Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 5/97 Décision rendue le 4 juin 1997.

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. (1985), chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

MONICA KOEPPEL la plaignante

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

et

MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

DEVANT : RONALD W. McINNES Président PAUL GROARKE Membre GEORGE IMAI Membre

ONT COMPARU : M. E. TAYLOR Procureur de la Commission Mme P. LAWRENCE Procureure de la Commission

Mme D. BROWNRIDGE Procureure de la plaignante

MAJOR R. SMITH Procureur de l'intimé M. S. RESTALL Procureur de l'intimé

DATES ET LIEUX Les 27, 28, 29, 30 et 31 mai et DE L'AUDIENCE : les 3, 4, 5, 6 et 7 juin 1996 à Winnipeg (Manitoba) et les 16, 17, 18 et 19 juillet 1996 à Toronto (Ontario) TRADUCTION

TABLE DES MATIERES

LA PLAINTE

POSITIONS DES PARTIES

PREUVE

Antécédents professionnels

Antécédents professionnels au MDN

a) Chaîne de commandement

b) Description de tâches

c) Entrevue initiale et rencontre

d) Période d'essai

e) Mutations

f) Retour au DCD de la Base

g) Congé

h) Événements subséquents

Dépôt central des dossiers, salle des rapports de la Base

Preuve médicale et psychologique

Preuve audiologique

ANALYSE

Norme et fardeau de la preuve

Discrimination

Nature de la discrimination

Application du droit aux faits

Rôle de la discrimination

Nature et portée de la déficience

MOYENS DE DÉFENSE

Accommodement

Exigences professionnelles justifiées

RÉPARATION

Indemnité pour salaire perdu

Indemnisation pour congé de maladie

Congé pour assister à l'audience

Honoraires du psychologue

Intérêt sur les prêts contractés auprès de son père

Dépenses liées à l'éducation de la plaignante

Frais et dépens

Dommages-intérêts généraux

Intérêts

LA PLAINTE

Dans une plainte datée du 7 juin 1993, Monica Koeppel allègue que l'intimé, soit le ministère de la Défense nationale (le MDN ), a commis à son endroit entre le 12 août 1991, ou aux environs de cette date, et la date de la plainte, à la Base des Forces canadiennes Winnipeg, des actes discriminatoires en cours d'emploi fondés sur une déficience (auditive).

Afin d'expliquer la pertinence de certains éléments de preuve produits, il est utile de citer les détails de la plainte :

[TRADUCTION]

Le ministère de la Défense nationale s'est rendu coupable à mon endroit d'actes discriminatoires fondés sur une déficience dont je souffre, en infraction à l'article 7 de la Loi canadienne sur les

droits de la personne. Je souffre d'une perte d'audition dans les deux oreilles dont la gravité est telle que j'éprouve de la difficulté à communiquer efficacement par téléphone même en utilisant une prothèse auditive ou un amplificateur spécialement adapté au combiné téléphonique. Le 2 juillet 1991, après douze années de service au sein de la fonction publique, j'ai obtenu une mutation au dépôt central des dossiers de la Base des Forces canadiennes de Winnipeg en qualité de commis. Même si mes fonctions consistaient principalement à trier et à classer du courrier, il faisait aussi partie de mes attributions, de même qu'à celles de mes deux collègues, de répondre au téléphone. Ma superviseure originale m'avait dit de ne pas m'en faire au sujet du téléphone et m'avait permis de me concentrer sur mes autres fonctions. Toutefois, la personne qui l'a remplacée le 12 août 1991 a affiché une attitude négative face à ma déficience. Elle refusait de m'expliquer les tâches à effectuer, ne me parlait pas clairement et insistait pour que je réponde au téléphone même si cette tâche provoque chez moi du stress et des migraines, d'où un absentéisme considérable par la suite. Le 22 novembre 1991, j'ai remis à mon employeur un rapport émis par un audiologiste, dans lequel il est clairement indiqué qu'on ne devait pas s'attendre à ce que je réponde au téléphone. Ce même jour, on m'a signifié que j'avais échoué ma période d'essai et j'ai été affectée à une série d'autres tâches. Le 17 juillet 1992, j'ai été affectée de nouveau au poste auquel j'avais d'abord été mutée le 2 juillet 1991. J'ai continué à éprouver des problèmes de santé causés par le stress d'avoir à répondre au téléphone et j'ai donc été forcée à prendre un congé non payé à compter du 1er mars 1993. J'estime que mes supérieurs hiérarchiques auraient pu facilement adapter ma tâche à ma déficience en demandant à mes collègues de répondre à tous les appels téléphoniques.

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POSITION DES PARTIES

Le procureur de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission ) et la procureure de la plaignante ont adopté la position qu'il s'agissait d'un cas flagrant de discrimination indirecte ou discrimination par suite d'un effet préjudiciable puisque l'intimé n'avait pas déployé suffisamment d'efforts pour accommoder la plaignante, compte tenu de sa déficience.

L'argument principal invoqué par les procureurs de l'intimé est qu'il n'y a pas eu de discrimination et que l'ensemble de la situation découle simplement d'un problème de relations industrielles lié à la mauvaise attitude et à l'absentéisme de la plaignante dans une multitude de situations. Subsidiairement, les procureurs ont avancé que s'il y avait eu acte discriminatoire à l'endroit de la plaignante pendant qu'elle travaillait au dépôt central des dossiers ( DCD ) de la salle des rapports de la Base ( SRB ) du MDN, cette discrimination était nécessairement directe et ne constituait donc pas un acte discriminatoire puisqu'elle découlait d'une exigence professionnelle justifiée au sens prévu à l'article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ( LCDP ). Subsidiairement, les procureurs de l'intimé font valoir que s'il y a eu discrimination indirecte, le MDN a bel et bien tenté d'accommoder la plaignante jusqu'au point de contrainte excessive.

PREUVE

La plainte est liée à l'emploi occupé par Mme Koeppel au MDN entre juillet 1991 et mars 1993, et plus particulièrement à la période écoulée de juillet 1992 à février 1993. Toutefois, compte tenu des positions respectives des parties, il est nécessaire de passer en revue, jusqu'à un certain point, la totalité des antécédents professionnels de Mme Koeppel au sein de la fonction publique.

Antécédents professionnels

Mme Koeppel a amorcé sa carrière dans la fonction publique en 1981 au sein de Santé et Bien-être social Canada, comme on appelait alors le ministère de la Santé. Elle avait été embauchée à un poste de stagiaire aux services de soutien pendant une période de huit mois en qualité d'employée appartenant au groupe et au niveau de classification CR-02. Ce groupe est constitué d'employés de bureau et de réglementation. Mme Koeppel s'est maintenue au niveau CR-02 pendant toute sa carrière.

Mme Koeppel est devenue une employée nommée pour une période indéterminée , soit une employée permanente à temps plein de la fonction publique, lorsqu'elle a été nommée au poste de commis généraliste (archives centrales) à la Direction générale de la sécurité du revenu en juillet 1981. Compte tenu de ce qui a été décrit dans le documents pertinents comme une défaillance

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récente au poste de supervision , le rendement de Mme Koeppel n'a pas été évalué pendant la plus grande partie de la période au cours de laquelle est a occupé ce poste.

Entre octobre 1983 et juin 1984, Mme Koeppel a été en affectation spéciale en qualité de commis aux achats au sein de la Direction générale des services médicaux. L'évaluation de son rendement au cours de cette période était de manière générale très positive, même si on soulignait qu'elle éprouvait certains problèmes de communication verbale et qu'elle continuait d'éprouver des ennuis de santé exigeant qu'elle prenne continuellement des congés de maladie.

En juillet 1984, Mme Koeppel a été mutée à la Direction générale des programmes de la sécurité du revenu en qualité de commis aux travaux divers à la formation. De juillet 1984 à avril 1985, le rendement de Mme Koeppel a été jugé insatisfaisant . Sa superviseure a notamment observé que Mme Koeppel éprouvait des difficultés à travailler sous pression et qu'elle devenait facilement irritable surtout lorsque sa charge de travail s'alourdissait. Il était également noté dans l'évaluation que Mme Koeppel éprouvait des ennuis de santé qui l'obligeaient à s'absenter fréquemment, d'où l'accumulation de retard dans l'accomplissement de son travail.

Mme Koeppel a expliqué qu'elle s'efforçait de faire de son mieux à ce poste, mais qu'elle avait découvert que la poussière accumulée dans les dossiers aggravait ses problèmes d'asthme. Elle a mentionné dans son témoignage que cette maladie expliquait à la fois son irritabilité et ses absences répétées au cours de cette période.

Au cours d'une discussion avec sa procureure, l'échange suivant a eu lieu :

Q. Je constate la présence de commentaires à la case 4. Ces observations portent sur votre absentéisme. On peut y lire que vous avez manqué dix jours dans les trois derniers mois. Pourquoi vous êtes-vous absentée du travail pendant dix jours ?

R. Parce que je souffrais d'asthme et de stress liés, vous savez, de problème liés au stress. De plus j'éprouvais des difficultés à communiquer à ce poste, d'entretenir des contacts avec les gens. Et aussi parce que la demande était forte.

Q Vous éprouviez des difficultés à communiquer avec qui ?

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R Avec certaines personnes qui ne savaient pas comment me parler. Elles me remettaient une feuille de papier en me demandant de sortir les dossiers immédiatement. Je trouve cela particulièrement stressant, vous savez.

...

Q. Et à la case 2, à la page 286, on mentionne que vous êtes irritable. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

R C'est que... j'aurais aimé pouvoir faire mieux. J'étais très irritable à cause de mes problèmes de santé. J'aurais tellement préféré ne pas avoir ces problèmes de santé. Je n'étais pas heureuse de vivre cela. Je trouvais très frustrantes la situation dans laquelle ces ennuis me plaçaient à mon travail et les exigences très élevées qu'ils m'imposaient.

En juin 1985, on a demandé à Mme Koeppel de se rendre consulter le Dr Terry Jolly afin qu'il procède à une évaluation médicale de son aptitude au travail compte tenu du nombre élevé de congés de maladie qu'elle avait pris. Le but de ces évaluations, également appelées évaluations d'aptitude au travail , consiste à établir si une employée est médicalement capable de s'acquitter des fonctions inhérentes à son poste d'une manière satisfaisante. Ces évaluations sont effectuées par Santé et Bien-être social Canada lorsque la direction du Ministère a des raisons de penser que la détérioration du rendement au travail d'un employé est liée à des problèmes médicaux. Si le spécialiste en médecine du travail en vient à la conclusion qu'on ne peut raisonnablement s'attendre à une amélioration de la situation, l'employeur dispose d'un motif admissible de renvoi de l'employé de la fonction publique. Le Dr Jolly a mentionné dans son témoignage que cette technique est souvent utilisée par les gestionnaires qui désirent se débarrasser d'un employé dont le rendement est insatisfaisant. En d'autres termes, on confie le sale boulot au médecin-examinateur. Toutefois, dans ce cas particulier, le Dr Jolly a rédigé ce qui suit dans son rapport:

[TRADUCTION]

Outre sa déficience auditive, Mme Koeppel souffre d'un malaise récurrent et continu qui est la principale cause de ses absences fréquentes. Ce malaise est accentué par l'environnement poussiéreux auquel la patiente est exposée en sa qualité de commis aux dossiers. Ainsi, pour sa propre santé, il serait souhaitable qu'elle travaille ailleurs que dans cet environnement particulier. Son incapacité à faire face à la pression est une conséquence

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naturelle de sa déficience auditive qui a entraîné sans doute des séquelles psychologiques. Elle est toutefois une personne brillante et plutôt que de lui imposer de la pression, je crois qu'il serait plus avisé de lui présenter des défis. Elle s'est antérieurement acquittée de manière satisfaisante de son travail d'opératrice de traitement de texte, de commis à la gestion du matériel et de commis aux archives centrales et il est recommandé qu'on lui trouve un nouveau poste dans l'un ou l'autre de ces domaines au sein de SBSC.

Dans son témoignage, Mme Koeppel a également affirmé que si elle s'était absentée si souvent du travail pendant cette période, c'était à cause du stress aussi bien que de son asthme. Elle a établi un rapport entre son stress et la difficulté qu'elle éprouvait à communiquer avec les gens et la lourdeur de sa charge de travail. Dans l'exercice des fonctions de ce poste, elle n'était pas tenue de répondre au téléphone.

A la suite du dépôt du rapport du Dr Jolly, les fonctions de Mme Koeppel ont été modifiées afin de minimiser sa présence dans un milieu poussiéreux. Dans son évaluation pour la période d'avril à octobre 1985, son rendement a été qualifié de satisfaisant . Pour la période d'octobre 1985 à octobre 1986, elle a reçu la cote entièrement satisfaisant , même s'il était mentionné que la lourdeur de la charge de travail pendant les périodes de pointe avait des répercussions négatives sur son état de santé. Dans le cadre de l'évaluation annuelle de rendement pour la période de septembre 1986 à octobre 1987, Mme Koeppel a obtenu la cote satisfaisant . On faisait l'éloge de son rendement et de ses capacités, mais on constatait que ses absences fréquentes influaient négativement sur l'ensemble de son rendement au travail puisqu'elle accumulait constamment des retards importants. Son rendement a également été coté satisfaisant au cours de l'évaluation de rendement visant la période d'octobre 1987 à septembre 1988. Il était mentionné dans cet examen que la charge de travail accrue pendant les périodes de pointe influait négativement sur le rendement global de Mme Koeppel. Elle éprouvait des difficultés à faire face à la pression et au stress qui en découlaient. De plus, lorsqu'elle était confrontée à des retards accumulés dans son travail, ses relations avec ses collègues de travail devenaient plus difficiles.

A partir du mois de juillet 1988, Mme Koeppel a occupé les fonctions de commis aux archives centrales. Voilà qui explique peut-être que son rendement ait fait l'objet d'une deuxième évaluation, signée par un superviseur différent, visant la période d'avril à juin 1988. Dans cette évaluation, on accordait à Mme Koeppel la cote entièrement satisfaisant et les commentaires étaient brefs, mais positifs. Ce document a été

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signé plusieurs mois avant l'évaluation annuelle mentionnée précédemment.

En septembre 1988, Mme Koeppel a été mutée au poste de commis généraliste à la Direction générale des programmes de sécurité du revenu de Santé et Bien-être social Canada. Pour la période écoulée entre septembre 1988 et mars 1989, soit sa période d'essai, Mme Koeppel a reçu la cote satisfaisant . Toutefois, sa superviseure avait formulé le commentaire suivant :

[TRADUCTION]

Mme Koeppel doit faire preuve de plus de tact et de courtoisie. Ses réactions aux commentaires émis ou aux critiques formulées à l'endroit de son travail laissent à désirer. Il semble que des discussions répétées à ce sujet ont eu pour seul effet d'amener une détérioration de la collaboration dont elle a fait preuve à mon endroit et à celui de ses collègues.

La superviseure recommandait que la plaignante suive des cours d'aptitude aux relations interpersonnelles et des cours de protocole téléphonique.

Dans son évaluation annuelle pour la période d'octobre 1988 à septembre 1989, Mme Koeppel a obtenu la cote satisfaisant de la part d'une superviseure différente. Cette superviseure faisait observer que les charges de travail accrues en période de pointe, les échéances serrées et les pénuries de personnel ont tendance à susciter de la mauvaise humeur et une attitude négative chez la plaignante et elle recommandait que cette dernière suive des cours de motivation personnelle et de relations interpersonnelles. Dans l'espace qui lui était réservé, Mme Koeppel a répliqué qu'elle avait l'impression d'être sous- estimée et que tous les aspects de son travail susceptibles de la stimuler avaient été supprimés.

Dans l'évaluation de rendement annuelle de Mme Koeppel pour la période d'octobre 1989 à septembre 1990, on lui accordait la cote satisfaisant sans formuler aucun commentaire négatif ni recommandation. Aucune évaluation de son rendement n'a été produite pour la période de 1990-1991.

Antécédents professionnels au MDN

Dans son témoignage, Mme Koeppel a indiqué qu'en mars 1992, elle avait entendu des rumeurs selon lesquelles Santé et Bien-être social Canada était sur le point de procéder à des compressions d'effectif à Winnipeg et que les CR-02 seraient tous licenciés. Afin d'accroître sa sécurité d'emploi, elle a donc postulé un poste au MDN. Sa demande d'emploi était datée du mois de mars 1991 et dans cette demande elle s'identifiait formellement comme une personne handicapée physiquement et avait coché la case

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« problème d'audition . Elle a également rédigé sur la demande la mention suivante : Je porte une prothèse auditive.»

Dans une lettre datée du 24 juin 1991, on offrait à Mme Koeppel une mutation latérale à un poste de durée indéterminée au MDN en qualité de commis au dépôt central des dossiers. Son entrée en fonction devait avoir lieu le 2 juillet 1991 au niveau CR-02. La lettre précisait que Mme Koeppel serait assujettie à une période d'essai de six mois conformément aux dispositions de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Mme Koeppel a accepté cette offre le 28 juin 1991.

a) Chaîne de commandement

A ce moment, Mme Rylla O'Connell, une CR-04, était superviseure au dépôt central des dossiers. Travaillaient également dans ce bureau, Judy Thorne, une CR-03, et deux employés militaires. La chaîne de commandement du dépôt central des dossiers ( DCD ) à ce moment était la suivante : Mme O'Connell relevait de l'adjudant ( ADJ ) Iris Karpenic; l'adjudant Karpenic relevait du premier maître ( PM ) Peter Barefoot, le commis surveillant de la Base; le PM Barefoot relevait lui-même du capitaine Brian Quick, Officier adjoint d'administration du personnel. Le capitaine Quick était l'officier responsable de la salle des rapports de la Base où se trouve le dépôt central des dossiers.

b) Description de tâches

La Fiche d'analyse de poste ou description de tâches du commis au dépôt central des dossiers a été déposée en preuve. Ce document résume les fonctions inhérentes au poste de la manière suivante :

[TRADUCTION]

Sous la supervision générale du superviseur du dépôt central des dossiers de la Base, tient à jour et assure le contrôle d'un système de rappel, ouvre les nouveaux dossiers et crée des bordereaux temporaires au besoin, trie le courrier et participe à la répartition et à la distribution de tout le courrier d'origine, assume la responsabilité de la sortie des dossiers, aide le commis au classement à s'acquitter de ses fonctions, accomplit les fonctions du CR 3 en l'absence du titulaire de ce poste et participe à la prestation des services de messagerie dans les bureaux du quartier général de la Base.

Selon la description de tâches, le ou la titulaire consacre 25 % de son temps à la manutention et à la tenue à jour des dossiers, 25% au tri du courrier quotidien, 15% aux services de messagerie à l'intérieur du quartier général de la Base, 10% à la tenue à jour d'un fichier rotatif et 15% à d'autres tâches connexes. Parmi les sept tâches abordées à la rubrique autres tâches

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connexes , figure la tâche suivante : en répondant, au téléphone et au comptoir, aux personnes qui présentent des demandes de dossier et des demandes de renseignements courantes .

Il ne semble pas que cette description reflète fidèlement les fonctions inhérentes au poste. Dans son témoignage, Mme Polly Moore (qui est ensuite devenue superviseure), a mentionné que la Fiche d'analyse de poste représentait un sommaire des fonctions du poste de CR-02, mais que Mme Koeppel n'était pas tenue d'accomplir toutes ces tâches. Le témoin a notamment mentionné : Eh bien, compte tenu du temps dont elle disposait pour effectuer son travail, ses principales tâches consistaient à s'occuper du courrier et des messages; de classer les dossiers en fonction de la date, de l'heure et du groupe, et de répondre aux demandes de renseignements téléphoniques et aux demandes de renseignements des clients se présentant au comptoir .

c) Entrevue initiale et rencontre

Mme Koeppel ne s'est pas tout de suite souvenu si elle avait été convoquée ou non à une entrevue avant de recevoir la lettre lui offrant le poste de commis au dépôt central des dossiers. Elle a mentionné avoir rencontré très brièvement quelqu'un pendant 20 à 30 minutes, probablement dans la dernière semaine de juin. En contre-interrogatoire, on a démontré à Mme Koeppel qu'elle avait été reçue en entrevue par l'adjudant Shantz (prédécesseur de l'adjudant Karpenic) et le PM Barefoot le 20 juin 1991. Elle a répondu se souvenir de l'entrevue, bien que plutôt mal. Mme Koeppel croyait que cette première rencontre était survenue le 2 juillet 1991, soit le jour même où elle était entrée en fonction au MDN. Elle se souvient que le PM Barefoot et Mme O'Connell étaient alors présents, mais ne se souvient pas qu'il y ait eu une troisième personne. En ce qui concerne la discussion qui a alors eu lieu au sujet de sa déficience auditive, elle a déclaré ce qui suit pendant son témoignage :

Ils m'ont alors demandé : pouvez-vous répondre au téléphone ? C'est une question très très difficile, que je leur ai dit, lorsqu'ils m'ont demandé si je pouvais répondre au téléphone. J'ai dit que je ne pouvais rien promettre, que je ne pouvais garantir que mon rendement serait satisfaisant à 100% au téléphone compte tenu de mon problème d'audition.

Dans son témoignage, Mme O'Connell a mentionné qu'elle n'avait rien eu à voir avec l'embauche de Mme Koeppel parce qu'elle était en congé à ce moment. Mme Thorne, pour sa part, a témoigné avoir rencontré Mme Koeppel pour la première fois au cours de son entrevue en vue d'obtenir le poste de CR-02. Son souvenir était très vague quant à la date et au lieu de cette entrevue, mais elle se souvenait que le PM Barefoot y assistait. Son seul souvenir précis était que le PM Barefoot avait demandé à

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Mme Koeppel si le fait de répondre au téléphone lui posait des difficultés. Elle ne pouvait se souvenir de la réponse exacte de Mme Koeppel, mais a témoigné que dans cette réponse, Mme Koeppel avait laissé entendre qu'elle n'éprouverait pas d'ennui à répondre au téléphone.

Dans son témoignage, le PM Barefoot a indiqué que son souvenir le plus ancien d'une rencontre avec Mme Koeppel remontait à l'été 1991, à l'occasion de l'entrevue organisée pour l'obtention du poste de CR-02. Mme Koeppel était interrogée par lui-même, par l'adjudant Shantz et par quelqu'un du personnel du dépôt central des dossiers. Il a affirmé en témoignage avoir demandé à la plaignante, au cours de cette rencontre, si sa déficience auditive était susceptible de lui causer des ennuis dans l'accomplissement de ses fonctions au dépôt central des dossiers, y compris les tâches consistant à répondre aux demandes de renseignements au comptoir et au téléphone. Il ne se souvenait plus avec certitude si Mme Koeppel était présente lorsqu'il a posé cette question, mais il se souvient que quelqu'un l'a assuré que cette déficience auditive ne lui causerait pas de problème dans son travail. Il se souvient également que Mme Thorne était présente à une occasion lorsque cette question a été abordée et aussi qu'il avait été assuré par Mme O'Connell et par Mme Thorne à un certain point, que la déficience auditive de Mme Koeppel ne constituerait pas un problème.

Malgré le caractère confus des souvenirs des témoins, on peut de manière raisonnable déduire des témoignages entendus que Mme Koeppel a bien été reçue en entrevue avant qu'on lui offre le poste de commis au dépôt central des dossiers. Cette entrevue est probablement survenue dans le bureau du PM Barefoot, et l'adjudant Shantz et ainsi que Mme Thorne y étaient probablement présentes de même que Mme Koeppel. Puisque aucune autre rencontre n'a été mentionnée avant la date à laquelle Mme Koeppel est entrée en fonction, ce doit être à l'occasion de cette rencontre qu'elle a mentionné ne pouvoir garantir un rendement satisfaisant à 100% dans l'accomplissement des tâches liées à l'utilisation du téléphone. Bien que ni le PM Barefoot, ni Mme Thorne, ne se souviennent que Mme Koeppel ait prononcé ces mots, ils sont tous deux sortis de l'entrevue sous l'impression que la plaignante pouvait s'acquitter des fonctions de sa tâche consistant à répondre au téléphone.

Mme Koeppel a mentionné à plusieurs reprises dans son témoignage qu'elle avait informé le MDN qu'elle ne pouvait pas garantir qu'elle offrirait un rendement satisfaisant à 100% dans l'accomplissement des tâches consistant à répondre au téléphone. Même si elle semblait plutôt certaine d'avoir utilisé précisément ces mots, il faut convenir que ceux-ci sont un peu trompeurs puisque Mme Koeppel a également affirmé auparavant en témoignage qu'elle avait éprouvé beaucoup de difficultés dans un poste occupé en 1988 au sein de Santé et Bien-être social Canada

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lorsqu'on avait exigé d'elle qu'elle réponde au téléphone. Elle avait réagi à ce problème en se plaignant à son délégué syndical. Apparemment, un grief avait été déposé, la superviseure de Mme Koeppel avait été remplacée et on avait cessé à partir de ce moment d'exiger qu'elle réponde au téléphone dans l'exercice de ses fonctions.

Dans son témoignage, Mme Koeppel a indiqué qu'à la rencontre du 2 juillet 1991 ou peu après, Mme O'Connell l'avait dispensée de toutes les tâches liées à l'utilisation du téléphone. En contre- interrogatoire, elle a reconnu que Mme O'Connell ne l'avait pas explicitement dispensé de répondre au téléphone, mais qu'elle avait eu l'impression qu'implicitement, la superviseure l'avait dispensé. La plaignante ne se souvient pas qu'on ait exigé qu'elle réponde au téléphone au cours des quelques premières semaines qui ont suivi son entrée en fonction. Dans son témoignage, Mme O'Connell a affirmé ne pas avoir dispensé Mme Koeppel de répondre au téléphone. Elle a témoigné avoir rencontré pour la première fois Mme Koeppel le 2 juillet 1991, date à laquelle elle a passé en revue avec la plaignante ses fonctions de CR-02 au dépôt central des dossiers de la Base. Elle a également nié que Mme Koeppel lui ait jamais dit qu'elle ne pouvait pas garantir à 100% sa capacité de répondre au téléphone. Elle ne se souvient pas avoir eu quelque conversation que ce soit avec la plaignante sur la partie de sa tâche consistant à répondre au téléphone.

Quoi qu'il en soit, Mme Koeppel a commencé à travailler pour le MDN au dépôt central des dossiers de la Base le 2 juillet 1991. Sa superviseure immédiate était Mme O'Connell jusqu'à ce que cette dernière soit mutée vers la mi-août. A ce moment, Mme Thorne a pris en charge les fonctions de superviseure. A ce moment, quatre personnes travaillaient au dépôt central des dossiers : Mme Thorne, Mme Koeppel et deux membres des Forces armées, dont l'un a été identifié comme étant le caporal Hiscox.

Au cours d'une partie de cette période, une autre personne prénommée Judy a aussi été temporairement affectée au dépôt central des dossiers afin d'aider à l'accomplissement de la charge de travail.

d) Période d'essai

Malgré une certaine confusion parmi les témoins, la preuve indique clairement que Mme Koeppel était à l'essai au cours des six premiers mois où elle a occupé ce poste. Au départ, tout semblait bien se dérouler. Les commentaires formulés sur le registre de la période d'essai le 16 juillet indiquent que la plaignante s'adaptait bien à son nouveau poste et s'initiait rapidement à la terminologie militaire. Toutefois, le 1er août 1991, les superviseurs ont commencé à formuler des commentaires sur les difficultés éprouvées par la plaignante dans ses rapports avec les autres membres du personnel du dépôt et sur ses

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problèmes de communication. Sa déficience auditive avait été signalée comme étant éventuellement un facteur contributif. Il était également signalé que Mme Koeppel avait tendance à se sentir rapidement frustrée et qu'elle était irritable. Dans les évaluations effectuées respectivement les 14 et 28 août, on indiquait que son rendement était insatisfaisant sur les points suivants : ses rapports avec les autres, son esprit de collaboration , ses communications avec son superviseur et ses collègues et sa capacité d'adaptation au changement .

Entre le début de septembre et la mi-octobre, une grève perlée a été déclenchée par l'Alliance de la fonction publique du Canada à laquelle ont participé certains employés civils de la Base des Forces canadiennes (BFC) de Winnipeg. Au dépôt central des dossiers, les seuls civils étaient Mme Thorne et Mme Koeppel. Mme Thorne a fait grève et a même pris son tour sur les piquets de grève, tandis que Mme Koeppel a traversé les piquets, souvent avec beaucoup de difficultés, pour continuer de travailler. Le procureur de la Commission a laissé entendre que cette attitude de Mme Koeppel a suscité chez Mme Thorne une animosité personnelle à l'endroit de Mme Koeppel et que c'est par la suite que Mme Thorne a commencé à harceler Mme Koeppel afin de lui faire échouer sa période d'essai au DCD. Mme Thorne a rejeté cette allusion bien qu'elle et d'autres témoins ont convenu que de manière générale, la tension était élevée sur la Base pendant et après la grève.

Les commentaires suivants, figurant dans le registre de la période d'essai, ont été signés par Mme Thorne (10 octobre 1991) et par l'adjudant Karpenic et Mme Koeppel (21 octobre 1991). En réponse à la question L'employée répond-t-elle aux critères pour être maintenue à son poste à la fin de la période d'essai ? , la réponse Non est cochée. Mme Thorne justifie cette réponse de la manière suivante :

[TRADUCTION]

Le rendement global de Mme Koeppel en qualité de commis au DCD va de marginal à passable. Elle a toutefois démontré de manière constante une incapacité à travailler sans supervision. Pendant les périodes fébriles et très occupées, elle devient rapidement frustrée, ce qui a des répercussions négatives sur le rendement et la productivité de ses compagnes et compagnons de travail.

Le dépôt central des dossiers est, la plupart du temps, un endroit où le travail doit être effectué rapidement, où la charge de travail est considérable et où il faut être en mesure d'entretenir de nombreux contacts personnels. Mme Koeppel accorde une attention considérable aux tâches qui exigent peu ou pas d'interaction avec le public. Elle est cependant

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réticente à répondre au téléphone, une tâche importante au DCD.

Le registre de la période d'essai ne comprend aucun autre commentaire ni évaluation. Les témoignages ne sont pas très clairs en ce qui concerne les événements qui ont suivi. Cindy Reid, conseillère des procureurs de l'intimé, qui avait été agent du personnel civil à la BFC Winnipeg entre avril 1992 et janvier 1994, a indiqué dans son témoignage que la seule personne ayant le pouvoir de rejeter ou de renvoyer un employé en période d'essai était le commandant de la Base. Il semble donc raisonnable de supposer que ce dernier ne prendrait une décision de cette nature que sur la recommandation de l'agent du personnel civil qui, à cette époque, était un certain Tim Stauffer. M. Stauffer n'a pas été convoqué à la barre, mais une note au dossier datée du 15 novembre 1991 a été déposée en preuve au cours du contre-interrogatoire par la procureure de la plaignante. Dans cette note, M. Stauffer, apparemment après un appel téléphonique du PM Barefoot, a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

... Il était également préoccupé par Monica Koeppel. Il ne veut pas la garder après la période d'essai. Il dit qu'elle refuse de répondre au téléphone, qu'elle ne sert pas les clients et qu'elle est toujours absente de toutes manières. Monica Koeppel fait partie d'un groupe protégé en vertu du programme d'équité en matière d'emploi (déficience auditive). Elle a été mutée ici en provenance d'un autre ministère en juillet dernier. Ted a indiqué avant de quitter, que compte tenu de la situation, il n'était pas raisonnable de penser remercier l'employée après la période d'essai. Monica Koeppel compte plus de dix années de service au sein de la fonction publique et son dossier personnel indique que son rendement est satisfaisant. Le PM Bearfoot [sic] a exprimé le voeu de s'en débarrasser dès maintenant et a mentionné qu'il était prêt, le cas échéant, à écrire une lettre à l'officier de l'administration de la Base et au commandant de la Base. Des tentatives ont été effectuées afin de muter Mme Koeppel à la SRB à l'ACHQ, mais sans résultat jusqu'à maintenant. Mme Koeppel m'a aussi également indiqué récemment qu'il se pouvait qu'elle ne soit plus intéressée à quitter la SRB. La situation devrait faire l'objet de discussions à la prochaine rencontre PY afin de favoriser la mutation éventuelle de Mme Koeppel.

Le Ted dont il est question dans cette note est M. Ted Dobie qui était l'agent du personnel civil de la Base à l'époque.

Les témoignages sur les événements qui ont marqué cette période au DCD ont été plutôt vagues. Le PM Barefoot a témoigné qu'avant

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l'arrivée de Mme Koeppel, le groupe fonctionnait dans une très belle harmonie . Selon son témoignage, il semble qu'après l'arrivée de Mme Koeppel, les choses se soient gâtées :

... Je ne sais pas si elle estimait qu'elle faisait l'objet d'un traitement spécial ou si elle croyait qu'elle n'était pas traitée de manière appropriée, mais l'atmosphère au dépôt central des dossiers après que Monica ait été embauchée est devenue très tendue, ce qui contrariait beaucoup de gens et créait un problème de productivité.

En contre-interrogatoire, le PM Barefoot a concédé que cette même période avait été marquée par le départ d'un certain nombre d'employés expérimentés et une grève de la fonction publique.

Mme Thorne avait relativement peu de souvenirs précis de cette période et pour l'essentiel, elle n'a fait que confirmer les commentaires qu'elle avait rédigés ou signés en signe d'approbation dans le registre de la période d'essai. Elle a indiqué que les problèmes causés par Mme Koeppel étaient imputables à son attitude et à son refus de répondre au téléphone.

Mme O'Connell a simplement confirmé les commentaires formulés dans le registre de la période d'essai. Elle s'est toutefois souvenue que Mme Koeppel s'était plainte une fois relativement à sa déficience auditive et avait demandé qu'on éloigne son pupitre d'un climatiseur particulièrement bruyant. On avait acquiescé à cette demande. Mme O'Connell ne se souvient pas que Mme Koeppel se soit plainte d'une difficulté quelconque à utiliser le téléphone. Le seul commentaire formulé par Mme Koeppel dont le témoin a pu se souvenir était qu'elle se sentait parfois exclue du fait qu'elle ne pouvait entendre ce qui se disait dans le bureau. En réponse à une question formulée par un membre de la Commission quant à l'aide qui était apportée à la plaignante compte tenu de sa déficience, Mme O'Connell a indiqué que Mme Koeppel était encore en formation au moment où elle avait quitté et que l'évaluation n'était donc pas terminée.

Le 4 novembre 1991, Mme Koeppel s'est présentée au Centre des sciences de la santé de Winnipeg afin de se soumettre à une évaluation audiologique. Elle a obtenu de Heather E. Cowan, audiologiste, une lettre datée du 7 novembre 1991 adressée à qui de droit . Cette lettre se lisait en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Monica a été vue à l'hôpital de réadaptation le 4 novembre 1991 afin d'y subir une évaluation audiologique de suivi. Les résultats ont été conformes à ceux établis précédemment : Monica souffre d'une perte permanente d'audition neuro-

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sensorielle allant de modérée à modérément grave dans les deux oreilles. La perte est toutefois plus prononcée dans l'oreille droite.

Monica s'est montrée préoccupée par le fait qu'on attend d'elle à son travail qu'elle utilise le téléphone. J'estime que Monica est une femme brillante et bien au courant des effets et des répercussions de son déficit auditif.

Certaines situations peuvent être particulièrement pénibles pour Monica. Répondre au téléphone en est une, particulièrement lorsque le niveau du bruit de fond ambiant est élevé.

...

Je ne pense pas qu'il soit réaliste de s'attendre à ce que Monica réponde au téléphone dans l'exercice de ses fonctions. Son incapacité à répondre de manière fonctionnelle à cette exigence n'est cependant pas révélatrice de ses capacités globales. Elle relève purement de la nature particulière de sa perte d'audition.

Dans son témoignage, Mme Koeppel a affirmé avoir remis cette lettre à Mme Thorne le 21 novembre 1991. Même si la lettre a été conservée en dossier, aucune mesure particulière ne semble en avoir découlé. Cette situation s'explique peut-être par le fait que Mme Koeppel a été mutée à un nouveau poste le lendemain. Même si Mme Koeppel a interprété cette mutation comme un geste de représailles consécutif à sa plainte continue d'avoir à répondre au téléphone, il semble plus raisonnable de croire que les efforts en vue de muter Mme Koeppel étaient déjà en cours depuis quelque temps avant même qu'elle ne commence à formuler ses plaintes (comme l'indique la note de service de M. Stauffer) et que la proximité de ces deux événements dans le temps relève d'une pure coïncidence.

Il importe aussi de mentionner que Mme Cowan a évalué l'audition de Mme Koeppel aux environs du moment où la lettre a été rédigée et lui a remis une ordonnance pour une nouvelle prothèse auditive que Mme Koeppel s'est procurée. Mme Cowan n'a pas témoigné et nous ne disposons d'aucun autre renseignement quant à d'autres recommandations qu'elle aurait pu formuler ou ne pas formuler.

e) Mutations

Le 22 novembre 1991, Mme Koeppel a été convoquée au bureau de l'adjudant Karpenic dès son arrivée au travail et on lui a annoncé qu'elle était mutée. Aucun élément de preuve n'a été produit afin de démontrer que cette mutation constituait une tentative d'accommodement des besoins spéciaux de Mme Koeppel en

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la mutant dans un environnement où elle n'aurait pas à répondre au téléphone et cette mutation n'a pas été expliquée ainsi à Mme Koeppel. Cette dernière a affirmé en témoignage qu'elle était effrayée, ne sachant trop quel sort l'attendait.

Mme Koeppel a donc rassemblé ses objets personnels à son pupitre et a été présentée au capitaine Mary Simard, la coordonnatrice aux langues officielles de la Base, qui serait temporairement sa nouvelle superviseure. Mme Koeppel a témoigné qu'elle avait peu à faire dans ce bureau, mais qu'il n'y avait pas de téléphone. Elle a occupé ce poste jusqu'à la fin de décembre 1991.

Le sergent Spraklin était commis d'administration en chef du DCD au Quartier général du Commandement aérien de la BFC Winnipeg. Le sergent Spraklin a témoigné que, vers la fin de 1991, elle avait rencontré l'adjudant Karpenic à la demande de son supérieur, l'adjudant-chef Sudletsky, afin de discuter de la mutation éventuelle de Mme Koeppel à cet endroit. Elle a rencontré Mme Koeppel et a informé l'adjudant-chef Sudletsky qu'elle pouvait l'embaucher. L'adjudant-chef Sudletsky l'avait informée que cette nomination ne pouvait être que temporaire.

Le 7 janvier 1992, Mme Koeppel a donc été mutée au Quartier général du Commandement aérien et a commencé une formation qui lui était donnée par la bibliothécaire technique, Shyra Ayer, à l'unité de maintenance avion. La fonction principale de la plaignante consistait à tenir à jour les manuels techniques à feuilles mobiles. Cette unité a été désignée dans les témoignages sous l'acronyme SCEM Maint . Mme Koeppel n'était pas tenue de répondre au téléphone à ce poste et en fait, Mme Ayer a même témoigné qu'elle décrochait systématiquement le téléphone chaque fois qu'elle s'absentait de son bureau de manière qu'aucun appel ne puisse y être acheminé. Elle a cependant fait observer qu'elle avait remarqué à un certain nombre d'occasions que Mme Koeppel utilisait le téléphone afin d'effectuer des appels personnels sans aucune difficulté apparente.

Mme Koeppel était la seule autre employée du bureau et s'assoyait à un pupitre faisant face à celui de Mme Ayer. Mme Ayer a indiqué que Mme Koeppel semblait n'éprouver aucune difficulté à entendre les conversations courantes qu'elle pouvait avoir à son pupitre et qu'elle se joignait alors d'emblée aux conversations, mais qu'elle prétendait ensuite souvent ne pas l'entendre quand elle lui donnait des directives. Mme Ayer a témoigné que Mme Koeppel était une bonne travailleuse, mais que son comportement laissait souvent à désirer. Elle était assez souvent d'humeur maussade ou cinglante. Mme Koeppel lui avait expliqué qu'elle souffrait de migraines et à deux reprises, Mme Ayer a dû amener la plaignante à la salle de premiers soins afin de lui permettre de s'allonger.

Il semble que Mme Koeppel ait été mutée au DCD du SCEM Maint en janvier 1992. Ce bureau était relativement petit et ne

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comptait qu'une seule autre employée, Fay Boyes, une CR-03. Habituellement, Mme Boyes répondait aux demandes de renseignements téléphoniques, mais Mme Koeppel a témoigné qu'on s'attendait à ce qu'elle réponde à ces appels lorsque Mme Boyes était à l'extérieur du bureau. Les demandes de renseignements en question n'étaient que des demandes routinières, puisque ce DCD n'assumait pas de responsabilité en matière d'acheminement des messages.

Dans son témoignage, le sergent Spraklin a indiqué que les fonctions principales de Mme Koeppel consistaient à enregistrer et à classer les messages au moyen d'un ordinateur. Elle a témoigné qu'il incombait notamment à Mme Koeppel d'extraire les messages au moyen d'un ordinateur lorsque des personnes se présentaient au bureau avec une demande de renseignements. Habituellement, les demandes étaient présentées verbalement ou rédigées sur une feuille de papier. Elle a indiqué qu'il était très rare que des demandes soient acheminées par téléphone.

Selon le sergent Spraklin, Mme Koeppel était une travailleuse bien disposée qui manifestait un intérêt certain à s'initier à l'informatique. Au début, son assiduité était excellente, mais elle a ensuite commencé à se plaindre de migraines découlant de l'obligation qui lui été faite de répondre au téléphone. Elle a mentionné que ses migraines étaient aussi attribuables à la pression accumulée inhérente à son travail, au fait qu'elle se sentait exclue des conversations et à l'impression qu'elle avait que ses collègues parlait d'elle dans son dos. En contre- interrogatoire, elle a convenu que Mme Koeppel lui avait bien dit à l'occasion qu'elle devait consulter son médecin parce qu'un bruit aigu émis par sa prothèse auditive lui causait des maux de tête.

Le sergent Spraklin a également affirmé dans son témoignage que Mme Koeppel lui avait dit éprouver des ennuis familiaux, plus particulièrement avec sa mère. A quelques reprises, elle a consulté le représentant du Programme d'aide aux employés ( PAE ) du Commandement aérien. Le PAE est un programme mis sur pied au sein de chaque service afin d'aider les employés qui éprouvent des problèmes personnels à les surmonter. Le représentant conseille l'employé en difficulté et tente également de l'orienter vers des groupes de soutien où il peut obtenir l'aide dont il a besoin.

Mme Koeppel a relaté un incident survenu au cours de cette période qui l'avait obligé à appeler le sergent Spraklin à son domicile. Apparemment, la mère de Mme Koeppel avait appelé l'adjudant-chef Sudletsky afin de lui exprimer son inquiétude relativement à la quantité de médicaments que sa fille Mme Koeppel prenait. On pouvait déduire des propos de sa mère que Mme Koeppel était en voie de développer peu à peu une dépendance aux médicaments qu'elle prenait contre la douleur. Rien dans le

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témoignage n'explique pour quelle raison la mère de Mme Koeppel avait choisi de s'adresser à l'adjudant-chef Sudletsky ni ce qu'elle espérait ainsi accomplir. Aucune preuve n'a non plus été déposée afin de confirmer que cette préoccupation de la mère de Mme Koeppel était justifiée. Quoi qu'il en soit, à la suite de cette conversation, une rencontre a été organisée entre l'adjudant-chef Sudletsky, la superviseure de Mme Koeppel, le sergent Armstrong et un autre sergent. Au cours de cette rencontre, on a informé Mme Koeppel de l'appel téléphonique de sa mère et des préoccupations de cette dernière. Outre les faits qui précèdent, les témoignages entendus relativement à cette rencontre étaient vagues. Dans son témoignage, Mme Koeppel a fait état de sa réaction à l'époque :

[TRADUCTION]

C'était comme si on me menaçait. J'étais si contrariée. J'étais littéralement déchirée intérieurement. Je m'en voulais beaucoup. Tous ces problèmes que j'avais éprouvés pendant si longtemps. Je suis revenue à la maison, j'ai eu une engueulade, une violente dispute avec ma mère. Je la déteste, je désire la tuer pour ce qu'elle m'a fait.

Le lendemain matin, Mme Koeppel a appelé le sergent Spraklin à son domicile vers 6 h 00 pour la convaincre qu'elle n'était pas une droguée et qu'elle ne faisait que prendre les médicaments prescrits par son médecin.

Il découle clairement de la preuve entendue que la déficience de Mme Koeppel et ses problèmes de santé continus, de même que les difficultés qu'elle éprouvait à son travail, l'avaient rendue particulièrement vulnérable à des suggestions de ce genre. Ce témoignage constitue également une claire indication qu'elle souffrait d'un problème qui n'avait rien à voir avec son travail, mais qui lui causait un désespoir considérable. Il convient également de prendre note que ce problème n'a en rien été atténué par la manière dont ses superviseurs ont traité l'incident.

Le dernier témoin de l'intimé a été Cindy Reid. Elle agissait comme conseillère des procureurs de l'intimé à l'audience et a donc entendu le témoignage de pratiquement tous les autres témoins.

Mme Reid a commencé sa carrière au ministère de la Défense nationale en tant qu'agent du personnel civil à la BFC Winnipeg le 17 avril 1992. Son rôle consistait à conseiller les gestionnaires sur toutes les questions portant sur la gestion et l'administration des ressources humaines civiles. Elle est demeurée à ce poste jusqu'en janvier 1994. Mme Reid a fait la connaissance de Mme Koeppel en juillet 1992. Elle connaissait également bien le dossier personnel complet de Mme Koeppel puisque, dans l'exercice de ses fonctions, elle avait procédé à

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un examen exhaustif de la période d'emploi de Mme Koeppel au sein du ministère de la Défense nationale pour préparer la réponse à la plainte présentée par Mme Koeppel devant la Commission des droits de la personne à l'automne 1993.

Mme Reid a repris la narration des événements depuis le moment où Mme Koeppel est revenue au DCD de la Base en juillet 1992. Mme Reid a expliqué que Mme Koeppel n'avait été que temporairement affectée au SCME Maint et que son poste d'attache était à la salle des rapports de la Base. En d'autres termes, son poste permanent à temps plein était celui de commis au dépôt central des dossiers, salle des rapports de la Base, soit le poste qu'elle avait précédemment occupé jusqu'en novembre 1991.

Le témoin a déposé en preuve une note de service rédigée, à sa propre demande, par l'adjudant-chef Sudletsky en juillet 1992 afin de documenter une conversation téléphonique entre l'adjudant-chef et elle-même dans laquelle celui-ci avait exprimé son insatisfaction à l'endroit du travail de Mme Koeppel. Cette note de service se concluait de la manière suivante :

[TRADUCTION]

En conclusion, nous désirons que Mme Monica Koppell [sic] soit mutée du SCEM Maint le plus rapidement possible.

Mme Reid a témoigné s'être entretenue avec Mme Koeppel au téléphone plus tard le jour même de sa conversation avec l'adjudant-chef Sudletsky ou le lendemain. Elle a décrit cette discussion avec Mme Koeppel comme ayant été décousue et a affirmé que Mme Koeppel semblait très contrariée. Les deux ont convenu de se rencontrer le lendemain. Au cours de cette rencontre, Mme Koeppel a réitéré ses craintes et ses préoccupations à l'égard des événements qui se produisaient dans son milieu de travail à ce moment et a également passé en revue les difficultés qu'elle avait éprouvées précédemment au DCD de la Base. Elle a également parlé de ses problèmes de santé et des ennuis qu'elle éprouvait dans sa relation avec sa mère.

Mme Reid s'est ensuite renseignée de manière plus approfondie auprès de l'adjudant-chef Sudletsky ainsi qu'auprès du sergent Armstrong et de Gail Frame, l'infirmière hygiéniste du travail. Finalement, elle s'est entretenue avec l'adjudant Karpenic et l'a informée que les gestionnaires du SCEM Maint désirait mettre un terme à l'affectation de Mme Koeppel au sein de cette division et qu'il n'y avait aucun autre poste disponible où Mme Koeppel pouvait être affectée. La seule solution consistait à la retourner à son poste d'attache au DCD de la Base.

f) Retour au DCD de la Base

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Tous les employés du DCD de la Base qui y travaillaient au moment où Mme Koeppel y avait travaillé en 1991 avaient quitté et, à l'exception de l'adjudant Karpenic, toutes les autres personnes appartenant à la chaîne de commandement de 1991 avaient également changé. Polly Moore, la superviseure du DCD, portait elle aussi une prothèse auditive. Toutefois, contrairement à Mme Koeppel, sa déficience auditive n'était pas congénitale et, de l'avis de Mme Koeppel, elle était donc incapable de comprendre les difficultés particulières auxquelles était confrontée une personne souffrant d'un problème d'audition de naissance.

A la fin de juillet 1992, Mme Koeppel a donc recommencé à travailler à la salle des rapports de la Base. Une réunion a eu lieu le jour de son retour à laquelle Mme Koeppel, Mme Reid, l'adjudant Karpenic et Mme Moore ont toutes assisté. Toutes ces personnes ont affirmé qu'on avait alors exprimé clairement à Mme Koeppel qu'il faisait partie de ses attributions de répondre au téléphone et aux demandes de renseignements au comptoir et que l'on s'attendait à ce qu'elle assume sa part de ces responsabilités.

Mme Reid a également indiqué dans son témoignage que les personnes présentes avaient parlé à Mme Koeppel précisément de sa déficience auditive et des manières dont elle pourrait communiquer avec les personnes qui s'adresseraient à elle au téléphone ou au comptoir. Parmi les suggestions formulées, mentionnons qu'on lui a proposé de demander aux gens de rédiger leurs demandes de renseignements au comptoir et de demander soit de hausser leur ton de voix ou de modifier la manière dont ils parlaient afin de l'aider à comprendre. On a demandé à Mme Koeppel s'il existait des manières particulières de l'aider et elle a indiqué qu'aucune mesure particulière n'était requise.

Dans son témoignage, Mme Koeppel a eu les mots suivants au sujet de cette rencontre :

... Je me suis imposée de répondre : je n'éprouverai pas de problème, je ferai de mon mieux...

et :

Toutefois, j'ai su garder mon calme pendant la rencontre. J'ai tenté d'aller dans le sens où ils voulaient m'amener, j'ai tenté de comprendre quelles étaient leurs attentes. Cependant, je continuais à leur mentionner mon problème d'audition et ils ne semblaient pas me comprendre.

En ce qui concerne cette deuxième période passée au DCD de la Base, Mme Koeppel a témoigné comme suit :

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C'est justement là que j'ai éprouvé beaucoup de difficultés. Je devais répondre au téléphone si souvent quand je suis revenue au DCD en 1992. Je me suis imposée beaucoup de pression parce qu'ils voulaient que je fasse cela. Vous savez, si l'on tient compte de ce qui s'était passé en 1991, c'était comme si on me poussait de force à le faire.

En contre-interrogatoire, on a interrogé Mme Koeppel de la manière qui suit :

Q. Serait-il exact d'affirmer, Monica, que votre approche face à l'obligation qui vous était faite de répondre au téléphone consistait à essayer et à continuer d'essayer de répondre au téléphone ?

R. Oui.

Q. Et cela fait partie de la pression que, de votre propre aveu, vous vous êtes imposée afin d'y parvenir, exact ?

R. J'ai essayé de comprendre et de comprendre, tentant de dire à mes oreilles : faites-le, obtenez toute l'information et transmettez-la à mon cerveau. J'ai souffert de maux de tête. Il arrive souvent lorsque je réponds au téléphone, que j'ai l'air confuse tellement je m'efforce de comprendre la voix, de comprendre ce qui m'est dit. Je dois tenter de déchiffrer ce qui m'est dit afin de bien saisir le message. Voilà la partie la plus difficile.

Q. Bien, mais ce que j'essaie de vous demander est que vous vous efforciez de réussir, exact ?

R. J'essaie, j'essaie de montrer que je suis une bonne personne, j'essaie de montrer à tous à quel point cela est difficile pour moi.

Q. Et c'est ce que vous laissez entendre dans votre témoignage que ces efforts génèrent du stress, vous donnent des maux de tête, exact ?

R. Oui, en effet.

Dans son témoignage, Mme Koeppel a indiqué qu'outre Mme Moore, il n'y avait à cette époque au DCD qu'une seule autre collègue civile nommée Irène DuBois. Plus tard, en septembre ou en octobre, le caporal Jean-François Leblanc s'est joint au personnel du DCD.

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Dans son témoignage, Mme Koeppel a affirmé que le caporal Leblanc avait offert de répondre à certains appels téléphoniques à sa place, mais que cette offre avait semblé déplaire à Mme Moore. Le caporal Leblanc a été convoqué à la barre par la procureure de la plaignante. Il a travaillé au DCD de septembre 1992 à janvier 1993. Il a affirmé ne pas se souvenir d'avoir aidé Mme Koeppel à répondre au téléphone. Il se souvient par contre qu'à certaines occasions, Mme Koeppel s'était fâchée parce que ses interlocuteurs au téléphone lui faisaient répéter ou lui raccrochaient au nez. Il a également témoigné que Mme Koeppel était plutôt colérique et donnait parfois l'impression que cette colère était dirigée vers ses collègues de travail.

Une autre collègue de travail a été appelée à témoigner pour la plaignante, Mme Irène DuBois. Mme DuBois travaillait au DCD avant l'arrivée de Mme Koeppel en juillet 1992, et, au moment de l'audience, travaillait encore au DCD. Elle a mentionné avoir observé que Mme Koeppel éprouvait des difficultés à répondre au téléphone et avoir proposé à Mme Moore de répondre au téléphone à la place de Mme Koeppel afin de simplifier le travail. Mme Moore lui aurait répondu que Mme Koeppel devait aussi répondre au téléphone. Mme DuBois a aussi affirmé que Mme Koeppel était d'une humeur très inégale et que, à plus d'une reprise, elle lui avait marché sur les pieds d'une manière soi-disant accidentelle , selon les propres termes du témoin.

On avait demandé à Mme Koeppel à différentes reprises au cours des deux visites d'orientation qu'elle avait eues au DCD de la salle des rapports de la Base si elle désirait qu'on dote son combiné téléphonique d'un dispositif d'amplification. Avant novembre 1992, Mme Koeppel avait toujours indiqué qu'elle n'avait pas besoin d'un tel dispositif. Au cours d'une rencontre tenue le 2 novembre 1992, Mme Koeppel a finalement accepté qu'on lui installe un appareil de ce genre, chose qui fut faite peu après.

Dans son témoignage, Mme Koeppel n'a cessé d'affirmer que si elle avait refusé jusque là l'amplificateur, c'était parce que cet appareil ne lui était d'aucune aide. En effet, cet appareil ne fait qu'accroître le volume des sons transmis par le téléphone. Or, le problème éprouvé par Mme Koeppel n'est pas une question de volume, mais plutôt une difficulté à distinguer les mots qui sont prononcés par ses interlocuteurs au téléphone. Le fait d'entendre les sons plus fort ne lui est d'aucune aide et, à certaines occasions, il arrive que cela ne fasse qu'accroître sa difficulté à discerner ce qui lui est demandé. Mme Koeppel a également indiqué dans son témoignage que le fait d'entendre les sons à un volume plus élevé créait parfois un retour de son dans sa prothèse auditive et que cela était douloureux pour elle. Si elle a accepté en novembre qu'on lui installe ce dispositif, ce n'est que pour démontrer sa bonne foi et parce

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qu'on exerçait sur elle beaucoup de pression. La partie de son témoignage concernant l'utilité de l'amplificateur téléphonique a été confirmée par un audiologiste, M. Gillespie.

Lorsque Mme Koeppel est revenue au DCD de la SRB, il a été décidé par ses supérieurs d'organiser des rencontres régulières entre Mme Koeppel et la direction afin d'évaluer les progrès accomplis par celle-ci et afin de permettre à Mme Koeppel d'exprimer toute préoccupation qu'elle était susceptible d'avoir. La principale intéressée a assimilé ces rencontres à des séances de surveillance du genre de celles qu'on impose aux employés à l'essai.

Une de ces rencontres a été organisée le 22 octobre 1992 après que Mme Moore ait soulevé un certain nombre de problèmes. Cette dernière avait notamment affirmé à Mme Reid que Mme Koeppel se plaignait que ses collègues ne l'aidaient pas et qu'elle s'était aussi plainte que les directives que Mme Moore lui avait données de garder sa prothèse auditive en fonction étaient des mesures de nature disciplinaire. Étaient présentes à cette rencontre, Mme Koeppel, Mme Reid, Mme Moore et l'adjudant Karpenic. Un document faisant état des questions à aborder pendant la rencontre avait été préparé et remis d'avance à Mme Koeppel.

Mme Reid a témoigné que pendant cette rencontre, on avait demandé à Mme Koeppel si elle souhaitait obtenir un rendez-vous avec le représentant du PAE du service. Par la suite, Mme Koeppel a donc été dirigée vers l'adjudant Anne Pritchard- Thornhill. Dans son témoignage, Mme Reid a déclaré que l'adjudant Pritchard-Thornhill avait mis Mme Koeppel en contact avec un organisme appelé Society for Disabilities of Manitoba qui, à son tour, a dirigé Mme Koeppel vers Ava Hawkins, une conseillère en emploi de la division des services aux malentendants d'un autre organisme appelé Reaching Equality. Bien qu'elles aient participé à un certain nombre de rencontres importantes par la suite, ni l'adjudant Pritchard-Thornhill ni Mme Hawkins n'ont été appelées à la barre par l'une ou l'autre des parties.

Pendant son témoignage, Mme Koeppel a identifié un rapport de dix pages (intitulé Extended Incident Report ) sur des incidents survenus entre le 1er août 1992 et le 3 janvier 1993. Malgré des explications interminables, et un échange de points de vue à savoir si ces notes étaient admissibles et dans l'affirmative, à savoir quel poids il convenait de leur accorder, il n'a jamais été possible d'établir tout à fait clairement et précisément quand et comment ces renseignements au sujet des incidents en cause ont été mis dans la forme sous laquelle ils ont été présentés. Il s'agissait d'observations courantes que Mme Koeppel conservait sur son ordinateur à la maison et qu'elle consignait de temps à autre de mémoire ou au moyen de notes qu'elle avait prises. Une des entrées, datée du

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31 octobre 1992, était particulièrement intéressante même s'il semble que la date ne renvoie qu'au commencement des réunions avec l'adjudant Pritchard-Thornhill. Cette entrée se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Dès ma première rencontre avec ma conseillère du PAE, l'adjudant Anne Pritchard-Thornhill, j'ai été enchantée par ses compétences de conseillère. Depuis, je la rencontrais toutes les deux semaines. Grâce à elle, j'ai découvert d'où provenait véritablement mes problèmes personnels. Mes problèmes familiaux et mes problèmes de santé ont été les questions initiales dont il a été question puisqu'on estimait que c'était vraisemblablement ces problèmes qui se répercutaient sur mon travail. C'était ce que j'avais toujours pensé auparavant. Ultérieurement, il s'est avéré que c'est ma déficience auditive qui était à la source du principal problème éprouvé au travail depuis le mois de septembre précédent. En analysant les choses dans cette perspective, j'en suis venue à prendre conscience que j'étais continuellement accusée de refuser d'entendre et que l'on critiquait constamment mon attitude et mon aptitude aux relations personnelles. Ces gestes posés par ma superviseure me causaient beaucoup de stress intérieur lorsque j'étais au travail. Tout le problème repose sur le fait que je ne suis pas acceptée ni bienvenue au sein de l'unité.

Il est malheureux que Mme Koeppel n'ai pas témoigné sur cet extrait puisqu'il semble décrire un tournant dans la manière dont elle a rationalisé ce qui lui arrivait. Il est également malheureux que l'adjudant Pritchard-Thornhill n'ait pas été convoquée à la barre afin de peut-être jeter un peu de lumière sur la manière et le moment où cette prise de conscience est survenue.

Le 21 novembre 1992, Mme Koeppel a écrit une lettre au directeur, Équité en matière d'emploi des civils au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa, demandant son aide et alléguant que son handicap avait fait l'objet d'un profond manque de compréhension de la part de ses superviseurs depuis qu'elle avait été embauchée par la ministère de la Défense nationale et mentionnant que pour des raisons mystérieuses, elle était traitée comme une moins que rien . Mme Reid a été absente pendant la plus grande partie du mois de décembre et cette lettre a été portée à son attention uniquement à son retour en janvier 1993. M. Hamlin, un agent de relations du travail au Quartier général des Forces canadiennes a communiqué avec elle et une réunion a été organisée à laquelle M. Hamlin, Mme Reid et Judith Hayes, la coordonnatrice de l'Équité en matière d'emploi au

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Quartier général du Commandement aérien ont tous assisté. On a demandé à Mme Hayes de procéder à un examen indépendant des gestes posés par les superviseurs de Mme Koeppel ayant mené à sa réintégration à son poste à la salle des rapports de la Base.

Mme Hayes a donc rencontré Mme Koeppel et a interrogé les différents membres du personnel de supervision. Les évaluations de rendement de Mme Koeppel pendant la totalité de sa carrière au sein de la fonction publique ont aussi été examinées. Mme Hayes a de plus consulté le coordonnateur des programmes de services aux personnes handicapées de la Commission de la fonction publique, John Ely. Selon le rapport de Mme Hayes, M. Ely a souscrit à ses propres conclusions, soit que la possibilité d'en venir à une solution équitable dans le contexte de travail actuel de Mme Koeppel était limitée et qu'avant d'envisager une mutation, Mme Koeppel devait améliorer ses aptitudes de dynamique de vie. Elle a donc recommandé la tenue d'une réunion avec Mme Koeppel et une représentante de l'organisme Reaching Equality afin de discuter des suggestions suivantes :

[TRADUCTION]

1. Que l'employée prenne un congé non payé afin de l'aider à se rétablir de ses problèmes de santé.

2. Que l'employée, travaillant de concert avec un organisme de représentation, suive des cours de dynamique de vie afin de contribuer au succès de sa future réintégration à l'effectif.

3. Que l'employée, avec l'aide de la BFC Winnipeg, répertorie les possibilités de formation supplémentaire s'offrant à elle et entreprenne un cours (par exemple, perfectionnement en informatique).

4. Que l'agent du personnel civil de la Base (APCB) aide l'employée après cette formation à se réintégrer en lui offrant un autre poste ailleurs au sein de la fonction publique.

5. Que l'APCB offre la surveillance et le soutien nécessaires pour permettre une réintégration réussie de l'employée (c'est-à-dire des cours de formation psychosociale aux employés des unités où la plaignante travaillerait).

Pendant que l'examen de Mme Hayes était en cours, Mme Reid a reçu une note de service de quatre pages de l'adjudant Karpenic et de Mme Moore, datée du 21 janvier 1993, énumérant des incidents d'ordre professionnel auxquels Mme Koeppel avait été mêlée

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depuis le 20 juillet 1992. La note de service se concluait de cette manière :

[TRADUCTION]

Nous en sommes maintenant rendues au stade où nous estimons avoir fait tout ce qu'il est humainement possible de faire pour accommoder cette employée. Les causes de son absentéisme semblent échapper totalement à toute intervention de la direction et il est maintenant nécessaire de se pencher sur le pronostic lié à son état de santé et sur les possibilités ou probabilités d'amélioration réelle.

Les incidents dont il était question dans cette note de service portaient principalement sur l'attitude et l'absentéisme de Mme Koeppel. Mme Reid a expliqué qu'on demandait alors une évaluation de l'aptitude au travail de Mme Koeppel. Ce processus a été amorcé et Mme Koeppel a été de nouveau invitée à aller rencontrer le docteur Jolly des Normes de la santé au travail. Compte tenu d'autres événements survenus entre temps, il semble que l'on n'ait jamais procédé à cette évaluation.

g) Congé

Au début de février, Mme Reid a rencontré le capitaine Quick. Elle avait également rencontré plusieurs fois auparavant Mme Hawkins. Selon le témoignage de Mme Reid, les seules recommandations formulées par Mme Hawkins consistaient à muter Mme Koeppel à un autre poste ou à retirer de sa description de tâches l'obligation qui lui était faite de répondre au téléphone.

Dans son témoignage, le capitaine Quick a affirmé que la direction avait envisagé d'éliminer certaines des tâches du poste de Mme Koeppel (on peut présumer qu'il s'agissait des tâches consistant à répondre au téléphone et aux demandes de renseignements au comptoir), mais qu'on en était venu à la conclusion que c'était impossible compte tenu du concept d'équipe retenu au DCD et du petit nombre d'employés qui y travaillaient. Il pouvait en effet arriver en tout temps qu'il n'y ait qu'un seul employé présent dans le bureau et cet employé devait alors être en mesure d'effectuer toutes les tâches inhérentes au poste. Le capitaine Quick ne croyait pas que l'élimination de tâches constituait une option viable.

On a convenu qu'il était nécessaire de tenir une réunion afin d'examiner les différentes initiatives en cours et de discuter des recommandations formulées par Mme Hayes. Mme Reid a également indiqué dans son témoignage que plusieurs rumeurs circulaient à ce moment selon lesquelles Mme Koeppel avait exprimé l'intention de démissionner de la fonction publique.

Le 12 février 1993, une réunion a eu lieu afin de tenter d'en venir à un règlement. Étaient présents à cette réunion,

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Mme Koeppel, Mme Reid, l'adjudant Karpenic, le capitaine Quick et Mme Hawkins ainsi que Mme Muriel Florence de l'organisme Reaching Equality. Selon Mme Reid, Mme Koeppel a alors été informée que si elle souhaitait démissionner, on accepterait sa démission. Elle a aussi été informée qu'une mutation à un autre poste ne constituait pas une option possible à ce moment puisque aucun autre poste qu'elle était en mesure d'occuper n'était disponible. La seule possibilité restante consistait pour Mme Koeppel à prendre un congé non payé conformément à ce qui était suggéré dans le rapport de Mme Hayes.

Bien que cette réunion ait été censément tenue afin de clarifier certaines choses comme la rumeur selon laquelle Mme Koeppel désirait démissionner, les renseignements selon lesquels Mme Koeppel éprouvait des problèmes de santé continus et l'évaluation d'aptitude au travail, les résultats étaient conclus d'avance. On n'avait prévu aucune autre solution à la prise d'un congé non payé par Mme Koeppel, sauf peut-être sa démission. La position de Mme Hawkins et de Mme Florence, dont on peut supposer qu'elles se trouvaient là pour offrir un soutien et des conseils à Mme Koeppel, n'est pas claire selon la preuve entendue. Ni l'une ni l'autre de ces personnes n'a été appelée à témoigner à l'audience.

Selon son propre témoignage, le capitaine Quick aurait laissé entendre avec insistance à Mme Koeppel qu'il était dans ses meilleurs intérêts de prendre le congé non payé. Il a notamment mentionné à Mme Koeppel qu'elle devait voir cette période comme l'occasion rêvée pour se concentrer sur elle-même et régler les problèmes qu'elle éprouvait dans sa vie personnelle. Il estimait qu'il s'agissait d'une décision administrative responsable plutôt qu'une simple manière d'escamoter le problème. Personnellement, le capitaine n'était pas convaincu que la plaignante disposerait du temps nécessaire pour régler ses problèmes personnels si elle continuait à travailler à temps plein. Le capitaine Quick n'a pas eu le sentiment qu'il lui imposait cette option, mais il la considérait plutôt comme le résultat logique de la discussion.

Aucune décision n'a été prise par Mme Koeppel à l'occasion de cette réunion. On lui a demandé de réfléchir jusqu'au 22 février et le 16 février 1993, une lettre résumant les discussions tenues au cours de la rencontre et les différentes options abordées lui a été remise.

Le 17 février 1993, Mme Koeppel a présenté une demande de congé non payé afin de régler des problèmes personnels. Le congé demandé était d'une période de 15 mois commençant le 1er mars 1993 et se terminant le 31 mai 1994. Il a été expliqué que le congé devait être d'au moins douze mois pour permettre au MDN d'embaucher sur une base permanente un remplaçant au DCD. En contrepartie, Mme Koeppel se voyait offrir

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un statut prioritaire à la fin de son congé. On entendait par là qu'elle aurait droit après cette période au premier poste disponible à son ancien niveau de classification sans avoir à se soumettre à un concours.

Dans son témoignage, Mme Koeppel a confirmé que Mme Hawkins lui avait conseillé de prendre le congé. Selon la perception qu'elle avait eue de cette rencontre, et d'après ce qu'elle a écrit dans une lettre subséquente, Mme Koeppel avait le sentiment qu'on ne lui laissait pas vraiment le choix. Aucune des options offertes ne lui permettait de continuer à travailler. Or, ce qu'elle désirait, c'était d'être mutée à un poste où elle n'aurait pas à répondre au téléphone. Toutefois, elle a jugé qu'elle devait prendre le congé afin de se donner la possibilité de se rétablir et d'être bien disposée au moment de sa réintégration après le congé de 15 mois.

Le congé non payé de Mme Koeppel a par la suite été converti en congé de maladie de telle sorte qu'elle a pu présenter une demande de prestations d'invalidité au régime collectif d'assurance-invalidité du MDN, contracté auprès de la SunLife. Sa demande a été approuvée et, conformément aux conditions du régime, elle a commencé à recevoir des prestations équivalant à 70% de son salaire. En outre, puisqu'elle était en congé de maladie, elle ne payait que la part de l'employé des primes de tous les régimes d'avantages sociaux du MDN. Si elle avait été en congé pour raisons personnelles, elle aurait dû payer à la fois la part de l'employé et la part de l'employeur de la prime pour maintenir la protection offerte par ces régimes.

Le dernier jour de travail de Mme Koeppel a été le 26 février 1993. Dans son témoignage, elle a fait état de ses sentiments ce jour-là :

[TRADUCTION]

... J'étais très confuse, j'étais vraiment démolie sur le plan émotif et mental et je me sentais prise dans un tourbillon noir comme si quelqu'un m'était passé dessus. Je me sentais tout à fait inutile. Je croyais ne pas avoir ma place en ce monde et j'étais très en colère contre mes parents, en colère contre ma mère pour ce qu'elle m'avait fait quand j'étais au Commandement aérien et qui avait entraîné la situation dans laquelle je me trouvais à ce moment. Je souhaitais que tout cela ne se soit jamais produit et depuis cet incident au Commandement aérien, je ne m'entendais plus avec ma mère. Des problèmes familiaux attribuables à ce qui s'était produit ont suivi. Je n'avais fait que transposer ma colère contre eux.

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h) Événements subséquents

Dans son témoignage, Mme Koeppel a indiqué qu'après être partie en congé, elle a vécu une période de dépression profonde et a même envisagé le suicide. Ses parents ont donc pris des dispositions afin qu'elle rencontre un psychologue, Ivan Rutner, à compter du mois de mai 1993. Entre le 4 mai 1993 et le 28 décembre 1995, Mme Koeppel a rencontré à 58 reprises le docteur Rutner. A raison de 150 dollars par séance, le montant total des honoraires versés à ce psychologue a été de 8 700 dollars.

Le 7 juin 1993, Mme Koeppel a déposé une plainte auprès de la Commission, plainte qui a mené à la présente audience. Après enquête, la Commission en est venue à la conclusion que la plainte était non fondée et a recommandé qu'elle soit rejetée. Le rapport de l'enquêteur a été déposé comme pièce avec le consentement des deux parties. Nous avons été informés par les procureurs que Mme Koeppel avait retenu les services d'un avocat afin qu'il fasse des représentations auprès de la Commission pour qu'elle rejette les recommandations de l'enquêteur. On peut supposer que ces représentations ont donné le résultat espéré puisque le rapport indique que la Commission a renvoyé la plainte à la médiation et puisque le présent tribunal a finalement été constitué pour entendre ladite plainte.

Dans une lettre datée du 4 mai 1994, Carol McGetrick, agent du personnel civil du commandant de l'escadre, a écrit à Mme Koeppel pour lui signaler que sa période de congé approuvée touchait à sa fin et lui demander si elle avait l'intention d'exercer son droit prioritaire et reprendre éventuellement le travail ou si elle prévoyait plutôt démissionner. L'agent du personnel civil l'informait également qu'elle avait le droit d'être nommée en priorité à tout poste vacant pour lequel elle possédait les compétences requises pendant une période d'un an à compter du 31 mai 1994. On demandait à Mme Koeppel de faire connaître sa réponse au plus tard le 13 mai 1994. La réponse de Mme Koeppel est venue sous la forme d'une lettre datée du 19 mai 1994 dans laquelle elle remettait en question la sincérité de l'intention de l'employeur de la réintégrer et faisait remarquer qu'il existait très peu de postes vacants dans la catégorie CR-02 à ce moment. Elle énonçait également dans cette lettre qu'elle n'avait pas l'intention de reprendre le travail compte tenu des problèmes de santé continus qu'elle éprouvait à la suite du traitement dont elle avait fait antérieurement l'objet au MDN. Elle concluait sa lettre en affirmant qu'elle ne choisissait ni l'une ni l'autre des options offertes par Mme McGetrick.

Compte tenu de l'ambiguïté de la réponse de Mme Koeppel, son statut prioritaire a été activé le 31 mai 1994. Le fait que sur l'avis de priorité de dotation de Mme Koeppel, il était mentionné que celle-ci se trouvait en congé pour besoins personnels est peut-être révélateur de la confusion qui continuait de prévaloir quant à sa situation réelle. Les témoignages entendus à

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l'audience ont confirmé qu'une employée en congé de maladie n'est pas admissible à un avis de priorité de dotation. Aucun des éléments de preuve produits par l'intimé n'a confirmé si un poste pour lequel Mme Koeppel possédait les compétences est devenu disponible pendant cette période. Mme Koeppel a affirmé qu'on ne lui a jamais offert quelque poste que ce soit.

En réinterrogatoire, Mme Reid a témoigné qu'à sa connaissance, le MDN a toujours été en mesure de trouver un poste aux employés ayant un statut prioritaire comme celui de Mme Koeppel lorsque ceux-ci manifestent leur désir de reprendre le travail après un congé.

Vers cette époque, Mme Koeppel a retenu les services d'un avocat afin d'obtenir des renseignements sur son statut d'emploi. Elle a également demandé une prolongation de sa période de prestations d'invalidité auprès de la SunLife au motif qu'elle demeurait incapable de reprendre le travail. Cette prolongation lui a été accordée.

Le contrat d'assurance du MDN avec la SunLife prévoit le paiement de prestations pendant une période pouvant s'étendre jusqu'à 24 mois si l'employée devient de manière permanente handicapée au point où elle est empêchée d'accomplir toutes et chacune des fonctions de son occupation habituelle. Par la suite, pour continuer à toucher des prestations l'employée doit être continuellement totalement invalide au point d'être incapable d'accomplir quelque occupation rémunératrice que ce soit pour laquelle elle est compétente ou pour laquelle il est raisonnable de penser qu'elle pourrait le devenir en suivant de la formation ou en acquérant de l'expérience. La décision de déclarer ou non une personne apte au travail n'est en rien fondée sur la disponibilité ou l'absence de disponibilité d'un genre de travail donné. Une lettre datée du 7 décembre 1994 faisant état de cette réalité a été expédiée à l'agent du personnel civil de la Base. Cette lettre soulignait de plus que la période initiale de prestations de Mme Koeppel prendrait fin le 28 mai 1995 et que, suivant les renseignements médicaux en dossier, aucune prestation ne serait versée à la plaignante après cette date, sauf si son état de santé devait se détériorer. Mme Koeppel était au courant de cette disposition du régime d'assurance-invalidité ou l'est devenue au début de 1995. En effet, si elle n'a présenté aucune nouvelle demande de prolongation de sa période de prestations, elle a présenté en février des demandes de renseignements relativement au régime de retraite du MDN.

En témoignage, Mme Koeppel a relaté qu'elle avait présenté une demande d'admission à l'Université Gallaudet en septembre ou vers la fin d'août 1994 et qu'elle avait subi l'examen d'admission en novembre 1994. Elle a réussi cet examen et en a été informée en février 1995. L'Université Gallaudet est une institution d'enseignement de Washington D.C. qui offre un environnement

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pédagogique spécialisé aux personnes sourdes ou malentendantes. Mme Koeppel a donc déménagé à Washington D.C. et a commencé à fréquenter l'Université Gallaudet à l'automne 1995.

Mme Koeppel désirait être admise à l'Université Gallaudet depuis l'âge de 17 ans. Elle a expliqué ce qu'elle espérait gagner en fréquentant cette université de la manière suivante :

[TRADUCTION]

... En réalité, je fais quelque chose qui, je l'espère, en retournant à l'école, me permettra d'obtenir un diplôme et de repartir du bon pied pour réintégrer la main-d'oeuvre active. En effet, à cause de ma surdité, et en apprenant à me comprendre moi-même et à m'accepter, j'espère acquérir une meilleure estime de moi-même. De plus, dans ce programme, on vous apprend également à traiter avec les gens, à communiquer, à améliorer votre stratégie de communication. Et si j'y arrive, je deviendrai une meilleure personne.

Dans une lettre datée du 18 juin 1995, Mme Koeppel a informé Mme McGetrick qu'elle demandait un retrait volontaire de la fonction publique et indiquait qu'elle avait décidé de réorienter sa carrière . Sa démission a été acceptée le 1er juin 1995.

Rien n'indique que Mme Koeppel ait entrepris une formation en dynamique de vie ou en informatique pendant ce congé, comme l'avait recommandé Mme Hayes dans son rapport et comme cela avait été recommandé dans différents rapports d'évaluation antérieurs. La position du MDN à cet effet était que tel qu'indiqué dans le témoignage de Mme Reid, il appartenait à Mme Koeppel, éventuellement avec l'aide de Mme Hawkins, d'établir quelle formation lui convenait le mieux et que le MDN pourrait ensuite l'aider. Il y avait également une intention exprimée du MDN de payer pour une formation de ce genre, mais Mme Koeppel n'a jamais présenté de demande en ce sens.

Pour conclure leur argumentation, les procureurs de la Commission et de l'intimé ont fait valoir à tour de rôle qu'un certain nombre de témoins de l'autre partie n'étaient pas crédibles. Les souvenirs des témoins de toutes les parties étaient, on peut le comprendre, vagues sur de nombreux détails compte tenu du temps qui s'était écoulé depuis les événements en cause et de leur degré de participation à ces événements. Dans les cas où il y avait des divergences, nous avons fondé nos conclusions sur la directive du juge O'Halloran, dans l'affaire Farnya c. Chorny, [1952] 2 D.L.R., 354 à 357 :

[Traduction]

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En bref, le véritable critère pour confirmer la véracité des faits décrits par un témoin dans un tel cas doit être la mesure dans laquelle ce témoignage correspond à la prépondérance des probabilités qu'une personne avisée et pratique reconnaîtrait d'emblée comme raisonnable à cette place et dans ces conditions.

Dépôt central des dossiers, salle des rapports de la Base

Le dépôt central des dossiers de la salle des rapports de la Base a été décrit comme le centre de réception de toute la correspondance arrivant à la BFC Winnipeg. Cela comprend toutes les lettres officielles et personnelles arrivant à la Base par la poste ou par service de messagerie. Toutefois, la plupart des envois parviennent à la Base sous la forme de ce que l'on désigne comme un trafic de messages , soit un genre de télétype ou de système télex utilisé par les militaires. Ces messages peuvent être ou non classifiés et lorsqu'ils le sont, il existe une certaine hiérarchie suivant le degré du caractère secret de chaque message. Tous les messages reçus sont triés au DCD. On leur attribue un numéro en jargon militaire à des fins d'identification, une copie du message est conservée en dossier au DCD et l'original est acheminé au destinataire par l'entremise d'un système de courrier interne. Comme dans toute organisation, la plupart de ces envois revêtent un caractère anodin, mais il arrive qu'il s'y trouve des messages très importants ou urgents exigeant des mesures immédiates. Les messages se répartissent en quatre catégories suivant leur degré de priorité : flash, immédiat, prioritaire et courant. Un message flash exige une intervention immédiate et doit être livré en mains propres à son destinataire. Un message immédiat doit être livré dans l'heure, un message prioritaire dans les quatre heures et un message courant dans les 24 heures.

En tant que dépositaire des copies de tous les messages acheminés à la Base, le DCD doit être en mesure de répondre aux demandes de renseignements concernant les messages précédemment reçus. Ces demandes peuvent être présentées directement au comptoir du DCD ou par téléphone. Le DCD reçoit aussi à l'occasion des appels du centre des messages afin d'informer les préposés qu'un message flash, immédiat ou prioritaire a été reçu et que quelqu'un du DCD doit en prendre livraison et s'en occuper immédiatement. Selon la preuve entendue, il semble qu'il y ait en moyenne entre dix et quinze appels téléphoniques de ce genre par jour au DCD. Aucun des éléments de preuve produits n'a permis d'établir combien de ces appels ont en moyenne un but autre qu'obtenir des renseignements courants.

En contre-interrogatoire, Mme Thorne a décrit la tâche consistant à répondre au téléphone comme un élément crucial du travail au DCD. Elle a affirmé qu'elle passait prendre les messages courants au centre des messages deux fois par jour, mais que

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lorsqu'un message prioritaire était reçu, le centre des messages appelait et quelqu'un du DCD devait s'y rendre immédiatement afin de prendre le message et s'en occuper en fonction du code de priorité qui lui avait été attribué. En réponse à une question d'un membre du Tribunal concernant l'importance relative des tâches téléphoniques, Mme Thorne a répondu ce qui suit :

Cette tâche est très importante. Une des fonctions cruciales du DCD consiste à réacheminer les messages.

Dans tout le DCD, on comptait deux lignes téléphoniques : la ligne du superviseur et une ligne réservée aux demandes de renseignements généraux. Lorsqu'on lui a demandé en contre- interrogatoire quel téléphone sonnait lorsque le général Ashley appelait , Mme O'Connell a répondu ce qui suit :

Il y avait deux lignes téléphoniques au DCD, c'était donc l'une des deux. En effet, il fallait toujours garder une ligne libre pour le centre des messages.

Aucun autre témoignage n'a permis de savoir avec plus de précision comment le lien avec le centre des messages était maintenu et aucun autre détail n'a été donné sur la nature cruciale du téléphone dans le travail au DCD, ni par ce témoin ni par d'autres connaissant bien le mode de fonctionnement du DCD. La partie du témoignage du capitaine Quick sur le mode de fonctionnement du DCD semble pourtant contredire la description qui précède. Quoi qu'il en soit, d'après la preuve entendue, il est impossible d'établir si les appels urgents provenant du centre des messages étaient normalement acheminés par la ligne du superviseur ou par la ligne générale.

Aucun des témoins n'a voulu se prononcer quant aux dimensions exactes du bureau. Toutefois, il se dégage de leurs descriptions que ce bureau était d'environ 20 pieds sur 30 pieds. Il semble que l'effectif normal se composait de cinq employés, mais qu'il fluctuait entre trois employés et six employés compte tenu des périodes. Outre les personnes qui se rendaient au DCD pour présenter des demandes de renseignements, un certain nombre d'autres clients venaient régulièrement dans ce bureau pour y prendre ou y porter du courrier et des messages.

Mme Koeppel a témoigné que pendant la période de son affectation initiale au DCD de la Base, il y avait deux téléphones dans la pièce : un sur son bureau et un autre sur le bureau de la superviseure. Mme O'Connell pensait qu'il y avait un deuxième téléphone branché à la ligne des renseignements généraux sur le pupitre du commis postal militaire. La configuration des lieux a été modifiée avant que Mme Koeppel y soit réaffectée. Le caporal Leblanc a indiqué dans son témoignage qu'il y avait deux téléphones au DCD. Le téléphone de la superviseure se trouvait

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sur le pupitre de Mme Moore et un deuxième téléphone branché sur la ligne des renseignements généraux se trouvait sur le coin du pupitre de Mme Koeppel à l'endroit où ce pupitre rejoignait celui de Mme DuBois. Le caporal a indiqué qu'on ne pouvait le placer ailleurs compte tenu de la longueur du cordon de rallonge. Mme DuBois a souscrit à cette description précisant la position des téléphones dans le bureau. Mme DuBois et le caporal Leblanc ont également indiqué dans leurs témoignages respectifs qu'il y avait dans le bureau un petit poste radio, dont Mme DuBois affirme qu'il se trouvait sur la table à côté de son pupitre et qu'il fonctionnait à bas volume.

Selon les témoins de l'intimé, le mode de fonctionnement du bureau était axé sur un concept de travail d'équipe. Chaque personne devait s'acquitter d'un travail particulier qui relevait de sa responsabilité personnelle, mais tous les employés mettaient l'épaule à la roue et aidaient les autres lorsque leur travail était effectué. Lorsqu'un client se présentait au comptoir, la première personne disponible lui répondait et si le téléphone sonnait, il appartenait à la personne se trouvant le plus près du téléphone de répondre.

Rien n'indique qu'il était d'une importance cruciale de répondre promptement aux demandes de renseignements courantes au téléphone et au comptoir, même s'il ne fait aucun doute qu'il s'agissait d'une fonction du DCD et qu'on s'attendait à ce que ce travail soit effectué.

Comme nous l'avons fait remarquer précédemment, l'importance que le capitaine Quick accorde au DCD et aux appels téléphoniques qui y sont dirigés semble contredire la perception des autres témoins. En contre-interrogatoire, il a mentionné que les heures d'ouverture du DCD étaient de 7 h 30 à 16 h 00 et qu'une pause était prévue pour le repas du midi entre 12 h 00 et 13 h 00. Pendant cette pause, il a affirmé croire que l'on verrouillait la pièce si tous les employés étaient sortis, mais que si quelqu'un demeurait sur place pour prendre son repas, cette personne pouvait à son choix répondre aux appels ou tout simplement fermer la porte. Il a notamment déclaré :

Ainsi, si le DCD est fermé ce jour-là, il est fermé. Si quelqu'un se trouve à l'intérieur et qu'il ne voit pas de problème à répondre à une demande de renseignements ou au téléphone, il peut le faire. Cela relève plus, pour autant que je sois concerné, d'un choix personnel.

Toutefois, il est clair que le capitaine Quick ne connaît pas de manière intime le fonctionnement de toutes les unités placées sous son commandement. Il ne s'occupe pas, pour reprendre ses propres termes, des broutilles . Par ailleurs, aucun autre témoin n'a formulé de témoignages contraires quant aux heures

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d'ouverture du DCD et aucun témoignage n'a été entendu afin d'établir exactement ce qui arrivait aux messages ou aux demandes de renseignements lorsque le DCD n'était pas ouvert.

Preuve médicale et psychologique

Outre sa déficience auditive, Mme Koeppel souffrait d'un certain nombre de problèmes de santé. Elle a décrit certains de ses problèmes dans l'échange qui suit entre elle et sa procureure :

Q. Maintenant Monica, vous avez éprouvé d'autres problèmes de santé? Pourriez-vous nous indiquer quelques-uns des problèmes que vous avez éprouvés ?

R. Oui, j'ai eu d'autres problèmes. J'ai souffert d'asthme pendant de nombreuses années quand j'étais adolescente. J'ai aussi souffert d'allergies à la poussière, aux moisissures, aux chats et à d'autres choses comme cela. Je souffre aussi de maux de tête depuis l'âge de 14 ans. Ces maux de tête sont causés par le stress vécu à la maison, mes parents éprouvant des problèmes matrimoniaux, et par mes efforts pour gérer ce stress...

Q. Et aujourd'hui, le stress a-t-il encore des répercussions sur vos maux de tête ?

R. De nombreuses manières différentes. Par exemple, je m'en fais beaucoup à cause de mes problèmes de communication. Je ne sais jamais ce qui se passe véritablement. Je ne sais pas ce qui se passe autour de moi. Cela est très effrayant et cela me rend nerveuse. Naturellement, j'ai tendance à devenir paranoïaque et à croire que les personnes parlent de moi dans mon dos. Parce qu'elles ne me parlent pas, je deviens nerveuse et je commence à me poser des questions.

Le Dr Carl Epp a été appelé à la barre en sa qualité de médecin de famille traitant et non en qualité d'expert. Il a d'abord traité Mme Koeppel en 1987 et 1988 et de nouveau après son retour à Winnipeg en 1991. Les migraines de Mme Koeppel qui, selon le témoignage du Dr Epp étaient plutôt fréquentes, constituaient son principal problème de santé de même que ses allergies et son asthme. Il estimait que le principal facteur déclencheur des migraines était le stress. Le stress constituait également un facteur déclencheur de crises d'asthme chez Mme Koeppel. Il est arrivé à de nombreuses reprises que Mme Koeppel le consulte simultanément pour ces deux problèmes.

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Le Dr Epp avait recommandé Mme Koeppel à un neurologue, le Dr Anthony Auty, en janvier 1992 et ce dernier avait souscrit aux conclusions du Dr Epp que les maux de tête de Mme Koeppel étaient en fait des migraines.

Une note du Dr Epp rédigée le 7 janvier 1993 se lisait comme suit la patiente est déprimée à cause des tensions vécues à son travail . Il a témoigné n'avoir jamais observé de dépression chez Mme Koeppel auparavant et affirmé qu'il s'agissait probablement de la première fois qu'elle souffrait clairement de dépression. Cependant, dans un autre document, le Dr Epp a écrit que les symptômes de stress, d'angoisse et de dépression sont apparus pour la première fois en juillet 1992. Dans cette déclaration, il signalait que cet état avait des causes professionnelles. En contre-interrogatoire, le Dr Epp a reconnu qu'en évaluant les causes du stress de Mme Koeppel, il ne pouvait faire autrement que de se fier qu'à ce qu'elle lui disait et qu'il n'avait procédé à aucune investigation indépendante.

Outre ses autres problèmes, en novembre 1992, Mme Koeppel a été alarmée par une possibilité de cancer du sein. Elle a dû cesser de travailler pendant deux semaines en janvier 1993 afin de subir une chirurgie exploratoire dans la poitrine. Le Dr Epp a témoigné qu'il s'agissait d'une absence plus longue que d'habitude pour ce genre de procédure et que cette absence avait été autorisée afin de l'aider à se remettre compte tenu de ses conditions de travail stressantes. Ce témoignage était plutôt confus puisqu'il semble que la biopsie n'a pas été effectuée avant le mois de mars suivant. Toutefois, il se dégage clairement des propos du Dr Epp et de Mme Koeppel, que cette dernière était soucieuse pendant la période en cause parce que tant que la chirurgie ne serait pas effectuée, elle ne saurait pas si la tumeur était bénigne ou maligne.

En mars 1993, le Dr Epp a discuté avec Mme Koeppel du congé qui lui était proposé. Il a d'abord pensé qu'un congé plus court pouvait suffire, mais il a témoigné que Mme Koeppel lui avait indiqué qu'elle estimait qu'une absence d'un an lui permettrait de se remettre sur ses rails et le médecin a donc avalisé sa décision.

En contre-interrogatoire, le Dr Epp a été renvoyé à un point figurant sur le rapport d'incident prolongé de Mme Koeppel daté du 4 janvier 1993 où celle-ci avait écrit : Lorsque j'arrive à la maison, la première chose que je fais est de me verser un verre pour oublier un peu mes soucis de la journée. Ce n'est pas une bonne idée toutefois. Le Dr Epp a affirmé qu'il n'avait jamais constaté quelque problème de consommation d'alcool chez Mme Koeppel et a mentionné n'en avoir jamais discuté avec elle. Mme Koeppel n'a pas été contre-interrogée à ce sujet et ni le Dr Epp, ni aucun autre expert médical n'a été interrogé sur l'effet

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que cette situation, le cas échéant, aurait pu avoir sur sa dépression.

Ivan Rutner a témoigné à la fois comme psychologue traitant de Mme Koeppel et en sa qualité d'expert des troubles liés au stress. M. Rutner n'est pas docteur en médecine, mais il est titulaire d'un Ph.D. Il a commencé à voir Mme Koeppel en mai 1993. Dans son témoignage, il a indiqué qu'elle semblait alors extrêmement déprimée et, à son avis, souffrait d'une dépression clinique majeure. Il a notamment affirmé ce qui suit :

Elle était envahie par l'angoisse, affichant presque tous les signes cliniques qui amènent à un diagnostic de dépression majeure : incapacité de se concentrer et de fixer ses pensées sur un objet, problème d'insomnie, crise de larmes et tristesse, perte d'appétit, problème que les psychologues appellent retard psychomoteur et qui se manifeste notamment par des déplacements très lents, et par une difficulté à s'occuper des menues choses de la vie quotidienne.

Le Dr Rutner a expliqué que les troubles liés au stress se manifestent par des problèmes psychologiques et physiques qui ne s'expliquent par aucune cause organique. Une personne soumise à un stress important à un moment ou à un autre de sa vie peut notamment développer certains problèmes, comme des migraines.

Le Dr Rutner en est venu à la conclusion que la dépression de Mme Koeppel découlait de la situation qu'elle vivait au MDN et de son sentiment de se trouver sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit dans une position où l'échec était inéluctable, d'être traitée injustement et d'être à tort accusée de feindre sa surdité. On a demandé au Dr Rutner comment il pouvait établir que ces causes étaient véritables et qu'elles n'étaient pas simplement des prétextes que Mme Koeppel invoquait pour masquer d'autres causes à ses problèmes. Il n'a pas répondu directement à la question. Il a déclaré en partie ce qui suit :

... Et, comme je l'ai dit, il est pratiquement impossible, sinon fonctionnellement impossible, de consulter un thérapeute dûment formé pendant plus d'un an presque toutes les semaines et de feindre pendant toute cette période une dépression profonde.

Cette réponse ne tenait pas compte de la possibilité que la dépression ait eu d'autres causes.

Malgré une objection soulevée affirmant que le Dr Rutner ne possédait pas la compétence requise pour témoigner en qualité d'expert sur cette question, le Dr Rutner a formulé un

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commentaire intéressant lorsqu'on lui a demandé si, en général, il estimait que les personnes souffrant d'un handicap physique étaient hypersensibles. Il a fait remarquer que les personnes sourdes éprouvaient de grandes difficultés à fonctionner en société, particulièrement à l'intérieur de groupes restreints. Une personne comme Mme Koeppel, qui est sourde de naissance, mais qui a développé la capacité de bien communiquer verbalement, est souvent marginalisée et n'est jamais acceptée totalement par les gens entendant parce que les attentes de ces gens sur ce que cette personne est en mesure de faire ou de ne pas faire sont habituellement faussées. Il a souligné que les personnes sourdes ne réagissent pas aux stimulations socio-verbales et ne sont pas particulièrement habiles à déchiffrer les subtilités de la communication interpersonnelle et la dynamique derrière ces communications. Parce qu'elles ne sont pas en mesure de saisir ces signaux, les personnes sourdes sont parfois considérées comme abruptes. Il a de plus indiqué que les personnes sourdes sont souvent exclues des conversations entre personnes entendantes et que si elles souffrent le moindrement d'insécurité, elles peuvent avoir le sentiment qu'on parle d'elles dans leur dos ou qu'on rit d'elles, compte tenu qu'elles ne peuvent entendre les conversations en cours. Quelle que soit la validité de ces observations dans un contexte plus large, elles sont néanmoins conformes aux déclarations de Mme Koeppel et aux descriptions données par les autres témoins.

Lorsqu'on l'a interrogé précisément sur l'effet que les tâches de Mme Koeppel consistant à répondre au téléphone pouvaient avoir sur elle, le Dr Rutner a répondu ce qui suit :

Et bien, je considère qu'il s'agit là d'un cas d'environnement de travail hostile où elle se sentait exclue et piégée et où elle ne pouvait qu'échouer.

...

On l'a de nouveau placée dans une situation où il lui était impossible de se sentir compétente et autonome, où elle ne pouvait fonctionner de manière indépendante. Il lui était impossible d'y arriver. Elle savait qu'elle ne pouvait le faire, les personnes autour d'elle savaient qu'elle ne pourrait y arriver et lorsqu'elle leur a souligné cette chose, elle a été accusée de feindre, pour une raison ou pour une autre. Et il lui a été impossible de leur faire comprendre.

...

Cette attitude est révélatrice de la nature du milieu au sein duquel elle devait travailler chaque jour. De son point de vue, on lui confiait jour

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après jour une tâche impossible à assumer ce qui, au bout du compte, a introduit chez elle un sentiment d'inutilité, de dévalorisation. Elle a éprouvé le sentiment qu'on tentait de se débarrasser d'elle parce qu'elle était défectueuse .

Dans les propos du témoin, il convient de signaler les mots de son point de vue . Le Dr Rutner a franchement admis en contre- interrogatoire que ses conclusions étaient fondées uniquement sur les propos que lui avait tenus Mme Koeppel. Il a poursuivi son témoignage de la manière suivante :

Tout ce que je sais sur cette affaire est nécessairement fondé sur ce que Mme Koeppel m'en a dit, et aussi sur ce que j'ai observé pendant les traitements et pendant les entrevues cliniques que j'ai eues avec elle. Je n'ai pu vérifier de manière indépendante et impartiale quel était le climat dans son milieu de travail ni ce qui s'y produisait.

Outre une consultation en décembre 1995, le traitement de Mme Koeppel par le Dr Rutner a pris fin en août 1995 lorsqu'elle a quitté Winnipeg pour fréquenter l'Université Gallaudet. Le psychologue était d'avis que la plaignante avait encore besoin de traitements et il espérait qu'elle pourrait obtenir de l'aide à l'université. Le procureur de la Commission lui a posé la question suivante :

Q. Avez-vous eu quelque chose à voir dans sa décision de fréquenter l'Université Gallaudet ?

R. Oui. C'est là l'objectif que nous avons saisi. Cet objectif était la lumière au bout de son tunnel. Sa vie à Winnipeg et sa carrière au sein du ministère de la Défense nationale constituaient autant de sources de douleur pour elle. Nous avons étudié ensemble toutes les manières possibles de tenter de refaire sa vie, de la recentrer sur autre chose et c'est sur l'Université Gallaudet que nous nous sommes efforcés de nous concentrer.

Preuve audiologique

Ian Gillespie possédait toutes les compétences pour témoigner en qualité d'expert en audiologie. Il a livré un témoignage détaillé sur la nature et l'étendue de la déficience auditive de Mme Koeppel. M. Gillespie a procédé à une évaluation audiologique de Mme Koeppel en février et en mars 1993. Le but de cette évaluation à ce moment consistait à fournir les renseignements

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audiométriques que l'Université Gallaudet exigeait au sujet de Mme Koeppel afin d'étudier sa demande d'admission.

Il a expliqué qu'une prothèse auditive n'est, à toutes fins utiles, qu'un appareil qui amplifie les sons. Certains de ces appareils sont aussi capables de moduler le son de manière qu'il n'y ait pas suramplification dans certaines zones du spectre sonore. L'appareil porté par Mme Koeppel ne comportait aucun mécanisme de réglage électroacoustique qui permettait d'améliorer la qualité du son dans son oreille. Elle portait une prothèse auditive Starkey qui s'adaptait directement dans son oreille. Le son émis par ce genre de prothèse est préréglé en usine et il n'existe aucune manière de le régler ensuite. L'appareil n'était doté que d'un mécanisme de réglage du volume.

M. Gillespie a expliqué que les dispositifs d'amplification que l'on peut installer dans le combiné d'un appareil téléphonique ne servent aussi qu'à régler le volume. Le but de ce mécanisme de réglage consiste à relever ou à abaisser le signal à un niveau confortable pour l'auditeur qui est alors en mesure de comprendre les paroles qui sont prononcées. Chez une personne portant une prothèse auditive (comme Mme Koeppel), ce genre d'appareil peut causer des problèmes de retour de son . Il a poursuivi en indiquant que ce genre de problème peut être particulièrement inconfortable pour la personne qui l'entend et selon le niveau de pression dans le conduit auditif externe, un tel son peut même être douloureux. Il n'a donné aucune indication que ce genre de dispositif aurait pu être de quelque aide que ce soit pour Mme Koeppel et l'utilité de ce dispositif semble douteuse dans son cas, puisque sa prothèse auditive comportait déjà un mécanisme de réglage du volume.

La recommandation de M. Gillespie, au moment de l'évaluation en 1993, était que Mme Koeppel envisage une période d'essai avec un nouveau mécanisme d'amplification qui exigeait qu'elle porte une prothèse auditive dans chaque oreille. Il a également discuté avec la plaignante de la possibilité de se procurer une prothèse auditive numérique programmable dotée d'un phonocapteur qui lui aurait permis d'interrompre temporairement le fonctionnement d'une ou des deux prothèses auditives, ce qui lui aurait facilité l'utilisation du téléphone. Ce genre d'appareil coûterait entre 2 000 $ et 2 300 $.

En réponse à une question d'un membre du Tribunal, M. Gillespie a indiqué qu'un dispositif à phonocapteur agit comme un aimant qui absorberait l'énergie électromagnétique dégagée par un téléphone, par exemple, et la convertirait en un signal que l'utilisateur peut entendre. Il a indiqué que ce genre d'appareil est recommandé lorsque le patient a besoin d'utiliser le téléphone dans son travail, mais qu'il doit être commandé spécialement. Si le phonocapteur est installé au moment où l'on commande une prothèse auditive, le fabricant exige environ 50 $ à 55 $ de

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plus. Le coût est considérablement plus élevé si l'on doit installer le phonocapteur dans une prothèse auditive existante.

ANALYSE

Toutes les plaintes doivent être examinées en tenant compte de l'article 2 de la LCDP, qui énonce le but de la Loi. La présente plainte est notamment fondée sur l'article 7 de la LCDP qui stipule ce qui suit :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d'emploi.

La déficience est un motif illicite de discrimination. La déficience mentionnée expressément dans la plainte est une déficience auditive. Il est allégué que la plaignante a été défavorisée en cours d'emploi et finalement licenciée de manière indirecte par l'intimé à cause de sa déficience.

Norme et fardeau de la preuve

Il incombe à la plaignante d'établir une preuve suffisante de discrimination jusqu'à preuve du contraire. Si elle y parvient, dans un cas de discrimination directe, le fardeau de la preuve incombe alors à l'intimé qui doit justifier la discrimination suivant la prépondérance des probabilités. Dans les cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable, lorsque la preuve suffisante de discrimination jusqu'à preuve du contraire a été établie, le fardeau incombe à l'intimé de démontrer, encore une fois suivant la prépondérance des probabilités, qu'elle a pris des mesures raisonnables pour accommoder l'employé. (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 S.C.R. 202 à la page 208, et Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Limitée, [1985] 2 S.C.R. 536 aux pages 558 et 559)

Une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire en est une qui porte sur les allégations qui ont été formulées et qui, si on lui prête foi, est complète et suffisante pour justifier une décision favorable à la plaignante, en l'absence de réplique de l'intimé (O'Malley, à la page 558).

Discrimination

Il est bien établi qu'il n'est pas nécessaire que des considérations discriminatoires constituent le seul motif des

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gestes posés pour qu'une plainte soit accueillie favorablement. Il suffit que la discrimination soit en partie à la base de la décision de l'employeur (Foster Wheeler Ltd c. Commission ontarienne des droits de la personne, (1987), 8 C.H.R.R. D/4179 à la page D/4179 et Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1990), 14 C.H.R.R. D/12 à la page D/15).

Nature de la discrimination

Lorsqu'un cas de discrimination est allégué, il faut d'abord évaluer s'il est question de discrimination directe ou indirecte parce que, compte tenu de l'état actuel du droit, selon le résultat de cette analyse, les conséquences peuvent être différentes.

Les critères reconnus de distinction entre la discrimination directe et la discrimination par suite d'un effet préjudiciable ont été énoncés par le juge McIntyre dans l'affaire O'Malley à la page 551 :

On doit faire la distinction entre ce que je qualifierais de discrimination directe et ce qu'on a déjà désigné comme le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable en matière d'emploi. A cet égard, il y a discrimination directe lorsqu'un employeur adopte une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé. Par exemple, Ici, on n'embauche aucun catholique, aucune femme ni aucun Noir . En l'espèce, il est évident que personne ne conteste que la discrimination directe de cette nature contrevient à la Loi. D'autre part, il y a le concept de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Ce genre de discrimination se produit lorsqu'un employeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue, et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peines ou des conditions restrictives non imposées aux autres employés. (...) Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires, également applicable à tous ceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personne ou un groupe de personnes d'une manière différente par rapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer. [C'est nous qui soulignons.]

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Ce principe a été cité par la Cour suprême du Canada qui a confirmé sa justesse dans l'arrêt Alberta Human Rights Commission c. Central Alberta Dairy Pool et al, [1990] 2 S.C.R. 489.

Dans l'arrêt Alberta Dairy Pool, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada a formulé les observations suivantes en ce qui concerne la défense fondée sur une exigence professionnelle normale ( EPN ) ou sur une compétence normale ( CN ) :

Lorsque, à première vue, une règle établit une distinction fondée sur un motif de discrimination prohibé, sa justification devra reposer sur la validité de son application à tous les membres du groupe touché. En vertu du critère du motif justifiable, il ne peut en effet y avoir d'obligation d'accommodement à l'égard des membres individuels du groupe puisque, comme l'a fait observer le juge McIntyre, cela saperait le fondement même de ce moyen de défense. Ou bien on peut validement établir une règle qui généralise à l'égard des membres d'un groupe ou bien on ne le peut pas. Par leur nature même, les règles qui constituent une discrimination directe imposent un fardeau à tous ceux qui y sont assujettis. Si tant est qu'elles puissent être justifiées, c'est dans leur application générale qu'elles doivent l'être. Voilà pourquoi la règle doit être annulée si l'employeur ne réussit pas à démontrer qu'il s'agit d'une EPN. (à la page 514)

La Cour poursuit :

(...) portant que l'employeur n'a pas l'obligation d'accommodement quand est démontrée l'existence d'une EPN. Il en est ainsi parce que l'EPN a comme caractéristique essentielle d'être déterminée par rapport à l'exigence professionnelle et non par rapport aux caractéristiques d'un individu. Il n'y a donc pas de place à l'accommodement : la règle demeure ou tombe en entier. (à la page 516)

En ce qui concerne l'obligation d'accommodement, le juge McIntyre a aussi statué dans l'arrêt O'Malley :

Lorsque l'existence de discrimination par suite d'un effet préjudiciable (...) est démontrée et que la règle incriminée est raisonnablement liée à l'exercice des fonctions (...), l'employeur est tenu non pas de la justifier, mais plutôt de démontrer qu'il a pris, en vue de s'entendre avec l'employé, les mesures raisonnables qu'il lui

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était possible de prendre sans subir une contrainte excessive. Il me semble évident que, dans ce type d'affaire, le fardeau de la preuve doit encore incomber à l'employeur puisque c'est lui qui dispose de l'information nécessaire pour démontrer l'existence d'une contrainte excessive et que l'employé est rarement, sinon jamais, en mesure d'en démontrer l'absence. (aux pages 558 et 559)

Cette affaire a établi que, en vertu du Code des droits de la personne de l'Ontario, il y a une obligation d'accommoder jusqu'au point de contrainte excessive malgré l'absence d'une base juridique expresse pour une telle proposition dans le Code. Dans l'affaire Bhinder c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada [1985] 2 S.C.R. 561, la Cour suprême a repris le raisonnement formulé dans l'affaire O'Malley en ce qui concerne l'obligation d'accommodement jusqu'au point de contrainte excessive dans une affaire jugée en vertu de la LCDP.

Les observations qui précèdent de l'arrêt O'Malley ont été reprises par la juge Wilson dans l'arrêt Alberta Dairy Pool dans lequel elle a également énoncé ce qui suit en ce qui concerne le point de contrainte excessive :

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de définir de façon exhaustive ce qu'il faut entendre par contrainte excessive mais j'estime qu'il peut être utile d'énumérer certains facteurs permettant de l'apprécier. J'adopte d'abord à cette fin les facteurs identifiés par la commission d'enquête en l'espèce- le coût financier, l'atteinte à la convention collective, le moral du personnel et l'interchangeabilité des effectifs et des installations. L'importance de l'exploitation de l'employeur peut jouer sur l'évaluation de ce qui représente un coût excessif ou sur la facilité avec laquelle les effectifs et les installations peuvent s'adapter aux circonstances. Lorsque la sécurité est en jeu, l'ampleur du risque et l'identité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents. Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats qu'on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l'employé de ne pas faire l'objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas. (aux pages 520 et 521)

On traite plus en détail de l'obligation d'accommodement et de la contrainte excessive dans l'arrêt Renaud c. Board of Education of Central Okanagan no 23 et C.U.P.E. [1992] 2 S.C.R. 970 où le juge Sopinka a énoncé ce qui suit :

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L'obligation qui incombe à l'employeur de composer avec les croyances et pratiques religieuses des employés exige qu'il prenne des mesures raisonnables sans s'imposer de contrainte excessive. Dans l'arrêt O'Malley, le juge MacIntyre a expliqué que les termes à moins que cela ne cause une contrainte excessive impliquent une restriction de l'obligation de l'employeur de sorte qu'il n'est pas nécessaire de prendre des mesures qui causent une ingérence indue dans les affaires de l'employeur ou qui occasionnent une dépense excessive.

Concernant l'obligation du plaignant, le juge Sopinka a aussi statué comme suit : Cela ne signifie pas qu'en plus de porter à l'attention de l'employeur les faits relatifs à la discrimination, le plaignant est tenu de proposer une solution. Bien que le plaignant puisse être en mesure de faire des suggestions, l'employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s'ingérer indûment dans l'exploitation de son entreprise. Lorsque l'employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en oeuvre, remplirait l'obligation d'accommodement, le plaignant est tenu d'en faciliter la mise en oeuvre. (à la page 994)

La seule affaire qui nous a été citée concernant un acte discriminatoire en cours d'emploi fondé sur une déficience est l'affaire Belliveau v. Steel Co.of Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/520, une décision d'une commission d'enquête ontarienne. Au sujet du Code des droits de la personne de l'Ontario, M. Cumming (maintenant le juge Cumming) a énoncé ce qui suit :

[TRADUCTION]

La structure du Code impose à l'employeur le fardeau de démontrer que la personne handicapée est incapable de s'acquitter des fonctions essentielles de son poste et, du même coup, de démontrer qu'il est incapable de prendre des mesures d'action positive afin d'accommoder dans la mesure du raisonnable la déficience de la personne en cause (...) Il ne fait aucun doute dans mon esprit que si le législateur a adopté cette approche, c'est parce que de nombreux employeurs entretiennent des préjugés négatifs sur la capacité réelle des personnes handicapées et

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que l'employeur est celui qui est le mieux placé pour démontrer quelles sont les fonctions essentielles du poste et quelles sont les possibilités d'accommodement raisonnables. (à la page D/5251)

Application du droit aux faits

Les parties sont en profond désaccord sur la nature des pratiques de travail ou des règles de travail auxquelles était assujettie Mme Koeppel dans cette affaire. L'exigence en cause est celle énoncée dans la Fiche d'analyse de poste ou description de tâches d'un CR-02 à la rubrique autres tâches connexes où il est stipulé en répondant, au téléphone et au comptoir, aux personnes qui présentent des demandes de dossier et des demandes de renseignements courantes . Comme nous l'avons mentionné précédemment, il s'agit uniquement de l'une des sept tâches à figurer sous cette rubrique. Or, collectivement ces tâches sont réputées constituer 15% de l'ensemble de la charge de travail du poste.

La Commission et la plaignante affirment qu'il s'agit, à première vue, d'une règle de travail neutre qui a un effet discriminatoire sur la plaignante à cause de sa déficience. L'intimé soutient qu'il ne s'agit pas d'une règle neutre parce que, de manière implicite, l'obligation faite au titulaire du poste de répondre au téléphone est directement discriminatoire à l'endroit de toutes les personnes souffrant d'une déficience auditive aussi grave que celle de Mme Koeppel. Le procureur de l'intimé a reformulé la règle de travail comme suit : quiconque travaillant au DCD de la BFC Winnipeg doit posséder une audition suffisante pour répondre au téléphone .

Il semble se dégager de manière suffisamment claire des arrêts O'Malley et Alberta Dairy Pool rendus par la Cour suprême du Canada que la règle doit être discriminatoire à première vue afin d'être considérée comme de la discrimination directe. On s'attendrait donc à ce qu'une règle directement discriminatoire soit formulée dans un libellé qui exclut ouvertement les personnes du groupe concerné d'occuper un poste particulier ou d'assumer certaines responsabilités. Si nous acceptons l'interprétation plutôt tortueuse que nous exhorte à adopter le procureur de l'intimé, il est difficile de voir comment une règle ayant un effet discriminatoire pour un employé souffrant d'une déficience pourrait être caractérisée comme de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. On enlèverait ainsi tout sens et toute signification à la distinction qui existe entre la discrimination directe et la discrimination indirecte à l'endroit des personnes déficientes.

Il convient également de signaler qu'il n'est pas ici question d'une règle de travail de la nature de celles dont il était

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question dans les arrêts O'Malley, Bhinder, et Alberta Dairy Pool ni d'une règle semblable à celles dont il est question dans différents autres textes faisant autorité. Il est ici question en effet de la capacité de la plaignante de s'acquitter de l'une des fonctions du poste énoncée dans la description de travail. Il convient donc de se pencher sur le caractère essentiel de cette fonction.

Rôle de la discrimination

L'intimé a adopté la position selon laquelle les gestes posés par les différents représentants de l'employeur dans cette affaire ne dénotaient aucune pratique discriminatoire. Le procureur a fait valoir qu'il s'agissait strictement d'un problème de relations industrielles continu et que l'employeur cherchait simplement à composer avec l'incapacité de Mme Koeppel de s'entendre avec ses collègues et avec ses supérieurs. On a avancé que c'est la personnalité de Mme Koeppel qui l'avait empêchée de s'acquitter de ses fonctions de manière satisfaisante et non sa déficience auditive. Le procureur a fait valoir que les problèmes de relations interpersonnelles de la plaignante ont perduré pendant toute sa carrière au sein de la fonction publique et qu'ils n'ont donc pas été générés par le traitement dont elle aurait fait l'objet au MDN.

Pour déterminer si une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire a été établie, seule la période au cours de laquelle Mme Koeppel était au service du MDN nous intéresse. Nous devons nous intéresser plus particulièrement aux deux périodes au cours desquelles la plaignante a travaillé au DCD de la Base et, plus précisément, à la période de juillet 1992 à février 1993.

Il ne fait pratiquement aucun doute que Mme Koeppel est une personne avec qui il n'est pas toujours facile de travailler et qu'elle n'est pas non plus une employée facile à superviser. Les témoignages de ses collègues et de ses superviseurs ont été éloquents en ce qui concerne l'instabilité de son humeur et son manque d'affabilité. Elle réagissait mal à la pression en milieu de travail. Elle s'absentait souvent, au point où elle devait utiliser ses vacances ou prendre des congés non payés, pour cause de manque de crédits de congé de maladie. En contrepartie, on a entendu des témoignages indiquant qu'elle souffrait d'asthme, d'allergies et de migraines. En outre, on a entendu des témoignages confirmant que ces symptômes étaient amplifiés par le stress en milieu de travail, d'où un cercle vicieux. Les ennuis de santé de Mme Koeppel influaient sur son comportement, qui influait négativement sur son absentéisme. Compte tenu qu'elle s'absentait souvent, elle accumulait du retard dans son travail, ce qui ajoutait à son stress et contribuait à la détérioration de son état de santé.

Dans son témoignage, Mme Koeppel a affirmé qu'elle croyait que les personnes dont elle ne pouvait entendre les conversations

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parlaient d'elle et elle a même utilisé le mot paranoïaque afin de décrire sa réaction. Il ne fait aucun doute qu'elle s'était personnellement imposé une norme très élevée dans l'accomplissement de son travail et qu'elle s'est toujours efforcée de ne pas se laisser bloquer par sa déficience, d'où le stress dont elle souffrait. On a entendu des témoignages laissant entendre qu'une partie de son stress n'était pas liée à son travail et que Mme Koeppel éprouvait aussi des problèmes de santé et des problèmes personnels ainsi que des difficultés familiales.

Le fait que Mme Koeppel ait été confrontée à des difficultés dans les autres postes auxquels elle avait été temporairement affectée au MDN et où, dans une large mesure, elle n'avait pas à répondre au téléphone confirme dans une certaine mesure la position de l'intimé que les problèmes éprouvés par Mme Koeppel débordaient la simple question de sa déficience auditive. Ses problèmes médicaux, son absentéisme, ses problèmes de relations interpersonnelles et une attitude perçue comme récalcitrante se sont poursuivis pendant ces périodes. Toutefois, la courte durée des périodes en cause et la nature temporaire de ces affectations leur enlèvent toute fiabilité et elles ne peuvent donc servir d'indication à proprement parler. Il est toutefois révélateur que ce soit après son affectation au DCD du SCME Maint, où il lui fallait parfois répondre au téléphone et où le refus de Mme Koeppel a de nouveau posé un problème, qu'elle a été a réintégré à son poste d'attache au DCD de la Base.

Il se peut que certains des problèmes vécus aux autres postes soient attribuables à la manière insatisfaisante dont le MDN s'était initialement occupé des problèmes de Mme Koeppel au DCD de la Base. Il serait mal avisé de juger cette affaire en se fondant uniquement sur les problèmes de Mme Koeppel à partir du moment où la situation s'est envenimée. Arrive en effet un moment où il devient impossible d'évaluer les degrés relatifs de blâme qu'il faut imputer à l'une et à l'autre partie. En ce qui concerne le travail de Mme Koeppel au DCD de la Base, il est crucial d'établir si les tâches consistant à répondre au téléphone constituaient un élément nécessaire à l'accomplissement de sa tâche. Cette question n'a jamais été abordée de manière satisfaisante par le MDN.

Par ailleurs, il suffit à la plaignante de démontrer que sa déficience était à la base des mesures prises par l'employeur. Au cours des deux périodes où elle a travaillé au DCD de la Base, son refus de répondre au téléphone ou de s'occuper des demandes de renseignements au comptoir a été perçu par la direction comme un problème et, au cours de la dernière période, on a davantage insisté pour que la plaignante assume ses fonctions consistant à répondre au téléphone. Par conséquent, il nous faut conclure que la plaignante a bien démontré l'existence d'un lien entre sa déficience et les diverses mesures prises par

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l'employeur. Nous en venons à la conclusion que la plaignante a fait une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire.

Nature et portée de la déficience

Le mot déficience est défini comme suit à l'article 25 de la LCDP :

«déficience» Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

La plainte ici en cause est fondée sur une déficience et cette déficience est décrite plus précisément dans la plainte comme étant une déficience auditive . Les détails de la plainte indiquent que Mme Koeppel souffre d'un perte d'audition dans les deux oreilles dont la gravité est telle [qu'elle] éprouve de la difficulté à communiquer efficacement par téléphone... . Ce fait est confirmé par le témoignage de l'audiologiste, M. Gillespie.

Des témoins de l'intimé sont venus affirmer que Mme Koeppel semblait éprouver peu de difficultés à utiliser le téléphone pour des appels personnels. Mme Koeppel a expliqué que les appels personnels ne lui posent habituellement aucun problème, car elle est alors habituée à la voix de la personne à qui elle s'adresse ou cette personne sait qu'il lui faut alors articuler plus clairement qu'à l'habitude. Nous acceptons cette explication. En outre, les appels personnels étaient moins menaçants pour elle que les appels d'affaires. Il est toutefois assez compréhensible que certains de ses collègues et superviseurs en soient venus à la conclusion qu'elle exagérait les problèmes éprouvés au téléphone. Cela est particulièrement vrai si l'on tient compte du manque de bonne volonté qui en est finalement venu à imprégner le milieu de travail. Néanmoins, aucun témoignage n'est venu confirmer que cette contradiction ait jamais été abordée par Mme Koeppel, ses représentantes ou ses supérieurs et rien n'indique que la question a été réglée de manière satisfaisante même si certains témoignages ont confirmé qu'on avait proposé de tenir des réunions (auxquelles Mme Koeppel a refusé de participer) au cours desquelles cette question aurait pu être soulevée.

Dans l'argumentation soumise, la question a été soulevée à savoir si la sensibilité de même que l'irritabilité et la colère affichées par Mme Koeppel du fait de cette sensibilité devaient être considérées comme faisant partie de sa déficience. De ce point de vue, les problèmes d'attitude dénotés chez la plaignante et dont l'intimé se plaint pourraient être considérés comme étant liés à sa déficience et comme exigeant, peut-être, des accommodements de la part de l'employeur. La mesure dans laquelle, le cas échéant, l'employeur est tenu de connaître ces

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aspects ou ces manifestations secondaires de la déficience de la plaignante et de les accommoder est liée à cette question.

Le procureur de la Commission a fait valoir qu'une interprétation téléologique de la LCDP exigeait que ces aspects secondaires soient considérés comme faisant partie à toutes fins utiles de la déficience, y compris afin d'établir un cas de discrimination et l'obligation d'accommoder. Les intimés ont simplement fait valoir qu'il serait intrusif d'enquêter sur de telles choses et qu'il relèverait du stéréotype de penser que de tels aspects secondaires existent. Nous sommes de l'avis qu'il serait simpliste de ne pas tenir compte des liens naturels entre la déficience de Mme Koeppel et certains aspects de son comportement qui compliquent ses rapports avec les autres. Nous sommes tenus de donner à la LCDP une interprétation large et le mot déficience doit être interprété à l'intérieur de paramètres raisonnables. Il semble restrictif et trompeur de faire valoir, comme l'intimé l'a fait, que dans la présente affaire il n'y a pas de problème de discrimination et que le seul problème est en réalité la manière dont Mme Koeppel entretient des rapports avec les autres.

L'intimé a fait valoir que les aptitudes aux relations interpersonnelles de Mme Koeppel ont constitué un problème pendant toute sa carrière au sein de la fonction publique et que c'est sa personnalité, plutôt que sa déficience, qui l'a empêchée d'effectuer son travail de manière satisfaisante. Toutefois, si les aspects de la personnalité de Mme Koeppel que ses collègues et superviseurs trouvaient répréhensibles découlent de sa déficience, ils pourraient aussi constituer un motif prohibé de discrimination au sens de la LCDP.

Le stress aussi pourrait être considéré comme une manifestation secondaire de la déficience de la plaignante. On pourrait à tout le moins soutenir que ce stress semble être à la source d'une partie de son hypersensibilité et d'une partie importante des difficultés éprouvées dans ses rapports sociaux avec ses collègues. Par ailleurs, il est également raisonnable de déduire des témoignages entendus que le stress éprouvé par Mme Koeppel a découlé, au moins partiellement, de l'obligation dans laquelle elle était d'offrir un rendement satisfaisant dans des circonstances difficiles. Les superviseurs de Mme Koeppel ont relaté dans leurs témoignages que Mme Koeppel s'était parfois mise en colère pas à cause de la pression exercée par ses superviseurs pour qu'elle accomplisse son travail, mais à cause de la pression qu'elle s'imposait elle-même. Mme Moore, pour l'une, lui avait souligné la chose et avait formulé un commentaire indiquant que Rome ne s'était pas bâtie en un jour . Les problèmes de Mme Koeppel liés à l'accumulation de travail ont été mentionnés à de nombreuses reprises dans les témoignages, et le stress généré par ces surcroîts de travail semble avoir été davantage attribuable aux pressions que

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Mme Koeppel s'imposait elle-même qu'aux pressions externes qu'auraient exercées sur elle ses superviseurs ou ses collègues.

Même si le MDN a refusé de rejeter la candidature de Mme Koeppel après la période d'essai parce qu'elle était membre d'un groupe protégé en vertu de la politique d'équité en matière d'emploi , aucun des éléments de preuve produits ne démontre que l'employeur a déployé quelque effort que ce soit pour obtenir des renseignements sur sa déficience et sur les répercussions possibles de cette déficience sur son rendement au travail. D'un autre côté, il est vrai que Mme Koeppel n'a pas produit non plus d'éléments de preuve confirmant qu'elle avait fourni à quelqu'un au sein du MDN des renseignements pertinents sur la manière dont on pouvait accommoder sa déficience, outre la lettre acheminée à Mme Cowan et certaines brochures qu'elle avait tenté de remettre à Mme Moore. Dans les deux cas, les renseignements fournis portaient strictement sur la déficience auditive de Mme Koeppel et non sur ses manifestations secondaires. Il semble donc que les deux parties n'ont jamais fait le lien entre la déficience de Mme Koeppel et ses aspects secondaires.

Il se peut qu'il y ait une distinction entre les aspects secondaires d'une déficience particuliers à une personne et les aspects secondaires plus généraux couramment associés à une déficience donnée. Il semble qu'une déficience auditive congénitale grave aura des conséquences psychologiques plus marquées qu'une déficience moins grave acquise plus tard dans la vie. Un employeur attentionné adhérant aux principes d'équité en matière d'emploi prendrait donc des mesures afin d'informer ses agents du personnel de ces facteurs lorsqu'ils embauchent un employé éprouvant ce genre de problèmes et offrirait de la formation psychosociale aux collègues de travail de cette personne.

A toutes fins utiles, aucun élément de preuve n'a été produit afin de démontrer que quelqu'un au MDN a déployé des efforts afin de se familiariser, avant qu'il ne soit trop tard, avec les problèmes ou avec les besoins d'une employée souffrant d'une déficience auditive. Il était déjà évident depuis au moins octobre 1992, moment où les superviseurs de Mme Koeppel souhaitaient rejeter sa candidature après sa période d'essai, qu'il y aurait des problèmes. Sans pousser plus loin son enquête, M. Stauffer n'a pas fait une grande faveur à la plaignante en refusant de recommander son renvoi. L'organisation de cours de sensibilisation psychosociale est la première mesure mentionnée dans les recommandations de Mme Hayes formulées en 1993. Cette recommandation devait en outre être appliquée uniquement dans le contexte d'une réintégration au milieu de travail de la plaignante après un congé pour suivre des cours de dynamique de vie et de la formation supplémentaire.

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La caractéristique prépondérante de cette affaire est que le MDN a fait défaut de s'attaquer aux effets que la déficience de Mme Koeppel pouvait avoir sur sa capacité de s'acquitter de ses fonctions. Il découle clairement du témoignage du capitaine Quick et des supérieurs hiérarchiques immédiats de Mme Koeppel que celle-ci a été embauchée sans qu'on tienne compte des problèmes éventuels qu'elle était susceptible d'éprouver en répondant au téléphone. On avait simplement supposé qu'elle pouvait répondre au téléphone de la même manière et avec la même efficacité que les autres employés. Par conséquent, sa déficience a été ignorée et la plaignante s'est continuellement retrouvée dans une position où il lui était impossible de combler les attentes de son employeur.

Dans une affaire de discrimination, le plaignant a l'obligation de porter à l'attention de l'employeur les faits liés à la discrimination (voir l'arrêt Renaud, page 994). Il s'agit d'un préalable raisonnable à l'obligation de l'employeur de l'accommoder. Lorsque le plaignant ne porte pas tous ces faits à l'attention de l'employeur parce qu'il ne comprend pas pleinement leur importance, nous ne pouvons en conclure que cette obligation est transférée à l'employeur et que celui-ci doit rechercher ces faits et déployer ensuite des efforts afin d'accommoder l'employé.

Comme nous l'avons indiqué précédemment, ces questions n'ont été abordées que pendant l'argumentation et aucun témoignage, ni d'experts ni d'autres personnes, n'a porté directement sur ces questions. Dans les circonstances, nous estimons que nous ne pouvons donc nous pencher sur celles-ci de manière plus approfondie dans la présente affaire.

MOYENS DE DÉFENSE

Accommodement

Il est de la position de l'intimé qu'il a accommodé Mme Koeppel jusqu'au point de contrainte excessive. Les faits sur lesquels le procureur de l'intimé fonde son assertion selon laquelle celle-ci aurait accommodé la plaignante sont les suivants :

  1. L'intimé n'a pas rejeté la candidature de Mme Koeppel après la période d'essai.
  2. L'intimé a offert et fourni à la plaignante un amplificateur téléphonique.
  3. L'intimé a muté la plaignante dans différents milieux de travail au sein du MDN.
  4. L'intimé a organisé de nombreuses rencontres afin de discuter des problèmes de la plaignante, a orienté cette dernière vers le PAE et a demandé l'intervention de Ava Hawkins.
  5. L'intimé a fait procéder à un examen indépendant par Judith Hayes.
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  7. L'intimé a accordé à Mme Koeppel un congé pour affaires personnelles afin de lui permettre de voir si elle pouvait se remettre sur ses rails .
  8. L'intimé a changé le statut de ce congé pour affaires personnelles en congé de maladie, ce qui était financièrement avantageux pour Mme Koeppel.

Le noeud du problème évoqué dans la plainte demeure que Mme Koeppel était tenue de répondre au téléphone dans l'exercice de ses fonctions et que, particulièrement pendant son deuxième séjour au DCD de la Base, des pressions considérables ont été exercées sur elle afin qu'elle s'acquitte de cette partie de sa tâche. Bien qu'elle ait témoigné que le service au comptoir lui imposait également un certain stress, on a accordé peu d'importance à cet aspect de son travail dans la plainte et dans les témoignages. Suivant la cause défendue par la plaignante, tout ce qui est arrivé à Mme Koeppel découle presque exclusivement de l'obligation qui lui était faite de répondre au téléphone. Cette manière d'aborder la question n'est pas contredite par la preuve de l'intimé, particulièrement le témoignage du capitaine Quick, selon qui Mme Koeppel devait répondre au téléphone. Par conséquent, c'est à cet égard qu'il convient d'analyser de manière beaucoup plus approfondie les tentatives d'accommodement.

Outre l'offre faite à Mme Koeppel d'installer un amplificateur sur le combiné de son appareil téléphonique et, finalement l'installation d'un tel dispositif, l'intimé n'a pas été en mesure de démontrer quelque tentative que ce soit d'accommodement pendant cette période. Il découle clairement de la preuve entendue que l'amplificateur n'était d'aucune utilité à Mme Koeppel et qu'elle s'est efforcée de son mieux de faire comprendre cette réalité à ses superviseurs. Elle a finalement accepté l'amplificateur uniquement pour démontrer son désir de coopérer.

L'ensemble de la preuve nous amène à la conclusion que pendant toute cette période, les superviseurs de Mme Koeppel estimaient que le peu d'empressement de cette dernière à répondre au téléphone ne constituait rien de plus qu'une autre démonstration de son attitude récalcitrante. Par conséquent, aucun accommodement ne lui a été offert à cet égard. Le fait qu'une collègue, Mme DuBois, ait offert de s'occuper de répondre au téléphone et que cette offre ait été refusée constitue une bonne indication de l'attitude de l'intimé face aux possibilités d'accommoder la déficience de Mme Koeppel. Cette absence de volonté d'accommodement a été aggravée par le défaut ultérieur de l'employeur de prendre des mesures à la suite de la recommandation formulée par Mme Hawkins que les tâches consistant à répondre au téléphone soient supprimées de la tâche de Mme Koeppel.

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Pendant toute cette affaire, l'intimé a soutenu que la tâche consistant à répondre au téléphone faisait partie de la description du travail de Mme Koeppel et constituait un élément essentiel des fonctions de chaque employé du DCD. Bien que cela n'ait jamais été expressément formulé, il semble que l'intimé jugeait que le fait d'avoir au DCD une employée incapable de répondre au téléphone constituait une contrainte excessive. Les éléments de preuve présentés à l'appui de cette assertion tiennent au fait que le DCD est le centre de réception de toutes les communications de la Base. Il a plus particulièrement été question à cet égard du fait que le DCD devait assurer le trafic de messages prioritaires .

Nous ne pouvons conclure que la preuve produite appuie cette position. L'argument le plus significatif à cet égard est tout simplement qu'on n'a jamais tenté de relever Mme Koeppel de l'obligation de répondre au téléphone. Sans essai véritable, toute la preuve entendue à l'égard de ce qui aurait pu ou non se produire relève tout simplement d'une représentation impressionniste de la réalité et il se dégage clairement des textes faisant autorité qu'une telle représentation ne peut suffire à démontrer une contrainte excessive.

Nous éprouvons des difficultés à comprendre l'argument de l'intimé selon qui le refus de rejeter la candidature de Mme Koeppel après sa période d'essai constitue une forme d'accommodement. Premièrement, on n'a produit aucun élément de preuve susceptible d'expliquer cette décision outre la note de service de M. Stauffer. Deuxièmement, cette décision nous paraît étrange si, dans les faits, Mme Koeppel était véritablement incapable de s'acquitter d'une fonction du poste jugée essentielle . Choisir d'ignorer une déficience et l'effet que cette déficience peut avoir sur la capacité d'une employée de s'acquitter de tous les aspects de son travail peut difficilement être assimilé à une tentative d'accommoder cette employée.

La mutation de Mme Koeppel du DCD de la Base dans d'autres services au sein du MDN aurait pu en revanche être considérée comme une forme d'accommodement si le but visé avait été de la muter de manière permanente à un poste où elle n'aurait pas eu à répondre au téléphone. Or, on peut de manière raisonnable déduire des témoignages entendus que ces mutations relevaient davantage d'une tentative en vue d'apaiser l'adjudant Barefoot que d'une tentative en vue d'accommoder Mme Koeppel. Il avait été également mentionné clairement aux superviseurs des autres milieux de travail que l'affectation de Mme Koeppel n'était que temporaire.

L'intimé fait valoir que la plaignante était tenue de demander l'aide des audiologistes afin d'améliorer sa capacité à répondre au téléphone si elle désirait demeurer à son poste. L'intimé a mis en évidence le témoignage de M. Gillespie selon qui la plaignante aurait pu se procurer une prothèse auditive à système

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d'amplification numérique programmable vers la fin des années 1980 et sa recommandation formulée en 1993 indiquant qu'un tel appareil aurait pu être d'une aide considérable pour Mme Koeppel. Aucun témoignage n'indique que la plaignante ait cherché à se renseigner sur cet appareil ni qu'elle connaissait cette technologie même si elle était apparemment suivie par une audiologiste, Mme Cowan, au cours de cette période.

Par ailleurs, aucun des éléments de preuve produits n'indique que l'employeur ait déployé quelque effort que ce soit pour établir si les technologies nouvelles pouvaient contribuer à régler le problème si l'on fait exception de l'amplificateur qui dont il a déjà été abondamment question. Si tel avait été le cas, il semble suivant certains des témoignages entendus qu'une partie du coût aurait pu être assumée par le régime d'assurance-maladie du Manitoba et le régime de soins de santé de l'employeur et que, éventuellement, le paiement du solde par l'employeur aurait pu constituer une forme d'accommodement. Toutefois, compte tenu des faits de la présente affaire, tout cela n'est que pure spéculation.

Pour des motifs exposés ailleurs dans la présente décision, nous ne jugeons pas nécessaire de commenter les autres mesures tardives que le procureur de l'intimé présente comme des tentatives d'accommodement.

L'obligation d'accommodement constitue nécessairement un moyen de défense dans une affaire de discrimination et le fardeau de prouver qu'il est impossible d'accommoder la plaignante sans contrainte excessive incombe à l'employeur. A notre avis, l'intimé ne s'est pas déchargé de ce fardeau et n'a pas démontré l'existence de contraintes excessives.

Exigences professionnelles justifiées

Afin de tenir compte de la possibilité que nous avons erré en décrivant les gestes de l'intimé comme de la discrimination ayant un effet préjudiciable, nous désirons formuler les observations suivantes à savoir si l'intimé peut affirmer que la capacité de répondre de manière efficace au téléphone constitue une exigence professionnelle justifiée.

Le paragraphe 15(a) de la LCDP stipule ce qui suit : Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusion, expulsion, suspension, restriction, condition ou préférence de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées.

Afin de parvenir à établir qu'une exigence professionnelle particulière constitue une exigence professionnelle justifiée, il

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est clairement établi que l'employeur doit être en mesure de répondre à un critère objectif et à un critère subjectif :

(...) Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction (...) doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général. (Etobicoke, à la page 208) [C'est nous qui soulignons.]

Dans ses motifs de décision dans l'affaire Shut c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), une décision non publiée de la Cour fédérale du Canada rendue le 2 octobre 1996, le juge Wetston formule les propos qui suivent auxquels nous souscrivons totalement :

[TRADUCTION]

En présence d'une exigence professionnelle justifiée, l'employeur est habilité à imposer une règle qui établit une différence entre les employés sur la base de caractéristiques personnelles générales. Ce n'est que dans des cas très clairs que les tribunaux devraient autoriser l'existence de ce genre d'exception à la règle contre la discrimination. Afin d'être admissible à une telle dérogation, l'employeur doit prouver que les exigences sont raisonnablement nécessaires pour accomplir de manière satisfaisante le travail et qu'il n'y a aucune autre solution raisonnable outre l'imposition des restrictions en question. De manière générale, pour établir la nécessité de telles mesures, l'employeur est tenu de démontrer que l'employé pourrait représenter un risque pour la sécurité liée à un problème économique, mettre en péril ses compagnons de travail ou la population en général. La preuve à cet égard doit être concrète et scientifique et non purement impressionniste...

La seule description d'emploi d'un employé du DCD produite a été celle de Mme Koeppel - le poste de CR-02. A la rubrique autres tâches connexes on trouve l'exigence de répondre au téléphone

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et de répondre au comptoir aux demandes de dossiers et aux demandes de renseignements courantes . Rien dans la preuve produite n'indique que le CR-02 du DCD était, dans des circonstances normales, tenu de répondre aux appels provenant du centre des messages pour s'occuper des messages importants dont il a été question dans les témoignages du PM Barefoot et du capitaine Quick. La responsabilité de Mme Koeppel, telle qu'énoncée dans sa description de tâches, consistait simplement à répondre aux demandes de renseignements courantes . Bien que sans aucun doute il s'agisse là d'une fonction importante au maintien de l'efficacité du DCD, il ne nous semble pas que la possibilité que quelques appels téléphoniques demeurent sans réponse puisse créer un risque de nature économique ni ne mette en péril la sécurité de qui que ce soit. Rien n'indique, même dans la preuve soumise, que des appels soient demeurés sans réponse. Dans un des témoignage, on a entendu qu'il pouvait arriver à l'occasion qu'il n'y ait qu'une seule personne au DCD, mais on n'a jamais expliqué comment et à quelle fréquence une telle situation pouvait se produire. Aucune explication n'a été offerte à savoir comment le service avait été maintenu au DCD pendant la grève de la fonction publique et on n'a pas pu non plus mentionné d'incident précis où le manque de personnel au DCD aurait causé des problèmes graves. Le dossier d'assiduité de Mme Koeppel démontre qu'elle s'est absentée du DCD à de nombreuses occasions et pourtant, aucun témoignage n'est venu confirmer que ces absences répétées avaient entraîné des problèmes graves parce que des messages téléphoniques cruciaux seraient demeurés sans réponse pendant ces périodes. Le seul témoignage entendu sur les instances où le DCD était effectivement fermé est celui du capitaine Quick.

Dans la jurisprudence citée devant nous, on a surtout insisté, dans la plupart des cas, sur l'aspect normal des exigences professionnelles justifiées. La règle de travail où l'obligation doit aussi, cependant, être une exigence professionnelle. Par là, nous entendons qu'elle doit représenter une partie essentielle du travail. Suivant les mots mêmes du juge Wetston dans la décision Shut, l'employeur doit prouver qu'il n'y a aucune autre solution raisonnable outre l'établissement d'une telle règle. Outre les opinions exprimées par les différents témoins, force est de constater qu'on ne nous a à toutes fins utiles soumis aucun élément de preuve concret sur cette question. Le MDN ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait sur cet aspect de la question. Nous ne sommes pas convaincus, selon la prépondérance des probabilités, que la capacité de répondre de manière efficace au téléphone constitue une partie essentielle des tâches d'un CR-02 au DCD de la BFC Winnipeg ou que cette tâche est raisonnablement nécessaire pour assurer l'accomplissement efficace et de manière économique du travail. L'intimé a échoué dans cet aspect de sa défense également.

RÉPARATION

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Après en être venus à la conclusion que Mme Koeppel a été mise en congé en février 1993, entre autres choses, pour un motif discriminatoire prohibé et que l'intimé n'est pas parvenu à faire prévaloir sa défense à la fois sur la question de l'exigence professionnelle justifiée et sur le plan de l'accommodement raisonnable, nous procédons à l'analyse des mesures de réparation auxquelles Mme Koeppel a droit.

L'article 53(2)c) de la LCDP stipule ce qui suit :

A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire :

...

c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaires et des dépenses entraînées par l'acte;

L'émission d'une ordonnance de ce genre est discrétionnaire même s'il est rare qu'une telle décision soit refusée lorsqu'un tribunal est convaincu qu'un plaignant a dû subir des épreuves financières du fait de la discrimination dont il a fait l'objet. Le tribunal d'examen dans l'affaire Foreman et al c. Via Rail (1980) 1 C.H.R.R. D/233 a notamment formulé l'hypothèse que le motif pour un libellé si large... consiste à couvrir des situations dans lesquelles aucune perte réelle n'a été subie ou dans lesquelles certaines circonstances spéciales rendraient l'octroi d'une indemnité inappropriée . La plaignante doit, bien sûr, démontrer un lien de cause à effet entre la perte subie ou les dépenses engagées et la pratique discriminatoire avant qu'une indemnité ne lui soit accordée.

La procureure de la plaignante a déposé une longue liste de sommes perdues en salaire et d'autres dépenses pour laquelle elle fait valoir que l'intimé devrait indemniser Mme Koeppel :

  1. Perte de salaires suivant l'une de trois options :
    1. du 1er mars 1993 au 1er juin 1994 à raison de 22 836 $ par année 28 545,00 $
    2. du 1er mars 1993 au 31 août 1995 au même taux 57 090,00 $
    3. du 1er mars 1993 au 30 avril 1999 à 22 836 $ moins les gains réalisés pendant des emplois d'été s'élevant à 36 447,56 $ pour les années 1996 à 1999 106 277,44 $
  2. Gains perdus pour cause de congé de maladie non payé pendant qu'elle était au service du MDN - 18 jours à 87,83 $ par jour 1 580,94 $
  3. Salaire perdu pour se présenter devant le tribunal 1 555,71 $
  4. Honoraires du psychologue (M. Rutner) au montant de 8 700,00 $
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  6. Intérêt sur les prêts contractés auprès de son père 811,97 $
  7. Frais de réinstallation à Washington D.C. 181,00 $
  8. Frais de scolarité à l'Université Gallaudet 41 353,14 $
  9. Autres dépenses liées à l'éducation 41 014,64 $
  10. Frais d'entreposage et d'assurance pour les meubles à Winnipeg 5 400,00 $

Les procureurs de la Commission ont appuyé les réclamations de la plaignante en ce qui concerne le salaire perdu au cours de la période du 1er mars 1993 au 1er juin 1994 et pour le salaire perdu afin d'assister à l'audience.

Indemnité pour salaire perdu

Le congé pour raisons personnelles de Mme Koeppel devait initialement durer du 1er mars 1993 au 1er juin 1994. Ce congé a par la suite été changé en congé de maladie, ce qui a permis à Mme Koeppel de demander et de recevoir des prestations d'invalidité équivalant à 70% de son salaire pendant cette période. En mai 1994, on a demandé à Mme Koeppel si elle était intéressée à réintégrer l'effectif ou si elle prévoyait plutôt démissionner. Mme Koeppel a répondu qu'elle ne choisissait ni l'une ni l'autre des options présentées . Son psychologue, le Dr Rutner, était de l'avis qu'elle souffrait encore d'une grave dépression à ce moment et qu'elle était inapte au travail. Elle a donc demandé une prolongation de ses prestations d'invalidité de la SunLife et cette prolongation lui a été accordée pour une période de douze mois supplémentaires. Mme Koeppel a présenté une demande d'admission à l'Université Gallaudet à l'automne 1994 et n'a subi l'examen d'admission qu'en novembre 1994 même si l'évaluation audiologique effectuée par M. Gillespie en mars 1993 devait de quelque manière servir à établir son admissibilité à cette institution. Dans une lettre datée du 18 juin 1995, Mme Koeppel a demandé un retrait volontaire de la fonction publique et sa démission a été acceptée le 1er juin 1995. Elle a commencé ses études à l'Université Gallaudet en septembre 1995 et elle y suit un programme qui pourrait lui permettre d'obtenir un diplôme universitaire au plus tôt le 30 avril 1999.

La procureure de la plaignante fait valoir que la période au cours de laquelle il y a eu un lien de cause à effet entre la pratique discriminatoire et la perte de salaire va jusqu'au moment où la victime sera en mesure de recommencer à occuper un emploi rémunérateur. L'argument invoqué à l'appui de cette assertion est que la dépression de la plaignante a découlé des gestes discriminatoires du MDN et que le traitement de cet état

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de santé se prolongera jusqu'à ce que Mme Koeppel obtienne son diplôme de l'Université Gallaudet.

Avec tout le respect dû à la procureure, il nous est impossible de conclure sur la foi de la preuve entendue qu'un lien de cause à effet a été établi entre les gestes discriminatoires du MDN et la dépression de la plaignante. Le seul témoignage à cet effet est celui du Dr Rutner. Nous acceptons son témoignage selon lequel Mme Koeppel souffrait d'une dépression clinique, mais les conclusions qu'il tire quant aux causes de cette dépression sont fondées uniquement sur les propos tenus par Mme Koeppel. Apparemment, cette dernière estimait que tous ses problèmes découlaient de son travail et de la manière dont elle y était traitée à cause de sa déficience auditive. Cette conviction semble avoir pris naissance en elle peu après qu'elle ait commencé à consulter l'adjudant Anne Pritchard-Thornhill, la conseillère du PAE. Toutefois, après analyse de l'ensemble de la preuve, nous en venons à la conclusion que d'autres facteurs ont influé sur l'état de santé de la plaignante dans une mesure telle qu'il nous est impossible d'affirmer que la prépondérance des probabilités penche en faveur de l'interprétation avancée par la procureure de la plaignante. A titre d'exemples, il suffit de citer le témoignage de Mme Koeppel qui a reconnu qu'elle s'imposait elle-même de la pression; les problèmes de santé de longue date de la plaignante; ses problèmes familiaux, particulièrement avec sa mère et, vers la fin de 1992 et le début de 1993, son angoisse devant la possibilité qu'elle souffre d'un cancer du sein. La procureure de la plaignante ne nous a pas non plus convaincus que la fréquentation par la plaignante de l'Université Gallaudet puisse être considérée comme un traitement continu nécessaire à son rétablissement. Le simple fait que la pratique discriminatoire ait pu jouer un rôle dans cette dépression ne signifie pas que l'intimé doit être tenue responsable de toutes les pertes, aussi lointaines soient-elles, subies par la plaignante et de toutes les dépenses engagées par celle-ci.

Nous sommes d'avis que les pertes de salaire de la plaignante sont celles subies au cours de la période initiale du congé de Mme Koeppel. Elle n'a pas vraiment eu d'autre choix que de prendre ce congé non payé. Par la suite, d'autres facteurs sont intervenus qui ont poussé Mme Koeppel à prolonger son congé puis, finalement, à démissionner. Les procureurs de la Commission ont assimilé le processus de mise en congé de la plaignante à un congédiement déguisé à compter du 1er mars 1993. Vu de cet angle, le versement de dommages-intérêts pour la période de 15 mois en cause semblerait satisfaisant, voire généreux, si nous utilisions les critères entourant l'octroi d'une telle indemnisation dans le contexte du droit du travail.

Mme Koeppel a commencé à recevoir des prestations de la SunLife le 1er juin 1993. Elle a pu le faire parce que le MDN a

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converti son congé pour raisons personnelles en congé de maladie. Les prestations reçues équivalaient à 70% du salaire qu'elle aurait autrement touché. Sa déclaration de revenus pour 1993 fait état d'un revenu de 2 497 $, soit les prestations d'assurance-chômage reçues, selon son témoignage, pendant la période de son congé ayant précédé le 1er juin. Le salaire total touché du MDN pendant la période de 15 mois aurait été de 28 545 $ et il semble qu'elle ait reçu un total de 18 482 $ de ces autres sources. A notre avis, une indemnité juste et raisonnable au titre du salaire perdu reviendrait à lui verser la perte de salaire réelle subie au cours de cette période et c'est donc l'indemnité que nous lui octroyons à ce chapitre. Une simple soustraction indique que la perte subie s'élève à 10 063 $. Si, du fait de notre ordonnance, la plaignante devait rembourser la totalité ou une partie des sommes reçues sous forme de prestations d'assurance-chômage, le montant de l'indemnité devra être corrigé en conséquence. L'intimé devrait, comme il va de soi, effectuer toutes les retenues à la source exigées en vertu des lois applicables et les verser aux autorités compétentes.

La procureure de la plaignante a soutenu que les prestations versées à la plaignante par la SunLife ne devaient pas être déduites de son indemnité. A l'appui de cette position, la procureure s'est appuyée sur un arrêt de la Cour suprême du Canada, soit l'arrêt Ratych c. Bloomer (1990) 69 D.L.R. (4e) 25. Avec tout le respect dû à la procureure, nous n'estimons pas que cette affaire soit utile à la cause de la plaignante. Le juge McLachlin, se prononçant pour la majorité, a énoncé à la page 54 de la décision en question : (...)les prestations sous forme de salaire versées à un demandeur alors qu'il se trouve dans l'incapacité de travailler doivent entrer en ligne de compte et être déduites de la réclamation pour perte de salaire(...)

Ces observations ne devraient pas être interprétées comme s'appliquant à des genres de prestations parallèles autres que le paiement du salaire perdu, comme les assurances payées par le demandeur et les paiements à titre gracieux faits par des tiers. Voilà des points dont la Cour ne se trouve pas saisie et dont le règlement devra attendre une autre occasion.

Bien qu'elle ne nous ait pas été citée, la décision subséquente de la Cour suprême dans l'arrêt Cooper c. Miller (1994) 113 D.L.R. (4e) 1 est pourtant beaucoup plus pertinente à l'examen des arguments présentés sur ce point. Dans cette affaire, on avait demandé à la Cour d'appliquer l'arrêt Ratych à diverses autres situations où les faits étaient différents. Le juge Cory, rédigeant la décision majoritaire, avait stipulé :

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A mon avis, l'arrêt Ratych c. Bloomer, précité, oblige tout simplement les demandeurs à démontrer qu'ils ont payé pour recevoir des prestations d'invalidité. Je pense que le mode de paiement peut être constaté, par exemple, tout autant dans la preuve relative aux dispositions d'une convention collective que par les retenues salariales directes.

Cette dernière citation indique clairement que les paiements que Mme Koeppel a reçus de la SunLife en vertu de la convention collective répondent aux exigences de la soi-disant exception visant les assurances . Les contrats d'assurance de cette nature sont, dans les mots mêmes de la juge Cory, obtenus et payés [par le demandeur] comme s'il avait lui-même souscrit et payé une police d'assurance-invalidité

Il y a une différence appréciable entre la manière dont la majorité et la minorité ont perçu, dans l'arrêt Cooper, le principe sous-jacent à l'exception visant les assurances. A la page 10, le juge Cory, a indiqué, parlant au nom de la majorité :

Je ne vois aucune raison pour laquelle l'auteur d'un délit devrait profiter des sacrifices consentis par un demandeur pour obtenir une police d'assurance le protégeant contre les pertes de salaire. L'indemnisation en matière délictuelle est fondée sur une action fautive. Il est illogique que l'auteur d'un délit puisse profiter de la prévoyance et des sacrifices du demandeur.

A la page 35, parlant au nom de la minorité, la juge McLachlin a pris une approche différente :

Le demandeur qui, en vertu d'un régime de prestations d'emploi, a été dédommagé de sa perte de salaire n'a en réalité subi aucune perte dans la mesure de ces prestations. Il ne s'agit pas de déterminer qui supportera la perte mais plutôt s'il y a eu une perte qui doit être assumée.

Au paragraphe suivant, la juge mentionne ce qui suit :

L'erreur qui sous-tend l'argument suivant lequel l'auteur du délit civil devrait assumer la perte est l'idée que ce dernier devrait être puni. C'est une interprétation que l'on a évitée dans l'application de nos règles de droit, sauf dans les cas particuliers où des dommages-intérêts punitifs peuvent être attribués.

L'arrêt Cooper s'applique expressément à la responsabilité délictuelle et n'est pas nécessairement pertinent pour un tribunal chargé d'appliquer les lois relatives aux droits de la

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personne. Un problème découle toutefois des observations formulées par le juge Marceau dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Morgan (1991) 21 C.H.R.R. D/87 (C.A.F.), un texte de jurisprudence faisant autorité sur la question des dommages- intérêts dans les affaires de droits de la personne. L'une des questions sur lesquelles s'était penché le tribunal était l'étendue en vertu de la LCDP de la responsabilité de l'intimé pour le salaire perdu par le plaignant. A la page D/90, le juge Marceau indiquait ce qui suit :

(...) force m'est de constater la présence d'une certaine confusion entre le droit d'obtenir réparation d'un préjudice subi et l'évaluation des dommages- intérêts. Si la nature spéciale de la Loi sur les droits de la personne - que l'on dit tellement fondamentale qu'elle serait presque de nature constitutionnelle et qui n'est pas du domaine de la responsabilité délictuelle (...) - exclut l'application de limites au droit d'obtenir une indemnité qui relève de la responsabilité délictuelle, l'évaluation des dommages-intérêts exigibles par la victime ne peut être régie par des règles différentes. Dans les deux cas, le principe est le même : la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort ne s'était pas produit. Tout autre but entraînerait un enrichissement sans cause et un appauvrissement injustifié parallèle. Les principes établis par les tribunaux pour atteindre cet objectif en responsabilité délictuelle s'appliquent donc nécessairement. Il est bien connu que l'un de ces principes consiste à exclure les conséquences de l'acte qui sont trop lointaines ou seulement indirectes. [C'est nous qui soulignons.]

La partie soulignée de ce commentaire du juge Marceau semble appuyer la position que nous exhorte à adopter la procureure de la plaignante.

Ces remarques générales sur la nature des mesures de réparation que l'on peut accorder en vertu de la LCDP pourraient être traitées comme une opinion incidente puisque les autres juges dans l'affaire ont appuyé leur jugement sur le point de vue qu'il devait y avoir un lien démontré de cause à effet entre la discrimination et les dommages accordés en vertu de l'alinéa 53(2)c) de la Loi. Dans le paragraphe suivant, le juge Marceau lui-même indique qu' il ne faut pas trop se soucier du recours à différents concepts afin de donner prise à l'idée simple que le sens commun exigeait que certaines limites soient placées quant à la responsabilité d'une partie à l'égard des conséquences découlant d'un acte qu'elle a posé, sauf peut-être, lorsqu'il est démontré qu'elle a fait preuve de mauvaise foi.

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En affirmant sa dissidence sur d'autres motifs, le juge McGuigan a adopté la position, à la page D/106, qu'il fallait se garder d'une analogie trop stricte avec la responsabilité délictuelle ou contractuelle, puisqu'il n'est pas question d'une action en common law, mais plutôt d'une mesure de réparation juridique à caractère unique.

Il convient d'énoncer dans ce contexte que les principes généraux qui régissent le choix d'une mesure de réparation en vertu des lois sur les droits de la personne sont bien établis. Dans l'affaire O'Malley par exemple, le juge McIntyre a affirmé à la page 547 que la façon principale de procéder des lois sur les droits de la personne consiste non pas à punir l'auteur de la discrimination, mais plutôt à offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination . On ne peut s'empêcher de remarquer que le libellé utilisé dans ce texte de jurisprudence fait écho aux inquiétudes exprimées par la juge McLachlin dans son jugement dissident dans l'arrêt Cooper.

La Cour suprême a exprimé un point de vue similaire dans l'arrêt Canada (Conseil du Trésor) c. Robichaud (1987) 8 C.H.R.R. D/4326, à la page D/4330, où elle a soutenu que l'objet de la LCDP consiste à éradiquer des comportements anti-sociaux sans égard aux motifs ni aux intentions de ceux qui les adoptent. De l'avis de la Cour suprême, à la page D/4331, la LCDP: ... ne vise pas à déterminer la faute ni à punir une conduite. Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer.

La jurisprudence énonce donc clairement que tout tribunal doit avoir à l'esprit ces principes généraux au moment d'établir l'indemnisation qu'il juge appropriée. Même si aucun texte de doctrine ni de jurisprudence ne s'intéresse précisément à cette question, ces considérations semblent jouer en défaveur de l'importation de l'exception visant les assurances au domaine des droits de la personne. Si l'exception visant les assurances peut être caractérisée comme punitive, comme la juge McLachlin l'a laissé entendre, elle ne correspond en effet pas à la nature purement réparatrice des lois sur les droits de la personne.

La situation qui se présente en matière de responsabilité délictuelle est assez différente de la situation qui nous est soumise ici et les considérations qui s'appliquent à l'auteur d'un délit ne s'appliquent pas nécessairement en vertu de la LCDP. Les observations formulées dans les arrêts O'Malley et Robichaud et dans de nombreuses autres affaires indiquent qu'il y a un intérêt public ou constitutionnel à offrir des voies de recours aux personnes qui ont souffert de pertes de salaires à la suite d'un acte discriminatoire. Ces observations nous paraissent sensées. Il est dans l'intérêt de la société dans son ensemble d'offrir réparation aux victimes d'actes discriminatoires.

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Toutefois, il ne s'ensuit pas nécessairement qu'il faut exiger de la partie qui s'est rendue coupable d'un acte discriminatoire qu'elle verse une indemnité si la victime n'a pas véritablement subi de préjudice.

Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. McAlpine (1989) 12 C.H.R.R. D/253, décision rendue avant l'affaire Morgan, la Cour d'appel fédérale a cassé une décision rendue par un tribunal octroyant une indemnité pour la perte de prestations d'assurance- chômage. A la page D/256, la Cour a accepté les arguments qui lui ont été soumis par la requérante selon lesquels les dispositions de ce qui est maintenant l'article 53 de la LCDP prévoient une réparation [qui] n'est pas générale, mais concerne des chefs de réclamation précis.

L'alinéa 53(2)c) permet uniquement à un tribunal d'indemniser une victime pour des pertes de salaires et des dépenses entraînées par l'acte . La question consiste donc à établir si la plaignante dans l'affaire en cause a été privée de cette partie de son salaire qui lui a été payée par l'entremise d'une police d'assurance de la SunLife. Le principe fondamental sous- jacent aux trois jugements rendus dans l'arrêt Morgan est qu'une ordonnance d'indemnisation d'un plaignant rendue en vertu de cet alinéa doit se limiter aux dommages découlant directement de l'acte discriminatoire. Il est significatif que le juge Marceau se soit inquiété du fait qu'une ordonnance d'indemnisation puisse enrichir injustement le plaignant.

Il semblerait que les tribunaux aient maintenu l'exception visant les assurances dans le cas de la responsabilité délictuelle parce que la défenderesse se serait injustement enrichie si la demanderesse n'avait pas reçu le paiement supplémentaire. Il est difficile de voir comment ce raisonnement peut être appliqué à une affaire visant à réparer un préjudice causé par un acte discriminatoire, puisqu'une ordonnance d'indemnisation vise alors simplement à placer la plaignante dans la position dans laquelle elle se serait trouvée si elle n'avait pas été victime de l'acte discriminatoire. Lorsqu'on aura placé la plaignante dans la position dans laquelle elle se serait trouvée n'eût été de l'acte discriminatoire, le but visé par la LCDP aura été atteint et les voies de recours qui s'offrent à la plaignante en vertu de l'alinéa 53(2)c) seront épuisées. Il n'appartient pas à un tribunal des droits de la personne de trancher une cause civile entre la plaignante et l'intimé.

Même l'utilisation du mot indemniser à l'article 53, plutôt que d'un autre mot comme adjuger , laisse entendre que nous n'avons pas le pouvoir de placer la plaignante dans une situation financière meilleure que celle dont elle aurait bénéficié si elle avait travaillé pendant la période en question. Si elle a reçu une autre forme d'indemnité d'une compagnie d'assurances, et plus particulièrement des prestations liées à sa perte de salaire,

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elle a déjà reçu l'indemnisation à laquelle elle a droit et elle ne peut demander de l'obtenir une deuxième fois. De notre avis, le tribunal s'est acquitté de son mandat en vertu de cet alinéa de la Loi lorsque la perte subie a été entièrement comblée.

Même si nous errons en soutenant que les prestations payées par la SunLife réduisent le montant du salaire perdu aux fins d'établir les dommages-intérêts exigibles en vertu de l'alinéa c), il demeure que cette question relève de notre pouvoir discrétionnaire, ce qui nous permet d'accorder l'indemnité que nous jugeons appropriée compte tenu des circonstances de l'affaire. Les paramètres de l'alinéa c) sont plutôt précis et procurent au tribunal une marge de manoeuvre considérable afin d'établir le montant des dommages-intérêts qu'il est possible de verser au titre du salaire perdu. Le tribunal peut ordonner à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée des pertes de salaires subies et des dépenses engagées par la victime du fait de l'acte discriminatoire.

Comme le juge McGuigan l'a reconnu dans l'arrêt Morgan, rien dans cet alinéa n'exige du tribunal qu'il indemnise la plaignante pour la totalité du salaire qu'elle a perdu lorsqu'il estime que la justice serait mieux servie par une autre indemnité. Après avoir analysé attentivement la preuve produite dans la présente affaire, nous en sommes venus à la conclusion que la somme que nous avons octroyée à la plaignante représente une juste indemnisation de Mme Koeppel au titre du salaire qu'elle a perdu.

Indemnisation pour congé de maladie

Cette réclamation vise à obtenir une indemnisation au titre des 18 jours pour lesquels Mme Koeppel n'a pas été payée pour des congés pris pour cause de maladie après qu'elle ait épuisé la totalité de ses crédits de congé de maladie. Ces 18 jours de congé ont été pris pendant l'ensemble de sa période d'emploi au MDN. La procureure fait valoir que cette perte découle de l'acte discriminatoire de l'employeur et du stress et de la dépression qui lui sont attribuables. Même si ces jours en particulier n'ont pas été pris pour la cause invoquée, la procureure fait valoir que nous devrions consentir cette indemnité parce qu'il y a probablement eu d'autres jours de congé pris pour cause de migraines, etc. résultant du stress et que, si la plaignante elle n'avait pas eu à les prendre, elle aurait disposé d'un nombre suffisant de crédits de congé de maladie pour couvrir les 18 jours en question.

Avec tout le respect dû à la procureure, toute cette argumentation est hautement hypothétique et rien dans la preuve produite n'appuie ces affirmations. Par conséquent, nous rejetons toute indemnisation à ce titre.

Congé pour assister à l'audience

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Cette réclamation vise à indemniser la plaignante pour le salaire perdu au moment où elle a assisté aux audiences dans la présente affaire. Il s'agit d'une réclamation inédite au sujet de laquelle il n'existe aucune jurisprudence. Aucun précédent ne nous a en effet été cité et nous ne sommes au courant de l'existence d'aucun précédent dans ce genre de procédure où une partie a été indemnisée pour le salaire perdu ou des dépenses engagées afin de participer à l'audience de sa propre plainte. Si nous acceptons que des considérations différentes peuvent entrer en jeu dans une affaire de droits de la personne, nous demeurons toutefois de l'avis que ce coût assumé par la plaignante n'a pas été engagé à la suite de l'acte discriminatoire au sens de l'alinéa 53(2)c) de la LCDP à moins que l'on nous démontre des circonstances spéciales. Puisque aucune circonstance de cette sorte ne nous a été démontrée dans la présente affaire, nous rejetons la demande d'indemnisation de la plaignante à ce titre.

Honoraires du psychologue

Mme Koeppel suivait auprès du Dr Rutner un traitement pour sa dépression. Comme nous l'avons mentionné précédemment, nous ne sommes pas disposés à admettre que cette dépression découlait de l'acte discriminatoire de l'employeur. Par conséquent, nous n'accordons aucune indemnité à ce titre.

Nous tenons aussi à souligner que certains témoignages ont indiqué que Mme Koeppel a été indemnisée en partie pour ces services en vertu du régime de soins de santé gouvernemental et éventuellement, en vertu du régime de soins de santé de l'employeur. Mme Koeppel elle-même ne se souvenait pas si elle avait obtenu un remboursement partiel de ces sommes.

Intérêt sur les prêts contractés auprès de son père

Ces prêts ont été contractés à deux périodes différentes. Les premiers prêts (dont Mme Koeppel n'a pu donner qu'un montant approximatif) ont été contractés au printemps 1993, avant qu'elle ne reçoive de l'assurance-chômage ou des prestations de la SunLife. Les autres prêts ont été contractés en 1995 et en 1996. Aucune preuve n'a été déposée de l'existence d'une quelconque convention concernant le remboursement de ces prêts et aucune pièce justificative n'a été produite pour confirmer le montant des intérêts payés. En l'absence d'éléments de preuve à cet effet, nous ne sommes pas disposés à accorder une indemnité à ce titre.

Dépenses liées à l'éducation de la plaignante

Toutes les autres dépenses réclamées ont été engagées aux fins de la réinstallation de Mme Koeppel à Washington D.C. et au titre de ses frais de scolarité à l'Université Gallaudet. A notre avis, la plaignante n'a pas établi de lien de cause à effet entre l'acte discriminatoire et les dépenses en question et par conséquent, nous ne lui consentons aucune indemnisation pour ces chefs de réclamation.

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Frais et dépens

La procureure de la plaignante a également déposé une réclamation pour frais et dépens sur une base procureur-client ainsi que pour certaines autres dépenses, y compris les honoraires des témoins, les frais de photocopie et autres frais ainsi que les frais de déplacement de la plaignante et du procureur. Le procureur de la Commission appuie la réclamation de la plaignante au titre de l'embauche d'un procureur indépendant.

Les frais et dépens ont été accordés par le tribunal dans certaines circonstances où on pouvait affirmer qu'il s'agissait d'une dépense engagée du fait de l'acte discriminatoire.

On a notamment invoqué l'affaire Hinds c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada) (1988), 10 C.H.R.R. D/5683 dans le cadre de laquelle les procureurs ont soumis des arguments au sujet de l'octroi d'une indemnité au titre des frais juridiques. Le tribunal a énoncé ce qui suit : ... Il est certain que M. Hinds a dû retenir les services d'un avocat distinct et indépendant pour le représenter ici. Il nous a soumis des éléments de preuve démontrant que, d'après une opinion juridique émanant de l'intérieur de la CCDP, la plainte de M. Hinds était sans fondement et que M. Hinds avait été mis au courant de cette opinion. Après que le présent tribunal eut été nommé, M. Hinds a appris que l'avocat qui avait émis l'opinion juridique pour la CCDP était celui-là même qui devait le représenter à l'audience. M. Hinds a alors, on le comprend, perdu la confiance qu'il avait dans la CCDP pour ce qui concerne la défense de ses intérêts. Même si, peu de temps avant l'audience, il a appris qu'un autre avocat représenterait la CCDP, il n'a pas été convaincu, d'une façon générale, que la CCDP pourrait faire avancer sa cause. On lui a de surcroît appris que la Commission n'appuierait pas sa demande relative aux pertes de salaire. Il lui a donc fallu retenir les services de Mme Mactavish pour le représenter lors de l'audience. En fait, c'est surtout Mme Mactavish qui a défendu et conseillé M. Hinds, puisque la CCDP n'a joué qu'un rôle mineur et secondaire dans toute l'affaire. A notre avis, c'est uniquement grâce au fait que M. Hinds s'est fait représenter par son propre avocat qu'il a pu réussir à se faire entendre par le présent tribunal. (aux pages D/5698 et D/5699)

Toutefois, le tribunal en est venu à la conclusion suivante : A notre avis, ce n'est pas la CEIC qui est ici responsable des frais engagés pour retenir les services d'un avocat distinct. Il n'est donc pas utile de savoir

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si le tribunal a ou non compétence pour accorder les dépens... Nous prions instamment la CCDP d'indemniser M. Hinds de ses frais judiciaires. Compte tenu de l'esprit de responsabilité dont Mme Mactavish a fait preuve relativement à ce dossier et de son efficacité, la CCDP, en toute équité, ne peut s'y soustraire.

Dans l'affaire Grover c. Conseil national de recherche du Canada (1992), 92 CLLC 1746, un tribunal des droits de la personne a adjugé les dépens au procureur du plaignant tels qu'évalués suivant les barèmes de la Cour fédérale. Ce faisant, le tribunal a formulé un commentaire indiquant que le procureur du Dr Grover avait ajouté, à son avis, une dimension particulièrement importante à la présentation de la cause du plaignant et il a ajouté :

[TRADUCTION]

Si l'objet des réparations est d'indemniser complètement et de manière satisfaisante la victime d'un acte discriminatoire, il s'ensuit logiquement que les dépens constituent une condition sine qua non d'une réparation significative lorsque le plaignant obtient gain de cause. Nous estimons que la représentation du Dr Grover par M. Bennett était absolument nécessaire et qu'il a été extrêmement utile dans la présentation de cette affaire.

Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Thwaites (no 2) (1994), 21 C.H.R.R. D/224, la Cour fédérale a maintenu une décision du tribunal d'accorder au plaignant les dépens raisonnables pour avoir retenu les services d'un procureur indépendant, y compris les coûts de certaines dépenses actuarielles rendues nécessaires par la présentation de sa cause. Le juge Gibson s'est appuyé pour rendre sa décision sur le pouvoir prévu à l'alinéa 53(2)c) de la LCDP d'adjuger une indemnisation pour les dépenses engagées par la victime et a soutenu que :

Les dépens et les frais des services actuariels engagés par Thwaites sont, au sens habituel de la langue anglaise, des dépenses engagées par Thwaites. (à la page D/250)

Dans sa décision, le tribunal s'était dit d'accord avec les motifs énoncés dans l'affaire Grover que le libellé pour toute dépense engagée par la victime à la suite de l'acte discriminatoire est suffisamment large pour englober le pouvoir d'accorder les dépens. Le tribunal a de plus énoncé : Nous estimons, compte tenu de la nature complexe de cette affaire, que Mme Rierson a joué un rôle important et utile en agissant comme procureure de M. Thwaites. (à la page D/307)

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En combinant les raisonnements exprimés dans ces affaires, la procureure de la plaignante a appuyé son argumentation sur le fait que la plaignante dans l'affaire ici en cause avait perdu confiance dans la Commission au moment où l'enquêteur a conclu que la plainte était sans fondement et a recommandé qu'elle soit rejetée. Toutefois, la seule preuve à l'appui de ce fait est une déclaration de Mme Koeppel dans son témoignage qu'elle savait à quelle conclusion l'enquêteur en était venu et qu'elle n'était pas heureuse de la manière dont il avait traité son affaire.

La procureure de la plaignante a aussi souligné que l'obligation de la Commission et du procureur de la Commission en vertu de la loi est d'agir dans l'intérêt public et ce qui est perçu comme étant l'intérêt public ne coïncide pas toujours avec les intérêts individuels de la plaignante. Dans l'affaire ici en cause, cette différence était très évidente dans les mémoires présentés sur les mesures de réparation réclamées.

On ne nous a cité aucune affaire dans laquelle on avait adjugé une indemnité complète pour tous les frais juridiques et autres dépens. Aucune explication n'a été donnée à savoir pourquoi les frais de déplacement de la plaignante avaient été réclamés sous ce chef. Les circonstances de l'affaire en cause ne justifient ni l'une ni l'autre de ces réclamations.

Même si les mesures de réparation réclamées par Mme Brownridge ont été en grande partie rejetées, nous estimons tout de même qu'elle a joué un rôle important et utile dans ces procédures. Elle a procédé à l'interrogatoire direct de Mme Koeppel et a soulevé un certain nombre de questions en contre-interrogatoire. Lorsque les différences entre sa position et celle de la Commission sont analysées, on en vient à la conclusion qu'il était raisonnable pour la plaignante de chercher à se faire représenter par un procureur indépendant. Par conséquent, nous adjugeons en vertu de l'alinéa 53(2)c) des dépens raisonnables au titre de la représentation à l'audience. Si les parties ne peuvent s'entendre sur le montant de ces dépens, il sera évalué conformément au barème établi par la Cour fédérale.

Dommages-intérêts généraux

Le paragraphe 53(3) de la Loi stipule ce qui suit :

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 5 000 dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas :

  1. que l'acte a été délibéré ou inconsidéré;
  2. que la victime en a souffert un préjudice moral.

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Le procureur de la Commission a fait valoir que le tribunal était autorisé à accorder une indemnité pouvant aller jusqu'à 5 000 $ en vertu de chacune des parties de ce paragraphe. Il a avancé qu'une indemnité de 10 000 $ dans cette affaire était justifiée compte tenu de l'importance du préjudice subi par Mme Koeppel sur le plan de l'estime de soi et de la souffrance morale à la suite des gestes du MDN qui, selon lui, ont été posés de manière délibérée et inconsidérée. Le procureur a soutenu que les problèmes ont commencé lorsque Mme Thorne, de connivence avec l'adjudant Karpenic, a résolu de se débarrasser de Mme Koeppel pendant qu'elle était en période d'essai à cause de son refus de participer à la grève. Puisqu'elles ne pouvaient utiliser la grève comme motif de rejet de sa candidature, elles ont utilisé la difficulté de Mme Koeppel à utiliser le téléphone. Contrecarrées dans la réalisation de leur plan par M. Stauffer, elles ont ensuite résolu de harceler la plaignante en insistant pour qu'elle accomplisse les tâches pour lesquelles elle éprouvait des difficultés à cause de sa déficience auditive. Le défaut de finir de remplir les rapports relatifs à la période d'essai, a-t-il fait valoir, démontrait le parfum subtil de discrimination qui se dégageait des gestes des superviseures. Lorsque Mme Koeppel est revenue au DCD de la Base, les pressions exercées afin qu'elle réponde au téléphone ont augmenté. Ses supérieurs l'ont également amenée à croire qu'elle était en période d'essai et qu'elle ferait l'objet d'une surveillance étroite. En accordant une importance déraisonnable aux tâches consistant à répondre au téléphone, les supérieurs de Mme Koeppel cherchaient délibérément à faire échouer cette tentative de réintégration à ses fonctions initiales. Cette attitude a finalement mené à la rencontre du 12 février au cours de laquelle Mme Koeppel a été forcée de quitter son emploi.

Nous ne pouvons souscrire à la théorie de la conspiration mise de l'avant par le procureur. Si nous reconnaissons d'emblée qu'il y a eu acte discriminatoire de la part du MDN, nous n'en venons pas pour autant à la conclusion que ce geste a été délibéré ou inconsidéré même si, il y a certainement eu une bonne part de négligence et d'ignorance à la source de toute cette affaire. Toutefois, il est aussi certain que Mme Koeppel a éprouvé une souffrance morale sur le plan de l'amour-propre.

Après avoir analysé de notre mieux l'ensemble de la situation, nous adjugeons la somme de 3 000 $ à ce chapitre.

Intérêts

Nous jugeons approprié d'accorder le paiement d'intérêts à taux simple avant jugement et après jugement sur les indemnités versées au titre du salaire perdu et sur les dommages-intérêts généraux, tel que demandé par les procureurs de la plaignante et de la Commission. La procureure de la plaignante a proposé le taux préférentiel de la Banque du Canada, proposition à laquelle nul ne s'est objecté. Ce taux a d'ailleurs été acceptée par la

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Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Morgan, (1991), 21 C.H.R.R. D/87 comme le taux habituellement fixé, sauf lorsque le tribunal juge que des circonstances particulières entrent en jeu . Les intérêts seront calculés sur les indemnités au titre du salaire perdu à ce taux au niveau où il se situait de temps à autre pendant la période au cours de laquelle ce salaire aurait normalement été versé, et sur les dommages-intérêts généraux, au cours de la période écoulée entre le dépôt de la plainte et le paiement des dommages- intérêts.

Fait à Toronto (Ontario) ce 19e jour d'avril 1997.

(signature)


RONALD W. MCINNES

Président du tribunal

(signature)


PAUL GROARKE Membre

(signature)


GEORGE IMAI Membre
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