAJORITÉ PAR : Robin Adams (Donald Lee y souscrit)

DÉCISION DISSIDENTE PAR : Marvin N. Stark

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Il s'agit en l'espèce d'un appel de la décision prononcée par un tribunal des droits de la personne (tribunal), le 20 mai 1988, dans laquelle le tribunal a conclu que l'appelante, la Société Radio-Canada (S.R.-C.), a commis des actes discriminatoires en ce qu'elle a défavorisé les plaignantes, Mesdames Gail O'Connell, Anne Chirka et Patricia Oxendale en tant qu'employées et a adopté des lignes de conduite susceptibles d'annihiler leurs chances d'avancement ou de carrière sur un motif illicite de discrimination (page 58).

La question qui se pose dans le cadre du présent appel est celle de savoir si le tribunal a commis quelque erreur de droit ou de fait justifiant le présent tribunal d'appel de modifier la décision du tribunal.

Selon un principe général, adopté et appliqué dans l'arrêt Brennan c. La Reine [1984] 2 C.F. 799, dans les cas où la preuve portée à la connaissance du tribunal d'appel est exactement la même que celle dont disposait le tribunal, le premier doit accorder tout le respect qui convient à l'opinion du tribunal quant aux faits, en raison particulièrement de l'avantage qu'a eu ce dernier de pouvoir évaluer la crédibilité des témoins puisqu'il les a vus et entendus. Le tribunal d'appel a néanmoins le devoir d'examiner la preuve. S'il est convaincu que le tribunal a commis une erreur évidente ou manifeste dans l'interprétation des faits, il doit alors, mais uniquement dans un tel cas, substituer sa propre conclusion sur les faits à celle du tribunal.

Gardant ce principe en mémoire, je vais d'abord examiner l'argument de l'appelante selon lequel le tribunal a fait erreur en tirant des conclusions de fait et des déductions qui ne trouvent pas de fondement dans la preuve.

Le tribunal a tiré les conclusions de fait fondamentales suivantes :

1. L'expérience acquise lors des reportages hors studio était et est considérée comme souhaitable pour le développement professionnel ainsi que pour la source de motivation et les avantages financiers qu'elle procure.

En concluant de la sorte, le tribunal a rejeté l'argument de l'employeur selon lequel les affectations aux cars de reportage et hors studio n'étaient souhaitables que parce que les plaignantes en jugeaient ainsi et ne revêtaient un caractère discriminatoire qu'à un plan purement suggestif. Cette conclusion reposait principalement sur le témoignage de chacune des plaignante et sur celui de M. Kimber, réalisateur-coordonnateur de l'émission Sportsweekend (page 42).

2. Il ressort de la répartition des affectations aux cars de reportage ou hors studio en 1983 et 1984 que les trois plaignantes ont été défavorisées par rapport aux techniciens masculins appartenant à la même catégorie d'employés et possédant une description de tâches identique. Plus précisément, dans le cas de Mme O'Connell, la situation de cette dernière se compare défavorablement à celle de M. Nesbitt en ce qui a trait à la rémunération pour heures supplémentaires en 1983 mais non en 1984. En

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effet, au cours de ces deux années, Mme O'Connell a été affectée moins souvent aux cars de reportage ou hors studio. Pour ce qui est de Mme Chirka, le nombre d'heures supplémentaires et la rémunération en découlant ont été substantiellement moins élevés que dans le cas de M. Nesbitt pour ces deux années et elle a reçu un nombre moins grand d'affectations que celui-ci aux cars de reportage ou hors studio. Enfin, en ce qui concerne Mme Oxendale, sa situation se compare très mal à celle de M. Jessup, tant en 1983 qu'en 1984, pour ce qui est de la rémunération pour heures supplémentaires et des affectations hors studio.

Le tribunal a tiré la conclusion qui précède en s'appuyant fortement sur des chiffres mis en preuve par les avocats de la Commission et de la S.R.- C. et qui proviennent de données recueillies auprès d'une source commune et de calculs effectués au moyen d'une méthode normalisée d'évaluation. Le tribunal a jugé que cet élément de preuve concernant les relevés de la rémunération pour heures supplémentaires constituait un instrument de comparaison plus fiable en ce qui concerne les rémunérations pour heures supplémentaires que les autres chiffres soumis à titre d'éléments de preuve.

Même s'il a accordé une certaine valeur probante à ces éléments de preuve statistique, le tribunal a reconnu que de tels éléments de preuve devaient être considérés dans leur contexte et il a indiqué, à la page 42 de sa décision, que :

"La seule distinction entre des individus en terme de nombre d'heures, de rémunération pour temps supplémentaire et d'affectation à certaines tâches ne constitue pas dans tous les cas un motif de discrimination apparent, même si ces individus ont la même description de tâches ainsi qu'une expérience et une ancienneté comparables. Il peut exister certaines différences au plan des qualifications, de l'attitude, des initiatives, des goûts, de la disponibilité et de la flexibilité, lesquelles peuvent justifier le recours à certains employés plutôt qu'à d'autres."

Après avoir reconnu le fait que d'autres considérations entraient en jeu dans le processus d'établissement des horaires, le tribunal a conclu que, en prenant en considération tous les éléments de preuve, la plainte repose sur l'inéquité des chances dont elles ont pu bénéficier pour faire leurs preuves et, partant, sur les possibilités d'accroître leur expérience et de contribuer à l'avancement de leur carrière (page 43).

L'avocate de l'appelante a prétendu que le tribunal n'avait pas tenu compte adéquatement de l'explication donnée par la S.R.-C. relativement aux écarts ressortant des relevés en ce qui concerne le temps supplémentaire et les affectations. De façon plus particulière, l'avocate a prétendu que le tribunal n'avait pas accordé une valeur probante suffisant aux faits suivants :

  1. Mme Chirka a témoigné qu'elle était heureuse de son sort en 1984.
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  3. Mme Chirka était en congé de maternité au moment de l'affectation des équipes, ratant de ce fait l'occasion de participer à la retransmission de matches de hockey et de football.
  4. Pendant que Mme Chirka participait à un programme de formation de monteur, journalisme électronique, son nom a été retiré de la rotation.
  5. Mme Chirka a refusé, à une occasion, de participer à la retransmission d'un match de la L.C.F. en 1984 pour des raisons personnelles.
  6. En 1983, 59 des 84 heures de différence entre les relevés de M. Nesbitt et de Mme O'Connell découlaient de l'affectation de M. Nesbitt aux éliminatoires de la L.N.H. La preuve n'indique pas pourquoi Mme O'Connell n'a pas été affectée à ces événements.
  7. En 1984, Mme O'Connell a fait 276 heures de temps supplémentaire et M. Nesbitt 259.
  8. Mme Oxendale a exprimé certaines réticences à travailler dans le mini-car de reportage et a convenu que ses responsabilités premières consistaient à travailler en studio.
  9. M. Jessup effectuait le même genre de travail que Mme Oxendale mais dans un milieu différent. L'équipe du mini-car travaillait parfois dans le maxi-car de reportage.

La S.R.-C. prétend que ces faits auraient dû amener le tribunal à conclure que chacune des trois plaignantes avaient été défavorisées en 1983 et 1984 pour des motifs qui ne constituaient pas de la discrimination.

Je ne suis pas convaincu que le tribunal a interprété erronément les faits. Il existe un nombre considérable d'éléments de preuve étayant le point de vue des plaignantes. Il ressort de l'argumentation que ces femmes, qui étaient les trois seules femmes parmi un groupe de 24 techniciens, recevaient un nombre non pas un peu moins grand mais beaucoup moins grand d'affectations et que leurs gains pour heures supplémentaires étaient considérablement inférieurs. Qui plus est, les affectations étaient accordées à des hommes qui ne possédaient ni compétences supérieures ni plus d'ancienneté que les femmes en question. Certains collègues de travail ont même, à quelques occasions, fait preuve d'hostilité à leur égard. A une occasion particulière, un des réalisateurs a parlé de Mme Oxendale en la traitant de garce et de salope - deux insultes ayant pour effet de la traiter de manière avilissante parce qu'elle est une femme.

De façon plus particulière, en ce qui concerne les prétentions de l'appelante concernant le cas de chaque plaignante, le tribunal a conclu:

  1. Mme Chirka était heureuse de son sort en 1984, mais cela était probablement imputable au fait qu'elle avait été assignée au programme de
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    formation en journalisme électronique. De fait, au cours des trois premiers mois, elle n'a été affectée à aucun travail hors studio ou en cars de reportage. Malgré une programmation chargée en avril, elle n'a obtenu que deux affectations à des événements sportifs convoités.

  3. Mme Chirka n'avait pas limité de façon importante sa disponibilité. Elle n'a refusé qu'une affectation sur 23 parce que celle- ci était incompatible avec son horaire personnel. Certaines des occasions dont elle a été privée n'ont pas été justifiées soit par son absence en congé de maternité, qui lui a fait rater des affectations à des matches de hockey, soit par sa participation au programme de formation en journalisme électronique.
  4. Mme O'Connell a obtenu moins d'affectations aux cars de reportage que son collègue masculin en 1983 et 1984, mais elle a effectué plus d'heures supplémentaires que lui en 1984. Le tribunal a conclu que ce dernier fait n'était pas particulièrement important étant donné que Mme O'Connell accordait moins d'importance à la perte d'avantages financiers qu'à la perte d'occasions de faire progresser sa carrière. Cette opinion semble ressortir de l'évaluation des dépositions des témoins et, plus particulièrement, de la valeur probante considérable accordée au témoignage de Mme O'Connell qui a insisté sur l'importance de l'évolution de sa carrière plutôt que sur les écarts de rémunération pour heures supplémentaires; par exemple, l'expérience pouvant être acquise par l'utilisation des nouveaux équipements, (pages 9 et 10) (page 40). Le tribunal a également mis en relief, à la page 40, le témoignage de Mme Kelly, agent des ressources humaines à la S.R.-C., qui a déclaré : toutes trois étaient, à mon sens, aussi motivées par la satisfaction de leur travail que par les avantages financiers.
  5. Même si Mme Oxendale a été engagée pour travailler en studio, le tribunal a jugé pertinent le fait que celle-ci s'attendait, au moment de son embauche, qu'elle pourrait obtenir des affectations hors du studio après une année (page 46). Il ressort de la preuve qu'elle a fait des démarches en ce sens en discutant des affectations aux reportages hors studio avec M. Raine en avril 1983 et par la suite (page 43). Le tribunal a signalé, à la page 44, que la seule initiative de la direction touchant ces demandes a été de lui permettre de faire des remplacements pour les tâches hors studio lorsque l'un des autres employés était malade, et de l'affecter à des stades de formation sur des équipements obsolets [sic], notamment le mini-car de reportage. Le tribunal a ensuite conclu que les horaires établissent qu'il aurait été possible de leur donner [aux plaignantes] l'occasion de mettre à l'épreuve leurs compétences au début de 1983; toutefois, jusqu'à l'été 1984, on n'a pas fait d'efforts pour intégrer systématiquement les femmes (en particulier Gail O'Connell et Patricia Oxendale) aux activités hors studios ou aux cars de reportage.
  6. Le tribunal n'a pas traité directement de la preuve soumise relativement à la situation particulière de M. Jessup qui est affecté principalement au mini-car de reportage. J'ai tiré les déductions suivantes de cette omission :

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    1. le fait que le mini-car de reportage était parfois utilisé en même temps que le maxi-car de reportage n'a pas eu pour effet d'augmenter de façon considérable le nombre d'heures de travail de M. Jessup;
    2. les comparaisons susceptibles d'être faites entre la situation de M. Jessup et celle de M. Trudell n'étaient pas particulièrement pertinentes puisque cette preuve a été classée dans la catégorie des éléments de preuve produits à l'égard des années antérieures à 1983, que le tribunal a qualifié d'incomplets et de non fiables.

Au surplus, comme l'a souligné l'avocat de la Commission dans le cours de sa plaidoirie en appel, le taux salarial de M. Trudell était deux fois plus élevé que celui de M. Jessup, ce qui indique un écart sur le plan de l'ancienneté ou sur celui des aptitudes, ou sur les deux. Il n'existait pas d'écart de la sorte entre Mme Oxendale et M. Jessup.

3. Les seules années à l'égard desquelles le tribunal a noté l'existence d'une certaine distinction étaient 1983 et 1984. L'avocate de la S.R.-C. a soutenu que le tribunal a omis de tenir compte de l'ensemble de la situation alors qu'il se devait d'examiner la preuve produite à l'égard des années 1981, 1982, 1985 et 1986. Avec égards, le tribunal n'a pas omis de tenir compte de cette preuve - il a conclu qu'en regard de l'ensemble de la preuve produite, il était impossible d'établir des comparaisons valables pour des périodes plus longues étant donné qu'aucune partie n'avait fourni de données cohérentes ou satisfaisantes permettant d'effectuer une évaluation comparative. De plus, les témoignages sur ce point n'ont pas été concluants. Le fait qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour permettre de conclure qu'il y avait eu traitement défavorable au cours de ces années ne permet pas d'établir qu'il n'y avait pas de distinction - mais seulement que la preuve n'établissait pas l'existence d'un cas apparemment fondé de distinction au cours de ces années.

4. Le tribunal a également jugé important le fait que deux des trois plaignantes aient avisé soit les directeurs techniques, leurs supérieurs immédiats au palier de la direction, soit la haute direction, de leur désir d'être affectées aux cars de reportage. Après avoir soupesé les témoignages, notamment celui de Marty Raine, le tribunal a conclu que l'on n'a pas donné suite à l'intérêt manifesté par les trois plaignantes pour les reportages hors studio ou en cars de reportage et que [l]a direction n'a fait appel à leurs services qu'à titre de substituts lorsque les techniciens du sexe masculin n'étaient pas disponibles pour une raison ou pour une autre (page 46).

En résumé, le tribunal a tiré les conclusions suivantes :

  1. L'affectation aux reportages hors studio et aux cars de reportage est souhaitable pour le développement professionnel.
  2. La répartition des affectations hors studio ou aux cars de reportage au cours des années 1983 et 1984 indique que les techniciens du
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    sexe féminin ont été défavorisés par rapport aux techniciens du sexe masculin et, en l'absence d'une explication raisonnable de la S.R.-C. à cet égard, cette distinction était fondée sur un motif de discrimination illicite.

  4. Les plaignantes ont fait part à la direction de leurs préoccupations dès avril 1981 et l'employeur a fait défaut d'examiner le problème de la discrimination.

Je ne peux déceler d'erreur manifeste dans les conclusions de fait du tribunal. Il reste maintenant à déterminer si ces conclusions de fait ont été correctement interprétées selon le droit applicable.

Cas apparemment fondé - fardeau de la preuve

Le droit applicable à l'espèce a été résumé de la manière suivante dans l'affaire Israeli v. Canada Human Rights Commission, 1983, 4 C.H.R.R., D/1616, à la page 1617 et (1984) 5 C.H.R.R., D/2147, où le tribunal a déclaré :

"Dans les cas de discrimination, le fardeau de la preuve est important, tout comme l'ordre de présentation des éléments de celle-ci. Il semble que le fardeau et l'ordre de présentation de la preuve soient les mêmes dans tous les cas de refus d'emploi pour motifs discriminatoires, sur lesquels doivent se prononcer des commissions d'enquête canadiennes, tant au niveau fédéral que provincial. Le plaignant doit d'abord établir qu'il s'agit, à première vue, d'un acte discriminatoire. Il incombe ensuite à l'employeur de justifier son comportement apparemment discriminatoire. Finalement, le fardeau de la preuve échoit à nouveau au plaignant qui doit démontrer que l'explication fournie n'est qu'un simple prétexte et que la discrimination est véritablement à l'origine des actes de l'employeur."

Cet exposé a été cité avec approbation dans l'affaire Morissette v. Canada Employment and Immigration Commission, 8 C.H.R.R., D/4390 ainsi que dans une décision particulièrement utile, Dhami c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, T.D.P. DT 17/89.

Le tribunal a conclu, à la page 40, que les éléments de preuve invoqués par la Commission démontraient que les trois plaignantes ont été traitées différemment des techniciens masculins appartenant à la même classe d'emploi et ayant la même description de tâches, et ce au cours des années 1983 et 1984. Le tribunal a ajouté :

"En particulier, une corrélation des disparités en terme de nombre d'heures supplémentaires et de nombre d'affectations, semble indiquer qu'elle a été lésée."

Une fois établie l'existence d'une cause apparemment fondée, le fardeau de la preuve se déplace et il incombe alors à la partie intimée de justifier,

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par une explication raisonnable, l'existence du comportement par ailleurs discriminatoire.

L'analyse faite par le tribunal de l'explication invoquée par la S.R.-C. est complexe, parfois contradictoire et, ce qui est plus important encore, ne tient pas compte de la question du déplacement du fardeau de la preuve. Toutefois, il est possible au présent tribunal d'appel d'éclaircir ces divers points à la lumière des conclusions de fait du tribunal. Le tribunal d'appel est également en mesure de découvrir l'opinion du tribunal sur le caractère raisonnable de l'explication de l'employeur en examinant certaines des conclusions figurant dans sa décision. Les extraits suivants sont importants à cet égard :

  1. A la page 42, [t]outefois, le fait que certains motifs de distinction soient acceptables ne signifie pas qu'il n'existe pas d'autres raisons valables de distinction entre certains employés. Il est apparent, selon la prépondérance des probabilités, que l'explication de la S.R.-C. n'a pas convaincu le tribunal que les femmes en question étaient défavorisées pour des motifs autres que des motifs de distinction illicite. L'argument de l'employeur a permis d'expliquer en partie la distinction, mais il n'était pas raisonnable de croire que l'écart considérable en ce qui a trait aux heures supplémentaires et aux affectations aux cars de reportage était uniquement attribuable aux facteurs invoqués par la S.R.-C. En d'autres mots, l'explication soumise par l'employeur n'avait pas soulevé suffisamment de doutes sur la preuve étayant l'existence d'un cas apparemment fondé de discrimination.
  2. Aux pages 48 et 49 : [l]'argument des pouvoirs discrétionnaires relatifs à la création artistique ne peut justifier un type de comportement ayant pour conséquence d'annihiler les chances d'avancement ou de carrière de l'individu ou d'une catégorie d'individus sur un motif de discrimination illicite.

Cette conclusion répondait à l'argument de la S.R.-C. selon lequel si les femmes étaient défavorisées ce n'était pas en raison de leur sexe mais plutôt en raison de l'existence d'un système fondé sur le pouvoir discrétionnaire des réalisateurs. Comme l'a indiqué brièvement le tribunal à la page 42 :

"[l]'important dans ce contexte, si l'on se réfère à ce qui se dit généralement, est de tenir compte des désirs et des impératifs du réalisateur qui doit jouir d'une pleine liberté de création, ainsi que de l'opportunité que pourrait se voir offrir un technicien d'être affecté à une production du réseau; il peut ainsi être remarqué par le réalisateur et être sollicité à nouveau, ce qui lui permet de consolider son expérience pour les affectations à venir. S'il y a distinction, celle-ci découle naturellement du système et s'applique autant aux hommes qu'aux femmes."

Le tribunal n'utilise pas le mot anglais pretextual pour qualifier cet argument soumis par la S.R.-C., mais le décrit plutôt d'une manière qui correspond à la définition qui est donnée, en droit, à ce mot. Le mot anglais pretexte est défini de la manière suivante dans le Black's Law Dictionary :

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[TRADUCTION]

raison ou motif apparent qui est invoqué pour maquiller ou dissimuler la raison ou le motif véritable, ou qui est perçu comme tel; fausse apparence, semblant...

A la page 48, le tribunal a dit être d'avis que la S.R.-C. avait accordé, dans sa preuve, une importance excessive au contrôle exercé par les réalisateurs sur la sélection du personnel technique. Le tribunal a même été jusqu'à dire [...] je doute fortement que le système soit aussi rigide que ne l'affirment les témoins de Radio-Canada, ni qu'il accorde une telle importance aux précédents. Les dépositions verbales et les documents montrent clairement que les substitutions sont faites et que, si les circonstances l'exigent, des arrangements peuvent être trouvés pour inclure ceux qui veulent effectuer ce type de travail. Le tribunal a ensuite fait état du peu de vraisemblance de l'argument.

En résumé, le tribunal a conclu que la preuve établissait l'existence d'un cas apparemment fondé de discrimination. Cela a amené le déplacement du fardeau de la preuve sur les épaules de l'employeur qui devait justifier, par une explication raisonnable, les actes qui avaient pour effet de défavoriser les femmes par rapport aux hommes. Selon la prépondérance des probabilités, l'explication offerte par la S.R.-C. n'a pas justifié adéquatement la distinction; qui plus est, si on applique la notion de déplacement du fardeau de la preuve énoncé dans l'affaire Israeli, précitée, l'argument invoqué par la S.R.-C. en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire des réalisateurs était un prétexte qui n'était pas assez important pour justifier un système qui, selon la description qu'en a donnée le tribunal, ne parvient pas à instaurer des conditions permettant l'équité en matière d'emploi, en raison du fait que certaines attitudes traditionnelles tendent à restreindre les possibilités de travail des femmes.

Je rejetterais donc l'appel.

Le 2 mars 1990

Robin Adams

Don Lee

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE S.C. 1976-77, ch. 33, modifiée

TRIBUNAL D'APPEL DES DROITS DE LA PERSONNE

DANS L'AFFAIRE D'une audience tenue devant un tribunal d'appel des droits de la personne constitué en vertu du paragraphe 42.1(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ENTRE

LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA

appelante (mise en cause)

et

GAIL O'CONNELL ANNE CHIRKA PATRICIA OXENDALE

plaignantes

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

DÉCISION DU TRIBUNAL D'APPEL

DEVANT :

Marvin N. Stark, président Robin Adams, membre Donald Lee, membre Ont comparu :

Barbara A. McIsaac, avocate de la Société Radio-Canada René Duval, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

DATE ET LIEU :

les 12 et 13 décembre en 1988 Calgary (Alberta)

OPINION DISSIDENTE DE MARVIN N. STARK:

J'ai lu et examiné avec attention les conclusions et les motifs des collègues avec lesquels j'ai siégé au présent tribunal d'appel. Je respecte et je comprends les motifs pour lesquels ils ont conclu qu'il y avait eu discrimination en l'espèce; toutefois, je ne suis pas d'accord avec eux.

En examinant la décision du tribunal de première instance, j'ai de la difficulté à déterminer la nature ou la catégorie de discrimination sur laquelle le tribunal a fondé sa décision. Mais plus précisément, je n'arrive pas à distinguer quel fardeau de présentation de la preuve le tribunal a appliqué pour en arriver à sa conclusion. Néanmoins, il me semble que le tribunal a peut-être imposé le mauvais fardeau à la fois à la plaignante et à la mise en cause.

Je suis d'accord avec le principe général invoqué par mes collègues qui a été adopté et appliqué dans l'arrêt Brennan c. La Reine. Toutefois, je suis également d'accord avec le commentaire de lord Bridge dans l'affaire George Mitchell (Chesterhall) Ltd. v. Finney Lock Seeds Ltd. (H.L.) [1983 All E.R. 737 à la page 743], voulant que [TRADUCTION] la Cour d'appel[...]devrait faire preuve du plus grand respect en ce qui concerne la décision originale et s'abstenir de la modifier à moins qu'elle ne soit convaincue qu'elle reposait sur un principe erroné[...].

J'ai l'impression, pour les motifs qui suivent, que le tribunal de première instance s'est fondé sur un principe erroné.

Le présent tribunal d'appel a pour fonction de déterminer s'il doit faire droit à l'appel ou le rejeter pour une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait en vertu des paragraphes 42.1(4), 42.1(5) et 42.1(6) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En d'autres termes, le tribunal d'appel doit répondre aux questions suivantes:

  1. le tribunal de première instance a-t-il bien appliqué la loi aux faits?
  2. le tribunal de première instance a-t-il tiré des conclusions de fait qui pourraient s'appuyer de façon raisonnable sur la preuve?

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PARTIE II - REGLES DE DROIT

Les règles de droit régissant la discrimination se partagent de façon assez souple en deux catégories : la discrimination directe et la discrimination indirecte. Il y a discrimination directe non seulement lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé (O'Malley c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536), mais également dans les cas où la règle ou la pratique faisant l'objet de la plainte est innocente à première vue mais, après enquête plus approfondie, se révèle fondée sur un motif illicite.

Dans l'arrêt O'Malley (supra), la discrimination indirecte est décrite de la façon suivante : une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés.

Le tribunal de première instance a examiné la législation applicable dans sa décision (pages 30 à 35), mais il ne se prononce pas sur les règles de droit applicables en l'espèce. Après examen des faits et discussion de la législation applicable, le tribunal déclare ce qui suit : La jurisprudence relative à la discrimination de la part d'un employeur sur le motif du sexe s'applique difficilement à cette cause. Celle-ci ne comporte pas de plainte concernant des lignes de conduite discriminatoires à première vue, c'est-à-dire où la distinction est ouverte ou s'effectue par le biais de conséquences nécessaires. Le seul fait que la plainte concerne trois employés du sexe féminin de Radio-Canada prouve que ni la Société ni les stations qui la constituent n'établissent de distinction à l'égard des femmes dans le sens où celle-ci leur interdirait l'accès à un emploi. En outre, rien dans cette cause ne suggère que les plaignantes ont été victimes de lignes de conduites qui les ont rendues plus vulnérables au congédiement ou à une résiliation de contrat du fait qu'elles sont des femmes, ou qu'on leur a refusé des chances de promotion. On ne peut pas affirmer que cette cause relève de la discrimination indirecte. Rien n'indique que Radio-Canada ou sa station de Calgary aient appliqué des pratiques, des normes ou des règles, neutres en elles-mêmes, par exemple des exigences en matière de taille ou de poids, qui pourraient jouer en défaveur des femmes. (P. 35)

Même s'il est vrai que les faits de l'espèce ne concordent pas exactement aux catégories habituelles d'affaires de discrimination sexuelle comme la discrimination directe ou la

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discrimination indirecte, il incombait au tribunal de première instance de statuer sur les règles de droit à appliquer aux circonstances de l'affaire avant de les appliquer aux faits. Comme le tribunal l'a déclaré dans l'affaire Israeli c. CCDP (1983, 4 CHRRD/1617 et par. 13858) : Dans les cas de discrimination, le fardeau de la preuve est important, tout comme l'ordre de présentation des éléments de celle-ci. L'inobservation des règles du fardeau de la preuve et des règles de preuve peut entraîner une interprétation erronée des faits devant un tribunal.

Dans les cas de discrimination alléguée, la jurisprudence canadienne fixe trois étapes à suivre pour justifier une plainte. Ces trois étapes se sont développées de manière à faciliter le fardeau de prouver la discrimination dans les cas où, comme toujours, tous les éléments de preuve pertinents sont en possession du mis en cause.

Dans l'affaire Israeli (par. 13858), le tribunal a résumé les trois étapes maintenant fixées par la jurisprudence canadienne : Il semble que le fardeau et l'ordre de présentation de la preuve soient les mêmes dans tous les cas de refus d'emploi pour motifs discriminatoires, sur lesquels doivent se prononcer des commissions d'enquête canadiennes, tant au niveau fédéral que provincial. Le plaignant doit d'abord établir qu'il s'agit, à première vue, d'un acte discriminatoire. Il incombe ensuite à l'employeur de justifier son comportement apparemment discriminatoire. Finalement, le fardeau de la preuve échoit à nouveau au plaignant qui doit démontrer que l'explication fournie n'est qu'un simple prétexte et que la discrimination est véritablement à l'origine des actes de l'employeur.

a) Première étape - la cause apparente

En premier lieu, le plaignant doit produire une preuve et énoncer les faits qui, sans autre explication, portent à conclure qu'il a fait l'objet d'un traitement différentiel. Si le mis en cause décide de ne pas répondre ni d'expliquer ces faits, ceux-ci sont alors suffisants, par eux-mêmes, pour permettre au tribunal de conclure à la discrimination contre le mis en cause.

Si le mis en cause décide de répondre aux allégations du plaignant, nous passons alors à la deuxième étape de l'enquête.

b) Deuxième étape - la réponse

A ce stade-ci, le mis en cause a la possibilité de justifier le comportement apparemment discriminatoire.

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Le mis en cause peut le faire de diverses façons, selon les motifs expliquant le comportement apparemment discriminatoire. Par exemple, il peut admettre qu'il a exercé de la discrimination, mais que celle-ci était fondée sur une exigence professionnelle normale du poste et qu'elle était donc justifiable. La défense fondée sur l'exigence professionnelle normale a été appliquée dans l'arrêt Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 R.C.S. 561.

Le mis en cause peut également montrer qu'il a pris des mesures raisonnables pour accommoder les besoins particuliers du plaignant, mais que tout autre mesure aurait entraîné un préjudice injustifié pour l'employeur. Cette justification de l'accommodement raisonnable a été traitée dans l'arrêt O'Malley (p. 552-560).

Une troisième option dont peut se prévaloir le mis en cause est de fournir une autre explication raisonnable pour ce qui semble à première vue un comportement discriminatoire fondé sur un motif illicite. Cette explication raisonnable n'a pas pour but de justifier le comportement discriminatoire, comme les défenses de l'exigence professionnelle normale et de l'accommodement raisonnable, mais elle donne plutôt les motifs sous-tendant le comportement du mis en cause qui, sans eux, semble se fonder sur un motif illicite. L'explication raisonnable a été discutée dans l'affaire Israeli.

c) Troisième étape

Après que le mis en cause a eu la possibilité de fournir une réponse à la cause apparente, le fardeau revient au plaignant qui doit convaincre l'arbitre que l'explication du mis en cause est, selon la prépondérance des probabilités, un prétexte. Comme le président l'a déclaré dans l'affaire Ingram c. Natural Footwear, (1980) 1 CHRR D/59 (par. 473) :

(Traduction)

"Cependant, une fois que l'employeur s'est acquitté de son obligation, c'est au plaignant qu'il appartient d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que l'explication offerte s'écarte de la vérité et est pur prétexte."

Le Funk & Wagnall's Standard College Dictionary définit le terme pretext ainsi :

(Traduction)

"1. Raison ou motif fictif avancé pour cacher le véritable motif. 2. Excuse ou explication spécieuse."

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Le juge des faits doit alors décider si l'explication fournie par le mis en cause en réponse à la cause apparente du plaignant justifie le comportement discriminatoire ou est une explication raisonnable du comportement qui semble par ailleurs être fondé sur un motif discriminatoire.

Les trois étapes à suivre afin de faire la preuve de la discrimination constituent une tentative de juger les arguments invoqués par les parties en cause. Elles donnent suite à la difficulté évidente à laquelle fait face le plaignant qui doit,en premier lieu, prouver la discrimination de la part du mis en cause. Par ailleurs, ces étapes visent aussi la difficulté aussi évidente à laquelle est confronté le mis en cause qui n'a pas eu la possibilité d'expliquer son comportement. Il s'agit de déterminer si le comportement faisant l'objet de la plainte était, d'après la prépondérance des probabilités, fondé sur un motif illicite, discriminatoire.

En l'espèce, dans son étude de la législation applicable, le tribunal s'est attaché à la jurisprudence relative à la discrimination indirecte. Il a donc forcément examiné les exceptions à une conclusion de discrimination indirecte, par exemple l'exception de l'exigence professionnelle normale, appliquée dans l'arrêt Bhinder (supra), et l'exception de l'accommodement raisonnable, discutée dans l'arrêt O'Malley (supra).

Dans sa discussion de la législation, M. McLaren a négligé d'étudier la jurisprudence portant sur les causes traitant du refus d'un emploi pour des motifs discriminatoires. Il s'agit de candidats à des emplois qui sont en concurrence avec d'autres candidats également qualifiés pour une possibilité d'emploi. Dans ces affaires, l'objet de la loi est d'assurer que les candidats sont en concurrence selon des règles du jeu équitables; par conséquent, la législation relative à la discrimination dans l'emploi permet de découvrir si une sélection a été fondée sur un motif illicite.

En l'espèce, la situation des plaignantes est analogue à celle des plaignants dans une affaire de refus d'emploi, en ce que le comportement faisant l'objet de la plainte est que, au cours du processus de sélection, l'employeur a censément fondé sa décision, du moins en partie, sur un motif illicite. Comme l'affaire dont a été saisi le tribunal était analogue aux causes de refus d'emploi pour des motifs discriminatoires et comme la mise en cause n'invoquait pas les exceptions de l'exigence professionnelle normale ni de l'accommodement raisonnable à une conclusion discrimination indirecte, le tribunal aurait dû tenir compte de la jurisprudence relative à la discrimination dans l'emploi.

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PARTIE III - MÉTHODE ADOPTÉE PAR LE TRIBUNAL

Le problème que pose la décision du tribunal de première instance est que ce dernier n'a pas indiqué clairement à qui incombe le fardeau de la preuve ni si l'intéressé s'en est acquitté. Cependant, les parties ont effectivement produit leur preuve de façon qu'il soit possible d'identifier les premières étapes de l'enquête.

a) Première étape - la cause apparente

Une cause apparente peut être établie si preuve est faite que :

  1. le plaignant était qualifié pour le poste ou l'affectation particulière;
  2. le plaignant n'a pas obtenu le poste ou l'affectation;
  3. quelqu'un qui n'était apparemment pas mieux qualifié a reçu le poste ou l'affectation.

Même si la mise en cause a prétendu que cette cause apparente n'avait pas été établie par les plaignantes, le tribunal de première instance a décidé que les éléments de preuve invoqués par Radio-Canada montrent, à mon sens, que les trois plaignantes ont été traitées différemment des techniciens masculins appartenant à la même classe d'emploi et ayant la même description de tâche, et ce au cours des années 1983 et 1984 (notamment par rapport à MM. Nesbitt et Jessup). (P. 40) Cette conclusion de fait indique que la plaignante s'est déchargée du fardeau initial d'établir une cause apparente; toutefois, elle n'établit pas que le traitement différentiel était fondé sur un motif de discrimination illicite.

Il faut décider si la discrimination apparente se fonde sur un motif illicite après que le mis en cause a eu la possibilité de répondre. Autrement dit, le fardeau de la preuve aurait dû être déplacé pour revenir à la mise en cause qui aurait dû avoir la possibilité de fournir une explication raisonnable de ce qui était par ailleurs un comportement discriminatoire.

b) Deuxième étape - la réponse

A la deuxième étape, le mis en cause doit savoir clairement que les arguments qu'il tente de réfuter sont suffisants, en l'absence d'une réponse de sa part, pour appuyer une conclusion de discrimination. Le mis en cause doit soit justifier le comportement discriminatoire (en invoquant l'exception de l'exigence professionnelle normale) soit donner une explication raisonnable du comportement par ailleurs apparemment discriminatoire. La mise en cause n'a pas accepté qu'une cause apparente avait été établie, elle a présenté ses arguments de façon à laisser entendre qu'il n'y avait eu aucun traitement différentiel. En fait, dans sa décision, le tribunal

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déclare que l'avocate de la mise en cause n'a produit aucun élément de preuve visant à invoquer des exigences professionnelles justifiables. Au contraire, elle a voulu démontrer qu'il n'y a absolument pas eu discrimination dans cette cause. (P. 38) Le tribunal aurait dû indiquer clairement le fardeau de la preuve qui incombait à la mise en cause, mais les arguments présentés par cette dernière étaient un effort visant à convaincre le tribunal qu'il existait une explication raisonnable de ce que les plaignantes considéraient comme une différence discriminatoire. En d'autres termes, la mise en cause a reconnu que, comme dans une affaire de discrimination dans l'emploi, il lui incombait de fournir une explication raisonnable de la raison pour laquelle les plaignantes n'avaient pas obtenu l'affectation aux postes en cause. Il s'agit d'une réponse différente de ce que le tribunal de première instance, en ne reconnaissant pas cette troisième option, semble avoir exigé de la mise en cause comme réponse satisfaisante aux plaintes.

Le tribunal de première instance a limité son examen de la législation aux affaires concernant la discrimination directe ou la discrimination indirecte. Cette jurisprudence oblige la mise en cause, à la deuxième étape, à justifier son comportement (voir O'Malley et Bhinder, supra). Le tribunal de première instance n'a pas examiné le cas où une cause apparente de discrimination directe ou indirecte n'est pas établie et il n'a donc pas examiné l'option de la mise en cause, qui était de fournir une explication raisonnable de la conduite faisant l'objet de la plainte. Le tribunal inférieur a précisé le fardeau de la preuve qui incombait au mis en cause lorsque la cause apparente d'une discrimination est établie (p. 34) :

"Lorsqu'un plaignant a établi une cause apparente de discrimination directe ou indirecte, le fardeau de la preuve incombe alors au mis en cause, lequel doit justifier la pratique ou la règle discriminatoire."

Le fardeau de la preuve obligeant le mis en cause à justifier la pratique ou la règle discriminatoire a déjà été examiné sous l'angle du fardeau ultime par rapport au fardeau de présentation. Pour une discussion intéressante de la jurisprudence pertinente, voir la décision du tribunal présidé par M. Fetterly dans Dhami c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, T.D.P. DT 17/89 (p. 15), dans laquelle le tribunal adopte également le principe selon lequel le mis en cause, en l'absence d'une cause apparente de discrimination directe ou indirecte, doit uniquement s'acquitter du fardeau de présentation pour que le fardeau de la preuve incombe de nouveau au plaignant.

En l'espèce, une cause apparente de discrimination directe ou indirecte (au sens de l'arrêt O'Malley, supra) n'a jamais été établie, la mise en cause n'aurait donc dû avoir été tenue qu'à fournir une explication raisonnable, ce qui était également

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conforme à la conclusion selon laquelle la discrimination fondée sur le motif illicite n'était pas l'explication juste de ce qui était survenu. A mon avis, la mise en cause a effectivement fourni cette autre explication raisonnable, et comme elle s'est déchargée du fardeau, le fardeau de présentation aurait donc dû incomber aux plaignantes qui devaient prouver que l'explication de la mise en cause était un simple prétexte et que le véritable motif derrière l'acte de l'employeur était en fait discriminatoire. Il semble bien que c'est ce dernier déplacement du fardeau de la preuve qui ne s'est pas produit à l'audience tenue devant le tribunal.

L'explication donnée par la mise en cause de la raison pour laquelle les plaignantes s'étaient vu demander moins d'heures supplémentaires et assigner moins d'affectations aux cars de reportage que leurs homologues de sexe masculin peut se résumer ainsi :

  1. Mme O'Connell a travaillé à l'extérieur du groupe de magnétoscopie jusqu'en octobre 1982; en outre, 59 des 84 heures de différence entre ses propres heures et celles de M. Nesbitt, pour 1983, étaient attribuables à l'affectation de M. Nesbitt aux éliminatoires de la LNH de 1983. En 1984, Mme O'Connell a fait plus d'heures supplémentaires que M. Nesbitt.
  2. La rémunération des heures supplémentaires faites par Mme Chirka en 1983 et en 1984 était inférieure à celle de M. Nesbitt parce que Mme Chirka n'avait pas été affectée aux éliminatoires de la LNH de 1983, car ces affectations avaient eu lieu avant que Mme Chirka ne revienne de son congé de maternité.

En juin et en juillet 1983, Mme Chirka participait à un programme de formation au Service de journalisme électronique.

Mme Chirka a été claire à cet égard : à son avis, elle n'a fait l'objet d'aucune discrimination au cours des années précédant son congé de maternité (c'est-à-dire avant 1983), même si Mme O'Connell se plaint de discrimination au cours de ces années.

Pour 1984, il est impossible d'effectuer la comparaison pour Mme Chirka parce que, dès le début de 1984, elle travaillait au Service de journalisme électronique et non dans le groupe de magnétoscopie (voir la décision du tribunal, p. 2).

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Mme Chirka a reçu moins d'affectations aux cars de reportage, non seulement pour les raisons précitées, mais également parce qu'elle le voulait ainsi, au point où elle a refusé l'occasion de couvrir un match de football de la LCF en 1984.

(iii) La situation de Mme Oxendale, comparée à celle de M. Jessup, n'est pas aussi bonne tant du point de vue de la rémunération des heures supplémentaires que des affectations aux cars de reportage pour les années 1983 et 1984, parce que Mme Oxendale a été embauchée afin de remplacer M. Jessup lorsque ce dernier a sorti d'un studio pour devenir l'un des techniciens du mini-car de reportage. De plus, Mme Oxendale ne cachait pas son hésitation à travailler dans le mini-car de reportage.

Lorsque M. Jessup a remplacé son prédécesseur, M. Trudel (qui avait également été nommé technicien du mini-car de reportage), une différence semblable s'était produite entre la rémunération de leurs heures supplémentaires, à l'instar de celle qui est survenue entre la rémunération de Mme Oxendale et celle de M. Jessup (voir la décision du tribunal, p. 38).

Mme Oxendale a reçu quelques affectations aux cars de reportage en 1982, peu après être arrivée à Calgary. Sa personnalité difficile était l'un des facteurs qui faisaient hésiter son supérieur à l'assigner aux affectations aux cars de reportage.

c) Troisième étape

L'explication de la mise en cause aurait dû alors être suivie de la troisième étape. Toutefois, les plaignantes n'ont pas essayé de prouver qu'il s'agissait d'un prétexte, elles ont plutôt affirmé que la mise en cause n'avait pas encore justifié son comportement discriminatoire en invoquant l'une des deux exceptions, soit l'exigence professionnelle normale ou l'accommodement raisonnable. En effet, elles ont soutenu que le défaut de la mise en cause de réagir de façon positive à leurs plaintes était une autre preuve de discrimination.

C'est pourquoi la mise en cause a été tenue de s'acquitter d'un fardeau de présentation plus lourd que juste celui de fournir une explication raisonnable. Par exemple lorsque, à la deuxième étape, le fardeau de présentation est l'obligation de justifier son comportement plutôt que l'obligation de fournir une autre explication raisonnable au comportement apparemment discriminatoire, cela équivaut à demander à la mise en cause de reconnaître un acte discriminatoire afin de le justifier. De même, la mise en cause se trouve dans une impasse et ne peut répondre aux plaintes initiales des plaignantes. Par exemple, si la mise en cause réagit en modifiant son comportement à l'égard des plaignantes, cette réaction peut être interprétée comme une preuve circonstancielle que la mise en cause a

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effectivement exercé de la discrimination contre les plaignantes et qu'elle corrige maintenant son comportement. Par ailleurs, si la mise en cause ne réagit pas aux plaintes des plaignantes, cette non-réaction peut alors être interprétée comme une preuve circonstancielle que la discrimination se poursuit sous la forme d'une insensibilité aux préoccupations des plaignantes (comme ce fut le cas en l'espèce). Comme l'appelante le souligne dans son exposé des faits et du droit, le défaut perçu de la SRC de répondre aux plaintes des trois femmes n'est pas une preuve de la cause de la plainte. En d'autres termes, le défaut de la SRC de répondre aux plaintes n'est pas une preuve que les plaintes étaient justifiées en premier lieu.

L'explication de la mise en cause aurait dû être acceptée comme une explication raisonnable de son comportement jusqu'à ce que les plaignantes aient fourni des arguments pour montrer que, d'après la prépondérance des probabilités, l'explication s'écarte de la vérité et est pur prétexte (Ingrim v. Nature Footwear 1980), et que les décisions relatives aux affectations prises par la mise en cause étaient fondées, du moins en partie, sur un motif illicite.

Je ne suis pas convaincu que la preuve permet de conclure que, suivant la prépondérance des probabilités, l'explication de la mise en cause s'écartait de la vérité et était un pur prétexte.

Peut-être que l'exigence qu'un plaignant doive convaincre le tribunal que l'explication du mis en cause s'écarte de la vérité et est un pur prétexte ou (suivant la citation tirée par mes collègues du Black's Law Dictionary) que l'explication était une [TRADUCTION] raison ou un motif apparent qui est invoqué pour maquiller ou dissimuler la raison ou le motif véritable; fausse apparence, semblant[...], constitue un fardeau trop lourd à imposer à la plaignante. Un critère plus juste serait peut-être d'exiger qu'un plaignant convainque le tribunal que le mis en cause a seulement fourni une explication possible - non une explication probable.

PARTIE IV - CONCLUSIONS

La Loi canadienne sur les droits de la personne vise à affirmer la conviction de notre société dans le droit de l'individu à vivre sans aucune discrimination. La Loi canadienne sur les droits de la personne est un moyen à la disposition de l'individu de donner suite aux plaintes qu'il peut avoir au sujet du comportement discriminatoire exercé à son égard.

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La jurisprudence relative à la discrimination vise à assurer que la procédure à suivre pour donner suite à une réclamation présentée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne permet l'évaluation juste et pertinente de la preuve présentée par les deux parties.

Les règles de procédure et de preuve appliquées par le tribunal sont conformes aux exigences des arrêts O'Malley et Bhinder, qui portent sur la justification du comportement discriminatoire direct et indirect. Toutefois, le tribunal n'a pas conclu à une cause apparente de discrimination directe ou indirecte en l'espèce, et il juge donc que l'obligation à laquelle était soumise la mise en cause, soit de justifier son comportement, était un fardeau supérieur à celui qui lui incombait.

Je conclus que la méthode à trois étapes relative au fardeau et à l'ordre de présentation de la preuve qui a été déterminée dans l'affaire Israeli c. CCDP (précitée) était la méthode à suivre en ce qui concerne la preuve soumise en l'espèce, et qu'elle aurait dû être appliquée par le tribunal de première instance. Ce dernier a obligé à tort la mise en cause à justifier son comportement au lieu d'exiger qu'elle fournisse une explication transférant aux plaignantes le fardeau de soutenir que, suivant la prépondérance des probabilités, cette explication s'écartait de la vérité et constituait un pur prétexte.

Par ces motifs, j'aurais accueilli l'appel.

Fait à Richmond, (C.-B.) le jour de mars 1990.

(Signé)

Marvin N. Stark, président

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