Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 7/97 Décision rendue le 27 août 1997

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

TAYLOR HEWSTAN la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

GILBERT AUCHINLECK l'intimé


DÉCISION DU TRIBUNAL


TRIBUNAL : Peggy J. Blair, présidente Magda Seydegart, membre Nicholas Sibbeston, membre

ONT COMPARU : Eddie Taylor, procureur de la Commission Tim Pettit, procureur de l'intimé

DATES DE L'AUDIENCE : 11 février 1997; 7 au 11 avril et 26 au 30 avril 1997 Vancouver (C.-B.)

DÉCISION Peggy Blair MAJORITAIRE : (Nicholas Sibbeston souscrit à la décision.)

OPINION DISSIDENTE: Magda Seydegart

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DÉCISION MAJORITAIRE DU TRIBUNAL

La plainte dont est saisi ce Tribunal est fondée sur une allégation de Taylor Hewstan, qui était employée de CHUM Limited (également connue sous l'appellation CFUN Radio) aux moments en cause. Mme Hewstan allègue que son collègue et co-animateur de l'émission du matin, Gilbert Auchinleck, plus communément connu sous son nom d'artiste Doc Harris , l'a harcelée sexuellement entre le 12 avril et le 27 mai 1994 sur les lieux de travail et que, après avoir appris qu'elle avait formulé une plainte de harcèlement sexuel, il s'est efforcé de saboter son travail. Il est allégué que les gestes de harcèlement ont consisté à formuler des commentaires et à poser des gestes inconvenants à connotation sexuelle que Mme Hewstan jugeait désagréables et importuns. Mme Hewstan allègue qu'après qu'elle a formulé sa plainte à la direction de CFUN, M. Auchinleck a pris des mesures de représailles directes et indirectes à son endroit en créant une ambiance au sein de laquelle il lui était impossible de s'acquitter de ses fonctions. Mme Hewstan et M. Auchinleck ont tous les deux été congédiés par CFUN Radio le 30 août 1994.

Le Tribunal a entendu quelque 22 témoins au cours des huit journées d'audience. Des dossiers volumineux ont été déposés à la fois par M. Taylor, procureur de la Commission canadienne des droits de la personne, et par M. Pettit, procureur de M. Auchinleck. Mme Hewstan a décidé de s'en remettre à la preuve et aux représentations formulées par la Commission canadienne des droits de la personne et elle n'a pas convoqué de témoin ni présenté d'argument en son propre nom.

Deux des témoignages, celui de Jaylene Larose Hamilton, (ci- après appelée Jaylene Larose) et celui de Terri Theodore, ancienne collègue de M. Auchinleck, visaient à établir une preuve de faits similaires. Avant de décider du poids qu'il convient d'accorder au contenu du témoignage de Mmes Theodore et Larose, il serait peut-être opportun de nous pencher sur l'applicabilité et la recevabilité d'une preuve de faits similaires.

Le recours à une preuve de faits similaires vient du droit criminel et les mêmes principes s'appliquent à son utilisation dans des affaires civiles. Les témoignages sur des gestes antérieurs de l'intimé similaires à ceux qui lui sont reprochés peuvent être admis en preuve sous réserve que leur valeur probante excède le préjudice qu'ils sont susceptibles de causer (R. c. Morin [1988] 2 RCS 345). La preuve de faits similaires doit faire état de faits semblables à ceux en cause dans l'affaire et non pas simplement démontrer une propension de l'accusé. A défaut

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d'une telle pertinence, la preuve de faits similaires n'est pas recevable.

Dans deux précédents de droits de la personne, soit la décision Graesser c. Porto (1983) 4 CHRR D/1569 et la décision Piazza c. Airport Taxi Cab and Mann (1986) 7 CHRR D/1396, une preuve de faits similaires a été présentée et acceptée au motif que dans chaque cas, elle était probante compte tenu des questions examinées par le Tribunal. Dans les deux cas, le président du Tribunal était la même personne.

Dans la décision Porto, précitée, M. Zemans a indiqué que de manière générale, pour décider de la recevabilité d'une preuve de faits similaires, il faut établir si cette preuve est pertinente à la question en cause en l'espèce et dans l'affirmative, établir le poids qu'il convient de lui accorder. M. Zemans signale également que l'avantage obtenu en admettant une telle preuve doit être comparé au préjudice subi par la personne à l'encontre de qui cette preuve est admise. Ainsi, après avoir correctement énoncé deux des principes à prendre en considération au moment d'évaluer la valeur d'une preuve de faits similaires, M. Zemans énonce ensuite le raisonnement qui l'amène à admettre en l'espèce une preuve de cette nature. A la page D/1572, il écrit notamment ce qui suit :

[Traduction]

Lorsqu'il est question de harcèlement sexuel, ainsi que d'autres infractions alléguées au Code des droits de la personne de l'Ontario, il est rare que l'infraction, ou l'infraction alléguée, ait été commise au vu et au su de tous et qu'on puisse donc prouver cette infraction en appelant à la barre des témoins oculaires. En d'autres mots, il est rare que l'on harcèle sexuellement une autre personne en public. Ces événements prennent habituellement plutôt place derrière des portes closes, sans témoin. Puisque tel est le cas, l'exclusion de la preuve de faits similaires amènerait inévitablement le juge des faits à trancher la question en s'appuyant uniquement sur le témoignage des parties devant lui.

... Compte tenu de la difficulté inhérente à prouver qu'il y a eu harcèlement sexuel et de la pertinence de son témoignage, je considère que le témoignage [de faits similaires] de Sheila Lang est recevable afin de réfuter la défense de l'intimé. A mon avis, la preuve n'est pas préjudiciable à M. Porto. (C'est nous qui soulignons.)

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Il est de notre avis que M. Zemans s'est appuyé sur des considérations non pertinentes lorsqu'il a fixé les critères permettant d'établir dans quelles circonstances il convient d'admettre une preuve de faits similaires.

Si le Tribunal des droits de la personne n'est pas strictement assujetti aux règles de preuve courantes, tout tribunal doit en dernier recours établir les faits en soupesant la crédibilité des parties et des témoins entendus à l'égard des allégations sur lesquelles il est appelé à trancher. Il serait inacceptable qu'un tribunal accueille favorablement une plainte en fondant uniquement sa décision sur des gestes antérieurs de l'intimé et une preuve de faits similaires ne peut ni ne doit tenir lieu de preuve à l'appui des allégations comme telles. De plus, il ne découle pas nécessairement du fait que des gestes de harcèlement sexuel ne sont que rarement posés en public qu'une preuve de faits similaires est requise pour qu'une plainte soit jugée fondée suivant la prépondérance des probabilités. L'absence d'une preuve de faits similaires ne devrait jamais être invoquée pour rejeter une plainte et l'admission d'une preuve de faits similaires ne devrait pas non plus, à elle seule, être déterminante.

De plus, nous sommes tout à fait en désaccord avec la notion selon laquelle l'admission d'une preuve de faits similaires peut ne pas être préjudiciable à un intimé. Une preuve de faits similaires est au contraire nécessairement préjudiciable en ce qu'elle introduit en preuve, dans le but de corroborer des allégations sur lesquelles le tribunal est amené à se prononcer, des gestes antérieurs qui n'ont aucun rapport avec ces mêmes allégations. La question ne consiste pas à établir si oui ou non une preuve de faits similaires est préjudiciable (puisqu'il est acquis qu'elle l'est nécessairement), mais plutôt à établir si sa valeur probante est plus grande que le préjudice que son admission est susceptible de causer. Même si dans l'arrêt Morin, précité, la Cour suprême s'intéressait plutôt à la question des témoignages d'experts dans le cadre de procédures criminelles, les observations qu'y formule le juge Sopinka sont tout à fait pertinentes et applicables à l'évaluation du préjudice causé par une preuve par rapport à sa valeur probante :

[Traduction]

Le juge de première instance doit établir si la preuve est pertinente en l'espèce, outre sa tendance à démontrer une propension. Si elle est pertinente... il faut ensuite établir si sa valeur probante à l'égard de cette autre question excède son effet préjudiciable sur la question de la propension. En bref, si la seule

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pertinence ou la pertinence principale de la preuve consiste à démontrer un penchant , alors celle-ci doit être exclue.

Dans l'arrêt R. c. Pascoe (1997) 32 OR (3d) 37, la Cour d'appel de l'Ontario s'est récemment intéressée au préjudice que peut causer le recours à une preuve de ce genre dans un procès devant jury. De nouveau, dans ses observations sur le recours à une preuve de cette nature dans les procès criminels, la Cour constate ce qui suit (à la page 56) :

[Traduction]

La nature du préjudice découlant du fait que l'appelant soit présenté comme une personne de mauvaise réputation a été décrite par le juge Sopinka dans l'arrêt R. c. D.(L.E.) [1989] 2 RCS 111 aux pages 127 et 128, 50 CCC (3d) 142 aux pages 161 et 162. Le premier aspect de ce préjudice est que le jury peut être amené à croire que l'accusé est une mauvaise personne qui peut très bien être coupable du crime dont il est accusé... Le deuxième effet possible sur le jury d'une preuve de ce genre peut être une tendance à vouloir punir l'accusé pour des gestes qu'il a commis dans le passé en le reconnaissant coupable du crime qui lui est reproché maintenant. Le troisième danger réside dans la confusion qui s'installera au sein du jury qui concentrera ses énergies à établir si l'accusé a véritablement commis les gestes antérieurs qu'on lui a décrits. (C'est nous qui soulignons.)

Nous faisons valoir que des considérations semblables devraient s'appliquer quand vient le temps d'établir quel poids il convient d'accorder à une preuve de faits similaires dans des procédures tenues devant nous. Si une preuve de faits similaires est présentée dans le simple but de jeter un doute sur la personnalité de l'accusé ou afin de laisser entendre ou d'établir qu'il y a chez l'accusé une propension à commettre les gestes en question, cette preuve est irrecevable et ne devrait pas être retenue même dans le contexte moins formel des procédures du Tribunal des droits de la personne. Le critère approprié pour établir la recevabilité d'une telle preuve consiste à établir si les faits auxquels elle renvoie sont suffisamment similaires aux faits allégués pour qu'elle possède une valeur probante à l'égard des questions dont est saisi le Tribunal et ce, après avoir pris en considération le préjudice que son admission est susceptible de causer. Les facteurs à prendre en considération à cette fin sont les suivants : (a) la

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preuve de faits similaires soumise porte-t-elle véritablement sur des faits similaires à ceux en cause; (b) la preuve porte-t-elle sur des questions autres que la seule propension de l'intimée à commettre un ou plusieurs gestes particuliers et (c) la présentation de la preuve viendra-t- elle semer la confusion en exigeant du Tribunal qu'il établisse d'abord si les gestes antérieurs reprochés à l'intimé ont véritablement été posés.

Après avoir appliqué ces principes à la question dont nous sommes saisis, nous en venons à la conclusion que le témoignage de Terri Theodore ne peut s'inscrire dans une preuve de faits similaires susceptible d'appuyer les allégations de Mme Hewstan. Les faits relatés par Mme Theodore ne sont en effet pas similaires à ceux allégués par Mme Hewstan. Mme Theodore a décrit dans son témoignage la relation consensuelle qu'elle a entretenue un certain temps avec M. Auchinleck et qui, selon ses propres termes, était presque assimilable à des fréquentations . M. Auchinleck aurait avoué au témoin éprouver pour elle des sentiments que cette dernière ne partageait pas. Lorsqu'elle a fait connaître ses sentiments à M. Auchinleck en des termes qui ne laissaient aucun doute possible, ce dernier a adopté une attitude plutôt réservée à son endroit pendant une semaine, mais a maintenu en ondes son professionnalisme en tout temps. Selon Mme Theodore, M. Auchinleck n'a rien fait pour nuire à son travail. Aucun élément du témoignage de Mme Theodore ne permet donc de conclure que M. Auchinleck se soit livré à du harcèlement sexuel à son endroit. De plus, il n'y a rien de répréhensible dans le fait qu'une relation sociale puisse se développer entre collègues de travail, même si l'une des personnes en cause occupe un poste assimilable à un poste de direction. Comme cela a été énoncé dans l'arrêt Bell c. the Flaming Steer Steak House, à la page D156 :

[Traduction]

Il faut prendre garde que le droit ne vienne pas s'interposer dans des contacts sociaux normaux entre les cadres d'une entreprise et ses employés ou dans des discussions normales entre cadres et employés. Il n'y a rien d'anormal dans le fait qu'un superviseur s'engage dans une relation sociale suivie avec un employé et une telle conduite ne devrait pas être interdite. Une invitation à un repas ne doit pas devenir une invitation à porter plainte.

Il semble que Jaylene Larose ait été appelée à témoigner afin de prouver que M. Auchinleck avait une propension à poser les gestes qui font l'objet de la plainte de Mme Hewstan. Mme Larose a laissé entendre que les critiques de M. Auchinleck à son endroit et les gestes qu'il avait

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posés afin de nuire à son travail en ondes et en dehors des ondes étaient survenus après qu'elle ait repoussé les avances physiques de M. Auchinleck. B.R. Bradbury et Terri Theodore ont confirmé que M. Auchinleck se montrait très critique à l'endroit du travail de Mme Larose au point où il est parfois arrivé à celle-ci d'éclater en sanglots. Toutefois, dans une certaine mesure, aussi bien Mme Theodore que M. Bradbury ne pouvaient à cet égard que répéter ce que Mme Larose leur avait dit. La prépondérance de la preuve semble toutefois indiquer que Mme Larose n'avait pas été en mesure de respecter les normes astreignantes fixées par M. Auchinleck relativement au format de l'émission du matin et que lorsque la qualité de cette émission a commencé à en souffrir, M. Auchinleck s'est montré de plus en plus ouvertement critique du travail de sa collègue.

Les allégations formulées par Mme Larose selon lesquelles M. Auchinleck aurait formulé des commentaires et posé des gestes déplacés sont peut-être vraies, mais peut-être ne le sont-elles pas non plus. Quoi qu'il en soit, il ne relève pas du mandat de ce Tribunal de décider de la véracité d'allégations dont il n'est pas saisi. Pour paraphraser la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Pascoe, précité, nous avons l'obligation de ne pas confondre les questions en cherchant à établir si M. Auchinleck a véritablement commis dans le passé des gestes répréhensibles; nous devons plutôt tenter d'établir si le témoignage de Mme Larose corrobore les faits mentionnés dans la plainte de Mme Hewstan.

A cet égard, et même s'il est vrai que Mme Hewstan ne s'était pas entretenue directement avec Mme Larose avant de déposer sa plainte, il faut tenir compte du fait qu'elle avait néanmoins parlé avec Terri Theodore, B.R. Bradbury et Murray Thompson et les avait interrogés afin de connaître les détails de la relation entre Mme Larose et M. Auchinleck. Les faits mentionnés dans la plainte de Mme Hewstan qui sont similaires à ceux mentionnés dans la plainte de Mme Larose auraient beaucoup plus de poids si ces discussions n'avaient jamais eu lieu. La possibilité que Mme Hewstan ait perçu différemment les événements après avoir été mise au courant de la plainte de Mme Larose est un facteur que nous devons prendre en considération afin d'établir la crédibilité du témoignage de Mme Hewstan. De même, nous devons tenir compte du comportement de Mme Hewstan à la barre des témoins et plus particulièrement du caractère évasif de ses réponses, voire de son refus de répondre à certaines questions en contre-interrogatoire. A cet égard, le défaut de la station de radio de consigner de manière appropriée les plaintes de Mme Larose et de Mme Hewstan sur le comportement de M. Auchinleck et de mener une enquête relativement à ces plaintes complique singulièrement le processus consistant à évaluer dans quelle

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mesure les rumeurs et les ragots circulant au sein du personnel de la station de radio ont pu influencer les souvenirs qu'ont conservés les témoins des incidents après trois ou quatre années.

Les détails de la politique relative au harcèlement sexuel de la station de radio CFUN n'ont pas été déposés en preuve et on ne sait pas très bien si CFUN avait même adopté une telle politique à l'époque. Certains éléments de preuve produits permettent cependant de croire qu'aucune politique de cette sorte n'a été affichée avant que la plainte de Mme Hewstan ne soit déposée. A notre avis, CFUN aurait dû au minimum exiger que les plaintes des deux femmes de même que la réplique de M. Auchinleck soient formulées par écrit et en outre, la station de radio aurait dû exiger que l'affaire demeure confidentielle jusqu'à ce qu'une enquête indépendante ait été effectuée. Puisque tel n'a pas été le cas, il est difficile, notamment, d'évaluer le degré de véracité des détails énoncés dans les plaintes de Mme Larose, voire d'établir à quel moment ces plaintes ont été formulées. De plus, les personnes susceptibles d'avoir été témoins d'événements dont Mme Hewstan et Mme Larose affirment qu'ils ont eu lieu (comme Murray Thompson, B.R. Bradbury et Gary Crane) auraient dû être interrogées à ce moment et elles auraient dû être invitées à produire une déclaration écrite de ce qu'elles avaient ou n'avaient pas observé à l'époque.

A cause de la négligence apparente de la station à documenter les plaintes et compte tenu des rumeurs, des ragots et des insinuations qui ont commencé à courir au sein du personnel de la station lorsque la nouvelle du caractère imminent d'une poursuite de la part de Mme Larose a commencé à circuler en mai 1994, il est difficile de discerner la réalité en s'appuyant sur les souvenirs teintés que conservent aujourd'hui de ces événements les personnes en question.

Certains faits sont toutefois indiscutables. Mme Hewstan a commencé à travailler à CFUN en avril 1994 au poste de reporter de la circulation. M. Auchinleck travaillait depuis un studio installé à son domicile, un arrangement qu'il était tenu de maintenir pour des motifs fiscaux. Le contrat de Mme Hewstan en sa qualité de co-animatrice comportait une condition suivant laquelle elle-même et M. Auchinleck prépareraient leurs émissions au studio situé au domicile de M. Auchinleck ou à la station de radio. En avril et en mai 1994, Mme Hewstan travaillait à la production de gags au studio de M. Auchinleck au domicile de ce dernier. Il semble que cet arrangement était nécessaire compte tenu de l'entente tacite entre les parties qu'au cours de cette période, Mme Larose ne serait pas avisée de son congédiement

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imminent et les autres employés de la station ne seraient pas informés que Mme Hewstan lui succéderait.

Au cours de cette période, M. Auchinleck accueillait Mme Hewstan à son arrivée en la serrant dans ses bras et en lui donnant un baiser et répétait ces gestes au moment de son départ. La perception que chaque partie avait de ces étreintes et de ces baisers demeure incertaine. Dans son témoignage, Mme Hewstan a pour l'essentiel indiqué qu'elle ne les appréciait pas, mais a reconnu ne pas avoir signalé à M. Auchinleck qu'elle trouvait ces gestes désagréables, tout du moins au départ. Selon Mme Hewstan, sa réaction était émotionnellement neutre.

En fait, ce n'est pas avant le 27 mai 1994 que M. Auchinleck a appris que ses gestes déplaisaient à Mme Hewstan. Ce jour- là, la plaignante a laissé un message sur le répondeur téléphonique de Doc Harris dans lequel elle lui faisait savoir qu'elle ne souhaitait plus avoir aucun contact physique avec lui et énonçait clairement son opinion que les étreintes et les baisers dont elle faisait l'objet lui semblaient déplacés entre collègues. Ses notes indiquent ce qui suit : J'ai appelé Doc après mon arrivée à la maison à la suite d'une séance de production à son domicile pour lui faire savoir que je n'appréciais pas qu'il me serre dans ses bras et m'embrasse, non seulement en public, mais aussi en privé. Selon Mme Hewstan, Doc Harris l'a rappelée plusieurs heures plus tard ce même jour pour lui demander en quoi des étreintes et baisers étaient déplacés et elle lui aurait alors expliqué qu'à son avis, de tels gestes n'avaient pas leur place dans le cadre d'une relation professionnelle. Le jour suivant, au festival Hyak, selon les notes que Mme Hewstan a prises, Doc Harris s'est montré amical, mais réservé. Dans son témoignage, Mme Hewstan a ajouté que l'intimé lui aurait serré la main et lui aurait souhaité un joyeux anniversaire, le 28 mai étant le jour de son anniversaire. Il semble donc plutôt évident qu'après que Mme Hewstan ait signalé à M. Auchinleck qu'elle n'appréciait pas sa manière de la saluer, ce dernier a modifié son comportement et a mis fin aux étreintes et aux baisers qui, il le savait maintenant, étaient jugés déplacés par Mme Hewstan.

Mme Hewstan allègue qu'au cours de la période antérieure au 30 mai, toutefois, il y a eu plus que de simples étreintes et de simples baisers. Puisque les 28 et 29 mai étaient un samedi et un dimanche et que ce week-end s'était déroulé sans aucun incident, les événements décrits par Mme Hewstan sont nécessairement survenus, le cas échéant, avant le 27 mai.

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Mme Hewstan allègue que Doc Harris l'aurait embrassée dans le cou à une occasion et qu'à une autre occasion, il aurait sauté sur elle alors qu'elle était étendue sur un lit dans la chambre de son studio où se trouvait son ordinateur, pendant qu'ils travaillaient et qu'à cette occasion, il l'avait embrassée à cinq reprises. Dans l'évaluation du poids qu'il convient d'accorder au témoignage de Mme Hewstan à cet égard, il est important de se rappeler que ces événements ne sont pas mentionnés dans ses notes. Le message laissé par Mme Hewstan à M. Auchinleck sur son répondeur téléphonique le 27 mai 1994 faisait uniquement mention d'étreintes et de baisers importuns. Par ailleurs, Mme Hewstan avait bel et bien consigné dans ses notes, pour chaque jour au cours desquels ils avaient travaillé ensemble en avril et en mai 1994, chacune des dates auxquelles M. Auchinleck l'avait accueillie chez lui avec une étreinte et un baiser. M. Auchinleck reconnaît avoir adressé à Mme Hewstan une blague au cours de cette période. Il aurait prononcé cette blague alors que les deux se trouvaient assis dans la chambre. Il lui aurait dit qu'il s'agissait sans doute de la seule occasion qu'ils auraient jamais de se trouver ensemble dans un lit . Quoi qu'il en soit, et bien qu'il demeure tout à fait possible qu'un incident soit survenu entre M. Auchinleck et Mme Hewstan dans la chambre à un moment ou à un autre pendant leur relation de travail, et peu importe la nature exacte de cet incident, nous tendons à croire que celui-ci n'était pas aussi grave que semble le dénoter la description qu'en a faite Mme Hewstan par la suite.

Il est apparent toutefois que quelque chose est venue modifier la perception qu'avait Mme Hewstan des gestes de M. Auchinleck. En effet, le 30 mai 1994, la plaignante a commencé à s'informer sur le compte de M. Auchinleck auprès de tiers et à discuter avec ces personnes de son inconfort face au comportement de M. Auchinleck. Elle a tenu des propos de cette nature à un certain nombre de personnes dont Trish Hanna, Murray Armstrong, B.R. Bradbury, Brenda Lauck, Terri Theodore, Paul Ski et Neil Gallagher. Les notes prises par Mme Hewstan le 30 mai 1994 permettent peut-être de mieux comprendre son changement soudain d'attitude : J'ai dit à Trisha que mes soupçons avaient été éveillés plusieurs jours auparavant lorsque Doc a mentionné que Jaylene Larose, son ancienne co-animatrice, avait l'intention de déposer une plainte de harcèlement sexuel contre lui. (C'est nous qui soulignons.) Doc Harris lui-même se demande si le changement d'attitude de Mme Hewstan était attribuable à des propos qu'elle avait entendus à son sujet. Les notes de Mme Hewstan sur la discussion qu'elle a alors eue avec l'intimé ce même jour se lisent notamment comme suit :

[Traduction]

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J'ai répété que tout contact physique me mettait mal à l'aise et j'ai précisément mentionné que c'était le cas de ses étreintes et de ses baisers non sollicités. Il m'a accusée de ne pas le lui avoir dit plus tôt. Il a affirmé croire que Neil m'avait dit quelque chose à son sujet qui avait entraîné cette réaction. (C'est nous qui soulignons.)

Nous sommes enclins à croire que Mme Hewstan n'avait pas jugé préoccupant le comportement plutôt inoffensif de Doc Harris à son endroit avant d'entendre parler des plaintes de Jaylene Larose. Il semble que Mme Hewstan avait été victime d'un incident antérieur de harcèlement sexuel en Alberta (selon le témoignage du Dr Posen). Elle avait à l'époque déposé une plainte qui n'avait pas été prise sérieusement. Il ne serait pas surprenant que Mme Hewstan, après avoir été mise au courant des allégations de harcèlement sexuel formulées par sa prédécesseure, ait commencé à craindre pour sa sécurité, compte tenu que la majorité des personnes auprès desquelles elle s'était informée à la station de radio lui ont indiqué que la direction de la station n'avait jamais enquêté sur la plainte de Mme Larose. Elle avait accepté de travailler (comme le stipulait son contrat) au domicile d'un homme dont elle avait maintenant des raisons de croire qu'il était un harceleur sexuel. De plus, comme on peut le constater dans l'enregistrement d'un gag déposé en preuve par l'intimé, le produit du travail effectué par M. Auchinleck et Mme Hewstan comportait une certaine quantité d'insinuations à connotation sexuelle. Il n'est donc pas surprenant dans les circonstances que Mme Hewstan ait réévalué des événements antérieurs et les ait jugés moins innocents qu'ils ne le semblaient à première vue, compte tenu des renseignements dont elle venait de prendre connaissance.

Il semble clair qu'à partir du moment où Mme Hewstan a été mise au courant des expériences de Jaylene Larose avec M. Auchinleck, elle a commencé à attribuer aux remarques de M. Auchinleck, même les plus inoffensives, des connotations sexuelles et un caractère personnel et importun. La sensibilité accrue de Mme Hewstan est évidente, par exemple, dans ses plaintes ultérieures dans lesquelles elle indique que les remarques de M. Auchinleck sur les chaussures qu'elle portait lui étaient désagréables.

Même si Mme Hewstan est de toute évidence convaincue que M. Auchinleck avait décidé de saboter délibérément son travail (peut-être à cause des renseignements qui lui avaient été communiqués sur les expériences vécues par Mme Larose avec M. Auchinleck), rien dans la preuve qui nous a été soumise ne confirme la conviction de Mme Hewstan. Aucun

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élément de preuve ne permet en effet de conclure qu'on a nui au travail de Mme Hewstan en ondes. Murray Thompson, ingénieur du son, n'a rien vu ni entendu qui permettrait de croire à un tel sabotage. Pratiquement tous les témoins ont confirmé que Doc Harris s'était montré d'un professionnalisme à toutes épreuves en ondes, même après avoir été humilié par Mme Theodore qui avait repoussé ses avances. De plus, comme un certain nombre de témoins l'ont fait remarquer, toute tentative de M. Auchinleck de saboter le travail de Mme Hewstan aurait nécessairement nui à la qualité de son propre travail.

Après le 14 juin, à cause de la tension qui régnait entre les deux co-animateurs, il a été décidé de ramener à sa plus simple expression la formule de l'émission. Mme Hewstan indique dans ses notes que Doc Harris se montrait coopératif et courtois avec elle, mais qu'il était en colère et hostile en général après le 14 juin. Il est probable que M. Auchinleck était contrarié et frustré du fait que son émission, et son propre statut de star , aient été réduits à leur plus simple expression. A ce moment, l'avenir même de M. Auchinleck au sein de la station était devenu incertain à cause des faibles cotes d'écoute et de changements imminents au matériel informatisé. Rien toutefois, même pas le témoignage de Mme Hewstan, n'indique que cette colère ou cette hostilité à l'endroit de la station était dirigée vers la plaignante. Mme Hewstan allègue que M. Auchinleck a utilisé un langage grossier en sa présence après le 30 mai. A cet égard, nous accordons un poids considérable à l'enregistrement précédemment mentionné sur lequel on pouvait entendre une parodie de sexe téléphonique dans laquelle les deux parties se livraient à des plaisanteries libidineuses . L'enregistrement démontre hors de tout doute que l'émission à laquelle travaillait Mme Hewstan comportait un certain degré de contenu grivois . Après avoir nié qu'il en était ainsi, Mme Hewstan a reconnu, après que l'enregistrement ait été présenté en preuve, que l'idée de cette parodie était sienne (au moment où elle travaillait au studio de M. Auchinleck), que le contenu de l'enregistrement ne lui posait aucun problème et qu'elle n'avait éprouvé aucune réticence à travailler à sa réalisation. Pour ces motifs, il est difficile de croire qu'elle ait pu être offensée par le langage grivois qu'elle a décrit sauf peut-être à une occasion, soit lorsque M. Auchinleck a formulé, de son propre aveu, certains commentaires disgracieux sur des pratiques homosexuelles. Ni l'une ni l'autre des parties n'a été en mesure de préciser le contexte précis dans lequel ces remarques, qui étaient certainement grossières et offensantes, ont été proférées.

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Dans la décision Aragona c. Elegant Lamp Company Ltd. And Fillipitto (1982) 3 CHRR D/1109 à la page D/110, le professeur Ratushny a formulé les commentaires suivants :

[Traduction]

Les remarques à connotation sexuelle qui sont grossières ou de mauvais goût ne suffisent pas nécessairement à établir qu'il y a eu infraction à l'article 4 du Code pour des motifs sexuels. On ne franchit la limite entre un comportement acceptable et le harcèlement sexuel que dans la mesure où les gestes posés peuvent raisonnablement être interprétés comme créant, comme condition d'emploi, un environnement de travail qui exige une intrusion injustifiée dans la dignité sexuelle de l'employé en tant qu'homme ou femme. Il est rare qu'on soit facilement en mesure d'établir si cette limite a été franchie.

Dans la décision Piazza, précitée, il est indiqué à la page D/3198 :

[Traduction]

Dans la décision Watt, précitée, Dean McCamus a soutenu que s'il était vrai que le superviseur de l'employée d'une équipe itinérante avait tenu des propos offensants, il ne les avait pas prononcé suffisamment souvent pour créer une ambiance abusive contraire à la loi. Dean McCamus en est venu à la conclusion que pour contrevenir à l'article 4 du Code les incidents en question devaient s'être produits suffisamment souvent et avoir été suffisamment offensants pour constituer une condition de travail . [D/3198]

Or, aucun élément de preuve n'a été produit démontrant que les propos offensants de M. Auchinleck ont été prononcés plus d'une fois, soit à l'occasion dont il a déjà été question. Nous n'avons pas été convaincus que ces gestes s'inscrivent dans un contexte de harcèlement sexuel comme l'allègue la plaignante.

Ayant examiné la preuve avec soin, nous ne sommes pas convaincus suivant la prépondérance des probabilités qu'il y a eu harcèlement sexuel. Pour les raisons susmentionnées, nous jugeons que la plaignante n'est pas parvenue à établir le bien-fondé de sa plainte. Il n'est donc pas nécessaire pour nous d'établir si des frais médicaux peuvent lui être remboursés dans le cadre d'une indemnité générale. Cependant, nous n'aurions pas de toute manière accordé de dommages exemplaires compte tenu des circonstances de cette plainte, même si des dommages exemplaires étaient prévus par la loi, ce qui n'est pas le cas. Il est en effet évident à

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l'examen des lois provinciales en vertu desquelles des dommages exemplaires ont déjà été accordés que des dispositions précises à cet effet étaient incluses dans les lois en question. Or, aucune disposition de la sorte n'existe dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Finalement, nous tenons à signaler que nous n'avons accordé aucune valeur à la soi-disant preuve de moralité présentée par M. Auchinleck. Le fait que M. Auchinleck compte un certain nombre d'amis qui ne le croient pas capable de harcèlement sexuel n'est en aucun cas révélateur de quoi que ce soit. Nous ne pouvons faire autrement que de penser que la prostitution et la pornograhie sont le fait d'hommes dont les amis et la famille ne connaissent pas nécessairement cette facette de leur personnalité. Le harcèlement sexuel, comme l'a déjà signalé M. Zemans, est une activité à caractère privé . De plus, pour être recevable, une preuve de moralité doit chercher à établir la réputation générale d'un accusé ou d'un défendeur au sein d'une communauté. La plus grande partie des témoignages que nous avons entendus avaient trait à la perception de M. Auchinleck qu'avaient à titre personnel certains témoins et faisaient état d'opinions personnelles de ces témoins à savoir si M. Auchinleck était ou non un harceleur sexuel . Compte tenu de ce qui précède, et même si nous avons accepté d'entendre ces témoignages, il convient de signaler qu'ils n'ont pas été particulièrement utiles à notre affaire.

La plainte contre M. Auchinleck est rejetée.

Fait ce 31e jour de juillet 1997.

(signature) Peggy J. Blair, présidente

(signature) Nick Sibbeston, membre

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

TAYLOR HEWSTAN la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

GILBERT AUCHINLECK l'intimée


OPINION DISSIDENTE


MEMBRE DU TRIBUNAL : Magda Seydegart

1

Décision minoritaire du membre du Tribunal Magda Seydegart

Je tiens à inscrire ma dissidence quant à l'interprétation qu'il convient d'accorder à certains des faits présentés par les deux témoins intéressés. Mes remarques sont fondées sur la définition du harcèlement sexuel figurant dans le Code canadien du travail, L.R.C. 1985, chap. L-2 :

247.1 " ... harcèlement sexuel" s'entend de tout comportement, propos, geste ou contact qui, sur le plan sexuel : a) soit est de nature à offenser ou humilier un employé; b) soit peut, pour des motifs raisonnables, être interprété par celui-ci comme subordonnant son emploi ou une possibilité de formation ou d'avancement à des conditions à caractère sexuel.

J'ai été convaincue qu'il est plus probable que le contraire que M. Auchinleck ait eu un comportement à connotation sexuelle non sollicité ou importun qui a humilié Mme Hewstan et a entraîné chez elle un stress.

1. Les deux témoins ont indiqué qu'à chaque arrivée et départ de Mme Hewstan, il y avait une étreinte et un baiser jusqu'à ce que Mme Hewstan fasse savoir à M. Auchinleck qu'elle souhaitait qu'il mette fin à ces gestes de familiarité. Lorsque M. Auchinleck a compris clairement que la plaignante ne voulait plus de ses étreintes ni de ses baisers automatiques à chacun de ses départs ou de ses arrivées, il a néanmoins continué au moment de ses départs à se tenir devant la porte de son domicile où les deux intéressés travaillaient régulièrement, en lui indiquant par son langage corporel qu'il désirait obtenir l'étreinte habituelle . Même si Mme Hewstan avait dit à M. Auchinleck à une certaine occasion que s'il éprouvait vraiment le besoin d'une étreinte, il pouvait toujours lui en demander une, elle a affirmé dans son témoignage qu'elle s'était alors sentie obligée d'avoir un contact physique avec M. Auchinleck et que l'intimé ne comprenait vraisemblablement pas le message qu'elle tentait de lui communiquer, c'est-à-dire qu'elle ne désirait plus avoir aucun contact physique avec lui.

2. Il existe deux versions de l'incident dont on allègue qu'il est survenu dans la chambre. Mme Hewstan affirme bien se souvenir des détails de cet incident, mais pas de la date exacte à laquelle il est survenu. Elle était étendue sur le dos sur le lit du studio au domicile de M. Auchinleck, épuisée (par ses réveils très matinaux, ses journées exigeantes, ses heures de travail prolongées à cause des délais inutiles passés à attendre que M. Auchinleck fasse des courses ou se rende au gymnase et par les longs trajets pour se rendre au travail et en revenir). M. Auchinleck aurait alors sauté sur elle et l'aurait embrassée à cinq reprises affirmant que selon lui c'était probablement le plus près qu'il viendrait de coucher avec elle.

M. Auchinleck affirme qu'il n'y a pas eu d'incident sur le lit et que cette remarque qu'il avait formulée à savoir que c'était la situation qui ressemblerait le plus à se retrouver au lit avec elle l'avait été alors

2

qu'ils s'étaient tous les deux assis chacun à une extrémité du lit dans la chambre studio. Il ne se souvient pas non plus de la date de l'incident.

Mme Hewstan a témoigné que, en rétrospective, elle en était venue à considérer ce geste comme une agression sexuelle, mais qu'à l'époque, elle n'avait pas réellement compris ni ressenti l'importance de l'incident. Cet incident n'est pas consigné dans ses notes pas plus qu'il n'en a été question au cours de sa conversation avec M. Auchinleck lorsqu'elle lui a demandé de cesser de l'embrasser et de la prendre dans ses bras. Le fait qu'elle n'a pas mentionné cet incident à M. Auchinleck et qu'elle ne l'ait pas signalé dans sa plainte officielle à la Commission canadienne des droits de la personne ni dans ses notes ne prouve pas, à mon avis, qu'elle a inventé cet incident.

Il est évident qu'il n'existe aucune manière de corroborer le témoignage de l'un et de l'autre témoin, mais suivant la prépondérance des probabilités, je suis encline à considérer que le témoignage de Mme Hewstan est plus convaincant.

3. Après que Mme Hewstan ait fait connaître ses préoccupations à la direction de la station de radio et que M. Auchinleck en ait été mis au courant, d'abord par Mme Hewstan elle-même puis de manière officieuse par le directeur, M. Gallagher, la relation entre M. Auchinleck et Mme Hewstan a connu un froid. Au cours des semaines subséquentes, l'émission du matin a été ramenée à sa plus simple expression puis est ensuite devenue une émission de ligne ouverte. La tension entre les deux co-animateurs, comme ils en ont eux-mêmes témoigné, persistait et était très désagréable pour les deux, bien que pour des raisons différentes. Mme Hewstan affirme que M. Auchinleck empoisonnait l'ambiance par ses commentaires acérés, un langage corporel agressif et par le recours à des menaces ou à un langage sexuellement explicite. M. Auchinleck affirme que Mme Hewstan refusait de travailler dans le studio de mise en ondes sauf lorsque c'était absolument nécessaire, lisait des livres et refusait toute conversation anodine et qu'elle faisait preuve en général d'un manque flagrant de collaboration.

4. J'interprète aussi différemment de mes collègues du Tribunal la découverte par Mme Hewstan que Mme Larose avait déposé une plainte de harcèlement sexuel contre M. Auchinleck. Même si Mme Hewstan ne s'était pas plainte à la direction de la nature de ses relations avec M. Auchinleck avant d'avoir entendu parler de la plainte de Mme Larose, il est vraisemblable de penser que cette nouvelle a contribué à lui faire progressivement comprendre que les attentions qu'elle recevait de M. Auchinleck étaient importunes et désagréables. Il est tout à fait concevable que Mme Hewstan ait pris progressivement conscience de sa situation et que ce faisant, elle ait trouvé en elle la confiance requise pour réagir à cette situation. Bien qu'il ne s'agisse peut-être pas du geste idéal à poser dans de telles circonstances, le fait qu'elle ait discuté de la question avec un certain nombre de ses collègues ne diminue en rien le fait qu'elle s'est sentie contrariée.

5. En ce qui concerne l'incident précis au cours duquel M. Auchinleck aurait tenu des propos dénigrant les homosexuels, l'intimé a invoqué en

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défense que ses propos étaient acceptables puisqu'il les avait lui-même entendu de la bouche d'amis gais. Les propos tenus par M. Auchinleck sont choquants peu importe qui les dit. Toutefois, il est clair que sortis de leur contexte et prononcés par quelqu'un n'appartenant pas à la communauté homosexuelle, ils ont un effet différent et des connotations beaucoup plus négatives que lorsqu'ils sont prononcés par des membres de cette communauté.

L'intimé et la plaignante ne s'entendent pas sur le moment où cet incident est survenu. Toutefois, suivant la prépondérance des probabilités, je suis convaincue sur la foi des témoignages entendus qu'il est survenu après que Mme Hewstan ait déposé sa plainte auprès de la direction.

6. L'enregistrement de la parodie sexuelle que le procureur de l'intimée a fait entendre à l'audience ne me convainc pas que Mme Hewstan utilisait de manière normale et habituelle un langage sexuellement explicite comme, selon M. Auchinleck, de nombreuses autres personnes de l'industrie de la radio et lui-même le font. Si certains auditeurs peuvent juger que la parodie est de mauvais goût et même si les deux parties ont convenu que Mme Hewstan était l'auteur du concept de cette parodie, force est de reconnaître que celle-ci ne dénigre pas de manière précise un groupe de personnes (il ne s'agit pas d'humour ou de propos discriminatoires à l'endroit d'un groupe) comme les homosexuels ou les femmes et, par conséquent, il ne s'agit pas d'un exemple démontrant que Mme Hewstan a participé de manière active à l'utilisation d'un langage abusif. Si on pouvait en venir à cette conclusion, cela minimiserait en effet l'impact que les propos de M. Auchinleck ont pu avoir à cet égard. Je suis d'avis que le recours occasionnel à un langage sexuellement explicite par une personne qui allègue avoir été victime de harcèlement sexuel n'entraîne pas nécessairement que cette personne ne peut être victime d'un comportement à connotation sexuelle importun.

Même si Mme Hewstan a nié dans son témoignage avoir jamais utilisé un langage sexuellement explicite, ce que la présentation de l'enregistrement devait réfuter, je ne crois pas que cet enregistrement a prouvé que Mme Hewstan utilisait des propos discriminatoires ou menaçants à l'endroit de tierces personnes.

7. La période au cours de laquelle les gestes de harcèlement sexuel allégués ont eu lieu est survenue il y a quatre ans. Compte tenu des retards et des délais avant que le Tribunal ne soit saisi de cette affaire, les deux parties avaient de toute évidence pu corriger leur version des incidents à de nombreuses reprises. Il y avait donc un manque de spontanéité et un certain degré de préparation dans les témoignages. Compte tenu qu'aussi bien M. Auchinleck que Mme Hewstan sont des comédiens doués, cet aspect des choses a été pris en considération dans mes conclusions.

Conclusion

Je suis d'avis qu'il y a eu des contacts physiques et des propos importuns et l'exercice d'une certaine autorité par M. Auchinleck à l'endroit de Mme Hewstan. J'en veux pour preuve les éléments suivants :

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  1. le témoignage de Mme Hewstan sur l'incident survenu dans la chambre que, suivant la prépondérance des probabilités, j'estime plus convaincant que le témoignage de M. Auchinleck concernant le même incident;
  2. le témoignage de la plaignante sur sa prise de conscience progressive de la nature déplacée des attentions que lui portait M. Auchinleck qui l'a amenée à commencer à tenir un journal, à demander à M. Auchinleck de mettre fin à ses étreintes et à ses baisers non sollicités, à demander conseil et à se plaindre à la direction de la station de radio;
  3. l'utilisation d'un langage offensant ou sexuellement explicite à l'intérieur du studio de mise en ondes après que la relation soit devenue tendue entre les deux co-animateurs à la suite du dépôt d'une plainte à la direction par Mme Hewstan et du changement de la formule de l'émission.

Suivant la prépondérance des probabilités, j'en viens à la conclusion que le témoignage de Mme Hewstan était crédible et qu'il y a donc eu harcèlement sexuel. Toutefois, les pressions découlant du déménagement de Mme Hewstan dans un nouvel appartement et les difficultés matrimoniales qu'elle éprouvait alors permettent de penser que le stress qu'elle a subi à l'époque n'était pas uniquement attribuable à sa relation tendue avec M. Auchinleck.

Par conséquent, en vertu de l'alinéa 53(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, j'accorderais à Mme Hewstan une indemnité de 500 $ pour préjudice moral. Aucun montant ne lui serait par contre accordé au titre de ses frais médicaux ou thérapeutiques.

- - - - - - - -

Même si je reconnais que l'employeur CFUN n'est pas une partie à ces procédures et que la station de radio n'a donc pas pu faire connaître son point de vue sur les faits en cause, je ne peux que constater que la preuve entendue soulève certaines préoccupations quant à l'obligation de l'employeur de fournir à ses employés un environnement de travail exempt de tout harcèlement. J'ai donc décidé de formuler quelques commentaires sur ces préoccupations tout en soulignant que ces dernières n'ont aucunement influé sur mes conclusions concernant la plainte de harcèlement sexuel comme telle.

La condition du contrat de travail de Mme Hewstan qui exigeait qu'elle travaille soit à la station de radio soit au studio que M. Auchinleck possédait à son domicile comportait implicitement une possibilité que l'une ou l'autre des parties se compromette tel que cela est énoncé dans l'opinion majoritaire.

Bien qu'il incombe de manière globale à l'employeur, soit la station de radio, d'assurer la sécurité de ses employés, dans cette affaire, la condition susmentionnée avait dû être incluse au contrat à la demande de M. Auchinleck qui désirait travailler depuis son domicile afin de maintenir son statut de conseiller autonome à des fins fiscales.

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On peut donc présumer que l'offre d'emploi faite à Mme Hewstan en tant que co-animatrice était conditionnelle à l'acceptation du contrat tel que formulé. Compte tenu de son vif intérêt pour cet emploi, il était improbable que la plaignante risque de le perdre en remettant en question la condition en cause. De plus, elle travaillait avec M. Auchinleck à son domicile depuis quelques semaines, dans un contexte que l'on pourrait qualifier de secret, préparant des gags tandis que Mme Larose travaillait encore à la station et n'était pas au courant de son propre congédiement imminent.

Même s'il est vrai que d'autres femmes qui ont témoigné à l'audience ont relaté qu'elles avaient travaillé au studio que M. Auchinleck possédait à son domicile sans qu'il n'y ait d'incident, elles y travaillaient soit de leur propre gré ou étaient, en fait, des initiatrices de cette collaboration comme cela est indiqué dans la décision majoritaire. La situation de Mme Hewstan est considérablement différente de celle des autres personnes. Mme Hewstan n'était pas en mesure de dicter ses conditions d'emploi. A ce moment, elle n'avait aucun motif de soupçonner que le lieu de travail qui lui était proposé pouvait ne pas convenir. En fait, comme cela est énoncé dans la décision majoritaire, si Mme Hewstan avait su, au moment de son embauche, qu'une plainte de harcèlement sexuel avait déjà été formulée contre M. Auchinleck par Mme Larose, il est improbable qu'elle aurait accepté de si bon gré une telle condition d'emploi.

En cette époque où la question du harcèlement sexuel fait l'objet de reportages incessants dans les médias et particulièrement compte tenu du fait que des allégations de harcèlement sexuel avaient déjà été formulées à l'encontre de M. Auchinleck par Mme Larose, la station de radio aurait dû faire preuve d'une plus grande prudence en incluant une telle condition de travail au contrat de Mme Hewstan. En élargissant le lieu de travail au domicile de M. Auchinleck, il appartenait à l'employeur et à ses employés et experts-conseils de prendre les mesures nécessaires pour offrir un environnement de travail sûr à son employée. Ainsi, on pourrait en venir à la conclusion que M. Auchinleck partageait dans une certaine mesure la responsabilité d'assurer un environnement de travail sûr à Mme Hewstan.

Sur la question de l'ambiance générale sur les lieux de travail, s'il est vrai qu'un langage cru et des insinuations de nature sexuelle faisaient et continuent de faire partie de la culture radiophonique , je suis d'avis qu'un tel langage n'est plus pardonné ou négligemment oublié aussi facilement dans d'autres milieux et que tel ne devrait pas non plus être le cas dans les stations de radio. Comme Aggarwal l'a déjà dit :

[Traduction]

Si l'on désire favoriser l'intégration des femmes à la main-d'oeuvre, alors les vieilles normes qui s'appliquaient dans les milieux de travail à prédominance masculine doivent être abandonnées pour faire place aux nouvelles valeurs en émergence d'équité et de respect des femmes. 1 Si certaines personnes sont en mesure d'oublier ou de tolérer le recours

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répété à un langage cru ou grossier, je tiens pour ma part à préciser que l'utilisation d'un tel langage est gratuit, inutile à la diffusion du produit et est susceptible de créer un inconfort et des tensions dans un environnement de travail déjà lourd. La lourdeur du climat de travail dans le secteur de la radiodiffusion a été d'ailleurs été décrite aussi bien par la plaignante que par l'intimée dans cette affaire.

Le 1er août 1997

(signature) Magda J. Seydegart Membre du Tribunal

Aggarwal, Arjun P. Sexual Harassment in the Workplace, 2e édition, Butterworths, Toronto, 1992, page 95.

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