Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 1/94 Décision rendue le 20 janvier 1994

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE : BRIAN TWEEDIE

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

HENDRIE AND COMPANY LIMITED

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Keith C. Norton, c.r. président Jane Armstrong, B.A., LL.B. membre Jane Ellis, B.A., LL.B. membre

ONT COMPARU : Prakash Diar Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Caroline Rowan Avocate de l'intimée

DATES ET LIEUX DE 1er, 2, 3 et 4 novembre 1993 L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)

5 novembre 1993 St. Catharines (Ontario)

8, 10 et 11 novembre 1993 Toronto (Ontario)

TRADUCTION

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DÉCISION DU TRIBUNAL

INTRODUCTION

La présente affaire a été entendue à Toronto, en novembre 1993. Une audience a été tenue afin de déterminer si l'intimée, Hendrie and Company Limited, avait commis un acte discriminatoire en ce qui concerne l'emploi du plaignant, Brian Tweedie, en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

REMARQUES GÉNÉRALES

Le plaignant, Brian Tweedie, a cinquante-huit ans; il est marié et père de deux enfants. Résidant à St. Catharines depuis trente-quatre ans, il a travaillé pour l'intimée, Hendrie and Company Limited, de 1964 à 1985.

L'intimée, Hendrie and Company Limited, est une entreprise de camionnage et, pendant la période pertinente en l'espèce, elle exerçait ses activités commerciales à Niagara Falls, à Hamilton et à Toronto où elle avait des terminaux. Le plaignant, Brian Tweedie, travaillait pour le terminal de Niagara Falls. Son supérieur immédiat dans le cadre de son emploi était M. Guy Joubert et le directeur du terminal était M. Ernie Cripps. En 1985 et 1986, le directeur des services financiers de la compagnie était M. Steven Nash et M. George C. Hendrie en était le directeur de l'exploitation. Pendant toute la période pertinente, les délégués syndicaux au terminal de Niagara Falls étaient MM. Tom Singer et Cecil Cooper, et le président du syndicat était M. Don Appleyard. Trois répartiteurs, dont Jack Boyer, s'occupaient, sous la surveillance de M. Guy Joubert, de l'affectation des camionneurs.

LES FAITS

Voici les faits constatés par le tribunal, suivant leur ordre chronologique :

  1. 4 octobre 1964 : Brian Tweedie devient camionneur pour Hendrie and Company Limited. Parmi ses tâches, il doit charger la machinerie, bâcher et arrimer le chargement.
  2. 1er décembre 1978 : Pendant qu'il étendait une bâche sur un chargement, Brian Tweedie a fait une chute et s'est blessé au cou et à la poitrine, au côté gauche, se fracturant des côtes et souffrant de contusions à l'épaule gauche. L'accident s'est produit à la gare de triage intermodale du CN à Hamilton (Ontario).
  3. Du 5 décembre 1978 au mois d'avril 1979 : Au cours de cette période, Brian Tweedie a consulté au sujet de ses blessures le Dr Roger Rose, son médecin de famille, ainsi que des spécialistes, dont un chirurgien orthopédiste, le Dr Eric Blackman; il est finalement retourné au travail en avril 1979, effectuant les mêmes lourds travaux, notamment le déplacement de la machinerie, le bâchage et l'arrimage des chargements.
  4. Avril 1982 : Pendant qu'il se trouvait au travail, Brian Tweedie est tombé d'une échelle, heurtant un réservoir de l'épaule gauche et se
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    blessant encore une fois. Il n'a pas perdu de jours de travail, mais il a commencé à recevoir des traitements chez un chiropraticien.

  6. Septembre 1982 : M. Tweedie a consulté le Dr Blackman au sujet d'une aggravation de ses symptômes au cou et au bras gauche. Un myogramme a permis de constater une dégénérescence marquée de sa colonne vertébrale. M. Tweedie n'a pas travaillé jusqu'à ce qu'il consulte, en 1983, le Dr Tasker, neurochirurgien au Toronto General Hospital; il a ensuite recommencé à travailler jusqu'en mai 1984.
  7. 29 mai 1984 : M. Tweedie a consulté son médecin de famille en raison d'une récurrence de ses symptômes et il a été mis en congé jusqu'à ce qu'il rencontre le Dr Tasker, en juillet 1984; il n'a pas repris le travail avant le 5 février 1985.
  8. 2 février 1985 : M. Tweedie s'est senti capable de retourner au travail et il a consulté à ce sujet son médecin de famille, le Dr Rose, dont il a obtenu un billet.
  9. 5 février 1985 : M. Tweedie a rencontré son supérieur immédiat, Guy Joubert, et il lui a remis la lettre du Dr Rose datée du 2 février 1985 et figurant à l'onglet C, page 3, pièce HR4, . Ce document portait ce qui suit : [TRADUCTION] Dégénérescence des disques cervicaux. Peut effectuer le trajet de Toronto en travaillant 8 à 10 heures seulement. Ils ont discuté du trajet de Toronto et Joubert a déclaré qu'il ne pouvait lui garantir huit à dix heures de travail. M. Tweedie est retourné au travail le 5 février 1985; le 8 février, il a fait une crise cardiaque et il s'est absenté en conséquence jusqu'à la fin du mois d'avril 1985.
  10. Avril à octobre 1985 : Comme l'indiquent les fiches de présence versées en preuve par la Commission, M. Tweedie travaillait régulièrement plus de huit à dix heures. Toutefois, il ne s'est pas plaint auprès de son employeur du nombre d'heures pendant lesquelles il devait travailler pour effectuer le trajet de Toronto.
  11. 13 mai 1985 : La Commission des accidents du travail a fixé à 15 % l'incapacité permanente de M. Tweedie.
  12. 25 octobre 1985 : Ne se sentant pas bien, le plaignant a communiqué avec le répartiteur Jack Boyer pour l'aviser qu'il ne se présenterait pas au travail le 25 octobre. M. Boyer a dit à M. Tweedie qu'il avait déjà organisé la répartition des tâches pour ce jour et qu'il manquerait un conducteur s'il était incapable de travailler. Il a été convenu que M. Tweedie effectuerait un voyage à Toronto et reviendrait avec un chargement de papier non utilisable. Boyer n'a pas informé son supérieur, Guy Joubert, de cet arrangement.
  13. Après avoir effectué à Toronto les tâches dont il avait été convenu, M. Tweedie a téléphoné au terminal de Niagara pour indiquer le numéro de la remorque qu'il ramènerait à Niagara Falls. Il a demandé à parler à M. Boyer mais on lui a répondu que ce dernier n'était pas libre. Il a donc informé l'autre répartiteur, John, de son intention de revenir à Niagara Falls et il a été mis en communication avec M. Joubert. John a déclaré à M. Joubert que M. Tweedie avait

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    l'intention de revenir à Niagara Falls sans avoir effectué toutes ses tâches. M. Joubert et M. Tweedie se sont disputés.

    M. Tweedie est revenu au terminal de Niagara Falls et il s'est présenté au bureau de M. Joubert en compagnie d'un représentant syndical, M. Linton. M. Joubert a alors remis à M. Tweedie une note de service qu'il lui a demandé de signer. Lorsque M. Tweedie a demandé à lire la note avant de la signer, celle-ci lui a été retirée. La note contenait un avis de suspension avec intention de congédier. M. Tweedie a ensuite quitté les lieux.

  14. 28 octobre 1985 : M. Tweedie a écrit à la Commission des accidents du travail pour demander le versement de prestations.
  15. 29 octobre 1985 : M. Tweedie a vu son médecin de famille, le Dr Rose, qui a fait parvenir à la Commission des accidents du travail un rapport daté du 1er novembre 1985 indiquant que M. Tweedie pouvait effectuer un travail modifié.
  16. 31 octobre 1985 : La suspension avec intention de congédier a été ramenée à une suspension de cinq jours. M. Tweedie a été informé de cette suspension par une lettre enregistrée datée du 4 novembre 1985 qu'il a reçue le 6 novembre 1985.
  17. 7 novembre 1985 : M. Tweedie a déposé un grief contre sa suspension.
  18. 8 novembre 1985 : Rencontre entre le syndicat et les dirigeants d'Hendrie. Étaient présents Steven Nash, George C. Hendrie, David Tilley, Tom Singer et Don Appleyard. Ce dernier a indiqué à George C. Hendrie qu'il fallait s'attendre à un grief au deuxième palier d'audience au sujet de la suspension de M. Tweedie.
  19. Novembre 1985 : M. Tweedie a reçu de la direction du terminal une lettre lui demandant d'expliquer son absence du travail. Il a admis avoir reçu une telle lettre même si aucune copie n'en a été versée en preuve.
  20. 2 décembre 1985 : M. Tweedie s'est présenté au bureau de la Commission des accidents du travail à St. Catharines et il a parlé à Don Rode. Il lui a indiqué qu'il avait été congédié par son employeur et qu'il cherchait un autre emploi.
  21. Janvier 1986 : Tom O'Sullivan du siège social de Hendrie and Company a écrit à Brian Tweedie pour lui demander de prouver que la Commission des accidents du travail cherchait à obtenir d'autres renseignements de la compagnie et de lui indiquer quelle était sa situation.
  22. 10 janvier 1986 : Une réunion du comité des griefs a mis en présence le syndicat et la direction de Hendrie. Y ont assisté Tom Singer, Don Appleyard, Steven Nash et George C. Hendrie. Il y a été question du grief déposé par Brian Tweedie. Ni le syndicat ni la direction ne savaient quelle était alors la situation de M. Tweedie. Les délais ont été suspendus afin d'obtenir d'autres renseignements.
  23. 13 janvier 1986 : George C. Hendrie, directeur de l'exploitation, a fait parvenir à Donald Appleyard, président du syndicat, une lettre
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    confirmant les propos échangés lors de la rencontre du 10 janvier au sujet de l'absence du travail de M. Tweedie. Cette lettre confirmait en outre que tous les délais étaient suspendus jusqu'à ce qu'il soit possible d'établir les faits et d'obtenir d'autres renseignements sur la situation de M. Tweedie.

  25. 13 février 1986 : Dans une lettre adressée à la Commission des accidents du travail, M. Tweedie a indiqué qu'il n'avait pas encore reçu d'indemnité d'accident du travail couvrant la période pendant laquelle il n'avait pas travaillé et qu'il attendait depuis environ quinze semaines. Comme aucune indemnité n'avait encore été versée à M. Tweedie, sa demande d'indemnisation pour accident du travail ne figurait pas dans les registres de la compagnie intimée. En conséquence, cette dernière devait donc ignorer que M. Tweedie avait présenté une telle demande.
  26. Février 1986 : M. Tweedie s'est présenté au terminal de Niagara Falls et il a indiqué qu'il souhaitait retourner au travail. La compagnie n'a pas voulu qu'il revienne au travail parce qu'elle estimait qu'il avait violé la convention collective en ne lui fournissant aucune explication satisfaisante pour son absence du travail du 25 octobre 1985 au 24 février 1986. La compagnie voulait donc suspendre les droits d'ancienneté de M. Tweedie, mettant ainsi fin à son emploi.
  27. 24 février 1986 : M. Tweedie a déposé un grief contre le refus de l'intimée de lui permettre de revenir au travail. Il a indiqué qu'il estimait avoir fourni une explication raisonnable pour son absence du travail du 25 octobre 1985 au 24 février 1986 et qu'il désirait qu'on lui donne la possibilité de reprendre son ancien emploi. Dans sa réponse datée du 27 février 1986, la compagnie a invoqué les dispositions de la convention collective et elle a déclaré que les droits d'ancienneté de M. Tweedie étaient suspendus jusqu'à ce qu'elle ait reçu une preuve satisfaisante qu'il avait respecté les exigences de la convention collective, c'est-à-dire qu'il avait fourni une explication satisfaisante pour son absence.
  28. 14 mars 1986 : Une réunion du comité des griefs a eu lieu entre le syndicat et les dirigeants de Hendrie and Company Limited. Étaient présents George C. Hendrie, Steven Nash, David Tilley, Tom Singer et Don Appleyard. La compagnie intimée n'avait reçu aucune preuve que M. Tweedie recevait des prestations pour accident du travail. Le syndicat a déclaré qu'il pouvait lui fournir une telle preuve. La compagnie intimée a fait savoir que, sur réception de la preuve indiquant le motif de l'absence de M. Tweedie, elle rencontrerait ce dernier, l'agent de réadaptation et le délégué syndical afin de déterminer si un emploi approprié pouvait être offert à M. Tweedie. Le syndicat a dit qu'il fournirait la preuve que M. Tweedie touchait des prestations pour accident du travail.
  29. 20 mars 1986 : George C. Hendrie, directeur de l'exploitation, a fait parvenir à M. Don Appleyard, président du syndicat, une lettre concernant le grief déposé par M. Tweedie le 24 février 1986. M. Hendrie a confirmé que la compagnie rejetait le grief parce que M. Tweedie n'avait fourni aucune preuve au soutien de sa prétention qu'il était absent en raison d'une incapacité d'ordre médicale. La lettre
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    confirmait en outre que le syndicat avait promis de fournir des preuves de l'incapacité de M. Tweedie.

  31. 27 mars 1986 : Une réunion du comité des griefs a eu lieu entre le syndicat et la compagnie intimée. Étaient présents Dave Tilley, Don Appleyard, Tom Singer, Steven Nash et George C. Hendrie. Comme aucune preuve n'avait été produite pour démontrer que M. Tweedie avait droit à des prestations et que le syndicat n'avait fourni aucune explication à l'absence de M. Tweedie, M. Hendrie a accepté d'organiser une rencontre entre la Commission des accidents du travail, le syndicat, M. Tweedie et des représentants de la compagnie intimée.
  32. 16 avril 1986 : Une rencontre a eu lieu au terminal de Niagara Falls. Étaient présents Brian Tweedie, George C. Hendrie, Don Rode, Ernie Cripps, Guy Joubert, Tom Singer et Cecil Cooper. Ni M. Tweedie ni le syndicat n'ont fourni d'explication raisonnable pour justifier son absence d'octobre 1985 à février 1986. Advenant le cas où une telle explication aurait été fournie et acceptée par la compagnie intimée, Don Rode devait prendre les dispositions nécessaires pour que la Commission des accidents du travail procède à une évaluation des restrictions médicales applicables à M. Tweedie de manière à lui trouver un emploi approprié au sein de la compagnie intimée. L'évaluation n'a jamais eu lieu.
  33. Juillet 1986 : M. Tweedie s'est à nouveau présenté au terminal de Niagara Falls muni d'une lettre de son médecin, le Dr Rose, indiquant qu'il pouvait reprendre son ancien emploi. Comme il n'avait pas fourni à la compagnie intimée d'explication pour son absence antérieure, M. Tweedie n'a pu reprendre son travail.
  34. Juillet et août 1986 : M. Tweedie a ensuite consulté Debbie Kehler du centre juridique communautaire de Niagara North. Mme Kehler a demandé par écrit au Dr Rose qu'il lui fournisse un rapport et elle a indiqué dans sa lettre qu'elle croyait comprendre que l'emploi de M. Tweedie exigeait qu'il travaille dix heures par jour et, à l'occasion, douze à treize heures par jour. C'était compatible avec le point de vue de M. Hendrie qui estimait que toute mention de douze à treize heures de travail par jour, qu'il aurait faite au cours de sa discussion avec Mme Kehler, aurait concerné le travail régulier de M. Tweedie et non celui qu'il aurait été tenu d'effectuer dans l'éventualité où il aurait recommencé à travailler pour Hendrie.
  35. 20 octobre 1986 : M. Tweedie a obtenu un emploi de camionneur pour la compagnie Woodbridge Foam.

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ARGUMENTS ET JURISPRUDENCE

Le plaignant a allégué que Hendrie and Company Limited a exercé une discrimination à son endroit en refusant de continuer de l'employer en raison de sa déficience, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) :

"7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi."

Suivant le paragraphe 3(1) de la Loi, la déficience est un motif de distinction illicite.

Il n'a pas été contesté que les blessures au cou et à l'épaule gauche subies par M. Tweedie l'ont laissé avec une déficience physique au sens de la Loi.

La Commission a fait valoir que la compagnie intimée a commis un acte discriminatoire pendant la période de février 1985 à octobre 1985 quand elle n'a pas respecté le nombre d'heures de travail fixées par le Dr Rose dans son billet, la durée d'une journée de travail de M. Tweedie ayant dû être limitée à neuf heures.

Même si le Dr Rose recommande dans son billet que M. Tweedie travaille de huit à dix heures par jour, il laisse également expressément entendre, à la demande du plaignant, que ce dernier pouvait effectuer le trajet de Toronto. Il est raisonnable de conclure que le plaignant, qui travaillait depuis vingt-deux ans pour la compagnie, devait être au courant des exigences et des conditions de ce trajet.

Le plaignant a reconnu que, lors de sa discussion initiale avec M. Joubert au sujet de l'emploi, celui-ci lui a indiqué qu'il ne pouvait pas garantir le nombre d'heures en ce qui concerne le trajet de Toronto. Il a en outre admis que, de février à octobre 1985, il ne s'était pas plaint auprès de l'intimée au sujet du nombre d'heures de travail même s'il devait travailler régulièrement plus de dix heures par jour.

Le tribunal estime qu'il est déraisonnable d'attendre de la compagnie intimée qu'elle conclue que M. Tweedie était incapable d'effectuer le travail attribué ou qu'il aggravait ses blessures antérieures alors qu'il avait expressément demandé ce travail et que, pendant les huit mois où il l'a effectué, il n'a pas indiqué qu'il éprouvait des difficultés à le faire. En fait, si l'intimée, sans que M. Tweedie n'ait présenté une demande expresse à cet effet, avait limité son nombre d'heures de travail ou l'avait affecté à un trajet moins exigeant en raison de ses blessures antérieures alors qu'il avait expressément demandé le trajet de Toronto, cela aurait pu constituer en soi un acte discriminatoire.

M. Tweedie avait vingt-deux ans d'ancienneté, ancienneté qui lui conférait une souplesse considérable dans le choix de ses tâches. M. Tweedie aurait pu choisir des trajets locaux qui comportaient des journées de travail de huit heures seulement. En raison de ses nombreuses années d'expérience au sein de la compagnie, M. Tweedie devait être au

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courant des exigences du trajet de Toronto par rapport aux exigences des trajets locaux; malgré cela, il a remis à son employeur un billet de son médecin demandant expressément le trajet de Toronto.

De l'avis du tribunal, l'obligation de l'intimée de composer avec la situation de son employé s'arrête ici. L'intimée a accordé à l'employé l'affectation qu'il avait demandée. Elle n'avait aucune autre obligation à cet égard à moins que l'employé ne se soit ultérieurement plaint et n'ait informé son employeur de son incapacité d'effectuer ses tâches. M. Tweedie ne s'est pas plaint et, en conséquence, il serait déraisonnable d'attendre de l'employeur qu'il prenne d'autres mesures sans que M. Tweedie ne lui ait indiqué que de telles mesures étaient nécessaires.

Quant aux arguments de la Commission, le tribunal estime qu'il faut principalement tenir compte de la période postérieure au 25 octobre 1985 et, à cet égard, il conclut que l'intimée n'a pas commis d'acte discriminatoire en refusant de continuer d'employer le plaignant. Ce dernier n'avait pas respecté les dispositions de la convention collective qui exigeaient qu'il fournisse à l'intimée une explication satisfaisante de son absence de plus de trois jours. C'est pour cette raison que la compagnie n'a pas renvoyé le plaignant à son travail.

Le syndicat, qui représentait M. Tweedie, connaissait fort bien les exigences de la compagnie intimée par suite des rencontres qu'il avait eues avec cette dernière au sujet du grief de M. Tweedie et de son absence du travail. L'intimée ignorait la situation de M. Tweedie et il semblerait que, malgré plusieurs demandes à cet effet, M. Tweedie et le syndicat ne lui ont pas fourni de motif valable pour son absence du travail.

Il est certes malheureux qu'un employé ayant vingt-deux ans d'expérience perde son emploi de cette manière. Il y a peut-être eu rupture entre le syndicat et M. Tweedie qui admet avoir informé le syndicat qu'il ne voulait plus qu'il agisse en son nom. Par la suite, le syndicat n'a pris aucune autre mesure pour faire avancer le grief de M. Tweedie. Il semble que la Commission des accidents du travail n'a pas pris les mesures pour effectuer la nouvelle évaluation convenue à l'assemblée du 16 avril; il semblerait en outre que M. Tweedie n'a pas pris avec l'agent de la Commission des accidents du travail ni avec le syndicat les mesures nécessaires pour assurer son retour au travail.

Nous estimons qu'il n'était pas incompatible avec la procédure suivie en février 1985 par M. Joubert d'exiger de M. Tweedie qu'il explique son absence avant de pouvoir reprendre le travail en février 1986. En février 1985, M. Joubert a reçu de M. Tweedie une lettre lui indiquant le genre de travail qu'il pourrait effectuer sans toutefois fournir d'autres explications pour son absence du travail. Cependant, à ce moment-là, la compagnie était déjà au courant de l'absence de M. Tweedie autorisée par la Commission des accidents du travail.

On nous a signalé diverses affaires où il a été établi qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'intention d'exercer une discrimination et qu'il n'est pas non plus nécessaire qu'un motif de distinction illicite soit le seul facteur déterminant dans la décision contestée.

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Dans l'affaire Richards c. Conseil des ports nationaux, (1981) 2 C.H.R.R. D/407, le tribunal a déclaré ce qui suit à la page D/411, paragraphe 3674 :

[TRADUCTION]

Il serait toutefois impossible de soutenir que la simple connaissance d'un handicap ou d'une caractéristique, telle qu'une crise cardiaque dans le présent cas, ou la race ou le sexe dans d'autres cas, constitue de la discrimination. L'on doit prouver que le plaignant a été défavorisé dû au handicap ou à la caractéristique; une défaveur dont il n'aurait pas été victime en l'absence du handicap ou de la caractéristique.

Dans cette affaire, le plaignant avait fait une crise cardiaque quand il travaillait pour le Conseil. Pendant qu'il était en congé de maladie, le plaignant a fait parvenir une lettre à son employeur. Le tribunal a jugé que la lettre ne concernait que les prestations de maladie et qu'il ne s'agissait pas d'une lettre de démission. Toutefois, à l'époque, l'employeur avait pensé qu'il s'agissait d'une lettre de démission et il a remplacé le plaignant. Le directeur général du Conseil a admis, lorsque M. Richards, le plaignant, s'est trouvé assez bien pour revenir au travail, qu'il serait autorisé à le faire, mais il lui a plus tard écrit pour l'informer qu'aucun poste approprié n'était libre.

Dans l'affaire Richards, le plaignant a prié instamment le tribunal de statuer que l'employeur avait sans motif raisonnable conclu à tort qu'il avait démissionné; toutefois, le tribunal a déclaré à la page D/414, paragraphe 3696 :

[TRADUCTION]

Dans le présent cas, le fardeau du plaignant n'est pas de prouver que le Conseil [l']a renvoyé injustement, ou qu'il l'a traité de façon inéquitable, ou que, suite à une mésentente, il a été défavorisé dans sa qualité d'employé. Il doit prouver qu'il a été victime de discrimination au motif de son handicap physique.

En l'espèce, il incombe à M. Tweedie de démontrer que sa déficience était un motif pour lequel l'intimée ne l'a pas renvoyé au travail. Nous sommes convaincus que ce n'était pas le cas et nous acceptons le motif fourni par l'intimée pour expliquer pourquoi elle n'a pas renvoyé M. Tweedie au travail.

La Commission nous a rappelé les critères formulés dans l'affaire Basi c. Canadian National Railway Co. (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, pour conclure à la discrimination. L'affaire Basi se distingue de l'espèce par ses faits. Dans Basi, le demandeur s'est vu refuser un emploi disponible tandis que, en l'espèce, on a refusé au plaignant qu'il revienne au travail.

Dans Basi, à la page D/5039, paragraphe 38486, il a été statué que, pour déterminer s'il y a eu discrimination, le tribunal peut tenir compte du comportement de l'intimée avant et après l'acte discriminatoire allégué en plus de la preuve circonstancielle. Le tribunal a adopté le critère formulé par B. Vizkelety dans son ouvrage intitulé Proving Discrimination in Canada (Toronto: Carswell, 1987), à la page 142 :

[TRADUCTION]

On peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible.

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En l'espèce, le tribunal n'estime pas que la Commission et M. Tweedie se sont libérés du fardeau de la preuve. Le plaignant doit établir une preuve de discrimination qui soit suffisante à première vue, suivant la norme de preuve civile, soit la prépondérance de la preuve selon la balance des probabilités. La preuve était insuffisante pour permettre de conclure à la discrimination.

Les avocats ont invoqué de nombreux autres précédents que nous avons examinés. Compte tenu des conclusions qui précèdent, il n'est pas nécessaire de les reprendre dans notre analyse.

L'existence d'une preuve de discrimination qui soit suffisante à première vue n'ayant pas été établie, la plainte est rejetée. Nous remercions les avocats pour l'aide qu'ils nous ont apportée dans la présente affaire.

Fait le 16e jour de décembre 1993.

Keith C. Norton, c.r. Président

Jane Armstrong, B.A., LL.B. Membre

Janet Ellis, B.A., LL.B. Membre

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