Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

DANIELLE CôTÉ

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

PROCUREUR GéNéRAL DU CANADA (REPRéSENTANT LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA)

l'intimé

Athanasios D. Hadjis

2003 TCDP 32

2003/10/02

TRADUCTION

I. FAITS

II. ANALYSE

III. AJOURNEMENT

[1] L'intimée a déposé une requête visant à obtenir une ordonnance confirmant que le cadre de la plainte qui a été renvoyée au Tribunal n'englobe pas tous les événements dont il est fait mention dans le formulaire de plainte.

I. FAITS

[2] La plaignante est entrée au service de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) en 1985. Au milieu des années 90, la GRC l'a affectée à la mission des Nations Unies à Haïti à titre d'agente de la Police civile de la Force des Nations Unies. La plaignante allègue dans son formulaire de plainte en date du 27 juin 1996 que, durant son affectation à Haïti en 1995, elle a été l'objet d'une mesure disciplinaire qui a entraîné son rapatriement prématuré au Canada. Elle prétend que cette mesure a été prise en raison de la relation personnelle qu'elle a nouée avec un autre agent de la Police civile de la Force des Nations Unies, affecté à la mission par la France. À son retour au Canada, la GRC a institué une enquête interne sur sa conduite. Elle allègue avoir été traitée différemment des agents de sexe masculin de la Police civile de la Force des Nations Unies qui se sont engagés dans une relation du même genre durant leur séjour à Haïti. Elle prétend qu'elle a fait l'objet d'un traitement discriminatoire fondé sur le sexe et la situation de famille (à l'époque, elle était mariée et mère d'un enfant).

[3] De l'avis de l'intimée, tous les membres de la GRC affectés à la Police civile de la Force des Nations Unies sont à l'emploi des Nations Unies (ONU) pendant toute la durée de leur affectation et sont soumis du point de vue professionnel aux règles et règlements de l'ONU. En fait, les États membres des Nations Unies prêtent ces agents de police à l'organisation à la demande du Secrétaire général de l'ONU. On s'attend à ce que la conduite de ces personnes soit strictement conforme aux intérêts de l'ONU et à ce qu'elles se soumettent dans l'exercice de leurs fonctions uniquement aux ordres de l'ONU, et non à ceux de leur gouvernement ou de quelque autre autorité. Lorsqu'ils sont affectés à de telles missions, les agents de la Police civile de la Force des Nations Unies relèvent d'un commissaire de police qui est sous les ordres du représentant spécial du Secrétaire général désigné pour les fins de la mission. Le commissaire de police désigné pour la mission à Haïti était un membre de la GRC. L'intimée soutient que tout incident survenu alors que la plaignante travaillait pour le compte de l'ONU échappe à l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) et que ni la Commission ni le Tribunal n'a compétence pour examiner les aspects de la plainte y afférents. Peu de temps après avoir appris qu'une plainte en matière de droits de la personne avait été déposée contre elle, la GRC a fait part de cette position à la Commission dans une lettre en date du 14 août 1996 adressée à Marie Wankham, l'enquêteuse de la CCDP chargée de traiter la plainte.

[4] Le 3 juin 1997, Mme Wankham a écrit à la GRC une lettre indiquant que nous sommes d'avis que la Commission n'a pas compétence pour faire enquête sur l'aspect de la plainte relatif à des actes discriminatoires qu'auraient commis du personnel de l'ONU. Cependant, elle a souligné que la Commission a le pouvoir d'étudier les aspects de la plainte relatifs à la conduite discriminatoire de la GRC qui se serait produite au Canada, soit plus précisément la décision de la GRC d'instituer une enquête interne sur la conduite de la plaignante, au moment de son rapatriement au Canada.

[5] Au cours des années qui ont suivi, l'enquête de la Commission a été suspendue en attendant que la plaignante ait épuisé ses recours au sein de la GRC. La Commission a repris son enquête par la suite. Le rapport d'une autre enquêteuse, Sylvie McNicoll, a été communiqué le 8 octobre 2002. Dans ce rapport, la Commission réitère qu'elle a déjà déterminé que les aspects de la plainte relatifs à la présumée conduite discriminatoire de membres du personnel de l'ONU à Haïti ne relèvent pas de sa compétence. En outre, il est indiqué en caractères gras que le rapport d'enquête ne porte que sur les allégations ayant rapport à l'enquête interne menée par la GRC au Canada.

[6] Le 20 mars 2003, la présidente de la Commission a écrit à la présidente du Tribunal pour l'informer que la Commission était [TRADUCTION] convaincue, au regard de toutes les circonstances entourant la plainte, qu'une enquête était justifiée. La lettre demandait, par conséquent, d'instituer une enquête sur la plainte. La lettre de renvoi ne précise pas si un aspect quelconque de la plainte ne justifiait pas une enquête ou échappait à la compétence de la Commission ou du Tribunal.

[7] L'intimée soutient qu'au moment où la plaignante lui a transmis son exposé des questions de fait et de droit, conformément à ses obligations de divulgation (règle 6 des Règles de procédure provisoires du Tribunal canadien des droits de la personne), elle a constaté, à son étonnement, que la plaignante avait l'intention de produire des preuves sur les aspects de sa plainte portant sur les événements survenus en Haïti. Par conséquent, l'intimée a déposé la présente requête demandant une ordonnance confirmant que la seule question à trancher par le Tribunal est la suivante : est-ce que la décision de la GRC d'instituer une enquête interne au sujet de la plaignante était fondée sur des motifs de distinction illicite et contrevenait à la Loi?

[8] Essentiellement, on me demande de déterminer si les aspects de la plainte ayant trait à la conduite discriminatoire qui serait survenue à Haïti ont été renvoyés au Tribunal pour enquête.

II. ANALYSE

[9] Il est évident qu'à diverses étapes de l'enquête de la Commission sur la plainte, enquête qui s'est échelonnée sur plusieurs années, certains représentants de la Commission étaient d'avis que la CCDP n'avait pas compétence pour enquêter sur les aspects de la plainte relatifs à la conduite de membres du personnel de l'ONU. Il semble qu'on ait demandé à plusieurs cadres supérieurs de la Commission leur avis avant que la lettre de Mme Wankham en date du 3 juin 1997 soit envoyée à la GRC. En outre, l'avocat général de la Direction des services juridiques de la Commission a fourni un avis juridique écrit; toutefois, la Commission s'est abstenue de divulguer ce document, invoquant le secret professionnel de l'avocat.

[10] L'intimée prétend que la conduite de la Commission préalablement au renvoi de la plainte au Tribunal fait partie intégrante de la décision même de renvoyer l'affaire. Elle soutient que la Commission avait en fait déjà décidé en 1997 que seuls les aspects canadiens de la plainte justifiaient une enquête, décision qui a maintenant un effet obligatoire pour la Commission. Les seuls aspects de la plainte qui pourraient subséquemment être renvoyés au Tribunal sont ceux qui ont trait à la conduite de la GRC à la suite du rapatriement de la plaignante. La seule chose que l'intimée demande actuellement au Tribunal, c'est de préciser ou de confirmer que seul cet aspect plus restreint de la plainte a fait l'objet du renvoi.

[11] La Commission n'est pas d'accord. L'avocat de la Commission a soutenu que l'intimée demande en fait au Tribunal de réviser la décision de la Commission de renvoyer l'ensemble de la plainte pour enquête. La lettre adressée par la présidente de la Commission à la présidente du Tribunal était claire. Il y était demandé de faire enquête sur la plainte; aucune limite ni condition n'était fixée. De plus, il est précisé que la décision de la Commission a été prise en tenant compte de [TRADUCTION] toutes les circonstances entourant la plainte. Ces circonstances, fait-on remarquer, ne se limitent pas à la lettre de Mme Wankham et au rapport d'enquête subséquent, mais incluent également la correspondance dans laquelle la plaignante conteste les prétentions de l'intimée relativement à la compétence de la Commission. En outre, la Commission soutient que certains documents relatifs à la mission de l'ONU à Haïti incitent à croire que les États membres conservaient leurs pouvoirs disciplinaires à l'égard des agents de police qui étaient affectés à cette mission. La Commission avait également en main ces documents au moment où elle a décidé de renvoyer la plainte au Tribunal. Si l'intimée n'est pas d'accord avec la décision de la Commission de renvoyer la plainte dans son intégralité, il lui est loisible de déposer une requête en contrôle judiciaire devant l'organisme compétent, soit la Cour fédérale.

[12] À mon avis, il est évident à la lecture de la lettre de la présidente de la Commission à la présidente du Tribunal que tous les aspects de la plainte, tels que formulés dans le formulaire de plainte signé par la plaignante en 1996, ont été renvoyés au Tribunal par la Commission. Je ne vois rien dans la lettre de la présidente de la Commission qui permette de conclure qu'une partie seulement de la plainte a été renvoyée au Tribunal pour enquête. En outre, il ne faut pas perdre de vue le fait que, même si la Commission est habilitée à décider si une plainte doit être renvoyée au Tribunal (par. 44(3) et art. 49 de la Loi), la plainte demeure celle de la plaignante et non celle de la Commission1. La plaignante en l'espèce n'a jamais modifié sa plainte.

[13] La requête de l'intimée implique qu'étant donné les conclusions déjà formulées par la Commission quant à la portée de la plainte, la CCDP n'est plus en mesure de renvoyer au Tribunal la plainte dans son intégralité. La requête de l'intimée équivaut donc à demander au Tribunal d'aller au-delà de la décision de la Commission et de réexaminer celle-ci afin de déterminer si la CCDP était habilitée à faire un tel renvoi. Le Tribunal n'exerce pas un tel pouvoir de surveillance ni sur les faits et gestes de la Commission ni sur ses décisions. Ce pouvoir est exclusivement du ressort de la Cour fédérale2, et ce même dans les cas où la décision de la Commission de renvoyer la plainte va à l'encontre des conclusions de son propre enquêteur3.

[14] Pour ces motifs, la requête de l'intimée est rejetée. Je suis d'avis que tous les aspects de la plainte déposée par la plaignante en 1996, y compris la conduite discriminatoire qui serait survenue en Haïti, ont été renvoyés au Tribunal pour enquête.

III. AJOURNEMENT

[15] L'intimée a demandé que si le Tribunal ne fait pas droit à sa requête d'ordonnance, l'audience sur la plainte soit ajournée afin de lui permettre de modifier les documents qu'elle doit divulguer. L'intimée a déposé sa requête dans la semaine précédant le début prévu de l'audience sur le fond de la plainte. La requête a été débattue devant le Tribunal le premier jour d'audience prévu, soit le 17 septembre 2003. Au cours de la journée, les parties ont convenu de reporter l'audience sur le fond de la plainte, pour des motifs qui, dans une large mesure, n'ont pas rapport à la présente requête. De nouvelles dates ont été fixées en vue de la poursuite de l'audience durant une période de trois semaines à compter du 26 janvier 2004.

[16] Si la plaignante et la Commission avaient insisté pour que l'audience sur le fond de la plainte se tienne immédiatement après le prononcé de la présente décision, j'aurais certes fait droit à la requête en ajournement de l'intimée. De toute évidence, il y a eu une certaine confusion quant à la portée de la plainte renvoyée au Tribunal, et les hypothèses posées par l'intimée n'étaient pas à mon avis déraisonnables. En fait, dans ses plaidoiries écrites au sujet de la requête, la Commission a consenti à la requête en ajournement de l'intimée, affirmant qu'elle regrettait que l'intimée ait été induite en erreur par la décision de l'enquêteuse.

[17] Cependant, j'estime que les quatre mois qui s'écouleront avant la reprise de l'audience sont un délai suffisant pour permettre à l'intimée de modifier les documents qui doivent être divulgués et de se préparer à plaider l'affaire; aussi, je n'ordonne aucun nouvel ajournement. J'encourage les parties à communiquer entre elles pour déterminer les dates auxquelles auront lieu les divulgations supplémentaires de documents et de renseignements, compte tenu des conclusions énoncées dans la présente décision. Si les parties sont incapables de s'entendre, l'une ou l'autre doit communiquer avec le greffe du TCDP dans les meilleurs délais afin qu'une téléconférence ou une autre forme de réunion puisse être organisée avec le Tribunal.

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 2 octobre 2003

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL NO. : T797/4703
INTITULÉ DE LA CAUSE : Danielle Côté c. Procureur Général du Canada
DATE ET LIEU
DATE DE LA DÉCISION
(Représentant la Gendarmerie Royale du Canada)
Montréal (Québec)
DE L'AUDIENCE : Le 17 septembre 2003
DU TRIBUNAL : Le 2 octobre 2003
ONT COMPARU :
Danielle Côté En son propre nom
Patrick O'Rourke Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Alain Préfontaine Pour l'intimé

1. Murphy c. Halifax Employers= Association et International Longshoremen=s Association (syndicat local 269), (le 27 février 2001), Ottawa, T602/6000 et T603/6100, par. 11 à 21 (T.C.D.P.).

2. Leonardis c. Société canadienne des postes [2002] D.C.D.P. no 24, par. 5 (T.C.D.P.) (QL); Parisien c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton [2002] D.C.D.P. no 23, par. 9 (T.C.D.P.) (QL); Desormeaux c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton [2002] D.C.D.P. no 22, par. 10 (T.C.D.P.) (QL); Eyerley c. Seaspan International Ltd. [2000] D.C.D.P. no 14, par. 4 (T.C.D.P.) (QL); Quigley c. Ocean Construction Supplies [2001] D.C.D.P. no 46, par. 7 (T.C.D.P.) (QL).

3. Syndicat des employés d'exécution de Québec-Téléphone, section locale 5044 du SCFP c. Telus Communications (Québec) Inc., 2003 TCDP 31, par. 61 à 63.

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