Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE:

SYNDICAT DES EMPLOYÉS D'EXÉCUTION DE QUÉBEC-TÉLÉPHONE,

SECTION LOCALE 5044 DU SCFP

Le plaignant

- et -

COMMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

La Commission

- et -

TELUS COMMUNICATIONS (QUÉBEC) INC.

L'intimé

MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

MEMBRE INSTRUCTEUR: Pierre Deschamps

2003 TCDP 31

2003/09/15

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LA PREMIÈRE QUESTION

III. DÉCISION SUR LA PREMIÈRE QUESTION

IV. LA SECONDE QUESTION

V. DÉCISION SUR LA SECONDE QUESTION

VI. CONCLUSION

I. INTRODUCTION

[1] Le Tribunal est saisi de deux questions préliminaires soulevées par l'intimé, TELUS Communications (Québec) Inc., ( l'intimé ) relativement à une plainte déposée le 8 juillet 1999 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne ( la Commission ) par le Syndicat des employés d'exécution de Québec-Téléphone, Section locale 5044 du Syndicat canadien de la fonction publique ( le plaignant ).

[2] Dans sa plainte, le plaignant allègue que les titulaires d'un poste à prédominance féminine à l'emploi de l'intimé font l'objet de discrimination de la part de ce dernier. Selon le plaignant, en ce faisant, l'intimé contrevient à l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ( la Loi ).

[3] Les questions de l'intimé portent sur les points suivants:

  1. L'intimé soutient que certaines parties, dont entre autres le Syndicat des Agents de Maîtrise de Québec-Téléphone, section locale 5144 du Syndicat canadien de la fonction publique ( le SAQT ), doivent être dûment convoquées dans le cadre du présent dossier compte tenu que leurs intérêts pourraient potentiellement être directement affectés selon les conclusions que le Tribunal pourrait rendre;
  2. L'intimé soutient qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve justifiant la décision de la Commission de demander la constitution du présent Tribunal.

[4] Le 26 mars 2003, M. Athanasios D. Hadjis, membre du Tribunal canadien des droits de la personne, décidait que ces deux questions seraient traitées par observations écrites. Le soussigné fut désigné pour disposer de ces deux questions.

II. LA PREMIÈRE QUESTION

[5] D'entrée de jeu, il convient de souligner que la première question de l'intimé comporte plusieurs éléments.

[6] Premièrement, l'intimé demande que le SAQT soit dûment convoqué aux fins du présent dossier (Plaidoiries écrites de l'intimé du 15 avril 2003, par. 26). A cet égard, l'intimé soutient que le SAQT constitue une partie intéressée dont les droits pourraient être affectés par une décision du Tribunal dans le cadre du présent dossier (Plaidoiries, par. 46). Conséquemment, l'intimé requiert que le SAQT soit avisé que les décisions que le Tribunal pourrait rendre dans le présent dossier sont susceptibles d'affecter ses droits afin de lui permettre de faire valoir sa défense ou son point de vue (Plaidoiries écrites, par. 47).

[7] Deuxièmement, l'intimé plaide que, dans l'éventualité où le Tribunal conclurait à quelque discrimination que ce soit en rapport avec le présent dossier, tant le plaignant que le SAQT devraient être tenus responsables des dommages en tant qu'auteurs actifs et indispensables de la discrimination alléguée (Plaidoiries écrites, par. 38).

[8] Selon l'intimé, l'évaluation de l'emploi en cause fut faite par un Comité conjoint permanent d'évaluation des occupations formé de représentants du plaignant, de l'intimé et du SAQT (Plaidoiries écrites, par. 34); selon l'intimé, s'il y a discrimination, celle-ci résulte de la décision du Comité, décision qui était finale et sans appel et liait l'intimé (Plaidoiries écrites, par. 43).

[9] En conséquence, l'intimé soutient que les représentants du plaignant ainsi que ceux du SAQT ayant siégé sur le Comité conjoint chargé d'évaluer les emplois en cause doivent être tenus conjointement et solidairement responsables de tout dédommagement que pourrait ordonner le Tribunal dans le présent dossier (Plaidoiries écrites par. 44).

[10] L'intimé demande donc que le SAQT soit convoqué aux fins du présent dossier par voie d'appel en garantie et ce, compte tenu de son rôle actif et indispensable à la discrimination alléguée, et soutient que sa présence est nécessaire pour permettre une solution complète du litige (Plaidoiries écrites, par. 51).

[11] En réponse aux arguments de l'intimé, la Commission déclare qu'elle ne prend pas position quant au fond de cette question. Elle demande toutefois que la tierce partie soit avisée de l'objection préliminaire de manière à pouvoir faire des observations sur le fond de l'objection.

[12] Quant au plaignant, il fait valoir que le Tribunal n'est nullement saisi d'une plainte déposée par le SAQT, que l'évaluation de l'emploi relié au SAQT, soit celui de représentant PME, n'est nullement contestée.

[13] Par souci d'équité procédurale, le Tribunal a requis que le SAQT soit avisé de la demande de convocation et de mise en cause formulée par l'intimé et soit invité à soumettre ses observations au Tribunal. Le SAQT avait jusqu'au 4 août 2003 pour formuler ses observations.

[14] En date de la présente décision, le Tribunal n'avait toujours pas reçu d'observations de la part du SAQT, malgré l'envoi d'une lettre de rappel. Le Tribunal est donc appelé à rendre sa décision quant à la première question sur la base des observations formulées par la Commission, le plaignant et l'intimé.

III. DÉCISION SUR LA PREMIÈRE QUESTION

[15] En ce qui concerne la première question, le Tribunal croit bon de souligner que la position de l'intimé est quelque peu ambiguë. Dans un premier temps, l'intimé demande que le SAQT soit dûment convoqué, ce qui fut fait en l'espèce, afin de faire valoir son point de vue quant aux demandes formulées par l'intimé à son endroit. Dans un second temps, l'intimé demande que le SAQT soit appelé en garantie.

[16] Le Tribunal est d'avis que cette demande d'appel en garantie va bien au-delà de l'envoi d'un avis de convocation et du respect des règles de justice naturelle ou d'équité procédurale. Elle vise à faire du SAQT une partie à l'instruction de la plainte par le Tribunal en tant qu'intimé et non seulement comme partie intéressée.

[17] Au soutien de ses prétentions concernant la première question, l'intimé fait référence à l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Renaud c. Board of School Trustees, School district no 23 (Central Okanagan) et le Syndicat canadien de la fonction publique, section local 523, [1992] 2 R.C.S. 970.

[18] Il convient de souligner que les faits de l'affaire Renaud sont sensiblement différents de ceux de la présente affaire. Dans l'affaire Renaud, le plaignant avait porté plainte tant contre l'employeur que contre son syndicat, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Lors de l'audition de la plainte, le membre désigné modifia la plainte dont il était saisi de manière à inclure une plainte contre le syndicat fondée sur un autre article de la Loi en plus de celle fondée sur l'article initial de manière à rendre la plainte initiale conforme à la nature de l'instance. Le membre désigné a justifié sa décision par le fait que cette modification ne causerait aucun préjudice au syndicat puisque celui-ci avait été représenté tout au long des procédures et avait participé pleinement à la plainte initale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La Cour suprême confirma le bien-fondé de la décision du membre désigné pour entendre la plainte.

[19] La Loi ne prévoit pas comme tel de procédure pour l'adjonction forcée de parties ou d'intervenants intéressés dans une instance devant le Tribunal. Tout au plus, la Loi prévoit-elle au deuxième paragraphe de l'article 48.9 ce qui suit:

Le président du Tribunal peut établir des règles de pratique régissant, notamment :

( )

b) l'adjonction de parties ou d'intervenants à l'affaire;

( )

[20] Par ailleurs, les Règles de procédure provisoires du Tribunal édictent ce qui suit sous la rubrique Adjonction de parties intéressées:

Reconnaissance comme partie intéressée

8 (1) Une personne qui n'est pas une partie et qui souhaite être reconnue par le membre instructeur comme partie intéressée à l'égard d'une instruction peut présenter une requête par écrit à cet effet.

Mention des motifs dans la requête

8 (2) Toute requête présentée conformément au paragraphe 8 (1) doit préciser les motifs invoqués à l'appui de la requête en reconnaissance comme partie intéressée et les modalités souhaitées de participation à l'instruction.

[21] À la lecture même de cette règle, on constate que celle-ci ne vise pas spécifiquement la mise en cause d'une tierce partie par l'une des parties aux procédures d'instruction d'une plainte devant le Tribunal, à savoir le plaignant, la Commission ou l'intimé. Rien n'est dit, en outre, du pouvoir du Tribunal de faire droit à un appel en garantie d'une tierce partie avec les effets juridiques que comporte une telle procédure.

[22] Cela dit, si la Loi prévoit que le président du Tribunal peut établir des règles de pratique régissant, notamment, l'adjonction de parties ou d'intervenants à une affaire, il est logique de penser que le Tribunal a la compétence pour ajouter des parties à une affaire donnée. Pour l'heure, les Règles de procédure provisoires du Tribunal ne comportent aucune disposition à cet effet.

[23] Dans une décision rendue sur le banc le 2 octobre 2002 dans la cause de Desormeaux c. OC Transport (T701/0602), la présidente du Tribunal, qui était saisie d'une demande d'adjonction d'un syndicat comme intimé, statua qu'en vertu de l'article 50 de la Loi, le Tribunal a le pouvoir d'ajouter des individus ou des groupes comme parties intéressées dans le cadre d'une instruction. (Nous soulignons.) Toutefois, elle fit remarquer qu'en l'espèce, telle n'était pas la question qui se posait à elle, la question à trancher étant plutôt de savoir si une tierce partie (partie étrangère à la plainte) pouvait être ajoutée comme intimé avec les conséquences que cela pouvait avoir au niveau de sa responsabilité.

[24] Sur ce point, la présidente du Tribunal conclut, s'appuyant en cela sur l'article 48.9 (2)b) de la Loi, que l'intention du législateur était de conférer au Tribunal le pouvoir d'ajouter tant des parties que des intervenants à une instance devant le Tribunal.

[25] Par ailleurs, dans une décision subséquente rendue sur le banc le 3 octobre 2002 dans la même affaire Desormeaux, la présidente du Tribunal statua qu'en l'espèce, les circonstances ne justifiaient pas l'ajout du syndicat comme intimé. Elle statua que, bien qu'ayant conclu précédemment que la Loi confère au Tribunal le pouvoir d'ajouter des parties à une instance lorsque le Tribunal le juge approprié, le contexte législatif entourant ce pouvoir discrétionnaire milite en faveur d'une certaine retenue ou prudence ( caution est le terme utilisé par la présidente).

[26] À cet égard, la présidente du Tribunal souligne, fort à propos à notre avis, que la Loi prévoit, dans le traitement des plaintes de discrimination, un processus d'enquête et d'instruction fort élaboré où tant la Commission que le Tribunal ont des rôles bien définis.

[27] Dans sa décision, la présidente du Tribunal fait état du fait que l'ajout de parties en cours d'instance devant le Tribunal prive le nouvel intimé du bénéfice de certains moyens de défense qu'il peut normalement faire valoir au stade de l'examen d'une plainte par la Commission, notamment de la possibilité de faire rejeter la plainte sans qu'il n'y ait besoin d'instituer une instruction devant le Tribunal, par exemple en raison du fait qu'elle fut déposée après l'expiration du délai d'un an prévu par la Loi.

[28] Par ailleurs, dans une décision rendue par le Tribunal le 27 novembre 2002 dans Bozek et Commission canadienne des droits de la personne c. MCL Ryder Transport Inc. et McGill (T716/2102 et T717/2202), le Tribunal ordonna, à la suite d'une requête faite en ce sens par la Commission et le plaignant, que la plainte initiale soit modifiée afin de substituer au nom de l'intimé initial celui de la compagnie née de la fusion de l'intimé initial avec un certain nombre d'autres sociétés.

[29] Considérant qu'il n'existe pas de règles formelles déterminant les conditions en vertu desquelles le Tribunal peut ajouter un nouvel intimé, considérant, par ailleurs, que le Tribunal a le pouvoir d'ajouter un nouvel intimé, le président du Tribunal ayant en vertu de la Loi le pouvoir d'adopter des règles régissant l'adjonction de parties ou d'intervenants à l'instance, il importe pour le Tribunal d'examiner les critères qui devraient guider ce dernier dans sa décision d'ajouter ou non un nouvel intimé au stade de l'instruction de la plainte devant le Tribunal.

[30] Le Tribunal est d'avis que l'adjonction forcée d'un nouvel intimé une fois que le Tribunal a été chargé d'instruire une plainte est appropriée, en l'absence de règles formelles à cet effet, s'il est établi que la présence de cette nouvelle partie est nécessaire pour disposer de la plainte dont il est saisi et qu'il n'était pas raisonnablement prévisible une fois la plainte déposée auprès de la Commission que l'adjonction d'un nouvel intimé serait nécessaire pour disposer de la plainte.

[31] En l'espèce, les raisons invoquées par l'intimé pour appeler en garantie le SAQT et faire en sorte qu'il devienne une partie à l'instruction de la plainte et non seulement une partie intéressée portent essentiellement sur le fait que deux de ses membres faisaient partie du Comité conjoint permanent d'évaluation des occupations (Plaidoiries écrites, par. 34 et 35) qui a procédé à l'évaluation des emplois en cause.

[32] En lui-même, ce fait n'indique nullement que les deux membres du SAQT engageaient la responsabilité de leur syndicat en participant au Comité. En outre, rien dans la documentation soumise au Tribunal n'indique que ces membres ou le Comité ont ou auraient agi de façon discriminatoire dans l'évaluation des emplois.

[33] Il convient de souligner, en outre, que le rapport de l'enquêteur de la Commission soumis comme pièce par l'intimé au soutien de ses prétentions ne fait nullement référence au SAQT et à son implication dans l'évaluation des emplois en cause.

[34] Par ailleurs, le Tribunal ne peut ignorer le fait qu'à toute fin pratique, l'adjonction d'un nouvel intimé au stade de l'instruction de la plainte par le Tribunal, sans que celui-ci n'ait été l'objet d'une plainte formelle, prive ce nouvel intimé de la possibilité de faire valoir certains moyens de défense devant la Commission en vertu des articles 41 et 44 de la Loi.

[35] À ce propos, il convient de souligner que les tribunaux ont récemment souligné l'importance de respecter l'équité procédurale dans le traitement des plaintes de discrimination déposées auprès de la Commission, notamment en ce qui a trait au droit de l'intimé de contester à ce stade initial le bien-fondé d'une plainte (Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] 4 C.F. 145 (C.A.) et Judge c. Société Radio-Canada, [2002] A.C.F. no 426, (C.F. 1re inst.).

[36] En l'espèce, l'intimé n'a pas convaincu le Tribunal que la mise en cause forcée du SAQT est nécessaire pour disposer de la plainte telle que libellée. En outre, le Tribunal est d'avis que la mise en cause du SAQT à ce stade-ci serait préjudiciable à ce dernier d'un point de vue d'équité procédurale.

[37] Cela dit, il sera loisible à l'intimé de faire valoir au cours de l'instruction devant le Tribunal que la preuve présentée au Tribunal ne justifie pas le maintien de la plainte et qu'il ne saurait être tenu responsable ou entièrement responsable de la discrimination alléguée dans la plainte.

IV. LA SECONDE QUESTION

[38] En ce qui concerne la seconde question, l'intimé, s'appuyant en cela sur les articles 41 et 44 de la Loi, soutient que la Commission ne pouvait demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49 de la Loi, un membre pour instruire la plainte pour les deux motifs exposés comme suit dans ses plaidoiries écrites du 15 avril 2003:

  1. quant au premier motif, l'intimé, s'appuyant sur les faits relatés tant au Rapport d'enquête que dans la plainte, invoque que la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, à savoir l'attribution d'une cote d'évaluation différente pour les Représentant(e)s, service à la clientèle, affaires (BAR), par rapport aux Représentant(e)s PME (PME);
  2. quant au second motif, l'intimé s'appuie sur le fait que l'auteur du rapport d'enquête recommande qu'en vertu de l'article 44(3)b) de la Loi que la Commission rejette la plainte pour diverses raisons.

[39] L'intimé conclut donc que la Commission aurait dû rejeter la plainte en vertu des articles 41 (1) c) à e) de la Loi.

[40] En réponse aux arguments de l'intimé, la Commission soutient que seule la Cour fédérale a compétence pour revoir les décisions prises par la Commission. Pour sa part, le plaignant dit partager le point de vue de la Commission.

[41] Dans sa réplique à la position de la Commission, l'intimé soutient que l'économie de la Loi milite en faveur de l'examen par le Tribunal de la suffisance de la preuve à la base du renvoi de la plainte devant le Tribunal.

[42] Selon l'intimé, le point de vue présenté par la Commission a pour effet de restreindre la compétence du Tribunal à déterminer si une plainte est fondée ou non en vertu de la Loi (Réplique écrite de l'intimé, par. 25). D'une part, il porte atteinte à la compétence du Tribunal d'examiner s'il y avait suffisance ou non d'éléments de preuve justifiant la décision de la Commission de référer la plainte au Tribunal (Réplique, par. 26) et, d'autre part, restreint la compétence du Tribunal de déterminer si une plainte doit être rejetée ou non eu égard aux motifs prévus à l'article 41 de la Loi (Réplique, par. 27).

[43] De l'avis de l'intimé, le Tribunal a pleine compétence pour décider de la question soulevée relativement à l'insuffisance des éléments de preuve justifiant l'instruction de la plainte. Au demeurant, l'intimé soutient que cette question ne relève pas à ce stade-ci de la compétence de la Cour fédérale.

V. DÉCISION SUR LA SECONDE QUESTION

[44] Le Tribunal entend examimer tour à tour les arguments soulevés par l'intimé quant à l'expiration du délai pour l'examen de la plainte par la Commission et l'insuffisance de la preuve justifiant une instruction de la plainte devant le Tribunal.

A. Le dépôt tardif de la plainte

[45] En vertu de l'article 41 (1) de la Loi, la Commission n'est pas tenue de statuer sur une plainte déposée hors délai. L'article 41 (1)e) de la Loi édicte à cet égard que:

41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants:

( )

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

[46] Cela dit, la Commission peut néanmoins statuer sur une plainte déposée hors le délai d'un an prévu à l'article 41 (1)e) de la Loi (International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400 c. Oster et Commission canadienne des droits de la personne et Tribunal canadien des droits de la personne, [2002] 2 C.F. 430 (C.F. 1re Inst.)). En vertu de la Loi, la Commission n'est pas tenue de justifier sa décision. Ce n'est en effet que si la Commission décide de ne pas statuer sur une plainte au motif qu'elle est irrecevable en vertu de l'article 41 (1) de la Loi qu'il lui faut motiver sa décision par écrit auprès du plaignant, comme le prévoit l'article 42 (1) de la Loi.

[47] De toute évidence, en l'espèce, la Commission n'a pas jugé la plainte irrecevable, ayant, dans un premier temps, chargé une personne d'enquêter sur la plainte et, dans un second temps, l'ayant déférée au Tribunal. Cela dit, la décision de la Commission de déférer la plainte au Tribunal n'est pas motivée si l'on s'en rapporte à la lettre acheminée par la Commission à l'intimé le 24 décembre 2002. Il n'était pas nécessaire qu'elle le soit.

[48] Le Tribunal est d'avis qu'il ne lui appartient pas de statuer sur les raisons qui ont pu amener la Commission à déférer la présente plainte au Tribunal (Parisien et Commission canadienne des droits de la personne c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton, décision n 1, Tribunal canadien des droits de la personne, 15 juillet 2002, par. 12). Le fait est que la Commission a effectivement déféré la plainte au Tribunal sans toutefois en donner formellement les raisons. Il s'ensuit que les raisons ayant amené la Commission à saisir le Tribunal de la plainte malgré la recommandation à l'effet contraire formulée par l'enquêteur de la Commission ne sont pas connues du Tribunal.

[49] Quoi qu'il en soit, il semble bien établi en jurisprudence que la personne qui est l'objet d'une plainte qu'elle estime avoir été déposée hors délai peut soulever ce point devant la Commission. Tel que souligné par M. le juge Décary de la Cour d'appel fédérale, dans Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] 4 C.F. 145, par. 24,

(e)n ce qui concerne les motifs énumérés aux alinéas 41 (1)a) à e), la personne contre qui une plainte a été déposée dispose expressément de deux occasions de les soulever: d'une part, à l'étape de l'examen préalable préliminaire prévu par l'article 41 et, d'autre part, à l'étape de l'examen préalable prévu à l'article 44 (voir les alinéas 44 (2)a) et b) et les sous-alinéas 44 (3) a) (ii) et b)(ii).

[50] En l'espèce, rien n'indique que l'intimé a fait valoir devant la Commission ses prétentions quant au caractère tardif de la plainte dont il était l'objet. L'intimé avait cependant alors une double opportunité de le faire.

[51] Par ailleurs, si l'intimé n'était pas d'accord avec la décision de la Commission de déférer la présente plainte au Tribunal, il pouvait faire une demande de contrôle judiciaire devant de la Cour fédérale (International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400 c. Oster et Commission canadienne des droits de la personne et Tribunal canadien des droits de la personne, précité), ce qui ne semble pas avoir été le cas. Les propos tenus par M. le juge Gibson dans l'arrêt précité au paragraphe 30 de la décision s'appliquent tout à fait au présent cas:

Ayant décidé de ne pas demander devant la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision discrétionnaire par laquelle la Commission a prorogé le délai prévu à l'alinéa 41 (1)e) de la Loi, le syndicat ne pouvait tout simplement pas exercer l'autre recours qu'il a choisi, c'est-à-dire qu'il ne pouvait pas soulever devant le Tribunal les mêmes questions qu'il aurait pu soulever dans une demande de contrôle judiciaire.

[52] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que les arguments de l'intimé en ce qui concerne le dépôt tardif de la plainte ne sont pas fondés.

B. L'insuffisance de la preuve

[53] Il n'est pas sans intérêt pour disposer de cette question d'examiner le rôle et les pouvoirs de la Commission et du Tribunal en vertu de la Loi.

1. Le rôle et les pouvoirs de la Commission

[54] En vertu de l'article 41 de la Loi, la Commission est tenue de statuer sur toute plainte dont elle est saisie, sujet aux exceptions prévues aux sous-paragraphes a) à e) du paragraphe (1) de l'article 41, tel que souligné par M. le juge Décary de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] 4 C.F. 145, par. 23:

L'article 41 impose à la Commission l'obligation de s'assurer, même proprio motu, qu'une plainte mérite d'être traitée. De toute évidence, il n'incombe à la Commission aucune obligation de mener une enquête à ce stade-là, et la Commission n'est tenue d'examiner que la question de savoir s'il y a, prima facie, des motifs fondés sur le paragraphe 41 (1) et, dans l'affirmative, celle de savoir si elle doit tout de même traiter la plainte.

[55] En vertu de l'article 43 de la Loi, la Commission peut charger une personne d'enquêter sur une plainte. Cela dit, la Loi prévoit en son article 49 que la Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l'instruction est justifiée.

[56] La Loi n'oblige aucunement la Commission à motiver sa décision de demander qu'une plainte soit instruite devant le Tribunal. Tout au plus, la Loi requiert-elle en son article 42 que la Commission motive par écrit auprès d'un plaignant sa décision de ne pas statuer sur une plainte qu'elle considère, en vertu de la Loi, irrecevable.

[57] Enfin, la Loi n'oblige pas la Commission à suivre impérativement la recommandation de la personne chargée d'enquêter sur une plainte en vertu de l'article 43 de la Loi. La Commission jouit, à cet égard, d'une large discrétion. Suivant l'article 44 de la Loi, dans sa décision de demander au Tribunal de désigner un membre pour instruire une plainte visée par un rapport d'enquête, la Commission doit tenir compte, non seulement du rapport d'enquête, mais également des circonstances relatives à la plainte (having regard to all the circumstances of the complaint, dans la version anglaise).

2. Le rôle et les pouvoirs du Tribunal

[58] Le rôle dévolu au Tribunal en vertu de la Loi a notamment été décrit comme suit par M. le juge La Forest dans Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, par. 64:

Pris ensemble, les par. 50 (1) et 53 (2) de la Loi disposent qu'un tribunal examine l'objet de la plainte qui lui est déférée par la Commission pour déterminer si elle est fondée. Il s'agit d'abord et avant tout d'une enquête portant sur l'appréciation des faits, qui vise à établir si oui ou non un acte discriminatoire a été commis. Au cours d'une telle enquête, un tribunal peut effectivement examiner des questions de droit.

[59] Ainsi, en vertu de la Loi, le rôle du Tribunal consiste essentiellement à instruire toute plainte qui lui est référée par la Commission. En vertu de l'article 50 de la Loi, le Tribunal est habileté à trancher les questions de droit et de fait se rapportant à la plainte dont il est saisi. Dans le cadre de l'instruction menée par le Tribunal, les parties ont la possibilité de faire valoir tous les arguments de fait et de droit au soutien de leurs prétentions.

[60] Au terme de l'instruction de la plainte, le Tribunal peut, en vertu de l'article 53 de la Loi, soit accueillir la plainte, soit la rejeter eu égard à la preuve qui aura été présentée et au droit applicable.

[61] Ainsi donc, suivant l'économie de la Loi, il n'appartient pas au Tribunal dans le cadre de l'instruction d'une plainte de s'enquérir des motifs ayant justifié le renvoi de la plainte devant le Tribunal. Si un intimé n'est pas d'accord avec la décision de la Commission de déférer une plainte au Tribunal malgré une recommandation à l'effet contraire d'un de ses enquêteurs, il lui faut alors s'adresser à la Cour fédérale.

[62] Il n'appartient pas non plus au Tribunal de décider s'il y avait suffisance de preuve ou non justifiant l'instruction de la plainte devant le Tribunal. La question relative à la suffisance de la preuve sera résolue au terme de l'instruction de la plainte devant le Tribunal. Ce dernier devra alors déterminer si la plainte, eu égard à la preuve présentée et au droit applicable, devrait être maintenue ou rejetée. En cela, le Tribunal ne refuse pas d'exercer sa compétence. Il ne fait que respecter l'économie de la Loi et s'en tient exclusivement au rôle qui lui est conféré par celle-ci.

[63] En dernière analyse, les fins de la justice sont mieux servies si l'on respecte les rôles dévolus en vertu de la Loi à la Commission et au Tribunal, ainsi que les moyens mis en place par le législateur pour se pourvoir d'une décision dont on n'est pas satisfait.

[64] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que les arguments de l'intimé portant sur l'insuffisance de la preuve ne sont pas fondés.

VI. CONCLUSION

[65] Pour les motifs ci-dessus exprimés, le Tribunal en vient à la conclusion que les arguments de l'intimé quant aux deux questions préliminaires soumises au Tribunal ne sont pas fondés. L'instruction de la plainte procédera donc comme prévu.


Pierre Deschamps

OTTAWA (Ontario)

Le 15 septembre 2003

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL N: T757/0703

INTITULÉ DE LA CAUSE: Syndicat des employés d'exécution de Québec-Téléphone, Section locale 5044 du SCFP c. Telus Communications (Québec) Inc.

DATE DE LA DÉCISION DU TRIUBNAL: Le 15 septembre 2003

ONT COMPARU:

Ronald Cloutier Pour le Syndicat des employés d'exécution de Québec-Téléphone, Section locale 5044 du SCFP

Patrick O'Rourke Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jean Martel Pour Telus Communications (Québec) Inc.

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