Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 5/94 Décision rendue publique le 9 février 1994

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. (1985), ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE BOZIDAR RODOVANOVIC

le plaignant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

VIA RAIL CANADA INC.

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: Me Roger Doyon, président

ONT COMPARU: Me François Lumbu, avocat de la Commission Me Chantal Lamarche, avocate de l'intimée VIA Rail Canada Inc.

Les 4 et 5 octobre 1993 à Montréal (Québec)

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE:

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INTRODUCTION

Un Tribunal des droits de la personne, formé du soussigné, a été constitué le 14 juillet 1993 par M. Keith C. Norton, président, Comité du tribunal des droits de la personne, afin d'examiner la plainte déposée par M. Bozidar Rodovanovic en date du 12 mars 1990 à l'encontre de VIA Rail Canada Inc., tel que le démontre le document produit comme pièce T-1. Les audiences se sont tenues les 4 et 5 octobre 1993 à Montréal.

PLAINTE

Le 12 mars 1990, M. Bozidar Rodovanovic déposait auprès de la Commission des droits de la personne une plainte à l'endroit de l'intimée, VIA Rail Canada Inc. Cette plainte produite comme pièce C-3 se détaille comme suit:

"La direction de VIA Rail Canada Inc. a agi de façon discriminatoire à mon endroit en raison de mon origine nationale (yougoslave) en me décernant quarante-cinq (45) points de pénalisation et en me congédiant de mon emploi d'aide-wagonnier, ce, de façon totalement injustifiée, contrairement à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le 18 décembre 1989, j'ai écopé de quarante-'Cinq (45) points de démérite qui ont entrainé mon congédiement, parce que j'aurais eu une altercation avec un autre employé le 3 décembre 1989.

En réalité, le 3 décembre 1989, un employé, Yvon Gervais, m'a harcelé en m'adressant des propos racistes et en me bousculant. Lors de cet incident, j'ai été victime du comportement inacceptable d'Yvon Gervais et ma conduite ne justifiait aucune action disciplinaire à mon endroit.

La décision de me congédier constitue une injustice flagrante qui me cause des préjudices pour lesquels je tiens le mis en cause responsable.

Fait à Montréal, Québec, ce 12 jour de mars 1990

Signature du plaignant Témoin de la signature

A l'audience, les parties ont convenu que le dernier paragraphe de la plainte devait être modifié pour se lire comme suit:

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'La décision de me congédier, transformée ultérieurement en suspension, constitue une injustice flagrante qui me cause des préjudices importants pour lesquels je tiens le mis en Cause responsable.

ES FAITS

Le- plaignant, d'origine yougoslave, a immigré au Canada en 1975 et il a acquis la citoyenneté canadienne en 1978.

En 1979, il fut embauché par le C.N. et transféré par la suite à VIA Rail Canada Inc. où il occupe la fonction d'aide-wagonnier sur un quart de travail régulier de 23 h 30 à 7 h 30, du samedi soir au jeudi matin et occasionnellement sur un quart de travail de 15 h 30 à 23 h 30.

D'un commun accord, les parties ont déposé comme pièce A-1 une entente sur les faits dont le contenu se détaille ainsi:

"E s

  1. Le plaignant, Bozidar Rodovanovic, est aide-wagonnier à l'emploi de VIA Rail Canada Inc. (ci-après appelée 'VIA"). Il travaille au Centre d'entretien de Montréal;
  2. M. Yvon Gervais est également aide-wàgonaier à l'emploi de VIA et travaille également au Centre d'entretien de Montréal;
  3. Ces deux employés sont membres de l'unité de négociation représentée par la Fraternité canadienne des wagonniers de chemins de fer du Canada;
  4. Les conditions de travail de ces deux employés sont, en tous temps pertinents aux présentes, régies par une convention collective de travail conclue entre le syndicat et VIA;
  5. Avant le 3 décembre 1989, le plaignant et M. Yvon Gervais entretenaient des relations cordiales;
  6. Environ un mois avant le 3 décembre 1989, le plaignant prête à Yvon Gervais un casse-tête en plastique pour la fin de semaine. Le garçon de Yvon Gervais égare une pièce. En revenant au travail, Yvon Gervais en fait part au plaignant et indique qu'il lui remettra le jeu lorsqu'il aura retrouvé la pièce manquante;
  7. Dans les semaines précédant le 3 décembre 1989, M. Rodovanovic insiste, à quelques reprises, pour que M. Gervais lui redonne le casse-tête;
  8. M. Gervais indique à toutes les fois que M. Rodovanovic lui demande le casse-tête qu'il ne peut le lui redonner parce qu'il n'avait pas l'objet en question, qu'il avait déjà expliqué qu'il avait donné le casse-tête à son fils, lequel l'avait perdu et qu'il était incapable de le rendre à ce moment-là;
  9. L'après-midi du 3 décembre 1989, peu avant le début de leur quart de travail, MM. Gervais et Rodovanovic étaient assis à la cafétéria de la société lorsque ce dernier a, encore une fois, demandé à M. Gervais de lui remettre ledit casse-tête;
  10. L'insistance de M. Rodovanovic à demander le casse-tête à M. Gervais a donné lieu à des échanges verbaux acerbes;
  11. M. Gervais éprouvait, semble-t-il, des problèmes familiaux et était visiblei-nent troublé;
  12. Bien que, par le passé, il ait entretenu des relations amicales avec M. Rodovanovic, il s'est animé lorsque ce dernier lui a dit qu'on ne pouvait lui faire confiance;
  13. M. Gervais, à son tour, a prononcé les paroles suivantes à l'égard de M. Rodovanovic: 'maudit déporté de russe tu peux retourner dans ton pays", il a également mentionné des propos par lesquels il indiquait à M. Rodovanovic de retourner en Russie qu'au Québec on était québécois et que lui était communiste;
  14. Au même moment, M. Gervais s'est levé et a poussé M. Rodovanovic à l'épaule et ce dernier a été poussé contre une table et son casque protecteur est tombé sur le sol;
  15. L'incident a pris fin à ce moment-là;
  16. Après avoir pris connaissance de l'incident du 3 décembre 1989, VIA décide de suspendre immédiatement les deux employés jusqu'à ce qu'une enquête plus approfondie soit complétée;
  17. VIA procède à une enquête au sujet de l'incident du 3 décembre 1989 et recueille les versions des différents témoins ainsi que celle du plaignant et celle de M. Yvon Gervais;
  18. Après avoir considéré et pesé les faits révélés par l'enquête, VIA conclut que le plaignant et Yvon Gervais ont une responsabilité égale dans l'incident du 3 décembre 1989;
  19. VIA décide donc d'inscrire au dossier de chacun des deux (2) employés quarante-cinq (45) points de démérite;
  20. L'imposition de quarante-cinq (45) points de démérite au dossier du plaignant porte le total de points à plus de soixante (60) points et, conformément au système de points en vigueur, un total supérieur à soixante (60) points entraîne son congédiement;
  21. L'imposition de quarante-cinq (45) points de démérite au dossier de M. Yvon Gervais entraîne également son congédiement puisque le total de points de démérite à son dossier dépasse ainsi soixante (60);
  22. Le 2 janvier 1990, la Fraternité canadienne des wagonniers de chemins de fer du Canada dépose deux griefs en vertu de la convention collective de travail au nom de MM. Gervais et Rodovanovic par lesquels elle demande le retrait de la mesure disciplinaire (copies des deux griefs sont jointes à la présente);
  23. Suite au dépôt du grief au nom de M. Rodovanovic et à l'entente intervenue avec le syndicat, VIA a réévalué le dossier et décidé le réintégrer le plaignant et d'ajuster son dossier disciplinaire à cinquante-cinq (55) points de démérite, réduisant ainsi de quarante-cinq (45) à dix (10) le nombre de points décernés pour l'incident du 3 décembre 1989. Une suspension de cinq (5) mois sans salaire est substituée au congédiement. Le congédiement de M. Gervais est cependant maintenu;
  24. M. Yvon Gervais porte son grief à l'arbitrage devant Me Harvey Frumkin;
  25. Par sentence en date du 23 mai 1991, après avoir entendu les témoins et les représentations du syndicat et de VIA, l'arbitre rend une décision par laquelle il accepte "l'évaluation initiale de VIA selon laquelle les deux participants devaient porter un blâme égal pour ce qui est de l'incident' (sentence arbitrale, dont copie est ci-jointe, p. 4);
  26. Selon l'arbitre, M. Rodovanovic doit porter l'entière responsabilité d'avoir provoqué l'incident et M. Yvon Gervais l'entiére responsabilité de sa réaction;

Heenan Blaikie Procureur de VIA Rail Canada Inc.

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A l'expiration de sa mesure disciplinaire de suspension, le plaignant a été réintégré dans sa fonction d'aide-wagonnier, soit le ler mai 1990 et, le 21 juillet 1993, son employeur lui décernait dans le cadre de son opération excellence une lettre de reconnaissance 'pour avoir dans l'exercice de ses fonctions montrer un intérêt soutenu et une qualité de travail exemplaire au nettoyage des condenseurs d d'air climatisé des voitures LRC afin que les passagers profitent d'un voyage confortable.' (Pièce C-4).

JURIDICTION DU TRIBUNAL

VIA Rail Canada Inc. soutient que le Tribunal n'a pas juridiction pour entendre la plainte de M. Rodovanovic. A l'appui de sa prétention, l'intimée invoque l'article 41 c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R. (1985) ch. H-6 qui stipule:

'Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants:

C) La plainte n'est pas de sa compétence.'

Me François Lumbu Commission canadienne des droits de la personne

Bozidar Rodovanovic, Plaignant'

L'intimée prétend que les dommages réclamés par M. Rodovanovic à l'appui de sa plainte relèvent de la compétence d'un arbitre de grief puisque les parties sont liées par une convention collective laquelle prévoit un mécanisme de grief lorsqu'un salarié prétend que les droits que lui confèrent cette convention n'ont pas été respectés. Le grief, étant de la juridiction d'un arbitre, le présent Tribunal n'aurait, par conséquent, aucune compétence pour statuer sur la plainte de M. Rodovanovic.

A la suite des événements du 3 décembre 1989, VIA Rail Inc. décide d'inscrire au dossier du plaignant quarante-cinq (45) points de démérite portant ainsi le total de points de démérite au dossier de M. Rodovanovic à quatre-vingt-dix (90) points. En raison du système de points en vigueur, lorsque le total de points de démérite inscrit au dossier d'un salarié est supérieur à soixante (60) points, la mesure disciplinaire imposée est le congédiement et le plaignant fut effectivement congédié.

Le 2 janvier 1990, M. Rodovanovic déposait, par l'intermédiaire du syndicat dont il était membre, un grief contestant la mesure disciplinaire imposée. A la suite d'une rencontre entre la partie §yndicale et la partie patronale, une entente est intervenue le 23 avril 1990 modifiant la mesure

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disciplinaire imposée au plaignant. Il lui fit imposer une mesure disciplinaire de suspension de cinq (5) mois assortie de l'inscription de dix (10) points de démérite à son dossier portant ainsi le total de points de démérite à son dossier à cinquante-cinq (55) points. Le plaignant a accepté cette entente (Volume 1, page 62).

Ayant épuisé les recours que lui permet la convention collective de travail, M. Rodovanovic s'adresse à la Commission canadienne des droits de la personne. La plainte qu'il formule comporte deux (2) volets.

Dans un premier temps, il estime que la mesure disciplinaire qui lui fut décernée était basée sur le fait qu'il était d'origine yougoslave. Il demande que cette suspension ainsi que les dix (10) points de démérite inscrits à son dossier soient annulés et d'être indemnisé pour la perte salariale encourue pendant sa suspension laquelle fut admise du consentement des parties au montant de 3 383,37 $.

Dans un deuxième temps, M. Rodovanovic soutient qu'il a été victime de propos racistes de la part d'un employé de l'intimée.

Le Tribunal a-t-il juridiction quant au premier volet de la plainte?

Dans l'affaire Ste-Anne Mackawic Pulp & Paper c. S.C.T.P. (1986), 1 R.C.S., p. 704, L'Honorable Juge Estey, aux pages 718 et 719 s'exprime ainsi:

"La convention collective établit les grands paramètres du rapport qui existe entre l'employeur et ses employés. Ce rapport est ajusté d'une manière appropriée par l'arbitrage et, en général, ce serait bouleverser et le rapport et le régime législatif dont il découle que de conclure que les questions visées et régies par la convention collective peuvent néanmoins faire l'objet d'actions devant les tribunaux en common law... L'attitude plus moderne consiste à considérer que les lois en matière de travail prévoient un code régissant tous les aspects des relations de travail et que l'on porterait atteinte à l'économie de la loi en permettant aux parties à une convention collective ou aux employés pour le compte desquels elle a été négociée, d'avoir recours aux tribunaux ordinaires qui sont dans les circonstances une juridiction faisant double emploi à laquelle la législature n'a pas attribué ces tâches. "

L'entente du 23 avril 1990 a été bien comprise par le plaignant qui déclare (Vol. 2, p. 6162):

résident

Monsieur Rodovanovic, au mois de décembre 1989 vous êtes congédié. Vous comprenez qu'être congédié ça veut dire qu'on perd son

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emploi pour toujours, d'accord?

A la suite du grief que vous avez fait par votre syndicat il y a eu entente entre le syndicat et l'employeur que vous ne seriez plus congédié mais que vous seriez suspendu pendant cinq mois. Vous avez accepté ça.

témoin

J'ai pas accepté.

Le président

Mais vous avez accepté puisque vous êtes revenu au travail au mois de mai 1990. Vous avez accepté de recevoir une punition de cinq mois.

Le témoin

Okay.

Le président

Vous êtes d'accord?

Le témoin

Oui.

Le président

Et vous avez accepté également qu'au lieu d'avoir 45 points de démérite à votre dossier vous en ayez dix de plus c'est exact? Au lieu d'avoir 90 points de démérite à votre dossier que vous n'en auriez que 55. Vous avez accepté ça.

Le témoin

Oui.

Le président

Et vous êtes revenu au travail.

Le témoin

Oui.'

Cette entente acceptée par M. Rodovanovic est de la nature d'une sentence

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arbitrale que le Tribunal n'a pas le pouvoir de modifier. Le premier volet de la plainte n'est donc pas de la compétence du présent tribunal d'autant plus que, s'il se déclarait compétent, il agirait comme tribunal d'appel.

Il apparaît cependant opportun de souligner que les faits mis en preuve ont démontré de toute évidence que la mesure disciplinaire imposée au plaignant était basée uniquement sur le fait qu'une altercation est intervenue avec un autre employé sans aucune relation avec son origine ethnique.

Quant au second volet de la plainte à l'effet qu'un employé de VIA Rail Canada Inc., M. Yvon Gervais, ait tenu à l'endroit de M. Rodovanovic des propos racistes, il appartient au plaignant de démontrer au tribunal qu'il a été victime "prima facie" d'un acte discriminatoire.

Cette exigence découle de la décision de la Cour Suprême du Canada dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke (1982), 1, R.C.S., page 202.

La preuve révèle que le 3 décembre 1989, M. Bozidar Rodovanovic, citoyen canadien d'origine yougoslave, était à l'emploi de l'intimée tout comme M. Yvon Gervais.

Au document intitulé 'entente sur les faits' (A-1), on peut lire au paragraphe 13:

M. Gervais, à Son tour, a prononcé les paroles suivantes à l'égard de M. Rodovanovic: "maudit déporté de russe, tu peux retourner dans ton pays", il a également mentionné des propos par lesquels il indiquait à M. Rodovanovic de retourner en Russie qu'au Québec on était québécois et que lui était communiste.'

Cette admission démontre à sa face même que le plaignant a été victime d'un acte discriminatoire fondé sur son origine nationale.

VIA Rail Canada Inc., soutient que le Tribunal n'a pas juridiction sur ce second volet de la plainte qui aurait également fait partie du règlement intervenu le 23 avril 1990 modifiant la mesure disciplinaire imposée.

Dès que les supérieurs immédiats de MM. Rodovanovic et Gervais sont informés qu'une altercation s'est produite entre les deux (2) salariés, ils sont suspendus sur le champ et quittent le lieu de leur travail.

Cette suspension vise à éviter tout risque de récidive et à permettre qu'une enquête soit faite afin d'interroger les parties impliquées pour être en mesure, une fois les faits établis, de statuer sur les mesures disciplinaires pouvant s'imposer.

Les versions obtenues de chacun des salariés (I-2) confirment qu'une

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altercation est intervenue entre les deux salariés et que des propos racistes ont été adressés à M. Rodovanovic par M. Gervais.

On accorde alors aucune attention aux propos racistes dont le plaignant a été victime sous prétexte que M. Rodovanovic n'a pas porté plainte. On s'attarde plutôt à la question de l'altercation qui est de beaucoup plus importante.

M. Georges Cyr, responsable des relations de travail chez VIA Rail Canada Inc. s'exprime ainsi: (Volume 1, page 165):

'Pour VIA Rail, un cas d'altercation entre deux employés c'est quelque chose... pour nous c'est une offense qui est passible de renvoi, donc c'est une chose très sérieuse. "

Une fois le dossier d'enquête complété, M. Cyr, accompagné de M. Lussier contremaître d'atelier qui avait participé à l'enquête, rencontrent le directeur du centre de maintenance de Montréal, M. Marc Duclos, qui est l'autorité compétente pour décider d'une mesure disciplinaire à imposer. Après examen du dossier, M. Cyr explique la décision du directeur (Volume 1, pages 174, 175):

"R. La décision du directeur, après avoir vérifié tout ça, sa décision à lui a été de donner aux deux employés d'avoir une sentence égale, et c'était de donner une sentence égale, et c'était de donner une sentence ... vous voy ez, nous autres dans le système disciplinaire 60 points équivaut à un congédiement. Ça fait que lui, il dit moé j'veux une sentence sévère qui va très bien faire savoir à ces employés-là que ce n'est pas toléré à VIA Rail de se battre sur les lieux du travail.

Ça fait que lui, il a dit, 45 notes défavorables. J'ai signifié à ce moment-là que pour ces deux personnes-là, 45 notes défavorables, compte tenu de l'état de leur dossier au moment où on se parlait, ça signifiait quand même un congédiement.

Il a dit, moé je descendrai pas en bas de ça, puis si c'est un congédiement c'est regrettable mais ça va être un congédiement, parce qu'il a dit moé, j'veux pas donner une mesure à cause qu'ils ont 45, donner seulement dix points de démérite puis faire savoir à tout le monde dans l'atelier ici qu'une bataille, ça vaut 10 points de démérite. Il dit c'est absolument pas admissible.

Ça fait qu'il a dit une mesure disciplinaire qui signifie très bien, parce qu'on parle toujours d'une mesure disciplinaire progressive pour la réoccurrence, il n'y a pas un employé qui ... ça fait que ça a été 45 points de démérite.'

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Puis M. Cyr révèle les motifs pour lesquels les deux employés ont subi la même mesure disciplinaire (Volume 1, page 179):

"Q. Pourquoi est-ce qu'on a décidé d'imposer à M. Rodovanovic la même pénalité qu'à M. Gervais?

R. Parce que nous, suite à la documentation, l'altercation, pour juger réellement l'altercation, provoqueur/provoqué, et en droit du travail moi c'est la recommandation que je faisais selon la jurisprudence que j'avais eue, c'est quand deux personnes se battent il y a un attaquant, il y a un attaqué, un provocateur et un provoqué, mais la responsabilité est égale. C'est pour ça qu'on avait donné la même mesure disciplinaire aux deux.

Le président

En somme vous avez dit s'il y a eu une altercation, pour qu'il y en ait une il fallait qu'ils soient deux.

Le témoin

C'est ça.

Le président

Puis ils vont mériter la même punition.

Le témoin

Exactement.

Il ressort de la preuve que les dirigeants de l'intimée n'ont absolument pas tenu compte, au moment de l'imposition de la mesure disciplinaire à M. Gervais, des propos racistes qu'il aurait tenus à l'endroit du plaignant et qu'il se soit vu décerner une mesure disciplinaire pour ces propos et ce, de l'aveu même de M. Cyr. (Volume 1, pages 193, 194 et 195).

"Q. Donc, si on comprend bien votre témoignage, monsieur Cyr, c'est à compter de la troisième étape... à la troisième étape vous tenez compte des propos raciaux qui ont été tenus contre M. Rodovanovic ainsi que de l'élément agresseur.

R. Oui. Q. Pourquoi est-ce qu'on en a pas tenue compte avant?

R. Parce qu'avant... la première des choses c'est qu'il n'y a jamais eu de plainte formelle. Moi, la première fois où j'ai été mis au courant que M. Rodovanovic faisait une plainte de discrimination c'est quand j'ai vu arriver le formulaire des Droits de la personne.

Le président

La plainte de M. Rodovanovic aux Droits de la personne?

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Le témoin

Oui.

Le président

Quand la mesure de congédiement a-t-elle été imposée?

Le témoin

Selon la convention collective il faut que ce soit fait en- dedans de 21 jours après la fin des enquêtes. Je ne me rappelle pas quand la décision a été prise, mais si on va dire que la dernière enquête a eu lieu le 1 1, vous m'avez dit, 21 jours après ça il fallait que ce soit fait parce que...

Le président

Reportons-nous en 1990 pour les besoins de la discussion après les Fêtes.

Le témoin

Oui.

Le président

Lorsque la mesure disciplinaire de congédiement a été imposée, elle ne tenait absolument pas compte de la discrimination?

Le témoin

Non. On s'était basé sur l'atercation, comme je vous l'ai dit tantôt. C'était juste ça qui a fait...

Le président

Oui mais monsieur Cyr, porter un jugement en droits du travail, vous savez comme moi qu'au moment où l'employeur prend sa décision il porte un jugement basé sur les faits.

Ce que vous me dites, vous dites au moment où la prise de décision est intervenue relativement à ces deux travailleurs il fut décidé que les deux seraient congédiés pour le motif de l'altercation physique. On est bien d'accord là-dessus. Vous venez de me dire qu'à ce moment-là jamais il y avait, à votre connaissance, la question possible de discrimination.

Le témoin

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Après la lecture des enquêtes j'avais lu qu'il y avait eu des propos d'échangés, mais ça n'a pas été pris en considération quand on a pris la mesure disciplinaire.

Le président

Donc on le prend pas en considération au moment du congédiement.

Le témoin

Non.'

Le 12 mars 1990, M. Rodovanovic dépose une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. (Pièce A-1).

Au cours du mois d'avril 1990, en application de la troisième étape de la procédure de grief, une rencontre patronale syndicale a lieu dans le but de discuter du grief du plaignant et d'en arriver possiblement à un règlement.

Il fut alors décidé que la mesure disciplinaire imposée au plaignant serait modifiée en cinq (5) mois de suspension et dix (10) points de démérite inscrits à son dossier alors que la mesure disciplinaire imposée à M. Gervais serait maintenue.

Les motifs qui ont incité l'intimée à modifier la mesure disciplinaire imposée au plaignant reposait sur le fait que, même si M. Rodovanovic avait provoqué l'incident en insistant pour obtenir son casse-tête, il avait été agressé par M. Gervais de sorte que sa punition devait être moindre que celle imposée à M. Gervais, l'agresseur. Sa réaction avait été hors de proportion à l'encontre de la provocation. C'est pourquoi la mesure disciplinaire imposée à M. Gervais fut maintenue.

Le Tribunal ne peut souscrire à cette prétention de l'intimée que la discrimination dont fut victime le plaignant a fait l'objet du règlement du 23 avril 1990 pour les motifs suivants:

  1. L'intimée, en janvier 1990, a procédé à l'imposition d'une mesure disciplinaire à M. Gervais uniquement pour le motif de l'altercation physique intervenue avec le plaignant. Elle ne pouvait donc pas, en avril 1990, ajouter un motif additionnel, soit celui de l'altercation verbale, pour justifier et maintenir la mesure disciplinaire déjà imposée.
  2. L'intimée a prétendu que le maintien de la mesure disciplinaire imposée à M. Gervais visait également à le pénaliser pour les propos racistes qu'il avait tenus à l'endroit du plaignant. Toutefois, M. Cyr répond ainsi à la question du Tribunal: (Volume 1, page 203).

"Le président

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Ce que j'essaie de déterminer clairement avec vous c'est que la question de la discrimination n'a jamais fait l'objet d'une mesure disciplinaire à l'endroit de M. Gervais.

Le témoin

Non.

Le président

C'est ça.

Le témoin

En plein ça.'

C) Suite à l'audition du grief de M. Gervais tenue le 30 avril 1991, l'arbitre Harvey Frumkin note, à la page 4 de la sentence arbitrale qu'il a rendue le 23 mai 1991, ce qui suit:

"M. Rodovanovic doit porter l'entière responsabilité d'avoir provoqué l'incident et le plaignant l'entière responsabilité de sa réaction. Selon le tribunal, cependant, on aurait tort de dire que l'un était plus coupable que l'autre de telle sorte que la première opinion de la société au sujet de la responsabilité relative des participants est celle que le tribunal préfère... Une fois qu'il a été déterminé, après enquête, qu'il n'y avait pas lieu d'imputer une plus grande responsabilité à l'égard de l'incident à l'un ou l'autre des participants (comme l'a fait initialement la société) il aurait fallu à partir de ce moment-là se laisser guider par le principe du traitement égal.'

Aucun des considérants de l'arbitre de grief ne traite des propos racistes proférés par M. Gervais à l'endroit du plaignant.

En conséquence, le Tribunal conclut qu'il a juridiction pour statuer quant à la partie de la plainte de M. Rodovanovic visant les propos racistes proférés à son endroit par M. Gervais.

LE DROIT

Le tribunal se réfère aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R. (1985), ch. H-6, et plus particulièrement aux articles suivants:

"2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du

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Parlement du Canada, au principe suivant: le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

3.(l) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.'

Une fois la discrimination reconnue suite aux propos tenus par M. Gervais à l'endroit du plaignant, l'intimée soutient que M. Rodovanovic n'est pas justifié de réclamer des dommages puisqu'ils ne font pas l'objet de la plainte qu'il a formulée.

Cette plainte doit être analysée dans son ensemble. L'objectif recherché par le plaignant à la lecture de la plainte est, d'une part, l'annulation et des conséquences pécuniaires de la mesure disciplinaire qui lui fut imposée et, d'autre part d'obtenir réparation à la suite de l'acte discriminatoire dont il fut victime, réparation de la nature de dommages moraux.

A qui incombe la responsabilité de réparer les dommages moraux subis par le plaignant à la suite des propos racistes prononcés à son endroit par M. Gervais, employé de VIA Rail Canada Inc., et ce sur les lieux du travail?

L'article 65 (1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne énonce:

'Sous réserve du paragraphe (2), les actes ou omissions commis par un employé, un mandataire, un administrateur ou un dirigeant dans le cadre de son emploi sont réputés, pour l'application de la présente loi, avoir été commis par la personne, l'organisme ou l'association qui l'emploie.'

Pour se dégager de la responsabilité qui lui incombe, l'intimée se doit d'avoir respecté les conditions suivantes prévues à l'article 65 (2) de la Loi canadienne sur les droits de la onne et précisées dans l'affaire François c. Canadian Pacific Limited (C.P. Rail) C.H.R., Volume 9, décision 737, au paragraphe 36605: "l) que l'employeur n'ait pas consenti à la perpétration de l'acte ou de l'omission faisant l'objet de la plainte.

16 2) que l'employeur ait exercé toute la diligence nécessaire pour prévenir la perpétration de l'acte ou de l'omission.

3) que l'employeur ait exercé toute la diligence nécessaire par la suite pour atténuer ou annuler l'effet de l'acte ou de l'omission.'

Il ne fait aucun doute que l'intimée n'a pas consenti à la commission de l'acte reproché à M. Gervais soit les propos racistes tenus à l'endroit du plaignant.

L'intimée a-t-elle exercé toute la diligence nécessaire pour prévenir la perpétration de l'acte reproché?

La preuve révèle qu'en 1989, l'intimée s'était déjà dotée d'une politique visant la discrimination et le harcèlement que l'on retrouvait dans le guide d'administration du personnel placé dans la bibliothèque et elle pouvait être consultée sur demande.

Bien que les dirigeants de l'intimée aient témoigné à l'effet que lorsqu'ils sont informés de plaintes de discrimination, ils aient pris les moyens pour régler ces plaintes avec diligence, rien dans la preuve ne révèle qu'avant l'incident de 1989 l'intimée ait affiché la politique existante ni pris les dispositions nécessaires pour informer et sensibiliser -ses employés au respect de cette politique. PREJUDICE MORAL

A la suite des événements du 3 décembre 1989, l'intimée a-t-elle exercé toute la diligence nécessaire pour atténuer l'effet de l'acte commis par l'employé Gervais?

Dans sa déclaration au contremaître d'atelier Roussel, le 6 décembre 1989, le plaignant fait état des propos racistes tenus à son endroit mais on y accorde aucune attention prétextant qu'il n'y a pas de plainte officielle de discrimination de la part de M. Rodovanovic et que l'altercation est le point important de l'enquête.

Malgré cet incident, l'intimée n'a pas jugé à propos d'aviser ses employés de l'existence de cette politique de discrimination et de harcèlement. Ce n'est qu'au moins deux (2) mois plus tard que cette politique fut affichée.

Par conséquent, l'intimée n'a pas réussi à renverser la présomption édictée par l'article 65 (1) de la sonne en démontrant qu 'elle avait satisfait aux dispositions de l'article 65 (2) L.R. (1985), ch. H.6 et elle doit assumer les conséquences de l'acte discriminatoire commis par son employé, M.

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Gervais, à l'endroit du plaignant.

L'article 53 (3) de la droits du stipule:

"Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe 2, le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas:

a) que l'acte a été délibéré ou inconsidéré; b) que la victime en a souffert en préjudice moral.

Il ne fait aucun doute que les propos racistes adressés au plaignant étaient délibérés et le plaignant a été humilié.

M. Rodovanovic réclame des dommages moraux et une lettre d'excuse de son employeur VIA Rail Canada Inc.

Le plaignant a été humilié par les propos racistes qui lui furent adressés devant une vingtaine de ses collègues de travail. Il s'exprime ainsi (Volume 1, page 46):

"Q. En ce qui concerne l'aspect de dédommagement moral, vous dites qu'est-ce que vous avez éprouvé, qu'est-ce que vous avez senti lorsque vous avez été victime de propos racistes?

R. Premièrement je trouvais de la part de mon collègue que c'était pas correct, devant tout le monde se mettre debout puis crier comme ça... en disant que je suis un maudit importé de la Russie, malgré que je viens pas de là-bas, il faut que je retourne par bateau, je lis mon journal à l'envers, que je suis ici au Québec il faut que je respecte parce que nous autres me nourrir. Même en me disant qu'il s'en va dehors mais il va me traîner avec lui, je ne peux pas oublier ça... Q. Est-ce que vous avez parlé de cet incident à votre famille?

R. J'ai parlé à mon amie de coeur, à ma fille, mais le monde ici pas autant parce que j'ai gardé plus ça pour moi-même parce que j'étais moi-même un peu honte de ce qui est arrivé, je suis surpris. Je peux pas arriver à oublier ça.

Q. Est-ce que vous y pensez encore maintenant?'

R. Je pense puis je pense que je peux pas oublier ça, jamais.'

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Tenant compte de l'humiliation dont fut victime le plaignant, il y a lieu d'ordonner à l'intimée de lui verser un montant de 1 500 $ pour l'indemniser du préjudice moral qu'il a subi.

INTÉRETS

En ce qui a trait au paiement des intérêts sur le montant accordé, le tribunal applique le droit reconnu dans l'affaire Morgan c. Forces armées canadiennes (1989) 10, C.H.R.R. D. 6386 et plus particulièrement à la page D/6407 par. 45289 on y lit à propos du droit à des intérêts:

'Le début de cette période doit varier selon la nature du dédommagement. En ce qui concerne l'indemnité pour le préjudice moral, l'intérêt doit commencer à courir le jour où le plaignant commence à subir le tort. Normalement, il s'agit de la date où le plaignant apprend que le mis en cause a exercé contre lui une discrimination illicite.'

En conséquence, il est ordonné à l'intimée de verser des intérêts sur le montant de 1 500 $ depuis le 3 décembre 1989 jusqu'au jour du paiement de l'indemnité accordée et ce, au taux de 8 % l'an.

EXCUSES

La preuve révèle que l'intimée fut rapidement informée des propos racistes dont le plaignant fut victime, mais elle n'y a apporté aucune attention préférant s'attarder à enquêter sur l'altercation intervenue entre deux employés. De plus, elle a négligé de prendre les dispositions pour fournir plaignant qu'elle déploierait les efforts l'assurance au ls incidents ne se suffisants pour eviter que de te facile tout au moins reproduisent alors qu'il lui eut été d'afficher immédiatement sa politique visant la discrimination et le harcêlement au lieu de la laisser dormir dans les rayons de la bibliothèque.

Conséquemment, il est ordonné à l'intimée, malgré le délai écoulé, d'adresser au plaignant une lettre d'excuses officielles l'assurant que dorénavant elle sera vigilante et attentive lorsque ses employés seront victimes d'actes discriminatoires.

SIGNE A VILLE DE SAINT-GEORGES, ce 3le jour de décembre 1993.

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