Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

EVELYNE MALEC, SYLVIE MALEC, MARCELLINE KALTUSH, MONIQUE ISHPATAO, ANNE B. TETTAUT, ANNA MALEC, GERMAINE MESTéPAPéO, ESTELLE KALTUSH

les plaignantes

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CONSEIL DES MONTAGNAIS DE NATASHQUAN

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE

2009 TCDP 9
2009/03/12

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[1] Les plaignantes sont des enseignantes autochtones à l'emploi du Conseil des Montagnais de Natashquan (la bande). Dans leur plainte en matière de droits de la personne, elles prétendent que la bande leur a versé une rémunération moins importante que celle qu'elle a versée aux enseignants non-autochtones.

[2] La bande a déposé une requête dans laquelle elle prétend, à titre de moyen préliminaire avant l'audience, qu'elle n'est pas soumise à l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), et ce, en vertu de l'article 67 de cette loi qui est ainsi libellé :

La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de cette loi. Nothing in this Act affects any provision of the Indian Act or any provision made under or pursuant to that Act.

[3] La bande prétend que ses décisions relatives à la rémunération des enseignants ont été prises en application du pouvoir conféré à la bande en matière d'éducation par les articles 114 à 122 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, et que, par conséquent, en vertu de l'article 67, ces décisions ne sont pas soumises à l'application de la LCDP. Même si l'article 67 a été abrogé par la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.C. 2008, ch. 30 (le projet de loi C-21), celui-ci était toujours en vigueur lorsque la plainte a été déposée en 2007.

[4] La Commission prétend, en réponse, que la requête de la bande est prématurée et que le Tribunal ne devrait rendre sa décision que lorsque l'ensemble de la preuve soumise en l'espèce aura été entendue.

[5] Le paragraphe 50(1) de la LCDP mentionne que le Tribunal instruit toutes les plaintes qui lui sont soumises et il donne aux parties la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations sur les questions soulevées dans la plainte. Comme le Tribunal l'a récemment souligné dans Harkin c. Procureur général (Canada), 2009 TCDP 6, aux paragraphes 22 à 24, ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles que le Tribunal peut rejeter une plainte à l'étape préliminaire, avant le début de l'audience. Il est arrivé, dans le passé, que le Tribunal rejette des plaintes sans tenir une audience lorsqu'il était évident que les parties avaient été entendues dans un autre forum ou lorsqu'il y avait eu un retard injustifié dans le dossier, lequel retard avait occasionné un déni de justice naturelle ou un emploi abusif des procédures du Tribunal. Dans tous ces cas, les requêtes en rejet ont reposé sur des faits et des motifs non contestés.

[6] La bande ne m'a renvoyé à aucune décision dans laquelle le Tribunal a traité, à l'étape préliminaire, avant que l'audience n'ait commencé, une requête déposée en vertu de l'article 67. À ma connaissance, le Tribunal n'a jamais accordé le recours prévu à l'article 67 sans avoir entendu la preuve à l'audience, et dans les deux seuls cas où une objection fondée sur l'article 67 a été soulevée avec succès après que la plainte fut renvoyée au Tribunal, (Prince c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (1993), 20 C.H.R.R. D/376 (T.C.D.P.), confirmée par (1994) 25 C.H.R.R. D/386 (C.F. 1er inst.); Laslo c. Conseil de la bande indienne de Gordon, (1996), 31 C.H.R.R. D/369 (T.C.D.P.), confirmée par [2001] 1 C.F. 124 (C.A.F)), la décision du Tribunal a été rendue après que la preuve eut été présentée à l'audience de la plainte.

[7] En l'espèce, la bande a allégué de nombreux faits dans sa requête à l'appui de sa position selon laquelle les décisions de la bande ne sont pas soumises à l'application de la LCDP. Il s'agit notamment des faits suivants :

  1. l'importance de l'endettement de la bande;
  2. les décisions prises en 2005 et 2006 par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC) concernant la nomination d'un cogestionnaire qui aiderait à administrer les fonds de la bande;
  3. la décision prise par le MAINC en 2005 de nommer un séquestre administrateur pour gérer les finances de la bande;
  4. les modifications apportées aux budgets de la bande dans le domaine de l'éducation;
  5. l'adoption par la bande de certaines politiques et de certaines résolutions, notamment une politique visant à accorder des primes aux employés non-résidants et les motifs justifiant l'adoption de cette politique,
  6. le lien entre ces décisions de la bande et le pouvoir conféré à la bande par la Loi sur les Indiens en matière d'éducation.

[8] La Commission, pour sa part, prétend que les décisions en litige en l'espèce n'ont aucun lien avec les dispositions en matière d'éducation de la Loi sur les Indiens (articles 114 à 122). Les plaignantes ajoutent que leur différend avec la bande a trait aux relations de travail et non pas à l'éducation.

[9] Les opinions sur ces points sont donc partagées et les faits soulevés par la bande semblent, à première vue, passablement détaillés et complexes. Pour que la présente requête soit bien débattue par l'ensemble des parties, des conclusions de fait doivent être tirées sur ces questions. Selon moi, le Tribunal ne peut s'acquitter de cette tâche que dans le cadre d'une audience complète de la preuve.

[10] Initialement, la bande n'a joint aucune preuve à l'appui à sa requête, sauf des copies de la plainte et un rapport publié par la Commission concernant l'article 67, lequel rapport est plutôt une référence qu'un élément de preuve. Par la suite, après que la Commission et les plaignantes eurent présenté leurs observations sur la requête, la bande a produit un affidavit détaillé signé par le chef de la bande, lequel affidavit répète essentiellement les mêmes affirmations et les mêmes arguments qui figurent dans la requête initiale de la bande. L'ajout de cet affidavit n'a aucune incidence sur ma décision. Les conclusions de fait qui doivent être tirées concernant la requête de la bande exigent la tenue d'une enquête approfondie qui ne peut pas être remplacée par la déclaration assermentée d'une personne.

[11] Je conclus donc que la requête présentée par la bande en vertu de l'article 67 est prématurée.

[12] La bande a toutefois soulevé un argument subsidiaire qui ne sera invoqué que si le Tribunal conclut que la version actuelle de la LCDP (c'est-à-dire après l'abrogation de l'article 67) s'applique en l'espèce. La bande souligne que les dispositions transitoires du projet de loi C-21 prévoient un délai de grâce de 36 mois au cours desquels les actes ou les omissions d'un gouvernement d'une première nation ne peuvent pas constituer le fondement d'une plainte en vertu de la LCDP. La bande prétend que, durant ce délai de grâce, elle jouit d'une exception semblable à l'exception prévue par l'article 67, voir même d'une exception peut-être plus importante.

[13] Les dispositions transitoires pertinentes figurent à l'article 3, lequel mentionne que les actes ou omissions d'un gouvernement d'une première nation qui sont accomplis dans l'exercice des attributions prévues par la Loi sur les Indiens ou sous son régime ne peuvent servir de fondement à une plainte déposée au titre de la LCDP s'ils sont accomplis dans les 36 mois suivant la date où le projet de loi C-21 a reçu la sanction royale. La bande prétend que l'article 3 a une portée plus large que l'article 67 et que, en effet, il soustrait les décisions de la bande à l'application de la LCDP jusqu'à la fin de la période transitoire.

[14] Je vois mal comment ces dispositions transitoires pourraient s'appliquer en l'espèce. Le projet de loi C-21 a reçu la sanction royale le 18 juin 2008. Dans la présente plainte, on prétend que la bande s'est livrée à des pratiques discriminatoires qui ont eu cours plus d'un an auparavant, entre mars 2006 et avril 2007. L'article 3 du projet de loi C-21 ne semble soustraire que les actes ou omissions qui ont eu lieu dans les 36 mois qui ont suivi la sanction royale. À première vue, il semble que les pratiques discriminatoires alléguées dans la plainte ne sont pas visées par les dispositions transitoires du projet de loi C-21.

[15] Néanmoins, peu importe que cette interprétation du projet de loi C-21 soit juste ou non, selon moi, on aura également besoin d'un dossier factuel pour déterminer si les pratiques discriminatoires alléguées dans la plainte sont visées par l'article 3. Les observations de la bande concernant cette disposition sont donc également prématurées.

[16] Pour ces motifs, je rejette la requête de la bande, sans préjudice au droit de celle-ci de faire des arguments semblables à la fin de l'audience.

Signée par

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 12 mars 2009

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1318/4808

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Evelyne Malec, Sylvie Malec, Marcelline Kaltush, Monique Ishpatao, Anne B. Tettaut, Anna Malec, Germaine Mestépapéo, Estelle Kaltush c. Conseil des Montagnais de Natashquan

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE

DU TRIBUNAL :

Le 12 mars 2009

ONT COMPARU :

Richard Boies

Pour les plaignantes

Ikram Warsame

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Maurice Dussault
Sylvain Unvoy

Pour l'intimé

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