Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 11/94

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

PAUL LAGACÉ l'appelant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL D'APPEL

TRIBUNAL: S. Jane Armstrong, présidente Joseph Sanders, membre Alvin Turner, membre

ONT COMPARU: René Duval, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne Paul Lagacé, l'appelant Donald J. Rennie, avocat de l'intimée

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: Les 18 et 19 novembre 1993 Ottawa (Ontario)

TRADUCTION

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Un tribunal d'appel a été constitué conformément à l'article 56 de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour entendre l'appel formé par le plaignant, Paul Lagacé, contre la décision rendue le 8 avril 1993 par un tribunal formé d'un seul membre.

L'avocat de l'intimée, les Forces armées canadiennes, a soulevé dès l'ouverture de l'audience une question préliminaire quant à savoir si l'appelant avait interjeté son appel dans les délais prescrits.

L'avocat de la Commission a indiqué dès le début que M. Lagacé présenterait ses propres arguments sur le bien-fondé de l'appel. M. Lagacé a toutefois confirmé au tribunal d'appel que c'est la Commission qui

présenterait des arguments en son nom relativement à la question du respect des délais.

L'avocat de l'intimée et l'avocat de la Commission ont présenté leurs arguments les 18 et 19 novembre 1993, à Ottawa. Les avocats ont présenté d'autres arguments écrits en mars et en mai 1994.

C'est l'article 55 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui régit l'appel. En voici le texte:

55. La Commission ou les parties peuvent interjeter appel de la décision ou de l'ordonnance rendue par un tribunal de moins de trois membres en signifiant l'avis prescrit par décret du gouverneur en conseil aux personnes qui ont reçu l'avis prévu au paragraphe 50(1), dans les trente jours du prononcé de la décision ou de l'ordonnance.

Le règlement qui détermine la forme de l'appel ainsi que la manière dont il doit être interjeté porte le numéro DORS/80-394. Il prescrit la forme de l'avis d'appel et il prévoit que celui-ci doit être signifié aux parties en personne ou par courrier recommandé.

La décision portée en appel a été rendue le 8 avril 1993 et les Forces armées canadiennes ont reçu signification de l'avis d'appel le 10 mai 1993; l'avis a été signifié en personne aux bureaux du ministère de la Justice qui les représente. Les parties ont admis que les bureaux du ministère de la Justice étaient ouverts le samedi 8 mai 1993 et qu'il y avait dans l'immeuble des personnes auxquelles la signification aurait pu être faite.

L'intimée prétend que la signification de l'avis d'appel le 10 mai 1993 n'a pas été faite dans le délai prescrit par l'article 55.

Le tribunal d'appel a été invité à se reporter aux dispositions de la Loi d'interprétation pour calculer le délai dans lequel un avis d'appel

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doit être signifié conformément à l'article 55 et, en particulier, au paragraphe 27(2) de la Loi d'interprétation qui prévoit que, dans le calcul d'un délai de trente jours depuis la date du prononcé d'une décision, la date à laquelle la décision elle-même est rendue n'est pas comptée. En conséquence, si on calcule trente jours à partir du 9 avril 1993, le trentième jour est le 8 mai 1993, un samedi.

L'intimée soutient qu'étant donné que les samedis ne sont pas des jours fériés en vertu de la définition qui est donnée à cette expression par l'article 35 de la Loi d'interprétation, le plaignant ne peut pas se prévaloir de l'article 26 de ladite loi qui porte ce qui suit: «le délai qui expirerait normalement un jour férié est prorogé jusqu'au premier jour non férié suivant».

Invoquant l'arrêt de la Cour d'appel fédérale P.F. Collier and Son Ltd. c. M.R.N., [1987] 1 C.F. 214, [1986] 70 N.R. 92, la Commission a demandé au tribunal d'appel de considérer que la signification de l'avis d'appel le lundi 10 mai 1993 avait été faite dans le délai prescrit par la loi. En toute déférence, nous sommes d'avis que cette décision ne nous est d'aucune utilité. Dans cette affaire, l'appel n'a pu être déposé parce que le bureau de la Commission du tarif était fermé. La fermeture du bureau a donc empêché l'appelante de déposer son avis d'appel dans le délai prescrit par la loi. En l'espèce, les bureaux du ministère de la Justice étaient ouverts pour la signification le samedi 8 mai 1993. L'appelant aurait donc pu signifier l'appel à cette date. La conclusion dans l'arrêt Collier and Son Ltd. est donc différente de l'espèce.

La Commission nous a invités à conclure qu'il y avait une incompatibilité entre les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui accorde un délai de trente jours pour signifier un avis d'appel et les dispositions de la Loi d'interprétation qui, parce qu'elles ne prévoient pas que les samedis sont des jours fériés, priveraient à son avis le plaignant des trente jours complets nécessaires pour déposer l'avis d'appel étant donné que les bureaux du tribunal étaient fermés. Compte tenu des faits dont nous avons été saisis, des dispositions de l'article 55 qui portent que l'avis d'appel doit être signifié et non déposé dans les trente jours ainsi que du fait que la question du respect du délai prescrit pour la signification est soulevée par les Forces armées canadiennes qui auraient pu recevoir signification de l'avis le trentième jour, c'est-à- dire le samedi 8 mai 1993, nous ne concluons pas qu'il y a incompatibilité en l'espèce.

Les procédures ont été ajournées pour permettre aux avocats de fournir au tribunal d'appel des renseignements sur les services postaux qui existaient à Comox (Colombie-Britannique) où habitait l'appelant à l'époque pertinente et qui lui auraient permis de signifier l'avis d'appel par

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courrier recommandé. Le tribunal a été informé que l'appelant aurait pu utiliser le service de courrier recommandé le samedi 8 mai 1993, à Comox ou dans la région, et qu'il aurait donc pu faire signifier ainsi l'avis d'appel, ce qu'il n'a pas fait.

L'avocat de la Commission a demandé au tribunal d'appel de conclure que l'article 55 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Règlement sur les appels contre le tribunal des droits de la personne sont ambigus parce qu'ils n'indiquent pas comment calculer le délai de trente jours. A notre avis, l'absence dans la Loi de dispositions précisant comment calculer les délais ne constitue pas une ambiguïté; en fait, cela confirme plutôt que ce sont les dispositions de la Loi d'interprétation qui indiquent comment se calculent les délais aux fins de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Il ne s'agit pas d'un cas qui permet de soulever la question de la prépondérance relativement à la Loi canadienne sur les droits de la personne. La jurisprudence invoquée à cet égard par l'avocat de la Commission n'était pas directement pertinente en l'espèce, compte tenu des faits dont nous avons été saisis, et il n'est donc pas nécessaire d'examiner ces arguments.

L'avocat de la Commission a également fourni au tribunal d'appel la décision de la Cour de l'Ontario (Division générale) dans l'affaire Young v. Mississauga, (1993) 16 O.R. 3d, 409. Le tribunal d'appel a invité l'avocat de la Commission et celui de l'intimée à lui présenter d'autres arguments sur la pertinence, le cas échéant, de l'affaire Young pour leur thèse respective. Après avoir examiné tous les arguments avancés à cet égard par les avocats, nous sommes d'avis que l'affaire Young v. Mississauga n'étaye pas les arguments de la Commission. Cette décision se distingue par ses faits de l'affaire dont a été saisi le tribunal d'appel. Dans Young, le demandeur n'a pas pu signifier l'avis requis à la ville de Mississauga, conformément au paragraphe 284(5) de la Loi sur les municipalités de l'Ontario, parce que les bureaux de la ville étaient fermés le samedi qui était le septième et dernier jour où cet avis pouvait être signifié. Le paragraphe 284(5) prévoyait deux méthodes de signification des avis analogues à celles prescrites par l'article pertinent du Règlement sur les appels contre le tribunal des droits de la personne; toutefois, comme la ville de Mississauga a rendu impossible le recours à l'une de ces méthodes, en fermant ses bureaux, la cour a jugé que le demandeur ne pouvait pas se prévaloir des deux modes de signification prévus par la loi pendant toute la durée du délai prescrit. Ce n'est pas le cas en l'espèce. En effet, l'appelant aurait pu utiliser l'une ou l'autre des deux méthodes de signification de l'avis d'appel pendant toute la période prescrite.

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Le tribunal d'appel est incapable de convenir, comme le soutient la Commission, que les samedis deviennent des jours fériés en vertu des Règles de procédure civile de l'Ontario. La Loi d'interprétation fédérale prévoit qu'un jour non juridique au sens d'«une loi» provinciale est un jour férié.

Les Règles de procédure civile ne sont pas une loi provinciale mais, en réalité, des règlements pris en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires.

Le tribunal d'appel est bien conscient qu'une loi comme la Loi canadienne sur les droits de la personne doit s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. Toutefois, le tribunal d'appel est un organisme créé par la loi et, de ce fait, il ne peut modifier la Loi qui prévoit expressément que l'avis d'appel doit être signifié dans les trente jours.

La Loi canadienne sur les droits de la personne ne renferme aucune disposition permettant de proroger le délai dans lequel un avis d'appel peut être signifié.

[TRADUCTION]

Le droit d'appel est un droit d'exception qui n'existe que lorsque la loi le prévoit. Les dispositions relatives au fond et à la procédure qui concernent l'exercice de ce droit sont, en règle générale, considérées comme exhaustives. Desjardins v. Blais, [1961] R.C.S. 306, C.S.C.

Lorsqu'elle allègue que l'avis n'a pas été signifié dans le délai accordé par l'article 55, l'intimée affirme que l'appelant aurait pu signifier l'avis dans le délai étant donné que les bureaux du ministère de la Justice étaient ouverts le samedi 8 mai. L'appelant aurait également pu utiliser le service de courrier recommandé.

L'appelant n'a pas signifié l'avis d'appel à l'intimée dans les trente jours et, en conséquence, son appel est rejeté.

FAIT CE JOUR DE JUIN 1994.

S. Jane Armstrong Présidente

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Joseph Sanders Membre

Alvin Turner Membre

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