Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

RICHARD WARMAN

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

TOMASZ WINNICKI

l'intimé

MOTIFS DE DÉCISION

2006 TCDP 20
2006/04/13

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

[TRADUCTION]

I. LES PLAINTES

II. QUELLES SONT LES CIRCONSTANCES QUI ONT DONNÉ NAISSANCE AUX PRÉSENTES PLAINTES?

III. QUELLES SONT LES QUESTIONS QUI DOIVENT ÊTRE EXAMINÉES EN L'ESPÈCE?

A. Première question - Le Tribunal est-il autorisé à se prononcer quant à des documents qui ne figurent pas dans la plainte initiale?

B. Deuxième question - Quelles sont les sources des documents qui violent censément le paragraphe 13(1)?

(i) Le livre des visiteurs de la Northern Alliance

(ii) Le site Web Winnicki

(iii) Le Vanguard News Network

C. Troisième question - L'intimé a-t-il diffusé de façon répétée sur Internet les messages contestés provenant des sources susmentionnées?

(i) Qui a diffusé les documents contestés?

(ii) (ii) L'intimé a-t-il diffusé de façon répétée les présumés documents discriminatoires?

D. Quatrième question - Les documents sont-ils susceptibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris parce que celles-ci sont identifiables sur la base d'un motif de distinction illicite?

(i) Le droit

(ii) Les messages contestés

E. La cinquième question - L'intimé a-t-il exercé ou menacé d'exercer des représailles contre le plaignant?

IV. LES REDRESSEMENTS

A. Les représailles - L'article 14.1

(i) L'ordonnance d'interdiction

(ii) L'indemnité pour préjudice moral

(iii) L'indemnité spéciale

(iv) Les frais liés à l'audience

(v) Les intérêts

B. La propagande haineuse - l'article 13

(i) L'ordonnance de cesser et de s'abstenir

(ii) L'alinéa 54(1)b) - l'indemnité spéciale

(iii) La pénalité

I. LES PLAINTES

[1] Il s'agit d'une décision concernant deux plaintes déposées par M. Richard Warman contre M. Tomasz Winnicki. La première plainte porte sur la présumée diffusion de messages haineux en contravention du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). La deuxième plainte porte sur des allégations de représailles ou de menaces de représailles de la part de l'intimé en contravention de l'article 14.1 de la Loi.

[2] J'ai entendu les deux plaintes conjointement en juillet et décembre 2005. La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a pleinement participé à l'audience. Le plaignant, un avocat, s'est représenté lui-même. L'intimé s'est représenté lui-même lors de la première journée d'audience, puis, par la suite, il s'est fait représenter par une avocate. L'intimé a choisi de ne pas témoigner.

II. QUELLES SONT LES CIRCONSTANCES QUI ONT DONNÉ NAISSANCE AUX PRÉSENTES PLAINTES?

[3] Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, il y a 15 ans environ, il a commencé à s'intéresser à la question de la propagande haineuse. Il a commencé par surveiller les activités, au Canada, de groupes organisés et de personnes qu'il soupçonnait de diffuser des messages haineux.

[4] Au cours de ses activités de surveillance, le plaignant a découvert des documents Internet qui étaient apparemment affichés par l'intimé, M. Tomasz Winnicki. Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, selon lui, ces documents contrevenaient au paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lequel a trait à la propagande haineuse, car ils étaient susceptibles d'exposer les Juifs à la haine ou au mépris. Par conséquent, le 7 septembre 2003, le plaignant a déposé une plainte en matière de droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Il a joint, à sa plainte déposée en vertu du paragraphe 13(1), des documents qu'il avait téléchargés d'Internet, lesquels documents auraient été diffusés par l'intimé.

[5] Le plaignant a affirmé dans son témoignage qu'il a par la suite découvert d'autres messages sur Internet qui, selon lui, avaient été affichés par l'intimé en représailles contre lui parce qu'il avait déposé une plainte en matière de droits de la personne. Le plaignant a alors déposé, auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, une plainte de représailles datée du 1er juin 2004 dans laquelle il a prétendu que l'intimé avait violé l'article 14.1 de la Loi. Le plaignant a joint les présumés messages de représailles à sa plainte déposée en vertu de l'article 14.1.

[6] La Commission canadienne des droits de la personne a par la suite décidé de renvoyer les deux plaintes au Tribunal afin que celui-ci les examine d'une manière plus approfondie. Après que la Commission eut renvoyé les plaintes au Tribunal, le plaignant a affirmé dans son témoignage qu'il a trouvé d'autres documents sur Internet qui auraient été affichés par l'intimé. On croyait que ces documents étaient susceptibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris pour des motifs fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique et la couleur. Par conséquent, le 20 mai 2005, la Commission canadienne des droits de la personne a demandé au Tribunal l'autorisation de modifier la première plainte afin d'y ajouter les motifs supplémentaires de la race, de l'origine nationale ou ethnique et de la couleur. L'intimé a reçu signification de la requête ainsi que des documents supplémentaires qui ont été découverts dans Internet.

[7] Le 11 juillet 2005, j'ai accueilli la demande de la Commission quant à la modification de la plainte qu'elle avait déposée en vertu du paragraphe 13(1) au motif que l'objet de la plainte initiale n'était pas modifié par l'ajout des nouveaux motifs; il n'était fait mention d'aucun autre acte discriminatoire. J'ai également estimé que l'intimé avait obtenu un avis suffisant pour qu'il puisse se défendre adéquatement contre la plainte modifiée. Par conséquent, la plainte déposée en vertu du paragraphe 13(1) a été modifiée pour y inclure les motifs additionnels et de nouveaux documents ont été joints à la plainte modifiée.

[8] Après que la modification fut apportée, mais avant la tenue de l'audience, le plaignant a affirmé dans son témoignage qu'il avait découvert d'autres documents qui auraient été affichés sur Internet par l'intimé. L'existence de ces documents a été révélée à l'intimé avant la tenue de l'audience et il a été allégué que ces documents constituaient des éléments de preuve additionnels de la violation continue par l'intimé du paragraphe 13(1) et de l'article 14.1 (par souci de commodité, tous les documents découverts sur Internet après que la plainte fut renvoyée au Tribunal, notamment les documents qui ont été joints à la plainte modifiée, seront appelés éléments de preuve postérieurs au renvoi).

[9] Le 27 juillet 2005, la Commission a déposé, auprès de la Cour fédérale, une requête en injonction interlocutoire contre l'intimé en attendant qu'une décision finale soit rendue par le Tribunal. Le 4 octobre 2005, la Cour fédérale a accueilli la requête de la Commission et, par conséquent, entre cette date et la date de la présente décision, il fut interdit à l'intimé de diffuser, par Internet, des messages du genre de ceux qui figurent dans les documents qui ont été déposés en Cour fédérale (Commission canadienne des droits de la personne c. Winnicki 2005 CF 1493).

[10] Le plaignant et la Commission ont demandé au Tribunal d'ordonner à l'intimé de cesser de diffuser des messages du genre de ceux qui ont été déposés avec les plaintes. Ils ont également demandé le paiement d'une indemnité pour le préjudice moral que le plaignant aurait subi par suite des représailles. Ils ont également demandé le paiement d'une indemnité spéciale et le remboursement des frais engagés par le plaignant pour assister à l'audience.

[11] L'intimé, par l'entremise de son avocate, a avoué avoir diffusé les messages qui ont fait l'objet des plaintes initiales déposées le 7 septembre 2003 et le 1er juin 2004. L'intimé s'est toutefois opposé à l'examen par le Tribunal de tout élément de preuve postérieur au renvoi au motif qu'il ne fait pas partie de la plainte initiale. L'intimé a nié que l'un ou l'autre des éléments de preuve exposait les membres d'un groupe identifiable à la haine ou au mépris. Il a également nié avoir exercé des représailles contre le plaignant parce que celui-ci a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre lui. Enfin, l'intimé a contesté le caractère opportun des recours demandés par le plaignant et la Commission.

III. QUELLES SONT LES QUESTIONS QUI DOIVENT ÊTRE EXAMINÉES EN L'ESPÈCE?

[12] En l'espèce, je dois examiner les questions suivantes :

  1. Le Tribunal est-il autorisé à se prononcer quant à des documents qui ne figurent pas dans la plainte initiale?
  2. Quelles sont les sources des documents qui violent censément le paragraphe 13(1)?
  3. L'intimé a-t-il diffusé de façon répétée sur Internet les messages contestés?
  4. Les documents sont-ils susceptibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris parce que celles-ci sont identifiables sur la base d'un motif de distinction illicite?
  5. L'intimé a-t-il exercé des représailles contre le plaignant après que celui-ci eut déposé sa plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne?

[13] Pour les motifs qui suivent, j'ai conclu que l'intimé a délibérément, de façon répétée, diffusé, au moyen d'Internet, des messages qui sont susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes de confession juive, des personnes d'origine africaine, des personnes de race noire ainsi que d'autres personnes n'appartenant pas à la race blanche. J'ai également conclu que l'intimé a délibérément exercé des représailles contre le plaignant parce que celui-ci a déposé une plainte en matière de droits de la personne. Par conséquent, je conclus que les deux plaintes déposées contre l'intimé sont justifiées.

A. Première question - Le Tribunal est-il autorisé à se prononcer quant à des documents qui ne figurent pas dans la plainte initiale?

[14] Bien que l'intimé ne se soit pas opposé lorsque, durant l'audience, la Commission a introduit les éléments de preuve postérieurs au renvoi, celui-ci, à la fin de l'audience, a prétendu que le Tribunal ne pouvait pas examiner ces éléments de preuve car ils constituaient essentiellement le fondement de nouvelles plaintes qui auraient dû d'abord être soumises à la Commission canadienne des droits de la personne.

[15] Je ne souscris pas à cet argument, et ce, pour un certain nombre de raisons. Premièrement, l'intimé cherche essentiellement à remettre en cause la requête en modification de la plainte initiale déposée en vertu du paragraphe 13(1). La requête en modification de la plainte déposée en vertu du paragraphe 13(1) a été accueillie sur le fondement des éléments de preuve postérieurs au renvoi qui ont été déposés à l'appui de cette requête. En décidant qu'il convenait de modifier la plainte initiale, la question de savoir si ces éléments de preuve constituaient le fondement d'une nouvelle plainte a été tranchée de façon définitive. À la suite de cette décision, des extraits des éléments de preuve postérieurs au renvoi ont été incorporés dans les précisions sur la plainte modifiée. Par conséquent, on ne saurait maintenant prétendre que les éléments de preuve qui ont constitué le fondement de la modification constituent, en fait, le fondement d'une nouvelle plainte. Il s'agirait là d'une tentative de remise en cause de la requête en modification de la plainte. Cela équivaudrait à un abus de procédure et ne sera pas autorisé (Cremasco c. Société canadienne des postes 2002/09/30 - Décision no 1, par. 77, conf. par 2004 CAF 363).

[16] Deuxièmement, en ce qui concerne la deuxième série d'éléments de preuve postérieurs au renvoi qui ont été divulgués après la modification de la plainte, je crois qu'ils peuvent être examinés à juste titre par le Tribunal. Ces éléments de preuve ne constituent pas le fondement d'une nouvelle plainte ou d'une nouvelle série de plaintes et sont pertinents quant à la question de savoir si l'intimé s'est livré à une violation continue de l'article 14.1 et du paragraphe 13(1) de la Loi. La plainte modifiée déposée en vertu du paragraphe 13(1) prévoit expressément la possibilité que des éléments de preuve additionnels de la violation du paragraphe 13(1) soient apportés grâce à l'ajout des mots et par la suite dans la date du présumé acte discriminatoire.

[17] Dans LeBlanc c. Société canadienne des postes (1992), 18 C.H.R.R. D/57, le Tribunal a discuté d'une objection analogue à celle soulevée en l'espèce par l'intimé. Dans cette décision, la Commission canadienne des droits de la personne a mentionné qu'elle avait l'intention de présenter des éléments de preuve quant à d'autres incidents de présumée discrimination qui n'avaient pas été mentionnés dans le formulaire de plainte. L'avocat de l'intimé s'est opposé. Le Tribunal a décidé que les éléments de preuve étaient admissibles parce que le formulaire de plainte renvoyait à des incidents de discrimination qui se poursuivaient toujours et que les éléments de preuve semblaient constituer le prolongement de la plainte. En outre, le Tribunal a décidé que la Commission et le plaignant n'étaient pas nécessairement limités aux allégations énoncées dans la plainte elle-même. La question essentielle consiste à savoir s'il serait juste d'accepter les éléments de preuve. S'il n'y a aucun élément de preuve surprise et que l'intimé sait que la plainte a trait à des évènements en cours, alors il est difficile pour l'intimé de prétendre qu'il subit un préjudice.

[18] En l'espèce, rien ne prouve que l'intimé a été pris par surprise par l'introduction des éléments de preuve. Ils lui ont été révélés avant la tenue de l'audience et, comme il est mentionné ci-dessus, le formulaire de plainte modifié déposé en vertu du paragraphe 13(1) mentionnait que la plainte avait trait à des événements en cours. Enfin, la demande d'injonction interlocutoire adressée par la Commission à la Cour fédérale indiquait clairement à l'intimé que la Commission s'opposait à la diffusion continue de documents à laquelle il se livrait. Il était allégué que cette diffusion violait le paragraphe 13(1).

[19] Il n'a pas été mentionné dans le formulaire de plainte déposé en vertu de l'article 14.1 que la plainte avait trait à des événements en cours. Toutefois, j'estime que, dans le contexte de la diffusion continue qui se déroulait avant la tenue de l'audience et que, dans le contexte des requêtes qui ont été présentées au Tribunal et à la Cour fédérale, cela n'est pas important. Il aurait été étonnant que l'intimé soit surpris du fait que tous les messages qu'on a découverts sur Internet et qu'on a estimés comme constituant des représailles puissent être déposés en preuve à l'audience.

[20] L'intimé a prétendu qu'il a été privé de la possibilité de se livrer à une tentative de conciliation et de la possibilité de réagir devant la Commission canadienne des droits de la personne quant aux messages postérieurs au renvoi. Cet argument est mal fondé. Les messages postérieurs au renvoi sont de la même nature que ceux qui ont été soumis à la Commission dans le cadre des plaintes initiales. L'intimé aurait eu la possibilité de se livrer à une tentative de conciliation et la possibilité de réagir quant aux messages qui ont été soumis dans le cadre de la plainte initiale. Il est peu probable que les documents additionnels auraient fait une quelconque différence quant aux tentatives de conciliation et de règlement.

[21] La présente cause est très différente de la cause Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1991), F.T.R. 47 (Pitawanakwat) qui est invoquée par l'intimé à l'appui de son argument que le Tribunal n'a pas compétence pour examiner les éléments de preuve postérieurs au renvoi. La décision Pitawanakwat a trait à la compétence de la Commission de renvoyer au Tribunal, environ quatre ans après la signification de la plainte initiale, une plainte modifiée qui comprend une nouvelle allégation de discrimination fondée sur un motif différent. Cette cause ne traite pas de la compétence du Tribunal d'accepter des éléments de preuve postérieurs au renvoi.

[22] Par conséquent, compte tenu que les éléments de preuve ont trait à la question du caractère continu des violations et compte tenu du fait que l'intimé a été suffisamment avisé et qu'il a eu l'occasion d'analyser les éléments de preuve postérieurs au renvoi, j'estime que le Tribunal a le droit d'examiner les éléments de preuve postérieurs au renvoi.

B. Deuxième question - Quelles sont les sources des documents qui violent censément le paragraphe 13(1)?

[23] Le plaignant a affirmé dans son témoignage que les messages contestés proviennent essentiellement de trois sources : le livre des visiteurs de la Northern Alliance, le site Web de l'intimé et le Vanguard News Network. La plus grande partie des messages contestés ont été découverts dans le groupe de discussion du VNN. Toutefois, un certain nombre de messages proviennent du livre des visiteurs de la Northern Alliance et un certain nombre proviennent du site Web de l'intimé.

(i) Le livre des visiteurs de la Northern Alliance

[24] Le plaignant a affirmé dans son témoignage qu'il avait vu des documents dans un site Web appelé Northern Alliance. Il a téléchargé ces documents qui, selon lui, avaient été diffusés par l'intimé et les a joints à la plainte initiale qu'il a déposée en vertu du paragraphe 13(1) le 3 septembre 2003. Le plaignant a affirmé dans son témoignage que la Northern Alliance était un groupe dont le siège social se trouvait à London (Ontario) et qui affichait un livre des visiteurs sur Internet où les gens pouvaient faire des commentaires en ligne sur divers sujets. Le livre des visiteurs était composé d'une série de commentaires qui se suivaient les uns après les autres, sans ordre précis. Le titre en caractères d'affiche qui figurait au haut du livre des visiteurs était ainsi libellé :

Northern Alliance

La nouvelle voix de la majorité canadienne

[25] Deux inscriptions faites par l'intimé dans le livre des visiteurs de la Northern Alliance ont été soumises dans le cadre de la plainte déposée en vertu du paragraphe 13. Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, à sa connaissance, au moment où se déroulait l'audience, le livre des visiteurs de la Northern Alliance avait été supprimé.

(ii) Le site Web Winnicki

[26] Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, lorsqu'il a examiné le livre des visiteurs de la Northern Alliance, il a cliqué sur le lien qui figurait dans les commentaires de l'intimé et cela l'a amené à l'adresse Internet suivante : W3.sympatico.ca/tom.winnicki. Dans ce site Web, il a découvert de nombreuses images graphiques ainsi que des déclarations comme [Traduction] RÉVOLUTION BLANCHE [...] ÇA APPROCHE [...] ET C'EST GIGANTESQUE [...] Figuraient également dans ce site Web des liens menant à d'autres sites Web dans lesquels on fournissait censément une histoire objective. Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, selon lui, les documents figurant dans le site Web qui se trouvait à l'adresse WW3.sympatico.ca/tom.winnicki avaient été diffusés par l'intimé. Le plaignant a téléchargé ces documents le 3 septembre 2003 et les a joints à sa plainte en matière de droits de la personne dans laquelle il prétendait que la diffusion de ces documents violait le paragraphe 13(1) de la Loi.

[27] Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, lorsqu'il a déposé sa plainte en vertu du paragraphe 13(1) auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en septembre 2003, il a fait part à Bell Sympatico de ses inquiétudes concernant le site Web de l'intimé. Bell Sympatico lui a laissé croire que, au bout du compte, il fermerait le site Web WW3.sympatico.ca/tom.winnicki.

(iii) Le Vanguard News Network

[28] Le plaignant a affirmé dans son témoignage qu'il a effectué une recherche sur Internet quant au nom Tom Winnicki. Un des résultats qu'il a obtenus lors de cette recherche l'a amené à un site Web appelé Vanguard News Network. Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, à sa connaissance, le Vanguard News Network (VNN) était un site Web qui était inscrit aux États-Unis et qui était contrôlé par des personnes qui vivaient aux États-Unis. On retrouvait, notamment, dans ce site Web, des résumés de nouvelles présentées selon un point de vue néonazi. Selon le plaignant, figurait également dans ce site Web un groupe de discussion dans lequel les gens pouvaient discuter d'un certain nombre de questions.

[29] Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, dès qu'il a accédé à la page principale du VNN, un certain nombre de choix se sont offerts à lui. Un de ces choix était le groupe de discussion du VNN. Lorsqu'il a cliqué sur l'icône du groupe de discussion du VNN, il a été amené à une autre page sur le site Web où une autre série de choix appelés fils de discussion étaient offerts. Selon le plaignant, les fils de discussion sont des sujets de discussion qui sont lancés par des membres du VNN. Les membres du groupe de discussion peuvent afficher (ou diffuser) des messages accessibles au public qui se suivent les uns après les autres dans le cadre d'un fil ou d'un sujet de discussion donné. L'expression Vient tout juste d'arriver introduit un nouveau fil ou nouveau sujet de discussion. Il existe d'autres fils de discussion qui sont énumérés dans les catégories figurant dans le groupe de discussion.

[30] Selon le plaignant, il était relativement simple de devenir membre du groupe de discussion. On n'avait qu'à fournir une adresse électronique valide et à remplir un formulaire d'inscription.

C. Troisième question - L'intimé a-t-il diffusé de façon répétée sur Internet les messages contestés provenant des sources susmentionnées?

(i) Qui a diffusé les documents contestés?

[31] Par l'entremise de son avocat, l'intimé a admis avoir diffusé les messages figurant dans les plaintes initiales qui ont fait l'objet d'une enquête de la part de la Commission canadienne des droits de la personne et qui ont par la suite été soumises au Tribunal. Ces messages comprenaient ceux qui ont été découverts par le plaignant sur le site Web de la Northern Alliance et sur le site Web Winnicki, ainsi que certains messages provenant du groupe de discussion du VNN.

[32] Toutefois, on ne savait pas si l'aveu de l'intimé qu'il avait diffusé les messages contestés valait pour les documents postérieurs au renvoi. J'ai donc examiné ces documents et j'ai conclu, pour les motifs qui suivent, que l'intimé était, en fait, la personne qui a diffusé les documents postérieurs au renvoi qui ont été déposés en preuve durant l'instruction de la présente cause.

[33] Dans les messages qui faisaient partie des plaintes initiales, l'intimé utilisait parfois le pseudonyme Thexder 3D et parfois le nom Tom Winnicki. Lorsque le pseudonyme était utilisé, il était accompagné de l'image d'un robot.

[34] La personne qui a diffusé les messages postérieurs au renvoi mentionne parfois son nom comme étant Thexder 3D, parfois comme étant Tomasz Winnicki. Dans l'un de ces messages, Tomasz Winnicki a corrigé une faute d'orthographe de son pseudonyme en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

C'est Thexder et non pas Thexter, mais cela n'a pas beaucoup d'importance. À partir de maintenant, servez-vous de mon véritable nom, c'est-à-dire Tomasz Winnicki. En polonais, Tomasz est l'équivalant officiel de Tom, alors vous pouvez m'appeler comme ça.

[35] Par conséquent, la preuve révèle que l'intimé, qui se faisait appeler Tom Winnicki et Tomasz Winnicki, et qui utilisait le pseudonyme Thexder 3D accompagné de l'image d'un robot, était la personne qui a diffusé les documents postérieurs au renvoi.

(ii) (ii) L'intimé a-t-il diffusé de façon répétée les présumés documents discriminatoires?

[36] Dans Schnell c. Machiavelli and Associates Emprize Inc., (2002), 43 C.H.R.R. D/453, le Tribunal a jugé que l'utilisation de l'expression de façon répétée qui figure au paragraphe 13(1) donne à penser que le paragraphe 13(1) vise, non pas les communications privées avec des amis, mais plutôt une série de messages qui représentent un plan public de grande échelle pour la diffusion de certaines idées ou opinions, conçues pour convertir des membres du public (Schnell, précitée, par. 129).

[37] La déclaration de mission du Vanguard News Network, laquelle a été déposée en preuve durant l'audience, mentionne que le VNN est un groupe d'[Traduction] écrivains dégoûtés et mécontents qui se sont rassemblés en vue de [Traduction] reprendre aux Juifs l'esprit américain. Par conséquent, il est manifeste que les messages affichés par l'intimé dans ce groupe de discussion faisaient partie d'un plan de grande échelle pour la diffusion de certaines opinions, conçues pour convertir des membres du public.

[38] Il y a eu divergence d'opinions entre le plaignant et le témoin de l'intimé, M. Paul Fromm, quant à la question de savoir si les messages figurant dans le groupe de discussion du VNN étaient accessibles au public. Le plaignant a affirmé dans son témoignage que tous les messages pouvaient être consultés par les membres du public sans que ceux-ci ne soient membres du groupe de discussion du VNN. M. Fromm, en revanche, a affirmé dans son témoignage qu'un certain nombre de messages n'étaient pas accessibles au public; il fallait être membre afin de pouvoir les consulter.

[39] Le témoignage de M. Fromm à cet égard a été ébranlé lors du contre-interrogatoire. Durant l'audience, à l'aide de l'ordinateur de l'agent du greffe du Tribunal, le plaignant a guidé M. Fromm dans les étapes à franchir pour accéder à un certain nombre de messages affichés dans un fil de discussion du groupe de discussion du VNN. M. Fromm a avoué que, au cours de cet exercice, il a pu accéder directement au site Web grâce à l'adresse Internet www.vnnforum.com et il a pu consulter de nombreuses pages du groupe de discussion sans qu'il ait eu besoin de prouver qu'il était membre du groupe de discussion. Compte tenu de cet élément de preuve, je conclus que le témoignage du plaignant concernant l'accès du public aux messages de l'intimé est plus crédible que celui de M. Fromm. J'accepte également le témoignage du plaignant que les messages affichés dans le groupe de discussion du VNN sont demeurés accessibles au public au moins jusqu'au premier jour de l'audience, c'est-à-dire le 8 août 2005.

[40] De même, les éléments de preuve susmentionnés concernant le livre des visiteurs de la Northern Alliance et le site Web de Winnicki donnent à penser que les messages affichés par l'intimé sur ces sites Web ne constituaient pas des communications privées avec des amis. Ils étaient affichés pour diffusion à grande échelle et étaient accessibles au public (jusqu'à ce que les sites ferment) grâce à l'utilisation d'un moteur de recherche Internet ou directement en tapant l'adresse Internet sur un ordinateur.

[41] Par conséquent, je conclus que l'intimé a affiché sur Internet, de façon répétée, tous les messages contestés.

D. Quatrième question - Les documents sont-ils susceptibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris parce que celles-ci sont identifiables sur la base d'un motif de distinction illicite?

(i) Le droit

[42] Pour répondre à la question susmentionnée, le Tribunal s'inspire des définitions des mots haine, mépris, exposer et susceptibles qui ont été données dans les décisions rendues par le Tribunal canadien des droits de la personne, la Cour fédérale du Canada et la Cour suprême du Canada.

[43] Dans l'arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor [1990] 3 R.C.S. 892, la Cour suprême du Canada a adopté la définition du Tribunal des mots haine et mépris (Taylor, précité, par. 60; Nealy c. Johnston (1989), 10 C.H.R.R. D/6450, p. D/6469; Taylor et le Western Guard Party c. Commission canadienne des droits de la personne et Procureur général du Canada (1979), D.T. 1/79 (ci-après appelé la décision du Tribunal dans Taylor). Le mot haine est défini comme aversion active, détestation, inimitié, malice et malveillance. Cela signifie, en effet, que l'on ne trouve aucune qualité à l'objet de sa détestation. C'est un mot, toutefois, qui ne comporte pas nécessairement le processus mental de regarder de haut une ou des personnes. Il est fort possible de haïr quelqu'un que l'on estime supérieur à soi en intelligence, en richesse ou en pouvoir.

[44] Le mot mépris, par contre, est un terme qui suggère le processus mental consistant à regarder quelqu'un de haut ou à le traiter comme inférieur. Cela reflète la définition du dictionnaire des mots dédaigné, déshonneur ou disgrâce (Taylor, précité, par. 60)

[45] Le verbe exposer signifie : laisser une personne ou une chose sans protection; laisser sans abri ou défense; soumettre au danger, au ridicule, à la censure (la décision du Tribunal dans Taylor, précité, p. 29). Dans Taylor, le Tribunal a jugé que le verbe exposer est plus passif que le verbe inciter. Ceci suggère qu'un effort continu ou intentionnel de l'individu qui transmet le message n'est pas envisagé. De même, l'utilisation du verbe exposer au paragraphe 13(1) indique que l'on n'a pas l'intention de susciter une réaction violente chez la personne qui reçoit le message. En d'autres termes, selon le Tribunal, si un individu crée les conditions propices à la haine, laisse le groupe identifiable exposé à la rancune ou à l'hostilité, s'il le place dans une situation où il risque d'être haï, où la haine ou le mépris sont inévitables, alors cet individu tombe sous le coup du paragraphe 13(1) de la Loi (p. 29).

[46] Le Tribunal, dans Nealy c. Johnston, a déclaré que l'utilisation du mot susceptible au paragraphe 13(1) signifie qu'il n'est pas nécessaire de produire une preuve qu'un individu ou un groupe particulier a pris les messages au sérieux et a en fait dirigé sa haine ou son mépris contre d'autres personnes. Il n'est pas non plus nécessaire de démontrer que quelqu'un est en fait devenu victime de tels actes. À l'opposé des autres dispositions de la Loi portant sur la discrimination, le paragraphe 13(1) prévoit la responsabilité lorsqu'il existe un effet discriminatoire non prouvé ou non prouvable (Nealy c. Johnston, précitée, par. 45697). Le Tribunal a mentionné qu'il n'existe aucun moyen facile d'accès pour évaluer le nombre de personnes exposées aux messages ainsi que les répercussions que ces derniers peuvent avoir eues sur ces personnes. Selon le Tribunal, ces considérations justifient l'extension de la responsabilité prévue au paragraphe 13(1) aux cas où il n'y a aucun effet discriminatoire réel non prouvé ou non prouvable.

[47] L'intimé dans la présente cause a contesté l'interprétation du paragraphe 13(1) faite par le Tribunal dans Nealy c. Johnston, en prétendant que la majorité des juges de la Cour suprême dans Taylor n'a pas souscrit à cette interprétation. L'intimé a fondé son argument sur les déclarations faites par le juge en chef Dickson, au nom de la majorité des juges de la Cour suprême, dans cette cause. Au paragraphe 60, le juge en chef Dickson a déclaré ce qui suit :

À mon avis, il n'y a aucune incompatibilité entre le fait de donner au paragraphe 13(1) une interprétation qui le rend efficace et la protection de la liberté d'expression garantie par l'al. 2b), pourvu que l'interprétation des mots haine et mépris repose sur la pleine conscience que l'objectif du Parlement est de protéger l'égalité et la dignité de tous les individus par la réduction des manifestations de l'expression préjudiciable.

[Non souligné dans l'original.]

[48] L'intimé a interprété cette déclaration ainsi que d'autres déclarations qui ont été faites par la majorité des juges dans Taylor quant à l'importance de mettre l'accent sur les effets de la discrimination, comme signifiant que le paragraphe 13(1) exige la preuve que les documents contestés ont causé un préjudice.

[49] Je ne souscris pas à l'interprétation de l'intimé de la décision rendue par la majorité des juges dans Taylor. En outre, elle ne cadre pas avec le libellé du paragraphe 13(1) de la Loi. Selon le paragraphe 13(1), constitue un acte discriminatoire le fait de diffuser des messages qui sont susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable [...]. La disposition ne mentionne pas que constitue un acte discriminatoire le fait de diffuser des messages qui ont pour effet de susciter chez les autres de la haine et du mépris à l'égard du groupe cible.

[50] Comme la majorité des juges l'a déclaré dans Taylor, les messages constituant de la propagande haineuse, de par leur nature même, causent des préjudices de deux manières importantes. Premièrement, ils portent atteinte à la dignité et à l'estime de soi des membres du groupe cible et, deuxièmement, ils minent la tolérance et l'ouverture d'esprit qui doivent fleurir dans une société multiculturelle vouée à la réalisation de l'égalité. Cette déclaration repose sur de nombreuses études et rapports qui font état du préjudice causé par les messages haineux (Taylor, précité, par. 41). Rien ne laisse croire que la conclusion de la majorité des juges quant au préjudice causé par les messages haineux ne valait que pour les faits de l'espèce.

[51] Par conséquent, les messages qui sont visés par la définition de propagande haineuse qui figure au paragraphe 13(1) causent un préjudice. Il n'est pas nécessaire de prouver l'existence d'un préjudice. Le point essentiel est qu'il faut s'assurer que seuls sont visés par le paragraphe 13(1) les messages qui sont susceptibles d'exposer les membres du groupe cible à des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation, se traduisant par des calomnies et de la diffamation.

La possibilité d'exposition à des préjudices

[52] Comment doit-on évaluer la possibilité d'exposition à la haine ou au mépris? Suffit-il que le Tribunal n'examine que les messages, puis tire une conclusion, en se fondant sur le libellé, le ton et la présentation des messages pour décider s'ils sont susceptibles d'exposer des membres du ou des groupes cibles à la haine ou au mépris? Ou doit-il exister d'autres éléments de preuve qui aident le Tribunal à décider si les messages sont susceptibles d'exposer les membres des groupes cibles à la haine ou au mépris?

[53] Dans Citron c. Zundel, (no 4) (2002), 41 C.H.R.R. D/274, par. 141, le Tribunal a déclaré que, bien que les témoignages des experts furent utiles, c'était le langage utilisé dans les documents proprement dits qui a persuadé le Tribunal que ceux-ci contrevenaient au paragraphe 13(1) de la Loi. De même, dans Warman c. Kyburz, 2003 TCDP 18, le Tribunal a souligné que le témoignage des experts donnait à penser que les messages étaient susceptibles d'exposer les Juifs à la haine et au mépris, mais le Tribunal a conclu qu'il ne faisait aucun doute que les messages eux-mêmes étaient susceptibles d'exposer les Juifs à la haine (Kyburz, précitée, par. 43).

[54] L'intimé a prétendu que la possibilité d'exposition à la haine et au mépris ne devrait pas être évaluée en fonction des impressions subjectives du Tribunal quant aux documents, ni en fonction de l'évaluation du Tribunal quant à l'incidence possible des messages sur la personne la plus malveillante ou la plus sans coeur comme il a été mentionné dans Nealy c. Johnston. Au contraire, l'intimé a prétendu que l'évaluation devrait être faite en tenant compte de la réaction probable du public canadien.

[55] La réaction probable du public canadien à l'égard des messages contestés est établie en comparant les messages contestés aux messages de même nature qui sont transmis sur Internet et à l'égard desquels les réactions du public canadien sont connues. L'intimé a qualifié ces derniers messages de messages tolérés. Pour les motifs qui suivent, je ne souscris pas au qualificatif tolérés, mais par souci de commodité, je vais continuer à utiliser le qualificatif que l'intimé a donné aux messages.

Les messages tolérés

[56] Lors de l'audience, l'avocat de l'intimé a présenté des éléments de preuve composés de passages de la Bible, du Coran, du Marchand de Venise de William Shakespeare, des Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain, de Mein Kampf d'Adolph Hitler, de paroles de musique rap contemporaine disponible sur Internet ainsi que d'autres documents écrits disponibles en ligne. Ces documents ont été déposés comme exemples de documents qui sont susceptibles d'exposer à la haine ou au mépris les membres d'un groupe identifiable sur la base d'un motif de distinction illicite. Par exemple, dans Le marchand de Venise, Shakespeare décrit Shylock, un prêteur d'argent juif, comme étant un chien de Juif. Dans le Lévitique de la Bible, l'homosexualité est décrite comme étant une abomination et les homosexuels sont décrits comme étant des transgresseurs ignorants qui devraient être exécutés. La musique rap qui a été produite en preuve décrit l'homme blanc comme étant le diable et recommande l'exécution des hommes blancs parce qu'ils ne [Traduction] sont pas dignes de vivre avec l'homme noir, le premier homme qui a été créé.

[57] L'avocate de l'intimé a fait valoir que ces messages étaient d'une nature comparable à celle des messages contestés. Elle a ensuite déclaré que des éléments de preuve non contredits démontraient que le public canadien n'avait manifesté aucune haine ou mépris à l'égard des groupes cibles à la suite de ces messages qui, selon l'avocate de l'intimé, ont sans aucun doute plus d'influence et qui bénéficient d'une diffusion beaucoup plus vaste que les messages contestés. Par conséquent, l'avocate de l'intimé a fait valoir que le public canadien est peu susceptible de manifester de la haine et du mépris par suite des messages contestés.

[58] Les éléments de preuve non contredits semblent être des déclarations faites par l'avocate de l'intimé lors de ses conclusions finales. En voici un exemple :

[Traduction]

En ce qui concerne l'orientation sexuelle, l'opposition véhémente de la part de l'église catholique à l'égard de l'homosexualité est actuelle, bien connue, généralisée, existe depuis longtemps et est subventionnée par le gouvernement grâce au régime fiscal avantageux dont bénéficie l'église. Il est cependant bien connu que l'an dernier, malgré qu'il fut minoritaire, le parlement fédéral a réussi à faire adopter une loi qui légalise les mariages entre conjoints de même sexe. Le public canadien s'est révélé peu susceptible d'être inspiré par ce message qui prêche la haine et le mépris envers les homosexuels, malgré qu'il fut diffusé de façon répétée.

[59] L'avocate de l'intimé a de plus fait valoir que le fait que Son excellence la Gouverneure générale du Canada, Mme Michaëlle Jean, est une femme de race noire et que des mariages multiconfessionnels ont lieu constitue une preuve supplémentaire non contredite que les messages tolérés n'ont engendré aucune haine ou mépris envers les groupes cibles.

[60] Cette approche comporte un certain nombre de lacunes. Premièrement, je ne trouve aucun fondement à l'affirmation de l'intimé que des éléments de preuve non contredits démontrent que le public canadien n'a pas réagi avec haine ou mépris à la suite des messages tolérés. Par exemple, le fait que la Gouverneure générale du Canada soit une femme de race noire, ne prouve en rien que les messages tolérés qui discréditent les Noirs n'ont pas eu pour conséquence que certaines personnes se sont mises à haïr ou à mépriser les Noirs. Le fait qu'il existe des mariages interconfessionnels ne prouve pas que les messages qui encouragent l'annihilation des Juifs n'ont pas eu pour conséquence que certaines personnes se sont mises à haïr et à mépriser les Juifs.

[61] Deuxièmement, ce qui est peut-être plus important, la question de savoir si oui ou non les Canadiens se sont mis à éprouver de la haine ou du mépris à la suite de la diffusion desdits messages tolérés n'a rien à voir avec mon évaluation des messages de l'intimé. Comme je l'ai déjà mentionné, il n'est pas nécessaire que le plaignant prouve que les messages de l'intimé, encore moins les autres messages découverts sur Internet, ont eu pour conséquence que d'autres personnes se sont mises à haïr ou à mépriser les groupes cibles. Il s'agit de décider si les messages de l'intimé sont susceptibles d'exposer les membres des groupes cibles à la haine ou au mépris.

[62] Si l'argument de l'intimé est qu'il n'existe aucune preuve que les messages tolérés ont exposé les membres des groupes cibles à la haine ou au mépris, j'exprime à nouveau mon désaccord. Le fait que le mariage entre personnes du même sexe ait été légalisé dans certains ressorts ne démontre pas qu'il est peu probable que les messages tolérés qui encouragent la violence contre les homosexuels exposent ces derniers à la haine et au mépris. À cet égard, je fais remarquer que le passage de la Bible qui mentionne qu'un homme qui couche avec un autre homme doit être exécuté, conjugué avec un symbole homophobe, a été jugé par la commission d'enquête de la Saskatchewan comme exposant les homosexuels à la haine (Hellquist c. Owens (2001), 40 C.H.R.R. D/197, conf. par 2002 SKQB 506, en appel devant la Cour d'appel de la Saskatchewan). Par conséquent, on ne peut prétendre qu'il n'existe aucune preuve que les messages tolérés ont exposé des membres du groupe cible à la haine ou au mépris.

[63] Dans notre culture, nous pouvons être exposés, fréquemment, à des messages qui véhiculent la haine. Toutefois, la possibilité qu'un message exposera des personnes à la haine et au mépris ne s'atténue pas parce qu'il y a de nombreux autres messages semblables qui circulent dans la société. L'objectif qui consiste à promouvoir l'égalité des chances indépendamment des considérations discriminatoires n'est pas favorisé par l'importation d'une norme qui pose en fait la question suivante : En comparaison des nombreux messages qui sont véhiculés dans la société et qui sont susceptibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris, ces messages sont-ils à ce point mauvais?.

[64] Pour ces motifs, en décidant si les messages contestés sont susceptibles d'exposer des personnes à la haine ou au mépris, je ne peux accorder aucune importance au fait qu'il circule de très nombreux messages qui auraient prétendument un effet similaire. Au contraire, je dois concentrer mon attention sur la question de savoir s'il est raisonnable de conclure, compte tenu du langage, du ton, de la présentation et du libellé des messages contestés, que ceux-ci auraient pu exposer des membres des groupes cibles à la haine et au mépris.

[65] De plus, comme l'a déclaré la majorité des juges de la Cour suprême dans l'arrêt Taylor, tant et aussi longtemps que le Tribunal continue de ne sanctionner que les messages qui sont susceptibles d'exposer des membres des groupes cibles à des émotions exceptionnellement fortes et profondes de haine et de mépris, il y a peu de risque que l'opinion subjective du Tribunal entraîne l'interdiction des messages qui ne sont qu'offensants. Le Tribunal doit également garder à l'esprit que le but du paragraphe 13(1) est l'interdiction de messages à caractère haineux qui, par leur nature même, créent un préjudice. L'objet du paragraphe 13(1) n'est pas de vider Internet de son contenu vulgaire, désagréable et offensant.

(ii) Les messages contestés

Le livre des visiteurs de la Northern Alliance

[66] Dans un message daté du 12 juillet 2003 figurant dans le livre des visiteurs de la Northern Alliance, l'intimé fait part de son dégoût pour les Noirs et les Juifs. Il a traité les Noirs de nègres et les a décrits comme étant intellectuellement inférieurs aux Blancs. Il a déclaré qu'il n'aimait pas les Noirs en général. Les motifs qu'il a donnés sont que les Noirs sont des personnes violentes et stupides. Il a déclaré que les Juifs [Traduction] avaient infesté notre monde de Noirs et que, par conséquent, on devrait obliger les Juifs à vivre avec les Noirs en Israël. Il a prétendu que les Juifs contrôlaient les médias et que c'était pour cette raison que des personnes comme Einstein avaient reçu beaucoup plus de reconnaissance que les inventeurs qui n'étaient pas Juifs. L'intimé a également fait part de son admiration pour les Japonais et pour leur culture. Il a déclaré que les Japonais connaissent très bien les différentes races et qu'ils ont des lois très sévères en matière d'immigration. Il a déclaré ce qui suit : [Traduction] Il sera intéressant de voir comment ils traiteront le problème juif.

[67] Dans ce message, l'intimé tente de légitimer une attitude de mépris et de haine pour les Noirs en les décrivant comme étant intellectuellement inférieurs, violents et stupides, bref, comme étant des personnes dénuées de qualités. Il élabore dans ce message une théorie qui critique les Juifs pour avoir amené les Noirs dans la civilisation blanche et qui les accuse de se vanter de créer les nouvelles inventions. Le message encourage la croyance que les Noirs et les Juifs ruinent la société canadienne. Il est donc susceptible d'exposer à la haine et au mépris les membres de ces groupes.

Le site Web Winnicki

[68] Sur le site Web qui se trouve à l'adresse WWW3.sympatico.ca/tom.winnicki, le plaignant a découvert une image ou un poster graphique sur lequel figuraient des swastikas, un robot et de nombreuses autres images sur lesquelles étaient inscrits les mots suivants :

[Traduction]

LA RÉVOLUTION BLANCHE APPROCHE [...] ET ELLE EST GIGANTESQUE

[69] Puis, la phrase suivante, écrite en petits caractères, figurait en dessous de l'image de robot :

[Traduction]

L' HOLOCANULAR DÉMYSTIFIÉ. POUR DE L'HISTOIRE IMPARTIALE, ALLEZ À L'ADRESSE SUIVANTE : WWW.ihr.org. SI VOUS VOULEZ DES NOUVELLES POUR LES BLANCS, OUBLIEZ CNN. ALLEZ À L'ADRESSE SUIVANTE : WWW.GOVNN.COM

[70] Au bas du poster, en lettres majuscules et en caractère gras, figurait le message suivant :

[Traduction]

NOUS ALLONS VOUS AVOIR SALES JUIFS, VOUS ET VOS CHIENS SERVILES.

[71] Ce message comprend un certain nombre d'éléments qui sont susceptibles d'exposer les Juifs à la haine ou au mépris. Premièrement, il qualifie l'Holocauste d'Holocanular. Cette expression inspire le mépris et l'inimitié envers les Juifs en donnant à penser que l'assassinat collectif de millions de Juifs durant la Seconde Guerre mondiale ne s'est pas produit et n'était qu'un canular. Deuxièmement, ce message comprend manifestement des menaces de préjudice et de l'inimitié envers les Juifs. Par conséquent, je conclus que le message est susceptible d'exposer les Juifs à la haine ou au mépris.

Le Vanguard News Network

Les Noirs et les autres peuples qui ne sont pas de race blanche

[72] Ce qui suit sont des exemples de certains messages affichés par l'intimé dans le groupe de discussion du VNN concernant les Noirs et les autres peuples qui ne sont pas de race blanche.

[73] Dans un message intitulé [Traduction] Les ghettos de Toronto se déplacent vers les banlieues figurant dans le groupe de discussion du VNN, l'intimé fait des commentaires sur un article paru dans le National Post au début de 2004 concernant l'augmentation de la pauvreté à Toronto. Il cite des parties de l'article qui font état que les quartiers plus pauvres qui étaient autrefois confinés au centre-ville s'étendent maintenant aux banlieues comme North York et Scarborough. L'intimé déclare ce qui suit entre parenthèses :

[Traduction]

Ce que ces idiots sont en train de nous dire, c'est que North York et Scarborough sont infestés de nègres paresseux, sauvages et sans aucune valeur ainsi que d'autres déchets de race non identifiée. Les membres de ma famille ont mis moins d'une année à devenir des membres productifs de la société canadienne. Combien de temps faut-il à une peau couleur merde du tiers monde pour devenir un membre productif d'une société blanche? Une éternité, en effet. Sur la CBC communiste on attend parler de ces entrepreneurs asiatiques qui réussissent dans la terre promise - le Canada. Évidemment, la CBC communiste ne tient compte que de quelques arbres et oublie le reste de la forêt. Pour chacun de ces hommes d'affaires à la peau couleur merde dont les entreprises sont contaminées par l'argent des contribuables blancs, il y des milliers de déchets sans valeur.

[74] Dans un autre message figurant dans le même fil de discussion et portant le titre [Toronto] Les ghettos de Toronto se déplacent vers les banlieues, l'intimé fait des commentaires sur un article différent qui traite de la question des logements abordables. Il cite l'extrait suivant tiré de l'article : [Traduction] Comment cela peut-il se produire dans une ville comme celle-ci? soupira Connie Richards, alors qu'elle faisait sa lessive à la buanderie Wash & Fold à Back Creek, un quartier figurant parmi ceux qui étaient mentionnés dans le rapport. L'intimé a affiché le message suivant en réaction à cette citation :

[Traduction]

Comment? COMMENT?! Allez vous faire foutre les nègres? Désolé, je ne devrais pas blâmer les nègres pour ce qu'ils sont. Je voulais plutôt dire : Allez vous faire foutre les Juifs - destructeurs de pays, vous avez inondé notre pays de ces gens. Hé Connie, prends ton sale linge de nègre, mets tes petits nègres illégitimes dans ta valise (dix ou autant que tu en as) et fous le camp de notre civilisation blanche. Je suis même prêt à te payer un billet de première classe pour l'Afrique, qu'est-ce que tu en penses?

[75] On retrouve d'autres commentaires semblables après cette déclaration.

[76] Dans un message affiché dans le groupe de discussion du VNN en rapport avec un article relatif au meurtre d'une femme et portant le titre [Traduction] Hé, la Polonaise [...] pourquoi ne te trouves-tu pas un copain polonais?, l'intimé a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Les femmes polonaises doivent être de sales idiotes. J'ai tellement entendu d'histoires à propos de ces putes (pour ne parler que de celles-là) qui fréquentent des nègres et d'autres déchets et qui baisent avec eux, c'est vraiment dégueulasse. Cette pute qui se mêle avec les autres races a eu ce qu'elle méritait.

[77] L'intimé a lancé un fil de discussion intitulé [Traduction] Une autre fusillade audacieuse à Toronto la multiculturelle. Le fil de discussion comprend un certain nombre de liens URL menant à de nouvelles histoires. L'intimé va d'un lien à l'autre et fait des commentaires. Il présume que c'est une personne de race noire qui a été impliquée dans la fusillade à Toronto. Voici ce qu'il dit :

[Traduction]

Je parie 1 000 $ que c'est un nègre ou quelque chose de semblable de couleur merde [...] eee, c'est-à-dire un être inférieur. Les nègres sont-ils vraiment de si mauvais tireurs? Je veux dire, il tirait sur une voiture alors qu'il se trouvait à faible distance et, malgré cela, il a atteint deux passants. Con de nègre. Comment aimez-vous Toronto la multiculturelle? C'est bon? Et Brad Love, un Canadien qui travaille dur qui a vu sa ville transformée en merde en quelques décennies est actuellement en prison parce qu'il a envoyé à des députés des lettres tout à fait légales (c'est-à-dire des lettres ne comprenant aucune menace) dans lesquelles il dénonçait l'immigration de gens de couleur. Je veux qu'on me redonne mon pays.

[78] Puis, il poursuit en déclarant ce qui suit : [Traduction] Une peau couleur merde agresse une femme sexuellement (une blanche je présume). Il mentionne un lien vers une autre histoire figurant dans un site Web appelé pulse 24, puis il déclare ce qui suit : [Traduction] Les peaux couleur merde transforment n'importe quoi en merde, tout ce qu'ils touchent ou tout ce qu'ils approchent. Il mentionne un autre lien URL et conclut en adressant le message suivant aux Noirs :

[Traduction]

Message à vous tous les gens de couleur : Allez-vous en (si vous êtes ici), tenez-vous à l'écart de ma ville et n'y remettez plus les pieds. Ne vous en approchez même pas, bande de destructeurs de civilisation. Allez à Toronto la multiculturelle [...] mieux encore, retournez en Afrique.

[79] L'intimé a également visé les personnes d'origine indienne en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

LES NÈGRES ET LES INDIENS SONT DES MERDEUX!!!! FOUTEZ LE CAMP DE NOTRE CIVILISATION, BANDE DE DÉCHETS!!!!"

[80] Dans les messages susmentionnés, l'intimé décrit les Noirs et les autres personnes qui n'appartiennent pas à la race blanche, particulièrement les immigrants, comme étant des criminels dotés de quotients intellectuels inférieurs. Il parle à plusieurs reprises de ces gens comme étant des excréments humains et des déchets. Il décrit les Noirs comme étant pire que des [Traduction] bâtards menteurs, violents et voleurs. L'intimé traite les Noirs des noms suivants : nègres, nègres inférieurs, sales inférieurs, sales déchets, sales coquerelles, alias sales nègres. Ces expressions et ces qualificatifs sont déshumanisants, dégradants et sont très susceptibles d'exposer à la haine et au mépris les Noirs ainsi que les autres personnes qui n'appartiennent pas à la race blanche.

[81] Le message qui ressort clairement de l'ensemble des messages de l'intimé concernant les Noirs, les Indiens et les autres personnes qui n'appartiennent pas à la race blanche est que ceux-ci sont à ce point détestables, violents et stupides qu'ils doivent être renvoyés du Canada ou séparés de la population blanche. Ils n'ont aucune qualité et sont tellement dangereux qu'il est justifié de les haïr intensément.

[82] J'estime que l'intimé ne fait pas seulement qu'exprimer bruyamment ses émotions; il supplie les visiteurs du site Web de penser comme lui. Il tente de convertir les gens à ses opinions. Cela est attesté par le fait qu'il a écrit les mots suivants sur tous les messages qu'il a affichés : [Traduction] JOIGNEZ-VOUS À NOUS, JE VOIS DE LA PASSION DANS VOS YEUX. L'utilisation par l'intimé d'articles de journaux comme élément de preuve étayant ses déclarations donne un certain air de légitimité ainsi qu'un air de commentaire social à ses messages. Selon moi, il est possible que certaines personnes seront convaincues par ces messages. J'estime que le fonds et la forme des messages concernant les Noirs et les autres peuples qui ne sont pas de race blanche créaient une possibilité que des membres de ces groupes soient exposés à la haine et au mépris.

[83] Un des messages les plus troublants que l'intimé a affichés figure dans le fil de discussion du Vanguard News Network intitulé [Traduction] La manifestation du 15 mai à Topeka - Serez-vous présents?. Selon le témoignage du plaignant, les participants à ce groupe de discussion discutaient d'une contre-manifestation qui allait avoir lieu aux États-Unis en vue d'exprimer leur désaccord quant à la célébration de l'anniversaire de la décision rendue par la Cour suprême des Etats-Unis dans Brown c. Topeka Board of Education, 347 U.S. 483 (1954). Cette décision a mené à l'abolition de la ségrégation raciale dans les écoles américaines.

[84] Dans le message qu'il a affiché à côté de son pseudonyme Thexder 3D, l'intimé décrit comment on lui a refusé l'entrée aux États-Unis alors qu'il voulait se rendre à la contre-manifestation de Topeka. À la fin de sa description, l'intimé adresse un plaidoyer passionné au groupe de discussion des lecteurs afin que ceux-ci impriment son signe, lequel est joint à son message et [Traduction] le tiennent bien haut pour que le monde puisse le voir au rassemblement. Il déclare ce qui suit : [Traduction] J'aimerais bien voir les têtes que feront ces nègres et ces déchets lorsqu'ils verront mon signe à la télévision.

[85] Le signe joint au message affiché par l'intimé est composé de deux pages. La première page consiste en un montage de quatre photos sur lesquelles du texte a été imprimé, et la deuxième page consiste en du texte. Trois des quatre photos figurant sur la première page montre sous différents angles le cadavre d'un Noir. Dans chacune des trois photos, il semble que la cervelle de l'homme déborde de son crâne défoncé. Les parties internes du cou de l'homme sont également visibles à travers une coupure dans la région du cou. La quatrième photo montre un Noir vivant qui est en train de sourire et qui soutient la tête de ce qui semble être un Noir mort ou inconscient (peut-être le même homme qui figure sur les trois autres photos).

[86] Les mots suivants sont inscrits sur la photo du Noir vivant qui soutient la tête du Noir mort ou inconscient (du côté de l'image) : [Traduction] Nous sommes fiers de célébwer la culture afwicaine, à www.govnn.com. Puis, dans le coin inférieur gauche, on peut lire les mots Monrovia (Libéria). Autour du périmètre du montage des quatre photos, on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

LES JUIFS ONT PRODUIT LE ZIMBABWE, VOULEZ-VOUS L'AFRIQUE ICI? PENSEZ BLANC, ÇA NE FAIT PAS MAL.

[87] La deuxième page de la pièce jointe est ainsi libellée :

[Traduction]

METTEZ FIN AU GÉNOCIDE DE LA RACE BLANCHE DU CRÉATEUR! LIBERTÉ D'ASSOCIATION POUR LES BLANCS!'

THOMAS JEFFERSON : [Traduction] DEUX RACES, JOUISSANT D'UNE MÊME LIBERTÉ NE PEUVENT PAS EXISTER AU SEIN D'UN MÊME GOUVERNEMENT.

LA CIVILISATION DÉPEND DE LA RACE.

LA PREUVE : HAÏTI PAR RAPPORT À L'ICELAND.

Lim [QI (COULEUR)] = 0

couleur - noir

L'INTÉGRATION OBLIGATOIRE ÉQUIVAUT À TUER LES ENFANTS BLANCS!

LES NOIRS ONT-ILS DÉJÀ DÉTRUIT VOTRE ÉCOLE?

VOTRE QUARTIER? VOTRE VILLE?

VOTRE ÉTAT? VOTRE PAYS?

LA RACE BLANCHE EUROPÉENNE DU CRÉATEUR DOIT SURVIVRE!"

[88] Il semble que tout cela fait partie du signe que l'intimé désirait que les lecteurs de son message téléchargent et apportent avec eux à la manifestation de Topeka.

[89] La deuxième fois, l'intimé s'est servi de l'imagerie photographique pour véhiculer son message de haine. Dans un message qu'il a affiché dans un fil de discussion et qui portait le titre [Traduction] Couper des mains, lapider, tirer des enfants en bas d'un passage supérieur surplombant une autoroute achalandée, l'intimé pose la question suivante à ces lecteurs : [Traduction] Qu'est-ce qui s'en vient Toronto? Ceci?. Il a ensuite affiché une photo d'un groupe de Noirs parmi lesquels certaines personnes tiennent les jambes d'un homme ou d'un garçon noir manifestement mort et dont le corps semble calciné. Les mots suivants sont inscrits au-dessus de la photo : [Traduction] En Afrique, cette bande de lynchage a fait brûler cette personne et a traîné son corps dans les rues, et ce, après l'avoir battue de façon insensée. Cette image horrifiante ainsi que l'invitation à se demander si cela pourrait arriver à Toronto sont suivies par le logotype de l'intimé : SUIVEZ-NOUS, JE VOIS DE LA PASSION DANS VOS YEUX.

[90] Plus que les mots, les images captent de façon irrésistible l'attention des gens. Les photos transmettent et déforment un sens d'une manière très puissante. Bien qu'il ne fasse aucun doute que certaines personnes trouveront tellement dégoûtantes les images figurant dans les documents de l'intimé qu'elles s'en détourneront immédiatement, d'autres personnes agiront comme des automobilistes qui ralentissent sur l'autoroute pour voir s'il n'y a pas une personne qui saigne abondamment suite à un accident routier. Les messages qui ont été inscrits sur les photos ont un effet plus puissant, selon moi, lorsqu'ils sont conjugués avec les fortes impressions que l'on ressent naturellement lorsque l'on voit des corps brûlés et éventrés. Ils donnent l'impression que, dans la culture africaine, commettre des atrocités contre d'autres êtres humains est un comportement normal et que de tels événements pourraient se produire au Canada. Le message est clair : les Noirs constituent une menace dangereuse, meurtrière et ils ne méritent rien de plus que le plus grand dégoût et le plus grand mépris. En outre, j'estime que l'utilisation de l'imagerie photographique conjuguée avec des mots incendiaires inscrits sur les images ajoute encore plus de virulence à la haine et au mépris auquel les Noirs pourraient être exposés à la suite des messages.

[91] Pour ces motifs, je conclus que les messages portant sur les Noirs et les autres peuples qui ne sont pas de race blanche ainsi que sur les personnes d'origine africaine qui figuraient dans le groupe de discussion du VNN et qui ont été déposés en preuve au cours de l'audience sont susceptibles d'exposer les membres de ces groupes à la haine et au mépris.

Les Juifs

[92] L'intimé décrit les Juifs d'une manière très vulgaire et très hostile. Son thème fondamental est que les Juifs sont des gens dégoûtants et méchants qui sont résolus à détruire la civilisation blanche européenne. Ses messages exhortent les Canadiens de race blanche à adopter sa croyance que les Juifs contrôlent les médias et le gouvernement et qu'ils ont inventé ou exagéré l'Holocauste afin d'extorquer des sommes d'argent aux gouvernements et aux institutions partout dans le monde. Par exemple, dans un message qu'il a affiché, l'intimé conteste une déclaration faite par un membre d'un organisme national juif concernant l'article 319 du Code criminel, lequel porte sur les crimes haineux. Après avoir déclaré que les Juifs appartiennent à une race étrangère dénuée de toute valeur, l'intimé pose une série de questions qui visent manifestement à obtenir la réponse que les Juifs tentent de manipuler les lois canadiennes. L'intimé pose la question suivante :

[Traduction]

Qu'en pensez-vous Canadiens de race blanche? Les Juifs devraient-ils avoir le droit de s'exprimer ou d'avoir une quelconque influence, directe ou indirecte, quant à l'élaboration des lois dans notre pays? Avez-vous déjà entendu l'expression tolérance zéro? Savez-vous qui l'a utilisée? Savez-vous pourquoi? Savez-vous que, à un moment ou à un autre, les Juifs ont été expulsés, en grand nombre, de la plupart des pays européens? Dans certains cas, plus d'une fois. Pourquoi croyez-vous que cela est arrivé? Croyez-vous que nous devrions adopter des lois pour accorder plus de liberté aux citoyens ou pour diminuer leur liberté? Que tentent de faire les Juifs? Pourquoi, pourquoi, pourquoi, nom d'un chien [...] pourquoi?

Pendant que je le peux encore [...]

ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE LES JUIFS!

SALES HEEBES ([Traduction] youpins)

SALES KIKES (youpins)

SALES YIDS (youpins)

SALES ZHIDS (youpins)

SALES SHEENIES (youpins)

SALES JUIFS!!! (n'y-a-t-il pas de meilleur mot pour décrire les Juifs?)

[Nom d'un chien! Je veux des lettres encore plus grosses! ☹]

[93] Selon moi, la raison pour laquelle le message susmentionné est susceptible d'exposer les Juifs à la haine et au mépris ne réside pas uniquement dans le langage offensant utilisé envers les Juifs, mais également parce qu'il est très susceptible de répandre l'idée que les Juifs créent des lois comme l'article 319 du Code criminel dans le but de détruire le monde des Canadiens de race blanche. Il crée l'impression que les Juifs constituent une dangereuse menace pour la société.

[94] Dans un autre message qu'il a affiché, l'intimé fait part de son opinion que l'Holocauste est un canular visant à extorquer des billions de dollars à des pays comme l'Allemagne. Il déclare ce qui suit :

[Traduction]

Et qu'est-ce que c'est que toute cette merde que j'ai entendue concernant les abat-jour et le savon dans mon cours d'histoire à l'école secondaire? Je cherche toujours des renseignements détaillés sur la manière qui a été employée pour transformer un Juif en pain ou en savon. Ils étaient et sont toujours des gens très créatifs, donc, s'il avait existé une manière, je suis certain qu'ils l'auraient trouvée. S'ils ont vraiment transformé des cadavres de Juifs en savon, j'aimerais qu'on me montre comment ils ont fait.

[95] La banalisation et le déni de l'existence de l'Holocauste sont susceptibles de provoquer de nombreuses réactions chez les gens. Pour ceux qui ont vécu l'Holocauste, ils peuvent générer chez eux un sentiment de rage et de désespoir provoqué par le fait qu'on nie l'existence d'événements qu'ils ont vécus. Chez d'autres, l'allégation que l'Holocauste est un canular peut très bien générer un état de colère extrême car ils auront le sentiment que le monde a été roulé et volé par les Juifs. Cette situation mène à la colère et à un profond ressentiment envers les Juifs.

[96] L'intimé a également utilisé des photos pour véhiculer son sentiment de haine envers les Juifs. Par exemple, dans le message qu'il a diffusé dans le site Web du VNN, il a affiché la photo de quatre filles sur laquelle étaient inscrits en grosses lettres les mots qui suivent :

[Traduction]

Les Juifs détestent la beauté et la noblesse européenne. Toutes ces filles ont été brutalement assassinées par de sauvages Juifs communistes. Nous allons vous avoir, bâtards de Juifs et vous vivrez l'enfer.

ASSASSINÉES PAR LES JUIFS.

[97] Le contraste entre l'innocence et la beauté de la photo des quatre filles et l'allégation de meurtre est très puissant. Peu de choses provoquent autant de haine que des allégations de meurtre sauvage d'enfants innocents. Il s'agit essentiellement d'un poster qui encourage la vengeance envers les Juifs.

[98] En effets, dans l'un des messages qu'il a affichés, l'intimé fait part de sa colère en rapport avec une déclaration selon laquelle les travailleurs étrangers volent des emplois aux Américains. Il déclare ce qui suit :

[Traduction]

À quand le bain de sang? Je suis relativement aisé, j'occupe un emploi stable à temps plein, j'ai peu de dépenses, je paie toutes mes factures en temps sans grandes difficultés, toutefois, je m'en fais pour tous ces Américains, Canadiens et Européens de race blanche qui perdent leur vie sur l'ordre du GOZ. Ça ne me dérangerait pas que la guerre sainte raciale commence dès demain.

[Non souligné dans l'original.]

[99] Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, au sein du mouvement néonazi, l'expression guerre sainte raciale (sous forme abrégée Rahowa (Racial Holy War)), telle qu'elle est utilisée, renvoie à une guerre raciale apocalyptique. On croit que, à un certain moment dans l'avenir, tous les Blancs seront obligés d'éliminer toutes les autres races afin de préserver ce qui est perçu comme étant leur suprématie. GOZ est l'acronyme de gouvernement de l'Ordre sioniste, lequel renvoie à la théorie que les Juifs contrôlent les gouvernements de tous les pays du monde.

[100] Dans le message susmentionné, l'intimé tient manifestement les Juifs responsables du chômage et donne à penser que le massacre de toutes les personnes qui ne sont pas de race blanche constituerait la solution qui s'impose. La conclusion que les Juifs sont responsables du chômage et de la pauvreté, selon moi, est susceptible d'exposer ceux-ci à une malice extrême qui pourrait se traduire par des actes de violence.

Conclusion : les messages constituent de la propagande haineuse

[101] Je conclus que les messages affichés dans le livre des visiteurs de la Northern Alliance, dans le site Web Winnicki, dans le groupe de discussion du site Web VNN sont susceptibles d'exposer à la haine et au mépris les Juifs, les Noirs, les autres personnes qui ne sont pas de race blanche et les personnes d'origine africaine. Je fonde cette affirmation sur les conclusions suivantes : les messages décrivent les membres du groupe cible comme étant des déchets inférieurs qui ne méritent rien de plus que le plus grand dégoût et le plus grand mépris; ils véhiculent l'idée que les membres des groupes cibles sont dangereux, méchants et constituent une menace pour les Canadiens de race blanche; ils expriment une haine virulente envers les membres des groupes cibles en des termes violents et menaçants; ils exhortent les autres à adopter la même position que l'intimé; ils tentent de justifier, de persuader et de légitimer les actes de violence commis contre des membres des groupes cibles. Il en résulte que les groupes cibles peuvent très facilement être victime de haine, de mépris, voir même de violence, à la suite de la diffusion de ces messages.

[102] L'intimé a prétendu que les messages n'étaient pas susceptibles d'exposer les membres des groupes cibles à la haine et au mépris car quiconque navigue sur Internet serait prévenu de la teneur des messages par la nature des bannières figurant sur les cadres du VNN. Les bannières du VNN annoncent le message qui suit : [Traduction] Révolution blanche dossiers Panzerfaust et parfois : [Traduction] Radio White fait présentement jouer Semeur de haine - La bataille n'est pas encore terminée, le Semeur de haine est encore là. Par conséquent, selon l'intimé, les gens ont le choix de lire ou de ne pas lire les messages.

[103] Dans Taylor, le même choix s'offrait aux personnes qui appelaient au service de messages téléphoniques afin de recevoir les messages qui, selon ce qu'on a jugé dans cet arrêt, violaient le paragraphe 13(1) de la Loi. Le Tribunal a jugé qu'il importait peu que les gens accèdent aux messages de leur plein gré, tout en sachant à quoi s'attendre. Cela n'avait aucune incidence sur le fait que les messages étaient susceptibles d'exposer les membres des groupes cibles à la haine ou au mépris. De même, je conclus que le fait que les bannières constituaient une certaine forme d'avertissement quant au contenu du site Web ne soustrait pas les messages à la portée du paragraphe 13(1). Que des personnes découvrent involontairement les messages ou que d'autres personnes les aient recherchés activement, il y a, selon moi, une forte possibilité que les messages exposent les membres des groupes cibles à une haine virulente et au mépris.

[104] Par conséquent, je conclus que, en diffusant de façon répétée, par Internet, les messages qui ont été déposés en preuve dans l'audition de la présente affaire, l'intimé a violé le paragraphe 13(1) de la Loi.

Les messages dans lesquels il est expressément fait mention du plaignant

[105] La Commission a déposé en preuve huit messages dans lesquels il est expressément fait mention du plaignant. Dans ces messages, le plaignant est décrit comme étant un Juif, un présumé Juif, un infâme Juif acide et on laisse entendre qu'il a déposé des plaintes en matière de droits de la personne parce que, comme tous les Juifs, il veut obtenir des sommes d'argent. On a prétendu que, dans le contexte des autres messages de l'intimé qui étaient susceptibles d'exposer les Juifs à la haine ou au mépris, la mention expresse du plaignant comme Juif exposait ce dernier à cette même haine ou à ce même mépris.

[106] Les messages dans lesquels il est expressément fait mention du plaignant sont ainsi libellés :

(1) Le premier message a été affiché dans un fil de discussion ou sujet de discussion du groupe de discussion du VNN et était intitulé [Traduction] La résurgence haineuse de l'antisémitisme. Le plaignant a affirmé dans son témoignage que ce fil de discussion a été lancé le 17 janvier 2004. L'intimé a déclaré ce qui suit dans ce message :

[Traduction]

[...] Les Juifs deviennent à chaque jour de plus en plus cinglés à tenter de voir comment on pourrait censurer Internet. Moi-même, j'ai déjà été victime de cette tentative lorsque Bell Sympatico a cédé aux pressions des Juifs, grâce au Juif Richard Warman qui travaille pour la Commission canadienne des droits de la personne (laquelle assassine les hommes blancs). Les salauds n'ont pas que supprimé la page offensante (même après que j'eus modifié le mot interdit Juifs pour le mot Sionistes), ils ont également supprimé toute ma programmation ainsi que tout mon art 3D. Tant et aussi longtemps que les mensonges des Juifs continuent de circuler, les Juifs continueront de récolter des milliards et des milliards de dollars en indemnités, il est donc très important pour les Juifs de censurer notre Internet, des sites comme Zundelsite, VNN, ainsi que d'autres sites, mais hélas [...] TROP TARD SALES JUIFS STUPIDES, VOUS (ADL, SPLC JDL, CJC et autres) AVEZ ÉCHOUÉ! [Ça fait du bien de dire cela.] Maintenant, ce n'est qu'une question de temps. Je félicite ces cons qui ont inventé l'Internet. Je suis prêt à parier que ceux-ci avaient notamment comme objectif la dénonciation des Juifs.

(2) Dans un autre message, lequel fut diffusé le 13 mars 2004 dans un fil de discussion du groupe de discussion du VNN et était intitulé [Traduction] Les Américains ne sont pas humains, l'intimé a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

J'ai moi-même été repéré par le radar juif lorsqu'un ignoble Juif acide, Richard Warman (celui-ci affirme ne pas être Juif), a déposé une plainte contre moi à la CCDP (Commission canadienne des droits de la personne (ou plutôt la Commission d'assassinat des hommes blancs)). C'était surtout en raison de certaines remarques que j'ai faites dans le livre des invités de la Northern Alliance, laquelle n'existe plus, ainsi qu'en raison d'une photo des filles du Tsar (ainsi que d'autres) que j'ai fait circuler dans le Net. Peut-être que vous l'avez vue, elle a été affichée à une reprise sur le VNN.

(3) Le 23 août 2004, l'intimé a diffusé sur le groupe de discussion du VNN un message intitulé : [Traduction] Ma réponse à l'article de Randy Richmond. Dans ce message, l'intimé renvoie à un article qui a été rédigé par Randy Richmond et qui a été publié dans le London Free Press le 18 août 2004. L'article du London Free Press faisait mention du fait que la police avait entrepris une enquête criminelle sur les activités de l'intimé. L'article faisait mention de déclarations provenant d'un certain nombre de sources, notamment du plaignant, dans lesquels celles-ci faisaient part de leurs opinions concernant les messages contestés.

En réponse à cet article de journal, l'intimé a demandé ce qui suit :

[Traduction]

Pourquoi suis-je menacé par la police, par quatre organismes européens anti-Blancs (lesquels sont ironiquement financés par des Européens blancs) et peut-être par un avocat juif pour avoir fait cela? Pourquoi la police ne fait-elle pas plutôt son travail qui consiste à protéger notre société européenne blanche et à renvoyer les nègres dans leur habitat naturel [...] l'Afrique?

À nouveau, le 24 août 2004, l'intimé a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Le nom Warman équivaut-t-il au mot Juif? Pourquoi Warman ne va-t-il pas vivre en Israël et parler contre le racisme et contre l'horrible oppression de ces pauvres Palestiniens qui prévalent en Israël?

(4) Plus tard, le 24 août 2004, dans un autre message figurant dans le même fil de discussion, l'intimé déclare ce qui suit : [Traduction] Je soupçonne Warman d'être un JUIF. Le mot JUIF est écrit en lettres majuscules et est répété à 117 reprises. La dernière fois qu'il est mentionné, il est écrit en grosses lettres majuscules à caractère gras, suivi de trois points d'exclamation.

L'intimé poursuit ses remarques en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

Ah oui, soit dit en passant, merci à Warman. Bell a révoqué mon compte électronique dont j'avais grand besoin à l'époque car je tentais de vendre un logiciel que j'ai conçu.

(5) Dans un message diffusé le 9 septembre 2004, l'intimé fait des remarques quant à une autre cause en matière de droits de la personne impliquant le plaignant. Cette cause portait sur des allégations de violation du paragraphe 13(1) de la Loi en raison de propagande haineuse. Dans cette cause, comme en l'espèce, le plaignant demandait à être indemnisé pour avoir été personnellement ciblé. Le fil de discussion était intitulé [Traduction] La fonction JOG s'en prend aux hôtes Web. L'intimé déclare ce qui suit dans ce message :

[Traduction]

Avez-vous vu, ces sales vauriens d'avocats demandent 80 000 $ en [...] indemnités.ALLEZ, PAYEZ!!! Comme cela est très très JUIF, demander de l'argent gratuit. Je soupçonne que la plus grande partie de cet argent irait à M. Vermine, que je soupçonne d'être JUIF. C'est ce qu'il fait aux gens. Le salaud navigue sur Internet et recherche les sites qui sont tant soi peut pro-Européens blancs et s'il trouve quelque chose d'un peu offensant à l'égard de nos minorités privilégiées au Canada, il dépose une plainte auprès de la CCDP (Commission canadienne des droits de la personne, laquelle déteste les Blancs). Lorsque la cause est portée devant un tribunal, il espère que l'accusé abandonnera. Après cela, il l'emmène devant la Cour des petites créances et le poursuit pour un montant de 9999,99 $, juste en deça du montant limite de 10 000 $ de telle sorte que la cause relève de la compétence de la Cour des petites créances (la limite est peut-être de 5 000 $, auquel cas il le poursuit pour un montant de 4 999,99 $). Lorsqu'il gagne, il obtient l'argent et voilà comment, selon moi, il gagne sa vie. Il obtient probablement une grande aide financière de la part de ses copains JUIFS du CJC (Congrès juif canadien), lequel obtient gratuitement des millions de dollars grâce au GOZ canadien, financé par les contribuables canadiens de race blanche. De bons édificateurs de civilisation ces JUIFS, hein? Toujours en train d'obtenir quelque chose pour rien. Six milliards de dollars des banques suisses, 6 trillions de dollars du gouvernement américain, 6 trillions de dollars du gouvernement allemand, 6 000 $ d'un Blanc qui haït les Juifs. Une bonne affaire, n'est-ce pas?

(6) Le 11 septembre 2004, l'intimé a lancé un fil de discussion intitulé [Traduction] Le présumé JUIF Richard Warman attaque les Blancs du Canada [...] une fois de plus. Ce fil de discussion faisait mention des plaintes en matière de droits de la personne qui ont été déposées par le plaignant contre d'autres personnes. L'intimé a affiché de nouveau, sous le titre, des documents émanant d'une tierce partie qui qualifiait le plaignant de [Traduction] militant professionnel contre la liberté de parole et de [Traduction] censeur.

(7) Le 29 octobre 2004, l'intimé a lancé un fil de discussion portant le titre suivant : [Traduction] Richard Warman recommence. VA TE FAIRE FOUTRE POLICIER DE LA PENSÉE.

(8) En mai 2005, l'intimé a diffusé un certain nombre de messages dans un fil de discussion qui portait le titre [Traduction] Les Juifs et les anti-Européens blancs lancent une nouvelle attaque contre un combattant pour la liberté de race blanche. La majorité des messages de l'intimé figurant dans ce fil de discussion avaient trait à une lettre ouverte qui a été rédigée et qui a été divulguée publiquement par un certain nombre de groupes et par un certain nombre de personnes, notamment le plaignant, et dans laquelle on demandait à la police et au gouvernement de prendre des mesures contre l'intimé. Dans l'un des messages figurant dans ce fil de discussion, l'intimé fournit une liste de ce qu'il allègue être des plaintes récentes en matière de droit de la personne contre ce qu'il appelle [Traduction] des activistes nationalistes et des pro-Blancs du Canada. La plainte contre l'intimé qui a donné naissance à la présente instance figurait au premier rang sur cette liste.

[107] Dans un autre message figurant dans le fil de discussion susmentionné, l'intimé a écrit le titre suivant en grosses lettres majuscules et en caractère gras : [Traduction] MES ENNEMIS. À la suite de ce titre, l'intimé a affiché les photos de trois personnes dont l'une était le plaignant. Sur le front de chacune de ces trois personnes figurait une étoile de David. Puis l'une des inscriptions suivantes figurait au bas des photos : [Traduction] Fort probablement un Juif, Possiblement un Juif et Juif honoraire. Le plaignant était décrit comme étant Possiblement un Juif.

[108] Dans tous les messages susmentionnés, sauf un, le plaignant est qualifié de méchant Juif acide, d'homme soupçonné d'être Juif, de M. Vermine ou tout simplement de Juif et il est allégué que, comme tous les autres Juifs (selon l'intimé) le plaignant extorque de l'argent aux Canadiens de race blanche et suppriment la liberté d'expression.

[109] Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, en fait, il n'est pas Juif. Toutefois, je partage l'opinion des autres membres du Tribunal qu'il importe peu que M. Warman soit Juif ou non. Une personne qui est perçue comme ayant les caractéristiques d'une personne visée par l'un des motifs de distinction illicite peut être victime de discrimination, même si elle n'a pas vraiment ces caractéristiques (School District no 44 (North Vancouver) c. Jubran, 2005 BCCA 201, paragraphe 41, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusé; voir également Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (ville), [2000] 1 R.C.S. 665). Dans ce contexte, le plaignant, selon moi, appartenait à un groupe identifiable sur la base d'un motif de distinction illicite.

[110] Le ton des messages est très hostile et très menaçant. Les messages véhiculent la nette impression que le plaignant, en tant que Juif présumé, est un être méprisable qui ne mérite rien de plus que le plus grand mépris. L'allégation que les activités du plaignant s'inscrivent dans le contexte d'un complot juif international visant à extorquer de l'argent aux non-Juifs est susceptible, selon moi, d'exposer le plaignant, ainsi que les Juifs, à de profonds sentiments de colère, de ressentiment et de haine.

[111] Par conséquent, je conclus que les messages dans lesquels il est expressément fait mention du plaignant violent le paragraphe 13(1) de la Loi.

E. La cinquième question - L'intimé a-t-il exercé ou menacé d'exercer des représailles contre le plaignant?

[112] Selon l'article 14.1 de la Loi, constitue un acte discriminatoire le fait d'exercer ou de menacer d'exercer des représailles contre la victime présumée d'un acte discriminatoire ou contre la personne qui a déposé une plainte en matière de droits de la personne. Cette disposition de la Loi est importante parce que, sans elle, de nombreuses personnes hésiteraient à se plaindre de discrimination par crainte de représailles. Elle garantit aux plaignants ainsi qu'aux victimes présumées de discrimination que, si on exerce des représailles contre eux ou s'ils font l'objet de menaces parce qu'ils ont déposé une plainte, la situation sera corrigée. L'article 14.1 peut également avoir pour effet de dissuader les personnes qui exerceraient ou menaceraient d'exercer des représailles contre une personne qui a déposé une plainte, et ce, afin de la punir ou de l'obliger à retirer sa plainte.

[113] Quel genre de conduite constitue des représailles ou des menaces de représailles au sens de l'article 14.1? Voici un certain nombre d'exemples de conduites qui, selon le Tribunal, violent l'article 14.1 :

[114] envoyer une lettre à l'employeur du plaignant en vue de le faire congédier (Kyburz, précitée, par. 73);

- adresser des menaces de mort au plaignant (Kyburz, précitée, par. 74);

- menacer de ruiner la carrière ainsi que la vie du plaignant (Kyburz, précitée, par. 75);

- refuser de renouveler un contrat de travail (dans Nkwazi c. Canada (Service correctionnel) [2001] D.C.D.P. no 1, par. 233, le Tribunal a conclu que cet acte constituait une mesure de représailles mais a conclu que l'acte avait eu lieu avant l'entrée en vigueur des dispositions relatives aux représailles);

- publier des remarques désobligeantes sur le plaignant (Bressette c. Conseil de Bande de la Première Nation de Kettle et Stony Point 2004 TCDP 40, par. 58)

- annuler la nomination du plaignant comme délégué à une assemblée générale annuelle (Bressette c. Conseil de Bande de la Première Nation de Kettle et Stony Point 2004 TCDP 40, par. 60)

[115] Est-il nécessaire de prouver que l'intimé tentait de faire du tort au plaignant ou à la victime afin de prouver qu'il y a eu représailles? Un certain nombre de membres du Tribunal estiment que, dans les plaintes en matière de représailles, on doit prouver l'intention (voir, par exemple : Roger Virk c. Bell Canada (Ontario) 2005 TCDP 2, par. 156). D'autres membres ont conclu que, si un plaignant a perçu raisonnablement que la conduite reprochée de l'intimé constituait des représailles pour avoir déposé une plainte en matière de droits de la personne, cela pourrait équivaloir à des représailles indépendamment de toute intention prouvée de l'intimé (voir, par exemple : Wong c. Banque Royale du Canada [2001] D.C.D.P. no 11 (Q.L.), par. 222; Bressette c. Conseil de Bande de la Première Nation de Kettle et Stony Point, précitée, par. 49). Toutefois, il faut déterminer dans quelle mesure la perception du plaignant est raisonnable. Les intimés ne devraient pas être tenus responsables de l'angoisse ou des réactions exagérées des plaignants.

[116] Je suis enclin à souscrire au raisonnement suivi dans Wong et Bressette. Selon moi, ce raisonnement est conforme à la déclaration faite par la Cour suprême dans l'arrêt Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, selon laquelle la Loi est de nature réparatrice et non pas de nature punitive et que, par conséquent, les motifs ou les intentions des auteurs d'actes discriminatoires ne constituent pas une des préoccupations majeures du législateur.

[117] En l'espèce, la Commission a prétendu que les mêmes huit messages dans lesquels l'intimé a expressément fait mention du plaignant et qui ont été jugés contraires au paragraphe 13(1), sont également contraires à l'article 14.1 de la Loi. Bien qu'il soit possible que la même conduite sera jugée contraire à plus d'une disposition de la Loi, la question qui se pose alors est de savoir si, dans les circonstances de l'espèce, il est raisonnable d'accorder une double indemnisation pour la même conduite. Je traiterai de cette question plus loin dans la présente décision, à la section intitulée Les redressements.

[118] À la présente étape de l'analyse, il faut déterminer si le plaignant a perçu raisonnablement que les messages contestés constituaient des représailles ou des menaces de représailles parce qu'il a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre l'intimé.

[119] Comme il a déjà été souligné, les messages décrivaient le plaignant en termes très injurieux. Dans tous les messages affichés susmentionnés, sauf un, le plaignant est décrit comme étant un Juif, un infâme Juif acide ou un présumé Juif. Je conclus que les messages étaient très menaçants. Le dernier message dans lequel une étoile de David est imprimée sur une photo du plaignant est particulièrement troublant. Cela fait incontestablement penser à une cible.

[120] Le plaignant a affirmé dans son témoignage qu'il a été tellement angoissé par le dernier message affiché qu'il a communiqué avec la police afin de décider si des accusations d'avoir proféré des menaces pourraient être portées contre l'intimé. Il a également consulté un avocat concernant la possibilité de demander l'émission d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public contre l'intimé. Dans le contexte des autres messages de l'intimé encourageant l'annihilation des Juifs, j'estime que les messages pouvaient raisonnablement être perçus comme étant des représailles ou des menaces de représailles.

[121] Il faut décider si les messages ont été affichés en représailles contre le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne contre l'intimé.

[122] La preuve a révélé qu'il existait depuis longtemps de l'animosité entre le plaignant et l'intimé. Il ressort clairement de la preuve que le plaignant a pris un certain nombre de mesures contre l'intimé en vue de l'empêcher d'utiliser Internet pour diffuser des messages haineux. En août et septembre 2003, le plaignant s'est plaint au fournisseur de services Internet de l'intimé à propos du site Web de ce dernier. Par la suite, le site Web de l'intimé a été fermé.

[123] Le 7 septembre 2003, le plaignant a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre l'intimé. Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, après avoir déposé cette plainte, il a pris d'autres mesures contre l'intimé, notamment les mesures suivantes : il a déposé une plainte à la police de London à propos des messages Internet de l'intimé, il a participé avec un certain nombre d'autres organismes à la rédaction d'une lettre ouverte demandant que l'on prenne des mesures contre l'intimé, il a communiqué des renseignements à un journaliste du London Free Press à propos de l'intimé et il a prononcé un discours lors d'une conférence à Toronto après laquelle on a discuté du cas de l'intimé.

[124] L'intimé était manifestement en colère contre le plaignant parce que celui-ci avait pris ces mesures contre lui et contre d'autres nationalistes Blancs. Il a véhiculé sa colère dans la série de messages susmentionnés qu'il a affichés dans le groupe de discussion du VNN. Tous ces messages ont été affichés après le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne. Toutefois, il n'est pas fait mention dans tous ces messages de la plainte en matière de droits de la personne déposée contre l'intimé.

[125] Dans la décision Bressette, le Tribunal a déclaré que lorsqu'il existe depuis longtemps un conflit entre le plaignant et l'intimé, il peut être difficile de déterminer si certains incidents se sont tout simplement produits en raison du conflit persistant ou en raison de la plainte en matière de droits de la personne (Bressette, précitée, par. 52). Le Tribunal a adopté dans cette cause une approche qui, selon moi, convient en l'espèce.

[126] Le membre du Tribunal dans Bressette a d'abord décidé s'il pouvait accepter, prima facie, que la plainte en matière de droits de la personne constituait à tout le moins un des facteurs qui avaient eu une incidence sur la différence de traitement dont le plaignant avait fait l'objet. Après qu'il eut conclu qu'il pouvait accepter cette affirmation, il incombait alors à l'intimé de fournir une explication crédible quant à ce traitement.

[127] Bien que ce n'est pas dans tous les messages qu'il a été fait mention de la plainte en matière de droits de la personne du plaignant contre l'intimé, je crois qu'il est raisonnable de percevoir que le dépôt de la plainte constituait à tout le moins un des facteurs qui a influencé la conduite de l'intimé envers le plaignant. Les messages ont tous été affichés après le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne. Dans au moins trois des messages affichés, il est précisément fait mention de la plainte en matière de droits de la personne contre l'intimé ou de l'utilisation par le plaignant du processus en matière de droits de la personne pour extorquer de l'argent à des personnes comme l'intimé.

[128] Manifestement, d'autres mesures prises par le plaignant ont mis l'intimé en colère et ont pu jouer un rôle dans la diffusion par l'intimé de messages de menace concernant le plaignant. Toutefois, l'intimé, qui a d'ailleurs choisi de ne pas témoigner, n'a fourni absolument aucun élément de preuve qui permettrait d'écarter la conclusion que le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne contre lui constituait à tout le moins un des facteurs qui a eu une incidence sur sa décision d'afficher les messages.

La conclusion concernant les représailles

[129] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les messages susmentionnés constituent des représailles ou des menaces de représailles contre le plaignant parce que celui-ci a déposé une plainte en matière de droits de la personne, et ce, en contravention de l'article 14.1 de la Loi.

IV. LES REDRESSEMENTS

[130] L'avocate de l'intimé a soulevé plusieurs arguments généraux concernant les redressements qui méritent d'être discutés. Premièrement, l'avocate a prétendu qu'ordonner le paiement d'une indemnité et d'une pénalité ne conviendraient pas en l'espèce car l'ordonnance d'interdiction a été le seul recours qui a fait l'objet d'un examen constitutionnel de la part de la Cour suprême dans Taylor. Par conséquent, tout autre redressement est incertain au point de vue constitutionnel. Cet argument ne tient pas compte du fait que, dans Schnell, le Tribunal a conclu que les dispositions relatives à la pénalité et à l'indemnité spéciale qui ont été insérées dans les modifications apportées à la Loi après l'arrêt Taylor ne rendaient pas le paragraphe 13(1) inconstitutionnel. De plus, pour les motifs que j'invoquerai à la section qui traite des pénalités prévues à l'alinéa 54(1)c), je crois que le Tribunal ne peut pas refuser d'appliquer la loi pour des raisons d'incertitude constitutionnelle.

[131] Le deuxième argument de l'intimé est que la façon dont s'est conduit le plaignant milite contre l'attribution d'une indemnité ou d'une pénalité. Plus particulièrement, l'avocate a prétendu que la preuve a révélé que, non seulement le plaignant a encouragé l'intimé à violer la Loi, mais qu'il a également participé à la violation de la Loi et à la violation de l'injonction émise par la Cour fédérale. L'avocate a de plus prétendu que le plaignant s'est livré à des activités violentes et à des activités criminelles. Elle a prétendu que la délivrance d'une ordonnance contre l'intimé aurait pour effet de tolérer la conduite du plaignant à cet égard et que, par conséquent, aucune ordonnance ne devrait être délivrée.

[132] L'intimé est libre de poursuivre dans le forum approprié toute cause d'action qu'il pourrait avoir quant à la conduite du plaignant. Toutefois, mon examen de la preuve se limite à décider si cette preuve a une incidence sur la crédibilité du plaignant en ce qui concerne le préjudice moral dont il a souffert à la suite de la diffusion des messages de représailles. Au-delà de cette question, la preuve n'a aucune pertinence.

[133] Bien qu'il soit courant de traiter des redressements quant à la violation de la disposition relative à la propagande haineuse avant de traiter des représailles, j'ai décidé de renverser cet ordre, et ce, comme il apparaîtra plus loin dans la présente décision, pour des raisons de cohérence logique.

A. Les représailles - L'article 14.1

[134] L'article 14.1 prévoit que constitue un acte discriminatoire le fait d'exercer des représailles contre une personne qui a déposé une plainte en matière de droits de la personne. L'article 53 autorise le Tribunal à délivrer certaines ordonnances contre une personne qui a été trouvée coupable d'un acte discriminatoire. Le paragraphe 53(2) prévoit une vaste gamme d'ordonnances qui peuvent être délivrées par le Tribunal.

[135] En l'espèce, la Commission et le plaignant ont demandé que les ordonnances suivantes soient délivrées :

  1. Une ordonnance enjoignant à l'intimé de cesser d'exercer des représailles contre le plaignant parce que celui-ci a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre lui;
  2. Une ordonnance enjoignant à l'intimé de verser au plaignant une somme de 20 000 $ à titre d'indemnité pour préjudice moral;
  3. Une ordonnance enjoignant à l'intimé de verser au plaignant une somme de 20 000 $ à titre d'indemnité spéciale;
  4. Une ordonnance enjoignant à l'intimé de dédommager le plaignant quant aux frais qu'il a engagés en rapport avec l'audience et qui n'ont pas été assumés par la Commission.

(i) L'ordonnance d'interdiction

[136] L'intimé a prétendu que la délivrance d'une ordonnance d'interdiction lui enverrait un message inapproprié. Elle lui transmettrait l'idée que, dans la société canadienne, il est interdit d'avoir des pensées désagréables. Cette affirmation est erronée. Il est permis de transmettre publiquement des messages désagréables tant et aussi longtemps qu'ils ne violent pas la loi. En l'espèce, l'intimé a violé l'article 14.1 de la Loi en exerçant des représailles ou en menaçant d'exercer des représailles contre le plaignant au moyen de messages Internet. La preuve révèle qu'il a fait cela jusqu'à ce que l'audience de la présente affaire ne commence. On ne doit pas permettre qu'une telle conduite illégale se poursuive.

[137] Par conséquent, en conformité avec l'alinéa 53(2)a) de la Loi, il est ordonné à l'intimé de cesser d'exercer des représailles contre le plaignant parce qu'il a déposé une plainte en matière de droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Cette ordonnance vaut pour les actes de représailles, notamment pour la diffusion, dans le groupe de discussion du VNN ou ailleurs sur Internet, de messages qui sont similaires aux documents qui ont été déposés en preuve durant l'audition de la présente affaire. Il est ordonné à l'intimé de cesser immédiatement d'exercer des représailles dès qu'il prendra connaissance de la décision du Tribunal.

(ii) L'indemnité pour préjudice moral

[138] L'alinéa 53(2)e) permet au Tribunal d'ordonner que l'intimé indemnise la victime jusqu'à concurrence de 20 000 $ pour le préjudice moral dont elle a souffert par suite de l'acte discriminatoire.

[139] Le plaignant a affirmé dans son témoignage que, dans le contexte du désir exprimé par l'intimé de voir le monde se débarrasser des Juifs et, sachant ce qu'il sait sur la Seconde Guerre mondiale, il a été angoissé par les renvois répétés qu'on a fait à lui en tant que Juif. Il a été angoissé parce que les messages étaient affichés dans un groupe de discussion néonazi assez important. Il a déclaré qu'il y a souvent eu de la violence au sein du mouvement néonazi et que, par conséquent, il craignait de se faire agresser.

[140] Cette crainte a augmenté lorsqu'il a vu sa photo avec l'étoile de David imprimée sur son front. Le plaignant a affirmé dans son témoignage que le fait que l'on ait imprimé l'étoile de David sur son front lui a donné l'impression qu'une cible avait été placée sur son front. Par conséquent, il a communiqué avec la police afin de décider si des accusations d'avoir proféré des menaces pourraient être portées contre l'intimé. Il a également consulté un avocat quant à la possibilité de demander l'émission d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public contre l'intimé.

[141] Le plaignant prétend avoir été à ce point angoissé qu'il conviendrait qu'on lui accorde une indemnité de 20 000 $. Il s'agit du montant maximum permis par l'alinéa 53(2)e) de la Loi.

[142] L'avocate de l'intimé a prétendu qu'on ne devait pas croire le plaignant lorsqu'il affirme dans son témoignage qu'il a souffert un préjudice moral à la suite de la diffusion des messages de représailles. L'avocate de l'intimé a soumis un élément de preuve qui, selon elle, discrédite le témoignage du plaignant à cet égard.

[143] L'avocate a également prétendu que, selon elle, il ressortait de la preuve que la conduite du plaignant dans la présente affaire était à ce point répréhensible qu'il ne conviendrait pas d'accorder une indemnité pour préjudice moral. Cet argument va toutefois à l'encontre des déclarations faites par la Cour fédérale dans la décision Pitawanakwat c. Canada (Procureur général) [1994] 3 C.F. 298. Dans cette décision, la Cour a affirmé que refuser une indemnité pour préjudice moral en raison de la conduite du plaignant équivaut en fait à tolérer la discrimination pour un motif de discrimination illicite chaque fois que le comportement du plaignant est loin d'être exemplaire.

[144] Par conséquent, mon examen de la preuve qui suit se limite strictement à son incidence sur la crédibilité du plaignant lorsqu'il prétend avoir souffert un préjudice moral.

La preuve quant à l'étendue du préjudice moral souffert par le plaignant

[145] La preuve quant à la crédibilité du plaignant comprenait les éléments suivants : une déclaration par le plaignant contre M. Paul Fromm pour libelle, deux enregistrements vidéo concernant la présumée participation du plaignant à des activités violentes, des notes provenant d'un discours que le plaignant a fait à la réunion annuelle de l'ARA; des articles de journaux concernant le plaignant écrits par M. Randy Richmond et publiés dans le London Free Press, des messages que le plaignant a écrits puis affichés dans le groupe de discussion du VNN.

[146] J'ai permis que la preuve soit admise parce qu'elle était pertinente quant à la question de savoir si le plaignant a souffert un préjudice moral à la suite des présumées représailles exercées contre lui par l'intimé. Toutefois, j'ai pris en délibéré ma décision quant à l'importance que j'accorderais à la preuve jusqu'au moment de rendre ma décision, après avoir entendu l'ensemble de la cause.

L'action en libelle et l'article du London Free Press écrit par Randy Richmond

[147] L'intimé a soumis une déclaration déposée devant la Cour de justice de l'Ontario par le plaignant dans laquelle celui-ci mentionne qu'il poursuit M. Paul Fromm pour de présumées déclarations calomnieuses et diffamatoires que celui-ci aurait faites. L'intimé a également produit un article de journal paru le 31 mars 2005 dans le London Free Press dans lequel un certain nombre de ces présumées déclarations diffamatoires ont été reproduites. Plus particulièrement, M. Fromm aurait notamment qualifié le plaignant de [Traduction] grand prêtre de la censure. Ce qualificatif a été reproduit dans l'article de M. Richmond paru dans le Free Press. Le plaignant a admis qu'il a fourni à M. Richmond un certain nombre des citations que ce dernier a reproduites dans son article.

[148] On a prétendu que cet élément de preuve démontrait que l'on ne doit pas croire le plaignant lorsqu'il affirme qu'il a souffert parce que, d'une part, il a poursuivi M. Fromm pour des déclarations que celui-ci aurait fait sur lui et, d'autre part, il a offert ces mêmes déclarations à M. Richmond et ne s'est pas plaint lorsqu'elles ont été reproduites dans l'article du London Free Press.

[149] J'accorde peu d'importance à cet élément de preuve. Premièrement, il ne prouve pas que le plaignant n'a souffert d'aucun préjudice moral à la suite des présumées remarques diffamatoires. Deuxièmement, les présumées déclarations diffamatoires sont différentes des présumés messages de représailles dont il est question en l'espèce. Par conséquent, il ne serait pas raisonnable que, dans le présent contexte, je tire des conclusions quant à la réaction du plaignant aux messages de représailles en me fondant sur les présumées déclarations diffamatoires dont il est question dans l'autre cause.

[150] Les notes d'allocution du plaignant pour un discours intitulé [Traduction] Perturbation maximum : Barrer la route aux néonazis par (presque) tous les moyens nécessaires et l'enregistrement vidéo de la couverture de la manifestation Zundel par la CBC

[151] Une copie des notes d'allocution du plaignant quant à un exposé qu'il a fait le 6 juillet 2005 lors de la réunion annuelle d'un groupe appelé Anti-Racist Action (ARA) a été déposée en preuve. Le discours du plaignant était intitulé : Perturbation maximum : Barrer la route aux néonazis par (presque) tous les moyens nécessaires. Le plaignant a affirmé dans son témoignage qu'il n'est pas membre de l'ARA. Il a affirmé dans son témoignage qu'il a été invité par le groupe à prononcer le discours en question et que celui-ci était semblable à ceux qu'il a déjà prononcés lors d'autres événements.

[152] Le plaignant a affirmé qu'il a présenté dans son discours ce qu'il a appelé une [Traduction] stratégie d'attaque tous azimuts contre les activités néonazies au Canada. Cette stratégie consiste à travailler avec la police, la Commission canadienne des droits de la personne ainsi qu'avec d'autres organismes afin de créer une perturbation maximum au sein de ce qui constitue, selon le plaignant, le mouvement néonazi au Canada. Le plaignant a analysé trois cas différents dont il s'est occupé et il a fait ressortir l'effet qu'avait eu la stratégie d'attaque tous azimuts.

[153] Les notes du plaignant mentionnent qu'il se sert de la stratégie de la perturbation maximum lorsqu'elle constitue la stratégie la plus utile ou lorsqu'il estime tout simplement qu'elle constitue la stratégie la plus amusante. Le plaignant a également déclaré dans ses notes que s'il estimait qu'une personne était particulièrement agaçante, il faisait monter son nom d'un cran sur sa liste.

[154] En contre-interrogatoire, le plaignant a affirmé dans son témoignage que c'était pour faire de l'humour qu'il a déclaré dans son discours qu'il avait tiré du plaisir de la stratégie de la perturbation maximum et qu'il faisait monter sur la liste les noms des personnes qu'il estimait agaçantes. Il a affirmé dans son témoignage que, comme tout le monde, il éprouvait un certain plaisir à faire du travail utile, mais que le travail qui consiste à empêcher les nationalistes Blancs de faire de la propagande haineuse sur Internet avait occasionné, à lui et à sa famille, de graves ennuis.

[155] Le cas de l'intimé est l'un des trois cas discutés par le plaignant dans son discours. Le cas d'Ernst Zundel en fut un autre. Dans le contexte de sa discussion du cas Zundel, le plaignant a exprimé son désaccord quant à de graves incidents qui se sont produits alors que des lettres piégées ont été envoyées à M. Zundel et que son bunker a été gravement endommagé par un pyromane.

[156] Le plaignant a affirmé dans son témoignage qu'il voulait montrer une photo de l'intimé durant son discours. Toutefois, le matériel nécessaire pour projeter la photo n'était pas disponible et, par conséquent, il n'a pas pu la montrer.

[157] Durant l'audience, j'ai visionné un enregistrement vidéo d'une émission de la CBC montrant une confrontation physique qui a eu lieu entre les membres de l'ARA et les pro-Zundel lors d'une manifestation visant à appuyer M. Zundel en septembre 2004. Dans son discours à l'ARA, le plaignant a souligné que l'intimé avait participé à la manifestation d'appui à Zundel et qu'il avait été accusé d'une infraction criminelle car on avait trouvé des armes dans son automobile lors de cet événement. Le plaignant a déclaré ce qui suit dans son discours : [Traduction] La manifestation à laquelle ils se rendaient étaient une manifestation à laquelle Anti-Racist Action Toronto serait évidemment présente afin de voir à ce qu'il y ait une opposition à l'appui populaire de l'une des pires personnes qui nient l'existence de l'Holocauste.

[158] J'ai été invité à conclure que ces remarques indiquent que le plaignant approuvait tacitement la violence qui a éclaté lors de la manifestation d'appui à Zundel. Je ne vois aucune raison de conclure de la sorte. Le plaignant ne fait aucune mention dans son discours de la confrontation physique qui a eu lieu entre les deux groupes. Le fait qu'il n'ait pas mentionné la confrontation n'indique pas, selon moi, qu'il approuve la violence qui a éclaté après la manifestation. Par ailleurs, selon moi, que le plaignant ait oui ou non approuvé les tactiques de l'ARA ainsi que sa présumée tendance à la violence n'est pas pertinent quant à la question de savoir si celui-ci a souffert un préjudice moral à la suite des messages de représailles.

[159] Toutefois, j'estime que les notes d'allocution du plaignant révèlent une certaine fermeté d'esprit, voir même un goût pour les affrontements. Sa capacité à tirer du plaisir de sa stratégie de perturbation maximum et de l'utiliser pour s'occuper des personnes qu'ils estiment agaçantes, révèle un degré d'indifférence au préjudice moral dont peuvent souffrir un certain nombre de victimes à la suite de mesures de représailles.

[160] J'estime également révélateur que le plaignant voulait montrer une photo de l'intimé aux membres de l'ARA et le traiter de [Traduction] tête dégueulasse quelques mois seulement après que l'intimé eut affiché une photo de lui sur Internet. La nature et le ton de cette réaction révèlent une tolérance qui n'est pas compatible avec sa prétention d'avoir beaucoup souffert à la suite de la diffusion des messages de représailles de l'intimé.

[161] Je conclus, toutefois, qu'il faut accorder peu d'importance à l'enregistrement vidéo de la confrontation entre les membres de l'ARA et les partisans de Zundel. Le plaignant n'a pas participé à la confrontation et, comme je l'ai déjà affirmé, je ne vois rien dans la preuve qui indique que le plaignant a approuvé la violence qui a éclaté lors de la manifestation. Je maintiens la décision que j'ai rendue durant l'audience à savoir que la question de savoir si l'ARA est un organisme violent ou non n'est pas une question pertinente à l'instruction.

L'enregistrement vidéo se rapportant à David Icke

[162] On a déposé durant l'audience un enregistrement vidéo concernant la participation du plaignant à des actes commis contre une personne du nom de David Icke qui se trouvait à Vancouver il y a un certain nombre d'années dans le cadre d'une tournée de conférences. M. Icke, qui a écrit un livre dans lequel il est question d'une théorie de complot, était apparemment considéré par certaines personnes comme étant un promoteur de l'antisémitisme.

[163] L'enregistrement vidéo, en grande partie, traite des activités et des croyances de M. Icke. Toutefois, à un certain moment dans l'enregistrement vidéo, on peut voir le plaignant en train de boire une bière et de discuter d'un événement en compagnie d'un certain nombre de personnes dans une librairie de Vancouver où M. Icke devait se rendre pour signer son livre. Bien que cela ne soit pas tout à fait clair, il semblerait que le plaignant aurait proposé que l'on tire une tarte au visage de M. Icke lors de la séance de signature du livre. On peut voir dans l'enregistrement vidéo que la tarte fut éventuellement tirée au visage de M. Icke.

[164] J'accorde peu d'importance à l'enregistrement vidéo. Il montre des incidents qui se sont produits en mars 2000. Ces événements se sont déroulés bien avant le dépôt de la plainte. Toutefois, il étaye un peu la conclusion que le plaignant possède un esprit combatif qui peut le rendre indifférent à des comportements menaçants.

La participation du plaignant au groupe de discussion du VNN et sa collaboration avec les journalistes

[165] Le plaignant a participé au groupe de discussion du VNN sous le pseudonyme Axetogrind. Il a affirmé dans son témoignage qu'il a fait cela afin de surveiller ce site Web. Pour ce faire, il s'est fait passer pour une personne qui était intéressée par les idées ou qui appuyait les idées qui étaient exprimées dans le groupe de discussion. Il posait des questions du genre : [Traduction] Alors, vous allez nous faire attendre?. Et parfois, il faisait part de son accord avec des remarques faites dans le groupe de discussion. En contre-interrogatoire, on a demandé au plaignant s'il tentait, par ses questions, d'attirer davantage d'ennuis à l'intimé. Le plaignant a répondu par la négative et a déclaré qu'il avait posé les questions afin d'obtenir des éclaircissements sur des questions que l'intimé avait soulevées antérieurement. La preuve a révélé que le plaignant a affiché 32 messages dans le groupe de discussion du VNN.

[166] Le plaignant a également affirmé dans son témoignage qu'il a fourni aux journalistes des extraits des messages de l'intimé.

[167] L'intimé a prétendu que le fait que le plaignant ait participé au groupe de discussion du VNN et qu'il ait fourni des extraits de messages aux journalistes démontre que le plaignant n'est pas particulièrement sensible aux genres de remarques qui ont été faites sur son compte dans les messages de représailles. Cela est discutable. Je crois que même la personne la plus aguerrie peut souffrir psychologiquement lorsque les échanges entre deux adversaires se transforment en attaques. Toutefois, contrairement à ce qui se passe chez d'autres victimes de mesures de représailles, la preuve que le plaignant a participé au groupe de discussion du VNN et qu'il a remis à un journaliste des extraits de messages, conjuguée avec la preuve que le plaignant a fait campagne contre les messages haineux, donne à penser qu'un certain détachement émotif et qu'une certaine insensibilité aient pu apparaître chez le plaignant.

La conclusion concernant le préjudice moral souffert par le plaignant

[168] Je crois que le plaignant a été pris d'angoisse lorsqu'il a lu les messages le décrivant comme un infâme Juif acide un présumé juif et ainsi de suite. Dans le contexte de l'animosité clairement exprimée par l'intimé envers les Juifs, on peut comprendre que le plaignant soit angoissé. Toutefois, je ne suis pas convaincu que le degré d'anxiété dont il a souffert justifie l'attribution de l'indemnité maximum prévue à l'alinéa 53(2)e).

[169] Selon la preuve, le plaignant possède une grande expérience et il est très engagé dans les activités organisées visant à combattre la propagande haineuse. En effet, il a été invité à parler à un certain nombre d'évènements publics en raison de son expertise dans ce domaine. Une personne qui participe à des activités de cette nature doit s'attendre à être régulièrement confrontée à des propos injurieux ainsi qu'à des comportements menaçants. Néanmoins, il existe toujours une limite et lorsqu'elle est franchie, la situation devient subitement beaucoup plus grave. L'intimé a-t-il franchi cette limite lorsqu'il a affiché une photo du plaignant avec une étoile de David imprimée sur son front en guise de cible?

[170] Le problème que pose la prétention du plaignant d'avoir beaucoup souffert est qu'un mois ou deux après que sa photo fut affichée, il a été capable de déclarer publiquement, dans un discours prononcé devant l'ARA, qu'il utilisait sa stratégie de perturbation maximum, laquelle comprenait le dépôt de plaintes en matière de droits de la personne lorsqu'il croit qu'il s'agit de la stratégie la plus utile ou lorsqu'il estime que c'est ce qui sera le plus amusant. Il a également mentionné qu'il dépose des plaintes en matière de droits de la personne contre les néonazis en commençant par les pires contrevenants, et s'il estime que des personnes sont particulièrement agaçantes, il monte leur nom d'un cran sur la liste.

[171] Il me semble que le plaignant et l'intimé ont quelque peu croisé le fer et que cela n'a pas semblé avoir paralysé le plaignant de peur. En effet, bien qu'il ait déclaré qu'il a été très préoccupé par la photo de lui qui fut affiché dans Internet, le plaignant voulait par la suite montrer publiquement la photo de l'intimé à la conférence de l'ARA, et dans son discours il a traité l'intimé de tête dégueulasse. Ce genre de comportement ne donne pas à penser qu'il était très préoccupé par l'intimé. Au contraire, ce comportement donne à penser qu'il faisait preuve d'une attitude plutôt cavalière, voir même qu'il se moquait des activités de l'intimé. Je souscris à l'opinion de l'intimé que cela rend plutôt invraisemblable la prétention du plaignant qu'il a tellement souffert qu'il serait justifié de lui accorder une indemnité de l'ordre de 20 000,00 $.

[172] Par conséquent, j'estime que bien que le plaignant a probablement été pris d'une certaine angoisse quant aux messages de représailles, il semble être un homme très fort qui est plutôt insensible aux menaces et aux insultes. Par conséquent, compte tenu de toutes les circonstances, je crois qu'il serait approprié d'accorder au plaignant une indemnité de 500 $ pour préjudice moral.

(iii) L'indemnité spéciale

[173] Le paragraphe 53(3) de la Loi prévoit que le Tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré.

[174] Je conclus que l'intimé voulait exercer des mesures de représailles contre le plaignant ou qu'il a agi sans se soucier des conséquences qui pourraient découler de l'affichage des messages concernant le plaignant.

[175] Deux messages prouvent notamment que l'intimé a intentionnellement exercé ou a menacé d'exercer des représailles contre le plaignant parce que celui-ci a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre lui. Dans le message qui a été affiché le 13 mars 2004, l'intimé a déclaré qu'il avait été repéré par le radar juif lorsqu'un infâme Juif acide - Richard Warman (celui-ci affirme ne pas être Juif) a déposé une plainte contre lui.

[176] Le deuxième message est celui que l'intimé a diffusé en mai 2005 et dans lequel il a affiché, sous le titre Mes ennemis, la photo du plaignant avec l'étoile de David blasonnée sur le front de ce dernier. Dans ce même fil de discussion, l'intimé a fourni un résumé ou une liste des plaintes en matière de droits de la personne déposés contre les Nationalistes blancs et il a inscrit au premier rang sur cette liste la plainte déposée contre lui. Le fait que les mots Mes ennemis furent affichés près de la liste des plaintes en matière de droits de la personne peut nous amener à conclure que l'affichage des ennemis constituait des représailles ou une menace de représailles quant à la plainte en matière de droits de la personne.

[177] Compte tenu de la preuve susmentionnée, on peut raisonnablement conclure que les autres messages dans lesquels l'intimé parle du plaignant en termes péjoratifs et menaçants faisaient partie d'une campagne intentionnelle orchestrée par l'intimé dans le but d'exercer des représailles contre le plaignant. Bien qu'il y ait d'autres raisons qui auraient pu amener l'intimé à cibler le plaignant, rien n'indique qu'il ciblait le plaignant avant que la plainte ne fut déposée. Par conséquent, je conclus que c'est le dépôt par le plaignant de la plainte en matière de droits de la personne qui a été le facteur important qui a amené l'intimé à exercer des représailles contre lui.

[178] Afin de fixer le montant approprié quant à l'indemnité prévue au paragraphe 53(3), le Tribunal porte son attention sur le comportement de l'intimé et non pas sur l'effet qu'a eu son comportement sur le plaignant (voir par exemple : Milano c. Triple K. Transport Ltd. 2003 TCDP 30; Woiden c. Lynn [2002] D.C.D.P. no 18 (Q.L.); Bressette c. Conseil de Bande de la Première Nation de Kettle et Stony Point, précitée; Kyburz, précitée). Les effets de la conduite sont pris en compte lorsqu'une indemnité est accordée en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi.

[179] L'avocate de l'intimé a prétendu que le mot indemnité s'entend d'une indemnité pour une perte, même s'il s'agit d'une perte intangible. Par conséquent, il faut tenir compte de l'importance du préjudice qui a été occasionné au plaignant par les mesures de représailles qui ont été exercées contre lui lorsque l'on fixe le montant de l'indemnité prévue au paragraphe 53(3).

[180] Je ne souscris pas à cette opinion. Selon moi, le libellé du paragraphe 53(3) indique clairement que le paiement d'une indemnité est ordonné lorsque la conduite de l'intimé a été délibérée ou inconsidérée. Rien dans le paragraphe 53(3) n'indique qu'il faut prouver que la victime a souffert un préjudice afin d'ordonner le paiement d'une indemnité. La disposition figurant au paragraphe 53(3) quant au paiement d'une indemnité pour des actes discriminatoires délibérés ou inconsidérés est distincte de la disposition figurant à l'alinéa 53(2)e), laquelle prévoit le paiement d'une indemnité pour préjudice moral. Le paragraphe 53(3) ne fait aucune mention du paragraphe 53(2). Par conséquent, selon moi, le paragraphe 53(3) vise le paiement d'une indemnité pour une conduite discriminatoire délibérée et inconsidérée sans égard aux effets qu'elle peut avoir sur le plaignant. Les effets du comportement de l'intimé sont pris en compte lorsque le paiement d'une indemnité est ordonné en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi.

[181] Compte tenu du caractère délibéré du comportement discriminatoire de l'intimé et compte tenu, notamment, de l'utilisation éhontée qu'il a faite de la photo du plaignant montrant celui-ci avec ce qui semblait être une cible sur son front, je suis d'avis qu'il convient d'accorder un montant de 5 000 $ au titre de l'indemnité spéciale prévue au paragraphe 53(3) de la Loi.

(iv) Les frais liés à l'audience

[182] La Commission a demandé que l'intimé verse une indemnité raisonnable au plaignant au titre des frais de déplacement, de repas et de logement engagés par le plaignant afin de pouvoir assister à l'audience. La Commission a déclaré que le lieu de l'audience ne se trouvait pas à une distance raisonnable du lieu de résidence du plaignant. Par conséquent, le plaignant a engagé des frais qu'il n'aurait pas engagés s'il n'avait pas été victime d'une pratique discriminatoire. La Commission a payé une partie de ces frais parce que le plaignant a comparu comme témoin pour la Commission. Toutefois, la Commission a prétendu que, en conformité avec l'objectif de remettre l'intimé dans son état antérieur, l'intimé devrait rembourser au plaignant la partie de ses frais de déplacement, de repas et de logement qui n'ont pas été défrayés par la Commission. Aucun élément de preuve n'a été produit en vue d'établir le montant de ces frais.

[183] L'alinéa 53(2)c) prévoit que, si la plainte est fondée, le Tribunal peut ordonner que la victime soit indemnisée quant aux dépenses entraînées par l'acte discriminatoire. Le pouvoir d'ordonner le paiement d'une indemnité prévue par cette disposition, comme dans le cas de toutes les ordonnances rendues en vertu du paragraphe 53, est discrétionnaire. Il est vrai que le Tribunal est guidé par le principe de remise de la victime dans son état antérieur lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire de réparation. Toutefois, ce ne sont pas tous les frais engagés en rapport avec l'audition d'une cause par un tribunal qui ont été jugés suffisamment liés à la pratique discriminatoire pour permettre qu'ils soient visés par l'alinéa 53(2)c). Par exemple, dans Procureur général du Canada c. Lambie, (1996), 124 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.), paragraphe 41, la Cour fédérale a jugé que le mot dépense n'est pas assez large pour couvrir le temps consacré à la préparation pour une audience sauf dans des circonstances exceptionnelles.

[184] Il n'est pas du tout certain que les dépenses de déplacement, de repas et de logement sont le genre de dépenses qui sont visées par l'alinéa 53(2)c). En effet, l'avocate de la Commission a admis qu'elle n'avait trouvé aucune jurisprudence quant à l'attribution de ce genre d'indemnité. Contrairement à la situation dans Brown c. G.R.C., 2004 TCDP 30, les dépenses en l'espèce ne sont pas directement liées à la présentation d'une cause devant le Tribunal; elles ne sont pas directement liées à la présentation de la cause elle-même. En outre, selon moi, il n'y a rien d'exceptionnel quant aux circonstances en l'espèce qui justifierait d'ordonner le remboursement des frais de déplacement, de repas et de logement.

[185] Le plaignant, lequel a affirmé dans son témoignage qu'il est avocat, s'est représenté lui-même à l'audience. La Commission canadienne des droits de la personne, dont le rôle consiste à représenter l'intérêt public, était représentée par deux avocats. Bien que ce ne soit pas toujours le cas, dans la présente instruction, les intérêts de la Commission correspondaient à ceux du plaignant. En effet, la Commission a appelé le plaignant à témoigner et, par conséquent, selon l'avocate de la Commission, elle a pu payer certains des frais que le plaignant a engagés en raison de sa participation à l'audition de la présente affaire.

[186] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu qu'il conviendrait d'ordonner à l'intimé de rembourser au plaignant ses frais de déplacement, de repas et de logement. Par conséquent, je refuse de rendre l'ordonnance demandée par la Commission en vertu de l'alinéa 53(2)c).

(v) Les intérêts

[187] Le paragraphe 53(4) autorise le Tribunal à accorder des intérêts. Les intérêts sur le montant accordé en vertu de la présente décision doivent être payés en conformité avec le paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne. Les intérêts commenceront à courir à compter de la date de la présente décision jusqu'à la date de paiement. Toutefois, en aucun cas, la somme totale payable en vertu de l'alinéa 53(2)e), y compris les intérêts, ne devra excéder 20 000 $ : Hébert c. Canada (Forces armées canadiennes), (1993), 23 C.H.R.R. D/ 107 (C.F. 1re inst.). Il en va de même pour la somme payée à titre d'indemnité en vertu du paragraphe 53(3).

B. La propagande haineuse - l'article 13

[188] L'article 54 énumère les ordonnances qui peuvent être délivrées en rapport avec la propagande haineuse. Il comprend, par renvoi, certaines ordonnances qui peuvent être délivrées en vertu de l'article 53 quant à d'autres cas de discrimination. Par conséquent, une ordonnance peut être délivrée en vertu de l'alinéa 53(2)a) et comprendre, entre autres mesures, une ordonnance que la personne mette fin à l'acte discriminatoire. De plus, l'article 54 permet que soit délivrée l'ordonnance prévue au paragraphe 53(3) pour indemniser une victime dont on a fait expressément mention dans les messages discriminatoires. Enfin, l'alinéa 54(1)c) prévoit l'imposition d'une sanction pécuniaire d'au plus 10 000 $.

[189] La Commission et le plaignant ont demandé ce qui suit :

  1. La délivrance d'une ordonnance enjoignant à l'intimé de cesser de transmettre des messages comme ceux qui ont fait l'objet d'une plainte déposée en vertu de l'article 13;
  2. La délivrance d'une ordonnance enjoignant à l'intimé de verser au plaignant une indemnité spéciale de 20 000 $.
  3. la délivrance d'une ordonnance enjoignant à l'intimé de payer une pénalité de 10 000 $.

(i) L'ordonnance de cesser et de s'abstenir

[190] L'avocate de l'intimé a prétendu que la délivrance d'une ordonnance de cesser et de s'abstenir produirait des effets indésirables. Elle enverrait le message qu'on ne peut pas avoir des pensées désagréables au Canada et elle peut, en fait, favoriser l'expression de ces pensées par d'autres moyens qui sont moins pacifiques que les messages diffusés sur Internet. Enfin, la délivrance d'une ordonnance de cesser et de s'abstenir ne servirait qu'à isoler davantage l'intimé de la société canadienne.

[191] Je ne puis souscrire à cette opinion. L'intimé est libre d'exprimer ses pensées et ses idées, mêmes si elles sont très désagréables, pourvu qu'elles ne violent pas la loi. L'intimé a décidé de ne pas témoigner durant l'audience. Toutefois, bien qu'il se soit représenté lui-même au début de l'audience et durant le processus de gestion de l'instance, il m'a donné l'impression d'être un homme respectueux, raisonnable et direct. Il ne s'est pas conduit d'une manière belliqueuse. Il a tenté de faire valoir son point de vue d'une manière mesurée. Il est à souhaiter que, à l'avenir, l'intimé fasse preuve du même sang-froid et du même respect dans les communications qu'il aura par Internet avec le reste du monde.

[192] Il importe également de souligner que, en décidant si je dois délivrer une ordonnance d'interdiction, l'effet possible de cette ordonnance sur l'intimé n'est pas le seul facteur dont je dois tenir compte. Je dois également tenir compte de l'effet probable de la délivrance d'une ordonnance d'interdiction sur les autres membres de la société canadienne comme ceux qui sont susceptibles d'être exposés à la haine ou au mépris par suite des messages diffusés par l'intimé. Comme la Cour suprême du Canada l'a souligné dans l'arrêt Taylor, le processus consistant à entendre une plainte portée en vertu du paragraphe 13(1) et, si la plainte est fondée, à rendre une ordonnance d'interdit, rappelle aux Canadiens notre engagement fondamental envers l'égalité des chances et l'élimination de l'intolérance raciale et religieuse (Taylor, précité, par. 53). Par conséquent, selon moi, la délivrance d'une ordonnance d'interdiction est tout à fait appropriée en l'espèce.

[193] Par conséquent, le Tribunal ordonne à l'intimé, M. Tomasz Winnicki, de mettre fin à sa pratique discriminatoire qui consiste à transmettre par les moyens décrits à l'article 13 de la Loi, à savoir Internet, des documents du genre de ceux qui, en l'espèce, ont été jugés contraires au paragraphe 13(1), ou tout autre document dont la teneur est essentiellement semblable et qui serait susceptible d'exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base d'un motif de distinction illicite.

(ii) L'alinéa 54(1)b) - l'indemnité spéciale

[194] L'alinéa 54(1)b) autorise le Tribunal à délivrer l'ordonnance prévue au paragraphe 53(3), avec ou sans intérêts, pour indemniser la victime identifiée dans la communication constituant l'acte discriminatoire. Le paragraphe 53(3) mentionne que le Tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré.

[195] La Commission a prétendu que les huit messages qui ont été jugés contraires à l'article 14.1 constituaient également des violations au paragraphe 13(1). J'ai souscris à cette opinion et j'ai conclu que ces mêmes messages violaient les deux dispositions de la Loi. J'ai accordé au plaignant une indemnité pour préjudice moral en vertu de l'alinéa 53(2)e) ainsi qu'une indemnité en vertu du paragraphe 53(3) compte tenu du fait que l'acte discriminatoire a été délibéré ou inconsidéré.

[196] La Commission a ensuite prétendu que le plaignant avait également droit à une indemnité spéciale en vertu de l'alinéa 54(1)b) en rapport avec cette même série de huit messages. Selon la Commission, il était manifeste au vu des huit messages dans lesquels l'intimé fait expressément mention du plaignant que c'est exactement ce qu'il voulait faire. La Commission a prétendu que l'attribution d'une indemnité de 20 000 $ serait appropriée compte tenu du caractère manifestement intentionnel du comportement de l'intimé.

[197] L'intimé a prétendu qu'accorder une indemnité en vertu de l'alinéa 54(1)b) ainsi qu'en vertu du paragraphe 53(3), pour les mêmes messages, équivaudrait à une double indemnisation. Je souscris à cette opinion.

[198] Dans Kyburz, lorsqu'il a évalué s'il conviendrait d'ordonner le paiement d'une indemnité spéciale, le Tribunal a pris soin de ne pas tenir compte des messages qui avaient été jugés contraires à l'article 14.1 de la Loi. Il a peut-être fait cela afin d'éviter la possibilité qu'il y ait double indemnisation.

[199] Toutefois, en l'espèce, il ne semble pas logique, afin de concevoir une réparation, de disséquer la série de huit messages dans lesquels l'intimé a expressément fait mention du plaignant et a menacé ce dernier. Les messages faisaient partie d'un comportement continu qui violait l'article 14.1 ainsi que le paragraphe 13(1) de la Loi. Ils ont manifestement été rédigés en réponse à une série de mesures que le plaignant a prises contre l'intimé, notamment en réponse au dépôt de la plainte en matière de droits de la personne. Ils faisaient partie d'une lutte qui se déroulait entre les deux hommes et devraient être considérés dans un contexte global.

[200] J'ai accordé une indemnité en vertu du paragraphe 53(3) en rapport avec le caractère délibéré et inconsidéré de l'acte discriminatoire de l'intimé lorsqu'il a exercé ou menacé d'exercer des représailles contre le plaignant. Selon moi, il ne conviendrait pas d'accorder une indemnité additionnelle en vertu de l'alinéa 54(1)b) pour la même série de messages en rapport avec le caractère délibéré et inconsidéré du comportement de l'intimé. En effet, je ne crois pas que l'on puisse faire de distinction utile entre l'acte délibéré et inconsidéré de l'intimé lorsqu'il a exercé des représailles contre le plaignant et l'acte délibéré et inconsidéré de l'intimé lorsqu'il a expressément fait mention du plaignant dans la même série de messages.

[201] Dans Chopra c. Canada (P.G.) 2006 CF 9 (appel en instance : A-52-06), la Cour fédérale a déclaré qu'un corollaire du principe du rétablissement de la victime dans son état antérieur est que la victime ne devrait pas être indemnisée de façon excessive. Les indemnités en matière de droits de la personne qui sont accordées ne devraient pas être des indemnités irréalistes ou des gains fortuits. Un tel résultat porterait atteinte à l'objet de la Loi qui est fortement orienté vers la justice sociale (Chopra, précitée, par. 42).

[202] Selon moi, accorder une indemnité spéciale en vertu de l'alinéa 54(1)b) pour l'acte qui a trait à la même série de messages à l'égard duquel une indemnité spéciale a déjà été accordée en vertu du paragraphe 53(3) aurait pour effet d'indemniser le plaignant de façon excessive.

[203] Pour ces motifs, je refuse d'ordonner que l'intimé verse une indemnité spéciale en vertu de l'alinéa 54(1)b).

(iii) La pénalité

[204] L'alinéa 54(1)c) de la Loi permet au Tribunal d'ordonner à l'intimé dans une plainte déposée en vertu de l'article 13, lorsque cela est justifié, de payer une sanction pécuniaire d'au plus 10 000 $. La Commission a demandé que, en l'espèce, le Tribunal ordonne à l'intimé de payer une pénalité de 10 000 $ car, selon elle, les messages en l'espèce comptent parmi les messages les plus dépravés et les plus haineux qu'elle a vus. En outre, une semaine avant que l'audition de la présente cause ne commence, l'intimé diffusait toujours des messages sur Internet.

[205] L'intimé prétend que la décision Warman c. Warman 2005 TCDP 36 apporte une certaine incertitude quant à la constitutionalité de l'alinéa 54(1)c). Bien que l'avocate de l'intimé ait mentionné que l'intimé ne contestait pas la constitutionalité de la disposition, elle a prétendu que le Tribunal devrait tenir compte de l'incertitude constitutionnelle créée par Warman c. Warman lorsqu'il décidera s'il doit ordonner le paiement d'une pénalité.

[206] Je rejette cet argument. Une disposition législative est valide tant qu'elle n'est pas déclarée invalide. Selon moi, l'incertitude constitutionnelle n'existe pas. Le Tribunal ne peut pas refuser d'appliquer la loi parce qu'il craint qu'elle puisse être invalide. Il ne peut refuser d'appliquer la loi que lorsque celle-ci a été jugée invalide, à la lumière de la preuve et des arguments, et après que les procureurs généraux furent dûment avisés. Cela n'a pas été fait en l'espèce. En outre, je souligne que dans Schnell, le Tribunal a conclu que les modifications à la Loi par lesquelles on a ajouté les dispositions relatives à l'indemnité et à l'indemnité spéciale aux réparations déjà prévues par la Loi ne rendaient pas l'article 13 inconstitutionnel.

[207] Pour décider s'il ordonnera à l'intimé de payer une pénalité, le Tribunal devra tenir compte des facteurs suivants qui ont été prévus à l'article 54(1.1) par le législateur :

  1. (1) La nature et la gravité de l'acte discriminatoire ainsi que les circonstances l'entourant;
  2. (2) La nature délibérée de l'acte;
  3. (3) Les antécédents discriminatoires de son auteur;
  4. (4) La capacité de payer de l'auteur.

[208] J'estime que les messages étaient dépravés et déshumanisants. Selon moi, on peut conclure, en se fondant uniquement sur le libellé des messages, que l'intimé voulait exposer les membres des groupes cibles à la haine et au mépris et qu'il voulait rallier les gens à ses opinions. L'intimé a demandé l'expulsion forcée des personnes qui ne sont pas de race blanche, il a menacé de commettre des actes de violence contre les cibles de sa haine et il a appuyé avec enthousiaste l'idée d'une guerre sainte raciale au cours de laquelle tous les hommes qui n'appartiennent pas à la race blanche périraient. Il a utilisé des images photographiques particulièrement horribles pour mobiliser ses lecteurs et pour diffuser ses messages de haine avec beaucoup plus de force.

[209] L'intimé a clairement diffusé ses messages avec une indifférence délibérée quant aux conséquences possibles de ses actes. Il s'est servi d'Internet, un moyen de communication puissant et omniprésent dans la société, pour perpétrer ses actes. Toutefois, rien ne prouve que l'intimé possède des antécédents discriminatoires.

[210] L'intimé a choisi de ne pas témoigner dans la présente instance. Par conséquent, le Tribunal ne possède aucun renseignement quant à sa capacité de payer, si ce n'est un message dans lequel il déclare qu'il est relativement aisé, qu'il occupe un emploi stable, qu'il a peu de dépenses, qu'ils payent sans difficultés toutes ses factures en temps. Il se peut que l'intimé ne soit plus relativement aisé. Toutefois, en l'absence de preuve de la part de l'intimé, je conclus qu'il n'y a aucune raison de réduire la pénalité parce que celui-ci serait incapable de la payer.

[211] Compte tenu de l'ensemble de ces facteurs, j'ordonne à l'intimé de payer une pénalité de 6 000 $. Le paiement de la pénalité devra être fait par chèque certifié ou par mandat poste à l'ordre du Receveur général du Canada, et doit être reçu par le Tribunal dans les 120 jours suivant la date à laquelle l'intimé aura été informé de la présente décision.

Karen A. Jensen

Ottawa (Ontario)

Le 13 avril 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1021/0205

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Richard Warman c. Tomasz Winnicki

DATE ET LIEU
DE L'AUDIENCE :

Les 8 et 9 août 2005
Le 12 décembre 2005

DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :

Le 13 avril 2006

ONT COMPARU :

Richard Warman

Pour lui-même

Monette Maillet/ Ikram Warsame

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Tomasz Winnicki

Pour lui-même

Assisté par Alex Beadie

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