Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. Décision rendue le

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

CHARLOTTE POND

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Jacinthe Théberge - Présidente Ram Jakhu - Membre Lise Leduc - Membre

ONT COMPARU: Nathalie Fricot, avocate de la plaignante

Odette Lalumière, avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Marc Santerre, avocat de l'intimée

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: 14-15 juillet 1993 15-16-17 septembre 1993 2-3 décembre 1993 à Montréal (Québec)

Introduction

Le 26ième jour de novembre 1992, en vertu du paragraphe 49 (1.1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, un tribunal a été constitué de Jacinthe Théberge, présidente, Ram Jakhu et Lise Leduc, membres, en vue d'examiner la plainte déposée par Charlotte Pond, en date du 9 mars 1989 et amendée le 13 septembre 1989 contre la Société canadienne des postes.

Le Tribunal a procédé à l'audition de la plainte les 14-15 juillet, les 15-16-17 septembre et les 2 et 3 décembre 1993 à Montréal et est unanime quant aux motifs de la présente décision.

La plainte

Le 9 mars 1989, Dame Charlotte portait une plainte auprès de la Commission Canadienne des droits de la personne à l'endroit de la Société Canadienne des postes. Elle allègue avoir été victime d'un acte discriminatoire en vertu de l'article 14 (1) et (2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, vu qu'elle a été harcelée sexuellement dans le cours de son travail en octobre 1986, par Monsieur Roger Côté, son superviseur immédiat en utilisant une statue pornographique pour proférer des propos désobligeants à son égard et en autorisant l'affichage de "posters" de femmes nues dans l'endroit de travail.

Le 13 septembre 1989, la plainte a été amendée afin d'ajouter un paragraphe supplémentaire où il est allégué qu'en 1988 et jusqu'en janvier 1989, il y avait toujours des calendriers Playboy affichés dans les lieux de travail et que par conséquent le harcèlement sexuel à son égard aurait été continu du mois d'octobre 1986 au mois de janvier 1989.

La plainte produite sous la pièce HRC-1 se lit comme suit:

[TRADUCTION]

Postes Canada a fait, en cours d'emploi, un acte discriminatoire à mon endroit en me harcelant sexuellement, ce qui est un acte interdit par l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je travaille pour Postes Canada depuis 1978 et je suis facteur depuis 1980.

En octobre 1986, j'ai été muté de la succursale de Verdun à la succursale E. Mon supérieur immédiat était Roger Côté. Il gardait sur son bureau une statuette pornographique. De plus, deux affiches étaient apposées dans des lieux distincts de la succursale E. J'ai protesté verbalement à propos du matériel pornographique auprès de mon supérieur immédiat, de délégués syndicaux et de gestionnaires de la succursale. Le 10 décembre 1986, j'ai appelé Luc Mercier, au service de la Rémunération et des avantages sociaux, pour me plaindre au sujet du matériel

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offensant à caractère nettement sexuel. Il m'a dit qu'il ferait enlever ce matériel. Il m'a envoyé par la poste la politique en matière de harcèlement sexuel de Postes Canada, mais le matériel pornographique n'a pas été enlevé.

Le 24 mars 1987, j'ai rappelé Luc Mercier et le matériel a été enlevé le lendemain. Toutefois, j'ai été l'objet de harcèlement au travail, parce que j'ai déposé une plainte à propos du harcèlement sexuel. Pendant plusieurs mois, deux types de règlement ont été appliqués, l'un qui me visait, l'autre qui touchait le reste des employés. Cette application distincte du règlement était évidente sous bien des aspects, malgré mes plaintes verbales répétées pour être traitée également, et un grief.

Pendant des mois, on a exigé que je reste sur les lieux et que je pointe à 14 h 30 après une journée de travail complète de huit heures, tandis que les autres qui étaient soumis au même régime des travaux légers ou du travail à l'intérieur pouvaient quitter l'immeuble jusqu'à deux heures et demie avant la fin de leur quart. Je n'avais pas droit à des pauses prolongées ni au petit déjeuner à l'extérieur comme les autres. Je n'avais pas le droit de téléphoner ni de recevoir des appels personnels, alors que les autres avaient ce droit. Je n'avais pas accès au bureau du surveillant sans permission, alors que les autres y avaient librement accès. Je n'avais pas accès à la trousse de premiers soins. Je n'avais pas le droit de porter des écouteurs (baladeur) pendant que je travaillais en position assise, tandis que les autres y avaient droit quand ils travaillaient en position debout ou se déplaçaient. Mon surveillant immédiat ne me convoquait pas aux réunions de succursale. M. Roger Côté m'avait fait installer une table à un endroit à l'écart et empêchait les autres de m'adresser la parole. M. Côté a refusé d'accéder à des demandes courantes de congé annuel, de temps supplémentaire, de physiothérapie, etc. Finalement, le 14 août 1987, j'ai été convoqué à l'établissement principal d'Ottawa à une réunion avec André Stafford, fonctionnaire de Postes Canada, et Léopold Côté, président du syndicat. J'ai répété ma plainte principale relative au harcèlement au travail, reprochée à Roger Côté, qui voulait se venger, parce que j'avais déposé une plainte à propos du matériel pornographique sur les lieux de travail. Au lieu de prendre les mesures voulues pour régler le problème, ils m'ont informée que je serais affectée désormais à la succursale K, tandis que Roger Côté continuerais de travailler à la succursale E. J'ai commencé à travailler à la succursale K le 17 août 1987.

Quand je suis arrivée à la succursale K, il y avait encore plus de matériel pornographique. Je n'ai pas déposé de plainte en bonne et due forme, à cause de l'expérience que j'ai vécue à la

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succursale E, où l'on n'a pas donné suite à mes plaintes.

Le 17 novembre 1987, j'ai obtenu un poste à la succursale de Verdun. En 1988, un calendrier de Playboy a été affiché sur une caisse proche de mon poste de travail, puis il a été enlevé en janvier 1989. Il y a maintenant une affiche pornographique dans la cantine. Je n'ai pas protesté pour les raisons précitées.

Je crois que Postes Canada ne devrait accepter aucun matériel pornographique dans les lieux de travail.

La plainte doit être examinée en se référant à l'art. 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1987) ch. H-6 (version modifiée).

L'article 14 de la Loi énonce:

14. (1)Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu:

a) lors de la fourniture de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public;

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

c) en matière d'emploi.

(2) Pour l'application du paragraphe (1) et sans qu'en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite. 1980-81-82-83, ch. 143, art. 7.

Question préliminaire

L'avocat représentant la Société canadienne des postes, Me Santerre a posé une question préliminaire concernant la juridiction du Tribunal constitué le 26 novembre 1992 en vertu de l'article 41 e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui se lit comme suit:

41. Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs

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suivants:

e) la plainte a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée. 1976- 77, ch. 33, art. 33.

Les prétentions de Me Santerre sont à l'effet que si la question devant le Tribunal porte sur le fait principal des conditions de travail et du harcèlement général à l'égard de Madame Pond à la station "E" du mois d'octobre 1986 au mois d'août 1987, ces événements se sont produits plus d'un an avant le dépôt de la plainte qui a été signée le 9 mars 1989.

Par contre, si le débat porte sur la plainte amendée, signée le 13 septembre 1989 à l'effet que Madame Pond a été victime de harcèlement sexuel suite à la présence d'affiches à caractère sexuel dans son milieu de travail sur une période continue du mois d'octobre 1986 au mois de janvier 1989, la plainte serait conforme à l'article 41 e) de la LCDP.

Il n'est pas de la compétence de ce Tribunal de décider si la plainte déposée par la plaignante Madame Pond est ou non dans les délais de l'article 41 e) de la LCDP.

En vertu de l'article 44 (3) a) par. (ii) la Commission canadienne des droits de la personne décide de l'orientation du dossier suite au dépôt du rapport de l'enquêteur et peut demander au président du Comité du Tribunal des droits de la personne de constituer un Tribunal "s'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du par. 44 (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41 c) à e)."

Suite à la décision de la Commission canadienne des droits de la personne, une révision de la décision administrative aurait pu être présentée par la Société canadienne des postes dans un délai de 30 jours, en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour Fédérale, ce qui n'a pas été fait.

Par conséquent, ce Tribunal a été légalement constitué en vertu de l'article 49 LCDP et a compétence pour entendre la preuve sur la plainte telle qu'amendée le 13 septembre 1989.

Les faits

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Madame Charlotte Pond a commencé à travailler à la Société canadienne des postes en 1978 comme commis à plein temps dans la région d'Halifax (Nouvelle-Écosse). En 1981, elle est déménagée à Montréal et a commencé à travailler comme facteur à la succursale Côte St-Luc. Madame Charlotte Pond est actuellement à l'emploi de la Société canadienne des postes.

Au mois d'août 1986, Madame Charlotte Pond a eu un accident de travail et s'est blessée au dos. Elle ne pouvait plus effectuer son travail régulier de facteur à la succursale de Verdun et les médecins de la Société canadienne des postes ont recommandé qu'elle soit mis "en travaux légers": c'est-à-dire qu'elle effectue du travail clérical en position assise et qu'elle ne soulève ni ne transporte d'objets lourds tel qu'il a été mentionné à la pièce R-3:

...Nous estimons que madame Pond devrait continuer d'effectuer des travaux légers mais en tenant compte des restrictions suivantes: effectuer son travail en position assise pour la plupart du temps pouvant toutefois également se permettre de légers déplacements sur une brève période...

Au cours du mois d'août 1986, Madame Pond a fait une demande pour une route de facteur à la succursale E. Vu sa séniorité, elle obtient ce nouveau poste et elle est transférée à la succursale E vers la mi-octobre 1986.

Lorsque Madame Pond arrive à la succursale E en octobre 1986, elle doit effectuer des "travaux légers" tel que recommandé par le rapport médical. Il ressort de la preuve que Madame Charlotte Pond a effectué des travaux légers jusqu'au 2 octobre 1987.

Madame Charlotte Pond dit avoir été victime de harcèlement sexuel de la part de son superviseur immédiat, Monsieur Roger Côté, à la succursale E, basé sur le fait que ce dernier avait une statue pornographique sur son bureau et qu'il se servait de cette statue pour passer des remarques désobligeantes et inopportunes à caractère sexuel à son égard.

De plus, il y avait deux affiches de femmes nues posées à deux endroits différents dans le lieu de travail, ce qui a amené Madame Pond à se plaindre au responsable du bureau afin qu'il remédie à la situation.

Selon le témoignage de Madame Pond, lorsqu'elle est arrivée à la succursale E, Monsieur Roger Coté, son superviseur immédiat, la harcelait en tenant des propos indécents. Il aurait alors établi un traitement

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différent à son égard parce qu'il lui en voulait d'avoir porté plainte pour la présence de la statue et des posters.

Selon les dires de Madame Pond lors de l'interrogatoire de son avocat, Monsieur Roger Coté l'obligeait à rester à son poste de travail jusqu'à 14h30 alors que tous les autres employés quittaient à 12h05; elle n'avait pas le droit d'aller téléphoner dans le bureau de Monsieur Roger Côté; elle ne pouvait pas non plus prendre du temps prolongé pour ses pauses et son heure de lunch contrairement à ses collègues de travail.

De plus, Monsieur Roger Côté lui a fait installer une table de travail dans un coin du bureau où elle s'est retrouvée complètement isolée de ses confrères de travail. Elle n'avait pas le droit de porter des écouteurs pour son "walkman" en travaillant malgré le fait que certains facteurs faisaient le triage du courrier en écoutant de la musique.

La situation s'est détériorée davantage suite à la plainte qu'elle a déposée auprès de Monsieur Luc Mercier, le responsable des ressources humaines à la Société canadienne des postes en date du 10 décembre 1986. Au cours de la discussion téléphonique de Madame Pond et de Monsieur Luc Mercier, celle-ci lui aurait mentionné qu'elle désirait que la statue sur le bureau de Monsieur Roger Côté soit enlevée ainsi que les affiches de femmes nues.

En réponse à la demande de Madame Charlotte Pond, Monsieur Luc Mercier lui a fait parvenir la politique sur le harcèlement sexuel en vigueur en décembre 1986. Madame Pond a dû retéléphoner à M. Luc Mercier à la fin mars 1987 pour lui demander pourquoi la statue était toujours sur le bureau de Monsieur Roger Coté.

En ce qui concerne les affiches de femmes nues, on avait coupé uniquement le minimum et les affiches étaient toujours sur le mur dans le bureau du courrier enregistré, tel qu'on a pu le constater sur la photographie déposée comme pièce C-1.

Vers la mi-août 1987, Madame Charlotte Pond est avisée qu'elle est transférée à la succursale K, qui a plus d'employés (50 à 60) et qui est beaucoup plus loin de chez elle et ce, contre sa volonté. Les raisons invoquées par son employeur sont à l'effet qu'elle est une employée difficile et qu'elle nécessite une surveillance à chaque minute.

Madame Pond a démontré qu'il y avait également des affiches de femmes nues à la succursale K à cette époque en déposant sous la cote C-2 trois

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photographies à cet effet. Elle admet ne pas avoir déposé de plainte officielle concernant ces affiches parce qu'elle ne voulait pas revivre la même situation stressante et oppressante qu'elle avait connue à la succursale E.

Le 17 novembre 1987, Madame Charlotte Pond est transférée de nouveau à la station Verdun. Elle n'est plus en travail léger et elle retourne travailler comme facteur. Il y avait également un calendrier Playboy 1988 affiché sur le mur qui a été finalement enlevé en janvier 1989.

Madame Charlotte Pond a déposé sa plainte en vertu de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne alléguant le harcèlement sexuel et son témoignage est à l'effet que le fait de permettre dans un endroit de travail des objets ou des affiches à caractère sexuel; ceux-ci servent de catalyseurs ou encore incitent les gens à proférer des paroles ou commentaires désobligeants à l'égard des femmes et on retrouve son explication à la page 123 des notes sténographiques:

Q. Avez-vous jamais entendu des conversations portant sur ce matériel, lorsque vous travailliez à la succursale K?

R. Oui, parce que la simple présence de ce type de matériel dans un lieu de travail mixte, dans un lieu de travail, la simple présence de ces photos, de ce type de matériel, sert de catalyseur et fournit l'occasion de gestes, de paroles et de plaisanteries. Alors, le simple fait que ces photos s'y trouvent suggère aux collègues des gestes et des plaisanteries et des remarques qui font sentir aux femmes qu'elles ne sont pas les bienvenues et diminuent leurs chances d'être prises au sérieux au travail --leurs chances d'être prises, vous savez, au sérieux au travail.

Lors du contre-interrogatoire de Madame Charlotte Pond, l'avocat de la Société canadienne des postes a fait la lumière sur l'ordre chronologique des événements et a fait ressortir les explications concernant les conditions différentes du travail de Madame Pond.

Suite à de nombreuses questions et à un long débat, Madame Charlotte Pond a reconnu que lorsqu'un facteur est en "travail léger", il n'a pas les mêmes règlements de travail et il doit en principe demeurer au bureau jusqu'à 14h30 et effectuer ses huit heures de travail.

Règle générale, la journée normale d'un facteur se déroule de la façon suivante: arrivée à la succursale à 6h30, triage du courrier jusqu'à 8h30 - 9h00; départ de la succursale pour distribuer le courrier. Il arrive que

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le facteur termine vers 12h00. Parfois il revient à la succursale pour retourner les lettres enregistrées mais ce n'est pas obligatoire qu'il y retourne. Il y a une entente de principe à l'effet que les facteurs ne demeurent pas à la succursale jusqu'à 14h30, par contre il n'y a pas de surtemps réclamé s'il y a plus de travail à effectuer.

D'autre part, lorsqu'un facteur est en "travail léger", il effectue du travail de bureau, répond au téléphone ou aide les autres facteurs à faire le triage du courrier.

Madame Charlotte Pond se plaint qu'elle a eu un traitement différent des autres employés et que Monsieur Roger Côté lui a établi une série de règlements particuliers, à savoir:

  1. elle devait travailler jusqu'à 14h30 au bureau;
  2. elle n'avait pas le droit de porter des écouteurs en travaillant;
  3. elle avait été isolée des autres facteurs parce qu'on lui avait installé une table dans un coin de la succursale;
  4. elle n'avait pas le droit d'aller sans permission téléphoner dans le bureau de Monsieur Roger Côté;
  5. elle ne pouvait pas obtenir facilement que ses formules de demande de congés, vacances ou maladies soient signées par Monsieur Roger Côté;
  6. elle avait déposé un grief (qui a été rejeté) à l'effet qu'on lui avait refusé l'accès à la boîte de "premiers soins" pour avoir des diachylons;
  7. elle a été critiquée également parce qu'elle lisait des journaux anglophones et qu'elle écrivait des lettres lorsque son travail était terminé.

Le Tribunal a adressé une question à la plaignante, afin de savoir comment elle reliait le fait d'avoir été traitée différemment à son travail, à sa plainte de harcèlement sexuel? Sa réponse a été la suivante, page 563 des notes sténographiques:

[TRADUCTION]

LE TÉMOIN : Je crois que, parce que j'ai déposé une plainte à propos de la statuette placée sur le bureau de Roger Côté et aussi à propos des affiches, il y a eu des représailles contre moi pour avoir même pensé à me plaindre à ce sujet et pour avoir demandé que ce matériel soit enlevé des lieux de travail.

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J'estime que ce n'était pas seulement [le matériel] à caractère sexuel -- M. Côté, et je vais citer un témoin cette semaine, avait l'habitude de me dire : «Comment as-tu fait l'amour avec ton petit ami, avec ton mal de dos?», devant mes collègues masculins et mes collègue féminins. Cela constitue en soi du harcèlement sexuel.

J'estime en outre que le fait qu'après que je me suis plainte auprès de Luc Mercier, après que j'ai passé par la filière et que j'ai demandé que la statuette soit enlevée de son bureau, il m'a rendu la vie très difficile par représailles pour avoir même pensé à déposer une plainte ou pour m'être plainte du fait que la situation n'avait pas changé.

Il appert cependant du contre-interrogatoire de Me Santerre que les événements concernant les changements de conditions de travail de Madame Pond ne se soient pas produits suite à la plainte faite le 10 décembre 1986 concernant la statue et les affiches mais bien suite à l'interdiction faite par Monsieur Roger Côté à Madame Pond de ne pas porter d'écouteurs lorsqu'elle travaillait parce qu'il devait lui donner des directives.

C'est au cours du mois de novembre 1986 que Monsieur Roger Côté installe une table et une chaise dans le corridor afin de permettre à Madame Pond de travailler assise conformément au rapport médical mentionné préalablement.

En ce qui concerne la statue chinoise sur le bureau de Monsieur Roger Côté, c'est Madame Pond elle-même au début de décembre 1986, lorsqu'elle était dans le bureau de son patron, qui a soulevé la statue chinoise pour regarder en dessous. Elle a alors découvert qu'on voyait les parties génitales de la femme et de l'homme chinois.

Lorsque Me Santerre lui a demandé si la statue elle-même, lorsqu'elle était placée sur le bureau constituait du harcèlement sexuel, Mme Pond a admis que la statue n'était pas en soi offensante bien qu'il s'agissait d'une femme chinoise qui servait du vin à un homme chinois. Cependant, ce qui a été offensant, c'est l'utilisation et les mots qui ont été prononcés en se servant de la statue par M. Roger Côté, page 391 des notes sténographiques:

[TRADUCTION]

R. Il disait : «Les femmes ne sont bonnes qu'à deux choses : le travail de secrétaire et le ménage.» Donc, ce n'était pas nécessairement la statuette que je trouvais offensante en tant que telle, qu'elle ait été sur le bureau ou qu'on puisse voir la fantaisie en la soulevant, mais c'étaient les paroles, les plaisanteries et les gestes que cette statuette suscitait.

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En ce qui a trait aux affiches de femmes nues, dont on avait coupé le minimum, il a été mis en preuve que ladite affiche se trouvait dans le bureau du courrier enregistré et qu'en général les facteurs et employés ne devaient pas entrer dans cet endroit.

Cependant, dans la vie de tous les jours, il est admis que les employés y circulaient plusieurs fois par jour et que c'était toléré par la direction de la succursale E en 1986.

Le 10 décembre 1986, Madame Charlotte Pond téléphone à M. Luc Mercier, directeur des ressources humaines à la Société canadienne des postes et se plaint du harcèlement sexuel de M. Roger Côté à son égard ainsi que de la présence d'affiches de femmes nues dans le bureau du courrier enregistré. Ce dernier lui fait parvenir la politique de la Société canadienne des postes sur le harcèlement sexuel en milieu de travail.

Le 12 décembre 1986, Madame Charlotte Pond loge un grief (pièce R-4) contre Monsieur Roger Côté basé sur le fait qu'elle n'a pas un traitement égal et équitable à son travail et que M. Côté lui aurait demandé de transporter des documents trop lourds pour son dos.

Par la suite, selon les pièces que l'on retrouve sous R-5, Madame Charlotte Pond a été en congé de maladie du 12 décembre 1986 au 2 janvier 1987; en vacances au Mexique du 5 janvier 1987 au 23 janvier 1987 et en temps compensatoire chez elle du 26 janvier 1987 au 17 mars 1987.

Lorsque Madame Charlotte Pond revient à la succursale le 17 mars 1987, la statue est demeurée sur le bureau de Monsieur Roger Côté et l'affiche est toujours sur le mur dans le bureau du courrier enregistré. Elle téléphone de nouveau à Monsieur Luc Mercier pour lui demander des explications et quelques jours plus tard, les objets sont enlevés.

Ce n'est pas le rôle du Tribunal des droits de la personne d'évaluer les griefs et les conditions de travail des employés dans leur milieu de travail.

Le fait pour Madame Charlotte Pond d'avoir eu un traitement différent en tant que personne "en travail léger" ne peut pas être relié selon la preuve au fait qu'elle avait porté plainte au sujet de la statue, puisque la plainte a été déposée le 10 décembre 1986. Alors que ses conditions de travail existaient déjà en novembre 1986. Le fait que des privilèges soient accordés pour des personnes travaillant comme facteurs ne peut pas constituer des droits pour les employés.

Par conséquent, ce que le Tribunal a à déterminer n'est pas de savoir si le traitement différent en milieu de travail de Mme Charlotte Pond est de la discrimination basée sur le harcèlement sexuel mais si l'utilisation de la statue et la présence d'affiches à caractère sexuel dans le milieu de travail ont été une cause de harcèlement sexuel à l'égard de Madame Pond.

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Me Fricot, avocate de la plaignante a fait entendre trois témoins qui sont venus confirmer qu'il y avait des affiches de femmes nues dans la succursale E ainsi qu'à la succursale K et à Verdun. M. Jacques Côté qui travaillait avec Madame Pond à la succursale E a entendu certains propos tenus par M. Roger Côté, tel que mentionné aux pages 689 et 690 des notes sténographiques:

R. Par rapport à la statuette c'était bien plus le regard puis... c'était plein de jokes. C'était toujours des jokes...

LE TÉMOIN: Comme par exemple à caractère sexuel c'est quand il disait "comment peux-tu faire l'amour avec un mal de dos comme t'as?" Il pouvait dire "j'ai rêvé toute la nuit, je pensais que ma femme s'appelait Charlotte", ou "j'ai crié Charlotte durant la nuit, et ma femme était surprise". C'était à peu près ce genre- là. C'était pas tellement élevé.

Les témoins entendus ont aussi confirmé le fait que les employés entrent régulièrement dans le bureau du courrier enregistré malgré le fait que la politique est à l'effet qu'ils ne sont pas autorisés à y aller.

En défense, Me Santerre a fait entendre différents employés de la Société canadienne des postes qui sont venus expliquer les politiques de l'entreprise sur le harcèlement sexuel en milieu de travail ainsi que les mesures prises à l'égard du dossier de Madame Charlotte Pond.

Le témoignage de Monsieur Marc Morin

Monsieur Marc Morin est arrivé à la succursale E en février 1987 en tant que superviseur des commis en remplacement de Monsieur Normandin.

Lorsqu'il arrive à la succursale E, Madame Pond est en congé. Elle revient en mars et il confirme qu'elle ne pouvait effectuer que du travail de bureau et que l'endroit où on avait installé sa table de travail était le seul endroit sécuritaire du bureau pour elle.

Il a dû s'occuper de nombreuses plaintes de Madame Charlotte Pond et il lui a interdit d'entrer dans le bureau de Monsieur Roger Côté. Il s'est également occupé de faire enlever la statuette chinoise sur le bureau de Monsieur Roger Côté en mars 1987 et affirme que l'affiche de femmes nues dans le bureau du courrier enregistré avait été coupée et que l'on ne voyait que le bas.

Le témoignage de Monsieur Luc Mercier

Monsieur Luc Mercier était en décembre 1986, le gestionnaire à la Société canadienne des postes, responsable des avantages sociaux et ressources humaines et plus spécifiquement en charge des problèmes reliés aux langues officielles.

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Il reconnaît que le 10 décembre 1986, Madame Charlotte Pond a communiqué avec lui pour vérifier dans quelle langue son superviseur devait lui parler; qu'elle avait été isolée des autres employés et qu'il y avait un objet offensant sur le bureau de Monsieur Roger Côté.

Monsieur Luc Mercier a appelé Monsieur André Stafford, le directeur de la station E et lui a alors demandé de vérifier le conflit qui existait entre Madame Pond et Monsieur Roger Côté. De plus, Monsieur Mercier a communiqué avec Monsieur Jean-Pierre Doré pour lui demander de faire parvenir la politique concernant les droits de la personne à Madame Charlotte Pond. Il n'a jamais réentendu parler de Madame Pond avant mars 1987.

Le témoignage de Monsieur Jean-Pierre Doré

Monsieur Jean-Pierre Doré était en décembre 1986, responsable des relations concernant les droits de la personne à la Société canadienne des postes.

Suite au téléphone de Monsieur Luc Mercier, il a fait parvenir la politique sur les droits de la personne à Madame Charlotte Pond le 19 décembre 1986 et il a appelé Monsieur André Stafford pour lui demander de faire enlever la statue offensante sur le bureau de Monsieur Roger Côté.

Monsieur Doré a reçu un deuxième appel en mars 1987 et a été informé que la statue n'avait pas été enlevée. Il a alors ordonné que la statue soit enlevée. Suite à la plainte déposée à la Commission canadienne des droits de la personne, il a fait amener la statue à son bureau et il l'a trouvé inoffensante en soi.

Monsieur Jean-Pierre Doré a déposé sous la cote R-10, la politique amendée des droits de la personne de la Société canadienne des postes. Il n'y a pas de mention particulière dans cette politique concernant l'affichage à caractère sexuel, mais il y avait des directives internes à l'effet qu'on demandait de ne pas afficher des images à caractère sexuel.

Monsieur Jean-Pierre Doré n'a pas procédé à une enquête en mars 1987 parce qu'aucune démarche n'était entreprise si la plainte n'était pas formulée par écrit. Il explique le fait que la statue n'a été enlevée qu'en mars 1987 parce que Monsieur André Stafford n'est pas allé vérifier lui-même à la succursale E.

Le témoignage de Madame Lise Dumont

Madame Dumont est enquêteuse à la Commission canadienne des droits de la personne et a été chargée du dossier de Madame Charlotte Pond en 1989.

Elle a rencontré Madame Pond entre cinq à dix fois au cours de son enquête ainsi que les représentants de la Société canadienne des postes qui ont toujours prétendu que le qualificatif de "pornographique" pour des affiches provenant du magazine Playboy était démesuré. Monsieur Jean- Pierre Doré a fait parvenir une lettre à cet effet tel que mentionné à la page 1000 des notes sténographiques:

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"Enfin nous tenons à souligner que le qualificatif "pornographique" nous semble démesuré puisque la démonstration n'a pas été fait que le magazine Playboy le justifiait. Sur le fond nous considérons que la direction a pris des mesures de façon diligente pour faire retirer ce qui aurait pu être jugé offensant pour certaines personnes."

Dans le rapport d'investigation de Madame Lise Dumont, elle confirme dans son témoignage que Monsieur Claude Normandin, responsable de la succursale E en 1987 lui a confirmé avoir rencontré Madame Pond à trois reprises et qu'elle s'était plainte d'objets provocants sexuellement; d'une statuette sur le bureau de Monsieur Roger Côté et d'un calendrier dans la section du courrier enregistré.

Également, au paragraphe 25 du rapport d'enquête, confirmé par le témoignage de Madame Dumont à la page 1001 des notes sténographiques, il est en preuve que Monsieur André Beauregard, de l'unité postale de Verdun a reconnu qu'il y avait une affiche qualifiée de nu mais que c'est un nu qui apparaît dans les revues à la portée de tous et accessible partout.

Madame Lise Dumont mentionne aux paragraphes 34 et 35 de son rapport que Monsieur André Campion, coordonnateur de la succursale K où Madame Charlotte Pond a travaillé d'août 1987 à novembre 1987 lui a révélé avoir dû prendre Madame Pond dans son unité parce qu'elle était un cas problème et qu'il avait été informé qu'elle avait eu des problèmes de comportement et de harcèlement sexuel.

Monsieur Campion reconnaît qu'il y avait une affiche de femme nue dans le bureau du courrier enregistré mais que cet endroit n'était pas accessible aux employés et que les autres femmes ne s'en étaient aucunement plaintes.

En lisant le rapport d'enquête produit en preuve sous la cote R-11, on en déduit que le problème de harcèlement sexuel allégué par Madame Pond est relié aux affiches et photos pornographiques et à la statuette sur le bureau de Monsieur Roger Côté. On ne retrouve dans ce rapport aucune mention à l'effet qu'il y aurait eu des remarques désobligeantes à son égard.

Madame Lise Dumont admet qu'au cours de son enquête, il a été démontré que Madame Pond avait éprouvé des problèmes de relation de travail. Cependant, il lui a été impossible d'établir le lien entre le harcèlement et les problèmes de relation de travail d'où sa conclusion que l'on retrouve au paragraphe 38 du rapport d'enquête:

R. "Charlotte Pond a éprouvé des problèmes de relation de travail avant les événements mentionnés dans le texte de plainte soit avant 1986. L'enquête n'a donc pu démontrer que les problèmes de relation de travail qu'elle a connus étaient reliés au harcèlement sexuel."

Le Tribunal est également d'opinion que la différence de traitement et les difficultés de relation de travail de Madame Charlotte Pond ne constituent pas du harcèlement sexuel.

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La question en litige

La question sur laquelle le Tribunal doit se pencher est d'évaluer si la présence d'objets et d'affiches à caractère sexuel ont été une cause de harcèlement sexuel dans le cas de Madame Charlotte Pond qui décrit la situation qu'elle vivait à la succursale E en 1986-87 de la façon suivante, à la page 566 des notes sténographiques:

[TRADUCTION]

R. Ce que je veux dire, c'est que la statuette, du fait qu'elle se trouvait là, a servi de catalyseur pour M. Côté qui l'a prise et est sorti de son bureau devant tous mes collègues, dont la plupart étaient des hommes, et l'a brandie et a dit : «Regardez, les femmes sont ici sur terre seulement pour servir les hommes. Les femmes ne sont bonnes que pour le travail de secrétaire et le ménage.»

Ce que je dis, c'est que les affiches -- cette statuette n'est pas en soi du harcèlement. Il s'est servi de cette statuette -- la présence de cette statuette est devenue un prétexte pour me ridiculiser ou m'humilier directement en tant que femme et toutes les femmes en général en les appelant -- nous n'étions pas capables de faire le travail de facteur, nous devions faire le travail de secrétariat ou le ménage. Nous devions servir les hommes. Ce genre de choses.

Est-ce que l'intimée, la Société canadienne des postes, par son inaction en ne faisant pas enlever les affiches offensantes et la statuette sur le bureau de Monsieur Roger Côté au cours des années 1986, 1987 et 1989 a agi à l'encontre de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui interdit le harcèlement sexuel en matière d'emploi à son premier paragraphe et qui précise à son deuxième paragraphe que "le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite."

Le fardeau de la preuve

Le fardeau de la preuve dans les cas de discrimination a été discuté dans de nombreuses causes. Il semble que le fardeau et l'ordre de présentation de la preuve soient les mêmes dans tous les cas de discrimination dans l'emploi. Le plaignant doit d'abord établir s'il s'agit à première vue, d'un acte discriminatoire. Il incombe ensuite à l'employeur de justifier son comportement apparemment discriminatoire. Finalement, le fardeau de la preuve incombe à nouveau au plaignant qui doit démontrer que l'explication fournie n'est qu'un simple "prétexte" et que la discrimination est véritablement à l'origine des actes de l'employeur. C'est en résumé ce que l'on retrouve dans l'affaire Etobicoke (1982) S.C.R. p. 208, deuxième paragraphe:

Lorsqu'un plaignant établit devant une commission d'enquête qu'il est, de prime abord, victime de discrimination, en l'espèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l'absence de

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justification de la part de l'employeur. La seule justification que peut invoquer l'employeur en l'espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence profession- nelle réelle de l'emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite confor-mément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à- dire suivant la prépondérance des probabilités.

En ce qui concerne la discrimination basée sur le harcèlement sexuel, il ressort de l'affaire Bouvier c. Métro Express, 17 C.H.R.R., D/326, au paragraphe 59 que la preuve que doit faire la victime se limite à établir que le comportement dont elle se plaint est (1) de nature sexuelle (2) non désiré et (3) humiliant à son égard:

(59) Bref, le harcèlement sexuel consiste en un comportement à caractère sexuel non sollicité et qui porte atteinte à la dignité personnelle d'une autre personne. Flagrant ou subtil, il revêt des formes variées, mais la preuve que doit faire la victime se limite à établir que le comportement dont elle se plaint était (1) de nature sexuelle (2) non désiré et (3) humiliant.

Le droit

Dans la présente affaire, le Tribunal doit trancher trois questions distinctes:

  1. En quoi consiste le harcèlement sexuel et doit-on donner une définition élargie du terme harcèlement sexuel de façon à ce que le Tribunal conclut que la plaignante a fait une preuve prima facie qu'il y a eu effectivement discrimination à son égard?
  2. L'employeur a-t-il réussi à démontrer que les actes reprochés étaient justifiés et qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour remédier à la situation?
  3. La plaignante a-t-elle établi que le compor-tement dont elle se plaint est de nature sexuelle, non-désiré et humiliant pour elle?

A- La plaignante a-t-elle été victime de harcèlement sexuel?

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La première question qui se doit d'être analysée est celle de déterminer si la présence d'une statuette, d'affiches et de commentaires à connotation sexuelle dans un milieu de travail constitue de la discrimination basée sur le sexe et plus précisément du harcèlement sexuel.

Afin de répondre à cette question, il faut premièrement chercher à définir ce qu'on entend par harcèlement sexuel. L'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit le harcèlement en matière d'emploi sans toutefois donner de définition de ce qu'on considère être du harcèlement sexuel.

Il faut donc se référer soit à la jurisprudence ou aux articles de doctrine pour trouver une interprétation du terme "harcèlement sexuel".

Monsieur Aggarwal a écrit un article intitulé Sexual Harassment in the Workplace, 2nd Edition, Butterworths, Toronto, 1992, 395 p., et donne une description assez détaillée de ce qui peut constituer du harcèlement sexuel tel: des commentaires, farces, affiches à caractère sexuel qui peuvent affecter l'image de la femme:

[TRADUCTION]

Peut être assimilé au harcèlement sexuel tout comportement à caractère sexuel qu'une personne juge personnellement offensant. Ce comportement peut être subtil ou évident, verbal ou non verbal. Il s'entend d'un large éventail de comportements : tapoter les fesses d'une femme dans le couloir; la pincer; placer ses bras autour de ses épaules, de manière répétée, importune, insistante, sous le couvert de l'amitié; contaminer l'atmosphère par des remarques, des plaisanteries ou des insinuations dégradantes, ou par des propos sur le corps des femmes, sur les prouesses des hommes et par des questions sur la vie sexuelle des femmes; étaler des images humiliantes de femmes; obliger les femmes à porter des vêtements qui les exposent à des remarques à connotation sexuelle [...]

Il y a donc selon l'auteur un large éventail de comportements qui peuvent entrer dans la définition de "harcèlement sexuel" tel:

Le harcèlement sexuel dans ce contexte, c'est la discrimination en matière d'emploi qui se manifeste par le chantage à caractère sexuel, c'est-à-dire un comportement habituel, empreint d'hostilité, qui vise à souligner la différence entre les femmes et les hommes, et, implicitement, l'infériorité des femmes par rapport au groupe dominant. Il s'apparente beaucoup par sa forme et par ses effets à la discrimination raciale. Il consiste dans

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un abus systémique, arbitraire, du pouvoir et de l'autorité des hommes, qui est destiné à obtenir des faveurs sexuelles, à rappeler aux femmes la situation inférieure qui leur échoit et à les priver des possibilités d'emploi et de l'égalité au travail. Le harcèlement sexuel dans ce contexte est une atteinte au droit d'une employée de travailler dans un milieu de travail où elle ne subit aucune pression d'ordre sexuel.

L'auteur explique également qu'il y a deux différentes sortes de harcèlement sexuel: une première forme qui est plus directe et découle de propositions, avances sexuelles et l'autre forme qui est plutôt indirecte et reliée à un comportement causant de l'intimidation rendant le milieu de travail vraiment difficile. Le cas de Madame Pond entre plus dans cette deuxième forme de harcèlement sexuel dont on retrouve la description aux pages 9, 10 et 11 du texte:

[TRADUCTION]

La contrainte d'ordre sexuel est le harcèlement sexuel qui a un effet direct sur l'emploi qu'exerce la travailleuse ou qui lui fait gagner ou perdre un avantage professionnel tangible. Lorsque le harcèlement sexuel comporte une telle contrainte, on dit qu'il est «lié à l'emploi».

Il y a aussi le comportement désagréable à caractère sexuel : le comportement désagréable à caractère sexuel, le second type de harcèlement sexuel, est une conduite de nature sexuelle qui est marquée par l'hostilité ou l'intimidation ou qui est offensante pour l'employée, mais qui n'a cependant aucun lien direct avec un avantage ou désavantage professionnel tangible. Cette conduite désagréable rend plutôt le milieu de travail difficile et fait en sorte que l'acceptation de ce climat par l'employée devient une condition d'emploi.

Le 1er février 1983, la Commission canadienne des droits de la personne a publié des lignes directrices en matière de harcèlement sexuel qui contiennent la définition suivante :

  1. des insultes ou des menaces;
  2. des remarques, des plaisanteries, des insinuations ou des propos déplacés;
  3. l'étalage de photographies pornographiques, offensantes ou humiliantes;
  4. des mauvais tours qui peuvent être cause de gêne ou d'embarras;

Voici une liste de comportements verbaux inacceptables qui peuvent constituer du harcèlement sexuel, même s'ils ne doivent pas nécessairement être dirigés contre la personne de la victime [...]

Le caractère élargi de cette définition frappe. Le harcèlement sexuel comprend donc toute conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur une personne dans son milieu de travail.

Si on se réfère à cette définition élargie du harcèlement sexuel pour évaluer le cas de Madame Charlotte Pond, le fait d'utiliser une statuette dont les parties génitales sont représentées pour proférer des commentaires désobligeants à savoir que les femmes ne sont bonnes qu'à servir les hommes ou qu'à effectuer du travail de bureau ou de maison nous permet de déduire que cela peut constituer du harcèlement sexuel.

Le fait également d'avoir des affiches provenant de magazine "Playboy" ou encore des affiches de femmes nues dans un milieu de travail qui servent de moyens pour les co-employés de faire des remarques et plaisanteries à caractère sexuel sur la grosseur des seins, la forme... sont sûrement source d'embarras et de diminution de la condition de la femme; d'où la nature de la plainte de Madame Charlotte Pond.

Le Code canadien du travail stipule dans sa définition du harcèlement sexuel art. 247.1 que celui-ci résulte soit de propos ou de gestes à caractère sexuel de nature à humilier un employé.

Il est important de donner une interprétation élargie de la définition de "harcèlement sexuel" afin d'atteindre les objectifs que se sont fixés les diverses lois tant provinciales que fédérales soit d'enrayer le harcèlement sexuel en milieu de travail, tel qu'il a été confirmé par la Cour Suprême dans l'affaire Janzen c. Platy Entreprises Ltd. (1989) S.C.R., à la page 1284:

Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j'estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes du harcèlement. C'est un abus de pouvoir, comme l'a souligné l'arbitre Shime dans la décision Bell v. Ladas, précitée, et comme cela a été largement reconnu par d'autres arbitres et commentateurs. Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.

Dans le dossier Commission des droits de la personne du Québec c. Linardakis et al, 3 C.C.L.T. (2d) à la page 224, où on réfère également à l'arrêt Janzen, on établit le principe à l'effet que les critères d'appréciation du harcèlement sexuel sont également basés sur une définition objective afin d'éviter que si des affiches ou propos ne sont pas offensants pour tous les employés en général cela signifierait qu'ils ne pourraient pas être une source de discrimination pour un employé en particulier:

Le fait que certaines employées seulement étaient harcelées sexuellement au restaurant ne permet pas de conclure validement que le harcèlement sexuel ne pouvait constituer de la discrimination fondée sur le sexe. Il n'y a pas de discrimination sexuelle seulement lorsque le sexe est l'unique élément de l'acte discriminatoire et lorsque, par conséquent, toutes les personnes du sexe en cause sont également maltraitées. Bien que le concept de discrimination trouve sa source dans le traitement accordé à un particulier en raison de son appartenance à un groupe plutôt, qu'en raison de ses caractéris-tiques personnelles, il n'est pas nécessaire, pour qu'il y ait discrimination, que tous les membres du groupe concerné soient traités de la même façon. Il suffit que l'attribution d'une caractéristique du groupe visé à un de ses membres en particulier constitue un facteur du traitement dont il fait l'objet. S'il fallait, pour conclure à la discrimination, que tous les membres du groupe visé soient traités de façon identique, la protection législative contre la discrimination aurait peu ou pas de valeur."

Il ne fait aucun doute dans notre esprit que la version des faits donnée par la plaignante était crédible et correspondait à la réalité telle qu'elle l'a vécue du mois d'octobre 1986 à janvier 1989. Les photos des affiches de femmes nues et de calendrier "Playboy" ont été déposées en preuve. De plus, la statuette a été utilisée pour proférer des commentaires humiliants à l'égard de la plaignante afin de la diminuer et de démontrer qu'en tant que femme, elle n'était bonne que pour servir et

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faire du travail de bureau. Ces commentaires ont été confirmés par des témoins qui ont même entendu Monsieur Roger Côté dire à Madame Pond avoir rêvé la nuit et que sa femme s'appelait Charlotte.

Différents superviseurs travaillant pour la Société canadienne des postes sont venus confirmer à tour de rôle que Madame Charlotte Pond avait téléphoné pour se plaindre de la statuette chinoise et du comportement de Monsieur Roger Côté, ainsi que de la présence d'affiches pornographiques dans les différentes succursales où elle a travaillé entre les mois d'octobre 1986 à janvier 1989.

Les propos, les gestes, les objets et les affiches avaient donc un caractère nettement sexuel. Par conséquent, le Tribunal conclut que la plaignante a établi une preuve prima facie qu'elle a été effectivement victime de discrimination en vertu de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

B- Les explications de l'employeur sont-elles justifiées et quelle est la responsabilité de l'employeur?

En défense, une première question a été soulevée concernant la validité de la plainte qui portait sur deux problèmes: les conditions de travail de Madame Pond à la Société canadienne des postes à la succursale E et la présence d'affiches et matériel pornographique dans les trois succursales où Madame Pond a travaillé du mois d'octobre 1986 à janvier 1989.

Sur la première partie de la plainte, le Tribunal a conclu qu'il s'agissait de relations de travail et qu'il n'avait pas juridiction pour remédier à cette situation.

Cependant, en ce qui a trait à la présence d'affiches et de matériel pornographique en milieu de travail, le Tribunal est d'avis qu'en donnant une interprétation large et objective d'une définition d'harcèlement sexuel que les critères de discrimination de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne sont rencontrés.

La défense a tenté de réfuter la crédibilité de Madame Pond en se basant sur le fait que la plainte formulée par Madame Pond ne mentionne aucunement qu'il y a eu des commentaires désobligeants à son égard, dus à la présence de la statue chinoise et aux affiches de femmes nues. Par conséquent, cela change la nature de la plainte et que si cette situation

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avait réellement existée, un point aussi important n'aurait pas été omis.

A plusieurs reprises, lors de son témoignage, Madame Pond a admis que la statue chinoise n'était pas offensante en soi, mais que c'était l'utilisation qu'on en faisait pour proférer des remarques à caractère sexuel qui était offensant.

Par contre, si on se réfère au témoignage de Madame Pond et d'autres témoins, qui ont mentionné les commentaires désobligeants de Monsieur Roger Côté et de certains confrères de travail et si on retient les arguments de la cause Robert Le Blanc c. Société canadienne des postes, 18 C.H.R.R., D/60, paragraphes 10 et 11 à l'effet qu'il n'est pas nécessaire que tout soit mentionné dans la plainte pour qu'une preuve soit retenue:

(10) Au début de l'audience, Me Engelmann a indiqué qu'il avait l'intention de présenter une preuve concernant d'autres incidents de discrimination qui seraient survenus en 1986 et dont il n'est pas fait mention dans la formule de plainte. Me Dumoulin s'est opposé à cette preuve.

(11) Nous avons décidé d'entendre la preuve parce que, à notre avis, elle nous sem-blait être la suite de l'histoire de la plainte de Le Blanc concernant le traite-ment défavorable auquel son employeur l'a soumis. Il aurait certainement été préfé-rable que la Commission fournisse à l'inti-mée les détails de chaque incident de dis- crimination invoqué dans la formule de plainte; cependant, dans une audience admi- nistrative de cette nature, la Commission et le plaignant ne sont pas nécessairement limités aux allégations énoncées dans la plainte elle-même. Dans une cause relative à une mesure disciplinaire touchant un pro-fessionnel, la Cour divisionnaire de l'On-tario s'est également prononcée en ce sens: voir Re Cwinn and Law Society of Upper Canada (1980), 28 O.R. (2d) 61.

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Le Tribunal est d'avis qu'il serait inéquitable pour la plaignante de ne pas admettre cette preuve d'autant plus que l'intimée connaissait à l'avance la nature des commentaires désobligeants puisque Madame Pond l'avait mentionné à ses supérieurs et que la Société canadienne des postes a eu toutes les possibilités de réfuter les allégations supplémentaires en contre-interrogatoire.

Pour ces motifs, le Tribunal est d'avis que la preuve faite devant Lui n'est pas confinée aux seuls éléments relatés dans la plainte et adopte la position prise dans la cause Ghosh c. Domglas Inc., 17 C.H.R.R., D/222, au paragraphe 40:

[TRADUCTION]

Puisque j'ai déjà rejeté l'argument selon lequel seules peuvent être produites en preuve les manifestations du comportement allégué qui sont mentionnées expressément dans la plainte et que les diverses remarques que M. Harrison a faites à différentes reprises présentaient un caractère nettement offensant, je conclus que lui aussi s'est livré à des propos ou à une conduite embarrassante.

Les explications fournies par l'employeur: la Société canadienne des postes en ce qui a trait aux mesures entreprises dans l'affaire de Madame Charlotte Pond sont les suivantes:

  1. lorsque Madame Charlotte Pond a téléphoné à Monsieur Luc Mercier le 10 décembre 1986, ce dernier lui a mentionné qu'il s'occuperait de remédier à la situation. Par la suite, vers le 17 décembre 1986, Monsieur Jean-Pierre Doré a fait parvenir la politique de la Société canadienne des postes sur les droits de la personne.
  2. il ressort de la preuve que rien n'a été fait avant le retour au travail de Madame Pond le 17 mars 1987 et que Monsieur Stafford ne s'était pas rendu à la succursale E pour aller vérifier la situation.
  3. ce n'est qu'en mars 1987 que la statue chinoise est enlevée et l'affiche est coupée au minimum mais demeure.
  4. afin d'enrayer le problème, Madame Pond est transférée contre son gré à la succursale K en août 1987; endroit où il se trouve d'autres affiches pornographiques de même qu'à la succursale de Verdun.

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La politique de la Société canadienne des postes ne contient pas de règlement comme tel sur l'affichage de "posters" de femmes nues... Il s'agit plutôt de directives qui ont été envoyées aux superviseurs des succursales postales et ceux-ci sont responsables d'appliquer ladite politique.

L'inaction de la Société canadienne des postes dans le cas de Madame Charlotte Pond est basée sur le fait que les superviseurs ou chargés des succursales dans lesquelles elle a travaillé consi-déraient qu'elle "se plaignait de tout et de rien" tel que mentionné dans le témoignage de Monsieur Morin à la page 848 des notes sténographiques:

R. J'ai pas dit insignifiant. J'ai dit de tout et de rien. Ça veut dire qu'elle se plaignait de beaucoup de choses. J'ai pas mentionné que c'était insignifiant.

L'argumentation de l'intimée est à l'effet également que le harcèlement sexuel doit être non sollicité et non désiré, tel que décrit dans la cause Bouvier c. Métro Express, 17 C.H.R.R., D/326 au paragraphe 59:

...à établir que le comportement dont elle se plaint était (1) de nature sexuelle (2) non désiré et (3) humiliant.

Le fait pour Madame Charlotte Pond, selon l'intimée d'avoir soulevé elle-même la statue chinoise et d'avoir découvert par ses propres moyens le caractère sexuel de ladite statue et ce en pénétrant dans le bureau de Monsieur Roger Côté sans son autorisation. Le fait également que dans les diverses succursales où travaillait Charlotte Pond, les affiches à caractère sexuel se trouvaient dans le bureau du courrier enregistré, endroit où les employés n'ont pas accès. La Société canadienne des postes s'est servi de ces éléments pour prétendre que c'est Madame Charlotte Pond qui a sollicité le harcèlement sexuel à son égard en se rendant dans les endroits non-autorisés elle-même. Peut-on aller jusqu'à prétendre qu'elle méritait également les commentaires désobligeants à son égard?

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Le Tribunal ne peut pas accepter de tels arguments puisqu'il a été admis en preuve par tous les témoins que malgré les restrictions pour les employés d'entrer dans différentes pièces; dans les faits, tous les employés allaient régulièrement à chaque jour soit dans le bureau de leur superviseur ou encore dans le bureau du courrier enregistré.

Tolérer de telles affiches de femmes nues ou des objets à caractère sexuel pouvant amener des commentaires désobligeants à l'égard de femmes travaillant dans des milieux d'hommes, empoisonnent le milieu de travail et ont fait en sorte que Madame Charlotte Pond s'est sentie inégale, isolée et dépréciée en comparaison avec ses co-travailleurs mâles.

Le Tribunal en vient donc à la conclusion que les explications fournies par la Société canadienne des postes ne justifient pas le comportement discriminatoire qu'a subi la plaignante Madame Charlotte Pond et qu'elle a agi à l'encontre de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui interdit le harcèlement sexuel en matière d'emploi.

Nous allons donc nous pencher maintenant sur l'évaluation de la responsabilité de l'employeur en matière de harcèlement. Plusieurs causes de jurisprudence ont reconnu la responsabilité de l'employeur à l'égard des actes de leurs employés dans des situations de discrimination ou de harcèlement. La Cour Suprême a eu à trancher cette question dans la cause Robichaud c. Conseil du Trésor (1987) R.C.S. dans laquelle le Juge La Forest a statué qu'une interprétation large et libérale axée sur l'objet réparateur de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne visait pas à rechercher les fautes, ni à punir les auteurs de la discrimination mais plutôt à éliminer le fléau de harcèlement et de discrimination en milieu de travail. Pour atteindre ce but, il s'agit d'indemniser la victime pour le préjudice matériel et moral qu'elle a subi tel qu'il est mentionné à la page 92 de l'arrêt sus-mentionné:

...que la Loi, nous l'avons vu, ne vise pas à déterminer la faute ni à punir une conduite. Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer. Pour ce faire, il faut que les redressements soient efficaces et compatibles avec la nature «quasi constitutionnelle» des droits protégés.

Il importe également de mentionner que le paragraphe 65(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit expressément que les "actes ou omissions commis par un employé...sont réputés...avoir été commis par la personne, l'organisme ou l'association qui l'emploie". Le paragraphe 65(2) précise les conditions à remplir de la part de l'employeur

pour se libérer des obligations qui sont les siennes en vertu des actes discriminatoires commis par ses employés. L'employeur doit établir qu'il a "pris toutes les mesures nécessaires pour l'empêcher" et qu'il a ensuite "tenté d'en atténuer ou d'en éliminer les effets".

La preuve a démontré que si le harcèlement a eu lieu sans le consentement de la direction de la Société canadienne des postes puisqu'elle avait fait parvenir une directive sur l'affichage des "posters" à caractère sexuel aux dirigeants des diverses succursales postales, celle- ci n'a pas vérifié ni pris de mesures appropriées pour l'application de sa directive. Elle n'a pas été diligente à éliminer les effets, une fois informée de l'existence du harcèlement exercé par Monsieur Roger Côté à l'égard de Madame Charlotte Pond; elle a toléré des affiches de femmes nues dans le milieu de travail et ce dans trois succursales différentes soit: succursale E, succursale K et la succursale Verdun pour les périodes couvrant les mois d'octobre 1986 au mois de janvier 1989, conformément à la plainte signée le 13 septembre 1989 et en vertu de laquelle le présent Tribunal a été formé.

C- Évaluation de la preuve de la plaignante et du préjudice subi.

Madame Charlotte Pond a-t-elle démontré devant le Tribunal que la discrimination dont elle se plaint était de nature sexuelle, non désirée et humiliante pour elle, tel qu'établit dans l'arrêt Bouvier c. Métro Express.

Il ne fait aucun doute pour le Tribunal que des affiches de femmes nues en milieu de travail, ainsi qu'une statue chinoise dont les dessous montrent les parties génitales d'un homme et d'une femme, dans le bureau d'un superviseur; objets servant de catalyseurs engendrant des commentaires désobligeants à l'égard de Madame Pond constituent une plainte de nature sexuelle tel qu'elle le mentionne à la page 123 des notes sténographiques:

[TRADUCTION]

R. Oui, parce que la simple présence de ce type de matériel dans un lieu de travail mixte, dans un lieu de travail, la simple présence de ces photos, de ce type de matériel, sert de catalyseur et fournit l'occasion de gestes, de paroles et de plaisanteries. Alors, le simple fait que ces photos s'y trouvent suggère aux collègues des gestes et des plaisanteries et des remarques qui font sentir aux femmes qu'elles ne sont pas les bienvenues et diminuent leurs chances d'être prises au sérieux au travail -- leurs chances d'être prises, vous savez, au sérieux au travail.

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Tel que mentionné auparavant, le Tribunal n'a pas retenu l'argumentation de la défense à l'effet que Madame Charlotte Pond avait elle-même provoqué ou recherché les commentaires désobligeants à son égard parce qu'elle était entrée sans y être autorisée dans le bureau de Monsieur Roger Côté ainsi que dans le bureau du courrier enregistré.

Cela ne justifie pas pour autant un représentant de l'employeur de proférer des commentaires sur la vie sexuelle d'un autre employé en essayant de l'humilier et de la ridiculiser, tel que mentionné à la page 100 des notes sténographiques:

[TRADUCTION]

R. Les remarques concernaient toutes sortes de choses, ma vie privée, ma vie sexuelle avec mon petit ami, -- vous savez, tout; des remarques sur ma langue -- un jour Roger Côté m'a dit que je ne devrais pas lire les journaux anglophones; toutes sortes de remarques, importunes et non sollicitées qui étaient humiliantes, visaient à m'humilier, à m'aliéner [...]

Il a été également mis en preuve que ce harcèlement sexuel dont était victime Madame Charlotte Pond a fait que son environnement de travail était empoisonné. Il y avait des rumeurs à son sujet. Elle se sentait inconfortable et stressée parmi les autres employés mâles. Elle n'a pas osé par la suite se plaindre des affiches de femmes nues dans les autres succursales parce qu'elle ne voulait pas subir la même situation stressante et humiliante qu'elle avait connue à la succursale E. Elle avait le sentiment qu'elle ne pouvait rien faire pour changer la situation.

Si on se réfère au témoignage de Madame Charlotte Pond aux pages 128 et suivantes des notes sténographiques, elle explique très bien quels sentiments elle a vécus à cette période de sa vie et de quelle façon elle a été humiliée:

[TRADUCTION]

R. Eh bien, cela éveille divers sentiments, parce que cela vous met en colère de voir que certaines personnes pensent encore que c'est convenable. Je me suis sentie -- cela n'a pas blessé mon amour-propre, mais pour une raison quelconque, je me suis rendu compte qu'avec ces affiches alentour, mes collègues masculins voyaient les femmes un peu différemment. D'une façon ou d'une autre, subtilement, cela porte atteinte à la crédibilité ou à la dignité de toutes les femmes, et à la mienne en particulier. Si les murs sont couverts de ce genre de photos de femmes nues et de tout ce qui s'ensuit, je ne pense pas que les femmes dans cet immeuble obtiendront le respect dont elles sont dignes en tant qu'êtres humains. J'estime donc qu'en ayant à travailler dans cette situation, c'était dur, parce que cela m'a mis en colère de, vous savez, ne pouvoir rien y faire et c'était triste dans un sens que le système n'ait pas bien fonctionné pour moi et que, vous savez, j'aie eu autant d'ennuis quand je me suis plainte la première fois. Alors, c'étaient plusieurs sentiments, vous savez -- j'étais frustrée de ne pas pouvoir les faire enlever.

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De plus, à la page 143, elle explique de quelle façon son travail était affecté par toute cette situation:

[TRADUCTION]

R. O.K. J'ai eu le sentiment qu'à tout moment, n'importe lequel de mes collègues ou de mes patrons masculins pourrait me dire : «Regarde cette affiche. Es-tu plus forte ou moins forte? Est-ce qu'elle est bien bâtie? Es-tu aussi bien bâtie?» J'avais le sentiment que la situation était explosive, qu'à tout moment, à cause de ces affiches et de ce type de matériel, c'était une sorte de catalyseur qui fournirait l'occasion de gestes ou de remarques ou de plaisanteries. J'étais mal à l'aise de travailler autour de cela, très mal à l'aise.

Pour toutes les raisons invoquées précédemment, le Tribunal en vient à la conclusion que la plainte de discrimination fondée sur le harcèlement sexuel en vertu de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne a été établie.

Les dommages et les demandes d'indemnité de Madame Pond

L'article de la Loi qui concerne les réparations est l'article 53, Loi canadienne sur les droits de la personne. Les dispositions qui concernent les demandes de réparation de Madame Pond sont les articles 53 (2) c) et d) et le paragraphe 53 (3) dont le libellé est le suivant:

53(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discri- minatoire:

c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte;

d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d'autres biens, services, instal-lations ou moyens d'hébergement, et des dépenses entraînées par l'acte.

53(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas:

  1. que l'acte a été délibéré ou inconsidéré;
  2. que la victime en a souffert un préjudice moral.

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Il va sans dire que l'employeur est responsable des actes discriminatoires que ses employés commettent au cours de leur emploi, Robichaud c. Reine 1987 R.C.S..

Madame Pond a soutenu qu'elle avait le droit de recevoir une indemnité à l'égard de ses dépenses encourues. Il a été cependant établi dans la cause Procureur Général du Canada c. Morgan (1992) 2 C.F., que seules les pertes matérielles qui découlent directement de l'acte discriminatoire peuvent faire l'objet d'une indemnisation. Il doit donc y avoir un lien direct entre l'indemnité accordée et l'acte discriminatoire. En conséquence nous étudierons ses demandes en distinguant les préjudices directs et les préjudices indirects qu'elle a subis.

1- Les dommages directs

Madame Pond a réclamé comme dommages directs les montants encourus pour la prise de photographies, photocopies de documents, divers comptes d'avocats et d'investigation ainsi que le compte de son procureur dans la présente cause.

Le Tribunal est d'avis que les dépenses de photographies, timbres et de photocopies sont des dépenses reliées directement à la cause 53(2) c). Ces dépenses s'élèvent à environ 300$. Il est évident que Madame Pond a droit de recouvrer ce montant, en raison de la conclusion à laquelle nous sommes arrivés.

2- Les dommages indirects

Par contre, en ce qui concerne les dépenses reliées à l'embauche d'un enquêteur pour faire surveiller les allées et venues d'un confrère de travail, ainsi que les comptes d'avocats pour la représenter dans les causes de grief en matière de travail, nous sommes d'avis que cette demande ne découle pas directement du fait de la discrimination subie par Madame Pond dans cette cause mais plutôt de conflits de relation de travail qui ne sont pas de la compétence de ce Tribunal.

3. Remboursement de frais légaux

La plaignante demande également au Tribunal de rembourser le compte de son avocate Me Fricot dont elle a retenu les services pour se faire représenter dans la présente affaire, montant qui s'élève à 8653,30$.

Afin d'appuyer sa réclamation, la plaignante nous réfère à deux causes dont la première traite de la représentation par un autre avocat que celui de la Commission canadienne des droits de la personne. Il s'agit de Grover c. Conseil national de recherches du Canada T.D. 12/92 dans laquelle le Tribunal a accordé le remboursement des frais d'avocats mais basés sur le taux alloué par la Cour Fédérale, tel que mentionné aux pages 110 et 111:

Si les réparations ont pour but d'indemniser intégralement et suffisamment le plaignant qui a été victime d'actes discriminatoires, alors à coup sûr la conséquence que constituent les dépens fait partie intégrante d'une réparation adéquate pour le plaignant qui a gain de cause.

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Nous estimons que la représentation de M. Grover par Me Bennett était tout à fait nécessaire et a constitué un élément très utile de la présentation de toute cette affaire. Nous ne voulons d'aucune façon laisser entendre que la preuve de la Commission n'a pas été présentée d'une manière totalement satisfaisante par Me Engelman, qui a occupé pour elle tout au long de l'instance. En effet, sa présentation a été également utile au tribunal. Nous accorderions donc à M. Grover les frais de son avocat dans la présente instance selon le tarif de la Cour fédérale.

Le deuxième arrêt soumis par la plaignante à l'appui de sa demande du paiement du compte de Me Fricot est celui de Thwaites c. Forces armées canadiennes T.D. 9/93 où à la page 100, le Tribunal a conclu que l'embauche d'un actuaire était nécessaire pour établir la preuve du plaignant et que l'article 53(2)c) pouvait inclure dans sa définition des dépenses entraînées par l'acte de discrimination: des dépens raisonnables payés aux actuaires et les dépens évalués suivant le barème de la Cour Fédérale:

Si les réparations ont pour but d'indemniser intégralement et suffisamment le plaignant qui a été victime d'actes discriminatoires, alors à coup sûr la conséquence que constituent les dépens fait partie intégrante d'une réparation adéquate pour le plaignant qui a gain de cause.

Compte tenu des circonstances en l'espèce, le tribunal ordonne aux Forces Armées Canadiennes de défrayer le plaignant des dépens raison-nables qu'il a assumés, y compris des hono-raires payés aux actuaires aux fins de la présente affaire. Si les parties ne peuvent s'entendre au sujet de ce montant, les dépens seront évalués suivant le barème de la Cour fédérale.

Par contre, l'intimée a respectueusement soumis au Tribunal l'arrêt Cameron C.H.R.R., D/2197 dans lequel il est mentionné au paragraphe 18534 que le plaignant a le devoir de réduire ses coûts et ses dépenses à moins que ce ne soit essentiel à sa cause:

[TRADUCTION]

Le plaignant a l'obligation de prendre des moyens raisonnables pour réduire ses dommages.

L'intimée a souligné le fait que Me Odette Lalumière, avocate de la Commission canadienne des droits de la personne était assignée et disponible pour présenter le dossier. Aucune raison n'a été donnée à l'effet qu'il était essentiel pour Madame Pond d'engager Me Fricot et que

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Madame Pond n'a pas mitigé ses dommages en engageant personnellement un autre avocat. Par conséquent, la Société canadienne des postes prétend qu'il s'agit d'une dépense tout à fait inutile et qu'elle n'a pas à payer cette dépense.

L'article 41(2)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne permet au Tribunal d'accorder le remboursement des frais légaux. Étant donné les présentes circonstances, nous ne croyons pas qu'il était nécessaire pour Madame Pond d'engager les services de son propre procureur. Le Tribunal reconnaît que les représentations de Me Fricot ont été utiles mais il est d'avis que l'engagement de Me Fricot a été une décision personnelle de Madame Charlotte Pond. Le Tribunal conclut donc que cette dépense est redondante puisqu'il n'existe aucun conflit entre la Commission canadienne des droits de la personne et la plaignante.

Par conséquent, cette dépense ne peut pas être prise en considération selon l'article 53(2)c) de la LCDP ainsi qu'il en a été décidé dans l'arrêt Potapczyk c. MacBain. 5 C.H.R.R., décision 389 par. 19367:

[Traduction]

...nous estimons qu'en l'espèce, il n'était pas nécessaire que Mme Potapczyk retienne les services d'un avocat indépendant. Bien que Mme Cornish ait fait un excellent travail et se soit avérée d'un grand secours, la Commission est, en vertu du paragraphe 40(2), chargée de la conduite de la plainte dans l'intérêt public. D'ailleurs, dans la présente enquête, l'affaire a été présentée par un avocat très compétent au nom de la Commission. Les intérêts de la Commission et du plaignant sont habituellement les mêmes. C'est ce qui s'est produit ici puisqu'il n'y avait fondamentalement pas de conflit entre la Commission et la plaignante, bien que cette dernière ait avancé une théorie additionnelle de harcèlement sexuel que n'avait pas présentée la Commission.

4- Préjudice moral ARTICLE 53(3)B)

Madame Pond a également réclamé une indemnité pour le "préjudice moral" qu'elle a subi en se fondant sur l'article 53(3)b) de la Loi. Selon cette disposition, le montant maximal qu'elle peut obtenir sous ce chef s'élève à 5 000$.

L'examen de la jurisprudence des dernières années en ce qui concerne les dommages moraux accordés en matière de harcèlement sexuel démontre qu'il faut tenir compte de la nature du harcèlement (verbal ou physique),

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de la durée du harcèlement, de la fréquence des gestes posés, de l'âge de la victime, de sa vulnérabilité ainsi que de l'impact psychologique du harcèlement sur elle.

Considérant l'ensemble de ces éléments, le Tribunal estime que la plaignante a droit au montant de 4 000$ pour le préjudice moral qu'elle a subi lors de son emploi à la Société canadienne des postes du mois d'octobre 1986 au mois de janvier 1989.

5. Intérêts

Le Tribunal a la compétence pour accorder des intérêts sur les montant réclamés en vertu de l'article 53(2)d) et 53(3)b), et ce à compter de la signature de la plainte soit à partir du 13 septembre 1989 dans le présent dossier conformément à ce qui a été énoncé dans la cause LeBlanc c. Société canadienne des postes D.T. 7/92. Depuis les six dernières années, les taux d'intérêts bancaires ont varié de 11% à 4%, il nous semble donc approprié d'utiliser un taux moyen que nous fixons à 7%.

En conséquence, nous accordons à Madame Charlotte Pond la somme de 4 300$ (4 000$ + 300$) ainsi que des intérêts au taux de 7% à compter du 13 septembre 1989 et condamnons l'intimée, la Société canadienne des postes à verser la somme de 5 700$ à la plaignante.

SIGNÉ A AYLMER, LE MARS 1994.

JACINTHE THÉBERGE, présidente

SIGNÉ A MONTRÉAL, LE MARS 1994.

RAM JAKHU, membre

SIGNÉ A MONTRÉAL, LE MARS 1994.

LISE LEDUC, membre

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