Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 18/94 Décision rendue le 20 décembre 1994

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: MICHAEL ANDREWS le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

CONSEIL DU TRÉSOR l'intimé

- et -

MINISTERE DES TRANSPORTS l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Gillian D. Butler - Présidente Roger Bilodeau - Membre Richard P. Noonan - Membre

ONT COMPARU: Dawna Ring, avocate de la Commission canadienne des droits de la personne Ted Tax, avocat pour les intimés

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: Les 14 au 17 juillet 1992 Les 15 au 18 septembre 1992 Les 3 au 5 et 24 au 26 novembre 1992 Les 12 au 16 janvier 1993 Les 23 au 27 février 1993 St. John's (T.-N.)

TRADUCTION

TABLE DES MATIERES

PARTIE I

La plainte

Les faits

Le test pratique d'acuité auditive

Les normes d'acuité auditive de Santé et bien-être social Canada

PARTIE II

L'audience

Thomas J. Smith

Mme Valérie Parrott

Brian Tansley

PARTIE III

L'environnement marin

Le capitaine Wayne Norman

Le Capitaine Mark Turner

Le Capitaine George Legge

Le Capitaine Stewart Klebert

Le Capitaine Philip Murdock

PARTIE IV

Le test pratique d'acuité auditive

La conception du test

Le rôle de Mme Jankun

Le rôle de M. Murdock

L'essai et le test administré au groupe témoin

L'administration du test à M. Andrews

Comparaison entre le test de M. Andrews et le test de du groupe témoin

Les normes applicables au test

Le rôle de M. Boisvert

Le témoignage des experts en psychologie

M. Edward Renner

M. Brian Tansley

Le témoignage des experts médicaux

Le témoignage des experts en navigation

La capacité du test d'évaluer l'acuité auditive

Les éléments positifs du test

La meilleure méthode pour mesurer l'acuité auditive de M. Andrews

Conclusion sur le test pratique d'acuité auditive

PARTIE V

Exigence professionnelle justifiée (EPJ)

Les risques pour la sécurité et le moyen de défense fondé sur l'EPJ

Le test pratique d'acuité auditive et le moyen de défense fondé sur l'EPJ

L'ensemble de la preuve et le moyen de défense fondé sur l'EPJ

PARTIE VI

Conclusion du tribunal

Conclusion en ce qui concerne la plainte fondée sur l'aliéna 7(a)

Conclusion en ce qui concerne la plainte fondée sur l'aliéna 10(a)

PARTIE VII

Dommages-intérêts/réparation

Ordonnance du tribunal

PARTIE I

LA PLAINTE

Le plaignant, Michael Andrews (appelé ci-après le plaignant), autrefois de Shoal Harbour (Terre-Neuve), prétend que le Conseil du Trésor et le ministère des Transports (appelés ci-après les intimés) ont exercé une discrimination à son égard et ont donc violé l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) le 23 août 1985 en refusant de l'employer comme étudiant au Collège de la Garde côtière canadienne à Sydney (Nouvelle-Écosse). Les intimés affirment pour leur part que le plaignant ne satisfaisait pas à la norme médicale applicable aux candidats au programme de formation des officiers ainsi qu'aux normes du ministère des Transports concernant l'acuité auditive des élèves-officiers de navigation. (Voir la pièce HR-1, onglet 1.)

De plus, le plaignant soutient que les intimés ont contrevenu à l'alinéa 10a) de la LCDP en appliquant une politique qui empêche l'engagement de personnes dont l'acuité auditive ne satisfait pas aux normes du programme de formation des officiers.

Le motif invoqué dans la présente plainte est donc la déficience physique (déficience auditive), mais il y est également question d'une discrimination directe et individuelle ainsi que de lignes de conduite générales et discriminatoires qu'il faut examiner.

LES FAITS

En 1984, le plaignant a présenté une demande d'admission au Collège de la Garde côtière canadienne et, en février 1985, on l'a informé qu'il constituait un bon candidat. Peu après, le plaignant a consulté le Dr Russell Harper (médecin sur le campus de la Memorial University of Newfoundland à St. John's où le plaignant étudiait) et il a obtenu de celui-ci un exemplaire du Guide du médecin de Santé et Bien-être social Canada qui renfermait les normes de santé applicables aux postes de la marine, y compris à la Garde côtière canadienne. De sa propre initiative (parce qu'il savait qu'il était sourd d'une oreille), le plaignant a ensuite pris rendez-vous avez le Dr Thomas J. Smith (oto-rhino-laryngologiste à St. John's) pour passer un audiogramme.

Le plaignant a été avisé par une lettre datée du 31 mai 1985 qu'il était admis au programme des officiers de navigation au Collège de la Garde côtière canadienne à partir de septembre 1985. (Voir la pièce HR-1, onglet 6.) Son admission était toutefois conditionnelle, c'est-à-dire qu'il devait remplir quatre conditions dont une seule est pertinente pour la présente plainte, soit obtenir

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un certificat d'examen médical rempli par un médecin désigné par Santé et Bien-être social Canada.

Au lieu de consulter un médecin de Santé et Bien-être social Canada, le plaignant s'est rendu le 4 juin 1985 chez son médecin de famille, le Dr E. W. Hunt à Clarenville, et il lui a fait remplir le formulaire médical de Santé et Bien-être social Canada. (Voir la pièce HR-1, onglet 9.) Dans ce document, le Dr Hunt a signalé que le plaignant n'entendait pas normalement de l'oreille gauche et il a joint les résultats de l'audiogramme effectué par le Dr Smith. Le Dr Hunt a ensuite fait parvenir ce document au médecin de Santé et Bien-être social Canada, le Dr R.L. Sinclair, à Halifax (Nouvelle-Écosse). Le plaignant a déclaré dans son témoignage qu'il avait communiqué (encore une fois de sa propre initiative) avec le Dr Sinclair ou son cabinet pour savoir où en était sa demande et que c'était ainsi qu'il avait appris que les résultats de son audiogramme préoccupaient le Dr Sinclair parce qu'il semblait qu'il souffrait d'une déficience auditive profonde de l'oreille gauche.

Par un message téléphonique reçu par sa mère le 29 juillet 1985, le plaignant a appris qu'il ne pourrait pas s'inscrire au Collège de la Garde côtière canadienne. C'est ce que lui a confirmé M. Terence McCluskey du Collège de la Garde côtière de Transports Canada dans une lettre datée du 23 août 1985 où il lui indiquait qu'il ne satisfaisait pas à la norme médicale requise des candidats au programme de formation des officiers parce qu'il ne remplissait pas les conditions d'acuité auditive applicables aux élèves-officiers de navigation. (Voir la pièce HR-1, onglet 7.)

LE TEST PRATIQUE D'ACUITÉ AUDITIVE

Le Tribunal n'ignore pas que, après le dépôt de la présente plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne le 27 décembre 1985, le dossier du plaignant aurait dû suivre le processus normal, y compris une étape de conciliation. Même si, habituellement, il n'est pas question devant le Tribunal des droits de la personne des éléments de preuve relatifs aux détails du processus de conciliation, les avocats ont reconnu qu'il avait été proposé au cours de cette étape de faire subir un test pratique d'acuité auditive au plaignant qui y a consenti.

Du début de 1989 jusqu'au mois de mai 1990, Mme Joanne Jankun de Transports Canada a travaillé à la conception d'un test individuel en consultation avec des représentants de la Commission de la fonction publique du Canada et de la Direction de la formation de Transports Canada. Le 24 mai 1990, le test pratique d'acuité auditive a été administré à des employés de Transports Canada à bord du navire de la Garde côtière (N.G.C.) Sir Wilfred Grenfell, dans le

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port de St. John's. Le 25 mai 1990, le groupe témoin a passé les dernières épreuves du test qui a ensuite été administré au plaignant. D'autres détails seront fournis sur le test dans la partie IV de la présente décision.

LES NORMES D'ACUITÉ AUDITIVE DE SANTÉ ET BIEN-ETRE SOCIAL CANADA

En août 1985, le texte du Guide du médecin qui a été produit en preuve comme pièce HR-1 à l'onglet 13 portait ce qui suit :

2.02.2 Exigences physiques relatives aux postes de la marine

1. Officiers de pont

...

Acuité auditive : Doit comprendre clairement la communication orale, qu'elle soit parlée, criée ou transmise par radio.

On trouve ce qui suit un peu plus loin dans la même pièce :

2.02.3 Lignes directrices relatives aux examens - Officiers de la marine

REMARQUE : Comprend les élèves-officiers de la Garde côtière canadienne

Examen Avant l'affectation Périodique

...

*Audiogramme Norme 1 Oui (Note 3)

*Voir également l'article 3.02 et l'annexe E.

Le renvoi à la Norme 1 est expliqué à l'annexe E de cette pièce où l'on trouve ce qui suit :

NORMES RELATIVES A L'OUIE

NORME FRÉQUENCE (Hz) PERTE AUDITIVE MAXIMALE (dB)

1 500-3 000 30

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La note 3 dont il est question sous la colonne «Périodique» porte ce qui suit :

NOTE : ...

3. Les prothèses auditives ne sont pas acceptées (voir l'annexe E).

Il est également important pour les fins de la présente décision d'exposer en détail les dispositions de l'annexe E qui s'appliquent à la mesure et à l'évaluation de la perte d'acuité auditive :

MESURE ET ÉVALUATION DE LA PERTE D'ACUITÉ AUDITIVE

Le fait de mesurer l'audition à l'aide de simples épreuves vocales effectuées en chuchotant certaines phrases ou en tenant une conversation est une technique qui n'est pas du tout fiable en raison du nombre de variables qui peuvent entrer en jeu. Qui plus est, de telles épreuves ne peuvent être utilisées pour établir une ligne de référence pour déterminer une baisse éventuelle de l'acuité auditive. Toutes les épreuves doivent être effectuées à l'aide d'un audiomètre de dépistage fiable et

ne doivent pas avoir lieu dans les 16 heures suivant une exposition considérable au bruit. Si une personne ne satisfait pas à la norme requise et qu'elle a été exposée à beaucoup de bruit dans les 24 heures précédentes, il faut alors attendre 48 heures après une telle exposition avant de reprendre l'épreuve. Les personnes qui ne satisfont pas à la norme établie pour leur profession doivent être renvoyées à un audiologiste ou un otologiste afin de faire l'objet d'une audiométrie complète.

Toutefois, aucun employé expérimenté ne doit se voir rejeté uniquement en raison des résultats de l'audiométrie tonale, mais devrait avoir l'occasion de faire ses preuves en obtenant des résultats qui satisfont à son surveillant. (Non souligné dans le texte original.)

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Les normes applicables aux officiers de la marine diffèrent considérablement de celles auxquelles doivent satisfaire les membres d'équipage et elles sont exposées dans la même pièce. Le paragraphe 2.02.4 indique que, même si un audiogramme est requis pour les membres d'équipage des navires, la norme avant l'affectation et la norme périodique sont les suivantes :

Acuité satisfaisante pour la voix parlée pour une oreille, avec une perte auditive ne dépassant pas 30 dB à 500-2 000 Hz. Les prothèses auditives ne sont pas acceptées (voir l'annexe E). Les opérateurs radio et le personnel de la chambre des machines doivent se soumettre à un audiogramme tous les 6 mois.

PARTIE II

L'AUDIENCE

Le Tribunal a entendu les dépositions de trois témoins considérés comme des experts en ce qui concerne divers aspects de l'audition.

THOMAS J. SMITH

Le Dr Thomas J. Smith a témoigné en faveur du plaignant. Oto-rhino-laryngologiste bien connu de St. John's, il a déclaré dans son témoignage que depuis qu'il avait commencé à exercer sa profession en 1978, il avait traité des milliers de patients qui

souffraient d'une perte auditive. Comme nous l'avons indiqué plus haut, le Dr Smith a rencontré le plaignant en mars 1985 pendant une quinzaine de minutes.

Le Dr Smith a indiqué que le plaignant souffrait d'une déficience auditive unilatérale profonde (grave) de l'oreille gauche, conséquence vraisemblable d'une lésion du nerf auditif lorsqu'il a eu les oreillons à l'âge de 8 ans (environ 10 ans avant le dépôt de la présente demande).

Le Dr Smith a déclaré dans son témoignage qu'il était possible de mesurer l'acuité auditive du plaignant grâce à un test appelé audiogramme tonal qu'il avait effectué après que le plaignant eut reçu sa lettre d'admission conditionnelle. En utilisant un audiomètre, le Dr Smith a pu constater que la perte auditive du plaignant dans l'oreille droite était de 10 décibels ce qui est considéré normal. Par comparaison, sa perte auditive dans l'oreille gauche serait de 105 décibels ce qui est le maximum que l'audiomètre peut enregistrer. En fait, le Dr Smith a expliqué qu'on pourrait dire qu'une telle perte signifie qu'il est impossible d'entendre de cette oreille.

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Le Tribunal croit comprendre que cela signifie que dans la vie de tous les jours, une personne souffrant d'une perte auditive de 5 décibels peut entendre des paroles chuchotées alors qu'une personne souffrant d'une perte auditive de 105 décibels n'entendrait pratiquement rien si un chasseur à réaction passait au-dessus de sa tête. Comme l'examen audiométrique est effectué dans une oreille à la fois, les mesures obtenues ne concernent que l'acuité de l'oreille en question et non l'acuité auditive générale de l'individu; ce témoignage a été toutefois très utile pour le Tribunal.

Le Tribunal a appris du Dr Smith que le plaignant entend différemment de la plupart des gens en ce qu'il a perdu sa capacité binaurale, c'est-à-dire la possibilité d'entendre des deux oreilles. Sa capacité auditive sera qualifiée par la suite de monaurale.

Lorsqu'on lui a demandé de comparer la perte de l'usage d'un oeil à celle de l'usage d'une oreille, le Dr Smith a expliqué que la perte d'un oeil aurait des conséquences sur la perception de la profondeur alors que la perte de l'usage d'une oreille entraînerait une diminution de la capacité de la personne de localiser les sons. Cette capacité ne disparaît toutefois pas complètement parce qu'il est possible pour une personne de compenser sa perte auditive en inclinant la tête en direction du son. Le Dr Smith a expliqué que c'est possible parce que les êtres humains n'entendent pas seulement avec leurs oreilles mais aussi à l'aide des os de leur crâne. Il a ajouté qu'une personne dont l'audition est monaurale apprend avec le temps à compenser sa perte par d'autres indices, c'est-à-dire la lecture sur les lèvres, le langage corporel et les expressions du visage.

Selon le Dr Smith, même si le plaignant n'entend presque rien de l'oreille gauche, il entend normalement les conversations. En fait, le Tribunal a pu constater que le plaignant n'avait aucune difficulté que ce soit à entendre les questions qui lui étaient posées directement et à y répondre. De plus, il a été capable d'aider l'avocat de la Commission quand d'autres témoins ont répondu aux questions qui leur avaient été posées au cours de conversations particulières se déroulant à voix très basse et que n'avaient pas entendues les autres personnes qui se trouvaient dans la pièce. Même si le Dr Smith était prêt à admettre que le plaignant peut avoir certains problèmes à découvrir l'origine d'un son lorsque celui-ci est bref (c'est-à-dire lorsqu'il dure moins d'une seconde) et que son acuité auditive peut être affectée par des bruits de fond lorsque le bruit et les stimuli proviennent de la même direction, rien n'indiquait qu'il avait éprouvé de telles difficultés lors de son témoignage et de sa comparution devant le Tribunal.

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En conclusion, le Dr Smith était d'avis que, même si les résultats de l'audiogramme tonal de l'appelant étaient anormaux, dans une situation où une audition normale est requise, le plaignant avait une audition normale. Toutefois, comme le plaignant n'entend que d'une oreille, il n'entend pas de la même manière que la majorité des gens et, en conséquence, on pourrait dire qu'il n'entend pas normalement. Telle a été l'explication du Dr Smith pour ce qui semblerait par ailleurs constituer une contradiction.

Mme VALERIE PARROTT

Mme Parrott exerce la profession d'audiologiste à St. John's depuis 1979. Dans le cadre de son travail, elle mesure l'acuité auditive de ses patients à l'aide de tests normalisés, et elle était habile à donner des opinions d'expert sur l'étude de l'audition et sur la science et la mesure de l'acuité auditive.

Mme Parrott a appris au Tribunal que les sons se propagent dans l'air et les objets dans toutes les directions, le meilleur exemple en étant les rides qui se forment à la surface de l'eau lorsqu'un caillou tombe dans une mare. Le décibel est une unité de puissance sonore et la fréquence de la majorité des sons que l'on entend dans la vie quotidienne va de 0 à 60 décibels.

L'audiogramme tonal est un test qui a été standardisé sur une période de 73 ans. Ce test exige pour l'essentiel que la personne répète à l'examinateur des mots à différentes fréquences sonores afin de permettre à l'examinateur de mesurer sa capacité d'entendre des mots simples de deux syllables avec lesquels elle est familière. Le test comporte l'utilisation de messages qui, selon Mme Parrott, sont nécessaires sinon le test mesurerait l'attention de la personne et non son acuité auditive. Mme Parrott a déclaré dans son témoignage que l'audiogramme tonal n'est donc pas un test qui permet de vérifier l'acuité auditive d'une personne dans les situations de la vie quotidienne ni un test qui permettait de déterminer si le plaignant pouvait effectuer en toute sécurité les tâches d'un officier de la Garde côtière.

Mme Parrott était d'avis que la norme de Santé et Bien-être social figurant dans la pièce HR-1, à l'onglet 13 (voir les pages 5 et 6 des présents motifs) signifiait que l'employeur exigeait que la perte auditive ne dépasse pas 30 décibels pour chaque oreille. Ainsi, une personne pourrait selon elle avoir (par exemple) une perte auditive de 25 décibels dans les deux oreilles, mais le plaignant ne pouvait pas avoir une perte de 10 décibels seulement dans une oreille si la perte dans l'autre oreille était de 105 décibels et plus. Ce témoignage devient important compte tenu du fait que Mme Parrott a

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déclaré que le plaignant perçoit des sons qu'une personne souffrant d'une perte auditive bilatérale de 25 décibels dans les deux oreilles ne pourrait pas détecter.

En conclusion, Mme Parrott était d'accord avec l'opinion du Dr Smith, c'est-à-dire que la capacité auditive du plaignant dans les conditions habituelles de la vie quotidienne est normale même si les résultats de son audiogramme tonal sont anormaux.

BRIAN TANSLEY

M. Brian Tansley était psychologue en psychologie expérimentale, spécialisé dans les domaines de l'audition, de la vision et des facteurs humains ou, en d'autres termes, la conception, la mesure et l'évaluation des communications et des signaux auditifs et visuels. De plus, il était habile à témoigner à titre d'expert en ce qui concerne l'évaluation des habilités et des performances visuelles, auditives, cognitives et psychomotrices. En raison de ses compétences, M. Tansley était également apte à examiner les questions relatives au test pratique d'acuité auditive préparé par l'intimé, et nous examinerons son témoignage à cet égard dans la partie IV de la décision. Pendant son témoignage qui a duré sept jours, M. Tansley a fourni des renseignements très précis sur l'audition et les sons. Il a abordé diverses questions dans son témoignage, par exemple comment les êtres humains entendent, comment les sons sont produits et mesurés, comment les sons vocaux diffèrent des autres sons, quel est le rapport signal-bruit et quel en est l'effet sur l'intelligibilité de la voix. Certains de ces sujets étaient particulièrement intéressants pour le Tribunal et seront examinés plus loin.

M. Tansley a expliqué que le son est un sous-ensemble de vibrations dans un milieu matériel élastique (densité) qui leur permet de se propager. Il a dit que l'étendue du champ auditif chez l'être humain est de 140 décibels et qu'un décibel représente l'unité des variations qui peuvent être déterminées, c'est pourquoi il est utile. Les deux oreilles permettent à l'être humain de percevoir les sons et d'en trouver l'origine (localisation).

Bien que l'on ne comprenne pas encore très bien le système auditif, M. Tansley a expliqué que ce ne sont pas uniquement les oreilles qui ont un rôle à jouer. En effet, les hommes de sciences savent qu'une fois qu'un message est transmis par une personne, le cerveau déclenche des mouvements musculaires et le message est compris.

Il a expliqué que l'audition comporte diverses fonctions, soit la détection, l'attention sélective, l'attention partagée, la répartition de l'information, la localisation des objets, la

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discrimination, la différenciation et la reconnaissance. La capacité de comprendre le message (l'intelligibilité de la voix) est affectée par des facteurs comme les bruits de fond et les signaux visuels. M. Tansley a conclu qu'une personne dont l'audition est monaurale perdrait (quoique subtilement dans certains cas) la possibilité d'utiliser trois des neufs fonctions qu'il a énumérées et expliquées, soit la capacité de localiser les sons sans bouger la tête, l'attention sélective permettant d'identifier des sons en présence d'autres signaux dans un environnement bruyant ainsi que la détection et la reconnaissance des signaux (y compris de la voix) en présence de bruit.

Son témoignage à cet égard portait principalement sur la pièce R-24 qu'il a présentée à l'aide d'une série d'acétates. Il a conclu que, même s'il n'est pas nécessaire qu'une personne entende de ses deux oreilles pour comprendre ce qui est dit, il est préférable que cela soit le cas parce qu'alors les sons pénètrent par deux canaux dans les diverses parties du système auditif humain. Comme la majorité des gens entendent avec leurs deux oreilles et que le plaignant n'entend que d'une oreille seulement, M. Tansley ne partageait pas l'avis du Dr Smith et de Mme Valérie Parrott qui estimaient que le plaignant entend normalement.

Un élément du témoignage de M. Tansley qui revêt un intérêt particulier pour le Tribunal est l'opinion qu'il s'est dit incapable de donner sur un point précis. Lorsqu'on lui a demandé s'il était nécessaire qu'un officier de la Garde côtière ait une audition binaurale pour pouvoir exécuter sans danger ses fonctions, il a déclaré qu'il ne pouvait pas répondre à cette question; il a toutefois ajouté que, suivant certains des exemples des tâches qui, croyait-il, devaient être exécutées, une audition binaurale constituerait un atout.

L'avocat des intimés a dit que le témoignage du Dr T.J. Smith était formulé en termes généraux et il a laissé entendre que le témoignage de M. Brian Tansley était beaucoup plus précis. De plus, les intimés ont fait valoir qu'étant donné que son rapport (pièce R-3) et son témoignage oral étaient corroborés par des documents scientifiques faisant autorité, il fallait accorder la préférence à son témoignage plutôt qu'à ceux du Dr Smith et de Valérie Parrott. Quoique ces affirmations puissent décrire (par comparaison) les témoignages des trois experts sur la question de l'audition en général, le Tribunal conclut que cela ne lui permet pas d'accorder davantage de poids au témoignage de M. Tansley dans ce domaine. Les témoignages de ces trois spécialistes lui ont été fort utiles.

PARTIE III

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L'ENVIRONNEMENT MARIN

Le travail de marin est dangereux peu importe la mission confiée. Qu'il s'agisse de la navigation commerciale, de la Garde côtière ou d'opérations militaires, le milieu est imprévisible, façonné par les éléments et en changement constant.

Il existe de nombreux types de plates-formes de navires et chacune réagit différemment dans le milieu marin. Il est donc admis que des compétences dans divers domaines sont requises, que la formation est essentielle et qu'une combinaison de ces facteurs devrait permettre d'en arriver à un degré raisonnable de sécurité. En l'espèce, c'est la sécurité des opérations dans la Garde côtière qui constitue la principale question en litige.

Les opérations de la Garde côtière sont aussi diversifiées que les régions géographiques du pays. La Garde côtière comprend les onze directions suivantes : Systèmes de la flotte, Services à la navigation maritime, Direction du Nord de la Garde côtière, Recherche et sauvetage, Intervention environnementale et planification d'urgence, Pilotage maritime, Havres et ports, Sécurité des navires, Télécommunications et électronique, Politique, planification et gestion des ressources et directeurs généraux régionaux. A l'époque de l'audition de la présente affaire, la Garde côtière possédait 84 navires, 35 hélicoptères, 3 aéroglisseurs et un aéronef à voilure fixe.

Comme l'a indiqué le capitaine George Legge dans son témoignage, la direction des Systèmes de la flotte est la branche opérationnelle de la Garde côtière canadienne et fournit les navires et le personnel aux autres divisions du service.

Bien que ses services et activités varient d'une région à l'autre du pays, la Garde côtière s'occupe principalement de l'entretien des aides à la navigation pour assurer l'efficacité et la sécurité du système de transport maritime du pays. Accessoirement, elle assure des services de brisage de glace et d'escorte, et elle s'occupe du réapprovisionnement dans l'Arctique et de la recherche et du sauvetage.

Le Tribunal a entendu cinq témoins sur la question de l'environnement marin et certains témoignages lui ont été utiles pour évaluer si le test qui a été administré au plaignant était adéquat.

LE CAPITAINE WAYNE NORMAN

Le capitaine Norman a été cité comme témoin expert par le plaignant. Il possède 14 années d'expérience comme professeur de

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sciences nautiques et 10 années comme marin (y compris cinq années complètes en mer). Le capitaine Norman n'a pas de commandement actif depuis 1975 et il n'a jamais commandé un navire de la Garde côtière; toutefois il possède une carte de qualification de capitaine au long cours. Il est vrai qu'il y a eu de nombreux changements technologiques dans les postes de la marine depuis que le capitaine Norman a commandé pour la dernière fois un navire en 1975, mais il a déclaré dans son témoignage que les officiers de la Garde côtière ont des compétences analogues aux siennes et, en conséquence, que sa formation lui permettrait d'être officier de marine (officier de navigation) tant dans la marine marchande que dans la Garde côtière.

Le capitaine Norman a déclaré qu'un candidat qui s'inscrit au Marine Institute à St. John's (Terre-Neuve) dans le but de devenir officier de navigation peut obtenir un certificat de compétence à la condition que l'examinateur soit convaincu que son acuité auditive lui permet d'entendre la voix parlée. Muni de ce certificat, le candidat reçu possédera les compétences requises pour le service commercial avec l'approbation de la direction de la Sécurité des navires de la Garde côtière canadienne. Toutefois, c'est la direction des Services de la flotte de la Garde côtière qui fixe les exigences pour les officiers de navigation de la Garde côtière elle- même et elle exige une meilleure acuité auditive que celle fixée par la direction de la Sécurité des navires pour la marine marchande.

De plus, ce témoin a déclaré qu'il savait également que les exigences relatives à l'acuité auditive du personnel non breveté (équipage) à bord des navires de la Garde côtière ne sont pas les mêmes que celles applicables aux officiers, y compris aux officiers de navigation.

LE CAPITAINE MARK TURNER

Le capitaine Turner possède un certificat de capitaine au long cours. Il est actuellement l'officier responsable du Offshore Service Centre, division du Marine Institute à St. John's (Terre- Neuve), et c'est lui qui a agi à titre d'«observateur neutre» lorsque le test pratique d'acuité auditive a été administré au plaignant le 25 mai 1990.

Au cours de son témoignage, le capitaine a appris au Tribunal qu'il avait déjà effectué des opérations de recherche et de sauvetage dans la marine marchande et, en particulier, dans l'industrie côtière. Il convient de signaler que le capitaine Turner était à bord du premier navire de sauvetage arrivé sur les lieux lorsque la plate-forme de forage, Ocean Ranger, a sombré au large des côtes de Terre-Neuve en février 1991. La Garde côtière n'a pris la relève qu'au bout de 24 heures plus tard et le navire du capitaine

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Turner a participé avec quatre autres navires à l'opération de sauvetage pendant trois jours. Le capitaine Turner a également servi à bord de navires brise-glace ainsi que dans l'Arctique, à bord de navires qui avaient besoin de la Garde côtière pour naviguer dans des eaux envahies par les glaces. En tout, il a travaillé pour huit compagnies pétrolières dans l'industrie côtière et il a dit que, malgré la nature extrêmement dangereuse du travail, une acuité auditive suffisante pour entendre la voix parlée était la norme pour les officiers de navigation travaillant pour ces compagnies. De même, il n'a pas dû se soumettre à un test d'acuité auditive à l'époque où il a reçu son certificat de capitaine au long cours. En tant que capitaine au long cours, il ne croyait pas qu'il pourrait être d'accord avec une norme en matière d'acuité auditive qui exclurait des postes d'officiers de navigation les candidats dont l'acuité auditive dans une oreille leur permet d'entendre la voix parlée.

En plus de confirmer qu'il est souvent très dangereux de travailler dans un environnement marin, le capitaine Turner a parlé du bruit ambiant. Il a confirmé que le bruit des machines, des radios, des téléphones, des vibrations, des moteurs, de l'équipement radio et électronique ainsi que les sons naturels de l'océan et du vent posent des difficultés pour l'audition et la communication. Interrogé par le Tribunal, le capitaine Turner a néanmoins déclaré qu'il ne voyait pas pourquoi les normes médicales pour les officiers de la Garde côtière étaient différentes de celles applicables aux officiers de la marine marchande. En fait, il considérait que les activités de la marine marchande sont très souvent beaucoup plus dangereuses que celles de la Garde côtière, en particulier dans le domaine du forage pétrolier en mer.

LE CAPITAINE GEORGE LEGGE

Le capitaine Legge était habilité à témoigner à titre de capitaine au long cours et, en raison de ses 30 années de service au sein de la Garde côtière, il a également été autorisé à parler de la gestion, de l'exploitation et de l'organisation de la Garde côtière et de sa flotte. Au moment de l'audience, le capitaine Legge était cadre supérieur à la direction des Systèmes de la flotte de la Garde côtière pour la région de Terre-Neuve.

Le capitaine Legge a confirmé que c'est la direction de la Sécurité des navires de la Garde côtière qui fixe les normes pour les certificats de compétence des marins de la marine marchande, et que les normes fixées par la direction des Systèmes de la flotte (qui détermine les normes pour les certificats de compétence des officiers de la Garde côtière) respectent ces normes mais sont plus exigeantes que celles-ci à de nombreux égards. Comme on s'y attendait, le

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capitaine Legge a confirmé que les exigences des Systèmes de la flotte en matière d'acuité auditive pour les officiers de la Garde côtière sont plus sévères que les normes applicables à la marine marchande (officiers de la marine marchande) qui sont fixées par la direction de la Sécurité des navires.

En raison des normes différentes qui sont applicables, il est possible pour un candidat d'obtenir un certificat de compétence d'officier de quart en suivant les cours requis à un établissement reconnu. Par la suite, le candidat sera habilité à travailler sur des navires commerciaux s'il possède [TRADUCTION] «une acuité suffisante dans une oreille pour entendre la voix parlée ainsi que les dispositifs d'alarme» (voir la pièce HR-10). Toutefois, si le candidat sollicite un emploi à bord d'un navire de la Garde côtière, il «doit comprendre clairement la communication, qu'elle soit parlée, criée ou transmise par radio» (voir la pièce HR-1 à l'onglet 13), ce qui signifie qu'il doit satisfaire aux lignes directrices concernant l'examen médical préalable à l'affectation dont il est question aux pages 5 et 6 des présents motifs.

Le capitaine Legge a décrit pour le Tribunal la différence qui existe à son avis entre les tâches effectuées à bord d'un navire de la Garde côtière et celles effectuées à bord de navires commerciaux. Alors que les navires de la Garde côtière sont chargés de tâches particulières (c.-à-d. les aides à la navigation et la recherche et le sauvetage), les navires commerciaux servent habituellement au transport de marchandises d'un port à un autre dans un but lucratif. Ainsi, selon lui, les activités à bord des navires commerciaux sont moins nombreuses entre les divers ports alors qu'elles sont moins nombreuses à bord des navires de la Garde côtière lorsqu'ils sont au port. Il a en outre fait observer que les navires commerciaux ont habituellement besoin d'un pilote indépendant lorsqu'ils pénètrent dans une zone de pilotage alors que les officiers de la Garde côtière canadienne reçoivent une formation additionnelle qui leur permet d'effectuer leur propre pilotage dans les eaux canadiennes.

Le capitaine Legge a signalé certaines des autres tâches plus précises que doivent effectuer les officiers de la Garde côtière. Il a parlé plus particulièrement de l'entretien du câble transatlantique, de l'utilisation de canots et d'embarcations rapides de sauvetage pour transporter des marchandises dans l'Arctique, de l'entretien des bouées de navigation, de l'abordage de navires en détresse et de la lutte contre les incendies. En conséquence, a-t-il expliqué, les navires de la Garde côtière sont conçus pour leur permettre de remplir leurs missions et ils sont habituellement équipés de propulseurs d'étrave qui les rendent très manoeuvrables

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pour travailler autour des bancs de sable, des récifs, dans les bras de mer étroits et dans les courants rapides.

Le capitaine Legge a indiqué que les principaux dangers pour les opérations de recherche et de sauvetage sont les conditions environnementales, notamment la brume, la bruine verglaçante et les icebergs. Il a donné un exemple des conditions traîtresses dans lesquelles on peut avoir besoin de se servir de l'ouïe. Pour certaines des eaux dans lesquelles les navires de la Garde côtière naviguent (par exemple, la côte du Labrador), les cartes de navigation sont imparfaites et, en conséquence, le navire-mère envoie parfois une embarcation rapide de sauvetage lorsque les eaux sont peu profondes. Advenant le cas où la brume s'installe, les personnes à bord de l'embarcation rapide de sauvetage devront faire appel à leur acuité auditive pour réussir à retourner au navire-mère. Le capitaine Legge n'a pas pu indiquer le nombre de fois où de telles situations peuvent se produire, mais il a dit qu'elles font partie intégrante du travail de la Garde côtière canadienne.

Naturellement, les officiers et les membres d'équipage des navires de la Garde côtière acquièrent avec le temps des compétences dans divers domaines (c.-à-d. l'entretien des bouées ou les opérations de brisage de glace). La Garde côtière assure donc la formation de ses officiers par rotation de postes afin de les tenir à jour et de les préparer à exécuter diverses tâches et (contrairement aux équipages des navires) ceux-ci sont affectés à bord de différents navires faisant partie d'un parc de navires exploité à partir du bureau régional principal qui, en l'espèce, était situé à Terre- Neuve.

Selon le capitaine Legge, les deux endroits les plus bruyants à bord de n'importe quel navire sont la chambre des machines et le pont; il considère que le bruit est un facteur moins important sur la passerelle de navigation. Il a confirmé qu'il serait juste de dire qu'il est souvent difficile (même pour une personne dont l'audition est normale) d'entendre les communications ou les signaux, en particulier lorsque des moteurs d'hélicoptères fonctionnent, que les ancres sont jetées ou levées ou que des embarcations sont mises à la mer ou récupérées. Le capitaine Legge a confirmé que, dans tous ces exemples, c'est l'officier de navigation qui serait responsable des communications.

Le témoin a également expliqué que très peu de navires de la Garde côtière ont à leur bord des opérateurs radios (à l'exception du John Cabot et des navires qui naviguent dans l'Arctique). C'est pourquoi les officiers de quart remplissent les fonctions de l'officier radio et lorsqu'un message est mal interprété ou manqué, les conséquences peuvent être tragiques pour le navire et ceux qui se

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trouvent à bord. Un autre point signalé par le capitaine Legge concernait les coupures budgétaires. Il a dit que la Garde côtière est censée effectuer à l'avenir les mêmes opérations avec un personnel réduit par suite des contraintes financières.

L'avocat de la Commission des droits de la personne a interrogé le capitaine Legge au sujet des réponses aux commandements. A cet égard, le capitaine a confirmé qu'il n'y a aucune marche à suivre précise quant à la répétition des ordres bien qu'il ne soit pas rare que le timonier répète un commandement reçu du capitaine ou que ce dernier confirme que l'ordre a été bien reçu. Toutefois, il a insisté pour dire qu'habituellement, chaque ordre n'est pas répété trois fois, en particulier lorsqu'il y a situation d'urgence. Il a néanmoins reconnu qu'un officier de navigation prudent qui n'est pas sûr d'un message demanderait que le commandement soit répété avant d'agir. Il a aussi insisté pour dire que, même si les navires de la Garde côtière utilisent aujourd'hui des techniques de navigation très perfectionnées, les membres du personnel en bons marins en reviennent aux principes de base et utilisent leur acuité visuelle et auditive lorsque la technologie fait défaut.

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LE CAPITAINE STEWART KLEBERT

Le capitaine Klebert est officier principal des opérations de secours de la Garde côtière pour la région de Terre-Neuve et il possède environ 20 années d'expérience au sein des Systèmes de la flotte de la Garde côtière canadienne. Capitaine au long cours, M. Klebert détient un certificat de commandement de la Garde côtière et il était habilité à donner un témoignage d'opinion sur les opérations à bord des navires, sur la gestion des navires de la Garde côtière et sur les tâches ou fonctions des officiers de navigation et des membres d'équipage des navires de la Garde côtière.

Le capitaine Klebert a signalé au tout début de son témoignage que les navires de la Garde côtière doivent souvent travailler dans les pires conditions climatiques parce qu'ils interviennent lorsque d'autres navires sont en détresse. Dans de telles circonstances, ils doivent se rendre sur les lieux à toute vitesse.

Il a en outre souligné que, lors du balisage et de l'entretien des bouées, la communication sur la passerelle est essentielle et la marge d'erreur est donc mince. Il a ajouté que les communications dans les opérations de la Garde côtière se font oralement, une bonne partie étant transmises par radio. L'un des types de casques d'écoute utilisés pour recevoir les communications est l'écouteur simple qui permet à la personne qui le porte d'entendre aussi grâce à son autre oreille les sons dans son entourage immédiat.

Le capitaine Klebert était d'avis qu'un officier de navigation de la Garde côtière doit entendre des deux oreilles en raison de l'importance cruciale des messages transmis, de leur réception et de leur interprétation afin d'assurer la sécurité du navire et de son équipage. Il a décrit une série d'incidents dont il avait été témoin et qui, a-t-il laissé entendre, démontraient l'importance cruciale de l'acuité auditive du personnel pour que les opérations de la Garde côtière s'effectuent en toute sécurité.

LE CAPITAINE PHILIP MURDOCK

Le capitaine Murdock a obtenu le certificat le plus élevé accordé par la Garde côtière, c'est-à-dire le certificat de commandant. Ce certificat lui permet de commander un navire de la Garde côtière canadienne n'importe où dans le monde, et il a déclaré dans son témoignage qu'il avait navigué à bord de nombreux navires de la Garde côtière mais non en qualité de commandant. Il était donc habilité à témoigner à titre d'expert en qualité de capitaine en

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second mais seulement en ce qui concerne les navires de la Garde côtière.

Le témoignage du capitaine Murdock a permis au Tribunal de comprendre l'organisation de la direction des Systèmes de la flotte de la Garde côtière. M. Murdock a expliqué que cette direction comporte cinq divisions : les Services de l'exploitation, les Services techniques, les Services exécutifs, l'Administration et les Services de soutien pour la flotte. Il occupe dans la division des Services de soutien pour la flotte le poste de gestionnaire intérimaire du service Personnel navigant de la flotte qui fonctionne comme un élément de ce qu'on pourrait décrire comme un service des ressources humaines.

En plus de s'occuper de la négociation des conventions collectives, la division Personnel navigant de la flotte est chargée des questions de formation, de la planification des ressources humaines et des normes médicales. L'une de ses tâches les plus spécifiques consiste à déterminer l'équipage approprié pour chaque navire de la Garde côtière en fonction de l'endroit où il se trouve, de sa taille et de ses tâches. De plus, chose intéressante pour le Tribunal, ce témoin a indiqué que la direction des Systèmes de la flotte revoit à l'heure actuelle les normes relatives à l'acuité visuelle et à l'acuité auditive afin d'essayer d'uniformiser les exigences minimales dans la Garde côtière et dans la marine marchande.

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Au cours de sa carrière, le capitaine Murdock a été capitaine en second à bord du Sir Wilfred Grenfell lorsque celui-ci s'occupait principalement de recherche et de sauvetage. A bord du Grenfell, il était chargé de la surveillance des officiers de pont.

Le capitaine Murdock a également été en poste sur le navire Sir Humphrey Gilbert qui s'occupait principalement de l'entretien des aides à la navigation (bouées) ainsi que des opérations de brisage de glace. Il a également été officier de quart à bord du Sir John Franklin. Il a indiqué dans son témoignage qu'au cours des opérations d'accompagnement de navires ou de brisage de glace, le personnel de quart doit tenir le capitaine au courant de la position du navire par rapport aux autres navires ou dangers. Le capitaine Murdock a également été affecté à bord du Sir John Cabot à titre de deuxième lieutenant et d'officier de la correspondance télégraphique lorsque le navire servait principalement à l'entretien des câbles sous-marins.

L'expérience du témoin à bord du Sir Wilfred Grenfell a été utile pour le Tribunal vu qu'il s'agissait de la plate-forme sur laquelle le test pratique d'acuité auditive a été administré au plaignant et à d'autres personnes. En fait, le capitaine Murdock a participé à la conception et à l'administration du test et c'est pour cette raison que l'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne a soutenu qu'il ne devait pas être habilité à témoigner à titre d'expert. Cependant, le Tribunal a reconnu ses compétences et il a indiqué qu'il analyserait l'importance qui pouvait être accordée aux opinions qu'il avait émises. La plus grande partie de son témoignage devant le Tribunal ne constituait pas en réalité un témoignage d'opinion mais portait plutôt sur des questions de fait.

L'une des opérations décrites par le capitaine Murdock était l'atterrissage et le décollage d'un hélicoptère. Au cours de ces manoeuvres, l'officier de pont est chargé des opérations sur le pont d'envol et, selon toute probabilité, il portera un casque antibruit pour se protéger les oreilles contre le vrombissement du moteur de l'hélicoptère. Il doit toutefois recevoir en même temps les communications provenant de l'hélicoptère et de la passerelle, et il peut aussi être obligé de communiquer avec des membres d'équipage se trouvant à proximité. Selon le témoin, l'officier de pont doit parfois soulever l'un des protecteurs qui recouvrent ses oreilles pour communiquer avec d'autres membres du personnel. En d'autres termes, l'officier peut se servir simultanément d'une oreille pour communiquer avec le personnel se trouvant sur place et de l'autre pour recevoir les communications provenant de l'hélicoptère ou de la passerelle.

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C'est cet exemple qui a le plus intéressé le Tribunal, mais le témoin a également été capable de fournir d'autres exemples de cas où les communications s'effectuent simultanément à bord d'un navire de la Garde côtière; ces cas ont pour la plupart été illustrés lors du test pratique d'acuité auditive administré au plaignant et à d'autres personnes à bord du Sir Wilfred Grenfell en mai 1990, et ils seront examinés dans la partie IV.

PARTIE IV

LE TEST PRATIQUE D'ACUITÉ AUDITIVE

Le Tribunal doit déterminer si le test pratique d'acuité auditive qui a été administré à M. Andrews en mai 1990, et dont les détails sont fournis dans la pièce R-1, était réaliste et pratique. Il est donc nécessaire d'examiner comment ce test a été conçu et administré.

LA CONCEPTION DU TEST

Le Tribunal a entendu sur cette question les témoignages détaillés de deux employés de Transports Canada/Garde côtière :

a) Mme Joanne Jankun, agente de projet au service Personnel navigant de la flotte et pour les Systèmes de la flotte de la Garde côtière canadienne; b) M. Philip Murdock, gestionnaire intérimaire de la direction des Systèmes de la flotte.

Mme Jankun s'est enrôlée dans la Garde côtière en 1988 et, plus tard au cours de la même année, elle a commencé à s'occuper de la conception du test. En fait, elle coordonnait celle-ci.

Le travail de Mme Jankun consiste principalement à s'occuper de projets portant sur des questions de ressources humaines. Elle s'occupe également pour les Systèmes de la flotte de la coordination et du règlement des plaintes portées en matière des droits de la personne contre la Garde côtière. Elle est appelée en cette qualité à travailler avec des consultants et d'autres experts de divers organismes.

C'est en sa qualité d'expert opérationnel ayant auparavant servi à bord d'un navire de la Garde côtière que M. Philip Murdock a aidé Mme Jankun à préparer le test. Il faisait partie avec Mme Jankun et d'autres personnes de l'équipe qui a administré le test à M. Andrews ainsi qu'au groupe témoin.

LE ROLE DE Mme JANKUN

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Mme Jankun devait avec d'autres membres de son unité mettre au point un test simple, pratique et lié à l'emploi. A cette fin, elle estimait que le test devait être administré dans un environnement analogue à celui existant à bord d'un navire afin de tenir compte des conditions et du bruit ambiants.

Mme Jankun a confirmé que la conception du test et son administration n'ont fait l'objet d'aucune discussion avec la Commission canadienne des droits de la personne. En fait, la Commission a été invitée à participer à la conception du test, mais a refusé de le faire.

Au cours de la préparation du test, Mme Jankun a consulté le personnel des directions suivantes à la fin de 1988 et à diverses reprises en 1989 :

a) la direction générale de la formation de la Garde côtière dont le personnel a participé à la conception du test; b) la direction générale de la formation de Transports Canada dont le personnel comprend des psychologues scolaires, des psychologues du travail ainsi que des spécialistes en aménagement organisationnel; c) la direction générale de la formation de la Commission de la fonction publique.

Ces consultations avaient principalement pour but de discuter de la conception du test, des normes applicables, des règles relatives au test et du rôle des acteurs (voir la pièce R-1, onglet 2 à la page 6). Mme Jankun a également consulté des experts opérationnels de la Garde côtière afin de s'assurer que chacun des scénarios projetés était réaliste. Elle a déclaré qu'elle avait participé à de nombreuses rencontres avec les 15 à 20 experts qui occupaient divers postes : capitaines, capitaines en second, officiers de pont et mécaniciens. Au cours de ces rencontres, elle a sollicité leurs avis et leurs conseils pour la préparation des scénarios, des dialogues et des normes du test.

Mme Jankun a dit dans son témoignage que la terminologie utilisée dans les messages servant au test était une combinaison de mots usuels, de termes nautiques et de messages réels employés dans les activités quotidiennes à bord d'un navire. Selon elle, une liste des termes qui pouvaient être utilisés pendant le test ainsi qu'un code d'épellation ont été remis à M. Andrews environ un mois avant le test (voir la pièce R-1, onglet 1).

On a demandé à Mme Jankun quels étaient les bruits qui devaient être simulés pour que le test soit aussi réaliste que possible. Elle a répondu qu'il devait s'agir des bruits qu'un

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officier de la Garde côtière peut entendre dans l'exécution de ses tâches quotidiennes à bord d'un navire, notamment le bruit des radios, des moteurs, des machines, de l'équipement électronique et des communications verbales entre les membres d'équipage.

Les scénarios qui ont été choisis pour le test illustraient certaines des tâches qui sont souvent exécutées par les officiers de la Garde côtière. L'équipe de Mme Jankun avait décidé que les scénarios choisis devaient illustrer des situations critiques ou périlleuses qui permettraient de vérifier la capacité du candidat d'entendre des messages ainsi que sa capacité d'y réagir correctement.

Pour déterminer la norme de chacune des épreuves, Mme Jankun a consulté environ quatre ou cinq des experts opérationnels. Elle a dit au Tribunal qu'en évaluant la norme, les experts opérationnels ont tenu compte des éléments critiques du message, des conséquences d'une erreur sur les opérations du navire ainsi que de l'efficacité.

En contre-interrogatoire, Mme Jankun a franchement admis que, suivant les conseils des experts opérationnels, diverses normes avaient été fixées pour chaque épreuve. Par exemple, le taux de précision devait être de 100 p. 100 pour les ordres donnés au timonier tandis qu'un taux de 80 p. 100 suffisait pour les opérations de balisage.

Il s'agissait du premier test pratique d'acuité auditive mis au point pour un candidat de la Garde côtière; bien que d'autres tests pratiques aient déjà été conçus pour d'autres sphères d'activités de Transports Canada, aucun n'était aussi complet que ce test dont la préparation a duré environ 18 mois et a pris fin le 25 mai 1990 lorsqu'il a été administré à M. Andrews.

LE ROLE DE M. MURDOCK

Dans son témoignage, M. Murdock a dit qu'il avait participé à la préparation du test à partir de décembre 1989, en tant qu'assistant de Mme Jankun. A cette époque, le processus était déjà assez avancé.

M. Murdock venait tout juste de débarquer après avoir effectué son service dans la région de Terre-Neuve, plus précisément à bord du navire Sir Wilfred Grenfell. Ce navire a alors été choisi parce qu'il constituait le meilleur endroit où tenir le test. M. Murdock était évidemment très familier avec la configuration du navire et son fonctionnement, et il savait comment adapter les scénarios du test au navire.

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Même s'il n'avait pas participé à la sélection des scénarios du test, M. Murdock n'a eu aucun mal à comprendre pourquoi ils avaient été choisis. En tant que marin, il estimait qu'ils illustraient les situations quotidiennes auxquelles doit régulièrement faire face un officier de pont à bord d'un navire de la Garde côtière ou, d'ailleurs, à bord de n'importe quel navire. Son rôle consistait principalement à mettre la dernière main aux scénarios du test en tenant compte de la configuration du Sir Wilfred Grenfell et de ses opérations.

Par exemple, M. Murdock a souligné que le scénario original de l'épreuve no 12 avait été décrit comme une épreuve portant sur le travail effectué à bord d'une vedette. Cette épreuve simulait des opérations de balisage. M. Murdock a informé Mme Jankun qu'il n'y avait aucune vedette à bord du Sir Wilfred Grenfell et qu'il fallait modifier l'épreuve pour qu'elle s'effectue à l'aide d'une embarcation rapide de sauvetage, car il y en avait effectivement une à bord de ce navire.

En ce qui concerne les messages utilisés pour le test, M. Murdock n'a joué aucun rôle particulier dans leur choix étant donné qu'ils étaient déjà presque prêts lorsqu'il a commencé à s'occuper du test. Par contre, il a participé au choix des divers endroits où devaient se placer les personnes, dont M. Andrews, qui se trouveraient à bord du navire pendant le test. Comme il était familier avec la configuration de la passerelle du Sir Wilfred Grenfell, il a pu donner des conseils sur les endroits appropriés où devaient se placer les différents acteurs ainsi que les autres personnes participant à l'administration du test pour que le tout ait l'air réaliste.

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L'ESSAI ET LE TEST ADMINISTRÉ AU GROUPE TÉMOIN

Mme Jankun et M. Murdock ont indiqué dans leurs dépositions qu'un essai du test s'était déroulé dans une grande salle de conférence au quartier général de la Garde côtière à Ottawa, environ trois à quatre semaines avant la date du test véritable, le 25 mai 1990.

Outre Mme Jankun et M. Murdock, les experts opérationnels ont assisté à l'essai et y ont joué le rôle de conseillers et d'acteurs. Ensemble, ils ont passé en revue chacun des scénarios du test, en particulier ceux qui devaient se dérouler sur la passerelle du navire. Cet exercice avait pour but de vérifier s'il serait possible de mettre à exécution tous les scénarios dans un délai raisonnable et si les dialogues utilisés pour chacun de ceux-ci étaient appropriés et réalistes.

On a reconstitué la passerelle d'un navire. Les divers acteurs se sont placés aux endroits prévus dans les scénarios du test. Une des personnes présentes a également joué le rôle du candidat, se déplaçant dans la pièce pour occuper les diverses positions indiquées par les organisateurs du test. L'essai s'est déroulé sans que l'on reproduise les conditions climatiques ou ambiantes. C'était la première fois qu'on expérimentait le test en entier. Même si elle ne pouvait pas se rappeler combien de temps l'essai avait duré, Mme Jankun a toutefois dit qu'il avait fallu de trois à cinq heures pour l'effectuer.

Mme Jankun a examiné avec la direction générale de la formation de la Commission de la fonction publique et la direction générale de la formation de Transports Canada s'il était souhaitable de faire passer le test à un groupe témoin. L'objectif principal était de vérifier si les normes qui avaient été fixées pour le test par les experts opérationnels étaient correctes et appropriées pour un poste d'officier de pont. Le deuxième objectif était de mettre le test en pratique pour que les acteurs puissent se familiariser avec les rôles qui leur avaient été assignés avant que le test ne soit administré à M. Andrews.

Le groupe témoin était composé de quatre membres de l'équipage du Sir Wilfred Grenfell qui s'étaient portés volontaires après une demande présentée par le commandant du navire. Les postes occupés à bord du navire par ces membres d'équipage étaient les suivants : un quartier-maître, un officier de pont et deux élèves- officiers.

Les quatre membres d'équipage n'étaient pas toujours tous libres en même temps. Parfois, seulement deux ou trois de ceux-ci

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participaient activement au test, selon leur disponibilité ou leur obligation de s'acquitter d'autres tâches. Mme Jankun ne pouvait pas se rappeler avec certitude si deux membres donnés du groupe témoin ont pris part à chacune des épreuves individuelles du test. Elle se souvenait seulement qu'au moins deux de ceux-ci avaient participé à la plupart des épreuves.

Le commandant a ensuite choisi d'autres membres de l'équipage du même navire comme acteurs pour le test. Les acteurs n'avaient pas à se préparer d'avance étant donné que leur seule tâche consistait à lire à voix haute les messages des divers scénarios du test, en se conformant aux dialogues qui leur avaient été remis. Les mêmes acteurs ont participé au test administré au groupe témoin et à celui administré à M. Andrews. On leur avait dit d'avance qu'on leur demandait de participer à un test pratique d'acuité auditive. On leur avait également indiqué que leurs réponses à certains des messages seraient enregistrées.

Avant chaque épreuve, on remettait aux acteurs une copie des deux premières pages de chaque dialogue ainsi que des renseignements sur les objectifs de l'épreuve, la norme de performance attendue, les conditions projetées, une estimation du temps requis pour terminer l'épreuve, et les instructions.

Le test administré au groupe témoin a commencé le 24 mai 1990 et a duré toute la journée. En raison du manque de temps, il a pris fin le lendemain matin, le 25 mai 1990, juste avant que ne commence le test véritable administré à M. Andrews.

Ce sont Mme Jankun et M. Murdock qui ont fait passer le test au groupe témoin et à M. Andrews. Ils étaient assistés de M. Roy Galarneau, représentant régional de la Garde côtière à Terre- Neuve. M. Galarneau s'occupait principalement de la notation et du chronométrage. M. Murdock assignait leurs positions aux acteurs et s'assurait qu'ils comprenaient leurs rôles et leurs instructions.

Mme Jankun ou M. Murdock notait ce que disait chacun des membres du groupe témoin en réponse à un message. M. Murdock se rappelait que les feuilles sur lesquelles les réponses avaient été notées ont été recueillies, mais il ne pouvait dire si elles avaient été emportées à Ottawa ou laissées à St. John's.

En plus de noter les réponses au test, M. Murdock ou Mme Jankun écoutait attentivement chacun des messages pour s'assurer qu'ils correspondaient à ce qui avait été prévu dans le dialogue préparé pour chacun des scénarios.

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Lorsqu'on lui a demandé si on avait modifié le test après qu'il eut été mis à l'essai avec le groupe témoin, Mme Jankun a confirmé qu'on y avait effectivement apporté quelques changements. Par exemple, un membre du groupe témoin avait dit que certains messages étaient lus trop rapidement. Les messages ont donc été lus plus lentement au membre suivant du groupe témoin ainsi que pendant le test administré à M. Andrews.

De plus, l'épreuve no 6 a été légèrement modifiée en ce sens que les termes du code d'épellation ont été lus dans l'ordre inverse lors du test de M. Andrews. Ce ne fut pas le cas pour le groupe témoin. Mme Jankun a expliqué dans son témoignage qu'on avait ainsi inversé l'ordre des mots du code d'épellation pour éviter que M. Andrews ne devine un mot quand il n'avait pas entendu celui-ci correctement. Les examinateurs voulaient savoir ce qu'il avait entendu et non ce qu'il avait deviné. Elle a ensuite insisté pour dire que les mots eux-mêmes n'étaient pas lus en commençant par la fin, mais plutôt que les mots de chaque phrase étaient lus dans un ordre inversé. Par exemple, l'un des messages de l'épreuve no 1 lu de la manière suivante au groupe témoin, «foxtrot, alpha, India, Romeo», est devenu «Romeo, India, alpha, foxtrot» dans le cas de M. Andrews.

L'ADMINISTRATION DU TEST A M. ANDREWS

M. Murdock a déclaré dans son témoignage que le test de M. Andrews a commencé aux environs de 10 h 30 ou 10 h 45, le 25 mai 1990. Les examinateurs étaient en retard parce que le test administré la veille au groupe témoin s'est poursuivi pendant la matinée du 25 mai 1990 jusqu'à ce que le test de M. Andrews ne commence.

Ce retard était imprévu; en effet, les examinateurs avaient prévu à l'origine terminer le test du groupe témoin le 24 mai 1990. Ce sont les manoeuvres normales que le navire a dû effectuer lorsqu'il est entré au port le matin du 24 mai 1990 qui étaient à l'origine de ce retard. De plus, le test du groupe témoin a été un peu plus long que prévu parce que chacun des membres du groupe a subi le test individuellement et qu'il fallait tenir compte du temps de préparation pour chaque épreuve.

Quant au test de M. Andrews, M. Murdock a dit qu'il y avait eu, au cours de la matinée, cinq épreuves qui se sont terminées un peu après midi, juste avant la pause-repas. Selon lui, ces épreuves étaient relativement courtes, chacune durant de quatre à six minutes. Les neuf autres épreuves se sont déroulées dans l'après-midi, après la pause-repas.

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Entre chaque épreuve, les examinateurs, les acteurs et M. Andrews devaient se déplacer d'un endroit à un autre du navire. De plus, il fallait assigner leurs positions aux acteurs, faire la mise en situation et, le cas échéant, mettre en place les accessoires. En outre, on donnait le temps à M. Andrews de lire les instructions et de poser des questions avant le début de chaque épreuve.

Le rôle de M. Murdock

consistait principalement à écouter les réponses de M. Andrews et à signaler toute contradiction entre les messages du test et les réponses de M. Andrews. Pour sa part, M. Galarneau chronométrait et notait le temps qui s'écoulait entre le moment où le message était lu et celui où M. Andrews finissait de le répéter.

M. Murdock a expliqué au Tribunal les bruits de fond qui étaient audibles pendant le test de M. Andrews. Comme le navire était en mer, il y avait le grondement des moteurs principaux ainsi que celui des cheminées le long de la timonerie du Sir Wilfred Grenfell. On entendait en outre le bruit résultant du fonctionnement du navire, comme le son du compas gyroscopique qui fait entendre un tic-tac continu quand que le navire est en mer et se déplace. Il y avait aussi le bourdonnement aigu des radars. Enfin, on entendait le vent qui était d'une force relative de 25 à 35 noeuds plus, à l'occasion, le bruit de l'écume se brisant sur la timonerie du navire.

Selon M. Murdock, il s'agissait de bruits normaux quand le navire fonctionne. De plus, il faudrait tenir compte du bruit des radios selon qu'elles étaient en marche ou non à ce moment-là, tels la diffusion continue de bulletins maritimes, les échanges entre d'autres navires dans la zone d'opération et, enfin, les messages en provenance de la station de contrôle de la circulation maritime à St. John's.

Aucune des notes prises n'indique qui lisait les messages ni le délai qui s'écoulait entre chacun de ceux-ci. Mme Jankun a toutefois déclaré que, selon elle, les messages n'étaient pas lus de façon sporadique mais plutôt à intervalles réguliers, quoique non chronométrés. Le commandant devait se servir de son jugement pour la transmission des messages.

On avait décidé pendant la préparation du test qu'il ne serait pas permis de répéter les messages. A cet égard, M. Murdock a déclaré dans son témoignage que, d'après son expérience comme officier de la Garde côtière, il y avait eu des cas où il avait demandé que des messages soient répétés. Par contre, il a également souligné que dans certains cas, il n'y a peu ou pas de risque

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d'erreur et que, dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de répéter le message.

M. Murdock a confirmé que la plupart des messages étaient transmis par radio à M. Andrews par le commandant du navire et qu'ils étaient lus plus lentement que cela n'aurait été le cas dans une situation normale. Quant aux messages et aux réponses de M. Andrews, il a dit qu'il ne notait la réponse exacte de M. Andrews que lorsqu'elle différait du message ou de la réponse attendue. Quand il n'y avait aucune différence, il ne prenait aucune note.

En autant que M. Murdock s'en souvienne, il y avait onze (11) personnes sur la passerelle pour l'épreuve no 1 :

- deux personnes qui s'occupaient uniquement de la navigation du navire et qui ne participaient pas au test; - M. Andrews; - Mme Jankun, M. Murdock et M. Galarneau; - le capitaine Turner (observateur indépendant); - le commandant, le capitaine en second et un acteur jouant le rôle du quartier-maître, qui participaient tous à un moment ou à un autre à l'administration du test.

Suivant certains des scénarios qui se déroulaient sur la passerelle du navire, M. Andrews devait demeurer à un endroit donné; d'autres prévoyaient qu'il devait jouer le rôle d'un officier de navigation et il devait se déplacer et utiliser divers instruments sur la passerelle.

M. Murdock était d'avis que le test administré à M. Andrews était assez équitable. Il a souligné que M. Andrews devait seulement écouter des messages qu'il devait ensuite répéter ou noter, et qu'il n'avait aucune autre responsabilité ou fonction pendant le test. Il a rappelé au Tribunal que chaque épreuve individuelle était assez courte, ne durant que de deux à cinq minutes. De plus, on avait donné à M. Andrews la possibilité de poser des questions ou de faire part de ses inquiétudes. Enfin, M. Murdock a déclaré qu'il était convaincu que M. Andrews n'a jamais indiqué aux examinateurs qu'il n'était pas à l'aise ou qu'il se sentait humilié à un moment ou à un autre pendant le test.

COMPARAISON ENTRE LE TEST DE M. ANDREWS ET LE TEST DU GROUPE TÉMOIN

M. Murdock a témoigné sur les différences qui existaient entre les conditions ambiantes dans lesquelles le test a été administré à M. Andrews et celles du test du groupe témoin.

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Il a dit que les moteurs principaux du navire fonctionnaient pendant toute la durée du test de M. Andrews. Par contre, ils ne fonctionnaient pas continuellement dans le cas du groupe témoin et ce, pour des raisons de logistique. Toutefois, les génératrices du navire étaient en marche afin d'assurer l'alimentation électrique du navire. Le test du groupe témoin s'est déroulé en entier sur la passerelle du Sir Wilfred Grenfell pendant qu'il était amarré au quai. Les autres conditions ambiantes étaient semblables, sinon identiques.

De plus, le test du groupe témoin s'est déroulé en entier dans le port de St. John's alors que, dans le cas de M. Andrews, tous les scénarios exécutés dans l'après-midi du 25 mai 1990, y compris ceux sur la passerelle, ont eu lieu en haute mer.

M. Murdock a déclaré qu'on n'avait pas suivi pour M. Andrews le même ordre dans les scénarios que dans le cas du groupe témoin parce que le navire était arrivé à St. John's tôt le matin du 24 mai 1990, après avoir effectué une mission de recherche et de sauvetage. A l'arrivée du navire, M. Murdock et Mme Jankun ont eu une longue conversation avec le commandant au sujet du déroulement du test. Le commandant devait en même temps s'occuper de diverses autres tâches telles le remplissage des soutes à mazout et la préparation du navire pour des missions ultérieures. C'est pourquoi l'ordre des scénarios a été modifié; ainsi, l'épreuve de balisage du chenal et les manoeuvres à bord d'embarcations n'ont pas eu lieu avant le 25 mai 1990 au matin tandis que toutes les autres épreuves ont été effectuées le 24 mai 1990. A part ce changement, M. Murdock a déclaré que l'ordre des épreuves avait été le même pour M. Andrews et pour le groupe témoin.

Une autre différence a été constatée; dans le cas du groupe témoin, les manoeuvres sur la passerelle se sont déroulées pendant que le navire était à l'intérieur du port alors qu'il était à l'extérieur du port dans le cas de M. Andrews. Selon M. Murdock, les conditions étaient différentes, mais le bruit produit par les génératrices du navire pendant le test du groupe témoin était néanmoins assez semblable au bruit des moteurs principaux du navire pendant le test de M. Andrews.

Lors de son contre-interrogatoire, M. Murdock a admis que toutes les épreuves du test de M. Andrews auraient pu se dérouler dans le port comme ce fut le cas pour le groupe témoin, mais qu'on voulait, dans le cas de M. Andrews, simuler de la manière la plus vraisemblable possible le bruit ambiant et les conditions qui existent à bord d'un navire en mer.

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Interrogé plus à fond, M. Murdock a déclaré que la principale différence lorsqu'un navire se déplace dans le port et lorsqu'il quitte celui-ci est sa vitesse. En effet, sa vitesse serait inférieure à cinq noeuds dans le port alors qu'elle serait de dix à douze noeuds en mer. De plus, les eaux du port sont habituellement très calmes de sorte que l'eau giclant sur la passerelle ou le déplacement du navire produiraient peu ou pas du tout de bruit.

La preuve a également indiqué une autre différence entre le test administré au groupe témoin et celui de M. Andrews. Pendant au moins un des scénarios concernant des tâches sur la passerelle, le groupe témoin a été placé au bon endroit à la table des cartes alors que ce ne fut pas le cas pour M. Andrews.

LES NORMES APPLICABLES AU TEST

On a demandé à Mme Jankun comment on avait déterminé les normes applicables au test et pourquoi la note de passage des diverses épreuves avait été fixée de la manière suivante :

[TRADUCTION]

  1. «tous les messages (100 p. 100) doivent être répétés sans erreur dans les cinq secondes qui suivent le moment où le dernier mot du message a été prononcé»;
  2. «tous les messages cruciaux (100 p. 100) doivent être

répétés sans erreur et 80 p. 100 des autres messages doivent être répétés sans erreur dans les cinq secondes qui suivent la fin de chaque message».

Mme Jankun a déclaré que ces normes avaient été fixées après consultation des experts opérationnels de la Garde côtière dont la décision reposait sur ce qu'ils estimaient être nécessaire pour qu'un officier de la Garde côtière puisse s'acquitter sans danger de ses fonctions.

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Selon Mme Jankun, les conséquences d'une erreur étaient très graves pour les épreuves dont la note de passage avait été fixée à 100 p. 100 tandis qu'elles l'étaient moins pour les épreuves ou les parties d'épreuves dont la note de passage était 80 p. 100.

Mme Jankun a ensuite indiqué que la performance de M. Andrews avait été évaluée en fonction des normes fixées pour chaque épreuve, chacune de celles-ci étant différente d'une épreuve à une autre. En ce qui concerne la répétition des messages, Mme Jankun a dit que M. Andrews avait répété la plupart de ceux-ci dans le délai imparti pour les épreuves. Elle a ensuite ajouté que M. Andrews n'avait pas été pénalisé dans les rares cas où il n'avait pas répété le message dans ce délai.

M. Murdock et Mme Jankun ont tous les deux déclaré dans leurs témoignages qu'ils s'étaient rencontrés dans la soirée du 24 mai 1990 pour revoir les notes qu'ils avaient prises pendant la journée lors du test du groupe témoin. Ils ont alors préparé une synthèse de tous les résultats obtenus lors du test du groupe témoin.

Mme Jankun a effectué une synthèse analogue pour le test de M. Andrews, après son retour à Ottawa. Elle a utilisé à cette fin les notes qu'elle avait prises pendant le test ainsi que de celles de M. Galarneau et de M. Murdock. Elle y a ajouté ses propres notes et ses commentaires. Elle n'avait pas auparavant formulé ses commentaires par écrit, mais elle a soutenu qu'ils sont le reflet des souvenirs qu'elle a gardés de ce qui s'est passé durant chaque épreuve ainsi que de ce qu'elle a appris lors de ses discussions avec le groupe d'experts opérationnels qui ont participé avec elle à la notation du test de M. Andrews.

Mme Jankun a déclaré dans son témoignage qu'elle n'avait pas fait part aux marqueurs de ses idées, de ses jugements ou de ses opinions sur la performance et les capacités de M. Andrews pendant son test. Elle leur a plutôt expliqué ce qui s'était passé lors de chaque épreuve et, après chaque explication, l'équipe chargée de la notation a discuté des conséquences d'une erreur pour chaque épreuve et elle a examiné si la réponse donnée par M. Andrews devait être acceptée.

Mme Jankun était la seule personne qui avait été présente pendant toute la durée du test de M. Andrews et qui avait aussi participé à la séance de notation à Ottawa. Les autres membres de l'équipe chargée de la notation se sont fiés aux explications de Mme Jankun et à la synthèse des résultats du test.

Il est également important de signaler qu'après chaque épreuve individuelle, Mme Jankun a rencontré M. Galarneau et

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M. Murdock pour discuter des réponses données par M. Andrews. Parfois, après une brève rencontre de ce genre, Mme Jankun écrivait des commentaires sur la feuille de test. Elle a dit que ces commentaires permettaient d'expliquer les décisions prises au cours du processus de notation après chaque épreuve. Ces commentaires n'ont toutefois pas été inclus dans la synthèse du test qui a été remise à l'équipe chargée de la notation à Ottawa.

LE ROLE DE M. BOISVERT

Mme Jankun a informé le Tribunal que, en dehors du rôle joué par l'équipe chargée de la notation, c'était M. Boisvert, directeur général régional (Systèmes de la flotte) de la Garde côtière canadienne, qui devait prendre la décision finale relativement aux résultats du test de M. Andrews. Même si M. Boisvert était le gestionnaire supérieur de la direction des Systèmes de la flotte au quartier général de la Garde côtière à Ottawa, il n'était pas à St. John's lors des tests administrés au groupe témoin et à M. Andrews.

Mme Jankun n'a pu indiquer au Tribunal si M. Boisvert possédait le grade de capitaine dans la Garde côtière. Elle pouvait seulement dire qu'il s'agissait d'un ancien officier de marine de la branche de la navigation de la Garde côtière et qu'il avait aussi été instructeur au Collège de la Garde côtière à Sydney.

M. Boisvert n'a pas participé à la notation avec les autres experts opérationnels, mais il a néanmoins fait circuler une note de service (voir l'onglet 1 de la pièce R-1, aux pages 4 et 5) au sujet des résultats du test de M. Andrews, une fois que Mme Jankun et les experts opérationnels eurent terminé la notation. Mme Jankun a rappelé que les résultats du test avaient été fournis à M. Boisvert avant qu'il ne signe cette note. Elle n'était toutefois pas certaine qu'on lui avait remis un exemplaire de la synthèse du test et elle ne se rappelait pas si elle avait rencontré M. Boisvert lorsqu'elle avait remis ces résultats. De toute façon, elle était certaine que M. Boisvert était au courant du nombre d'épreuves réussies par M. Andrews ainsi que du nombre d'épreuves auxquelles il avait échoué.

Mme Jankun a ensuite déclaré que c'était très probablement elle qui avait préparé la note de service qui devait être signée par M. Boisvert. Cette note était adressée à la section administrative de la Garde côtière pour que son personnel puisse ensuite la faire parvenir à la Commission des droits de la personne.

LE TÉMOIGNAGE DES EXPERTS EN PSYCHOLOGIE

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Le Tribunal a reçu les rapports écrits préparés par deux témoins experts, M. Brian Tansley et M. Edward Renner. Dans leurs rapports, les deux témoins ont évalué le test administré à M. Andrews. De plus, M. Renner a examiné minutieusement dans son rapport les critères applicables à la conception du test. Les deux témoins ont également traité en détail de ces deux questions dans les dépositions qu'ils ont faites devant le Tribunal.

M. EDWARD RENNER

M. Renner est professeur de psychologie à l'université Dalhousie, à Halifax (Nouvelle-Écosse). Il possédait les compétences requises pour traiter dans son témoignage de questions de psychologie et des principes de l'évaluation des personnes.

M. Renner a tout d'abord dit qu'il y a trois (3) éléments importants qui permettent de déterminer la validité d'un test et de savoir s'il a été préparé conformément aux règles :

a) la psychométrie, qui est le fondement scientifique à la préparation d'un test; b) les procédures d'évaluation, qui permettent de recueillir des données utiles et valides sur une personne; c) les critères de validité, c'est-à-dire les mesures prises pour empêcher qu'il y ait partialité.

Selon M. Renner, ces trois éléments constituent les critères essentiels auxquels doit satisfaire un test pour être valide et utile. Le test qui ne remplit pas l'un de ces trois critères est irrémédiablement vicié.

Compte tenu de ce qui précède, M. Renner a ensuite mentionné au Tribunal quatre critères fondamentaux auxquels doit satisfaire la conception de n'importe quel test:

  1. la sélection des items, c'est-à-dire rassembler les items raisonnables qui sont censés mesurer le trait ou l'habilité que le test est destiné à mesurer;
  2. la fidélité, c'est-à-dire dans quelle mesure le score obtenu par un individu à un test serait le même si le test lui était administré à un autre moment ou par un autre examinateur. Avant qu'un test puisse être utilisé, il faut établir la constance avec laquelle l'habilité est évaluée à différents moments et par différents examinateurs;
  3. la validité conceptuelle, c'est-à-dire la preuve que le test mesure ce qu'il est censé mesurer et rien d'autre. En l'espèce, le test et ses résultats devaient permettre de déterminer si une perte auditive unilatérale nuit à l'exécution des tâches courantes à bord d'un navire de la Garde côtière. Les résultats ne doivent pas être fonction d'autres facteurs tels l'expérience dans une tâche donnée, la familiarité avec des mots et des expressions ou la capacité de se concentrer;
  4. la standardisation, c'est-à-dire l'administration d'un test à des groupes de personnes afin de créer des normes. Par exemple, les résultats de M. Andrews à son test auraient dû être analysés en fonction des résultats obtenus par un groupe d'officiers expérimentés ayant subi le même test et de ceux obtenus par un groupe de personnes se trouvant à peu près au même niveau que M. Andrews.

M. Renner a très clairement indiqué que tous ces éléments étaient essentiels. De plus, un test doit également être valide dans un domaine particulier, par exemple, en prévoyant si une personne se comportera bien dans un poste en mer. Les tests ne sont pas seulement valides par eux-mêmes; il faut prouver que le test fonctionne, sinon il ne faut pas l'utiliser. Le test devrait permettre de prévoir la performance d'un employé ou d'un candidat éventuel dans le cadre du processus de sélection du personnel. M. Renner a déclaré dans son témoignage que les tests ne doivent pas servir d'outil qui favorise la discrimination, même s'ils peuvent être liés à un critère précis.

On a demandé à M. Renner quelle était, à son avis, la méthode idéale pour concevoir et préparer un test comme celui qui a été utilisé en l'espèce. A son avis, il serait préférable d'avoir recours aux services d'un spécialiste en psychométrie, c'est-à-dire une personne ayant reçu une formation en mathématique, en statistique et en théorie des tests, en particulier s'il est nécessaire d'effectuer une recherche préliminaire pour concevoir un test dans un nouveau domaine de la performance humaine. De plus, les examinateurs devraient pouvoir s'adresser à des personnes possédant des connaissances particulières dans le domaine sur lequel porterait le test.

Après avoir analysé le test pratique, M. Renner a conclu que la procédure d'évaluation avait introduit trois sources évidentes de partialité.

La principale conséquence de la partialité est qu'il devient difficile de dire si le score obtenu pour un item d'un test découle de la performance de l'individu ou s'il est le résultat du facteur de partialité introduit dans le processus d'évaluation. En

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d'autres termes, on peut se demander si le résultat du test a été vicié par le facteur de partialité.

Il a ajouté qu'une bonne évaluation n'introduit normalement pas d'élément de partialité; en fait, elle devrait empêcher celle-ci. Lorsqu'il y a une possibilité de partialité, les concepteurs du test doivent démontrer qu'ils ont pris des mesures pour empêcher celle-ci. Selon M. Renner, on n'avait pas fait une telle preuve en l'espèce.

La première source de partialité découle d'un phénomène psychologique bien connu appelé la facilitation sociale et l'inhibition sociale. Ce phénomène explique pourquoi les athlètes professionnels adorent jouer devant une foule nombreuse. Plus la foule est nombreuse, meilleure est leur performance. Ils exercent leur savoir-faire ce qui les amène souvent à donner leur meilleure performance. Toutefois, c'est exactement le contraire qui se produit lorsqu'une personne se retrouve dans une situation étrange et non familière pour laquelle elle ne s'est pas préparée. C'est particulièrement le cas lorsqu'il y a des observateurs. Dans de telles conditions, il y a plus de chances que la performance soit médiocre.

Selon le Dr Renner, la présence d'un groupe d'observateurs lorsque Michael Andrews a exécuté les tâches qui lui étaient assignées pendant le test pratique d'acuité auditive a créé une tension qui a influencé sa performance. Une telle tension amène habituellement les personnes expérimentées à donner le meilleur d'elles-mêmes alors que c'est le contraire qui se produit pour les personnes inexpérimentées.

Les distractions qui annihilent ou diminuent la capacité d'une personne de se concentrer sur la tâche qui lui est confiée constituent une deuxième source de partialité. Ces distractions nuiront à la performance, du moins jusqu'à ce que la personne s'adapte à la situation et ne soit plus négativement influencée.

Si on applique ce principe au test qui a été administré à M. Andrews, on constate qu'il y avait des bruits de fond pendant presque toutes les épreuves du test, comme le bruit de la radio VHF, de la radio BP, du radio-téléphone et des conversations.

Une troisième source de partialité, très répandue, est l'utilisation d'un matériel avec lequel un groupe d'individus est plus familier qu'un autre. La familiarité avec un objet ou une tâche est particulièrement importante lorsqu'il s'agit d'entendre ou de voir quelque chose qui n'est pas clair ou distinct et de se rappeler ou de répéter des éléments comme ils ont été tout d'abord présentés.

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Selon M. Renner, la familiarité ou l'absence de familiarité avec des objets ou des tâches peuvent avoir une incidence directe sur la performance. Il a dit qu'on utilise dans la plupart des tests un matériel avec lequel les individus subissant le test sont également familiers afin de ne pas fausser les résultats. En l'espèce, il était évident pour le Tribunal qu'il y avait de nombreux exemples de mots et d'expressions avec lesquels M. Andrews était moins familier que le groupe témoin qui servait à évaluer sa performance.

Outre ces quatre facteurs qui peuvent créer de la partialité, M. Renner a estimé que les tests cliniques, comme celui dont il est question en l'espèce, devraient toujours être anonymes, c'est-à-dire que les examinateurs ignorent qui est le candidat et ne savent rien à son sujet. On diminue ainsi les risques que les valeurs de l'examinateur, ses intérêts directs, ses croyances ou ses hypothèses introduisent des éléments de partialité dans le test et en faussent les conclusions.

Pour illustrer comment la partialité peut jouer, dans le cas du test de M. Andrews, les examinateurs savaient d'avance que tous les membres du groupe témoin étaient des collègues, des employés comme eux de la Garde côtière. Par contre, lorsque M. Andrews a subi le test, ils savaient que le candidat était une personne qui défiait le système et qu'il n'était pas membre de la Garde côtière. Cette différence de statut entre le groupe témoin et M. Andrews pourrait avoir donné lieu à de la partialité.

M. Renner a conclu cette partie de son témoignage en disant que si une évaluation ne doit pas être faite de manière anonyme, comme en l'espèce, il faut alors porter une plus grande attention pour s'assurer de l'élaboration de normes très rigides pour l'administration du test. Les règles et les procédures du test doivent être à toute épreuve pour empêcher l'examinateur d'introduire un élément de partialité. M. Renner était d'avis qu'on n'avait pas pris en l'espèce les mesures appropriées pour empêcher qu'il y ait partialité. Il a conclu qu'on devait s'attendre à ce que M. Andrews (ou toute autre personne dans cette situation) obtienne des résultats inférieurs à ceux du groupe témoin.

Même s'il n'avait jamais participé à la conception d'un test analogue à celui utilisé pour vérifier l'acuité auditive de M. Andrews, M. Renner s'est dit convaincu que ce test n'avait pas été correctement préparé ni correctement administré et qu'on n'avait pas la documentation appropriée qui devait être utilisée dans cette situation. A son avis, on ne pouvait pas dire qu'il s'agissait d'un test pratique d'acuité auditive. De plus, il estimait qu'aucune décision ayant des répercussions sur l'avenir de M. Andrews (ou de quiconque) n'aurait dû être prise en fonction de ce test.

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M. Renner a conclu que le test ne satisfaisait pas aux principes scientifiques que doit respecter quiconque, y compris la Garde côtière, veut évaluer ou juger l'acuité auditive de M. Andrews comme officier de navigation dans la Garde côtière.

M. BRIAN TANSLEY

M. Tansley a déclaré dans son témoignage que la préparation d'un test comporte trois étapes fondamentales : la création d'un environnement dans lequel il est possible d'effectuer une observation, l'observation elle-même et, enfin, la conversion sous forme symbolique.

En ce qui concerne la première étape, M. Tansley a dit qu'un test conçu pour mesurer un aspect de la performance d'une personne exige une certaine forme d'analyse de tâche afin de pouvoir établir une correspondance entre les informations obtenues grâce au test et une tâche ayant des liens valides avec le poste examiné. Il s'agit d'une procédure assez compliquée qui peut prendre un temps considérable. En effet, elle comporte diverses étapes, notamment l'observation de la tâche elle-même, la discussion de la tâche avec ceux qui l'exécutent et, enfin, la comparaison de la description orale qu'ils ont faite de leur tâche et de ce qu'on a pu observer qu'ils font en réalité. Il faut également déterminer si les observations qui doivent être faites constituent un exemple de la performance maximale ou de la performance typique pour une telle tâche.

Une fois l'analyse de tâche terminée, la deuxième étape consiste à mettre au point un modèle de tâches destiné manifestement à imiter les tâches effectuées dans le milieu professionnel. Pour ce faire, on utilise habituellement un grand nombre d'items afin de pouvoir évaluer l'utilité de chacun de ces items en fonction de leur capacité d'apprendre à la personne qui administre le test ce qu'elle veut savoir.

La troisième étape est l'administration du test dans le cadre d'une étude pilote où l'on confie la tâche en question à des individus et, ensuite, à convertir les observations faites sous forme numérique ou symbolique; enfin, il faut évaluer les données ainsi colligées. L'étape suivante consiste à évaluer les résultats obtenus et à modifier le modèle de test en conséquence.

Vient ensuite ce qu'on appelle la création d'une «base de données normatives». A cette fin, il faut faire subir le test à un échantillon du groupe de personnes auxquelles on a l'intention d'administrer le test. On utilise habituellement un groupe de personnes aussi large que possible.

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Une fois ces données recueillies, l'étape suivante consiste à mettre au point «l'examen des critères et l'évaluation de la validité prédictive». Selon M. Tansley, la «validité» est simplement le degré suivant lequel un test mesure ce qu'il est censé mesurer. «L'examen des critères et l'évaluation de la validité prédictive» permettent de mesurer la validité d'un test en fonction de certains critères qui sont habituellement établis par un client ou un individu qui désire appliquer le test. La «validité prédictive» s'entend de la capacité du test de faire des prédictions quant au succès d'un individu, suivant l'étalon utilisé pour le test, en effectuant la tâche pour laquelle le test a été conçu.

L'étape suivante est «l'évaluation de la fidélité». La fidélité exprime la confiance qu'on peut avoir quant à la constance des résultats obtenus à la suite des administrations successives du même test, si on présume que l'objet du test n'a pas changé. S'il s'agit d'un être humain, le test est fidèle lorsqu'on obtient des résultats identiques chaque fois que ce même test est administré à cet être humain.

Les différences entre la validité et la fidélité sont importantes, mais c'est évidemment la validité qui est primordiale. En effet, cela ne nous avancerait guère d'avoir un test fidèle mais invalide.

L'étape suivante est le tracé d'une courbe caractéristique d'items. On peut tracer une courbe pour le test en entier ainsi que pour chacun des items du test. Cette courbe fournit les renseignements qui permettent de différencier deux groupes. Elle renseigne sur les habilités nécessaires pour effectuer une tâche relativement à un item. Il s'agit d'un mécanisme formel permettant de choisir les items qui couvrent l'éventail des habilités requises pour un test. Les courbes caractéristiques d'items indiquent également les rapports qui existent entre les habilités et la performance pour un item du test, étant donné qu'il est rare qu'un seul item nous renseigne sur l'étendue totale d'une habilité. En préparant un test rapidement et en le rendant plus concis qu'il ne devrait l'être, on court le risque de laisser de côté certains des renseignements qui sont nécessaires pour évaluer pleinement la compétence d'un individu en ce qui concerne les habilités qui font l'objet du test.

En conséquence, la courbe caractéristique d'items a pour principal objectif de réduire les risques d'erreur de diagnostic. Cependant, M. Tansley a tout de suite signalé que, dans la plupart des cas où il faut évaluer la performance d'une personne, il y a toujours un risque d'erreur. A son avis, il est presque impossible de concevoir un test à toute épreuve. Il est toujours possible qu'un

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test évaluant la performance de personnes rejette à tort des individus qui, en réalité, appartiennent à la fraction de la population qui réussirait normalement le test.

Suivant M. Tansley, il est possible de contourner ce problème en faisant en sorte que le test soit davantage valide. A cette fin, on mesure le coefficient de variation des résultats obtenus par un individu pour une habilité particulière pour chacun des items d'un test. En conséquence, il est logique de s'attendre à ce qu'il existe pour chaque item d'un test un lien entre l'habilité qui est mesurée et la performance de l'individu pour l'item du test. Compte tenu de ce qui précède, on peut sans crainte de se tromper présumer que plus la personne possède des habilités du genre de celles qui sont essentielles pour répondre correctement à un item d'un test, plus il est probable que sa réponse sera correcte. Toutefois, il est peu probable, sinon impossible, de trouver un seul item qui couvre l'éventail des habilités pour un test donné. En conséquence, la courbe caractéristique d'items ne vise habituellement qu'un sous-ensemble de toutes les habilités. C'est pourquoi il est nécessaire d'utiliser dans un test des items dont les coefficients de difficulté sont différents.

M. Tansley considère que ces connaissances peuvent servir à apprécier la validité d'un test. Chaque item qui a une incidence sur les rapports entre l'habilité présumée et la performance réelle devrait figurer quelque part sur la courbe logique tracée pour chaque habilité. On peut sans risque d'erreur affirmer que plus nombreuses sont les habilités d'une personne, meilleure sera sa performance.

Selon M. Tansley, même si la validité et la fidélité du test sont extrêmement importantes, il est difficile de se conformer à ces exigences. En fait, il ne connaît aucun test individuel qui puisse être jugé tout à fait valide ou fidèle par des spécialistes. C'est pourquoi il estime qu'il faut plutôt que la validité et la fidélité d'un test soient acceptables dans le cadre des besoins de l'application qui est faite du test.

Outre la validité et la fidélité M. Tansley a décrit trois autres facteurs qui sont importants pour tout test, c'est-à-dire :

a) la sensibilité; b) la spécificité; c) la robustesse.

La sensibilité est la capacité du test de différencier des habilités suivant les items et de saisir l'étendue totale de chaque habilité. Il s'agit d'un problème majeur dans la conception de la plupart des tests parce qu'il est nécessaire, d'un point de vue pratique, de réduire le nombre d'items afin que les candidats

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puissent passer celui-ci dans un délai raisonnable avant que des facteurs, tels la fatigue ou l'erreur, ne se fassent sentir.

La spécificité d'un test est sa capacité d'évaluer une habilité ou un trait spécifique plutôt qu'un ensemble général d'attributs. Deux sortes de spécificité sont pertinentes pour l'espèce.

La première est la «spécificité axée sur la tâche». Elle permet de mesurer comment un test peut évaluer la capacité d'une personne d'exécuter une tâche donnée.

La seconde est la «spécificité axée sur l'habilité». Elle permet de tenter d'évaluer l'habilité d'une personne qui s'acquitte d'une tâche donnée, ce qu'il est possible de faire pour de nombreuses tâches différentes.

La robustesse d'un test est sa capacité de donner les renseignements attendus dans diverses conditions. Un test robuste est un test qui, compte tenu des autres facteurs décrits plus haut, fonctionne peu importe où et comment il est administré.

M. Tansley a reconnu que, dans un monde idéal, un test valide et fidèle serait aussi sensible, spécifique et robuste. Il a ajouté que dans la vraie vie les tests possèdent ces caractéristiques à divers degrés selon les besoins du concepteur du test. C'est ce que l'on entend par l'effet de plafonnement en ce qui concerne l'administration d'un test. En d'autres mots, le test n'évalue pas en soi toutes les habilités d'une personne et c'est ce qui limite ce que l'on peut dire au sujet des attributs d'une habilité dans le cadre de son application dans le monde réel. Suivant M. Tansley, il est possible de contourner ce problème en utilisant un nombre suffisant d'items différents, chacun couvrant une partie de l'éventail des habilités.

En réponse à M. Renner qui estimait que le test administré à M. Andrews n'était pas valide, M. Tansley a déclaré dans son témoignage qu'on n'avait pas déterminé la validité de ce test. Il a dit qu'il était en désaccord avec M. Renner en raison de son analyse du test, parce qu'il savait comment de tels tests sont en règle générale conçus et utilisés et qu'il connaissait la théorie à l'origine de la conception de ces tests et de leur évaluation. Selon lui, on n'a pas montré le degré de robustesse et de sensibilité du test de M. Andrews. Toutefois, les données obtenues fournissent quelques indications sur la sensibilité de ce test.

LE TÉMOIGNAGE DES EXPERTS MÉDICAUX

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Le Dr Smith et Valerie Parrott ont tous les deux reconnu qu'un test n'évaluera pas fidèlement l'acuité auditive d'une personne si les mots utilisés ne lui sont pas familiers; en effet, le test vérifiera l'attention de la personne et non son acuité auditive. De plus, ils ont admis que l'absence d'une réponse à un signal donné lors d'un test particulier ne signifiera pas nécessairement que la personne n'a pas entendu le signal. Cela pourrait plutôt vouloir dire que la personne a entendu le son, mais que le mot ne lui était pas familier ou qu'il était inintelligible.

Même si M. Tansley n'était pas complètement d'accord avec les témoignages du Dr Smith et de Valerie Parrott sur la pertinence du test administré au plaignant, il reconnaissait toutefois qu'on lui avait fait passer un test supraliminaire (c.-à-d. un test qui indique la capacité d'une personne de discerner les différences) et il a admis que l'expérience joue un rôle important dans les résultats obtenus à ce genre de test.

Les trois témoins ont confirmé que les personnes dont l'audition est unilatérale compensent leur déficience en inclinant la tête en direction de la source sonore. Toutefois, pendant certaines parties du test, le plaignant était incapable de tourner la tête (voir l'épreuve no 3) et il a donc été désavantagé. C'est pourquoi il est impossible de comparer ses résultats à ceux du groupe témoin.

LE TÉMOIGNAGE DES EXPERTS EN NAVIGATION

Outre les témoignages du Dr T.J. Smith, de Valerie Parrott et de Brian Tansley, les témoignages des experts en navigation ont également permis au Tribunal d'évaluer l'utilité du test pratique d'acuité auditive administré au plaignant.

Les capitaines Norman et Turner, cités à comparaître par le plaignant, ont critiqué le test; le capitaine Turner avait en outre l'avantage d'avoir été présent lors de l'administration du test. Le capitaine Norman a dit que le test n'était pas réaliste dans la mesure où, suivant son expérience en mer, les ordres et les autres communications sont répétés et cette pratique est, en fait, encouragée en raison du milieu bruyant où ils sont donnés. En l'espèce, on n'a pas permis que les commandements soient répétés au plaignant. Un autre point qui a suscité les critiques du capitaine Norman est le nombre de personnes présentes sur la passerelle pendant que certaines parties du test se déroulaient à cet endroit. Il a dit que, par mesure de sécurité pour l'ensemble du navire, il doit y avoir en tout temps le moins de personnes possible sur la passerelle. Le dossier indique toutefois qu'à certains moments, il y avait jusqu'à dix personnes sur la passerelle pendant le test de M. Andrews. Mise à part la question de la sécurité du navire, le

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Tribunal conclut que le nombre de personnes présentes pouvait avoir des effets négatifs sur la performance du plaignant pendant son test. Il s'agit d'une question de bon sens qui a été confirmée par les experts médicaux.

Le capitaine Norman a également contesté la manière dont on avait effectué l'épreuve relative à la sonnerie des bouées. Ses critiques concernaient encore une fois l'absence de répétition en ce qu'on ne faisait entendre la sonnerie de la bouée qu'une fois ou deux et que le plaignant devait trouver la source du son alors que, dans la réalité, en mer, la sonnerie des bouées est constante.

En conclusion, le capitaine Norman était d'avis que le test avait été administré dans un milieu tout à fait artificiel et qu'il ne pouvait servir de fondement au rejet de la candidature du plaignant.

Le capitaine Turner a lui aussi reconnu que certaines parties du test lui posaient des difficultés malgré ses nombreuses années de service en mer. Toutefois, à la fin du test, il a fait remarquer aux membres du personnel de la Garde côtière qui étaient présents qu'il estimait que le test avait été administré d'une manière juste et équitable. En fait, il a fait suivre ce commentaire d'une lettre adressée à Mme Joanne Jankun (voir la pièce HR-13). Toutefois, le capitaine a rédigé cette lettre avant d'apprendre que le plaignant avait échoué au test et, dans son témoignage, il a exprimé sa surprise face à ces résultats.

Le capitaine Turner n'a pas formulé les mêmes critiques que son collègue, le capitaine Norman, relativement au jeu de rôles. Il a plutôt critiqué les termes utilisés lors de l'exercice (qui, a-t-il dit, auraient été familiers à quelqu'un ayant déjà été de quart) ainsi que la norme de réussite appliquée.

Le témoignage de l'un des experts en navigation cités à comparaître par les intimés a également été utile pour le Tribunal dans ce domaine. Le capitaine Legge a confirmé que, lorsque des manoeuvres critiques sont effectuées, il doit y avoir le moins de personnes possible sur la passerelle; il a ajouté qu'à sa connaissance, aucun des cours pratiques ou théoriques suivis par les élèves-officiers de la Garde côtière n'exige une note de passage de 100 p. 100. Au contraire, la note de passage est habituellement de 70 p. 100. Le capitaine Legge a également déclaré que, dans une situation réelle, un message donné suivant le code d'épellation ne serait jamais lu à l'envers comme cela a été le cas du message donné au plaignant dans l'épreuve no 6. De plus, le Tribunal a appris que les officiers de la Garde côtière conservent habituellement l'un des deux écouteurs du casque d'écoute près d'une oreille afin d'entendre

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les autres messages. Toutefois, le plaignant n'a pas été autorisé à le faire (voir l'épreuve no 9).

LA CAPACITÉ DU TEST D'ÉVALUER L'ACUITÉ AUDITIVE

M. Tansley a déclaré dans son témoignage que l'on évalue l'acuité auditive d'un être humain pour trois sortes de raisons, c'est-à-dire :

a) par curiosité; b) pour évaluer l'efficacité dans une tâche où l'acuité auditive joue un rôle; c) pour diagnostiquer des problèmes.

Les méthodes psychophysiques que l'on utilise pour évaluer l'acuité auditive des êtres humains proviennent en majeure partie du domaine de la psychologie et ont été appliquées à d'autres disciplines. On peut classer ces méthodes dans deux groupes généraux : les méthodes au «seuil» de l'audition et celles «au-dessus du seuil» de l'audition. Le terme «seuil» renvoie à un point théorique ou imaginaire sur un continuum, au-delà duquel il est

possible de percevoir une sensation et en-dessous duquel aucune sensation n'est perceptible. Dans ce contexte, le terme sensation signifie «perception d'un son». Par exemple, l'audiogramme tonal est un test liminaire. M. Tansley a également signalé que le genre d'informations que nous aimerions obtenir au sujet de l'acuité auditive de personnes exige l'utilisation de tests supraliminaires.

Selon M. Tansley, de nombreux tests supraliminaires sont fréquemment utilisés partout dans le monde. Il ignorait toutefois s'il existe des ensembles normalisés de tests dont l'usage est répandu partout. Il pouvait seulement affirmer qu'un bon nombre de tests normalisés sont communément utilisés et que le test qui a la préférence n'est pas le même suivant les régions dans les divers pays.

La méthode utilisée pour évaluer la performance d'une personne «au-delà du seuil» est analogue à celle utilisée pour évaluer sa performance «au seuil» à une exception près, c'est-à-dire que l'éventail des réponses possibles est plus étendu dans le cas de la performance supraliminaire. Les tests supraliminaires sont habituellement plus compliqués que les tests liminaires; ils sont aussi généralement plus diversifiés.

Les facteurs qui influencent la performance d'une personne à un test supraliminaire sont les suivants :

a) la connaissance des ensembles de mots qui sont utilisés dans le test; b) dans une certaine mesure, le fait d'avoir déjà subi un test de ce genre; c) les facteurs acoustiques, notamment le rapport signal/bruit.

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M. Tansley a décrit comment l'acuité auditive d'une personne est mesurée quantitativement. Il a dit que tous les tests d'évaluation, y compris les tests d'acuité auditive, suivent la même procédure de base, c'est-à-dire l'application d'un instrument de mesure à un état existant et la conversion de cette mesure en chiffres.

En ce qui concerne les évaluations axées sur les télécommunications, M. Tansley a dit qu'il n'était pas inhabituel d'identifier tout d'abord la tâche auditive, en remontant jusqu'à la conception du test. Le concepteur du test doit savoir d'avance quelles informations doivent être entendues et comment elles doivent être utilisées.

Les tests supraliminaires ont donc tendance à commencer par une certaine tâche. En règle générale, il est beaucoup plus facile pour l'auditeur de comprendre ce que l'on exige de lui dans un test supraliminaire. De plus, les demandes de renseignements additionnels sont fréquentes lorsque des tests liminaires sont administrés parce que les personnes ne savent ce qu'elles doivent faire. En revanche, un test où l'on demande simplement à une personne de répéter un message est plus facile à comprendre. En d'autres termes, la validité du test à première vue est habituellement plus grande. Les candidats qui subissent le test peuvent normalement comprendre ce qu'on leur demande de faire sans qu'il soit nécessaire de leur fournir beaucoup d'explications.

Il existe une autre exigence d'ordre technique pour les tests supraliminaires; il faut non seulement contrôler la production du signal qui sert de stimulus mais également le bruit ambiant ou les

bruits dont le signal fait partie. En conséquence, on peut craindre que le mélange de ces deux stimuli, le bruit et le signal, puisse créer une sorte de distorsion.

M. Tansley a reconnu qu'aucun test liminaire n'a été administré à M. Andrews; il s'agissait uniquement d'épreuves supraliminaires. Selon lui, il était techniquement possible de concevoir un test supraliminaire reproduisant le milieu physique d'un navire même s'il aurait fallu à cette fin déployer de nombreux efforts et obtenir de l'aide technique.

Compte tenu de la description détaillée des exigences d'un test valide, on a demandé à M. Tansley s'il existait des tests d'acuité auditive préfabriqués qui permettraient d'évaluer toutes les fonctions auditives exigées d'un officier de pont de la Garde côtière. Il a dit qu'il ignorait s'il existait de tels tests, et que s'il fallait concevoir un test de ce genre pour évaluer les officiers de pont de la Garde côtière, il faudrait soit utiliser divers tests déjà existants comme point de départ soit combiner ceux-ci.

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Appelé à donner son opinion sur le test administré à M. Andrews en ce qui concerne les facteurs décrits ci-dessus, M. Tansley a répondu qu'il ne faisait aucun doute que le test comportait des défauts majeurs dont voici un résumé :

  1. la validité du test - il a reconnu qu'on n'avait fait aucun effort formel pour valider le test. Selon lui, le test de M. Andrews n'était qu'un début ou l'équivalent d'un test pilote. M. Tansley a ajouté qu'il estimait que ce test était un exemple de l'expérience canadienne dans l'élaboration de ce genre de tests. On n'a tout simplement pas les ressources ni le temps d'effectuer le cycle de conception en entier. En conséquence, le processus d'élaboration du test est souvent interrompu à un stade donné et le test est tout simplement appliqué tel quel.
  2. la sensibilité - M. Tansley a dit qu'étant donné que le groupe témoin avait obtenu de si bons résultats, le test manquait de sensibilité. Il est difficile de mesurer la véritable différence qui existe entre les résultats de M. Andrews et ceux du groupe témoin parce que le Tribunal ne connaît pas l'acuité auditive des membres du groupe témoin. Selon M. Tansley, cette différence est d'au moins 25 p. 100.
  3. la robustesse - M. Tansley a été incapable de commenter cet élément parce que le test n'a jamais été administré à quelqu'un d'autre depuis M. Andrews.
  4. M. Tansley a reconnu qu'on n'avait pas essayé de mesurer la fidélité quantitative du test. Il a toutefois dit qu'on avait tenté de fournir un grand nombre d'items dans différents subtests, ce qui en fait concerne la question de la fidélité. En effet, le test comportait environ 350 items répartis dans 14 épreuves différentes. Même si M. Tansley a accepté les critiques de M. Renner à cet égard, il a maintenu que le test avait une certaine fidélité en raison du grand nombre d'items qu'il comportait. M. Tansley a également exprimé son étonnement parce que les personnes qui ont participé à la préparation du test n'avaient aucune formation dans ce domaine.
  5. la spécificité - M. Tansley était d'avis que le test administré à M. Andrews était principalement axé sur les habilités et non sur les tâches. Il a conclu après avoir analysé le test qu'on avait demandé à M. Andrews de se placer à un endroit donné et, ensuite, d'écouter et de répéter un message. Selon lui, on ne lui a pas demandé d'effectuer des tâches particulières aux opérations de la Garde côtière.

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Pour M. Tansley, l'élément le plus négatif du test est qu'il n'a pas fait l'objet de toutes les phases de la conception d'un test. De plus, on n'avait prévu aucune procédure normalisée permettant à la Garde côtière de contrôler complètement le milieu acoustique du navire que ce soit pendant le test de M. Andrews ou pendant celui du groupe témoin. Le test ne portait pas sur l'éventail complet des habilités nécessaires pour effectuer les tâches d'un officier de pont de la Garde côtière et il n'existait aucune procédure normalisée pour l'administration du test quant à la production des stimuli, au chronométrage de certains des items du test et, dans une certaine mesure, au processus de notation. Même s'il était d'avis qu'on avait manifestement tenté d'en arriver à des procédures normalisées pour l'administration du test, il était d'accord avec les critiques formulées par M. Renner à cet égard.

Invité à donner son opinion sur l'écart entre les scores du groupe témoin et ceux de M. Andrews, M. Tansley a admis qu'il pourrait en réalité être plus grand que ne l'indiquent les données. De plus, M. Tansley a formulé une hypothèse (l'altération de la perception auditive) et en a écarté une autre (les conditions défavorables dans lesquelles s'est déroulé le test) pour expliquer les scores différents obtenus par M. Andrews et par le groupe témoin.

M. Tansley a formulé l'hypothèse d'une altération de la perception auditive pour expliquer les résultats de M. Andrews au test. Cette hypothèse comporte l'altération de la localisation des sons, l'altération de la perception de la voix en présence de bruit, l'altération de la détection et de la reconnaissance des signaux non verbaux en présence de bruit ainsi que l'altération de l'attention sélective pour distinguer les sources des sons en présence d'autres signaux et dans un milieu bruyant.

Au soutien de son hypothèse, M. Tansley a invité le Tribunal à se reporter à son rapport (voir la pièce R-3 : tableau 3 à la p. 26) qui contient une analyse des erreurs commises par M. Andrews lors du test. Dans ce rapport, M. Tansley a indiqué l'endroit d'où provenait le signal par rapport à la position de la tête de M. Andrews lorsqu'il commettait une erreur. Il a conclu que

M. Andrews avait commis le même nombre d'erreurs quand le son provenait du côté droit que lorsqu'il provenait du côté gauche et le même nombre, lorsque le son provenait de l'avant ou de l'arrière. L'explication la plus plausible était une altération de la perception auditive.

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L'analyse de M. Tansley fait ressortir que M. Andrews obtenait de meilleurs résultats lorsqu'il avait la possibilité de regarder directement son interlocuteur (voir, par exemple, les épreuves 10a et b). Selon M. Tansley, M. Andrews tirait profit de sa capacité de lire sur les lèvres comme l'aurait fait toute autre personne à sa place.

On a demandé à M. Tansley ce qu'il pensait de l'hypothèse des conditions défavorables dans lesquelles s'était déroulé le test que M. Renner avait avancée pour expliquer l'écart entre les résultats de M. Andrews et ceux du groupe témoin. Cette hypothèse semble indiquer que le milieu même où s'est déroulé le test comportait des éléments qui permettent d'expliquer les erreurs commises ou les résultats différents obtenus. M. Tansley a commenté ces éléments dans l'ordre suivant.

Aux fins de son analyse, M. Tansley a divisé les épreuves en deux catégories, c'est-à-dire les cinq épreuves qui se sont déroulées «avant la pause-repas» et les neuf épreuves qui ont eu lieu «après la pause-repas». L'analyse a révélé que les résultats moyens obtenus par M. Andrews aux épreuves «avant la pause-repas» étaient de 69 p. 100 alors qu'ils étaient de 77 p. 100 pour les épreuves «après la pause-repas». M. Tansley a également signalé que M. Andrews avait obtenu ses meilleurs et ses pires résultats lors des épreuves qui se sont déroulées «après la pause-repas» mais qu'en moyenne, ces résultats n'avaient été ni pires ni meilleurs en fonction du moment de la journée.

Même si on pourrait soutenir en se fondant sur ces données que M. Andrews a en réalité obtenu de meilleurs résultats «après la pause-repas» qu'«avant la pause-repas», M. Tansley voulait seulement faire ressortir que rien ne prouvait qu'il était possible d'établir un lien entre les résultats obtenus et le moment de la journée où ils avaient été obtenus, c'est-à-dire que le facteur fatigue avait joué un rôle.

On a aussi fait valoir que l'utilisation de mots et de phrases avec lesquels M. Andrews n'était pas familier constituait un autre facteur qui pouvait expliquer certaines de ses erreurs. M. Tansley a reconnu que, lors de certaines épreuves, les chiffres ont été énumérés à voix haute alors que le rapport signal/bruit sur la passerelle était assez élevé. Il n'a pas contesté qu'il se pouvait que M. Andrews ne connaisse pas certaines des expressions utilisées. Il était tout simplement d'avis que cela pouvait expliquer certaines erreurs, mais sûrement pas toutes.

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M. Tansley a admis que M. Andrews n'avait fort vraisemblablement jamais subi un test analogue auparavant. C'était également le cas du groupe témoin.

M. Tansley a également reconnu que tout processus d'évaluation comporte des procédures non familières et qu'il est préférable que le candidat à un test soit le plus familier possible avec ces procédures avant de passer le test. Il a ajouté que dans un monde idéal, le candidat devrait pouvoir passer un test robuste, valide, sensible et fidèle à son gré. Toutefois, M. Tansley était d'avis que M. Andrews aurait obtenu à chaque fois le même score à un test valide, fidèle et robuste.

Malgré ce qui précède et même s'il admettait que le test avait des lacunes, M. Tansley ne pouvait pas faire sienne la conclusion selon laquelle la nouveauté des procédures du test pouvait en soi suffire à expliquer l'écart entre les résultats obtenus par M. Andrews et par le groupe témoin.

Quant au nombre de personnes présentes lors du test de M. Andrews, M. Tansley a rappelé au Tribunal que c'est ce qu'on appelle l'«hypothèse de la facilitation sociale et de l'inhibition sociale». Il a reconnu que la présence d'autres personnes peut à la fois nuire à la performance ou améliorer celle-ci, selon le genre de performance en cause et les conditions ambiantes.

M. Tansley a comparé les épreuves (nos 1, 2, 6, 7, 10a et

10b) où, selon lui, de nombreuses personnes étaient présentes avec celles où elles étaient peu nombreuses (nos 3, 5, 8, 9, 11, 12 et 13). Le score moyen calculé par M. Tansley pour ces deux catégories d'épreuves était de 77,25 lorsqu'il y avait beaucoup de personnes et de 75 lorsque celles-ci étaient peu nombreuses. Il en a conclu que la présence d'autres personnes pendant le test de M. Andrews n'a pas fait une grande différence dans un sens ou dans un autre, du moins en ce qui concerne l'ensemble du test.

On peut se demander quel a été l'effet du retard avec lequel le test a commencé sur la performance de M. Andrews. M. Tansley a pour sa part reconnu que le niveau d'anxiété de M. Andrews pourrait avoir augmenté dans l'attente du test lui-même. C'est ce qu'on entend par «l'effet de la salle d'attente». Même s'il

a reconnu l'existence de ce phénomène, M. Tansley estimait que les conséquences de l'anxiété croissante sur la performance à un test ne sont pas aussi simples qu'on pourrait le croire. Selon lui, l'anxiété peut avoir un effet négatif ou un effet positif. Il ne pouvait pas dire ce qui s'était passé dans le cas de M. Andrews.

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D'autres conséquences possibles du retard avec lequel le test a débuté étaient une plus grande fatigue (point examiné plus tôt) ou un changement du degré d'irritation de la personne selon sa personnalité. M. Tansley n'était pas en position de commenter davantage ces points.

Enfin, on a demandé à M. Tansley d'indiquer s'il estimait que le test contenait des critères subjectifs de notation et quels seraient leurs effets possibles sur les résultats obtenus au test par M. Andrews. M. Tansley a tout d'abord déclaré que tous les critères de notation sont d'une certaine manière subjectifs et que la seule façon d'éviter la subjectivité est de créer un test comportant des phases très rigides qui indiquent précisément le niveau d'habilité requis pour chaque tâche. Comme cela n'avait pas été fait pour le test de M. Andrews, tout ce que l'on peut ajouter sur les critères de notation est qu'ils ont été fixés avant l'administration du test plutôt qu'après. En d'autres termes, même s'ils étaient subjectifs, les critères de notation ont été déterminés avant que le test soit administré au groupe témoin et à M. Andrews. Ils leur ont donc été appliqués de la même façon. En conséquence, M. Tansley était incapable de conclure que M. Andrews avait été désavantagé à cet égard.

M. Tansley a estimé qu'il ne pouvait pas (d'un point de vue scientifique) avancer l'hypothèse reposant sur l'environnement dans lequel s'est déroulé le test pour expliquer l'écart entre les résultats de M. Andrews et ceux du groupe témoin. Même s'il ne niait pas que l'environnement avait joué un certain rôle, il ne lui accordait pas beaucoup de poids car, selon lui, cela nécessiterait de trop nombreuses explications et manières différentes de décrire les résultats.

Par contre, il estimait que l'hypothèse de l'altération de la perception auditive avait l'avantage d'expliquer presque à elle toute seule la différence dans les résultats du test. Sa conclusion repose sur le principe que M. Andrews avait une certaine perception auditive même si celle-ci était affaiblie. Cela signifie qu'avec sa perception auditive résiduelle, il a réussi à répondre correctement à divers items du test. Toutefois, les différents facteurs invoqués pour l'hypothèse du milieu défavorable dans lequel se serait déroulé le test ne nous indiquent pas pourquoi le plaignant a réussi à répondre correctement à plusieurs items du test. Selon M. Tansley, cette hypothèse ne servirait qu'à expliquer pourquoi M. Andrews a commis des erreurs.

En dernière analyse, M. Tansley a estimé que l'hypothèse de l'altération de la perception auditive fournissait une explication raisonnable aux résultats obtenus par M. Andrews lors du test.

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LES ÉLÉMENTS POSITIFS DU TEST

On a demandé à M. Tansley d'indiquer quels étaient à son avis les éléments positifs du test. Ces éléments sont examinés brièvement dans les paragraphes qui suivent.

Premièrement, M. Tansley était d'avis que le test semblait valide à première vue parce qu'il comportait un large échantillon de tâches auditives parmi ses diverses épreuves. Celles-ci ont été déterminées à l'aide d'une analyse de tâche obtenue d'experts opérationnels qui possédaient de l'expérience dans ce domaine, qui connaissaient le rôle des officiers de pont de la Garde côtière et qui ont ensuite participé à la détermination des divers items du test.

Deuxièmement, M. Tansley a signalé qu'on avait utilisé pour le test une définition large de la fonction auditive. On donnait ainsi à M. Andrews une excellente occasion de [TRADUCTION] «montrer ce qu'il était capable de faire» ce qui n'aurait pas été le cas pour un test trop précis quant à la réponse que l'examinateur cherche à obtenir.

Troisièmement, M. Tansley a considéré que le fait que le test comportait quatorze items différents dont chacun demandait une solution différente constituait un élément très positif. Selon lui, cela venait confirmer la validité et la fidélité du test. M. Tansley a estimé que les concepteurs du test avaient tenté de faire ce qu'il fallait en permettant une évaluation large des fonctions auditives requises et en donnant aux candidats l'occasion de se servir de ces fonctions.

Quatrièmement, un autre élément positif du test selon M. Tansley était que les divers scénarios utilisés permettaient de comparer sous divers angles les résultats de M. Andrews et du groupe témoin ainsi que les résultats obtenus dans chacun de ces deux groupes. C'était important pour comprendre comment les réponses de chaque candidat pouvaient différer pendant le test, et on obtenait ainsi des informations expliquant pourquoi ces différences étaient évidentes. M. Tansley croyait qu'en examinant les écarts entre les résultats de chacun des candidats, il devenait possible de comprendre le facteur qui était responsable des résultats différents obtenus par le groupe témoin et par M. Andrews.

LA MEILLEURE MÉTHODE POUR MESURER L'ACUITÉ AUDITIVE DE M. ANDREWS

On a demandé à M. Tansley quelle était, à son avis, la meilleure méthode que pouvait utiliser la Garde côtière pour mesurer l'acuité auditive d'une personne en présence de bruits et de signaux.

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Il a répondu qu'il existe une foule de tests où l'on utilise des mots d'une ou de deux syllabes ou encore, dans certains cas, des phrases entières qui sont prononcés avec des intensités sonores différentes. Ces tests s'effectuent habituellement dans une cabine d'audiométrie en l'absence de toute autre source de signaux exigeant une attention sélective et ainsi de suite. Ils existent depuis les années 1920 et certains sont plus utilisés que d'autres. Ils sont à peu près ce qu'il y a de mieux sauf si on décide de concevoir un test personnalisé.

M. Tansley a ajouté sur ce point que ces tests immédiatement disponibles ne pourraient satisfaire aux «lignes directrices pratiques et réalistes» sans une preuve ou une comparaison avec les conditions du test même. Cette preuve devrait être faite avant d'utiliser un tel test comme test pratique d'acuité auditive pour la Garde côtière.

On a demandé à M. Tansley d'indiquer ce que les termes «pratique» et «réaliste» signifiaient pour lui dans son analyse du test. Selon lui, le mot «pratique» s'entend des tâches auditives supraliminaires qui ont des liens évidents avec les activités ou les fonctions qui doivent être exécutées dans le cadre des emplois auxquels elles sont associées. Il a dit ensuite que le terme «réaliste» signifie que le milieu dans lequel se déroule le test reproduit les conditions acoustiques où les tâches doivent s'effectuer. En d'autres termes, le mot «réaliste» devrait indiquer un désir de reproduire dans un test d'acuité auditive les mêmes stimuli qui devraient exister dans la vie réelle.

Enfin, lorsqu'on lui a demandé s'il aurait utilisé le test qu'on a administré à M. Andrews pour déterminer si un candidat était capable d'effectuer les tâches d'un officier de la Garde côtière, M. Tansley a répété que le test n'était pas au point lorsqu'il a été utilisé pour M. Andrews et qu'il était encore au stade de l'étude pilote dans le cycle de conception du test. En ce sens, il n'était pas suffisamment achevé pour que M. Tansley puisse, en sa qualité de professionnel, le légitimer. En fait, il ne voyait pas comment il aurait pu l'utiliser comme test pratique d'acuité auditive. Si la Garde côtière s'était adressée à lui avant l'administration du test et lui avait demandé s'il s'agissait d'un test adéquat d'acuité auditive, il aurait répondu que c'était un bon début mais qu'il y avait encore beaucoup à faire.

CONCLUSION SUR LE TEST PRATIQUE D'ACUITÉ AUDITIVE

Les témoignages des psychologues, des experts médicaux et des experts en navigation ainsi que la preuve documentaire portant sur le test lui-même permettent de tirer les conclusions suivantes :

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  1. lorsque le test a été administré au plaignant, son expérience la plus récente en mer avait eu lieu trois ans auparavant;
  2. on a utilisé pour le test des termes techniques dans un milieu avec lequel le plaignant n'était pas familier et qui, dans certains cas, ne correspondait pas à la réalité;
  3. le test a été administré au plaignant pendant une période ininterrompue de plusieurs heures pendant qu'il était manifestement stressé, fatigué et gêné par la présence d'un si grand nombre d'observateurs;
  4. il est impossible de comparer avec précision les résultats du groupe témoin avec ceux de M. Andrews;
  5. les intimés ont imposé des contraintes inhabituelles au plaignant lorsqu'il devait répondre aux communications ou déterminer la source d'un son;
  6. le degré de validité et de fidélité du test n'était pas acceptable.

PARTIE V

EXIGENCE PROFESSIONNELLE JUSTIFIÉE (EPJ)

Le Tribunal doit déterminer si l'établissement pour les officiers de la Garde côtière d'une norme d'acuité auditive ne permettant qu'une perte auditive ne dépassant pas 30 décibels pour chaque oreille à n'importe quelle fréquence et interdisant les prothèses auditives est une exigence professionnelle justifiée.

A cet égard, les intimés doivent satisfaire à la fois au critère subjectif et au critère objectif formulés dans l'arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la p. 208. Au début des plaidoiries, l'avocat de la Commission des droits de la personne a reconnu qu'il n'était pas nécessaire d'examiner l'élément subjectif. Il est donc admis que les intimés ont adopté la norme d'acuité auditive de Santé et Bien-être social, énoncée aux pages 5 et 6 des présentes, honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction était requise en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

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En conséquence, le Tribunal doit seulement examiner l'élément objectif du critère de l'exigence professionnelle justifiée, c'est-à-dire si la norme d'acuité auditive se rapporte objectivement à l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.

Les règles de droit applicables au moyen de défense fondé sur l'EPJ ont évolué progressivement et ont donné lieu à une certaine confusion. Le Tribunal croit toutefois que la décision d'une formation du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Thwaites c. Formes armées canadiennes (décision non publiée, D.T. 9/93, rendue le 7 juin 1993), décision à laquelle ont participé deux membres du présent tribunal, fournit un exposé adéquat de cette évolution. En ce qui concerne l'espèce, nous acceptons les conclusions de droit suivantes qui ont été tirées de l'affaire Thwaites et nous nous en inspirerons.

1. «Le moyen de défense fondé sur l'EPJ peut maintenant être invoqué par l'employeur quand, comme en l'espèce, il s'agit de discrimination directe : arrêt Central Alberta Dairy Pool, précité, aux p. 516 et 517, par exemple si la règle ou la pratique de l'employeur repose sur des suppositions ou des généralisations quant aux aptitudes d'individus selon leur appartenance à un groupe. Dans de tels cas, le moyen de défense fondé sur une EPJ permet à l'employeur de justifier le manquement au principe qui veut que chacun reçoive un traitement égal en tant qu'individu, en faisant la preuve du bien- fondé de sa règle générale ou de l'impossibilité d'évaluer chaque cas individuellement.» (voir l'affaire Thwaites, précitée, aux p. 40 et 41, citant l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; [1990] 6 W.W.R. 193)

2. «Au sujet du moyen de défense fondé sur une EPJ prévu à l'al. 15a) de la Loi, la Cour suprême du Canada a d'abord décidé dans l'arrêt Bhinder c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1985] 2 R.C.S. 561, qu'il fallait examiner une EPJ sans égard aux circonstances et aux capacités particulières d'un individu. Dans le bref intervalle de cinq ans, la Cour, à la majorité, a fait volte- face et conclu, dans

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l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, que dans les cas de discrimination indirecte, l'employeur ne pouvait pas invoquer le moyen de défense de l'EPJ. En pareil cas, les employeurs ont désormais l'obligation positive de composer avec les besoins d'un groupe particulier d'employés lésés par une règle neutre sauf si l'employeur ne peut procéder aux accommodements sans subir des contraintes excessives. Autrement dit, l'employeur doit établir que l'application de la règle ou de la pratique neutre à l'individu était raisonnablement nécessaire du fait que composer individuellement avec ses employés, dans le cadre de l'application générale de la règle ou de la pratique, lui imposerait des contraintes excessives. L'employeur ne peut plus, en pareil cas, justifier la pratique en la qualifiant d'EPJ relative à la sécurité de l'ensemble des employés, puis affirmer que son effet préjudiciable sur certains groupes d'individus n'est absolument pas pertinent.» (voir l'affaire Thwaites, précitée, aux p. 39 et 40, renvoyant à l'arrêt Bhinder c. C.N.R., [1985] 2 R.C.S. 561)

3. En concluant que l'exigence professionnelle doit «se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question», la Cour suprême du Canada a indiqué que cela suppose que «la preuve de la relation entre l'exigence et l'emploi doit reposer sur des faits et non sur des impressions». De plus, en parlant d'une exigence professionnelle qui est «raisonnablement nécessaire» pour assurer l'exécution convenable du travail, la Cour suprême a formulé «un critère de nécessité et non de commodité». (voir l'affaire Thwaites, précitée, à la p. 44)

4. «Par surcroît, si un employeur fait valoir une règle générale d'exclusion, il doit expliquer pourquoi l'évaluation individuelle du risque associé à chaque employé ne représentait pas une solution pratique et pourquoi il a fallu imposer une règle générale. (Arrêts Wardair Canada Inc. c. Cremona, C.A.F., 9 octobre 1992, inédit, à la p. 6; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297, aux p. 1313 et 1314; Central Alberta Dairy Pool, précité, à la p. 518.)» (voir l'affaire Thwaites, précitée, à la p. 46)

5. «Cette analyse nous conduit logiquement à conclure qu'on ne peut établir presque aucune distinction significative entre ce qu'un employeur doit prouver pour se défendre contre une allégation de discrimination directe et ce qu'il doit prouver pour répondre à une allégation de discrimination indirecte. La seule différence est peut-être d'ordre sémantique. Dans les deux cas, l'employeur doit tenir compte de l'individu en cause. [...] Dans les deux cas, que les mots

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clefs soient «autre solution raisonnable», «proportionnalité» ou «accommodement», l'examen a le même objet : l'employeur doit montrer qu'il n'aurait pu prendre aucune autre mesure raisonnable ou pratique pour éviter les conséquences fâcheuses pour l'individu.» (voir l'affaire Thwaites, précitée, aux p. 46 et 47)

LES RISQUES POUR LA SÉCURITÉ ET LE MOYEN DE DÉFENSE FONDÉ SUR L'EPJ

«Il est apparu clairement aujourd'hui que la norme à laquelle l'employeur doit satisfaire est celle-ci : le groupe de personnes en question, qui est exclu par la pratique en matière d'emploi, présente «un risque d'erreur humaine suffisant» (Thwaites, précitée, aux p. 47 et 48). Dans l'affaire Galbraith c. Forces armées canadiennes, (1989) 10 C.H.R.R. D/6501 (TDP), à la p. D/6513, paragraphe 45819, une formation du Tribunal des droits de la personne a statué qu'il faut interpréter l'expression «risque suffisant» de la manière suivante :

[...] un risque réel, qui ne repose pas uniquement sur des conjectures. Si le risque est réel, la question de savoir s'il constitue un «risque suffisant» devrait être déterminée en évaluant la nature du risque en fonction du préjudice susceptible d'être causé à l'employé potentiel et aux autres personnes y compris le grand public. Lorsque la sécurité du public est en jeu, même un accroissement modeste du risque peut permettre à l'employeur de plaider avec succès le moyen de défense fondé sur l'exigence professionnelle justifiée. Bref, le caractère suffisant du risque

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dépend dans une très large mesure de l'activité visée et ne peut évidemment être mesuré qu'à la lumière de la preuve qui en est apportée.

Dans l'affaire Robinson c. Forces armées canadiennes, (1992) 15 C.H.R.R. D/95, «le tribunal a conclu qu'étant donné l'arrêt Central Alberta Dairy Pool, le critère du risque inacceptable énoncé par le juge MacGuigan dans l'arrêt Air Canada c. Carson, [1985] 1 C.F. 209, était redevenu le critère applicable au risque suffisant. D'après le tribunal, ce critère signifie que la preuve d'un risque faible ou négligeable n'est pas suffisante pour constituer une EPJ. Il semble que le risque doive être important.» (voir l'affaire Thwaites, précitée, aux p. 48 et 49)

«La norme du risque important reconnaît la nécessité de tolérer un certain degré de risque car les activités humaines ne sont pas absolument sans risque. Certes, cette norme protège les préoccupations légitimes au sujet de la sécurité en milieu de travail, mais elle ne garantit pas le degré le plus élevé de sécurité, soit l'élimination de tout risque accru. En effet, elle fait en sorte que les objectifs de la Loi soient atteints en favorisant l'intégration professionnelle des personnes qui ont des déficiences, bien qu'il en résulte une augmentation des risques, qui est cependant contenue dans des limites acceptables.» (voir l'affaire Thwaites, précitée, à la p. 49)

Les faits qui ont été exposés dans les décisions récentes rendues par deux formations du Tribunal des droits de la personne et les règles de droit qui leur ont été appliquées ont été utiles pour le Tribunal. Dans l'affaire Thwaites, précitée, et dans l'affaire Patricia Hebert c. Forces armées canadiennes, décision non publiée, D.T. 14/93, rendue le 20 août 1993, les intimées ont présenté des éléments de preuve et des arguments qui portaient directement sur la question des risques pour la sécurité comme exigence professionnelle justifiée.

Dans la première de ces deux décisions, Simon Thwaites a été libéré des Forces armées canadiennes pour raison de santé à cause de sa déficience (VIH-positif); dans la deuxième, Patricia Hebert n'a pu s'enrôler dans les Forces armées canadiennes en raison de son acuité visuelle. Dans ces deux affaires, comme c'est le cas en l'espèce, le tribunal devait composer avec deux intérêts opposés décrits de la manière suivante à la page 1 de l'affaire Thwaites :

le souci légitime des Forces armées canadiennes pour la santé des militaires infectés par le virus de l'immunodéficience humaine, d'une part, et d'autre part, le droit de toute

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personne d'occuper un emploi rémunéré dans lequel elle remplit ses fonctions de façon jugée satisfaisante, mais qui, en raison de sa nature, l'expose à des risques accrus pour sa sécurité ou sa santé.

Le Tribunal souscrit à la conclusion de l'affaire Thwaites suivant laquelle dans l'évolution des droits de la personne, on a accordé davantage d'importance aux droits individuels reconnus dans la LCDP et on a en même temps insisté pour que les employeurs fassent tous les efforts nécessaires pour mettre en application le principe énoncé à l'article 2 de la LCDP. Nous reconnaissons aussi que, lorsqu'il est possible d'utiliser un moyen de défense fondé sur une exigence professionnelle justifiée, il faut interpréter ce moyen de défense d'une manière restrictive afin de ne pas aller à l'encontre des objectifs plus généraux de la LCDP (voir l'affaire University of Alberta v. Alberta Human Rights Commission (1993), 17 C.H.R.R. D/87, à la p. D/96) et parce qu'il s'agit souvent du dernier recours de la personne désavantagée et de la personne privée de ses droits de représentation (voir Zurich Insurance v. CHRC (1992), 93 D.L.R. (4th) 346, à la p. 374; 16 C.H.R.R. D/255, à la p. D/263).

Le fardeau de la preuve en l'espèce incombe aux intimés et la norme applicable est celle de la prépondérance de la preuve qui s'applique en matière civile. L'employeur qui invoque un moyen de défense fondé sur une EPJ doit habituellement expliquer pourquoi il n'était pas possible, pour remplacer une règle générale, d'évaluer individuellement le risque que présentait l'employé.

Le Tribunal souscrit à la décision rendue dans l'affaire Thwaites où il a été jugé que l'EPJ exige davantage que la preuve d'un léger accroissement des risques pour la sécurité publique; «la question épineuse à trancher concerne la manière de déterminer dans quels cas un accroissement de risque représente un risque important». (voir l'affaire Thwaites, précitée, à la p. 49)

Dans la seconde des deux décisions récentes du Tribunal mentionnées plus haut (Hebert), la norme d'acuité visuelle minimale que les Forces armées imposaient aux fins de l'enrôlement était la norme V4 qui, selon ce qu'a reconnu le tribunal, permettait une vision inférieure à la vision normale et qui (lorsqu'elle n'était pas corrigée) n'était que marginalement supérieure à celle de Mme Hebert. En conséquence, le tribunal a estimé qu'il s'agissait d'une preuve que les intimées étaient prêtes à accepter un certain risque d'erreur humaine. Il s'agissait ensuite de savoir si la vision de Mme Hebert représentait un accroissement important du degré de risque acceptable par les Forces armées suivant leurs normes d'enrôlement (voir à la p. 73).

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Dans l'affaire Hebert, le tribunal a ensuite examiné la norme d'acuité visuelle corrigée ainsi que les déclarations des témoins des intimées qui ont affirmé qu'il est toujours possible que des physiothérapeutes membres des Forces armées canadiennes soient envoyés dans un milieu où il y a des hostilités et, dans ce genre de situation, qu'ils soient tenus de fonctionner en l'absence de verres correcteurs. Toutefois, comme les intimées ont été incapables dans l'affaire Hebert de le convaincre qu'un physiothérapeute des FAC avait déjà été déployé dans un milieu où il y avait des hostilités et où il était impossible de porter des lentilles cornéennes ou de remplacer facilement des lunettes (en cas de perte), le tribunal a conclu que la possibilité que tous ces événements se produisent ne constituait pas un motif justifiant l'exclusion de Mme Hebert des FAC.

Dans les affaires Thwaites et Hebert, le tribunal a adopté une méthode comparative pour déterminer quand un risque est important et, dans Hebert, il a repris la suggestion qui avait été faite dans l'affaire Thwaites :

C'est par rapport à l'emploi particulier que l'on peut le mieux mesurer le risque important et seulement par comparaison avec les autres risques rattachés au milieu de travail. De cette manière, les autres risques tolérables que présente l'emploi établissent des seuils de risque. Si des risques d'ampleur comparable sont acceptables dans un milieu de travail donné, alors les risques que présente une personne VIH-positive ne peuvent pas être considérés comme importants. En recourant à une analyse comparative des risques, on reconnaît que les employeurs ne peuvent pas compter sur un milieu de travail totalement sûr. Au lieu de cela, la norme du risque important a pour but de supprimer les risques qui constituent une menace importante à la santé et à la sécurité. Dans chaque cas, il faut déterminer quel risque sera tenu pour important et donc inacceptable, en précisant la nature et l'ampleur des autres risques qui sont tolérés parce qu'ils sont acceptables dans un milieu de travail particulier. En faisant une analyse comparative des risques, on est plus à même de déterminer si le risque est important. (voir l'affaire Hebert, aux p. 72 et 73, citant l'affaire Thwaites (précitée, aux p. 51 et 52)

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et le renvoi du tribunal dans l'affaire Thwaites à un article de S.D. Watson, «Eliminating Fear Through Comparative Risk: Docs, AIDS and the Anti-Discrimination Ideal» (1992) 40 Buffalo L. Rev. 738).

LE TEST PRATIQUE D'ACUITÉ AUDITIVE ET LE MOYEN DE DÉFENSE FONDÉ SUR L'EPJ

Le Tribunal conclut que l'administration du test pratique d'acuité auditive au plaignant suscite quatre importantes conclusions de fait et de droit.

Premièrement, en concevant et en administrant le test, les intimés ont satisfait à l'obligation (qui est imposée à l'employeur comme élément du moyen de défense fondé sur l'EPJ qui est opposé à la plainte particulière) d'évaluer la capacité de chaque employé avant de prendre une décision à son sujet.

Deuxièmement, pour les motifs déjà exposés dans la partie IV, le test conçu par les intimés et administré au plaignant le 25 mai 1990 :

  1. soit ne fournissait pas une évaluation individuelle juste et raisonnable du risque que présentait le plaignant dans l'exécution des tâches d'un officier de navigation de la Garde côtière;
  2. soit, si on pouvait affirmer que le test fournissait une telle évaluation du risque, il n'était pas juste et raisonnable de fixer une note de passage de 100 p. 100 pour la majorité des épreuves du test et de 80 p. 100 pour la plupart des autres.

Troisièmement, la nature du test, les circonstances dans lesquelles il a été administré et la note globale de 75 p. 100 du plaignant (voir la pièce R-1, onglet 1) sont des facteurs dont devrait tenir compte le Tribunal lorsqu'il examine si la déficience dont souffre le plaignant présente un risque d'erreur humaine suffisant.

Quatrièmement, le temps et les sommes consacrés au test indiquent clairement qu'il ne constitue pas une solution raisonnable ou pratique pour remplacer une règle générale.

En ce qui concerne la plainte particulière fondée sur l'alinéa 7a), le Tribunal conclut qu'en administrant le test pratique au plaignant, les intimés ont donné la possibilité d'évaluer M. Andrews de manière individuelle. Ils ont donc satisfait à l'un des éléments du moyen de défense fondé sur l'EPJ. S'appuyant sur ce test, les intimés soutiennent que le score du plaignant prouve que sa déficience constitue un risque réel pour l'exécution sans danger du travail en question. Le Tribunal n'est pas d'accord avec cet argument et il conclut qu'étant donné que le plaignant a obtenu une note globale de 75 p. 100 à un test qui était par ailleurs vicié, comme on l'a indiqué dans la partie V des présentes, la déficience du plaignant ne constitue pas un risque acceptable pour l'exécution sans

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danger des fonctions d'un officier de navigation de la Garde côtière. En conséquence, il n'est pas possible en se fondant uniquement sur les notes obtenues au test d'établir l'existence d'un moyen de défense fondé sur l'EPJ en ce qui concerne la plainte particulière fondée sur l'alinéa 7a).

L'ENSEMBLE DE LA PREUVE ET LE MOYEN DE DÉFENSE FONDÉ SUR L'EPJ

Ayant conclu qu'il ne suffisait pas de dire que la note globale de 75 p. 100 obtenue par le plaignant au test pratique d'acuité auditive satisfaisait au moyen de défense fondé sur l'EPJ, le Tribunal doit considérer si l'ensemble de la preuve permet d'opposer ce moyen de défense à la plainte fondée sur l'alinéa 7a).

La preuve produite par les intimés n'a pas aidé le Tribunal à déterminer d'une manière statistique ou quantitative le temps qu'un officier de la Garde côtière consacre à des activités qui exigeraient que la perte auditive dont souffre le candidat ne dépasse pas 30 décibels dans chaque oreille. C'est normal parce que l'expérience de chaque officier de la Garde côtière peut être différente selon le navire à bord duquel il est affecté et les activités de ce navire. De plus, un employeur ne devrait pas être tenu de mettre en péril d'autres personnes ni être obligé de supporter des coûts élevés ou un épuisement de ses autres ressources matérielles dans le simple but de fournir des données statistiques à un tribunal au soutien d'un moyen de défense fondé sur une exigence professionnelle justifiée.

Pour apprécier le danger que le plaignant présente en l'espèce pour la santé et la sécurité, nous devons le comparer aux autres risques que les intimés ont bien voulu prendre.

Grâce au Guide du médecin de Santé et Bien-être social, nous savons que la Garde côtière a admis des élèves-officiers souffrant d'une perte auditive ne dépassant pas 30 décibels dans les deux oreilles. Nous savons également, grâce au témoignage de Valerie Parrott, que des personnes dont la perte auditive est de 25 décibels dans les deux oreilles n'entendraient pas aussi bien que le plaignant dans certaines circonstances.

Malgré l'interdiction concernant les prothèses auditives, des témoins ont expliqué au Tribunal que certains membres de la Garde côtière avaient travaillé aux côtés d'officiers portant de telles prothèses.

De plus, nous savons que la norme d'acuité auditive fixée par la Garde côtière pour les membres d'équipage est simplement une acuité satisfaisante par la voix parlée pour une oreille (voir à la page 8 des présentes).

Le Tribunal sait également que Santé et Bien-être social Canada reconnaît qu'un examen audiométrique ne mesure pas véritablement l'acuité auditive d'un individu et c'est ce qui explique (du moins en partie seulement) pourquoi l'annexe E du Guide du médecin prévoit que «aucun employé expérimenté ne doit se voir rejeté uniquement en raison des résultats de l'audiométrie tonale...» (voir à la page 71 des présentes). En fait, la pièce R-19 (lettre datée du 27 mai 1990 et adressée par Karen McDonald, médecin traitant, Services cliniques, Santé et Bien-être social Canada, à Mme Joanne Jankun de Transports Canada) porte ce qui suit :

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[TRADUCTION]

...si une personne échoue à l'audiogramme de dépistage, elle ne devrait pas voir sa candidature rejetée pour cette seule raison parce qu'un audiogramme n'est pas un indice de sa véritable acuité auditive. C'est pourquoi il faudrait lui donner l'occasion de faire ses preuves en obtenant à un test pratique réaliste des résultats qui satisfont son surveillant, en portant une prothèse auditive lorsque c'est possible.

Enfin, une note de passage de 80 p. 100 à certaines des épreuves du test pratique d'acuité auditive administré au plaignant et à d'autres officiers expérimentés de la Garde côtière était satisfaisante pour les intimés.

Tous ces faits indiquent que les intimés sont disposés à accepter un certain risque d'erreur de la part de leurs employés en ce qui concerne l'acuité auditive. Compte tenu de ces faits, on ne peut pas dire que la déficience dont souffre le plaignant (audition monaurale) présente un risque beaucoup plus grand que le Tribunal pourrait qualifier d'«inacceptable». En conséquence, les intimés n'ont pas établi l'existence d'un moyen de défense fondé sur une EPJ relativement à la plainte fondée sur l'article 7.

En ce qui concerne la plainte fondée sur l'alinéa 10a) (lignes de conduite discriminatoires), le Tribunal reconnaît qu'étant donné que les intimés ont dû débourser plus de cent mille dollars pour évaluer le plaignant grâce au test pratique d'acuité auditive, un tel test ne peut

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être considéré comme une solution de rechange raisonnable ou pratique pour tous les candidats qui ne satisfont à la norme actuelle. Si on considère le problème autrement, le Tribunal ne s'attendrait pas à ce que les intimés recommencent cet exercice coûteux pour chaque candidat qui ne satisfait pas aux exigences d'acuité auditive énoncées dans le Guide du médecin de Santé et Bien-être social. En conséquence, l'évaluation qui a été faite du plaignant le 25 mai 1990 (même si elle satisfait à une partie du critère de l'EPJ en ce qui concerne la plainte fondée sur l'alinéa 7a)) ne constitue pas une solution possible pour tous les autres candidats dont l'acuité auditive est inférieure à la norme existante.

Le Tribunal doit donc examiner s'il existe une solution de rechange raisonnable ou pratique à ce genre d'évaluation pour tous les individus. Les seuls éléments de preuve soumis par la Commission des droits de la personne ou par le plaignant relativement à cet élément du moyen de défense fondé sur l'EPJ étaient les dépositions de divers témoins qui ont indiqué que l'acuité auditive pour la voix parlée devait être satisfaisante. Le Tribunal retient ces témoignages et conclut que l'acuité satisfaisante pour la voix parlée peut constituer une solution de rechange raisonnable et pratique à la présente règle discriminatoire.

Le dossier des intimés permet également de conclure qu'il existe une solution de rechange raisonnable ou pratique. En effet, la pièce R-19 l'indique clairement; Santé et Bien-être social Canada y reconnaît qu'une personne ne devrait pas voir sa candidature rejetée uniquement en raison des résultats d'un audiogramme mais qu'elle devrait plutôt avoir l'occasion de faire ses preuves en obtenant des résultats qui satisfont son surveillant (soulignement ajouté par le Tribunal).

Le Tribunal conclut donc qu'un test beaucoup plus simple dont la note de passage serait fixée par un surveillant expérimenté constituerait une solution de rechange raisonnable ou pratique au rejet de tous les candidats dont les résultats à un audiogramme indiquent une perte auditive supérieure à 30 décibels dans l'une ou l'autre des oreilles.

Le Tribunal ne tranche pas les plaintes fondées sur l'article 7 (employer un individu) et l'article 10 (lignes directrices) en se fondant uniquement sur ces éléments. En invoquant leur norme auditive comme EPJ, les intimés doivent aussi prouver qu'ils se sont fondés sur l'information médicale, scientifique et statistique la plus documentée et la plus à jour et non sur des suppositions hâtives, des appréhensions hypothétiques ou des généralisations sans fondement. (voir l'affaire Thwaites à la p. 52,

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renvoyant à l'affaire Heincke et al. v. Emrick Plastics et al. ainsi qu'à d'autres décisions)

Le plaignant a été avisé par une lettre qui serait datée du 17 octobre 1985 que les normes d'acuité auditive pour les officiers de marine reposaient sur les normes de la marine canadienne qui, depuis, sont passées à 40 décibels (voir la pièce HR-1, onglet 16). Toutefois, on n'a pas indiqué au Tribunal que la Garde côtière avait envisagé une telle modification de ses normes entre 1985 et 1992 pour suivre l'exemple de la marine canadienne. Par contre, les intimés reconnaissent que leurs normes d'acuité visuelle et d'acuité auditive font à l'heure actuelle l'objet d'une révision parce qu'elles sont incompatibles avec les normes fixées pour les officiers de la marine marchande.

Compte tenu des faits de l'espèce, le Tribunal est donc incapable de conclure que les intimés se sont fondés sur l'information la plus documentée que ce soit en fixant leur norme (perte auditive de 30 décibels) ou en refusant d'admettre le plaignant au Collège de la Garde côtière en raison de ses résultats lors de l'audiométrie tonale sans procéder à une évaluation individuelle de ce dernier.

L'avocat des intimés a indiqué dans sa plaidoirie qu'il fallait répondre à quatre questions en l'espèce, trois de celles-ci concernant la responsabilité et la quatrième concernant les dommages- intérêts. Les trois premières questions sont les suivantes :

1. La politique de l'intimé prévoyant que la perte auditive dans chacune des oreilles ne doit pas dépasser 30 décibels constitue- t-elle une exigence professionnelle justifiée?

2.a) Existait-il des solutions de rechange raisonnables ou pratiques aux normes de Santé et Bien-être social qui permettaient aux intimés d'évaluer individuellement les personnes autrement que par un audiogramme tonal?

b) Le test pratique d'acuité auditive qui lui a été administré donnait-il au plaignant une occasion raisonnable de démontrer son acuité auditive?

Même si ces questions peuvent aider le Tribunal à cerner le problème, nous ne croyons pas qu'il est possible de formuler les points en litige en l'espèce d'une manière aussi simple que celle proposée par l'avocat des intimés parce que la plainte repose sur l'alinéa 7a) ainsi que sur l'alinéa 10a) de la LCDP et qu'il faut donc analyser le moyen de défense fondé sur l'EPJ en fonction de ces deux alinéas.

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PARTIE VI

CONCLUSION DU TRIBUNAL

CONCLUSION EN CE QUI CONCERNE LA PLAINTE FONDÉE SUR L'ALINÉA 7A)

L'alinéa 7a) de la LCDP porte ce qui suit :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu; (la plainte particulière)

Pour les motifs déjà énoncés plus haut, le Tribunal conclut que les intimés ont violé l'alinéa 7a) de la LCDP en refusant d'admettre le plaignant au Collège de la Garde côtière. Le test pratique d'acuité auditive était de la part des intimés un véritable effort pour évaluer le risque que la déficience dont souffrait le plaignant représentait pour l'exécution sans danger des tâches d'un officier de navigation. Toutefois, le test était vicié et les notes de passage n'étaient pas réalistes. En conséquence, le test lui-même ne satisfait pas aux exigences de la défense fondée sur l'EPJ. Compte tenu de tous les autres éléments de preuve, le Tribunal conclut que les intimés n'ont pas démontré que leur norme d'acuité auditive constituait une EPJ pour l'exécution sans danger par le plaignant des fonctions d'un officier de navigation.

CONCLUSION EN CE QUI CONCERNE LA PLAINTE FONDÉE SUR L'ALINÉA 10A)

Par comparaison, l'alinéa 10a) prévoit ce qui suit :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur...

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite; (la plainte concernant les lignes de conduite)

En ce qui concerne le moyen de défense fondé sur l'EPJ opposé à la présente plainte, le Tribunal reconnaît qu'un test pratique d'acuité auditive analogue à celui qui a été administré au plaignant constituerait une solution de rechange peu pratique ou déraisonnable à la politique générale qui prévoit que la perte auditive ne doit pas dépasser 30 décibels pour chaque oreille. Toutefois, compte tenu de l'ensemble de la preuve mais en particulier des témoignages des trois spécialistes de l'audition et des

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capitaines Norman et Turner, le Tribunal admet qu'une solution de rechange pratique ou raisonnable à la politique générale des intimés consisterait a) soit à prévoir que l'acuité satisfaisante pour la voix parlée devient la norme d'acuité auditive de Santé et Bien-être social Canada pour les officiers de navigation de la Garde côtière, b) soit à permettre aux candidats dont l'audition est inférieure à la norme existante d'avoir l'occasion de faire leurs preuves en obtenant lors d'un test pratique réaliste des résultats qui satisfont un surveillant, en portant une prothèse auditive lorsque cela est possible. En conséquence, le moyen de défense fondé sur l'EPJ opposé à la plainte reposant sur l'article 10 est également rejeté.

PARTIE VII

DOMMAGES-INTÉRETS/RÉPARATION

Comme le plaignant a obtenu gain de cause, il faut examiner la question de la réparation demandée.

Les avocats ont admis que si les réponses aux questions 1 et 2 (voir à la p. 107 des présents motifs) sont négatives, la perte de revenus du plaignant depuis la date de la plainte jusqu'à la date de l'audience serait de 56 121 $. Toutefois, le Tribunal doit examiner si le plaignant a droit à la totalité ou à une partie seulement de ces dommages-intérêts en tenant compte de certaines éventualités.

A cet égard, on a demandé au Tribunal de se reporter à l'arrêt Conklin c. Smith, [1978] 2 R.C.S. 1107; 5 C.C.L.T. 113, où la Cour suprême du Canada devait se prononcer sur la perte éventuelle de revenus d'un jeune homme de 20 ans victime d'un accident d'automobile et dont les blessures ont finalement nécessité l'amputation de sa jambe gauche, au-dessous du genou. A l'époque de l'accident, le demandeur avait l'intention de devenir pilote d'avion commercial et il a allégué qu'il avait projeté de s'inscrire au collège Selkirk pour se préparer à cette carrière. La Cour a statué qu'il était de son devoir de fixer, après un examen raisonnable de l'ensemble de la preuve, la perte de revenus futurs et elle a jugé que l'indemnité de 60 000 $ accordée par le juge de première instance n'était pas excessive.

En calculant la perte éventuelle de revenus futurs du demandeur dans l'arrêt Conklin, la Cour suprême du Canada a répété que sa décision dans l'arrêt Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229; [1978] 1 W.W.R. 577, avait confirmé qu'une incidence de 20 p. 100 pour les éventualités devait être acceptée (même si elle n'était pas entièrement satisfaisante). Le Tribunal estime qu'une incidence de 20 p. 100 pour les éventualités est une

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indication générale qui devrait peut-être servir comme repère pour la détermination de l'incidence des éventualités qui correspond le mieux aux faits de chaque cas individuels.

En l'espèce, le plaignant, Michael Andrews, allègue qu'il souhaitait énormément poursuivre une carrière dans la marine et, en particulier, devenir officier de la Garde côtière canadienne. Nous savons que le refus de sa candidature au Collège de la Garde côtière en raison de son audition monaurale a mis fin à ses possibilités de carrière au sein de la Garde côtière. Nous savons aussi que s'il avait plutôt choisi de s'inscrire au Marine Institute de St. John's (Terre-Neuve) (ou ailleurs), il aurait pu obtenir un diplôme mais il n'aurait quand même pas pu occuper un poste au sein de la Garde côtière parce que les mêmes normes médicales de Santé et Bien-être social se seraient alors appliquées. Toutefois, le Tribunal retient les témoignages des experts en navigation cités à comparaître par le plaignant et par les intimés qui ont indiqué que, une fois son diplôme obtenu du Marine Institute, le plaignant aurait pu travailler dans la marine marchande (y compris dans l'industrie pétrolière côtière). Dans cette industrie, les normes médicales minimales sont fixées par la direction de la Sécurité des navires de la Garde côtière et elles n'auraient pas empêché le plaignant d'obtenir un emploi malgré son audition monaurale.

Le Tribunal sait en outre qu'à la suite du rejet de sa candidature par le Collège de la Garde côtière, le plaignant a suivi des cours au Marine Institute de St. John's pendant un semestre seulement (août à décembre 1985) et que, même s'il a obtenu une moyenne de 84 p. 100 dans les cours qu'il y a suivis, il a décidé de quitter cet établissement et de retourner à la Memorial University de Terre-Neuve (où il a poursuivi ses études pendant les semestres d'automne et d'hiver en 1984 et 1985). Il y a poursuivi des études en éducation qu'il a finalement terminées à l'automne 1991 et, grâce à son diplôme, il a réussi à obtenir un poste d'instructeur (voir la pièce HR-1, onglets 21 et 24).

En conséquence, même s'il est très probable que le plaignant se serait inscrit au Collège de la Garde côtière et qu'il y aurait obtenu un diplôme, le Tribunal doit tenir compte du fait que les projets de carrière dans la marine qu'avait le plaignant à 18 ans auraient pu changer à mesure qu'il prenait de l'âge. Compte tenu de cet élément de preuve, le Tribunal croit qu'une incidence des éventualités considérablement plus élevée que le repère de 20 p. 100 proposé par la Cour suprême du Canada est justifiée. Pour ces motifs, le Tribunal applique une incidence des éventualités de 35 p. 100 aux dommages-intérêts sur lesquels les avocats se sont entendus et accorde donc une somme de 36 479 $.

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Le plaignant sollicite également une indemnité spéciale en vertu de l'alinéa 53(3)b) de la LCDP parce qu'il prétend avoir souffert un préjudice moral. A cette fin, le plaignant insiste fortement sur les circonstances dans lesquelles s'est déroulé le test pratique d'acuité auditive. Toutefois, comme le Tribunal l'a déjà statué, la conception et l'administration d'un test pratique d'acuité auditive constituaient une étape que les intimés devaient franchir afin d'établir l'un des éléments du moyen de défense fondé sur l'EPJ. Le Tribunal considère donc qu'il n'y a pas lieu d'accorder des dommages-intérêts à cet égard. Il estime de plus que l'indemnité de 36 479 $ dont il a déjà été question aux présentes est une réparation suffisante pour le plaignant. Le Tribunal refuse, comme il en a le pouvoir, d'accorder un intérêt préalable au jugement sur cette somme. Le plaignant sollicite également une ordonnance en vertu de l'alinéa 53(2)a) de la LCDP enjoignant aux intimés de mettre fin à l'acte discriminatoire. Le Tribunal estime que cette demande est justifiée et c'est pourquoi il rend une telle ordonnance.

ORDONNANCE DU TRIBUNAL

En résumé, le Tribunal ordonne aux intimés :

  1. de cesser l'acte discriminatoire qui consiste à prévoir que la perte auditive des candidats pour les postes d'officiers de navigation ou d'élèves-officiers de navigation ne doit pas dépasser 30 décibels dans chaque oreille sans donner à ceux-ci l'occasion de faire leurs preuves en obtenant lors d'un test réaliste et pratique des résultats qui satisfont un surveillant, en portant une prothèse auditive lorsque c'est possible;
  2. de verser au plaignant une somme de 36 479 $ à titre d'indemnité pour sa perte de revenus jusqu'en juillet 1992.

Fait ce 29ième jour de septembre 1994.

GILLIAN D. BUTLER Présidente

ROGER BILODEAU Membre

RICHARD P. NOONAN (25 novembre 1994) Membre

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