Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Clay Mazurkewich

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

S & S Delivery Services Ltd.

l'intimé

Décision

Numéro du dossier : T1792/2212

Membre : George E. Ulyatt

Date : Le 5 mars 2014

Référence : 2014 TCDP 8


  • [1] Le plaignant, Clay Mazurkewich, a déposé une plainte contre l’intimée, S & S Delivery Services Ltd., le 17 juin 2011, dans laquelle il alléguait que l’intimée, son employeur, avait agi de façon discriminatoire envers lui en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

  • [2] Le plaignant et l’intimée n’étaient pas représentés par un avocat à l’audition de la plainte, et les exposés des précisions, la preuve portant sur la gravité de la déficience du plaignant et la position de l’intimée laissaient à désirer. Le plaignant a soutenu que l’intimée avait agi de façon discriminatoire envers lui en raison de sa déficience médicale, soit la douleur chronique, qui était exacerbée lorsqu’il travaillait. Par conséquent, il a fait valoir que son congédiement contrevenait à l’article 3 de la LCDP. La preuve et les observations du plaignant montraient implicitement qu’il y avait eu violation de l’alinéa 7a) de la LCDP.

  • [3] L’intimée est une petite entreprise de camionnage qui opère à Saskatoon (Saskatchewan) et, tout au long de l’instance, elle a été représentée par le président et principal actionnaire de l’entreprise, Brian Slobodian.

  • [4] Le plaignant avait déjà été employé par l’intimée, et il était retourné au lieu de travail de l’intimée à titre d’opérateur de chariot élévateur. On lui demandait aussi d’effectuer du levage manuel.

  • [5] Le plaignant a témoigné qu’il avait souffert de douleur aigüe au bas du dos le 18 avril 2011 en raison des mouvements brusques et des secousses qu’il subissait lorsqu’il opérait le monte-charge dans le cadre de son emploi chez l’intimée. Le plaignant a aussi ressenti de vives douleurs au dos le 21 avril 2011 et le 29 avril 2011 et il en a avisé son superviseur, John Simpson. Le plaignant a pris congé ces jours-là. La douleur au dos a par la suite été diagnostiquée comme étant le résultat d’une discopathie dégénérative par le conseiller médical de la Worker’s Compensation Board (la WCB) (commission des accidents de travail). La preuve a montré que le superviseur, John Simpson, n’a pas avisé le président de la société, Brian Slobodian, des absences du plaignant aux dates susmentionnées.

  • [6] Le 2 mai 2011, le plaignant a mentionné à son superviseur, John Simpson, qu’après la séance d’entraînement de baseball de la société, il avait vu son médecin pendant la fin de semaine et que ce dernier lui avait conseillé de prendre congé. Le superviseur du plaignant l’a avisé qu’il devait présenter une demande d’indemnisation pour accident du travail.

  • [7] Le plaignant a témoigné que, plus tard le même jour, il avait reçu un appel de Brian Slobodian l’avisant que, s’il avait présenté une demande à la WCB, il était un [Traduction] « trou de cul », et il a témoigné que, pendant l’appel, M. Slobodian l’avait congédié. Le plaignant a soutenu que Brian Slobodian avait aussi déclaré que, si le plaignant se présentait sur le terrain de l’employeur, il serait accusé d’intrusion.

  • [8] Le plaignant a aussi témoigné que sa mère, avec qui il habite actuellement, avait écouté la conversation sur un autre téléphone. La mère du plaignant a témoigné à l’audience et a confirmé le témoignage du plaignant au sujet de sa conversation avec M. Slobodian.

  • [9] L’intimée n’a pas contredit la preuve au sujet du congédiement, de la remarque désobligeante ou du commentaire au sujet du fait que le plaignant serait accusé d’intrusion. L’intimée a expliqué que le président avait été contrarié par les actions du plaignant, puisque celui-ci avait participé à une pratique de baseball de la société le 30 avril 2011, mais qu’il avait été incapable de travailler le 2 mai 2011. L’intimée n’a jamais contesté l’allégation du plaignant selon laquelle il souffrait d’une déficience ou d’une blessure. Bien que l’intimée n’ait pas contredit le témoignage du plaignant au sujet de la conversation du 2 mai 2011, le président a témoigné qu’il avait téléphoné au plaignant à son numéro de téléphone cellulaire et non à son numéro à la maison. Par conséquent, il était donc impossible que la mère du plaignant ait écouté la conversation.

  • [10] Le plaignant a présenté une demande d’indemnisation à la WCB conformément aux lois de la Saskatchewan et, dans la première décision qu’elle a rendue, la WCB a refusé d’accorder l’indemnisation parce qu’il a d’abord été conclu que le plaignant n’était pas atteint d’une déficience. En appel, lors duquel la preuve présentée par le plaignant a été réexaminée, le plaignant a eu gain de cause et a reçu une indemnité de 5 421,90 $, à partir de la date de congédiement jusqu’au 15 juillet 2011, date à laquelle, selon les conclusions de la WCB, le plaignant était en mesure de retourner au travail.

  • [11] Le plaignant n’a jamais repris le travail pour l’intimée et il a finalement trouvé un autre emploi pour un autre employeur, qu’il a occupé du 21 août 2011 au 31 août 2011. Le plaignant a quitté ce poste pour en occuper un autre, à partir du 4 septembre 2011. Le plaignant a témoigné que, pour des raisons personnelles qu’il n’a pas divulguées, et qu’on ne lui a pas demandé de divulguer, il a volontairement quitté le troisième poste après moins d’une journée. Il n’a jamais soutenu qu’il avait quitté l’un ou l’autre poste qu’il avait obtenu après son congédiement par l’intimée en raison de problèmes physiques ou médicaux.

  • [12] Quant à la question du dédommagement pour la perte de revenus qu’il avait subie en raison de l’acte discriminatoire allégué, le plaignant était d’avis qu’il devait recevoir un paiement pour la période débutant le jour où ses prestations de la WCB se sont terminées, soit le 15 juillet 2011, auquel moment il a été jugé apte au travail, et se terminant après son départ de ses deux autres emplois, le 31 octobre 2011, soit la date à laquelle son emploi pour l’intimée aurait pris fin de toute façon : le plaignant a témoigné, et n’a pas été contredit par l’intimée, qu’un lieu de travail secondaire de l’intimée a été fermé le 31 octobre 2011 et que les employés ont été congédiés. Le plaignant aurait lui aussi été congédié à ce moment. Le plaignant et l’intimée s’entendent sur le fait que le lieu de travail secondaire est maintenant fermé et que l’emploi du plaignant aurait pris fin à ce moment, si les événements du 2 mai n’avaient pas eu lieu.

  • [13] Ni le plaignant, ni l’intimée n’ont exposé clairement le calcul précis de la perte de salaire applicable au plaignant qui découlait des actes de l’intimée. Les parties se sont entendues sur le fait que la paye finale du plaignant aurait suivi un taux horaire de 17,50 $. À l’audience, l’intimée n’a pas contesté la blessure ou la déficience et elle n’a pas soulevé de questions au sujet de l’atténuation des pertes du plaignant jusqu’au 21 août 2011.

  • [14] La question de la déficience est un critère essentiel auquel le plaignant doit satisfaire. De plus, afin d’obtenir gain de cause en vertu de l’alinéa 7a) de la LCDP, le plaignant doit établir une preuve prima facie de discrimination. Dans Chaudhary c. Smoother Movers, 2013 TCDP 15 (CanLII), le Tribunal a déclaré au paragraphe 33 :

(33)  Dans une affaire soumise au Tribunal, le plaignant doit établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination. Une preuve prima facie « […] est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur [du plaignant], en l’absence de réplique de [l’] intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, (1985) CanLII 18 (CSC), [1985] 2 RCS 536, au paragraphe 28).

(35)  Aux termes de l’alinéa 7a) de la Loi, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. Dans les plaintes relevant de l’alinéa 7a), le plaignant est tenu d’établir l’existence d’un lien entre un motif de distinction illicite et la décision de l’employeur de refuser de l’employer ou de continuer de l’employer (voir Roopnarine c. Banque de Montréal, 2010 TCDP 5 (CanLII), 2010 TCDP 5, au paragraphe 49). Cela dit, il n’est pas nécessaire que la distinction soit le seul motif de la décision; il suffit qu’il s’agisse d’un seul des facteurs dans la décision (voir Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1990] A.C.F. no 419 (C.A.F.) (QL), et Khiamal c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2009 CF 495 (CanLII), 2009 CF 495, au paragraphe 61)

  • [15] En l’espèce, le motif de distinction illicite allégué est la déficience. La Cour d’appel fédérale a examiné la question de ce que constitue une déficience dans l’arrêt Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311, au paragraphe 15, où la Cour d’appel a déclaré :

Ainsi que l’expliquait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Granovsky c. Canada, 2000 CSC 28 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 703, au paragraphe 34, et dans l’arrêt Ville de Montréal, précité, au paragraphe 71, la déficience au sens juridique consiste en un handicap physique ou mental, qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap.

  • [16] Par conséquent, pour avoir gain de cause, le plaignant doit d’abord établir une preuve prima facie : (1) qu’il avait une déficience et (2) que sa déficience a joué un rôle dans la décision de l’intimée de mettre fin à son emploi, en contravention de l’alinéa 7a) de la LCDP.

  • [17] La preuve confirme que le plaignant a satisfait aux deux critères : il avait une déficience et son congédiement était fondé, du moins en partie, sur sa déficience. En raison de la blessure au dos du plaignant, son médecin lui a conseillé de prendre congé. Lorsqu’il a fait part de ce conseil à son superviseur, ce dernier lui a dit qu’il devait remplir un formulaire de la WCB. Lorsque M. Slobodian a appris qu’il pouvait y avoir une demande auprès de la WCB, il a mis fin à l’emploi du plaignant. Par conséquent, n’eût été la déficience du plaignant, il n’aurait pas perdu son emploi.

  • [18] Une fois qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée de démontrer que l’acte contesté était justifié. Au paragraphe 52 de la décision Chaudhary c. Smoother Movers (précitée), le Tribunal a déclaré :

Une fois qu’un plaignant a établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, l’intimé est tenu de démontrer que la discrimination prima facie en question n’a pas eu lieu de la manière alléguée ou que l’acte est justifiable selon la Loi (voir les paragraphes 15 à 24 de la Loi).

  • [19] La seule explication possible que je puisse relever de la preuve et des arguments de M. Slobodian est que le plaignant a été congédié non pas en raison de sa déficience, mais en raison d’une allégation fabriquée de déficience, compte tenu du fait que le plaignant avait été en mesure de participer à une séance d’entraînement de baseball. Cependant, compte tenu de toute la preuve, cette explication ne peut pas être acceptée. La preuve dont le Tribunal est saisi était claire : l’intimée aurait dû savoir que le plaignant avait une déficience, parce que ce dernier en avait parlé à son superviseur. De plus, peu importe ce que M. Simpson a pu faire des renseignements que le plaignant lui avait donnés, le président de l’intimée, Brian Slobodian, a précisément reconnu pendant sa conversation avec le plaignant le 2 mai que le plaignant était congédié en raison de son incapacité à travailler pour des raisons médicales. Comme je n’ai relevé aucune explication raisonnable permettant de réfuter la preuve prima facie, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de l’intimée de congédier le plaignant était fondée sur la déficience de ce dernier et que, par conséquent, la plainte est fondée.

Les mesures de redressement

  • [20] Le plaignant a demandé une indemnité pour perte de salaire, non seulement jusqu’au moment où il a accepté un autre emploi le 21 août 2011, qui s’est terminé le 31 août 2011, mais aussi jusqu’après le troisième emploi qu’il a accepté le 4 septembre 2011, qui a duré moins d’une journée. Le plaignant a demandé une indemnisation jusqu’à la date à laquelle l’entrepôt de l’intimée a fermé, le 31 octobre 2011, auquel moment le plaignant a reconnu qu’il aurait été mis à pied de façon permanente.

  • [21] Conformément à l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, le plaignant peut être indemnisé pour toute perte de salaire découlant de l’acte discriminatoire. La perte de salaire du plaignant est le résultat de l’acte discriminatoire, soit le congédiement, et je conclus par conséquent que le plaignant a droit à une indemnité.

  • [22] La preuve qui a été présentée au Tribunal était mauvaise et inadéquate. Cependant, les parties se sont entendues sur le fait que le taux horaire du poste du plaignant était de 17,50 $, et la preuve a montré que le plaignant a été payé jusqu’à la fin de la période d’invalidité, le 15 juillet 2011, par la WCB. Le nouvel emploi que le plaignant a accepté a débuté le 21 août 2011.

  • [23] Après avoir examiné la preuve et les observations, je conclus que le plaignant devrait être indemnisé pour la période allant jusqu’au moment où il a commencé son nouvel emploi, le 21 août 2011. Il serait déraisonnable d’exiger que l’intimée rembourse le plaignant pour la perte de salaire alléguée découlant du choix du plaignant de ne pas travailler. Par conséquent, j’établis le montant de l’indemnité pour perte de salaire en fonction de cinq semaines, du 18 juillet 2011 au 21 août 2011, soit 200 heures au taux horaire de 17,50 $, ce qui donne un total de 3 500 $.

  • [24] Le plaignant a aussi présenté une demande d’indemnité pour acte délibéré ou inconsidéré, au sens du paragraphe 53(3) de la LCDP. La preuve a établi que l’intimée, qui était au fait de l’état de santé du plaignant, a agi d’une façon inconsidérée en ne tenant pas compte de l’état physique du plaignant. Cette demande est accueillie. Après avoir examiné les circonstances, y compris le fait que les commentaires désobligeants et le congédiement ont été faits en privé (à la connaissance de l’intimée), je conclus qu’une indemnité spéciale de 1 000 $ au sens du paragraphe 53(3) de la Loi est appropriée.

  • [25] Je conserve ma compétence au cas où les parties ne s’entendraient pas sur les montants ou l’application des mesures de redressement ordonnées en l’espèce.

Ordonnance

  • [26] Pour les motifs qui précèdent, j’ordonne :

  1. Conformément à l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, à l’intimée de payer au plaignant une indemnité de 3 500 $;

  2. Conformément au paragraphe 53(3) de la LCDP, à l’intimée de payer au plaignant une indemnité de 1 000 $.

Signée par

George E. Ulyatt

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 5 mars 2014

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1792/2212

Intitulé de la cause : Clay Mazurkewich c. S & S Delivery Services Ltd.

Date de la décision du tribunal : Le 5 mars 2014

Date et lieu de l’audience : Le 26 août 2013

Saskatoon (Saskatchewan)

Comparutions :

Clay Mazurkewich, pour lui même

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Brian Slobodian, pour lui même

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