Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, ch. H-6 (version modifiée) TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : CURTIS BRADLEY IRWIN le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : RONALD W. McINNES Président

ONT COMPARU : PRAKASH DIAR Pour la Commission

DONALD J. RENNIE Pour l'intimée ANNE M. TURLEY MAJOR RANDY SMITH

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : les 23, 24, 25, 26 et 27 août 1993 les 23 et 24 novembre 1993 Toronto (Ontario)

TRADUCTION

LA PLAINTE

Le 17 avril 1990, Curtis Bradley Irwin, a déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne (la «Commission») contre l'intimé, les Forces armées canadiennes («les FAC»), dans laquelle il affirme avoir été l'objet de discrimination fondée sur la déficience (asthme), en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la«LCDP»). Il déclare que le 29 septembre 1989, à la suite d'une décision du CMRC, il a été libéré des FAC pour raison de santé parce qu'il a été jugé inapte à accomplir ses fonctions et incapable d'occuper un autre emploi. M. Irwin a contesté la décision, soutenant, dans sa plainte, qu'il n'avait éprouvé aucun problème avant la constitution du CMRC. Il a reconnu être asthmatique et a affirmé que les FAC connaissaient son état depuis l'examen médical préalable à l'enrôlement qu'il avait subi le 20 novembre 1984.

J'ai été désigné, par une lettre de M. Keith Norton datée du 9 décembre 1992, président du tribunal des droits de la personne chargé d'entendre la présente plainte.

LES NORMES MÉDICALES APPLICABLES AUX FAC

Les paragraphes qui suivent résument la version du manuel intitulé Normes médicales applicables aux Forces canadiennes qui existait pendant la période où M. Irwin se trouvait dans les FAC.

Les FAC ont établi des catégories médicales générales à l'égard des candidats à l'enrôlement et des militaires en service. La catégorie médicale comprend l'année de naissance et six facteurs. Les facteurs pertinents en l'espèce sont le facteur géographique (G) et le facteur professionnel (O). La catégorie médicale est déterminée par les résultats d'un examen médical et d'une évaluation réalisés conformément au manuel précité. Des cotes numériques sont attribuées relativement aux facteurs énumérés.

L'évaluation du facteur géographique vise à établir dans quels endroits une personne est susceptible de pouvoir exécuter ses fonctions efficacement. Les principaux éléments examinés dans cette évaluation sont le climat, le logement et les conditions de vie ainsi que la disponibilité des soins médicaux.

La cote G2 est attribuée à la personne qui souffre de troubles légers qui n'ont pas besoin d'être soignés régulièrement et qui n'empêchent pas cette personne de travailler sous quelque climat ou dans quelque environnement que ce soit.

La cote G3 est attribuée à celui dont l'état de santé demande à être suivi par un médecin plus souvent. Une telle personne a besoin de soins médicaux tous les trois mois environ, mais elle n'a pas nécessairement besoin des services d'un médecin.

La cote G4 est attribuée, entre autres, à ceux dont l'état de santé peut mener à des complications graves sans avertissement ou qui souffrent d'une incapacité physique qui les incommode légèrement de façon continue. Ces personnes devront habituellement avoir les services d'un médecin à leur portée.

Le facteur professionnel suppose l'évaluation de l'effort et de la fatigue physiques ainsi que de l'activité intellectuelle et de la tension nerveuse associés à l'occupation ou au métier particulier du sujet.

2

La cote O2 est attribuée à celui qui est sans infirmité médicale si ce n'est quelques points faibles qui ne l'empêchent pas d'accomplir un travail physique pénible et d'atteindre un niveau d'endurance acceptable lors d'un combat au front.

La cote 03 est attribuée à celui qui souffre d'une légère affection médicale ou psychologique l'empêchant d'accomplir un travail ardu ou de travailler sous tension sur de longues périodes, mais qui peut accomplir la plupart des tâches en travaillant avec modération.

La norme d'enrôlement est G2O2. Toutefois, les normes applicables aux divers métiers ou occupations exercés au sein des FAC sont évaluées séparément et peuvent être plus élevées que la norme d'enrôlement.

Lorsqu'on diagnostique, chez un membre en service, une maladie qui requiert l'établissement d'une restriction quant à l'emploi, on reclasse ce membre selon le ou les facteurs applicables. Lorsque la nouvelle cote est inférieure à celle qui est exigée pour son métier, la restriction relative à l'emploi devient un problème administratif que l'on soumet au CMRC. La possibilité de maintenir dans leurs fonctions des personnes de métier expérimentées dont la cote est abaissée fait l'objet d'un examen en fonction de leur dossier personnel. Les militaires peuvent également être mutés dans un autre métier.

Le manuel énumère les états pathologiques et déficiences physiques qui entraînent l'attribution d'une catégorie inférieure aux normes. Le manuel reconnaît que certaines affections peuvent se soigner et d'autres guérir spontanément. Une catégorie temporaire peut alors être attribuée jusqu'à ce que le problème soit réglé. Le manuel propose une catégorie à l'égard de chaque affection énumérée, mais elle peut varier selon la gravité du problème.

L'une des causes entraînant l'attribution d'une restriction est «l'asthme bronchique à l'âge adulte», et la catégorie proposée pour cette affection est G4 ou 5 et O3 ou 4.

LES FAITS

M. Irwin a fait une demande d'admission dans les FAC à Saskatoon (Saskatchewan) le 17 mai 1984. Il avait dix-neuf ans, possédait un diplôme d'études secondaires et avait occupé, pendant quelques mois, des emplois de portier et de barman et d'autres fonctions similaires dans l'industrie hôtelière, après avoir abandonné des études commerciales dans un collège communautaire. Il s'est enrôlé dans les FAC par l'intermédiaire du Programme d'instruction et d'emploi pour les jeunes, d'une durée d'un an, puis a été reclassé en 1986, pour une période de trois ans. Il a été reclassé une autre fois, en mai 1988, jusqu'au 31 août 1992. Pendant ce cheminement, il passa de matelot de troisième classe à matelot de deuxième classe.

Le 20 novembre 1984, M. Irwin a subi un examen médical préalable à l'enrôlement, au cours duquel il a déclaré souffrir d'asthme. Le rapport signale que le candidat a déclaré souffrir de cette maladie depuis environ six ans et utiliser encore le Ventolin de façon très sporadique.

En entrant dans les FAC, M. Irwin a choisi le métier de mécanicien de marine. La norme médicale minimale applicable dans ce cas est G2O2. Il reçut la formation de base à Cornwallis (Nouvelle-Écosse), puis fut envoyé à l'École navale des Forces canadiennes à Halifax pour

3

recevoir la formation maritime et environnementale et la formation de mécanicien de marine. Immédiatement après ces cours, il fut affecté au navire canadien de Sa Majesté (NCSM) - Ottawa, où il a exercé son métier jusqu'à sa libération.

M. Irwin a témoigné qu'il a souffert d'asthme pendant tout son service, mais que les symptômes disparaissaient en général lorsqu'il prenait du Ventolin en inhalation. Il a affirmé que pendant toute la durée de son service, il ne s'est jamais trouvé dans l'incapacité d'accomplir les tâches qui lui étaient assignées et n'a jamais pris congé à cause de son asthme. Il a déclaré également qu'il n'avait jamais dû être hospitalisé pour cette maladie.

Il a décrit sa participation à la course de canons de la côte est en 1986. Cette course impliquait sept semaines d'entraînement physique intensif suivi de plusieurs compétitions épuisantes qui avaient lieu sur la côte ouest et sur la côte est. Il a déclaré qu'il n'a éprouvé aucun problème respiratoire et que les médicaments qu'il prenait suffisaient à enrayer les symptômes de l'asthme.

Une preuve substantielle a été présentée concernant les visites fréquentes que M. Irwin a effectuées, après le travail, à l'urgence d'hôpitaux de bases. On a fait état de trente-deux visites. M. Irwin a expliqué que dans presque tous les cas, il s'agissait simplement de refaire provision de Ventolin et qu'il préférait se rendre à l'hôpital le soir plutôt que de s'absenter de son travail. Il est arrivé quelquefois, cependant, que M. Irwin ait réellement eu besoin de soins médicaux.

La première fois que les FAC notifièrent officiellement à M. Irwin que son asthme faisait problème fut le 1er mars 1988, lorsque sa cote médicale fut abaissée à G4O2(T3), (T3) indiquant l'application temporaire de la cote, pour une durée de trois mois. Le 11 avril 1988, après avoir été vu par le docteur O'Brien, résident en médecine interne, M. Irwin réobtint la cote G2O2 qui lui permettait d'aller en mer lorsque son navire participait à des exercices appelés croisières d'endurance.

Un soir du mois de juin 1988, M. Irwin se présenta à l'urgence de l'hôpital de la base de Halifax pour y refaire provision de Ventolin. Le docteur MacDonald était le médecin de service et, mis au courant de cet incident par le personnel de l'urgence, s'en inquiéta car il n'était pas d'usage de renouveler les prescriptions après les heures de travail. Il pensa que le programme de soins de M. Irwin et l'évaluation de son état pouvaient ne pas être adéquats. Le lendemain, il prit contact avec l'adjoint médical du NCSM - Ottawa. Ce dernier lui fit part du souci que lui avait causé un incident survenu après un exercice de nettoyage de chaudière auquel M. Irwin avait prit part à bord du navire. Le nettoyage avait duré environ trois semaines. L'adjoint médical a apparemment relaté au docteur MacDonald que l'exposition à divers solvants utilisés pour le nettoyage avait accentué l'essoufflement de M. Irwin, qui avait dû avoir recours plus souvent au Ventolin. Le docteur MacDonald a demandé à l'adjoint médical de lui envoyer les documents médicaux du navire pour examen et de fixer une date à laquelle il pourrait voir M. Irwin en consultation. Il a vu M. Irwin le 9 juin 1988.

Dans son témoignage, le docteur MacDonald a déclaré qu'il avait informé M. Irwin de sa crainte que la catégorie médicale G2O2 ne soit pas appropriée dans son cas. Il lui a fait part d'une option possible qui consisterait à lui assigner encore une fois une cote temporaire pendant que

4

son dossier était examiné et que lui-même faisait l'objet d'une nouvelle évaluation. Selon le docteur MacDonald, M. Irwin a répondu qu'il commençait a en avoir assez d'être examiné pour son asthme et que s'il devait être classé dans une catégorie médicale assortie de restrictions, il préférait le savoir dès maintenant car il pouvait réorienter sa vie autrement. Cette partie de la déposition concorde avec le témoignage de M. Irwin.

Le docteur MacDonald a ensuite fait part de ce cas à son supérieur, le médecin-chef de la base, qui estima, après examen des renseignements médicaux, que la catégorie G4O3 serait peut-être plus appropriée pour M. Irwin. Le docteur MacDonald consulta alors un spécialiste de la médecine interne, le docteur Guy, qui examina le dossier médical de M. Irwin. Le docteur Guy ne rencontra pas M. Irwin pour cet examen, mais recommanda qu'il soit classé dans la catégorie G4O3 après étude du dossier et des renseignements fournis par le docteur MacDonald. Il écrit ce qui suit dans son rapport du 17 juin 1988 :

[TRADUCTION]

J'ai examiné le dossier CF 2034 ainsi que le dossier CF 2016, et il semble que l'asthme dont souffre le mat 3 b Irwin soit considérablement plus grave qu'on ne le pensait auparavant. Lorsque le docteur O'Brien a vu le patient, en MOPC [(maladies obstructives pulmonaires chroniques)], le 5 avril dernier, il a appris que ce dernier [TRADUCTION] «pouvait faire ce qu'il voulait» et qu'il avait pris part à la course de canons, en 1986, sans apparemment, éprouver de difficultés importantes.

Une observation portée au dossier CF 2016 fait cependant état que le mat 3 b Irwin a souffert de bronchospasme aigu pendant cette période et, d'après les renseignements obtenus aujourd'hui du major MacDonald, il semble qu'il ait régulièrement souffert d'asthme d'effort malgré le traitement aux bronchodilatateurs (administrés par voie orale ou par inhalation) et aux corticostéroïdes (administrés par inhalation) qu'il suivait depuis quelques années au moins.

Dans les circonstances, plusieurs choses peuvent être faites. Il faudrait, premièrement, que ce jeune homme recommence à prendre de la théophylline par voie orale, à doses thérapeutiques (probablement du Theodur 400 mg. deux fois par jour, puisqu'il se trouvait à un niveau sous-thérapeutique avec 300 mg.). Il devrait également continuer à prendre du Ventolin et du Beclovent quatre fois par jour. Ainsi qu'il en a été question le 5 avril, je verrais normalement le mat 3 b Irwin en MOPC, au mois de juillet, pour réévaluation.

Troisièmement, il paraît certain que la catégorie médicale G2O2 ne convient pas. Le mat 3 b Irwin pourrait tout au plus être classé dans la catégorie G3O3 (même s'il devenait complètement asymptomatique et que sa «triple thérapie» lui faisait bien tolérer l'exercice). Dans son cas, la recommandation de classement dans la catégorie G4O3 serait justifiée, car il est à peu près certain que la bronchodilatation par voie orale n'apportera qu'une amélioration partielle qui ne lui permettra pas d'accomplir l'éventail complet des activités autrement exigées des personnes qui exercent un métier propre à la marine. Il serait possible de le classer G4 de façon temporaire, mais on m'a indiqué que le mat 3 b Irwin souhaite que la situation se

5

règle d'une façon ou d'une autre. Dans ces circonstances, je crois qu'il n'est pas déraisonnable de recommander son classement dans la catégorie G4O3, particulièrement au vu de ce que nous connaissons maintenant du dossier.

Il faut procéder à un examen médical complet pour modifier la catégorie médicale d'un membre des FAC. Le docteur MacDonald a effectué cet examen le 30 juin 1988. Selon le médecin, la principale constatation qu'il a pu faire fut la présence d'un sifflement à l'examen des poumons. M. Irwin était alors sous «triple thérapie» (Ventolin, Beclovent et Theodur).

Expliquant les motifs fondant sa conclusion, le docteur MacDonald a déclaré :

[TRADUCTION]

Dans l'évaluation du risque, on examine encore la possibilité que surviennent des complications soudaines et sérieuses. Dans cette perspective, ce dont M. Irwin avait besoin, en réalité, c'était d'un médecin qui puisse maîtriser son asthme au moyen de la triple thérapie et de l'analyse, à l'occasion, du niveau de Theodur dans le sang. En fait, il faudrait qu'il ait accès à un médecin en cas de crise. En conséquence, la catégorie G4 qui prévoit la disponibilité des services d'un médecin, était celle qui convenait d'après moi.

Par suite de cet examen, la catégorie médicale de M. Irwin fut donc abaissée à G4O3. Il s'ensuivait qu'il était considéré inapte au service en mer, en campagne, pour les Nations Unies ou dans des postes isolés et inapte à accomplir un travail ardu sur de longues périodes. Il s'ensuivait également qu'il ne pouvait plus prendre la mer, ce qui l'empêchait d'accumuler les quatre cents heures de service en mer dont il avait besoin pour être promu au grade suivant. Son dossier fut soumis au CMRC, accompagné d'une recommandation de son commandant préconisant qu'il demeure dans les FAC et soit muté dans un autre métier.

Par suite de cette recommandation, le dossier de M. Irwin fut renvoyé devant l'officier de sélection du personnel le 21 février 1989, pour évaluation de ses possibilités de mutation dans un autre métier au sein des FAC. Le rapport de l'officier, daté du 9 mars 1989, mentionnait qu'il pouvait être muté dans quatre autres métiers. Selon le témoignage du capitaine Michel Dupont, secrétaire du CMRC, l'officier de sélection du personnel n'aurait pas dû recommander de mutation puisque M. Irwin ne satisfaisait pas aux critères médicaux applicables en matière de mutation professionnelle. Le capitaine a déclaré que la catégorie médicale la moins élevée qui s'appliquait à un emploi dans les FAC était G3O3, à moins qu'il n'existe des circonstances particulières touchant le rang ou la durée du service dans les FAC. Or, aucune de ces circonstances n'était applicable à M. Irwin. Une demande de mutation fut néanmoins envoyée au coordonnateur des carrières de chaque métier ayant fait l'objet d'une recommandation. Tous répondirent que la mutation n'était pas possible à cause de la restriction médicale G4, et qu'en tout état de cause, aucun poste n'était vacant actuellement ou susceptible de le devenir dans un avenir rapproché. D'autres témoins ont déclaré qu'à ce moment-là les FAC avaient un surplus de personnel dans la plupart des métiers à cause des compressions budgétaires et des changements techniques, et que ce problème se faisait sentir avec une acuité particulière chez les militaires de grade inférieur.

6

Le CMRC examina tous ces renseignements et formula la conclusion suivante dans la décision qu'il rendit le 1er juin 1989 :

[TRADUCTION]

Le Conseil reconnaît qu'il n'y a pas d'autre option que de libérer le mat 3 b Irwin pour raison de santé en application de l'article 15.01, item 3b) des ORFC, puisque celui-ci est invalide et est inapte à remplir les fonctions de sa présente spécialité ou de son présent emploi et ne peut pas être employé à profit de quelque façon que ce soit en vertu des présents règlements des forces armées. Son congé de fin de service commencera le 28 février 1990 ou plus tôt s'il le souhaite.

La décision fut transmise à M. Irwin le 29 septembre 1989.

M. Irwin a choisi de quitter les FAC plus tôt que la date de libération précisée par le CMRC. Il a déclaré, dans son témoignage, qu'il était lié avec une jeune fille qui avait l'occasion de travailler à Toronto et qu'il avait décidé de la suivre et de se chercher du travail dans cette ville. Il a quitté les FAC le 28 décembre 1989.

LES TÉMOIGNAGES DES EXPERTS EN MÉDECINE

Le docteur Ronald Skrastins a témoigné à titre d'expert pour le plaignant et pour la Commission. Les experts cités par les FAC étaient le capitaine Cora Fisher et le docteur C.P.W. Warren.

Le docteur Skrastins a été reconnu comme expert en matière d'asthme et de fonctions pulmonaires. Il a indiqué que l'asthme est une maladie relativement commune qui frappe à peu près cinq pour cent de la population canadienne.

Il a examiné M. Irwin le 16 août 1993, peu de temps avant l'audience. Son rapport est daté du 19 août 1993. Au moment de cet examen, M. Irwin ne prenait que du Ventolin en inhalation. Le docteur Skrastins a également examiné une série de documents médicaux concernant M. Irwin que la Commission lui avait remis.

Le docteur Skrastins estime qu'en date du 16 août 1993, l'histoire de cas, telle qu'elle avait été portée à sa connaissance par M. Irwin, permettait de conclure que ce dernier avait souffert d'asthme bénin depuis l'âge de douze ans. Le docteur affirme que M. Irwin n'a fait état d'aucun moment où il a dû prendre de la cortisone en comprimés ou en intraveineuse, une thérapie souvent utilisée pour traiter les symptômes graves de l'asthme. Le fait que M. Irwin n'avait jamais été hospitalisé et n'avait jamais eu besoin de ce type de médicaments a amené le docteur Skrastins à qualifier l'asthme dont souffrait M. Irwin de «bénin».

M. Skrastins a exprimé l'opinion qu'une personne souffrant d'asthme bénin obéissant bien au traitement pouvait très bien se débrouiller en région isolée pourvu qu'elle connaisse bien son état et les médicaments à prendre pour en maîtriser les symptômes et qu'elle puisse se procurer les médicaments nécessaires. Il a estimé que rien dans le dossier de M. Irwin n'indiquait qu'il courait un risque important de faire une crise grave d'asthme et que les crises qu'il avait eues pouvaient toutes être maîtrisées sans intervention médicale.

En contre-interrogatoire, il a reconnu que toute personne asthmatique, quelle que soit son occupation professionnelle, était plus susceptible de présenter des réactions à certaines situations. Il a

7

convenu que son évaluation portait sur l'état dans lequel se trouvait M. Irwin lorsqu'il l'a vu le 16 août 1993 et ne visait pas à remplacer rétrospectivement l'opinion émise par les médecins qui l'avaient examiné en 1988. Il a convenu aussi que l'asthme pouvait varier d'intensité avec les années et que des attaques graves pouvaient se produire soudainement.

Il a admis en outre qu'il ne disposait que des renseignements que M. Irwin lui avait fournis relativement aux responsabilités qu'il assumait dans les FAC et qu'il ne connaissait pas les particularités ou les exigences du poste que celui-ci occupait. Il s'est dit incapable d'exprimer d'opinion sur l'aptitude actuelle de M. Irwin à servir dans les FAC sans examiner en détail ces exigences professionnelles.

Le docteur Warren est vice-doyen de la faculté de médecine de l'Université du Manitoba. Il a été reconnu comme expert en respirologie. Il a examiné le dossier médical de M. Irwin et le rapport daté du 3 août 1993 et a formulé la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

J'interprète ainsi les règlements applicables relativement à l'asthme :

  1. Le mat 3 b Irwin a la cote G4 - asthme modéré à grave - puisqu'il est en permanence sous médication prophylactique (Beclovent en inhalation) et qu'il prend de la théophylline.
  2. Le mat 3 b Irwin a la cote O3 - asthme induit par l'effort ou le froid, nécessite de légères restrictions quant à l'activité.

Cette conclusion s'applique à l'état dans lequel se trouvait M. Irwin en 1988, et elle confirme le classement effectué par les médecins des FAC à cette époque.

Relativement à l'établissement des niveaux de gravité de l'asthme, le docteur Warren a déclaré :

[TRADUCTION]

C'est une question très difficile parce qu'une personne asthmatique peut être tout à fait normale un jour, et devenir soudainement extrêmement malade, pour se retrouver encore parfaitement normale le lendemain. C'est pourquoi, le point de référence doit être la gravité des crises. Mais il faut également tenir compte de facteurs comme la fréquence et la persistance des attaques et d'autres questions du genre et essayer de les prendre en considération.

En contre-interrogatoire, le docteur Warren a également fait état de la [TRADUCTION] «nature capricieuse de l'asthme» qui fait qu'une personne peut se sentir bien et en santé et néanmoins être susceptible de faire soudainement une crise grave.

Il a aussi déclaré que le traitement prescrit à M. Irwin correspondait à la thérapie prévue par les usages médicaux reconnus de l'époque. Compte tenu des renseignements dont il disposait actuellement, toutefois, il se serait davantage inquiété de l'état du patient et lui aurait recommandé un traitement plus agissant.

Le capitaine Cora Fisher est chef - Médecine au Centre médical de la Défense nationale. Elle a été reconnue comme expert en médecine interne

8

générale dont la respirologie est une sous-spécialité. Elle a également été reconnue comme expert en médecine militaire et son témoignage a porté sur les normes médicales applicables aux Forces canadiennes. Elle a insisté sur le fait que l'évaluation de la norme applicable à une personne nécessitait de poser un jugement tant en matière médicale que militaire et qu'il fallait, pour cela, comprendre les tâches militaires que la personne devait accomplir. L'évaluation des personnes asthmatiques demande beaucoup de jugement puisqu'il n'existe aucun test permettant de quantifier le facteur de risque de façon fiable.

Elle a également signalé la nature imprévisible de l'asthme, une maladie qu'elle a qualifiée de [TRADUCTION] «déficience latente» et a exprimé l'opinion suivante :

[TRADUCTION]

Je dois conclure que le fait qu'aucun incident ne se soit produit au travail relève entièrement de la chance, car les autres incidents ont été assez nombreux pour que je ne sois pas vraiment certaine de la raison pour laquelle il n'y en a pas eu au travail.

D'après elle, M. Irwin aurait été en danger s'il avait continué à exercer son métier.

Elle a déclaré qu'il n'y avait pas de médecins à bord des destroyers. Selon elle, il serait difficile pour un adjoint médical de traiter, en mer, une crise d'asthme, même modérée. Elle a poursuivi en faisant l'affirmation suivante : [TRADUCTION]

L'adjoint médical a une formation de base, mais même si le navire avait un médecin à son bord, ce dernier ne disposerait pas de tout ce qui serait nécessaire pour traiter ce genre d'urgence. Cela ne dépend pas seulement des personnes, ce sont aussi les réalités. Les destroyers, particulièrement les destroyers canadiens, sont des navires de petite taille.

Elle a ajouté que, dans les années 1980, il ne se serait pas normalement trouvé de masque aérosol ou de ventilateur à bord d'un destroyer et que l'évacuation à partir d'un tel navire est assujettie à des restrictions, notamment la distance et la température.

Le capitaine Fisher a également examiné le dossier de M. Irwin et a exprimé l'opinion qu'il avait été classé dans la bonne catégorie médicale en 1988. Les aspects particuliers des données cliniques qui, d'après elle, étayent ce classement sont le nombre de visites qu'il a faites à des installations médicales, le nombre d'éléments déclencheurs - les facteurs qui causent une crise d'asthme - et le fait qu'on a quand même constaté la présence d'un sifflement en dépit de l'application d'une triple thérapie. Dans le cas de M. Irwin, le dossier médical indique comme facteurs déclencheurs : les chats, l'air froid, l'exercice, l'air humide et les infections, qu'il s'agisse d'infections des voies respiratoires supérieures ou de la grippe.

Elle est d'avis que l'évaluation médicale de l'état de M. Irwin et le diagnostic établi en 1988 étaient conformes à la théorie et aux pratiques médicales existantes au Canada à cette époque.

LE ROLE DES FAC

9

La preuve touchant la structure des FAC et le rôle qu'elles jouent actuellement a été apportée par le témoignage du major Julien Bibeau. Le major Bibeau est affecté à la Direction des concepts des Forces.

Il a déclaré que le mandat donné aux FAC par le Parlement était de protéger et de défendre les intérêts nationaux du Canada, d'assurer la sécurité nationale au pays et à l'étranger et d'affirmer la souveraineté du Canada et son intégrité territoriale par l'usage de la force si nécessaire. L'objectif poursuivi par les FAC est de fournir des forces prêtes au combat, entraînées et équipées pour faire face à toutes sortes de scénarios en territoire canadien ainsi qu'en contexte international, sous l'égide de l'ONU ou de l'OTAN.

Le maintien de la paix est également l'une des priorités des FAC. En 1989, les FAC ont participé à neuf missions. Des contingents d'importance variable ont été envoyés en Corée, au Moyen-Orient, à Chypre, au Salvador, dans le Sahara occidental, en Yougoslavie, au Cambodge, en Somalie, au Mozambique, en Ouganda et au Rwanda.

Tous les membres des FAC sont censés être prêts au combat à très court préavis et pouvoir être déployés, très rapidement dans un vaste éventail de lieux géographiques et de conditions climatiques.

Le capitaine Karen Armour travaille à la Direction de la planification des effectifs à Ottawa. Son témoignage a porté sur la structure professionnelle des FAC. Elle aussi a insisté sur le fait que tous les membres des FAC sont d'abord des soldats. Leur occupation ou métier vient en second lieu. Tous les militaires doivent être capables de servir dans un vaste éventail de conditions, sans possibilité de choix, ce qui peut comprendre des affectations en région isolée où il se peut que les services médicaux ne soient pas facilement accessibles.

Le métier et le grade de M. Irwin le placent au niveau 312. A ce niveau, les métiers sont qualifiés de métiers «propres à la marine». Tous les postes exigent le service en mer sans possibilité de rotation navire- rivage, et M. Irwin ne pouvait être promu à un niveau supérieur sans avoir accumulé quatre cents heures de veille en mer. Comme il en a été fait mention plus haut, M. Irwin n'avait pas atteint ce nombre d'heures au moment de son reclassement médical.

La description du groupe professionnel auquel appartenait M. Irwin, celui des mécaniciens de marine, présente ainsi les conditions physiques de travail de ce poste :

[TRADUCTION]

Le mécanicien de marine doit tenir le quart dans les salles de machines, par roulement continu de trois bordées, durant des périodes prolongées en mer et au port. Il doit effectuer ses tâches d'entretien en mer et au port dans des espaces clos et très restreints, au-dessus et au-dessous de la ligne de flottaison. Il est exposé à des niveaux de bruits très élevés, à la chaleur intense, à des changements subits de température et de pression d'air et à des substances irritantes pour les yeux, les oreilles et les poumons. Ses tâches exigent beaucoup de force et d'endurance et parfois un effort physique intense. Le mécanicien peut aussi être appelé à travailler sur les ponts extérieurs dans toutes les conditions atmosphériques.

10

Le lieutenant Kirby Smith, officier mécanicien de marine, a confirmé, dans son témoignage, l'exactitude de la description de ces aspects physiques. Il a de plus expliqué en détail les attributions d'un mécanicien de marine dans la chaufferie et dans la salle des machines. Il a indiqué que, dans certaines circonstances, il pourrait arriver que l'abandon de son poste par le mécanicien, pour des raisons de santé, entraîne l'explosion d'une chaudière et mette le navire en péril.

Le lieutenant Smith a également fait état d'autres exercices accomplis par les membres d'équipage lorsqu'ils ne sont pas de quart. Les mécaniciens de marine forment le noyau des équipes d'organisation de sécurité chargées de la lutte contre les incendies, réels ou simulés. Pendant ces exercices, les membres portent des tenues enduites de caoutchouc par-dessus leurs vêtements habituels. Cette tenue comprend des gants, un casque, des bottes et un appareil respiratoire autonome à masque complet, connu sous le nom de «chemox». Il a déclaré qu'il serait virtuellement impossible d'utiliser un ventilateur ou un bronchodilatateur dans de telles conditions.

Plusieurs témoins militaires ont en outre exprimé l'opinion, dans leur déposition, que le moral et l'efficacité de l'équipage seraient très affectés si l'un des membres se trouvait chroniquement incapable d'exécuter les tâches régulières attachées à son rang et à son métier.

LE DROIT

Il incombe au plaignant et à la Commission de présenter une preuve prima facie de la discrimination.

L'alinéa 15a) de la LCDP énonce un moyen de défense qui peut être invoqué dans les cas où la pratique discriminatoire constitue une exigence professionnelle justifiée (EPJ) :

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;

C'est l'intimé qui a la charge d'établir cette défense selon la norme de preuve ordinaire en matière civile, savoir la prépondérance des probabilités.

Les analyses jurisprudentielles des divers éléments constitutifs de la défense d'EPJ sont nombreuses.

L'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, a établi qu'en cette matière, il fallait satisfaire à un critère objectif et à un critère subjectif. Le critère subjectif est décrit à la p. 208 :

Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction [...] doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code.

11

Le critère objectif est ainsi défini, toujours à la p. 208 : Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.

Relativement à ce critère, le juge Sopinka a précisé ce qui suit dans l'affaire Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297, à la p. 1309 :

Ce critère oblige l'employeur à démontrer que l'exigence, même si elle ne se justifie pas nécessairement dans le cas de chaque individu, est raisonnablement justifiée dans son application générale. [...] Dans les cas limités d'applicabilité de ce moyen de défense, ce ne sont pas les caractéristiques individuelles qui sont déterminantes, mais les caractéristiques générales appliquées de façon raisonnable.

Pour que la règle ou l'exigence soit considérée comme justifiée, il faut prouver qu'elle vise un risque réel. Le juge McIntyre a également affirmé, dans les motifs qu'il a rendus dans l'arrêt Etobicoke, que pour déterminer si l'existence d'une EPJ a été établie, le tribunal doit :

[...] se demander si la preuve fournie justifie la conclusion [...] (aux p. 209-210).

Dans l'affaire Canadien Pacifique Ltée c. Canada (CCDP), [1988] 1 C.F. 209, le juge Marceau, commentant la phrase qui précède, s'est exprimé ainsi à la p. 224 :

Toutefois, lorsque j'interprète cette phrase compte tenu du contexte, elle me semble viser la preuve qui doit démontrer suffisamment que le risque est réel et ne repose pas sur de simples conjectures. En d'autres termes, l'adjectif «suffisant» en question se rapporte au caractère réel du risque et non à son degré.

L'analyse de l'EPJ doit s'effectuer en fonction de l'occupation et non de la personne. Ainsi qu'il l'a été affirmé dans l'arrêt Bhinder c. CN, [1985] 2 R.C.S. 561, à la p. 588 (le juge McIntyre) :

La Loi parle d'«exigence professionnelle». Cela doit s'entendre d'une exigence de la profession, non d'une exigence limitée à un individu. Elle doit s'appliquer à tous les membres du groupe d'employés concerné, car c'est une exigence d'application générale concernant la sécurité des employés. Les employés doivent se conformer à cette exigence pour occuper leur poste. De par sa nature même, elle n'est pas susceptible d'application individuelle.

et à la p. 589 :

Appliquer une exigence professionnelle normale à chaque individu avec des résultats variables, selon les différences personnelles, c'est la dépouiller de sa nature d'exigence professionnelle et faire perdre tout leur sens aux dispositions claires de l'al. [15a)].

De la même façon, lorsqu'une règle a un effet discriminatoire direct sur un groupe, il n'existe aucune obligation d'accommodement individuel à l'égard des membres du groupe. Voir Central Alberta Dairy

12

Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, à la p. 514 :

Lorsque, à première vue, une règle établit une distinction fondée sur un motif de discrimination prohibé, sa justification devra reposer sur la validité de son application à tous les membres du groupe touché. En vertu du critère du motif justifiable, il ne peut en effet y avoir d'obligation d'accommodement à l'égard des membres individuels du groupe puisque, comme l'a fait observer le juge McIntyre, cela saperait le fondement même de ce moyen de défense. Ou bien on peut validement établir une règle qui généralise à l'égard des membres d'un groupe ou bien on ne le peut pas. Par leur nature même, les règles qui constituent une discrimination directe imposent un fardeau à tous ceux qui y sont assujettis. Si tant est qu'elles puissent être justifiées, c'est dans leur application générale qu'elles doivent l'être.

Le fait que des tests sont administrés à chaque personne peut toutefois constituer un élément à considérer pour se prononcer sur l'existence d'une EPJ. Dans l'arrêt Saskatoon, le juge Sopinka a écrit, à la p. 1313 :

Quoiqu'il ne soit pas absolument nécessaire de faire subir des tests à chaque employé, il se peut que l'employeur ne parvienne pas à s'acquitter de l'obligation qui lui incombe de prouver le caractère raisonnable de l'exigence s'il ne fournit pas une réponse satisfaisante à la question de savoir pourquoi il ne lui a pas été possible de traiter individuellement les employés, notamment en administrant des tests à chacun d'eux. S'il existe une solution pratique autre que l'adoption d'une règle discriminatoire, on peut conclure que l'employeur a agi d'une manière déraisonnable en n'adoptant pas cette autre solution.

ANALYSE

La présente affaire repose sur l'argument voulant que les FAC aient libéré M. Irwin en application d'une politique discriminatoire à l'endroit des personnes souffrant d'asthme bronchique. Il a été reconnu que l'asthme constitue une déficience physique au sens de la LCDP. Il a été reconnu également que la politique en cause constitue à première vue une pratique discriminatoire allant à l'encontre des dispositions de la LCDP, et qu'elle constitue aussi de la discrimination directe à l'endroit du groupe des personnes atteintes d'asthme.

Ni dans la preuve ni dans les plaidoiries il n'a été affirmé que les FAC ne croyaient pas subjectivement que les normes médicales qu'elles appliquaient, et particulièrement celles qui avaient trait à l'asthme bronchique, étaient nécessaires à la bonne exécution du travail. Par conséquent, la présente espèce ne met pas en cause l'élément subjectif de l'EPJ.

Pour déterminer si les FAC ont satisfait à l'élément objectif de la défense d'EPJ, il faut partir du par. 33(1) de la Loi sur la défense nationale, qui prévoit ce qui suit : 33. (1) La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l'obligation de service légitime.

et de l'élément contextuel souligné dans la décision Canada (Procureur général) c. St. Thomas et Commission canadienne des droits de la personne

13

(décision non publiée de la C.A.F., rendue le 8 octobre 1993). Dans cette affaire, qui portait également sur la libération d'un membre des FAC souffrant d'asthme, le Juge en chef a écrit :

A mon avis, l'examen de cette question doit faire entrer en ligne de compte un élément contextuel que le tribunal n'a pas suffisamment pris en considération, à savoir qu'en l'espèce un soldat est en cause. En sa qualité de membre des Forces canadiennes, M. St. Thomas était d'abord et avant tout un soldat. En tant que tel, il devait vivre et travailler dans des conditions inconnues dans la vie civile et être capable de fonctionner, à bref délai, dans des conditions de stress physique et émotionnel extrême et dans des endroits où des installations médicales n'étaient peut-être pas disponibles aux fins du traitement de sa maladie ou, si elles l'étaient, n'étaient peut-être pas adéquates. Tel est, me semble-t-il, le contexte dans lequel la conduite des Forces canadiennes devrait être évaluée en l'espèce.

Il s'ensuit que, sur le plan professionnel, M. Irwin doit être considéré comme un mécanicien de marine à bord d'un destroyer et comme un membre des FAC. Ce sont les fonctions qu'il doit être en mesure d'exécuter.

Les tribunaux judiciaires et administratifs ont jugé que des normes relatives à la santé constituaient une EPJ dans les cas où il avait été démontré qu'elles étaient raisonnablement nécessaires pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général. Ce critère comporte deux aspects, l'aspect de l'«exécution» et celui du «risque».

Voici quelques affaires où il a été jugé qu'une norme relative à la santé constituait une EPJ : Canadien Pacifique Ltée c. Canada (CCDP) (C.A.F.), [1988] 1 C.F. 209, (diabète); Galbraith c. FAC (T.D.P.), [1989] 10 C.H.R.R. D/6501 (iléostomie continente); Séguin c. Gendarmerie royale du Canada (T.D.P.), (1989) 10 C.H.R.R. D/5980 (acuité visuelle); Husband c. Canada (FAC) (T.D.P.), (1991) 15 C.H.R.R. D/197 (acuité visuelle); Bouchard c. Canada (FAC) (T.D.P.), (1992) 15 C.H.R.R. D/362 (calculs rénaux); Procureure générale du Canada c. Beaulieu (C.A.F.) décision non publiée rendue le 25 février 1993 (épilepsie); Procureur général du Canada c. St. Thomas (C.A.F.) décision non publiée, rendue le 8 octobre 1993 (asthme) et Boivin c. FAC (T.D.P.), décision non publiée rendue le 25 janvier 1994 (luxation récidivante du genou).

Il est également arrivé que les tribunaux jugent qu'une norme médicale ne constitue pas une EPJ, par exemple dans les décisions Dejager c. Ministère de la Défense nationale (T.D.P.), (1986) 7 C.H.H.R. D/3508 (asthme); Canada (Procureur général) c. Rosin (C.A.F.), [1991] 1 C.F. 391 (vision monoculaire); Canada (Procureur général) c. Levac (C.A.F.), [1992] 3 C.F. 463 (maladie cardiaque); Robinson c. Canada (FAC) (T.D.P.), (1992) 15 C.H.R.R. D/95 (épilepsie) et Thwaites c. FAC (T.D.P.), décision non publiée rendue le 7 juin 1993 (SIDA).

Ce sont les faits propres à chaque affaire, donc, qui déterminent la décision à rendre.

En l'espèce, il s'agit de l'abaissement de la catégorie médicale d'un membre actif par opposition au classement effectué à l'enrôlement. Cette distinction revêt une importance considérable. Les normes médicales

14

des FAC mentionnées ci-dessus prévoient expressément que la catégorie attribuée en raison d'une maladie peut varier selon la gravité de l'affection. Par conséquent, même si la loi n'impose pas par ailleurs l'établissement d'une EPJ, les tests individuels deviennent un élément constitutif du processus dans cette situation. Ainsi que le démontre le témoignage du capitaine Dupont, les conséquences du reclassement dans la catégorie G3O3 sont potentiellement moins graves que celles du reclassement dans la cote G4O3, puisque dans le premier cas, le soldat peut demeurer dans les FAC en exerçant un autre métier, tandis que dans le second cela lui est impossible.

Tout le processus qui a mené à l'abaissement de la catégorie médicale de M. Irwin et, finalement, à la décision de le libérer a reposé sur la preuve présentée relativement à son état de santé. La décision de libérer le plaignant prise par le CMRC procédait essentiellement d'un examen administratif, ou examen «sur dossier», fondé sur les évaluations médicales antérieures. Cet examen n'a pas simplement résulté en l'établissement d'un diagnostic d'asthme, il a donné lieu à l'évaluation de la gravité de l'affection à ce moment-là et à l'appréciation, tant sur le plan militaire que médical, de la capacité de M. Irwin d'exécuter correctement et efficacement son travail sans danger pour lui ou pour d'autres. Les normes médicales dictaient ce dernier élément de la décision, dans une certaine mesure, puisqu'elles prévoyaient une politique applicable en matière d'asthme bronchique. Il ne s'agit pas, toutefois, d'une politique rigide dans son application aux militaires en service. Le processus ne se déroule pas sans examen médical individuel.

La décision St. Thomas me paraît soutenir une telle démarche, en dépit du fait que l'avocat des FAC l'invoque à l'appui de l'argument selon lequel les tests individuels ne sont pas nécessaires à l'établissement d'une défense d'EPJ. Le Juge en chef déclare, à la p. 8 de cette décision : Pour les motifs ci-dessous énoncés, j'estime respectueusement que le Tribunal a commis une erreur en concluant qu'il fallait faire des tests individuels pour déterminer si M. St. Thomas pouvait assumer ses tâches.

Mais il ajoute immédiatement ceci :

Il ressort clairement de l'examen du dossier que des tests individuels ont été effectués avant qu'on ait décidé de libérer M. St. Thomas.

Le Juge en chef procède ensuite à une analyse très fouillée les tests médicaux effectués et conclut qu'ils étaient suffisants pour permettre aux FAC de déterminer que l'intimé, un militaire en service, n'était pas apte à assumer ses tâches. Cette conclusion est, à mon avis, le fondement de la décision.

L'avocat des FAC a également cité les décisions Husband et Galbraith à l'appui de l'argument voulant que les seuls tests individuels requis soient le diagnostic de la déficience et qu'il n'y ait pas d'obligation de procéder à d'autres tests pour déterminer si une personne est en mesure de satisfaire aux exigences d'un emploi. Il expose que, dans un contexte militaire, une telle exigence ne serait pas pratique. Les observations tirées de ces affaires ne sont pas pertinentes en l'espèce. Dans les deux cas, il s'agissait de l'enrôlement de nouvelles recrues, ce qui faisait intervenir des critères différents.

15

Les examens médicaux subis par M. Irwin en 1988 ne visaient pas uniquement l'établissement d'un diagnostic d'asthme. Il ne faisait de doute pour personne que M. Irwin était asthmatique. La preuve ne permet pas d'affirmer si sa maladie a commencé à poser des problèmes en 1988 ou si c'est simplement à cette date que la nature problématique de celle-ci a été reconnue. Quoi qu'il en soit, les gestes du docteur MacDonald et du personnel médical des FAC avaient principalement pour objet, à ce moment- là, de déterminer la gravité de l'affection et d'établir la catégorie dans laquelle il convenait de classer M. Irwin relativement aux facteurs G et O examinés plus haut. L'attribution des cotes numériques vise à refléter le degré du risque encouru. C'est à ce stade que les normes médicales des FAC entrent en jeu, et il ne fait aucun doute que la catégorie proposée, «asthme bronchique à l'âge adulte», a influé sur le classement médical de M. Irwin. Les médecins, cependant, ont déterminé que la gravité de la maladie, à ce moment-là, était telle que M. Irwin pouvait être sujet à des «complications graves sans avertissement», un critère qui donne lieu à l'attribution de la cote G4 d'après les Normes médicales. C'est cette cote qui a eu le plus de poids dans la décision qui a finalement été prise de libérer M. Irwin.

Il reste à décider de la suffisance, en l'espèce, des tests médicaux individuels effectués à l'égard de M. Irwin.

La preuve établit que le docteur MacDonald a procédé à une évaluation initiale qui a donné lieu à une consultation auprès du docteur Guy, lequel a examiné, au mois de juin 1988, l'ensemble du dossier médical. Le docteur Guy n'a pas été cité comme témoin, mais le docteur Fisher l'a présenté en ces termes :

[TRADUCTION]

[...] le capitaine (N) Fred Guy qui, à cette époque, était chef - médecine à l'hôpital des FAC à Halifax. Le capitaine Guy est un interniste qualifié et, à cette date, il devait avoir exercé dans cette spécialité pendant plus de dix ans au sein des Forces.

Le docteur MacDonald a effectué un examen médical complet le 30 juin 1988. Avant l'examen du CMRC, M. Irwin a été vu par les docteurs Guy et Theakston (résident en médecine), a subi une épreuve fonctionnelle respiratoire au Victoria General Hospital le 19 juillet 1988 et a fait l'objet d'une nouvelle évaluation le 8 septembre 1988. Les documents relatifs à ces derniers tests ont été produits en preuve par la Commission afin de démontrer que M. Irwin se trouvait alors dans des limites acceptables. Ils indiquent toutefois, bien que la preuve n'établisse pas qu'ils faisaient partie du dossier dont disposait le CMRC, que M. Irwin a fait l'objet d'examens réguliers au sein des FAC.

En outre, le docteur MacDonald a témoigné du fait que M. Irwin s'était fait offrir, le 9 juin 1988, la possibilité de recevoir une cote temporaire pendant que les FAC étudiaient son dossier et le dirigeaient vers d'autres spécialistes pour une nouvelle évaluation. M. Irwin a refusé cette possibilité; il n'est donc pas en mesure d'affirmer, maintenant, que si les FAC avaient procédé à d'autres examens en 1988, ceux-ci auraient peut-être produit un résultat différent.

Relativement à l'opinion des experts, le docteur Skrastins a reconnu que ses conclusions reposaient exclusivement sur l'évaluation du patient qu'il avait faite le 16 août 1993 et ne visaient pas à remplacer rétrospectivement l'opinion à laquelle d'autres médecins étaient parvenus en 1988. Le docteur Warren et le capitaine Fisher ont expressément

16

souscrit aux opinions formulées antérieurement et ont déclaré, dans leur témoignage, que l'évaluation réalisée en 1988 était conforme aux connaissances et aux usages médicaux de cette époque.

Dans l'affaire Procureure général c. Beaulieu (précitée), la Cour d'appel fédérale a jugé que le tribunal avait commis une erreur en statuant qu'il y avait eu discrimination parce qu'il estimait que le plaignant avait été victime d'un diagnostic erroné au moment de sa libération des FAC. Le juge Marceau résume ainsi sa pensée à la p. 12 :

Je crois que le tribunal ne pouvait pas juger fondée la plainte de Beaulieu du seul fait qu'on avait réussi à le convaincre que le diagnostic de comitialité temporale était erroné. Il lui aurait fallu être satisfait (sic) en plus: soit, que le diagnostic avait été tiré imprudemment, auquel cas il aurait peut-être pu parler de discrimination déguisée et de perception fausse et hâtive; soit, que l'exigence d'absence de troubles épileptiques pour un conducteur des Forces armées n'était pas une exigence justifiée, ce qui aurait réduit à néant la défense des Forces armées.

Il n'est pas question de «discrimination déguisée» en l'espèce. Il ne m'appartient donc pas d'examiner l'exactitude des conclusions médicales tirées en 1988, même s'il existe des éléments de preuve permettant de faire une telle analyse.

Les témoins experts ont décrit l'asthme comme une maladie «capricieuse» et une «déficience latente». Les asthmatiques tout bien- portants qu'ils soient, sont toujours susceptibles de faire soudainement une crise grave. L'évaluation de leur état requiert une bonne dose de jugement médical car aucun test ne permet de quantifier le risque de crise grave de façon fiable. Le fait que M. Irwin n'ait jamais été hospitalisé ou n'ait jamais eu de crise grave pendant qu'il était dans l'armée et qu'il ait pu assumer ses tâches sans interruption pendant une période de cinq ans n'est pas déterminant dans l'évaluation du risque futur. Pour la même raison, l'état de santé actuel de M. Irwin ou son dossier médical depuis son départ des FAC ne peuvent servir non plus.

Les témoignages des experts me convainquent qu'il y avait un risque réel que M. Irwin fasse soudainement une grave crise d'asthme. La preuve présentée relativement à ses fonctions, en qualité de mécanicien de marine comme en qualité de soldat, établit qu'une telle crise aurait pu se produire dans des circonstances où, en plus de l'empêcher d'accomplir ses tâches, elle aurait mis en danger M. Irwin lui-même et les autres membres de l'équipage.

La preuve me convainc également que les FAC se sont raisonnablement efforcées d'examiner d'autres solutions que la libération, au moyen du processus de mutation professionnelle mentionné plus haut. Le fait que M. Irwin a refusé l'attribution d'une cote médicale temporaire pendant que les FAC procédaient à une nouvelle évaluation peut avoir contribué à rendre cette démarche futile.

Dans ces circonstances, il n'est pas nécessaire que je détermine si la norme imposée par les FAC relativement à l'asthme bronchique constitue en soi une EPJ. L'examen requis par la présente affaire a une portée beaucoup plus réduite. Mes conclusions ne portent que sur le plaignant et découlent de sa maladie, telle qu'elle a été diagnostiquée en

17

1988. Dans ces circonstances limitées, je conclus que l'intimé a établi l'existence d'une EPJ.

Depuis la rédaction des présents motifs, on m'a signalé la décision de la Cour fédérale du Canada, rendue le 25 mars 1994, rejetant la demande de révision judiciaire de la décision du tribunal dans l'affaire Thwaites, précitée. Je ne vois aucune contradiction entre les motifs du juge Gibson et l'analyse que j'ai fait de la preuve en l'instance.

En conséquence, la plainte est rejetée.

Fait à Toronto (Ontario), le 18 avril 1994.

Ronald W, McInnes Président

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.