Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 2/94 Décision rendue le 25 janvier 1994

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

R.S.C. 1985, c. H-6

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

JEAN-MARC BOIVIN

Plaignant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

et

FORCES ARMÉES CANADIENNES

Intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Norman Bossé - Président Aimée Poulin-Lauzon Alain Roy

ONT COMPARU: Me François Lumbu, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Me Johanne Levasseur et Major Randall Smith, avocats de l'intimée

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: Les 3, 4, 6 et 7 mai 1993 Les 17, 18, 20 et 21 mai 1993 Montréal (Québec)

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LA PLAINTE

Une plainte datée du 14 novembre 1988 a été déposée en vertu de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-1977, chapitre 33 et ses modifications (appelée ci-après la Loi), par Jean-Marc Boivin (ci-après appelé le plaignant).

Le plaignant allègue ce qui suit:

"Les Forces armées canadiennes agissent de façon discriminatoire et contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en refusant de continuer de m'employer parce que je me suis luxé le genou droit lors d'un exercice militaire survenu le 25 avril 1988. A la suite de cet accident, on m'a incité à signer une demande de libération des Forces armées. J'ai effectivement été libéré le 11 mai 1988.

Depuis le mois de juillet 1988, je suis complètement rétabli de cette blessure au genou. Je me considère apte à exercer le travail de commis en administration pour lequel j'avais opté lors de mon enrôlement dans l'armée le 23 février 1988."

LES FAITS

Suite à sa demande d'enrôlement datée du 15 juillet 1987, le plaignant a été enrôlé dans l'armée canadienne le 23 février 1988. Il est à noter dans le rapport d'examen médical en vue de son enrôlement (pièce I- 25), que ce dernier avait déclaré avoir déjà souffert de luxation aux deux (2) genoux.

L'entraînement a commencé le 7 mars 1988 au Collège militaire de St-Jean, entraînement qui a été interrompu par une blessure au genou le 25 avril 1988, blessure consistant à une luxation de la rotule droite.

A l'examen médical du 26 avril 1988 (pièce C-1, onglet 3), constatant une luxation récidivante à la rotule droite, la libération pour raisons médicales a été recommandée par les médecins de l'armée et, en conséquence, le plaignant a été libéré le 11 mai 1988.

Suite à cette libération, si l'on se réfère à la pièce C-1, onglet 4, le plaignant a fait parvenir à Monsieur Perren Beatty, ministre de la Défense nationale, une lettre du 7 juin 1986 lui racontant ce qui suit:

"J'ai rencontré un médecin à l'hôpital Maisonneuve, spécialiste en genoux, selon lui, je pouvais

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réintégrer l'armée sans problème après ma guérison. Il m'a enlevé immédiatement mon plâtre et j'ai eu de la physiothérapie. Je n'ai aucun problème.

Le médecin de l'armée m'a dit de revenir à la base après guérison, mais à Montréal, ils veulent que je recommence toutes les démarches, ce qui serait long et inutile, d'après moi.

J'aimerais qu'on me considère en congé de maladie et non démissionnaire ou renvoyé. J'aimerais continuer de servir dans l'armée. Je me crois compétent. J'aimais le groupe et la discipline. Je me préparais à une carrière en administration. Je trouve regrettable qu'on ne prenne pas en considération l'accident de parcours. Au chômage, on me considère en accident de travail, à l'armée en récidive d'accident. J'ai déjà eu la rotule déplacée, il y a longtemps dans mon enfance. Lors de mon embauche, j'étais en pleine forme. J'ai fourni un acte médical sur ma condition de santé passée et présente. L'armée était au courant de mon accident antérieur. Soit dit en passant, ma santé est parfaite."

PREUVE DE LA COMMISSION ET DU PLAIGNANT

La preuve de la commission et du plaignant repose particulièrement sur le rapport du Dr. Godin, rapport daté du 22 mars 1990 et produit sous la pièce C-4. Après avoir fait l'historique du dossier médical du plaignant, le Docteur Godin émet l'opinion suivante:

"Il s'agit d'un patient de 24 ans qui présente une histoire de luxation externe des deux rotules.

L'événement récent du mois d'avril 1988 a bien répondu à un traitement conservateur et depuis ce temps, le patient est tout a fait asymptomatique, s'adonne à un travail normal et à des activités normales.

Ce patient demeure toutefois un candidat à d'autres épisodes de luxation de la rotule qui pourraient se présenter lors d'exercices physiques intenses.

Il serait toutefois utile de compléter l'investigation par des tomographies axiales en extension au niveau des deux rotules, car cet examen permet de mettre en évidence des phénomènes de malalignement qui ne paraissent pas sur les radiographies standards. Si

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cet examen démontrait des anomalies suggérant un malalignement des rotules, il y aurait indication de procéder à un transfert de tendon devant un autre épisode de luxation de la rotule.

En plus, il y a le problème de fragment osseux intra- articulaire au niveau du genou gauche qui pourrait être excisé par voie arthroscopique sans laisser de séquelles permanentes.

Si, devant l'éventualité d'un autre épisode de luxation, et qu'une tomographie démontrait un certain degré de malalignement, la chirurgie de transfert de tendon est une chirurgie mineure donnant de très bons résultats et ne provoquant pas de séquelles permanentes dans la majorité des cas.

Voici donc les renseignements que nous pourrons tirer de l'étude du dossier de monsieur Boivin, ainsi que de son examen physique.

En réponse aux questions:

1. Monsieur Boivin souffre effectivement d'une luxation récidivante de la rotule. Il s'agit toutefois d'une récidive qui s'est produite une seule fois au niveau du genou droit et il n'y a eu qu'un seul épisode de luxation de la rotule gauche.

2. Monsieur Boivin est apte à occuper un poste de commis en administration dans les Forces armées canadiennes.

3. Monsieur Boivin doit être considéré un candidat apte à faire un travail d'entraînement militaire considérant son examen demeure normal actuellement, si ce n'est la présence du varus et du recurvatum qui sont des anomalies structurales ayant peu de répercussions cliniques, s'il n'y a pas d'autres épisodes de luxation de la rotule. Ceci demeure une possibilité considérant que le patient est asymptomatique actuellement depuis le mois d'avril 1988.

J'ai revu les documents de littérature orthopédique concernant les luxations de la rotule. Il s'agit de documents classiques de la littérature orthopédique confirmant que ce problème peut être rencontré chez un patient ayant la phénotype de monsieur Boivin, et je crois que le facteur de prédisposition le plus significatif chez monsieur Boivin est le recurvatum.

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Je crois que sa condition actuelle suggère qu'il s'agit d'une histoire de luxation qui a été traitée médicalement et qui n'a pas causé de séquelle permanente, considérant l'examen actuel et l'état fonctionnel du patient. Je crois que ce patient pourrait être, en cas de récidive, amélioré de façon permanente par un réalignement du tendon et que le fragment intra-articulaire pourrait être excisé par arthroscopie sans laisser de séquelles permanentes."

La preuve du plaignant a été complétée par le témoignage du plaignant lui-même, lequel a témoigné devant le Tribunal d'une façon très franche tant en interrogatoire principal qu'en contre-interrogatoire. Le plaignant a expliqué au Tribunal son grand désir d'être membre des Forces armées canadiennes comme commis à l'administration. Il a également raconté au Tribunal sa vision de l'entraînement militaire et la malchance qu'il a eue de se blesser au genou, malchance qu'il attribue au fait qu'il avait des bottes trop petites. Il a décrit son grand désarroi devant l'attitude des médecins ou du personnel militaire de l'armée lors de son séjour à l'hôpital militaire, particulièrement les docteurs Moreau et Lorion, lesquels lui ont fait comprendre qu'à cause de sa luxation récidivante, il serait libéré de l'armée. Il a par la suite résumé toutes les démarches qu'il a faites pour obtenir un rapport médical confirmant qu'il était apte pour le service et finalement sa démarche auprès du Ministre de la défense et sa plainte auprès de la Commission des droits de la personne.

Il n'a jamais cessé ses activités physiques telles la marche, le badminton, le baseball, etc... et il n'a jamais eu de problèmes aux genoux depuis 1988.

LA PREUVE DE L'ARMÉE

La preuve de l'armée repose principalement sur les témoignages médicaux des docteurs Serge Gagnon et Smallman.

Le docteur Serge Gagnon nous a expliqué les normes médicales applicables dans les Forces armées canadiennes ainsi que les raisons de la libération médicale du plaignant. En effet, les normes médicales du plaignant ne correspondaient pas aux normes médicales minimales établies par le formulaire A-MD-154-000/FP-000 et ce, tant en ce qui a trait au facteur géographique (cote G) qu'en ce qui a trait au facteur professionnel ou fonctionnel (cote O) suite à sa blessure du 25 avril 1988. Comme nous l'explique le docteur Gagnon, la cote du plaignant est passée de G202 à G403 et, comme prévu aux pages 7-18 et 7-19 desdites normes, dans le cas d'une luxation récidivante, elles se lisent comme suit:

"Membres inférieurs:

(3) les genoux - toute perturbation interne de l'articulation du genou ou toute instabilité

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symptomatique du genou, jusqu'à ce qu'elle soit corrigée par la chirurgie pour lui rendre sa souplesse normale (G403). (cahier de documents de l'intimée, Tome IV, onglet 20, page 7-18)

Diverses affections:

(3) une ancienne luxation non réduite ou une luxation récidivante des principales articulations ou l'instabilité d'une articulation importante (G3-4 03-4). (cahier de documents de l'intimée, Tome IV, onglet 20, page 7-19)

Le docteur Gagnon, dans son témoignage, nous explique pourquoi les normes médicales ont été adoptées et nous décrit de quelles limitations est affecté un individu dont la classification est G403.

"R. Alors, j'ai fait ça en deux temps; j'ai donné une cote G et ensuite une cote O. Dans un premier temps, je me suis demandé quels étaient les endroits où monsieur Boivin, à cause de son problème médical qui était devenu évident en cours d'entraînement et à cause des limitations que je pense qui s'appliquaient à lui à ce moment-là, quels étaient les lieux où je pensais qu'il ne pouvait pas ... il ne pourrait pas travailler. Et j'ai estimé, et j'estime encore, qu'il était inapte à travailler en mer sur un bateau où le mouvement du bateau entraîne presque toujours des problèmes de genoux chez des gens qui ont déjà un problème de genoux, et qu'il était inapte à travailler dans le champ à cause de ce que j'ai mentionné plus tôt, c'est-à-dire les surfaces irrégulières sur lesquelles ils sont tenus de courir ou de marcher et de transporter des choses assez lourdes sur leurs épaules.

J'ai estimé que sa luxation récidivante, parce qu'il avait déjà eu des épisodes, j'ai vu dans son dossier qu'il y avait eu des épisodes auparavant, c'était pas juste l'épisode qui était arrivée à Saint- Jean, une luxation récidivante de la rotule m'obligeait à dire qu'il y avait très certainement des anomalies quelconques au niveau de son genou qui le rendaient plus apte que les autres recrues à avoir une luxation. Par conséquent, ces anomalies-là risquaient, à mon avis, d'entraîner d'autres complications si jamais on l'autorisait à travailler dans le champ ou sur un bateau. Pas nécessairement que ça aurait entraîné une autre luxation, mais des

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problèmes de genoux, des douleurs ou des épanchements, de l'eau dans le genou.

Alors, puisque j'estimais qu'il était inapte à travailler dans le champ, compte tenu des définitions qu'on a vues plus tôt dans le champ et en mer, je lui ai attribué la ... j'ai recommandé la catégorie G4.

Dans un deuxième temps, je me suis demandé quelles étaient les tâches qu'il ne serait pas apte à accomplir à cause de son problème de genou et, comme j'ai dit plus tôt, des gens qui ont des problèmes comme ceux-là, c'est important qu'on leur laisse le contrôle sur le type d'activités qu'ils vont faire. Alors, je pensais que la limitation exercice physique à son propre rythme s'appliquait, ce qui par définition est le 03. Alors je lui ai donné les catégories, les cotes G4, 03.

Q. Est-ce que d'autres médecins avant vous avaient recommandé une cote médicale, des médecins qui travaillaient pour vous?

R. Oui, docteurs Moreau et Laurion ... en fait, j'ai approuvé les cotes qui avaient été attribuées par docteur Laurion et docteur Moreau." (notes sténographiques, Volume 6, pages 904 à 906)

Pour bien comprendre l'évaluation des cotes et des catégories qui se fait lors d'un examen médical, le docteur Gagnon nous l'explique comme ceci:

"On va s'attacher surtout aux catégories ... aux cotes médicales G et O parce que c'est les seules qui font problème dans le cas présent. Ce que je voudrais indiquer ici, c'est qu'il est bien important de comprendre que les cotes G et O, géographiques et professionnels, sont vraiment très distinctes l'une de l'autre et que lorsque les médecins militaires attribuent la cote G et la cote O, ils le font en deux temps et en fonction de deux groupes de critères bien particuliers.

Pour attribuer la catégorie G, le médecin militaire se demande quels sont les lieux, quels sont les endroits où l'individu, avec tel problème médical et telle limitation d'emploi, ne pourra pas travailler; et en fonction de la réponse qu'il va donner, il va dire qu'un individu mérite la cote G1 ou G2 ou G3 ou jusqu'à G6, il y a six nombres possibles.

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Q. Tout de suite, monsieur Gagnon, est-ce que vous pouvez nous dire quelle est la meilleure cote? Est-ce 1 ou 6?

R. La meilleure cote, c'est G1. Je vous donnerai dans les détails tout à l'heure à quoi correspond chacune des cotes. Je voulais juste insister sur le fait que c'était très différent parce que c'est important qu'il n'y ait pas de confusion là-dessus.

Dans un deuxième temps, après qu'il a attribué la cote géographique, 1, 2, 3, 4, 5 ou 6, il se demande quelles sont ... quelle est la nature des tâches, quel est le type de tâches que cet individu-là, à cause de son problème médical et des limitations qu'il a, ne pourra pas accomplir. Et là, il va donner la cote -- dépendant de sa réponse -- il va donner la cote 01 à 06; 01 étant la meilleure 06 la pire.

Lorsqu'il détermine la catégorie géographique G, les trois critères qu'il va utiliser c'est le climat, la nature des logements disponibles et des conditions de vie et la disponibilité des services médicaux.

Q. Pardon, monsieur Gagnon, de vous interrompre encore, est-ce que c'est ce que l'on retrouve à la page 2-2 du document?

R. Oui. Alors, les trois critères sont énumérés là et c'est en fonction de un ou de deux ou de trois de ces critères-là que la cote G1 à G6 sera attribuée à l'individu. G1 et G2, il n'y a pas de grosses différences; essentiellement, c'est des gens qui ont une condition physique telle qu'ils peuvent accomplir des tâches dans n'importe quel endroit où ils seront appelés à servir dans les Forces canadiennes.

G3 sera attribué au militaire qui présente un problème médical exigeant un contrôle environ aux trois mois, et ces personnes-là avec la cote ... à qui on donne la cote G3, n'ont pas nécessairement besoin des services d'un médecin. Elles peuvent, sans restriction, occuper un poste en campagne, ce qu'on appelle dans le champ ou en mer; ce critère-là est très important parce qu'on le revoit dans la cote G4.

Q. Est-ce que c'est ce qu'on trouve à la page 2-3 du document?

R. Oui, effectivement, vous avez une description plus détaillée des conditions dans lesquelles on peut

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attribuer la cote G1, G2, G3 et G4. Et G4, essentiellement, en termes pratiques, les gens qui présentent un problème médical qui, de l'avis du médecin, ne pourront pas être accomplies dans le champ ou en mer, doivent recevoir la catégorie G4. C'est la nuance qu'il y a entre G3 et G4.

La cote G5 est attribuée à un militaire qui présente un problème médical tellement sérieux qu'il a besoin d'avoir ... de pouvoir voir un spécialiste clinique rapidement. On s'entend généralement pour dire dans quelques heures, une, deux ou trois heures. Et la cote G6 est attribuée au militaire qui a un problème médical tellement sérieux qu'il est inapte à travailler dans toutes les places, tous les endroits où il y a des postes militaires pour lui.

Si on passe maintenant au facteur O, facteurs professionnels, comme j'ai dit tout à l'heure, le critère ici c'est quelle est la nature du travail qu'il peut accomplir ou ne peut pas accomplir, en fait. Alors 01 ou 02, la nuance est très légère, essentiellement est attribué à des militaires qui ont un problème médical ... qui n'ont pas de problèmes médicaux ou un problème médical à peu près ... très banal.

O3, attribué à un militaire qui souffre d'une légère affection médicale ou psychologique l'empêchant d'accomplir un travail ardu et de travailler sous tension sur de longues périodes. Alors, cet individu-là devra recevoir la cote 03.

Je peux vous dire aussi en pratique qu'un des critères qui est couramment utilisé par les médecins militaires, c'est que quand on estime que l'individu présente un problème et qu'il devrait faire de l'exercice physique à son rythme, c'est-à-dire on devrait jamais lui dire: Tu fais ça. Et il devrait avoir la possibilité de dire: Je m'excuse, moi, mon problème médical, je peux pas ... je refuse de le faire. il faut, quand on écrit une chose comme celle- là, il faut que le commandant respecte la demande l'individu. L'individu a été considéré comme ayant le droit de déterminer quels sont les efforts qu'il peut assumer ou qu'il ne peut pas assumer." (notes sténographiques, Volume 6, pages 883 à 887)

"Q. Qu'est-ce que ça veut dire, ça, docteur, s'il rencontre les normes médicales?

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R. Ce militaire peut être considéré pour réenrôlement plus tard s'il rencontre les normes médicales".

Ce que ça veut dire c'est, si jamais après sa libération l'individu revient et que la cote médicale qu'on lui a accordée, on lui a attribuée au moment de sa libération, ne s'applique plus parce que, ou bien son état clinique s'est amélioré ou bien il a subi une opération qui lui a permis de récupérer sa fonction normale, et que, par conséquent, les cotes G2, 02 peuvent maintenant lui être attribuées, ce que ce document-là dit, c'est: On t'envoie pas à jamais, on te libère pas à jamais. On te dit: Tu pourras revenir si la cause de ta libération disparaît de soi ou à la suite d'un traitement.

Q. Et est-ce qu'à votre connaissance personnelle il l'a corrigée cette situation-là?

R. Non, non. La question a été soulevée par docteur Smallman, a été abordée par le docteur Smallman et il considère que la chirurgie qui, théoriquement, pourrait être un traitement n'est pas recommandable dans son cas à lui.

Par conséquent son problème médical, qui est une luxation récidivante de la rotule, justifierait encore une cote G3 ou G4, 03, ce qui est pas acceptable pour la norme d'enrôlement qui est de G2, 02. (notes sténographiques, Volume 6, pages 931-932)

Pour compléter son explication sur les motifs de la libération médicale, le docteur Gagnon explique les normes 5E(42), normes qui ont été appliquées au plaignant dû au fait que ce dernier avait commencé son service militaire depuis moins de trois (3) mois. Les normes sont les suivantes:

"Mutations et enrôlements irréguliers

29. Les militaires ayant été enrôlés ou mutés de façon irrégulière peuvent être libérés pour les motifs 1(d) ou 5(e), selon le cas. Le motif 5(e) s'appliquera non seulement aux militaires visés par les instructions spéciales énoncées au tableau ajouté à l'article 15.01 des ORFC, mais aussi aux militaires à qui, au moment de l'enrôlement, on a attribué une catégorie médicale qui s'est révélée par la suite insatisfaisante ou qui, à cause d'une affection qu'ils n'avaient pas signalée au moment de leurs enrôlement, sont devenus inaptes au service militaire au cours de

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trois premiers mois de service rémunéré et qui ne pourraient être employés avantageusement même s'ils étaient affectés à un autre emploi. Les militaires libérés en vertu de l'un ou de l'autre des motifs susmentionnés n'ont pas droit aux avantages médicaux prévus à l'article 15.05 des ORFC." (pièce I-23, cahier des documents de l'intimée, Tome IV, onglet 22, ORFC 15-2, Annexe A)

Après avoir fait l'historique du dossier médical du plaignant, incluant le rapport du docteur Godin, le docteur Smallman en arrive à la conclusion suivante (pièce C-3):

"HISTORY AND PHYSICAL EXAMINATION

This 26 year old patient states that he was enrolled in the Forces in early March 1988, started his recruit training, injured his knee on 26 April during an obstacle course and subsequently was released from the Forces on 11 May.

The injuries occurred during an obstacle course, as mentioned. He simply slipped as he was going up an obstacle. His knee cap went out of place and required reduction by a physician. He was seen in follow-up at the Base and subsequently was released from the Forces on 11 May.

He was seen in the MIR a number of times in March with blisters on his feet. These were treated appropriately from 23 March to 30 March. Subsequently on 20 April he had problems with his feet and finally on 25 April he dislocated his knee and this was reduced by Dr. Moreau with the patient under sedation.

Earlier in May the patient was evaluated for anxiety and problems with adaptation. He also seemed to be having problems with coordination. He was noted to be well motivated with respect to staying in the Forces. His release medical was performed on or about 4 May 1988. He was released, by his statement, on 11 May with a category of G4 O3 with a diagnosis of luxation recidivant rotule.

He had injured his knees previously at the age of 11. He dislocated or subluxed the left first and then six months later the right. He returned to a full activity profile as a child and has been active in many sports over the years including volleyball, baseball, walking, bicycling and cross-country skiing. He has never been a runner, it does not interest him

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and he has not, therefore, gone through a rigorous training program of the type that would be necessary for him to be able to succeed in recruit training for the Canadian Armed Forces.

Subsequent to his release from the Forces he has been a physically active individual involved in the above mentioned sports but, by his admission, no real knee symptoms. He has, however, not attempted any further training of the type that is necessary for the recruit phase of the Canadian Armed Forces.

On physical examination he is a tall, slender man with slight pectus excavatum. His right shoulder is higher than the left and he is of an ectomorphic habitus. He has long slender fingers. He does not seem to be hyperextensible, however, at the CMP joints of the fingers: they come up only to 90 degrees. His thumb can only be brought to within 2 of the forearm. His shoulders are not subluxable. His elbows have slight hyperextensibility. As he stands, however, he has 5 degrees of varus bilaterally at the knees and a recurvatum, when pushed, of 15 degrees bilaterally. His patellae measure 6 cm x 5 cm, are of normal height and of normal ratio between the length of the patella and that of the infra patellar tendon. His quads circumferences are equal. His Q angle is 8 degrees bilaterally with the knees in extension and 10 degrees exterior with the knees in 30 degrees of flexion. His left leg measures 1 cm longer than the right. It really is not possible to completely evaluate his knees and hips with respect to torsion because he simply can not relax. When he lies in flexion, however, you can achieve 45 degrees of internal and external rotation of the lower extremity. At 90 degrees of flexion of the knees the feet move through an arc from 60 degrees to 0 degrees suggesting a tibial torsion. This combination of angles suggests that he has increased femoral anteversion and compensatory tibial torsion. There is no patellar pain or apprehension and subluxation test is negative. At 30 degrees of flexion the patellae can be moved between 1/4 to 1/2 of the width of the patella medially and laterally suggesting no abnormalities of laxity or the peripatellar tissues. There is minimal crepitus and no pain. The knees are stable other than the noted hyperextensibility.

CURRENT RADIOGRAPHIC FINDINGS

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The patient, as a result of the examination on 25 March 1993, underwent special radiographs in order to document the physical findings with respect to his lower limbs. As a scoliosis had been noted on clinic exam this was confirmed radiographically. The degree of curvature was not felt to be clinically significant.

The radiographic examination and the CT scan showed significant anormalities. The standing varus of 5 degrees bilaterally was confirmed on three foot standing films; the normal tibiofemoral angle is 7 degrees of valgus.

The CT scan confirmed the marked rotational abnormalities of this person's limbs from hips to feet. The femur is abnormally curved to the front with an angle of 30 degrees on either side versus a normal angle with a range from 7-21 degrees. At the level of the tibia there is extorsion of 50 degrees on the right and 45 degrees on the left versus a normal range of 24 degrees to 41 degrees. In addition, an osseous body is present either in the left knee or attached to the juxta articular soft tissues.

In addition, there are abnormalities of the morphology of the patient's knee caps in which case there is an undergrowth of the inner aspect of the patella in the resting position with the knees in neutral, that is to say in no flexion and no extension. The knee caps on both sides sublux to the side. In addition, there is a very shallow sulcus or groove in which the patella tracks during flexion and extension. This lack of a bony groove to provide osseous stability for the tracking of the patella also makes subluxation or dislocation likely.

SUMMARY

The patient is a well motivated individual who by virtue of personal drive has maintained the adequate physical fitness and essentially normal function in his day to day life of his lower extremities. This is despite the fact that they are remarkably at risk from dislocation on an ongoing basis by virtue of several factors which have been elucidated by the consultants Dr. Pyper and Dr. Godin as well as myself.

..., factors that make this man likely to dislocate his knee cap include: rotational abnormalities of the femur and tibia, varus abnormality of the knees;

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recurvatum of the knees; and an abnormally high location of the patella which takes it out of the normal bony groove which supports the knee cap through flexion and extension; the groove itself that is present to support this man's patella is almost nonexistent; his muscle development is less than normal in terms of the vastus medialis, this further diminishes the ability of this muscle to oppose the subluxation forces and; finally, the soft tissues that support the knee cap are lax and one can easily sublux his knee cap in its position of rest with the knee at full extension.

Dr. Godin eludes to the fact that simple operations can make this man function normally. I submit that in order for this man to function normally he would need realignment of his patellofemoral mechanism through a tibia transposition, release of the lateral tissues, tightening of the medial tissues with advancement of vastus medialis, arthroscopy to remove the loose body and repair any cartilage damage that is present and, finally, bilateral high tibial osteotomies to eliminate his tendency to recurvatum and varus.

As this man functions, at this time, normally in his normal day to day life there is no indication to proceed with these procedures. However, this constellation of abnormalities is such that the probability of tissue breakdown when subjected to the extreme forces of recruit training, is very high. There would likely be permanent damage to his knees under such circumstances and there may well be, already, significant tissue breakdown.

One is always torn between what is right for the patient in terms of his physical wellbeing versus what the patient wants as a result of psychologically driven factors. In this case, while the patient's extreme motivation to become a member of the Armed Forces is noted and admirable, in my opinion the likelihood of him sustaining permanent damage to his knees as a result of the activities that would be involved in recruit training is very high. In addition, he would be required to perform in support of the combat arms clerical. Activities in support of an infantry unit mean that a soldier must be, in general, able to physically do stressful activities. He must be able to keep up with the infantryman, although, quite clearly, not to the duration or intensity of these highly fit men and women. For this

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reason, I would not consider him fit for enrollment in the Armed Forces."

Quant aux autres témoins que les Forces armées canadiennes nous ont fait entendre, il y a eu, tout d'abord, le Major Bibeau qui nous a expliqué la structure des Forces, son organisation, ses rôles et ses missions.

Par la suite, le Capitaine Durand, commandant-en-chef adjoint de l'École des recrues à la base militaire de St-Jean, nous a expliqué l'entraînement des recrues, le but de cet entraînement et son rôle dans l'accomplissement des objectifs des Forces armées canadiennes. En conséquence, il nous a expliqué ce qu'était la formation de base de tous les militaires des Forces armées.

Enfin, nous avons entendu le Capitaine Michel Morency qui est responsable des gérants de carrière des commis à l'administration. Le Capitaine Morency a expliqué les tâches d'un commis à l'administration et surtout, les tâches d'un commis à l'administration militaire.

Le but de ces témoignages était de démontrer au Tribunal que les exigences des forces armées, quant à leur personnel militaire, sont des exigences professionnelles justifiées. En effet, les Forces armées canadiennes jouent un rôle précis qui est critique en regard d'une politique clairement définie par l'autorité gouvernementale. Suivant cette preuve, l'armée forme des soldats dans un but précis pour qu'ils soient en mesure de jouer un rôle précis dans des circonstances précises: guerres, crises ou urgences nationales. Effectivement, du jour au lendemain, un événement imprévu qui modifie de façon radicale les conditions de vie et de travail d'un soldat peut survenir à tout moment. Par exemple, un conflit se déclenche, on a besoin de tout le monde. On ne peut s'attarder aux problèmes de tel ou tel soldat. L'armée doit être apte à remplir sa mission immédiatement.

LA LOI

Loi canadienne sur les droits de la personne:

ARTICLE 3:

"3.(1) [Motifs de distinction illicite] Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

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(2) [Idem] Une distinction fondée sur la grossesse ou l'accouchement est réputée être fondée sur le sexe."

ARTICLE 7:

"7. [Emploi] Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

(a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

(b) de le défavoriser en cours d'emploi."

ARTICLE 15a):

"15. [Exceptions] Ne constituent pas des actes discriminatoires:

(a) Les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées."

ARTICLE 25:

"25. [Définitions] Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[déficience disability] déficience Déficience physique ou mentale, qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue."

CONCLUSION

Il appert au Tribunal que le requérant et la Commission ont fait la preuve prima faciae que Jean-Marc Boivin a été libéré de l'armée à cause d'une déficience physique, plus particulièrement une luxation récidivante due à une malformation des genoux.

Par contre l'intimée, les Forces armées canadiennes, soutient que la libération de Monsieur Boivin est conforme à l'article 15 de la Loi canadienne des droits de la personne.

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Effectivement, la condition physique de Monsieur Boivin, suite à la chute du 25 avril, chute causant une luxation récidivante aux genoux, ne correspondait plus à une exigence professionnelle normale des Forces armées pour être soldat. La condition physique du requérant passant de G202 à G403. Les médecins de l'armée se devaient alors d'appliquer la norme médicale prévue dans le formulaire A-MD-154-000/FP000 de sorte que Monsieur Boivin qui était une recrue n'ayant pas complété sa période d'entraînement et n'ayant pas complété une période de trois (3) mois de service militaire, devenait sujet à l'application de l'article 15-2, (annexe A), qui précise qu'un militaire dans cette situation doit être libéré.

La question que le Tribunal doit se poser est la suivante: Est-ce que l'intimée a réussi à prouver que la condition physique exigée de Monsieur Boivin par l'armée canadienne correspondait à une exigence professionnelle justifiée?

La jurisprudence dans l'affaire Etobicoke (1982, 1 S.C.R., page 208) précise les critères que doit avoir une E.P.J. pour être conforme à l'article 15 de la Loi canadienne des droits de la personne:

"Lorsqu'un plaignant établit devant une commission d'enquête qu'il est, de prime abord, victime de discrimination, en l'espèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l'absence de justification de la part de l'employeur. La seule justification que peut invoquer l'employeur en l'espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence professionnelle réelle de l'emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à- dire suivant la prépondérance des probabilités.

La cour doit examiner deux questions. En premier lieu, qu'est-ce qu'une exigence professionnelle réelle au sens du par. 4(6) du Code et, en second lieu, l'employeur a-t-il démontré que les dispositions relatives à la retraite obligatoire qui font l'objet de la plainte peuvent être ainsi qualifiées? A mon avis, les positions adoptées respectivement par les professeurs Dunlop et McKay en la matière ne diffèrent pas sensiblement et je ne vois aucune objection sérieuse à leur description de l'élément subjectif du critère qui doit être appliqué pour répondre à la première question. Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la

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conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général."

Comme on peut le constater, ces critères sont tant subjectifs qu'objectifs. Dans la présente cause, il ressort clairement de la preuve quant au critère subjectif, que l'armée a agi honnêtement de bonne foi et avec les convictions sincères que la restriction a été imposée en vue d'assurer l'accomplissement efficace du mandat de l'armée en ayant des soldats en bonne condition physique capable d'obéir immédiatement et agir dans toute situation impliquant la sécurité du Canada.

Quant au critère objectif, est-ce que les exigences médicales requises de Jean-Marc Boivin étaient raisonnablement nécessaires pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général?

Pour répondre à cette question, il est évident que le Tribunal se base particulièrement sur le rapport médical du Dr. Smallman, rapport qui précise le danger personnel que constituerait l'entraînement militaire pour le plaignant. Le Tribunal croit, après avoir pris connaissance des explications et de la tomographie sur l'état des genoux de Jean-Marc Boivin, que l'exercice de l'emploi de soldat par ce dernier constituerait un danger particulièrement pour lui-même tout en mettant par voie de conséquence, ses compagnons de travail et le public en général, en danger.

Le Tribunal croit que pour la fonction de soldat, les exigences professionnelles de l'armée canadienne sont conformes aux exigences, comme précise l'arrêt Bhinder (1985, 2 S.C.R., page 580):

"Avec égards, je ne pense pas qu'il nous soit permis, en vertu de la Loi, de donner au terme normales un sens qui aurait pour effet d'annuler une disposition qui dit qu'un employeur n'est pas coupable d'un acte discriminatoire si l'exigence qu'il attache à un emploi est une exigence réelle de cet emploi. L'alinéa 14a) me semble avoir pour objet de faire prévaloir les exigences d'un emploi sur celles de l'employé. Il supprime toute obligation d'accommodement en disant qu'il ne s'agit pas là d'un acte discriminatoire. Je suis d'accord avec le juge McIntyre pour dire que la discrimination est en soi

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liée à la victime, mais que l'exigence professionnelle est, quant à elle, liée à l'emploi. C'est pourquoi, à mon avis, l'al. 14a) dispose qu'une exigence professionnelle réelle ne constitue pas un acte discriminatoire, au lieu d'en faire un moyen de défense opposable à une accusation de discrimination, qui permettrait à l'employeur de démontrer qu'il a satisfait à son obligation de composer avec le plaignant en question, jusqu'au point de la contrainte excessive.

J'estime que le législateur, en rétrécissant le champ de la discrimination, a permis le maintien d'exigences réellement liées à un emploi, même si elles ont pour effet d'écarter certains individus de ces tâches. C'était une ligne de conduite qu'il était libre d'adopter dans la Loi et, à mon avis, il l'a fait sans créer de conflit avec l'objet déclaré de la Loi, que mentionne le Juge en chef. L'alinéa 2a) de la Loi dit fort clairement que ce qui ne sera pas toléré en vertu de cette loi, ce sont les actes discriminatoires. Le législateur a expressément prévu, à l'al. 14a) qu'assortir un emploi d'une exigence professionnelle normale ne constitue pas un acte discriminatoire. Je ne crois pas qu'il appartient aux tribunaux de mettre en doute sa sagesse à cet égard."

La jurisprudence, en plus des exigences des arrêts Etobicoke et Bhinder, exige des conditions supplémentaires. Pour qu'une exigence professionnelle soit justifiée, elle exige, comme précisé dans Alberta Dairy, (1990, 2 S.C.R., pages 527 et 528), une obligation d'accommodement et, comme précisé dans Saskatchewan, (1989, 2 S.C.R., page 1312 à 1314), une obligation de tests individuels.

"L'accommodement:

Comme le dit ma collègue dans ses motifs à la p. 518: S'il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d'imposer une règle donnée aux membres d'un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme justifiée.

Comment faut-il donc appliquer l'arrêt Bhinder, compte tenu des raffinements que l'on trouve dans les arrêts Brossard et Saskatoon Fire Fighters? En vertu de l'arrêt O'Malley, l'obligation d'accommodement existe dans les cas de discrimination religieuse en raison de l'objet et de l'esprit du Code. Dans une affaire comme l'affaire O'Malley, qui traite de l'obligation d'accommodement là où la loi ne contient

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aucune disposition relative à l'EPN, l'employeur pour s'acquitter de cette obligation, doit démontrer qu'il a fait tous les efforts raisonnables pour composer avec des employés particuliers sans avoir à s'imposer des contraintes excessives. L'adjonction de la défense légale fondée sur une EPN ne modifie pas cette situation; en effet, cette défense se rapporte à l'exécution de l'obligation et non pas à son existence.

Lorsqu'une loi contient une disposition relative à une EPN, son libellé ne saurait être ignoré. Avec égards, le juge McIntyre a eu raison de dire dans l'arrêt Bhinder qu'une fois la défense établie, il n'y a pas lieu de faire l'étude individuelle de la situation de chacun des employés. Il faut se demander toutefois comment L'EPN est établie en regard de l'obligation d'accommodement. J'ai mentionné plus haut le principe selon lequel, en général, une défense fondée sur une EPN ne saurait réussir sans tout d'abord la preuve qu'il n'existait aucune autre solution raisonnable à une règle qui ne tient pas compte de la situation particulière de ceux qu'elle vise. L'employeur qui veut se prévaloir d'une règle générale ayant pour effet d'établir une discrimination fondée sur la religion doit démontrer qu'il a considéré les répercussions de cette règle sur les pratiques religieuses de ceux à qui elle s'applique, et qu'il n'existait aucune solution raisonnable qui ne lui aurait imposé des contraintes excessives. Ce qui est raisonnable dans ces circonstances est une question de fait. Si l'employeur n'arrive pas à expliquer pourquoi il ne peut composer individuellement avec ses employés, sans contrainte excessive pour lui, on conclura ordinairement qu'il ne s'est pas acquitté de son obligation d'accommodement et que l'EPN n'a pas été établie. Dans l'affaire Roosma v. Ford Motor Co. (1988), 9 C.H.R.R. D/4743, une commission d'enquête présidée par le professeur P.P. Mercer (aujourd'hui doyen de l'University of Western Ontario Law School) a dû se prononcer sur le Code ontarien des droits de la personne, 1981, L.O. 1981, ch. 53, qui traite de façon distincte de la discrimination directe et de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable et qui rend l'EPN applicable à l'une et à l'autre. le rapport entre l'EPN et l'obligation d'accommodement là où il y a discrimination par suite d'un effet préjudiciable a été bien exposé dans les termes suivants, à la p. D/4747:..."

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Les tests individuels

L'argument selon lequel les tests individuels sont un élément préalable nécessaire pour invoquer le moyen de défense fondé sur le par. 16(7) et sur le règlement revient essentiellement à dire que l'employeur doit justifier pour chaque individu l'exigence contestée. Dans l'arrêt Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, précité, le juge McIntyre dit à la p. 589:

"Conclure alors que ce qui constituerait par ailleurs une exigence professionnelle normale ne peut s'appliquer à un employé, en raison des caractéristiques spéciales de cet employé, revient non pas à donner une interprétation étroite à l'al. 14a), mais tout simplement à ne tenir aucun compte de ce qu'il dit clairement. Appliquer une exigence professionnelle normale à chaque individu avec des résultats variables, selon les différences personnelles, c'est la dépouiller de sa nature d'exigence professionnelle et faire perdre tout leur sens aux dispositions claires de l'al. 14a). A mon avis, le tribunal a commis une erreur de droit quand, après avoir constaté l,existence d'une exigence professionnelle normale, il a exempté l'appelant de son application." (page 1312)

"A mon avis, cette jurisprudence nous indique la bonne façon d'aborder la question des tests individuels. Quoiqu'il ne soit pas absolument nécessaire de faire subir des tests à chaque employé, il se peut que l'employeur ne parvienne pas à s'acquitter de l'obligation qui lui incombe de prouver le caractère raisonnable de l'exigence s'il ne fournit pas une réponse satisfaisante à la question de savoir pourquoi il ne lui a pas été possible de traiter individuellement les employés, notamment en administrant des tests à chacun d'eux. S'il existe une solution pratique autre que l'adoption d'une règle discriminatoire, on peut conclure que l'employeur a agi d'une manière déraisonnable en n'adoptant pas cette autre solution." (pages 1313 et 1314)

"(TRADUCTION) L'exécution efficace et en toute sécurité des tâches d'un pompier s'impose absolument, surtout dans un cas où la vie d'un membre du public ou d'un collègue pompier se trouve en danger. Je suis d'avis qu'il n'existe aucune méthode fiable de vérification permettant de déterminer avec exactitude

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comment une personne réagira ou pourra faire face à une situation d'urgence." (page 1314)

Relativement à ces deux (2) conditions, nous croyons que l'intimée a encore une fois satisfait à son fardeau de preuve conjointement à l'esprit de la jurisprudence.

Effectivement, quant aux tests individuels, nous croyons que les médecins de l'intimée avaient suffisamment d'informations pour appliquer les normes ou exigences professionnelles. D'abord, rappelons que le plaignant avait dû fournir son dossier médical, dû au fait qu'il avait eu une luxation à chacun des deux (2) genoux avant son enrôlement. Deuxièmement, l'armée possédait un rapport psychiatrique du Dr. Bruno Roy concernant le rendement du plaignant à l'entraînement et de ses difficultés à le compléter (Pièce I-1, dossiers médicaux):

"Patient se présente ici aujourd'hui envoyé par le Dr. Moreau car il a certains problèmes d'adaptation à son cours de recrue. En effet il a dû être recyclé, c'est-à-dire, remis dans un autre peloton et reprendre son entraînement à partir de semaine précédente. Le patient dit qu'il a eu un choc lorsqu'il est arrivé à l'École des Recrues qu'il a développé beaucoup d'anxiété ce qui l'a rendu plus gauche que d'habitude me disant qu'il avait déjà certains petits problèmes de coordination."

De plus, les médecins étaient à même de constater, suite à la chute et aux radiographies, l'état des genoux du plaignant.

Quant à l'obligation d'accommodement, nous croyons qu'il faut l'évaluer dans le contexte particulier de l'armée. Monsieur Boivin était une recrue en période d'entraînement. Suite à cette luxation récidivante, il devenait évident qu'il ne pouvait plus satisfaire aux exigences de l'armée sans contrainte excessive.

Comme l'état des genoux du plaignant ne laisse pas de doute sur ses limites futures par rapport aux exigences, il est clair que l'accommodement, dans ce cas-ci, se ferait au prix de l'inefficacité. Même si Monsieur Boivin se croit capable d'être commis en administration, les exigences physiques de l'armée ne sont pas en fonction de l'occupation particulière d'un membre, mais d'abord de l'armée, comme service à la nation, dans toutes ses activités. Sur le plan des exigences physiques, c'est bien plus sur les activités du terrain qu'elles se justifient, sans égard à la profession et il n'y a rien de discriminatoire à cela. Il paraît simple en effet d'accommoder un, deux ou un nombre indéterminé d'individus qui sont en deçà des normes, mais la question se pose à savoir à quel niveau les Forces armées devraient se rendre sans compromettre leur efficacité.

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Dans un jugement rendu en date du 25 avril 1991, dans l'affaire Robert St-Thomas, l'Honorable Juge Isaac de la Cour d'Appel Fédéral s'exprime de la façon suivante:

"In my view, examination of this issue must take account of a contextual element to which, the Tribunal did not give sufficient consideration. It is that we are here considering the case of a soldier. As a member of the Canadian Forces, the Respondent, St. Thomas, was first and foremost a soldier. As such he was expected to live and work under conditions unknown in civilian life and to be able to function, on short- notice, in conditions of extreme physical and emotional stress and in locations where medical facilities for the treatment of his condition might not be available or, if available, might not be adequate. This, it seems to me, is the context in which the conduct of the Canadian Forces in this case should be evaluated."

De plus, nous croyons que le législateur a permis l'exception de l'article 15 a) de la Loi des droits de la personne justement pour permettre d'éviter ce genre de situation et il faut l'interpréter de façon à lui donner toute sa portée et non en la rendant inefficace.

EN CONSÉQUENCE et pour toutes ces raisons, la plainte est rejetée.

Fait à Rivière-du-Loup, ce 17 novembre, 1993

NORMAN BOSSÉ

AIMÉE POULIN-LAUZON

ALAIN ROY

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