Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

RICHARD HARKIN ET AUTRES

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

PROCUREUR GÉNÉRAL (CANADA)

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE

2009 TCDP 6
2009/02/18

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

[1] Le 27 novembre 2001, Richard Harkin a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) au nom d'un groupe d'employés de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique (la CRTFP), telle qu'elle était alors désignée. Dans sa plainte, il allègue qu'un acte discriminatoire au sens des articles 10 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) a été commis.

[2] Dans leur plainte fondée sur l'article 10 de la Loi, les plaignants soutiennent que le Conseil du Trésor (le CT) et la CRTFP ont commis un acte discriminatoire en refusant aux plaignants les rajustements visant la parité salariale qui ont été accordés aux employés du noyau de la fonction publique faisant partie des mêmes groupes professionnels qu'eux. Les rajustements ont été accordés aux employés du noyau de la fonction publique à la suite d'une décision et d'une ordonnance sur consentement rendues par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) en 1998 et en 1999.

[3] Dans leur plainte fondée sur l'article 11 de la Loi, les plaignants soutiennent que le CT et la CRTFP ont commis un acte discriminatoire à leur égard en pratiquant la disparité salariale entre les employés, dans un même établissement, qui exécutent des fonctions à prédominance féminine et ceux qui exécutent des fonctions à prédominance masculine, fonctions de valeur égale, ce qui constitue une violation de l'article 11 de la Loi.

[4] Le 22 septembre 2008, les plaignants et la Commission ont avisé le Tribunal et l'intimé qu'ils s'étaient désistés de la plainte de discrimination salariale fondée sur l'article 11, mais qu'ils poursuivaient la plainte fondée sur l'article 10.

[5] Le 14 novembre 2008, l'intimé a déposé une requête en vue d'obtenir une ordonnance rejetant la totalité de la plainte au motif que les plaignants n'avaient présenté aucune preuve prima facie de discrimination au sens de l'article 10 de la Loi, ni dans leur exposé des précisions, ni dans leur nouvel exposé des précisions. L'intimé soutenait également que la plainte n'avait évidemment aucune chance d'être accueillie et constituait un abus de procédure.

[6] Le 20 novembre 2008, la Commission a déposé une requête visant à modifier la plainte afin d'ajouter l'allégation selon laquelle la décision du CT de refuser aux plaignants les rajustements visant la parité salariale violait l'article 7 de la Loi. Cette requête et la requête en rejet de la plainte ont été entendues ensemble le 18 décembre 2008, de même que les observations supplémentaires présentées en janvier 2009.

Les faits

[7] Selon la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (la LRTFP, qui est maintenant devenue la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique), tous les employés de la fonction publique sont au service de Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Le CT représente Sa Majesté la Reine du chef du Canada en tant qu'employeur des secteurs de l'administration publique fédérale prévus à la partie I de l'annexe I de la LRTFP. Quant aux employés des secteurs de l'administration publique fédérale prévus à la partie II de l'annexe I de la LRTFP, les représentants de Sa Majesté la Reine du chef du Canada sont les employeurs distincts qui y sont énumérés; la CRTFP figure parmi ces employeurs distincts.

[8] Les plaignants soutiennent que, même si la CRTFP jouit censément d'un certain degré d'autonomie en raison de son statut d'employeur distinct, le CT et le gouverneur en conseil ont, par le passé, exercé un grand contrôle sur les pouvoirs des organismes distincts et les mesures qu'ils prennent, particulièrement en ce qui a trait à leurs employés. Plus précisément, les plaignants affirment que la CRTFP ne peut pas modifier indépendamment les modalités, y compris les taux de salaire et les avantages, qui s'appliquent à leurs employés. Elle peut seulement apporter de telles modifications si elles sont expressément autorisées par le CT et/ou le gouverneur en conseil.

[9] Les plaignants soutiennent que les outils d'évaluation des emplois et les taux de salaire en place à la CRTFP ont été établis volontairement de manière à concorder, dans l'ensemble, avec les structures salariales établies par le CT pour le noyau de la fonction publique.

[10] En 1984, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'AFPC) a déposé une plainte auprès de la Commission dans laquelle elle alléguait que le CT exerçait de la discrimination salariale au sens des articles 10 et 11 de la Loi quant à la rémunération des employés du groupe professionnel Commis aux écritures et règlements (CR) du noyau de la fonction publique. Le 29 juillet 1998, le Tribunal a accueilli la plainte. Le Tribunal a ordonné que des rajustements salariaux rétroactifs au 8 mars 1985 soient accordés, les rajustements visant la parité salariale devenant une composante intégrale de la rémunération. Le calcul exact des écarts salariaux et les paiements dus à la suite de cette décision ont, en fin de compte, été fixés par une ordonnance sur consentement du Tribunal datée du 6 novembre 1999.

[11] L'ordonnance sur consentement prévoyait des paiements forfaitaires, rétroactifs à mars 1985, aux employés du noyau de la fonction publique dont l'employeur était le CT ainsi que des rajustements salariaux à compter du 1er avril 1990.

[12] D'autres plaintes relatives à la parité salariale concernant des employés du groupe de gestion du personnel (PE) et du groupe Bibliothéconomie (LS) du noyau de la fonction publique ont été réglées.

[13] Par suite de la résolution des plaintes susmentionnées, le CT a annoncé que les employés du noyau de la fonction publique recevraient des paiements forfaitaires à titre de rajustement paritaire visant à corriger la rémunération inéquitable. Le CT a ensuite autorisé les employeurs distincts, entre autres, la CRTFP, à accorder des paiements équivalents à leurs employés, y compris les plaignants. Le CT a avisé les employeurs distincts qu'il se chargerait des paiements jusqu'à ce qu'ils achèvent leur propre étude sur la parité salariale ou jusqu'au 31 mars 1992, soit la première de ces éventualités.

[14] La CRTFP n'a mené aucune étude sur la parité salariale. Les plaignants et la Commission soutiennent que la CRTFP ne pouvait pas procéder à une étude parce qu'elle n'avait pas de groupe professionnel comparatif composé d'hommes, comme le prescrit l'article 11 de la Loi. Les plaignants et la Commission affirment que la CRTFP a demandé au CT d'accorder aux employés de la CRTFP les mêmes paiements visant la parité salariale qui avaient été accordés aux employés du noyau de la fonction publique plutôt que d'exiger la réalisation d'une étude sur la parité salariale. Il est allégué que le CT a refusé cette proposition.

[15] Les plaignants soutiennent également que, bien que la discrimination salariale fondée sur le sexe ait été corrigée pour les employés du noyau de la fonction publique de certains groupes professionnels, la discrimination salariale dont sont victimes depuis longtemps les employés de la fonction publique au service de la CRTFP se poursuit. Plus particulièrement, étant donné que les employés de la CRTFP sont assujettis aux mêmes politiques de classification et autres politiques que leurs homologues du noyau de la fonction publique, et que ces employés ont été rémunérés par le passé à des taux de salaire semblables aux taux payés à leurs homologues du noyau de la fonction publique, les plaignants affirment que l'intimé a commis un acte discriminatoire au sens de l'article 10 de la Loi en continuant de refuser aux employés de la CRTFP les mêmes rajustements salariaux accordés aux employés du noyau de la fonction publique.

[16] L'intimé soutient que la plainte ne révèle pas les éléments nécessaires pour l'établissement d'une preuve prima facie de discrimination au sens de la Loi. Selon l'intimé, il est manifeste et évident, à cette étape de la procédure, que la plainte ne sera pas accueillie et constitue un abus de procédure. Il demande que la plainte soit rejetée sans instruction.

[17] La Commission et les plaignants déclarent que la requête de l'intimé est sans fondement puisqu'il n'est pas manifeste et évident que la plainte n'a aucune chance d'être accueillie. La plainte soulève des questions sérieuses de fait et de droit. Par conséquent, ils font valoir qu'il n'est pas convenable de rejeter la plainte à cette étape de la procédure.

Analyse

[18] Une requête en rejet d'une plainte relative aux droits de la personne sans la tenue d'une audience au motif que les plaignants et la Commission n'avaient présenté aucune preuve prima facie de discrimination dans leurs exposés des précisions constitue une requête inhabituelle. Bien que des demandes semblables aient été présentées dans de nombreuses autres affaires, pour autant que je sache, le Tribunal n'a jamais rejeté une plainte au motif que les allégations ou les exposés des précisions ne révèlent aucune preuve de discrimination sans entendre de témoignages. Il y a certainement des cas où le plaignant a présenté sa cause à une audience et que l'intimé a par la suite déposé une requête de non-lieu; voir Filgueira c. Garfield Container Transport, 2005 TCDP 32; Fahmy c. Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, 2008 TCDP 12; Dokis c. Bande indienne de Dokis, [1995] D.C.D.P. no 15. Cependant, en l'espèce, l'intimé a déposé sa requête et a demandé qu'une décision soit rendue avant que les plaignants et la Commission aient eu la chance de présenter leur cause.

[19] L'intimé n'a invoqué aucune jurisprudence établissant que le Tribunal a le droit de rejeter une plainte lorsque les exposés des précisions ne révèlent aucune preuve prima facie de discrimination. Les sources invoquées par l'intimé pour fonder le rejet de la plainte pour ce motif concernaient des tribunaux qui avaient fondé leur décision sur leur pouvoir inhérent de suspendre des actions ainsi que sur les Règles des procédures civiles applicables; voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Dawson c. Rexcraft Storage (1998), 164 D.L.R. (4th) 257 (C.A. Ont.); Prentice c. Canada, 2005 CAF 395; Grinshpun c. Canada, 2001 CFPI 1252; Leblanc c. Canada, 2003 CFPI 776.

[20] Le Tribunal, en tant qu'organisme créé par une loi, ne possède que les pouvoirs qui lui sont conférés par sa loi habilitante, soit la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il n'a ni le pouvoir légal ni le pouvoir inhérent de rejeter une affaire sans tenir d'audience au motif que la plainte ne révèle aucune preuve prima facie de discrimination. Par contre, le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique possède le pouvoir légal explicite de rejeter une plainte sans tenir d'audience lorsqu'il n'y a aucune chance raisonnable que la plainte soit accueillie (alinéa 27(1)c) du Human Rights Code (code des droits de la personne) de la Colombie-Britannique).

[21] Il est vrai que, dans Cremasco et al. c. Société canadienne des postes, Décision no I, 2002/09/30 (confirmée par Canada (Commission des droits de la personne) c. Société canadienne des postes, 2004 CF 81), la Cour fédérale a confirmé le pouvoir du Tribunal, en tant que maître de ses propres procédures, de prévenir l'abus de ces procédures en rejetant une affaire vieille de huit ans qui avait déjà fait l'objet de deux arbitrages et d'une plainte distincte devant la Commission (Cremasco, au paragraphe 14). Cependant, même si la Cour fédérale a confirmé la décision du Tribunal dans ces circonstances, cela ne permet pas de conclure que le Tribunal a le pouvoir de rejeter des plaintes au motif que les exposés des précisions ne révèlent aucune preuve prima facie. À mon avis, si le législateur avait voulu que le Tribunal exerce ce que l'on pourrait essentiellement considérer comme une deuxième fonction d'examen préalable à la suite de la décision initiale de la Commission en vertu de l'alinéa 41(1)d) de la Loi, il lui aurait confié le pouvoir légal explicite de le faire.

[22] Il ne faut pas non plus oublier que le paragraphe 50(1) de la Loi accorde aux parties la possibilité pleine et entière de présenter des éléments de preuve et des observations sur les questions soulevées dans la plainte. J'admets que le juge von Finckenstein, dans Cremasco, a déclaré que, dans les cas où il est évident que les parties ont, en effet, été entendues dans le cadre d'une autre instance, le Tribunal a le droit de rejeter la plainte sans tenir d'audience. Toutefois, le Tribunal fait preuve d'une grande prudence avant de rejeter une plainte pour ce motif; voir Association des employé(e)s de télécommunication du Manitoba inc. et al. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 26; O'Connor c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 5. Il doit être clair que les parties ont véritablement été entendues et que les questions en litige ont été tranchées définitivement dans le cadre de l'autre instance.

[23] De plus, le Tribunal a conclu que, lorsqu'il est évident que le retard accusé dans le dépôt d'une plainte auprès du Tribunal donnerait lieu à un déni de justice naturelle si la plainte était entendue, il peut alors rejeter une plainte sans tenir d'audience; voir Grover c. Conseil national de recherches du Canada, 2009 TCDP 1.

[24] Par conséquent, dans des circonstances précises, comme celles susmentionnées, le Tribunal peut être justifié de rejeter une plainte dès les étapes préliminaires. Les questions en litige dans la présente affaire ont-elles été tranchées définitivement dans le cadre d'une autre instance dans la mesure où le fait de les réentendre constituerait un abus de procédure? Il est évident que la réponse est non. L'audition de la présente affaire donnera-t-elle lieu à un déni de justice naturelle? Aucune allégation à cet égard n'a été formulée. Par conséquent, je juge que le Tribunal n'a pas le pouvoir de rejeter la plainte à cette étape de la procédure.

[25] Par contre, même si le Tribunal avait le pouvoir de rejeter la plainte sans tenir d'audience au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable, j'estime que la présente affaire ne répond pas au critère qui s'applique.

[26] Le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans Hunt c. Carey est le suivant : En présumant qu'il est possible de prouver les faits allégués dans la déclaration, est-il manifeste et évident que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d'action raisonnable? Ce n'est que si l'action est vouée à l'échec parce qu'elle contient un vice fondamental ne pouvant pas être rectifié par une ordonnance de communication de précisions, une modification ou un autre changement que l'action devrait être radiée; voir Hunt c. Carey, précité, à la page 24.

[27] Dans AFPC c. Canada, la Cour fédérale a rejeté une requête en radiation d'une action fondée sur la Charte dans des circonstances factuelles semblables à celles en l'espèce. En rejetant la requête, la Cour fédérale a souligné qu'une demande ne doit pas être rejetée lorsque la règle juridique est naissante ou demeure flottante, ou encore, lorsque la décision au fond requiert une appréciation des faits et une conclusion; voir AFPC c. Canada, [2002] 1 C.F. 342.

[28] L'analyse des arguments de l'intimé pour la radiation de la plainte est présentée ci-après.

Les chances d'emploi ou d'avancement

[29] L'alinéa 10a) de la Loi prévoit ce qui suit : Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu, le fait, pour un employeur, de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite.

[30] L'intimé fait valoir que les paiements réclamés par les plaignants constituent essentiellement des salaires. Selon l'intimé, il est manifeste et évident que l'expression chances d'emploi ou d'avancement ne comprend pas les salaires. Je n'accepte pas l'assertion de l'intimé.

[31] À mon avis, le droit sur ce point n'est pas encore bien établi. Dans Stevenson c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 F.C. 691, le juge McQuaid a fait savoir, dans une remarque incidente, que l'expression chances d'emploi ou d'avancement concerne l'engagement, la formation et les promotions. Pour ce motif, il estimait que le départ à la retraite ne devrait pas être considéré comme une chance d'emploi ou d'avancement au sens de l'article 10. Le juge Marceau a adopté le même point de vue (également dans une remarque incidente) dans Canada (Procureur général) c. Mossop, [1991] 1 C.F. 18, quant à la question de savoir si le congé de deuil constitue un [traduction] avantage en matière d'emploi. Vu que le congé de deuil n'avait pas d'incidence sur l'engagement, la formation et les promotions, le juge Marceau a jugé qu'il ne s'agissait pas d'une chance d'emploi ou d'avancement au sens de l'article 10. En appel, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont refusé de commenter ce point. Toutefois, la juge L'Heureux-Dubé (dans des motifs dissidents, mais ne portant pas expressément sur ce point) a affirmé que, d'après l'objet de la Loi et les preuves présentées, il était raisonnable que le Tribunal conclue que le congé de deuil constituait une chance d'emploi ou d'avancement au sens de l'article 10 de la Loi.

[32] Non seulement l'opinion des juges des cours supérieures est contradictoire sur la question de savoir si une chance d'emploi ou d'avancement se limite à l'engagement, à la formation et aux promotions, mais encore aucune des décisions susmentionnées ne portait expressément sur la question de savoir si les salaires et les avantages constituent des chances d'emploi ou d'avancement. Par conséquent, il est impossible d'affirmer que le droit sur la question de savoir si les salaires et les avantages constituent une chance d'emploi ou d'avancement est établi.

[33] De plus, même s'il existe de nombreuses décisions du Tribunal dans lesquelles les membres ont conclu que l'article 10 s'appliquait aux conditions qui permettent l'emploi et ont des effets sur l'avancement d'une personne dans son travail, ces décisions n'excluent pas irréfutablement la possibilité que les salaires et les avantages puissent, dans certaines circonstances, constituer des chances d'emploi ou d'avancement; voir Walden et al. c. Canada (Développement social) et al., 2007 TCDP 56; Hay c. Cameco [1991] D.C.D.P. no 5; no T.D. 5/91; Green c. Canada (Commission de la fonction publique), [1998] D.C.D.P. no T.D. 6/98; Gauthier c. Forces armées canadiennes, [1989] D.C.D.P. no 3; O'Connell c. Société Radio-Canada, [1988] D.C.D.P. no 9; no T.D. 9/88). Il importe également de mentionner que les décisions du Tribunal ne lient pas les autres membres du Tribunal. Par conséquent, il est impossible d'affirmer que le droit sur ce point est établi et a force obligatoire dans la mesure où il est manifeste et évident que les plaignants ne réussiront pas à établir que les paiements constituent une chance d'emploi ou d'avancement.

[34] Enfin, les plaignants font valoir que leur demande ne concerne pas uniquement les salaires; ils soutiennent que le refus d'examiner pleinement la parité salariale au sein de la CRTFP a donné lieu à l'application d'outils d'évaluation des emplois discriminatoires dans ce milieu de travail. Les plaignants veulent avoir la possibilité d'avancer l'argument selon lequel ils ont été privés d'une chance d'emploi ou d'avancement, même dans un sens plus restreint de cette expression. Il n'est pas manifeste et évident que cet argument sera rejeté au point de refuser aux plaignants de le présenter.

Le lien avec un motif de distinction illicite

[35] L'intimé fait valoir qu'il est manifeste et évident que les plaignants ne réussiront pas à établir que sa décision de leur refuser les paiements était fondée sur le sexe. Il avance deux arguments à cet égard.

[36] Premièrement, selon l'intimé, les actes discriminatoires reprochés établissent une distinction entre les employés du noyau de la fonction publique et ceux de la CRTFP fondée sur l'emploi de la personne, ce qui ne constitue pas un motif de distinction illicite.

[37] La plainte fondée sur l'article 11, qui a résulté en une ordonnance du Tribunal et à un règlement à l'amiable, a été déposée contre le CT en tant qu'employeur et, dans cette plainte, il était allégué que la rémunération des groupes à prédominance féminine et des groupes à prédominance masculine du noyau de la fonction publique qui exécutent des fonctions équivalentes était inéquitable. Les plaignants n'étaient pas des parties à la plainte et étaient exclus du règlement à l'amiable parce qu'ils n'étaient pas des employés du noyau de la fonction publique.

[38] Deuxièmement, l'intimé soutient que, même si l'on présumait que les employés de la CRTFP étaient au service du CT pour les besoins des droits de la personne, comme le prétendent les plaignants et la Commission, la différence de traitement entre eux et les employés du noyau de la fonction publique n'est quand même pas fondée sur le sexe. L'article 11 de la Loi prévoit ce qui suit : Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

[39] Dans la présente affaire, l'intimé affirme que les employés du noyau de la fonction publique et ceux de la CRTFP travaillent dans des établissements différents.

[40] En ce qui concerne le premier argument avancé, je reprendrais simplement les propos de la protonotaire Aronovitch dans Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada, 2001 CFPI 890, au paragraphe 31. Cette affaire portait sur une requête, déposée par le même intimé qu'en l'espèce, en radiation de la déclaration des plaignants dans laquelle ils font valoir que l'intimé, en leur refusant les mêmes rajustements visant la parité salariale que ceux accordés aux employés du noyau de la fonction publique, n'a pas respecté leur droit à l'égalité en vertu de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. En examinant l'argument quant au fondement de la différence de traitement, la protonotaire Aronovitch a déclaré que la nature de la relation entre le CT et les employeurs distincts, le niveau de l'influence ou du contrôle, la configuration des rémunérations, le cas échéant, requièrent des conclusions de fait. L'identité de l'employeur véritable ou ultime soulève une grave question de droit, qui revêt une importance générale, et dont il n'est pas aisé de disposer sommairement dans le contexte d'une requête en rejet.

[41] Je conclus que les mêmes considérations s'appliquent en l'espèce. L'identité de l'employeur est une question fondamentale dans l'affaire des plaignants et il s'agit en grande partie d'une conclusion de fait qui doit être tirée sur le fondement d'un dossier de preuve complet.

[42] Quant au deuxième argument de l'intimé, j'ai l'impression qu'une décision de refuser des rajustements visant la parité salariale au motif qu'ils ne sont pas exigés par l'article 11 de la Loi n'empêche pas l'application de l'article 10 aux faits en cause. L'article 10 prévoit ce qui suit : Constitue un acte discriminatoire, s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite. Cet article ne vise pas seulement les employées et les employés qui travaillent dans le même établissement; il s'applique à un employeur. Par conséquent, les plaignants et la Commission peuvent tenter d'établir que le CT, en tant que l'employeur véritable des employés de la CRTFP, a appliqué des salaires et des systèmes d'évaluation des emplois qui sont discriminatoires pour des motifs fondés sur le sexe.

La ligne de conduite ou l' entente

[43] L'intimé soutient que la décision de ne pas élargir les modalités d'une ordonnance du Tribunal ou d'un règlement à l'amiable ne constitue pas une ligne de conduite ou une entente au sens que donne l'article 10 à ces termes. De plus, selon l'intimé, la décision de refuser les paiements n'a pas la nature répétitive et prospective d'une ligne de conduite.

[44] La position des plaignants sur la nature de la ligne de conduite contestée semble avoir changé au fil du temps. Au début, dans leur exposé des précisions établi conjointement avec la Commission, les plaignants ont déclaré que la ligne de conduite contestée était la décision de leur refuser les paiements. Toutefois, dans leur réponse à la requête en radiation, les plaignants ont affirmé que le fondement de leur plainte était la décision de leur refuser les mêmes rajustements salariaux que ceux accordés aux employés du noyau de la fonction publique. Ce refus constituait un acte discriminatoire parce que les systèmes d'évaluation des emplois et les taux de salaire qui s'appliquent aux employés de la CRTFP avaient été conçus en fonction de normes ayant déjà donné lieu à de la discrimination fondée sur le sexe. Ce sont ces lignes de conduite, dans leur ensemble, qui, selon les plaignants, sont discriminatoires.

[45] Ainsi formulée, la position des plaignants sur la ligne de conduite représente un argument inédit qui ne peut pas être rejeté à cette étape de la procédure.

[46] De plus, certaines questions de fait, comme le niveau de l'influence du CT sur les salaires et les systèmes de classification de la CRTFP ainsi que le motif permettant de refuser les paiements aux plaignants, doivent être tranchées avant qu'il soit possible de tirer une conclusion à cet égard. Pour cette raison également, il ne convient pas de rejeter la plainte à cette étape préliminaire.

[47] La position de la Commission sur la ligne de conduite contestée demeure un peu confuse. Dans son exposé des précisions modifié qu'elle a déposé le 18 décembre 2008 - soit la date à laquelle la requête a été entendue - la Commission a déclaré ce qui suit : [traduction] La ligne de conduite contestée est la décision du CT et/ou de la CRTFP de refuser aux plaignants les augmentations salariales rétroactives visant la parité salariale qui ont été accordées aux groupes professionnels pertinents du noyau de la fonction publique, et ce, malgré le fait que les systèmes de classification des emplois et les taux de salaire qui s'appliquent aux plaignants reproduisent ceux ayant déjà donné lieu à de la discrimination fondée sur le sexe dans le noyau de la fonction publique.

[48] La question à trancher est donc de savoir si la ligne de conduite contestée, du point de vue de la Commission, comprend uniquement la décision de refuser les paiements aux plaignants ou, comme le prétendent les plaignants, comprend à la fois ce refus et l'application de taux de salaire et de systèmes de classification des emplois qui sont censément discriminatoires. S'il s'agit uniquement de la décision de refuser les paiements, dans quelle mesure cela peut-il constituer une ligne de conduite?

[49] Néanmoins, le manque de clarté quant aux précisions de la Commission ne signifie pas que la requête en rejet devrait être accueillie. Comme je l'ai mentionné précédemment, il n'est pas manifeste et évident que la manière la plus récente dont les plaignants ont formulé la ligne de conduite sera rejetée. Cependant, la Commission doit éclaircir son point de vue ou risquer l'application du paragraphe 9(3) des Règles de procédure du Tribunal.

[50] Par conséquent, même si la requête en radiation de la plainte est rejetée, j'accueillerai la demande de l'intimé d'ordonner aux plaignants de fournir des précisions supplémentaires afin de clarifier les questions à trancher en l'espèce. La Commission et les plaignants doivent donc répondre aux questions a à f de la demande de précisions de l'intimé qui figurent dans ses observations datées du 9 janvier 2009 relatives à la modification visant à ajouter une allégation fondée sur l'article 7. Les documents présentés à ce jour contiennent suffisamment de détails pour répondre à la question g. Il n'y a pas lieu de demander d'autres précisions sur cette question.

La requête visant à modifier la plainte afin d'ajouter une allégation fondée sur l'article 7

[51] Le 20 novembre 2008, la Commission a déposé une requête visant à modifier la plainte afin d'ajouter l'allégation selon laquelle la décision du CT de refuser aux plaignants les rajustements visant la parité salariale violait l'article 7 de la Loi. L'alinéa 7b) prévoit ce qui suit : Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de défavoriser un individu en cours d'emploi. Les plaignants ont consenti à cette requête.

[52] La Commission fait valoir que la modification proposée est fondée sur les mêmes faits allégués dans la plainte fondée sur l'article 10. La Commission et les plaignants estiment donc que la modification proposée ne constitue pas une nouvelle plainte; elle permet simplement d'assurer que la plainte cadre avec les faits de l'affaire et les questions soulevées dans la plainte. Ils soutiennent que la modification proposée ne causera aucun préjudice à l'intimé. La Commission a présenté un exposé des précisions modifié en décembre 2008, qui contenait des précisions sur la modification visant à ajouter une allégation fondée sur l'article 7.

[53] Par contre, l'intimé fait valoir que, de par la modification qu'elle propose, la Commission soulève de nouvelles allégations de fait qui lui sont préjudiciables pour les raisons suivantes : elles entraînent des questions nouvelles et imprévues, elles ne sont pas suffisamment précises pour établir prima facie une violation de l'article 7 et elles ne permettent pas à l'intimé de connaître les arguments qu'il doit réfuter.

[54] Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que les conditions permettant d'autoriser une modification ont été remplies en l'espèce. La modification proposée découle des mêmes circonstances factuelles que la plainte fondée sur l'article 10. Aucun préjudice ne sera causé à l'intimé puisque la modification a été proposée longtemps avant la tenue de l'audience.

Le droit

[55] Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire d'autoriser des modifications aux plaintes initiales pour autant qu'un préavis suffisant soit donné à l'intimé de sorte qu'il ne subisse aucun préjudice et puisse se défendre de façon appropriée. Cependant, lorsque la modification proposée découle d'un ensemble de faits différents dans la mesure où la plainte constitue une nouvelle plainte et excède le cadre du renvoi, le Tribunal n'a pas compétence pour se prononcer sur cette modification; voir Société du Musée canadien des civilisations c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2006 CF 704, aux paragraphes 40, 50 et 52.

[56] L'intimé fait valoir que les précisions fournies en décembre soulèvent des faits nouveaux, entre autres, une nouvelle allégation portant sur la question de l'établissement, et changent ainsi la nature de la plainte devant le Tribunal. Dans son exposé des précisions présenté en décembre, la Commission a soutenu que la CRTFP et le noyau de la fonction publique font partie du même établissement.

[57] L'intimé affirme que, en avançant cette assertion, la Commission soutient effectivement que le CT et les autres parties ont violé l'article 11 lorsqu'ils ont exclu les employés de la CRTFP du règlement de la plainte fondée sur l'article 11 qui concernait le CT et les fonctionnaires du noyau de la fonction publique. Il s'agirait alors d'une nouvelle plainte, ou encore, la nature de la plainte devant le Tribunal serait changée d'une manière radicale.

[58] Rien n'indique que la Commission ou les plaignants ont l'intention de réorienter leur plainte de la façon affirmée par l'intimé. L'assertion de la Commission selon laquelle le CT et la CRTFP font partie du même établissement n'entraîne pas non plus le changement de la nature de la plainte proposé par l'intimé. La plainte fondée sur l'article 11 a été retirée. Par conséquent, il n'existe aucun fondement à l'argument de l'intimé.

[59] L'intimé soutient également que la modification visant à ajouter une allégation fondée sur l'article 7 ne devrait pas être autorisée étant donné qu'il est manifeste et évident que la plainte sera rejetée parce que les plaignants et la Commission n'ont établi aucun groupe comparatif composé d'hommes. L'intimé affirme qu'il est nécessaire de préciser un groupe comparatif composé d'hommes afin d'établir une plainte de discrimination fondée sur l'article 7.

[60] Dans Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et Stony Point, 2004 TCDP 2, le Tribunal a déclaré qu'une modification visant à ajouter une allégation de représailles doit être autorisée, à moins qu'il soit manifeste et évident que les allégations faisant l'objet de la demande de modification ne sauraient être jugées fondées. En considérant une telle modification, le Tribunal ne s'engagera pas dans un examen approfondi du bien-fondé de la modification. Ce genre d'examen devrait être fait uniquement au regard de l'ensemble de la preuve, au terme d'une audience en bonne et due forme.

[61] Les plaignants considèrent que le traitement défavorable qu'ils prétendent avoir subi était le fait que la rémunération qu'ils recevaient, et qu'ils reçoivent encore aujourd'hui, est fondée sur des taux de salaire et des systèmes de classification ayant été jugés discriminatoires pour des motifs fondés sur le sexe dans la plainte du CT sur la parité salariale. La Commission affirme que, s'il est nécessaire d'établir un groupe comparatif composé d'hommes, il est donc sous-entendu dans la déclaration précédente que le groupe comparatif composé d'hommes constitue les classifications à prédominance masculine auxquelles étaient comparées les classifications à prédominance féminine du noyau de la fonction publique dans le dossier de parité salariale du CT.

[62] Pour les besoins de la présente affaire, il n'est pas nécessaire de déterminer si un groupe comparatif doit être précisé ou non, et si un tel groupe doit être établi, de déterminer si le groupe comparatif approprié a été précisé. Il s'agit d'une question qui sera tranchée sur le fondement d'un dossier de preuve complet. Dans le contexte de la présente requête, je suis d'avis qu'il n'est pas manifeste et évident que la modification proposée n'a aucune chance d'être accueillie pour le seul motif que le groupe comparatif approprié n'a pas été établi.

[63] Enfin, l'intimé se plaint que les observations au sujet de la nature de l'acte discriminatoire en cause dans la plainte fondée sur l'article 7 sont tellement nombreuses qu'il ne sait pas exactement quels arguments il doit réfuter. Il subira alors un préjudice si la modification est autorisée. Sauf votre respect, je crois que bon nombre des différentes caractérisations de l'acte discriminatoire reproché, dont l'intimé fait mention dans le paragraphe 28 de ses observations écrites datées du 9 janvier 2009, ont maintenant été éclaircies et constituent des composantes ou des expressions différentes de l'allégation complète des plaignants. Cette allégation est la suivante : la décision du CT et/ou de la CRTFP de leur refuser les rajustements visant la parité salariale accordés à la suite de l'ordonnance sur consentement et du règlement du groupe PE de 1999 a donné lieu à l'application d'une structure salariale et classificatoire au sein de la CRTFP qui a été jugée discriminatoire dans un autre contexte. Par conséquent, les plaignants ont censément été assujettis à une structure salariale et classificatoire discriminatoire.

[64] Il y aurait lieu de déterminer si l'allégation au sujet de l'exigence du CT selon laquelle la CRTFP doit mener sa propre étude sur la parité salariale, malgré le fait que la CRTFP n'a aucun groupe comparatif composé d'hommes, fait partie du traitement défavorable reproché. Cependant, à l'exception de ce dernier point, je ne vois aucune incertitude quant aux arguments que l'intimé doit réfuter. Par conséquent, la modification proposée ne causerait aucun préjudice à l'intimé.

[65] Enfin, l'intimé affirme que les précisions sur la modification proposée visant à ajouter une allégation fondée sur l'article 7 étaient insuffisantes. Il subirait un préjudice si une modification pour laquelle si peu de précisions ont été données était autorisée. J'accepte l'argument des plaignants qu'il n'est pas obligatoire d'obtenir toutes les précisions sur une modification avant de l'autoriser. En l'espèce, suffisamment de précisions ont été fournies sur la modification proposée pour permettre au Tribunal de déterminer s'il y a lieu de l'autoriser.

[66] L'intimé a demandé qu'un exposé complet des précisions soit présenté en ce qui concerne la plainte fondée sur l'article 7, dans l'éventualité où la modification serait autorisée. Dans son exposé des précisions modifié daté du 17 décembre 2008, la Commission a fourni des précisions au sujet de la plainte fondée sur l'article 7. Comme je l'ai déjà mentionné, la Commission doit préciser si l'allégation au sujet de l'exigence du CT selon laquelle la CRTFP doit mener sa propre étude sur la parité salariale, malgré le fait que la CRTFP n'a aucun groupe comparatif composé d'hommes, fait partie du traitement défavorable reproché. Si l'intimé estime que d'autres précisions sont nécessaires, il doit indiquer au Tribunal et aux autres parties l'information qu'il désire obtenir.

[67] La requête visant à modifier la plainte afin d'ajouter une allégation fondée sur l'article 7 est accueillie.

Signé par
Karen A. Jensen

OTTAWA (Ontario)
Le 18 février 2009

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1266/7807

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Richard Harkin et autres c. Procureur Générale (Canada)

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Le 18 décembre 2008

Ottawa (Ontario)

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE DU TRIBUNAL :

Le 18 février 2009

ONT COMPARU :

Andrew Raven

Pour les plaignants

K.E. Ceilidh Snider

Pour la Commission canadienne des droits de la
personne

Marie Crowley
Talitha Nabbali

Pour l'intimé

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