Tribunal canadien des droits de la personne

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CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

DONNA MOWAT

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION SUR REQUÊTE
SUR LES EXPOSÉS PRÉLIMINAIRES

2003 TCDP 39
2003/11/21

MEMBRE INSTRUCTEUR : J. Grant Sinclair

TRADUCTION

I. INTRODUCTION

II. HISTORIQUE DES FAITS

III. QUESTION PRÉJUDICIELLE

A. Position des FAC au sujet de la méthode de participation proposée par la Commission

B. Position de la Commission

C. Position de la plaignante

IV. ANALYSE

V. CONCLUSION ET ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] La question que soulève cette requête est la suivante : la Commission canadienne des droits de la personne peut-elle, dans le cadre d'une audience du Tribunal canadien des droits de la personne, présenter un exposé préliminaire au début de l'audience consistant principalement en un aperçu général de l'état du droit applicable, puis se retirer de l'audience tout en se réservant le droit d'y participer à nouveau ultérieurement?

[2] La façon dont la Commission entend procéder en l'espèce représente un changement fondamental par rapport à la manière dont elle a traditionnellement représenté l'intérêt public devant le Tribunal. Les Forces armées canadiennes (FAC) ont contesté la façon de procéder de la Commission, faisant valoir qu'elle serait fondamentalement préjudiciable à son droit de se défendre à titre d'intimée dans cette affaire.

II. HISTORIQUE DES FAITS

[3] Donna Mowat a déposé une plainte de discrimination contre les FAC. Dans sa plainte, elle allègue avoir été victime de harcèlement sexuel dans le cours de son emploi au sein des FAC. Après avoir fait enquête sur la plainte de Mme Mowat, la Commission l'a renvoyée au Tribunal pour instruction.

[4] Au cours de la téléconférence préparatoire convoquée par le Tribunal, l'avocat de la Commission a informé les autres parties que celle-ci n'entendait pas participer à toute l'audience et se contenterait de comparaître au début pour présenter un exposé préliminaire. Dans un échange de correspondance subséquent, la Commission a précisé qu'elle avait l'intention de présenter un exposé préliminaire au début de l'audience :

[TRADUCTION]
... analysant les considérations d'intérêt public dans l'affaire en question. Dans sa déclaration, la Commission présentera son opinion au sujet des questions de droit en cause ainsi qu'une description détaillée de l'état du droit par rapport à la plainte. L'avocat de la Commission ne sera pas présent pendant toute la durée de l'audience...

[5] Après avoir reçu cette explication, les FAC ont présenté au Tribunal une requête lui demandant de statuer que la méthode de participation proposée par la Commission est inappropriée et préjudiciable aux FAC. Plus particulièrement, les FAC s'opposent à ce que la Commission présente un tel exposé préliminaire sans avoir à étayer ses arguments par des faits prouvés devant le Tribunal. En outre, les FAC s'opposent au fait que la Commission n'a pas communiqué aux parties les détails de sa position préalablement à l'audience, comme l'exigent les Règles de procédure du Tribunal. Les FAC demandent au Tribunal de rendre une ordonnance interdisant à la Commission de participer à l'audience de la manière dont elle entend le faire, ainsi qu'une ordonnance exigeant qu'elle divulgue l'essence de sa position avant l'audience.

[6] Au cours d'une deuxième téléconférence, le vice-président du Tribunal, Grant Sinclair, a demandé à la Commission de bien vouloir transmettre aux parties un exemplaire de l'exposé préliminaire qu'elle entend présenter afin que le bien-fondé de cet exposé puisse être examiné dans le cadre de la requête. Un exemplaire du projet d'exposé préliminaire de la Commission est annexé à la présente décision.

III. QUESTION PRÉJUDICIELLE

[7] Avant de se pencher sur le fond de la requête des FAC, le Tribunal doit examiner la question préliminaire suivante : le Tribunal a-t-il compétence pour se prononcer sur la façon dont la Commission entend participer à l'audience?

[8] La Commission prétend que le Tribunal n'est pas habilité à réviser les décisions qu'elle prend en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, étant donné que seule la Cour fédérale a un pouvoir de surveillance sur la Commission. À son avis, la Commission, en sa qualité de partie indépendante qui comparaît devant le Tribunal, jouit du pouvoir inconditionnel de comparution à une audience. L'article 50 de la Loi confère à la Commission la qualité de partie, précisant clairement, selon la prétention de la CCDP, que [TRADUCTION] la Commission n'a pas à présenter de requête au Tribunal... pour qu'il se penche sur l'ampleur de sa participation. La Commission soutient qu'il serait illogique, compte tenu de son statut de partie indépendante, que le Tribunal tente de réviser la façon dont la Commission a choisi de représenter l'intérêt public en l'espèce.

[9] Même si les observations présentées par la Commission au moment de l'audition des requêtes étaient rédigées en termes non équivoques, l'avocat de la Commission a admis que le Tribunal, du fait qu'il est maître de sa procédure, a la haute main sur le processus d'audience et le pouvoir de prendre des mesures lorsque la conduite d'une partie aurait pour effet de causer une injustice à une autre partie. Par exemple, l'avocat de la Commission a admis que le Tribunal aurait le loisir de demander à la Commission de présenter son résumé de l'état du droit à la fin de l'audience plutôt qu'au commencement de celle-ci.

[10] Les FAC conviennent que la décision de la Commission de participer à une instance peut légitimement faire l'objet d'un contrôle judiciaire de la Cour fédérale, et non pas du Tribunal. Cependant, les FAC soutiennent que lorsqu'elle comparaît devant le Tribunal, la Commission doit se conformer aux principes de l'équité et aux Règles de procédure du TCDP.

[11] Comme l'a fait remarquer précédemment le Tribunal, il appartient à la Commission de déterminer la meilleure façon de s'acquitter du mandat de représentation de l'intérêt public que lui confère l'article 51 de la Loi canadienne sur les droits de la personne 1. Le Tribunal ne saurait prêter des intentions à la Commission à cet égard. En fait, il incombe à la Cour fédérale de réviser les décisions prises par la Commission dans certains cas individuels2.

[12] Cela étant dit, la Commission n'est pas libre d'agir à sa guise lorsqu'elle comparaît devant le Tribunal et elle ne peut faire fi des Règles de procédure du TCDP, des règles d'équité procédurale et des droits des autres parties à l'instance. La Commission, à l'instar des autres parties, est soumise aux Règles de procédure du TCDP et à toute décision que rend le Tribunal en matière de preuve ou de procédure.

[13] En tant qu'organisme juridictionnel qui se prononce sur les droits quasi constitutionnels garantis par la Loi canadienne sur les droits de la personne, le Tribunal a non seulement le pouvoir, mais aussi l'obligation, d'assurer l'équité de la procédure. Ainsi, le Tribunal est habilité à empêcher, par exemple, la Commission de poser des questions suggestives lors de l'interrogatoire de ses propres témoins, de produire des éléments de preuve inadmissibles ou non pertinents ou de formuler des conclusions finales ayant trait à des faits non présentés en preuve. Le Tribunal a également le pouvoir de veiller à ce que toute observation présentée par la Commission dans une instance, lors de l'exposé préliminaire ou à un autre moment, soit conforme aux principes de l'équité.

[14] À notre avis, la Commission se méprend quant à l'intention des FAC. L'objection des FAC n'implique pas une révision d'une décision de la Commission. Il s'agit plutôt de déterminer si la façon dont la Commission entend participer à l'audience respecte les principes de l'équité et les Règles de procédure du Tribunal. Par conséquent, nous sommes convaincus que le Tribunal est habilité à entendre l'objection des FAC à l'égard de la présentation par la Commission de son exposé préliminaire.

A. Position des FAC au sujet de la méthode de participation proposée par la Commission

[15] Les FAC soutiennent que ce que propose la Commission va à l'encontre du but de l'exposé préliminaire, qui vise à donner au juge des faits un aperçu général des faits et des questions en cause. En faisant référence à des faits particuliers dans l'exposé préliminaire, l'avocat est implicitement soumis à l'obligation professionnelle de veiller à ce que les faits décrits soient corroborés par la preuve.

[16] Même si la Commission prétend qu'elle se contentera dans son exposé préliminaire de donner ...son opinion sur les questions de droit en cause ainsi qu'une description détaillée de l'état du droit par rapport à la plainte ..., les FAC affirment que l'examen de l'exposé préliminaire qu'entend présenter la Commission montre combien il est difficile de présenter des arguments de droit sans les rattacher aux faits en cause. Plus particulièrement, les FAC attirent l'attention sur l'observation suivante que la Commission entend présenter :

[TRADUCTION]
Il ne fait aucun doute que le harcèlement sexuel est non seulement une préoccupation particulière pour les femmes, mais aussi une question d'intérêt public. Il s'agit d'un phénomène omniprésent dans le milieu de travail, le gouvernement, les écoles, les cabinets de droit, la profession médicale, l'armée, les milieux sportifs et les institutions culturelles.

[17] Cela démontre que la Commission a l'intention de laisser entendre au Tribunal qu'il existe un problème systémique de harcèlement sexuel au sein de l'armée canadienne. Étant donné que la Commission ne prévoit pas déposer de preuves en l'espèce, il est évident qu'elle ne sera pas en mesure de prouver son allégation. De l'avis des FAC, présenter une telle allégation non étayée équivaudrait à une inconduite professionnelle de la part de l'avocat de la Commission. De plus, une pareille affirmation serait très préjudiciable aux FAC. Elle pourrait fort bien influencer le membre instructeur qui devra juger du bien-fondé des allégations de harcèlement sexuel de Mme Mowat, d'autant plus qu'elle serait formulée par la Commission, partie dont l'expertise dans le domaine est reconnue.

[18] Le fait de permettre à la Commission de citer des précédents à propos d'une question particulière pourrait avoir pour effet de prolonger l'audience, car cela pourrait obliger les FAC à présenter des éléments de preuve pour démontrer pourquoi la loi ne s'applique pas, même si les faits de l'espèce ne soulèvent pas ladite question. Par exemple, la Commission a l'intention de citer les principes juridiques régissant le contenu d'une politique sur le harcèlement sexuel. La conclusion naturelle que le Tribunal pourrait tirer, selon les FAC, est que leur politique sur le harcèlement comporte peut-être des lacunes. La prudence pourrait alors exiger que les FAC présentent les éléments de preuve nécessaires pour établir formellement que leur politique était satisfaisante, même si les faits réels entourant l'affaire Mowat n'impliqueraient pas autrement de mettre en doute le caractère adéquat de cette politique.

[19] En outre, la détermination des principes juridiques qui sont pertinents présuppose une certaine compréhension des faits de l'espèce de la part de la Commission. Par exemple, dans l'exposé préliminaire qu'elle se propose de présenter, la Commission fait référence aux principes juridiques relatifs à la question des représailles. Rien dans la plainte de Mme Mowat ne permet même de croire que la question des représailles se pose dans cette affaire. Seul l'exposé des questions en litige de Mme Mowat fait référence à des allégations de représailles. Par conséquent, selon les FAC, la Commission, du fait qu'elle fait allusion à la question des représailles, doit tenir pour acquis les faits allégués par Mme Mowat.

[20] La Commission soutient que son exposé préliminaire est un aperçu neutre de l'état du droit destiné à aider les deux parties et le Tribunal. Les FAC contestent cette prétention, faisant remarquer notamment que la Commission n'a pas fait référence à la jurisprudence du Tribunal précisant que les dispositions de la loi en matière de représailles n'ont pas d'effet rétroactif. Par conséquent, ces dispositions ne s'appliqueraient pas aux événements entourant cette affaire, qui sont survenus avant juin 19983. Sous ce rapport, l'exposé préliminaire de la Commission favorise injustement la plaignante au détriment des FAC.

[21] En outre, les FAC affirment que la Commission ne s'est pas conformée aux obligations de divulgation imposées aux parties en vertu des Règles de procédure du Tribunal. La Commission n'a pas avisé au préalable les parties de sa position quant aux motifs d'intérêt public en cause. Si le Tribunal n'avait pas demandé à la Commission de déposer un exemplaire de son projet d'exposé préliminaire avant la présentation de la présente requête, les FAC n'auraient eu, disent-elles, aucune idée de la position de la Commission avant le premier jour de l'audience. De l'avis des FAC, cette situation est fondamentalement injuste.

[22] Par ailleurs, les FAC soutiennent que le fait de permettre à la Commission de comparaître à nouveau durant l'audience leur serait préjudiciable. Il leur est impossible ni de savoir si cette possibilité se concrétisera et, le cas échéant, quand, ni de déterminer quelle serait la nature de la participation de la Commission. Les FAC ne peuvent donc prévoir ni les questions qu'elles devraient peut-être poser aux témoins de la plaignante, ni les éléments de preuve qu'elles devraient peut-être produire en réaction à la position que la Commission est susceptible d'adopter ultérieurement au cours de l'audience.

[23] Enfin, les FAC font valoir qu'un exposé général de l'état du droit qui n'est pas lié aux faits en cause ne sera guère utile au Tribunal. Par ailleurs, le préjudice que subiront les FAC si l'on autorise la présentation de l'exposé préliminaire l'emportera sur l'utilité limitée de ce genre d'exposé.

B. Position de la Commission

[24] La Commission nie que le fait de l'autoriser à présenter son exposé préliminaire causera un préjudice aux FAC. Selon elle, la plaignante et l'intimée ont toutes deux été avisées tôt au cours du processus que la Commission entendait jouer un rôle restreint en l'espèce. De plus, au dire de la Commission, ses observations consisteront strictement en un résumé de l'état du droit applicable en l'espèce. La Commission estime qu'étant donné que le TCDP est un tribunal spécialisé, ses arguments au sujet du droit ne l'influenceront pas indûment s'ils sont présentés au début de l'audience.

[25] La Commission conteste l'affirmation des FAC voulant qu'elle ait omis de préciser les motifs d'intérêt public dans cette affaire. Selon la Commission, [TRADUCTION] l'intérêt public est en cause lorsqu'une plainte est renvoyée au Tribunal puisque la Commission est alors persuadée que la plainte doit faire l'objet d'une procédure d'instruction plus poussée. La Commission est d'avis que l'intérêt public exige de faire en sorte que les questions de droit pertinentes soient tranchées et que les principes juridiques soient pleinement exposés. Cela ne suppose pas que la Commission doive présenter une preuve dans une affaire donnée.

[26] L'avocat de la Commission prétend que le rôle de la CCDP, lorsqu'elle comparaît devant le Tribunal, s'apparente à celui du procureur de la Couronne. L'intérêt de la Commission ne s'oppose pas à celui des autres parties. En fait, l'intérêt de la Commission est de voir à ce que justice soit faite. Cependant, l'avocat de la Commission a admis que bien que l'examen de l'état du droit de la CCDP se veuille neutre, la Commission n'est pas infaillible.

[27] De plus, la Commission prétend que son examen de l'état du droit vise à aider non seulement le Tribunal mais aussi les parties à comprendre l'état du droit pertinent à l'affaire dont il s'agit. Tout en reconnaissant qu'un aperçu général des principes relatifs aux droits de la personne ne sera guère utile à un tribunal spécialisé qui a une connaissance approfondie de la législation en la matière, la Commission est désireuse de s'assurer que les parties qui comparaissent devant le Tribunal connaissent la jurisprudence pertinente.

[28] La Commission reconnaît qu'il est inacceptable qu'une partie fasse référence dans un exposé préliminaire à des faits qu'elle ne prouvera pas. Selon la Commission, l'exposé préliminaire qu'elle entend présenter traite strictement de faits non litigieux et, partant, ne met pas en cause la règle de l'engagement implicite. Tout en admettant que le fait de faire référence à un problème systémique de harcèlement sexuel dans l'armée canadienne est litigieux, la Commission est d'avis que l'affirmation est anodine et non préjudiciable aux FAC. En tout état de cause, l'engagement implicite, d'affirmer la Commission, n'est rien de plus qu'une règle de pratique; il ne s'agit pas d'une règle de droit.

[29] La Commission a fait valoir que le TCDP, en tant que tribunal administratif, n'est pas tenu de suivre les règles et les procédures qu'appliquent les cours. Le Tribunal devrait plutôt se montrer souple et novateur dans la tenue de ses audiences4, notamment en admettant ce que la Commission qualifie d'exposé préliminaire non traditionnelle.

[30] Selon la Commission, les FAC n'ont pas démontré la nature du préjudice qu'elles subiront si la Commission présente son exposé préliminaire puis se retire de l'audience. Ses allégations de préjudice sont purement spéculatives, au dire de la Commission; par conséquent, le Tribunal ne saurait en tenir compte. Selon la Commission, [TRADUCTION] les FAC ont demandé au Tribunal de se livrer à un exercice de conjecture inapproprié auquel les parties ont dû consacrer des ressources considérables. En tout état de cause, les FAC, au dire de la Commission, auront amplement l'occasion à l'audience de répondre aux observations formulées par la Commission dans son exposé préliminaire.

[31] Enfin, en ce qui concerne le fait qu'elle se réserve le droit de comparaître à nouveau durant l'audience, la Commission a reconnu qu'elle serait soumise aux directives du Tribunal et que les autres parties pourraient présenter des objections. Le Tribunal pourrait, le cas échéant, s'interroger sur le préjudice qui pourrait en résulter pour les FAC.

C. Position de la plaignante

[32] Selon l'avocat de la plaignante, il serait utile que cette dernière connaisse l'opinion de la Commission quant aux motifs d'intérêt public que soulève sa plainte. L'avocat de la plaignante estime que la Commission est du côté de sa cliente, qu'[TRADUCTION] avoir des alliés ne fait jamais de tort et que la participation de la Commission, si limitée soit-elle, aiderait à [TRADUCTION] égaler les chances.

[33] L'aperçu de l'état du droit fourni par la Commission est utile, au dire de l'avocat de la plaignante, car il l'a aidé à bien comprendre les questions en cause. Il souhaiterait que l'information que renferme l'exposé préliminaire soit présentée au Tribunal, mais il est sensible au préjudice que pourraient subir les FAC si la Commission était autorisée à présenter ledit exposé.

[34] Il n'importe pas à l'avocat de Mme Mowat que la Commission fournisse les renseignements dans un exposé préliminaire ou lors des plaidoiries. Toutefois, il lui aurait été utile, a-t-il dit, de recevoir cette information de la part de la Commission beaucoup plus tôt dans le processus.

IV. ANALYSE

[35] Les principes juridiques régissant la teneur de l'exposé préliminaire présentée devant une cour sont clairs. Dans Brochu v. Pond 5, la Cour d'appel de l'Ontario a récemment fait sienne l'énoncé suivant qu'on trouve dans les Halsbury's Laws of England et que Me Sopinka a cité dans son ouvrage intitulé The Trial of an Action 6 :

[TRADUCTION]
L'exposé préliminaire sert à donner à la cour un aperçu général de la preuve qui sera présentée... Dans cet exposé, l'avocat expose les points litigieux et les questions à trancher, les faits de l'espèce et les grandes lignes de la preuve qu'il entend présenter, il explique dans quelle mesure cette preuve contribuera à établir le bien-fondé de la cause et renvoie à la correspondance pertinente entre les parties ainsi qu'à d'autres documents. Il formule des observations sur tout point de droit que l'affaire soulève; cependant, l'exposé préliminaire ne se prête pas à une argumentation détaillée sur les questions de droit ou à un vaste examen de la jurisprudence. Dans son exposé préliminaire, l'avocat peut faire allusion aux faits dont la cour prend connaissance d'office. L'avocat ne peut présenter son opinion personnelle au sujet des faits ou du droit lors de l'exposé préliminaire ou à un autre stade du procès, pas plus d'ailleurs qu'il ne peut faire allusion à des faits qui doivent être prouvés, s'il n'a pas l'intention de le faire, ou à des faits qui ne sont pas pertinents à la question à trancher.

[36] De même, dans l'édition canadienne de l'ouvrage intitulé Modern Trial Advocacy7, on peut lire l'énoncé suivant :

[TRADUCTION]
Les cours et les auteurs affirment presque à l'unanimité que l'exposé préliminaire sert exclusivement à informer la cour [TRADUCTION] de ce que la preuve démontrera. L'avocat ne peut plaider durant l'exposé préliminaire; il doit s'en tenir à un aperçu préliminaire des témoignages prévus, des pièces à déposer et des autres éléments de preuve, ainsi qu'à une brève description des questions litigieuses.

[37] Il est vrai qu'une grande partie de la jurisprudence sur les paramètres de l'exposé préliminaire a trait à des procès avec jury. Cependant, les principes pertinents sont d'application générale. Bien que l'avocat jouisse dans les procès sans jury d'une plus grande latitude lorsqu'il s'agit de cerner les questions de droit8, l'interdiction de faire mention de faits qu'il n'entend pas prouver demeure9. Il en va de même de l'interdiction de présenter une argumentation juridique dans l'exposé préliminaire10.

[38] Les règles relatives au contenu approprié de l'exposé préliminaire ont évolué au fil des générations et visent à assurer l'équité globale du procès. L'exposé préliminaire que la Commission entend présenter au début de l'audience en l'espèce démontre l'injustice que peut causer le fait d'autoriser les avocats à s'écarter des paramètres formels de l'exposé préliminaire.

[39] Contrairement à ce que prétend la Commission, l'exposé préliminaire que la CCDP entend présenter traite de faits litigieux. L'allégation selon laquelle le harcèlement sexuel est un problème répandu dans l'armée canadienne peut difficilement être qualifiée d'anodine. L'allégation selon laquelle le phénomène du harcèlement sexuel est omniprésent dans les FAC invite à conclure que l'allégation de harcèlement sexuel portée par Mme Mowat est fondée. Une telle affirmation non étayée de la part de la Commission est nettement préjudiciable aux FAC.

[40] Nous partageons l'avis des FAC à savoir que l'aperçu de l'état du droit fourni par la Commission n'est pas totalement neutre. Bien que la Commission affirme que son analyse de la jurisprudence n'est pas partisan et ne favorise ni un côté ni l'autre, l'exemple cité par les FAC en ce qui touche la question des représailles démontre la difficulté de présenter un résumé de l'état du droit qui soit vraiment non partisan.

[41] La présentation d'un résumé de l'état du droit est par ailleurs susceptible de compliquer l'audience. Lorsque les arguments de droit sont présentés à la clôture de l'audience, les parties et le Tribunal comprennent clairement les faits et sont à même de distinguer les questions de droit qui sont pertinentes et celles qui ne le sont pas. Si une partie fait valoir des arguments sur un point de droit non pertinent, la partie adverse peut soulever une objection et le Tribunal est en mesure de trancher l'objection. Si la jurisprudence est examinée en détail avant la présentation de la preuve, le Tribunal n'est aucunement en mesure de savoir ce qui est pertinent et ce qui ne l'est pas. En cas d'objection, la Commission ne peut aider en expliquant la pertinence de ses arguments, étant donné qu'elle ne peut faire référence aux faits de l'espèce.

[42] Nous faisons nôtres les arguments des FAC selon lesquels le fait d'autoriser la Commission à présenter au début de l'audience un aperçu de ce qu'elle considère être la jurisprudence pertinente lui causerait un préjudice. La détermination des précédents qui sont pertinents à l'affaire dont il s'agit présuppose l'existence de certains faits et, de surcroît, risquerait de prolonger l'audience. Bien que l'audience devrait durer le temps qu'il faut pour permettre amplement à chaque partie de se faire entendre, on ne devrait pas à notre avis permettre à une partie de mettre sur la table des questions qui exigent une réplique de la part d'une autre partie, puis de quitter l'audience sans avoir prouvé que lesdites questions ont rapport à l'affaire dont il s'agit.

[43] Il convient de souligner que la Commission n'a pas fourni au Tribunal de raison satisfaisante qui justifierait une dérogation à la pratique générale afin de lui permettre de présenter un résumé de l'état du droit au début de l'audience plutôt qu'à la fin, comme le veut la coutume. La Commission a indiqué qu'il serait utile aux parties à une plainte donnée d'obtenir un aperçu des règles de droit que la Commission juge pertinentes. Cependant, rien n'empêche la Commission de présenter un tel résumé aux parties à n'importe quel moment au cours du processus d'audience.

[44] Par ailleurs, la Commission a négligé les obligations qui lui incombent en vertu des Règles de procédure du Tribunal. Ces règles visent à assurer la divulgation des prétentions et de la preuve de manière efficace et en temps opportun, afin que chaque partie connaisse, préalablement à l'audience, la preuve à réfuter. À cette fin, la règle 6 impose aux parties qui comparaissent devant le Tribunal certaines obligations de divulgation. Selon les Règles de procédure du Tribunal, la Commission et les FAC sont tenues de donner un avis écrit des faits matériels qu'elles entendent établir pour prouver le bien-fondé de la plainte, ainsi que des questions de droit que soulève l'affaire. La partie plaignante a des obligations similaires lorsque sa position diffère de celle de la Commission. Les règles comportent également des dispositions en ce qui touche la divulgation préalable des documents ainsi que la production de listes de témoins et de résumés des témoignages anticipés.

[45] On ne trouve dans les Règles de procédure aucune disposition qui oblige la Commission à participer à une instance. Rien n'oblige non plus la Commission à présenter des éléments de preuve, à contre-interroger des témoins de la partie adverse ou à présenter des arguments de droit. Il s'agit là de questions pour lesquelles la Commission doit prendre des décisions en fonction du mandat de représentation de l'intérêt public que lui confère l'article 51 de la Loi. Cependant, si la Commission décide de participer à une audience, les autres parties ont le droit de connaître, bien avant celle-ci, la position qu'elle y présentera. Plus particulièrement, les parties ont le droit de savoir quels sont, de l'avis de la Commission, les motifs d'intérêt public dans une instance particulière, afin de pouvoir présenter les éléments de preuve nécessaires et de faire valoir les arguments qu'elles jugent appropriés, compte tenu de ces motifs.

[46] Il ne suffit pas que la Commission dise que toute plainte renvoyée au Tribunal soulève des motifs d'intérêt public. En l'espèce, Mme Mowat et les FAC, n'eût été de l'intervention du Tribunal, n'auraient obtenu de la Commission avant le premier jour de l'audience aucune indication quant aux motifs qui, à son avis, sont d'intérêt public en l'espèce. Cette façon de faire va à l'encontre des Règles de procédure du Tribunal et n'est pas dans l'intérêt du processus.

V. CONCLUSION ET ORDONNANCE

[47] Pour les motifs susmentionnés, nous avons conclu que la façon dont la Commission entend participer à l'audience en l'espèce n'est conforme ni aux principes de l'équité ni aux Règles de procédure du Tribunal. Par conséquent, la Commission n'est pas autorisée à présenter de la façon envisagée l'exposé préliminaire prévu. Le membre instructeur chargé d'entendre le fond de la plainte tranchera toute question découlant de la décision.

Signé par

J. Grant Sinclair

Signé par

Dr. Paul Groarke

OTTAWA (Ontario)

Le 21 novembre 2003

1Quigley c. Ocean Construction Supplies, [2001] D.C.D.P. no 46 (T.C.D.P.).

2Parisien c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton, [2002] D.C.D.P. no 23 (T.C.D.P.).

3Marinaki c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] D.C.D.P. no 2 (T.C.D.P.).

4Grover c. Canada (Conseil national de recherches - CNRC), [1994] A.C.F. no 1000, par. 40, onglet J, Canada (Procureur général) c. Moore, [1998] 4 C.F. 585, par. 48 (1re inst.), règle 1 des Règles de procédure provisoires du Tribunal canadien des droits de la personne.

5(2002), 62 O.R. (3d) 722, aux pages 726 et 727.

62e éd. (Toronto et Vancouver : Butterworths, 1998), p. 74.

7(Notre Dame : National Institute for Trial Advocacy, 1995), p. 312.

8Sopinka, précitée, p. 76.

9Di Domenicantonio c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] N.B.J. no 133 (C.A.N-B.) (QL, p. 18).

10Lubet, précité, p. 318.

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T822/7203

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Donna Mowat c. Forces armées canadiennes

DATE ET LIEU

DE L'AUDIENCE :

Le 10 novembre 2003

Toronto (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION

DU TRIBUNAL :

Le 21 novembre 2003

ONT COMPARU :

Jerry W. Switzer

Pour la plaignante

Salim Fakirani

Dan Pagowski

Pour la Commission canadienne des droits de la

personne

Sandra Nishikawa

Derek Allen

Pour l'intimée

DOSSIER DU TRIBUNAL No: T822-7203

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

DONNA MOWAT

la plaignante

-et-

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

-et-

FORCES ARMEÉS CANADIENNES

lntim

EXPOS D'OUVERTURE DE LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Salim Fakirani

Conseiller juridique

Commission canadienne des droits de la personne

344,rue Slater

Ottawa (Ontario) K1A 1E1

T: (613)943-9127

T.: (613)993-3089

DOSSIER DU TRIBUNAL No: T822-7203

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

DONNA MOWAT

la plaignante

-et-

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

-et-

FORCES ARMÉES CANADIENNES

lntim

EXPOS D'OUVERTURE DE LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

La Commission canadienne des droits de la personne reprente en lspe lnt public. Les observations ci-apr sont prents conforment lrticle51 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [la Loi].

Le rle dnt public ultime deCommission canadienne des droits de la personne est de promouvoir lbjet de la Loi canadienne sur les droits de la personne [la Loi], cst--dire donner effet au principe suivant: le droit de tous les individus [...] lgalit des chances dpanouissement [], indendamment des considations fonds sur la race, lrigine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, lge, le sexe, lrientation sexuelle, ltat matrimonial, la situation de famille, la dicience ou ltat de personne graci [...] [article2 de la Loi]

En rum, lnt public fondamental peut re drit comme la promotion de lgalit gre la raration de la discrimination pass et la prention de la discrimination future.

La Commission est dvis que la prente plainte soule dmportants principes en matie de droits de la personne, et nous profitons de lccasion pour passer en revue ces principes. En lspe, le Tribunal est appel examiner la lislation sur les droits de la personne par rapport a) lbligation dn employeur dffrir un milieu de travail exempt de harcement et la responsabilit qui doule de lmission de le faire, et b)au traitement diffentiel davorable accord par un employeur un individu et au refus de continuer de lmployer en raison de son sexe.

DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI

Aux termes de lrticle7 de la Loi, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser dmployer ou de continuer dmployer un individu ou de le davoriser en cours dmploi constitue un acte discriminatoire, sl est fond sur un motif de distinction illicite.

Llin14(1)(c) de la Loi prise que le fait de harceler un individu en matie dmploi constitue un acte discriminatoire, sl est fond sur un motif de distinction illicite. Le paragraphe14(2) dispose que le harcement sexuel est rut re un harcement fond sur un motif de distinction illicite. Par consuent, le cadre statutaire conside le harcement sexuel comme une forme de discrimination sexuelle.

En vertu du paragraphe14.1 de la Loi, le fait, pour la personne vis par une plainte dos, dxercer ou de menacer dxercer des reprailles contre le plaignant constitue un acte discriminatoire.

Selon le paragraphe65(1) de la Loi, lmployeur est responsable des actes discriminatoires commis par ses employ dans le cadre de leur emploi. Le paragraphe65(2) disculpe lmployeur sl ablit que lcte ou lmission a eu lieu sans son consentement, qul a pris toutes les mesures nessaires pour lmpher et que, par la suite, il a tent dn attuer ou dn annuler les effets.

LE HARCLEMENT SEXUEL EN GNRAL

Il ne fait aucun doute que le harcement sexuel est non seulement une prccupation particulie pour les femmes, mais aussi une question dnt public. Il sgit dn phome omniprent dans le milieu de travail, le gouvernement, les oles, les cabinets de droit, la profession micale, lrm, les milieux sportifs et les institutions culturelles. Le harcement, y compris le harcement sexuel, peut crr un climat de travail natif ou hostile qui peut nuire au rendement professionnel de lmploy, faire en sorte qun lui refuse un emploi, une promotion ou une occasion de formation ou me lmener quitter son emploi. Le harcement sexuel en milieu de travail est une atteinte la dignit de la victime et son respect de soi la fois comme employ et comme re humain.

La Cour supre du Canada a reconnu, dans Janzen c. Platy Enterprises [1989] 1 R.C.S. 1252, que les femmes ont droit un milieu de travail exempt dttitudes et de comportements discriminatoires et, de surcrot, qulles peuvent se praloir des vastes recours prus par la lislation sur les droits de la personne en cas de violation de ce droit. Dans lffaire Janzen (prit), deux serveuses staient plaintes dvoir fait lbjet de harcement sexuel de la part dn cuisinier travaillant dans le restaurant du dendeur. Parmi les incidents reproch figuraient des attouchements dlac et des remarques sexistes. Les plaignantes ont allu notamment qun avait menac de mettre fin leur emploi lorsqulles ont rist aux avances sexuelles. MmeJanzen a quitt son emploi apr qun des copropriaires ait refus de faire quoi que ce soit face aux allations. La Cour supre du Canada a confirm la dision de lrbitre initial qui avait conclu que les deux femmes avaient fait lbjet dn harcement sexuel persistant et abusif et qulles avaient victimes de discrimination sexuelle, ce qui allait lncontre de la lislation manitobaine sur les droits de la personne. Lrbitre a accord des dommages-ints exemplaires, indemnis la plaignante de ses pertes salariales et conclu que le cuisinier et lmployeur aient solidairement responsables de la discrimination.

La Cour supre a reconnu que le harcement sexuel peut prendre diverses formes et se manifester tant sur le plan physique que psychologique. Ses formes les moins graves comprennent les insinuations verbales et les marques dffection importunes. Le harcement sexuel peut cependant prendre la forme dn comportement extre comme la tentative de viol ou le viol. Physiquement, il peut sgir dtreintes, dttouchements, de frlements, de pincements ou de regards concupiscents. Psychologiquement, le harcement peut comporter des invitations des rapports physiques intimes qui prennent la forme de sous-entendus et peuvent aller jusquux demandes de rendez-vous et de faveurs sexuelles. [Voir: Janzen c. Platy Enterprises [1989] 1 R.C.S. 1252, par.49]

Le juge en chef Dickson, sxprimant au nom de la Cour, a fourni une dinition non exhaustive du harcement sexuel:

Sans chercher fournir une dinition exhaustive de cette expression, jstime que le harcement sexuel en milieu de travail peut se dinir de fan gale comme ant une conduite de nature sexuelle non sollicit qui a un effet davorable sur le milieu de travail ou qui a des consuences prudiciables en matie dmploi pour les victimes du harcement. Janzen c. Platy Enterprises [1989] 1 R.C.S. 1252, au par.56.

Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne)c. Canada (Forces arms) et Franke, [1999] A.C.F. no757 (1reinst.) (QL), [ci-apr appel Franke], la juge Tremblay-Lamer a appliqu et pris le crite Janzen (prit) servant derminer sl y a eu harcement sexuel. Dans lffaire Franke, la plaignante a allu que lmployeur, les Forces arms canadiennes, avaient exerc son endroit une discrimination, allant ainsi lncontre des articles7 et 14 de la Loi. Elle a prendu que la conduite de ses officiers supieurs crit un milieu de travail hostile et qun sous-officier supieur avait pos des questions au sujet de ses sorties, lui avait fait des gestes suggestifs et lui avait montr une carte postale reprentant une femme aux seins nus. La plaignante a alement allu que le commandant sdressait elle en des termes poratifs.

Dans une dision majoritaire (deux contre un), le Tribunal a conclu que la plaignante nvait pas subi de harcement sexuel et nvait pas fait lbjet dn traitement diffentiel cause de son sexe. La Cour fale a confirm la dision majoritaire du Tribunal, estimant que le Tribunal avait appliqu le crite appropri pour derminer sl y avait eu harcement sexuel et que ses conclusions ntaient pas manifestement daisonnables. Certains ents de preuve donnaient croire que la plaignante ne percevait pas la conduite reproch comme du harcement au moment o elle sst produite. Dans sa dision, la juge Tremblay-Lamer a donn des prisions au sujet du crite Janzen applicable dans le cas dne plainte de harcement sexuel. Deux disions rentes du Tribunal canadien des droits de la personne (Busheyc. Sharma, en date du 5juin2003, et Woiden et autresc. Lynn, en date du 17juin2002) rument de fan succincte les prisions de la juge Tremblay-Lamer au sujet du crite. Dans Woiden et autres, le Tribunal fournit le rum ci-apr:

  1. Les actes qui font lbjet de la plainte doivent avoir non sollicit. Le Tribunal doit par consuent examiner la rction dne plaignante au moment de lncident et aluer si elle a expressent ou par son comportement montr que la conduite ait non sollicit. La Cour reconnat qun refus verbal nst pas exig dans tous les cas, et lmission maintes reprises de rondre aux commentaires suggestifs signale luteur du harcement que sa conduite ait importune. La crainte de perdre son emploi, par exemple, peut inciter une employ supporter un comportement importun. La norme appropri qui doit servir aluer la conduite dne plaignante est celle dne personne raisonnable.
  2. Le comportement doit re de nature sexuelle. Cela comprend une vaste gamme de comportements. Les demandes de faveurs sexuelles et les propositions appartiennent la catorie des actes de nature sexuelle qui constituent une forme de harcement sexuel psychologique. Le harcement sexuel verbal comprend les insultes associs au sexe, les remarques sexistes, les commentaires au sujet de lpparence dne personne, de son habillement ou de ses habitudes sexuelles. Les formes de harcement sexuel physique comprennent le fait de pincer, dmpoigner, dnlacer, dmbrasser ou et de jeter des regards concupiscents. Il a did que les questions persistantes au sujet de la vie sexuelle personnelle dne employ constituent du harcement sexuel. Le Tribunal devrait derminer ce qui est de nature sexuelle en se demandant ce que ferait une personne raisonnable dans les circonstances de lspe, en conservant lsprit les normes sociales de lpoque.
  3. Habituellement, le harcement nessite un ent de persistance ou de rition, mais dans certaines circonstances, un seul incident peut re suffisamment grave pour crr un environnement hostile. La norme objective de la personne raisonnable sert aluer ce facteur galement.
  4. Le dernier facteur est envisag lorsqune plainte est dos contre un employeur au sujet du comportement de ln de ses employ. Lquit exige que, dans de tels cas, la victime du harcement, dans la mesure du possible, informe lmployeur du prum comportement offensant. Ce facteur nst gue pertinent en lccurrence, compte tenu du rlement que les plaignantes ont conclu avec lmployeur avant que lffaire soit renvoy au prent Tribunal. [au par.103]

En ce qui concerne le crite de la personne raisonnable, la Cour dppel fale a statu que, dans les cas de harcement sexuel o la prum victime est une femme, ce crite doit re adapt en consuence (Stadnykc. Canada (Commission de lmploi et de lmmigration) (2000), 38 C.H.R.R. 01290, au par.25 (C.A.F.)). Dans Franke (prit), la juge Tremblay-Lamer prise que, pour derminer comment une personne raisonnable rgirait dans des circonstances similaires, le Tribunal devrait re conscient des normes sttyps au sujet de ce qui constitue une conduite sociale acceptable et tenir compte du contexte de la conduite reproch lorsqul dermine la fan dont la personne raisonnable rgirait dans des circonstances similaires. [Franke, C.F., 1reinst., prit, au par.41]

Dans Swanc. Canada (Forces arms), (1994) 25 C.H.R.R. 0/312 (Trib. can.), au par.73, le Tribunal canadien des droits de la personne a confirm quil nst pas nessaire que le harcement soit la seule raison qui motive les actes donc par le plaignant pour que ce dernier obtienne gain de cause. Il nst pas non plus nessaire que le harcement ait intentionnel de la part de son auteur. En lccurrence, le plaignant ait un canadien drigine autochtone. Il alluait avoir fait lbjet dnsinuations, de farces et de harcement racistes alors qul faisait partie des Forces arms canadiennes.

Le Tribunal a clairement pris que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne prend pas en considation la conduite du plaignant, et me si les plaignants ont particip au comportement rrensible ou lnt provoqu, ils peuvent toujours doser une plainte et obtenir gain de cause . (Swanc. Forces arms canadienne, dision du Tribunal canadien des droits de la personne en date du 18octobre1994, la p.8). Cet onc est conforme lbjet rarateur de Loi. Dans Swan, le Tribunal a admis que des personnes peuvent se sentir incapables de faire autrement que dccepter le comportement en raison de leur dir de sntrer leurs pairs. Jugeant la plainte fond, le Tribunal a ordonn de prenter au plaignant une lettre dxcuses tout en prisant qul ntait pas habilit lndemniser de ses pertes salariales. Toutefois, le Tribunal a pris que, sl avait ce pouvoir, il lurait indemnis de ses pertes salariales correspondant la piode restante de son contrat dmploi jusqu concurrence de quatre ans, dans la mesure o la dur de ladite piode aurait du moins quatre ans au moment de sa libation. Le plaignant avait demand une indemnit salariale portant sur une piode de quatre anns. Le Tribunal a alement fait remarquer que si le plaignant ait rendu au terme de son contrat dmploi, il nccorderait pas dndemnit salariale. Pour trancher cette question, le Tribunal sst demand juste titre si le harcement dont le plaignant avait fait lbjet avait jou dans sa dision de quitter les FAC. En outre, il a fait observer qul ntait pas nessaire que le harcement soit le seul ent ayant contribu la dision de quitter. [Swan, dision du Tribunal, la p.15].

La Commission et le plaignant ont dos une demande de contrle judiciaire portant exclusivement sur le refus dccorder une indemnit pour les pertes salariales. La Section de premie instance de la Cour fale a accueilli la demande. Par consuent, une victime de harcement aux termes de lrticle 14 de la Loi peut re indemnis, en totalit ou en partie, des pertes salariales qulle a subies en raison des actes discriminatoires.

La Loi et la jurisprudence prisent clairement qun employeur est responsable de tous les actes discriminatoires commis par ses employ dans le cadre de leur emploi. Le paragraphe65(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne disculpe lmployeur si lcte a eu lieu sans son consentement, sl a pris toutes les mesures nessaires pour lmpher et que, par la suite, il a tent dn attuer ou dn annuler les effets.

Dans Robichaudc. La Reine, la Cour supre du Canada a fait remarquer que [TRADUCTION] lxistence dne politique contre le harcement sexuel et dn manisme de rlement des plaintes des employ pouvait constituer pour lmployeur un bon moyen de dense et attuer partiellement la responsabilit. La Cour a pris ce qui suit:

[Lemployeur qui, devant une plainte, rgit promptement et efficacement en ablissant un plan destin remier la situation et empher qulle ne se reproduise ne sera pas responsable dans la me mesure, si jamais il lst vraiment, qun employeur qui ndopte pas de telles mesures. Ces questions concernent cependant les consuences en matie de redressement et non pas la responsabilit. [ la p.12]

Faisant rence lrr Robichaud, Aggarwal et Gupta indiquent que la Cour supre informe les employeurs que ce sont leurs faits et gestes, et non leurs paroles, qui sont les ents cl examiner lorsqul sgit de derminer leur responsabilit dans les affaires de harcement sexuel. [Aggarwal, 2000, la p.264.]

Selon le Black Law Dictionary, la diligence raisonnable se dinit comme:

[TRADUCTION]
Le degr de prudence, dctivit et dttention auquel on peut bon droit sttendre de la part dne personne raisonnable et prudente et dont fait habituellement preuve cette personne raisonnable et prudente face une situation donn; ne fait lbjet ducune norme absolue, mais dend des faits propres chaque cas.

Dans l'exercice de toute la diligence raisonnable nécessaire pour empêcher de commettre des actes de harcèlement ou pour atténuer ou contrer leurs effets, l'employeur doit a)priser clairement que le harcement, quelle qun soit la forme, y compris le harcement sexuel, ne saurait re tol; b)ablir une politique contre le harcement qui indique clairement et de fan non uivoque tous les employ que le harcement sexuel est inacceptable et va lncontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne; c)sssurer que chaque employ comprend la politique et les procures destins prenir le harcement ainsi que la procure de rlement des plaintes de harcement sexuel; d)informer les surveillants et les cadres de leur responsabilit dffrir un milieu de travail exempt de harcement; e)faire enque promptement et efficacement sur les allations de harcement et apporter les correctifs voulus, et ce, me sl n a pas eu de plainte en bonne et due forme. daut de prendre sans tarder les mesures correctives voulues, lmployeur sxpose re jug pleinement responsable du harcement sexuel.

En ce qui concerne les manismes de rapport et dnque sur les plaintes, une bonne politique contre le harcement proit pour les plaintes de multiples points de chute aux divers niveaux de lrganisation. Une telle politique permet un employ de recourir au point de chute qui lui convient le mieux, compte tenu de sa situation. Une bonne politique contre le harcement assure que toutes les plaintes seront prises au sieux et traits promptement et uitablement. En outre, une bonne politique contre le harcement renforce le principe selon lequel les personnes qui seront trouvs responsables de harcement sexuel feront lbjet de mesures disciplinaires. Aggarwal propose la mhode dnalyse drite ci-apr pour derminer la gravit de la sanction imposer un employ trouv responsable de harcement sexuel:

[TRADUCTION]
Les mesures disciplinaires vont des rrimandes et avertissements verbaux, pour les infractions les plus les, jusqu la suspension sans solde ou au congiement, pour les infractions les plus graves. Si lmployeur dide qune mutation smpose, il devrait muter luteur du harcement plutt que la victime. Cependant, avant de dider de la mesure disciplinaire appropri, lmployeur devrait tenir compte de divers facteurs: la nature de la conduite, la persistance de celle-ci, le dir de luteur du harcement de collaborer et de smender, etc.[Aggarwal, Arjun et Madhu Gupta, Sexual Harassment in the Workplace, 3e.(Markham (Ontario): Butterworths Canada Ltd.: 2000, la p.457)

Dans Gervaisc. Canada (Agriculture Canada), [1988] D.C.D.P. no8 (Tribunal dppel des droits de la personne) (QL), un tribunal dppel des droits de la personne, se fondant sur lrr Robichaud (prit), a conclu que lmployeur, Agriculture Canada, ait responsable des actes de harcement sexuel commis par un de ses employ. En lccurrence, la plaignante alluait que son milieu de travail portait atteinte la dignit des femmes. Des toignages prent ludience ont r que des revues aient laisss dans des tiroirs de pupitres et que les murs aient orn dffiches choquantes et de mauvais got. Bien qul se soit inqui de lllation de la plaignante selon laquelle le climat de travail ait empoisonn, le tribunal dppel sst dit convaincu qul y avait bel et bien eu harcement sexuel et que lrticle7 de la Loi avait enfreint. Sur la foi de lrrr Robichud, il a conclu que lmployeur, Agriculture Canada, ait responsable de la conduite de son employ. Le tribunal, dans le cadre de son examen de la conduite de lmployeur par rapport lttuation des dommages, a formul les remarques importantes qui suivent:

  1. Bien qul y ait eu une enque approfondie et exhaustive de cet incident, par les reprentants syndicaux, par les autorit policies et par les enqueurs sous la direction de J.J.Cartier, la dision finale est de ne pendre aucune mesure. [...]
  2. Les griefs de lppelante [plaignante] ont nessit un long et laborieux examen un moment o elle ait sous lffet dn stress physique et otif tr fort et se faisait suivre par un mecin. La demande de mutation fut le comble de lberration bureaucratique. Nous convenons avec le tribunal de premie instance qul est difficilement concevable que le ministe ait pris toute mesure raisonnable pour faciliter cette mutation. [Gervais (prit)]

Le tribunal dppel a conclu que les mesures prises par Agriculture Canada la suite des actes qui constituaient le harcement sexuel aient inefficaces et peu concluantes et il a maintenu que lmployeur ait responsable des pertes salariales et du prudice moral subis par la plaignante.

La jurisprudence prise clairement que lmployeur, pour iter dtre trouv responsable, doit rgir promptement et efficacement et mener une enque pertinente et approfondie sur lbjet de la plainte tout en traitant la plaignante avec beaucoup dgards. (Voir Swan (prit) la p.14; Hindsc. Canada (C.E.I.C.) (1988),24 C.E.I.C. 65; Pitawanakwatc. Secrariat dtat (1992),19 C.H.R.R. C/10 (port en appel pour dutres motifs)).

En conclusion, il est important de priser que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne renferme aucune disposition permettant dllouer les dens un intim la suite dne dense rssie. Conforment au paragraphe53(1), le Tribunal rejette la plainte sl estime qulle nst pas fond. Cependant, dans le cas contraire, le paragraphe53(2) confe au Tribunal le pouvoir dccorder divers redressements (rntration dans lmploi, indemnit pour pertes salariales, attribution des frais engag, indemnit pour prudice moral, indemnit spiale, etc.). La jurisprudence rente du Tribunal re que ce dernier a accord les frais juridiques engag par les plaignantes qui ont eu gain de cause.

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