Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Entre :

Bob Brown

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Commission de la capitale nationale

- et -

Travaux publics et services gouvernementaux Canada

les intimés

Décision

Membre : Dr Paul Groarke
Date : Le 6 juin 2006
Référence : 2006 TCDP 26

Table des matières

I Introduction

II Les faits

A. Les témoignages du plaignant et de la CCDP

(i) Bob Brown

(ii) David Lloyd Rapson

(a) Les rapports de M. Rapson

(b) Les conclusions de M. Rapson

(iii) Barry McMahon

(iv) Giles Warren

B. La preuve de la CCN

(i) Gérald Lajeunesse

(ii) Jerrold Corush

(iii) Robert Martin

(iv) Éric Hébert

(v) Katie Paialunga

C. Le témoignage de Travaux publics

(i) Idelle Matte

III Le droit

A. Les marches de la rue York sont‑elles une installation ou un service?

B. L’article 15

(i) Les facteurs mentionnés au paragraphe 15(2) sont‑ils exhaustifs?

(ii) Le mandat de la CCN doit être respecté

C. Le critère de la preuve prima facie

D. Meiorin : les principes de la conception universelle

E. L’obligation de fournir des mesures d’accommodement : le caractère raisonnable

F. L’obligation de consulter

IV La responsabilité : les arguments avancés contre la CCN

A. Les marches de la rue York ne sont pas accessibles

B. Le processus de consultation était incomplet

C. Le véritable problème réside dans la conception des marches de la rue York

D. Conclusions

V La responsabilité : les arguments avancés contre Travaux publics et services gouvernementaux

A. Travaux publics n’est pas à l’abri d’une conclusion de responsabilité

B. Il est trop tard pour se plaindre d’une irrégularité dans le processus

C. Le bien‑fondé des arguments avancés contre Travaux publics

VI Les questions relatives au redressement

VII Résumé des principales conclusions

Annexe A (Carte et photos du secteur)

Annexe B (Les principes de la conception universelle)

Les annexes sont seulement disponibles en PDF

I. Introduction

[1] Dans la plainte dont je suis saisi, il est allégué que la Commission de la capitale nationale (CCN) a fait preuve de discrimination à l’égard de Bob Brown en lui refusant [Traduction] l’accès à des services en ne prenant aucune mesure d’accommodement pour composer avec sa déficience (personne en fauteuil roulant), et ce, en contravention de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). La présumée discrimination se poursuit toujours.

[2] Le service auquel il est fait allusion dans la plainte sont les marches de la rue York, lesquelles sont situées à l’intersection de la rue York et de la promenade Sussex, à Ottawa. Les travaux de construction des marches ont été achevés en 1999. M. Brown prétend qu’elles ne sont pas accessibles. M. Brown et la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) prétendent que les personnes qui sont incapables de monter les marches ne peuvent pas se rendre à l’avenue Mackenzie, laquelle est située au sommet des marches, à partir de la promenade Sussex, laquelle est située au bas des marches. 

[3] On est allé examiner le site au début de l’audience. J’ai annexé un plan des rues ainsi qu’un certain nombre de photos afin de permettre aux lecteurs de mieux comprendre le lieu géographique ainsi que la présentation des marches. Il y a un croisement en T à la promenade Sussex : la rue York se termine par un escalier abrupt qui peut être emprunté par les personnes qui sont capables de monter les marches pour se rendre à l’avenue Mackenzie et au parc Major. La tour de la Paix et l’aiguille de la bibliothèque du Parlement sont visibles depuis la rue York. Un observateur peut voir les écluses du canal Rideau qui descendent vers la rivière Outaouais et peut également voir la Colline parlementaire, laquelle est située de l’autre côté d’un ravin. Les hauteurs de chaque côté sont impressionnantes. 

[4] L’une des raisons pour laquelle les gens peuvent vouloir emprunter les marches est qu’il y a un belvédère dans le parc Major. J’affirme cela parce que la situation a évolué depuis la date du dépôt de la plainte et que les arguments du plaignant et de la Commission reposent maintenant principalement sur l’utilisation du parc. Les précisions initiales mentionnent que les marches constituent [Traduction] une voie de passage entre les édifices du Parlement et le marché By. Cette situation a pu changer car un autre escalier ainsi qu’un ascenseur ont été construits un peu plus loin sur la rue, sur le site Daly, près des marches de la rue York. Selon certains éléments de preuve, ces installations permettraient de se rendre plus facilement de la Colline parlementaire au marché By. 

[5] Je dois également dire quelque chose à propos de la Commission de la capitale nationale. La CCN est une société d’État dont le mandat est prévu dans la Loi sur la capitale nationale. Cette loi donne à la CCN la responsabilité de l’aménagement, de la conservation et de l’embellissement de la région de la capitale nationale. La preuve indique que les marches de la rue York sont situées sur un terrain appartenant à la Couronne, mais administré par la CCN. La CCN est responsable de la construction et de l’entretien des marches. 

[6] La CCN est responsable du secteur et a insisté pour qu’un ascenseur soit installé sur le site Daly, lequel est situé un peu plus bas sur la promenade Sussex. Le véritable débat entre les parties consiste à savoir si ce genre d’accommodement est suffisant. M. Brown et la CCDP affirment que non. Ils sont prêts à accepter qu’on installe un ascenseur juste à côté du site; mais prétendent que l’ascenseur du site Daly est situé trop loin. Ils prétendent également que le défaut de fournir un accès aux marches constitue un acte discriminatoire à l’égard de M. Brown et des personnes ayant une déficience.

[7] L’audition de la cause a été retardée par une demande de la part de la CCDP d’ajouter Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (Travaux publics) comme partie. Cette demande a découlé du fait que M. Rapson, l’expert appelé par la CCDP, a affirmé dans son témoignage que le puits d’ascenseur situé dans l’immeuble à bureaux adjacent aux marches pourrait servir d’accès. Cet immeuble à bureaux est connu sous le nom d’édifice Connaught. Il est actuellement occupé par l’Agence du revenu du Canada en vertu d’un permis d’occupation accordé par Travaux publics, lequel s’occupe de l’entretien, de la gestion et de la surveillance de l’édifice pour le compte de l’État. La demande a été accueillie. 

[8] La présente cause soulève de nombreuses questions juridiques qui ont trait aux responsabilités de la CCN et de certaines autres entités publiques dans le domaine de l’accommodement. Il doit exister de nombreux sites où des problèmes semblables se posent. La présente cause soulève également une question plus étroite quant à l’obligation des intimés, comme la CCN, de consulter les personnes qui ont besoin d’accommodement. Bien que cela mène à une discussion de questions plus vastes, chaque cause est un cas d’espèce. Je me suis donc limité aux faits de la présente cause.

[9] La décision qui suit porte essentiellement sur la question de la responsabilité. J’ai convenu que je ne traiterais des différentes mesures d’accommodement qui ont été proposées en rapport avec les marches de la rue York que si cela devenait nécessaire. 

II. Les faits

A. Les témoignages du plaignant et de la CCDP

(i) Bob Brown

[10] M. Brown est tétraplégique depuis 1972. Il aime faire des choses par lui‑même et tire fierté de son indépendance. M. Brown vit actuellement sur la rue Murray, à trois pâtés de maisons des marches de la rue York. Il a affirmé dans son témoignage qu’il aime se rendre au parc Major. 

[11] Dès le début de l’audience, M. Brown a affirmé dans son témoignage que de nombreux festivals ont lieu au parc Major. Il a toutefois changé son point de vue lorsque l’intimée a corrigé cette affirmation.

[Traduction]

M. Harnden : Si je me souviens bien, vous avez souligné qu’il était important que vous puissiez avoir accès au parc pour pouvoir assister à des festivals. Retirez‑vous ce que vous avez dit en ce qui concerne la raison principale pour laquelle vous désirez avoir accès au parc?

R. Non, ce que je dis c’est que ce n’est pas seulement pour assister à des festivals. Les gens se rendent au parc pour assister à des festivals, mais parfois ils s’y rendent en revenant du marché. C’est tout simplement un beau parc où on peut aller. Vous montez et le parc surplombe la rivière des Outaouais. C’est un site historique. Il y a des bancs. Les gens s’y rendent comme ça le soir, juste pour le plaisir de se trouver dans un espace vert.

M. Brown a plus tard affirmé dans son témoignage qu’il s’agit d’un bel endroit pour aller regarder le coucher du soleil. 

[12] Les évènements qui ont précédé la plainte sont toutefois de nature plus politique. En 1998, lorsque les marches étaient en construction, M. Brown était président du Comité consultatif sur l’accessibilité de la ville d’Ottawa. Bien que la CCN ne soit pas soumise au processus de planification municipal parce qu’elle relève de la compétence fédérale, la proposition de construction des marches a été portée à l’attention du Comité consultatif. Le Comité a discuté de la proposition et a estimé qu’il y avait lieu de s’inquiéter.

[13] En tant que président du Comité, M. Brown a écrit une lettre à M. Jim Watson, le maire de la ville d’Ottawa à l’époque. Le deuxième paragraphe de cette lettre commence par la phrase suivante : [Traduction] Nous, les membres du Comité, prétendent à l’unanimité que la conception des nouvelles marches est tout à fait inacceptable car elle comporte les mêmes obstacles architecturaux que nous tentons d’éliminer depuis des décennies. Le Comité a demandé au maire d’organiser une rencontre avec M. Beaudry, le président de la CCN, pour régler le problème du manque d’accès au site. 

[14] M. Brown croyait que le maire avait écrit à la CCN, comme il avait été proposé, et il a demandé la tenue d’une rencontre. Il semble toutefois que la CCN n’a pas reçu cette lettre et la preuve dont je suis saisi donne à penser que la lettre n’a jamais été envoyée. La question des marches est néanmoins devenue une controverse publique, en partie en raison d’une lettre que M. Brown a envoyée au Ottawa Citizen.

[15] L’ambassade américaine est située juste à côté des marches, du côté nord du quadrilatère. Le Comité a envoyé une lettre à une personne à l’ambassade américaine dans laquelle il mentionnait que les marches qu’on projetait de construire ne respecteraient pas les exigences de l’Americans with Disabilities Act. L’ambassade défrayait apparemment le coût de la conception des marches. L’agent d’administration de l’ambassade américaine a répondu que c’était la CCN qui possédait la compétence ultime de décider ce qui serait construit sur le site. La seule préoccupation de l’ambassade était que le style des marches se marie bien avec le style de l’ambassade. 

[16] En réponse à la controverse, la CCN a organisé, le 17 mars 1999, une rencontre avec le comité sur l’accessibilité des Ressources communautaires pour personne ayant un handicap afin de discuter de la situation. La réunion fut tenue à huis clos. Il y a eu désaccord entre les parties quant à savoir si le comité sur l’accessibilité était l’organisme qu’il convenait de consulter. On a donné à M. Brown la permission d’assister à la réunion à la condition qu’il ne discute pas du contenu de la réunion avec le Comité consultatif sur l’accessibilité. Il a affirmé dans son témoignage qu’il avait été bâillonné

[17] M. Brown a affirmé que la CCN s’était servie de la réunion pour expliquer ses plans quant au site Daly, lesquels plans visaient à fournir un accès entre la promenade Sussex et l’avenue MacKenzie. Cela ne répondait pas aux préoccupations de M. Brown. Il a estimé qu’il n'allait nulle part et il a déposé la présente plainte le 31 août 1999. Cela s’est passé après que les marches furent construites. La CCDP a fait une enquête qui a duré très longtemps. 

[18] Les parties ont tenu de longues discussions et la CCN a éventuellement tenu une autre réunion le 23 juillet 2002 afin de discuter des solutions de rechange. Les participants à cette réunion comprenaient des représentants du Comité consultatif de la ville d’Ottawa. M. Brown n’a pas été invité. Selon lui, la CCN avait pris sa décision dès le début et ne désirait examiner rien d’autre que la solution du site Daly. Selon lui, la réunion n’était qu’une mise en scène.

[19] Malgré ses efforts, la CCDP a été incapable de régler la question et la plainte a été renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne. La position de M. Brown et de la CCDP lors de l’audience était relativement simple. Les marches de la rue York ne sont pas accessibles. Elles ne comportent aucune mesure d’accommodement. Une personne en fauteuil roulant qui se trouve au bas des marches ne dispose d’aucun moyen pour les monter. Cette situation est discriminatoire. Le site Daly constitue un parcours de rechange dans le secteur mais il ne permet pas d’accéder aux marches. 

[20] M. Brown dispose de deux choix lorsqu’il se trouve au bas des marches. Il peut tourner à droite et emprunter le long chemin qui fait le tour de l’ambassade américaine, ce qui l’emmène au coin nord‑est du parc. Il peut tourner à gauche et emprunter le site Daly. Dans l’une ou l’autre direction, la distance constitue un problème. La pente est particulièrement difficile à monter pour une personne qui utilise un fauteuil roulant à commande manuelle. 

[21] La plainte fondamentale de M. Brown est toutefois plus simple. Il s’oppose à l’utilisation du site Daly parce que cela oblige les personnes qui sont incapables de monter les marches à se rendre ailleurs. Cela a pour effet de séparer les gens.

[Traduction]

M. Brown : Mon principal problème est que, en raison de la ségrégation, le degré d’accessibilité n’est pas égal. Je dois me séparer des gens avec qui je déambule pour me rendre à l’autre niveau, au sommet […]

Mon plus grand problème est la ségrégation.

M. Brown affirme qu’il devrait avoir la possibilité de se rendre au sommet des marches à partir du bas des marches. Le site devrait être doté d’une mesure d’accommodement. 

[22] M. Brown a affirmé dans son témoignage que le retard occasionné par l’utilisation des autres parcours fait en sorte que la personne qui l’attend au sommet des marches se lasse d’attendre et s’en va. 

[Traduction]

Si je déambule, par exemple, avec des personnes, la nature humaine étant ce qu’elle est – monter, par exemple, la rue York – la nature humaine étant ce qu’elle est, d’ordinaire les autres personnes empruntent le chemin le plus facile, ou le chemin le plus court. La plupart du temps, elles préfèrent monter les marches et je dois me rendre à un autre endroit pour aller ensuite les rejoindre au sommet des marches.

Je me trouve donc exclu de mon groupe. On me fait sentir que je suis différent et je me sens vraiment différent d’avoir à faire cela.

N’importe quelle personne qui accompagne M. Brown se sentirait dépréciée de la même manière.   

[23] Ce problème soulève une question de dignité.

[Traduction]

M. Brown : J’estime que je devrais jouir de la même possibilité que les autres citoyens d’avoir accès au même endroit – au même site, ou à un endroit très proche -- avoisinant – comme mesure d’accommodement raisonnable. Selon moi, le fait de devoir se rendre à un autre endroit ne constitue pas une mesure d’accommodement raisonnable.

Si je me trouve avec d’autres personnes, cela porte atteinte à ma dignité. On me donne le sentiment que je suis un citoyen de seconde classe parce que je ne peux pas me servir de la même installation que les autres citoyens canadiens.

Nous sommes dans la capitale nationale du Canada. Il s’agit d’un endroit symbolique.

M. Brown estime que la situation actuelle est discriminatoire. Ses inquiétudes s’étendent également aux personnes âgées, aux personnes qui transportent des enfants dans des poussettes et à quiconque éprouve de la difficulté à monter les marches.

[24] La solution proposée par M. Brown est simple. Il estime qu’on devrait installer un ascenseur au bas des marches. Si cette solution n’est pas possible, il croit que l’installation d’un ascenseur juste à côté du site serait une solution acceptable, dans la mesure où l’ascenseur est visible à partir du bas des marches. M. Brown était donc disposé à examiner l’idée d’utiliser l’ascenseur qui est situé sur le côté nord de l’édifice Connaught. 

(ii) David Lloyd Rapson

[25] David Lloyd Rapson a été appelé par la Commission comme témoin expert en matière d’accessibilité et de conception universelle. Ses services ont initialement été retenus en octobre 2000 et il a demandé à examiner un certain nombre de solutions de rechange. L’une de ces solutions était la possibilité d’utiliser d’autres lieux.

[26] M. Rapson possède des antécédents en matière d’urbanisme. Il a également étudié la technologie de l’architecture et il a reçu une formation en évaluation de l’accessibilité. Il possède une grande expérience en matière d’accommodement. Il a fait du travail de comité pour l’Association canadienne de normalisation et a contribué à la rédaction d’un manuel portant sur les meilleures pratiques en matière de conception universelle. 

[27] M. Rapson a travaillé comme directeur adjoint à la Universal Design Institute de l’université du Manitoba. Il a présidé un comité consultatif sur l’accessibilité pour la ville de Winnipeg et il a dirigé une équipe composée de quinze personnes dans le cadre de la préparation d’une vérification en matière d’accessibilité au centre‑ville de Winnipeg. Je devrais également mentionner que M. Rapson s’est cassé les reins en 1993, et qu’il éprouve certains problèmes avec ses jambes. Il se sert d’une cane et, par conséquent, son opinion d’expert repose sur certaines de ses expériences personnelles. 

[28] M. Rapson a affirmé dans son témoignage que beaucoup de travail a déjà été fait afin d’élaborer un ensemble de critères qui peuvent être utilisés dans le cadre des évaluations en matière d’accessibilité. On assiste à l’émergence d’une discipline dans le domaine de l’évaluation de l’accessibilité. Cette discipline comprend toute une série d’éléments d’ordre physique, psychologique, sociologique et d’intérêt public. Un certain nombre de ces éléments ont trait au processus qui est utilisé dans la planification, la conception et la construction de sites accessibles. 

[29] Les critères fondamentaux utilisés dans le cadre de ces évaluations en matière d’accessibilité se trouvent dans les principes de la conception universelle. M. Rapson a désigné ces critères comme étant des lignes directrices, malgré que cette expression semble un peu trop stricte. Ces critères sont plutôt l’affirmation d’un idéal et ils sont généralement invoqués en matière de planification, de conception et d’élaboration d’environnements physiques libres d’obstacles. Le mot obstacle désigne toute chose qui peut empêcher une personne d’utiliser un environnement physique. J’ai annexé à l’annexe B, la formulation qu’a faite M. Rapson des principes de la conception universelle.

[30] Dans son témoignage, M. Rapson a fait une distinction entre accessibilité et conception universelle.

[Traduction]

R. L’accessibilité dépend des règles ou des critères qui établissent un niveau minimum de conception nécessaire pour répondre aux besoins des personnes ayant une déficience.

Par exemple, la majorité des codes du bâtiment – le code national du bâtiment, le code du bâtiment de l’Ontario, le code du bâtiment du Manitoba – mentionnent d’ordinaire les exigences minimales. Il s’agit du minimum en matière de conception. La conception universelle est plus un art et une pratique de la conception visant à répondre aux besoins du plus grand nombre de personnes pendant la durée de leur vie.

Les principes de la conception universelle prévoient le cadre plus général dans lequel des questions précises d’accessibilité peuvent être examinées. 

[31] La question de l’accessibilité comporte un volet juridique et un volet technique. M. Rapson a décrit sa tâche en l’espèce de la manière suivante :

[Traduction]

R. Il y avait deux questions fondamentales : une opinion d’expert quant à savoir comment le lieu pouvait être rendu plus accessible aux personnes en fauteuil roulant; posséder suffisamment de renseignements pour permettre à la CCDP de décider si l’intimée a satisfait à son obligation juridique de répondre aux besoins des personnes en fauteuil roulant sans subir de contrainte excessive.

La deuxième question pose une difficulté. La question sous‑jacente, à tout le moins, consiste à savoir si l’intimée a satisfait à son obligation de répondre aux besoins des personnes ayant une déficience prévue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Tribunal doit se prononcer sur cette question. Ce serait une erreur que d’accepter les opinions de M. Rapson comme étant des opinions juridiques. 

[32] M. Rapson avait droit, en tant qu’expert en matière d’accessibilité et de conception universelle, de parler de l’aspect technique de la question. Il n’y a pas grand chose que l’on puisse dire dans ce contexte. L’intimée n’a pas contesté le fait que les marches, telles qu’elles ont été initialement construites, ne sont pas accessibles. Elles n’ont pas été conçues dans le respect des principes de la conception universelle et ne satisfont pas aux normes actuelles. La question en litige consiste à savoir si la CCN a corrigé la situation. 

[33] Selon M. Rapson, les marches de la rue York ne respectent pas les principes de la conception universelle. Selon lui, les marches ne sont pas accessibles. L’ascenseur du site Daly ne corrige pas la situation. D’une manière générale, j’ai accepté l’opinion de M. Rapson sur ces questions. J’ai estimé que son témoignage avait été réfléchi et mesuré. Il a compris qu’il fallait faire des compromis raisonnables. 

(a) Les rapports de M. Rapson

[34] M. Rapson a rédigé deux rapports. Le premier rapport est daté du 14 juin 2001 et a été limité par le fait que M. Rapson n’avait reçu aucun financement pour visiter le site. Je crois qu’il s’agissait là d’une erreur de jugement de la part de la CCDP, laquelle prenait vraiment un risque en demandant à M. Rapson de rédiger un rapport sans procéder à un examen physique du site. J’accepte néanmoins que les lacunes qui figuraient dans le rapport initial ont été corrigées avant la tenue de l’audience. 

[35] M. Rapson avait en sa possession une série de photographies qui avaient été prises sur le site. Il a demandé à des collègues d’inspecter le site pour lui. Il a parlé à diverses personnes et [Traduction] a tenté d’obtenir le plus de renseignements possible. C’est grâce à de l’échange de courrier, à des plans de site et à d’autres documents qu’il a pu recueillir des renseignements. 

[36] Le premier rapport conclut que la conception des marches viole trois des principes directeurs de la conception universelle : l’utilisation équitable, l’utilisation souple et un faible effort physique à faire. La conception des marches enfreint les principes de la conception universelle. Les parcours de rechange étaient [Traduction] très longs. Il y a également eu des problèmes avec le [Traduction] processus de consultation adopté en 1994.

[37] M. Rapson a néanmoins reconnu que le site posait de nombreux problèmes. La pente était trop abrupte pour permettre la construction d’une rampe utilisable et la construction d’un [Traduction] système d’élévation extérieur n’était pas opportune. Il a par conséquent proposé sa propre solution de rechange. M. Rapson croyait que la solution [Traduction] évidente consistait à utiliser l’ascenseur situé dans l’édifice Connaught, lequel édifice est situé juste à côté des marches. Il a estimé que le processus de consultation que la CCN avait tenu avec les occupants de l’édifice Connaught n’avait pas été assez englobant. Je souscris à cette conclusion. 

[38] Le deuxième rapport émanant de M. Rapson est essentiellement une réponse à une étude d’évaluation de l’accessibilité universelle préparée pour le compte de l’intimée par Robertson Martin en juillet 2002. Il comprend les conclusions définitives de M. Rapson. Il existe un certain nombre de différences entre les deux rapports, mais je crois qu’il est plus important de concentrer notre attention sur le témoignage de M. Rapson, lequel suivait les grandes lignes du deuxième rapport.

[39] M. Rapson a fait des enquêtes additionnelles après avoir produit son deuxième rapport et après être allé inspecter les marches à trois ou quatre reprises. Il a mesuré le temps qu'il en prenait pour effectuer les divers parcours autour des marches. Selon lui, le parcours permettant de se rendre au sommet des marches, en passant par le site Daly, ou le parcours qui fait le tour de l’ambassade américaine prenaient environ de six à huit minutes.

[40] M. Rapson a également observé la circulation piétonnière.   

[Traduction]

M. Rapson : Il y avait un flux continu de personnes qui montaient et descendaient les marches.

J’ai compté pendant huit minutes et mon compte s’est élevé à environ 85 personnes, ou quelque chose comme ça, de différents âges, de différentes tailles – des familles, des personnes seules.

J’ai vu une famille avec une poussette dans laquelle était assis un jeune enfant, et la poussette faisait des bonds en descendant.

J’ai vu un certain nombre de scooters circuler au bas des marches.

Il y avait une jeune famille, comme je l’ai déjà mentionné, avec une poussette, qui n’était pas capable de monter les marches et qui a dû faire le tour. Ce fut la même chose pour une personne âgée qui se déplaçait en fauteuil roulant poussé par une personne.

Q. Vous avez mentionné que des personnes étaient incapables de monter les marches. Ont‑elles tenté de --

R. Elles tentaient de trouver une façon de monter pour se rendre au parc. Elles se trouvaient en bas, au Marché By.

La question est tout simplement que les marches représentent un obstacle pour un grand nombre de personnes.

[41] M. Rapson a affirmé dans son témoignage qu’on aurait tort d’examiner le site uniquement du point de vue d’une personne qui se déplace en fauteuil roulant. Selon lui, il faut pendre en compte le cas de toute personne qui est incapable de monter l’escalier. Il a également affirmé dans son témoignage qu’il n’existe pas de solution parfaite. La solution qui convient le mieux aux besoins d’un utilisateur peut ne pas répondre aux besoins d’un autre utilisateur.

(b) Les conclusions de M. Rapson

[42] La principale conclusion de M. Rapson était que la conception initiale des marches de la rue York contrevient aux principes de la conception universelle. Les marches ne sont pas accessibles. Les parcours de rechange sont très longs. Il s’agit donc d’une question de remise à niveau d’une conception inadéquate. Cela pose toujours problème. 

[43] Certaines des critiques de M. Rapson avaient trait au manque de consultation. Il a laissé entendre qu’un processus de consultation adéquat aurait dû être tenu en 1994, au moment de la conception des marches. Il a souscrit à une déclaration attribuée à l’architecte de l’ambassade américaine qui aurait affirmé qu’il s’agissait d’une [Traduction] occasion manquée. Je ne répète cette remarque que parce qu’elle reflète bien l’opinion de M. Rapson.

[44] M. Rapson était fermement d’avis que les personnes ayant une déficience, le public, et toute partie intéressée auraient dû avoir leur mot à dire quant à ce qui a été fait avec le site. Il s’agit là d’un aspect fondamental de la conception universelle et la CCN n’en a pas assez fait à cet égard. Les personnes qui ont participé aux réunions qui ont eu lieu n’ont pas été informées quant à toutes les solutions de rechange possibles. Elles ont essentiellement été obligées de faire un choix parmi les solutions de rechange présentées par les architectes. 

[45] Il ne s’agissait pas non plus de régler uniquement le cas des personnes qui ont des problèmes de mobilité. La conception définitive devrait répondre aux besoins des personnes qui ont des problèmes visuels, auditifs et cognitifs; elle devrait répondre aux besoins de personnes de différentes tailles, de différentes grosseurs et de différents âges. Elle devrait répondre aux besoins des parents qui ont des enfants en poussette. M. Rapson a recommandé une [Traduction] stratégie de signalisation. Des bancs et des haltes de repos devraient être installés dans le secteur. 

[46] La CCN a rué dans les brancards à l’idée qu’elle ne souscrivait pas aux principes de la conception universelle. M. Rapson s’est quelque peu ravisé en contre‑interrogatoire et a déclaré qu’il avait consulté la publication Accessibilité des parcs et espaces ouverts: guide d'aménagement de la CCN lorsqu’il a rédigé ses rapports. Il a convenu que ce manuel attestait d’une bonne volonté. Sa position n’a cependant pas changé. La conception des marches contrevient aux principes de la conception universelle.

[47] M. Rapson était conscient des défis que présentait le site. La colline était haute et abrupte. Le site était étroit : il était trop étroit pour que l’on puisse construire un escalier et un système de rampe adéquat. L’installation d’une plate‑forme monte escalier n’était pas une solution opportune. L’exposition aux intempéries constituait également un problème. La sociologie du secteur devait également être pris en compte. Il y a des éléments durs dans le quartier. Les personnes qui utilisent un ascenseur peuvent craindre avec raison d’emprunter un passage qui n’est pas à la vue du public. 

[48] Des facteurs historiques et culturels doivent également être pris en compte. M. Rapson a décrit Ottawa comme étant le modèle du Canada. Ce facteur doit également être pris en compte. Il y a également le fait que l’ambassade américaine est située juste à côté des marches. Le coût de tout ajustement doit être pris en compte, comme d’ailleurs les questions d’ingénierie et de sécurité. Il faut établir un juste équilibre entre les intérêts opposés. 

[49] Le deuxième rapport examine les solutions de rechange mentionnées dans le rapport Robertson. M. Rapson a ajouté l’édifice Connaught comme solution de rechange. La première solution de rechange envisagée dans le rapport Robertson était le status quo. Cette solution était inacceptable. La solution de rechange no 2, c’est‑à‑dire l’installation d’une plate‑forme monte escalier, n’était pas réalisable. La plate‑forme serait située en plein air et serait ainsi exposée aux intempéries. Ce serait encombrant car il faudrait installer deux élévateurs. Le fonctionnement manuel de l’élévateur constituerait un problème pour les personnes ayant des déficiences. 

[50] La solution de rechange no 3 consistait en l’utilisation de l’édifice Connaught. L’édifice Connaught possédait un accès de plein‑pied au niveau du sol ainsi que plus haut, sur l’avenue MacKenzie. Il y avait une rampe d’accès juste à côté des marches de la rue York. Le premier rapport de M. Rapson laisse entendre que les entrées, les sorties et l’ascenseur existants pourraient être utilisés. Le deuxième rapport laisse entendre que l’on devrait construire un nouvel ascenseur. Il y avait un puits d’ascenseur situé à la rampe d’accès. Il s’agissait là de la meilleure solution de rechange. On devrait installer un accès à un bouton‑poussoir et faire des mises à niveau dans l’édifice afin de répondre aux normes d’accessibilité actuelles

[51] Je crois que les intimés ont trop insisté sur le fait que M. Rapson ne s’est jamais rendu à l’intérieur de l’édifice Connaught. Il possédait le plan d’étage et si l’affaire n’est pas allée plus loin que ça, c’était parce que les intimés n’y tenaient pas. M. Rapson recommandait tout simplement que l’on tienne compte de l’édifice Connaught. Il a admis qu’il pouvait y avoir des problèmes de sécurité qui feraient en sorte que l’édifice ne pourrait pas être utilisé et il a reconnu que son idée n’était qu’une [Traduction] proposition

[52] La solution de rechange no 3a était l’installation d’un appareil élévateur vertical. M. Rapson croyait que c’était la seule solution possible mais il a reconnu que l’appareil devrait être installé sur le terrain de la CCN, probablement à l’arrière du site, à côté des marches. Cela signifiait que le mur de soutènement actuel devrait être déplacé, une proposition coûteuse, voir même inopportune. M. Brown s’est informé quant à la possibilité de construire un ascenseur à un autre endroit sur le site, mais M. Rapson a précisé que cela poserait des problèmes d’ingénierie 

[53] M. Rapson approuvait, d’une manière générale, l’idée de construire un ascenseur. Il était néanmoins préoccupé par l’effet canyon qui serait produit si on installait l’ascenseur à l’arrière du site, à côté d’un mur de soutènement de cinq ou six mètres de haut. Le passage menant à l’ascenseur serait sombre et peu esthétique. Il était de plus préoccupé par la dimension et la conception de tout ascenseur. Il était préoccupé par le vandalisme et les questions de sécurité en général. 

[54] La solution de rechange no 4 consistait à utiliser l’ascenseur que l’on proposait d’installer sur le site Daly. M. Rapson estimait que cet ascenseur serait situé trop loin. Cette solution contrevenait à au moins deux des principes de la conception universelle, lesquels exigent une solution équitable qui demande un faible effort physique. Il croyait également que cette solution aurait pour effet de déprécier les personnes qui devaient emprunter le parcours de rechange. 

[55] M. Rapson croyait qu’on devait construire un ascenseur sur le site Daly. Cela ne réglait cependant pas le problème des marches de la rue York, où on avait besoin d’un accès sur place. L’utilisation du site Daly aurait également pour effet de déprécier les personnes qui devraient utiliser l’ascenseur. M. Rapson estimait qu’il s’agissait d’un problème courant en matière d’accessibilité. Les personnes ayant une déficience sont involontairement séparées des autres personnes. 

[56] Il y a un véritable symbolisme ici. Ce genre de question touche l’essence des lois et du concept d’égalité qui sont incorporés dans le droit de la personne. Il faut faire des compromis. Dans toute situation, les aspects pratiques doivent être pris en compte et il en va de même de la dignité des intéressés. Les personnes qui sont incapables de monter les marches devraient bénéficier de mesures d’accommodement, autant que faire se peut, sur le site même.

[57] M. Rapson a affirmé qu’il ne lui appartenait pas de substituer son point de vue à celui des personnes qui avaient intérêt à ce que les marches fassent l’objet de mesures d’accommodement. La solution la plus opportune ne pouvait être trouvée que par un processus de consultation. Il était néanmoins convaincu que le site Daly constituait un accès trop éloigné des marches. Il ne restait donc plus que la solution de construire un ascenseur sur le site même ou d’utiliser l’ascenseur de l’édifice Connaught. Il estimait également qu’il pouvait y avoir des façons, jamais envisagées, qui permettraient de régler le problème de la sécurité à l’édifice Connaught.

(iii) Barry McMahon

[58] Barry McMahon a vécu à Ottawa pendant 30 ans. À une certaine époque, il était propriétaire d’une société audiovisuelle dont le siège social était situé au 61A, rue York, dans le marché By. Il connaît donc très bien les marches de la rue York et le secteur avoisinant.

[59] M. McMahon souffre du syndrome de post‑poliomyélite. Cette maladie a une incidence sur les neurones des muscles, ce qui a pour effet de limiter ses activités. Il se déplace en fauteuil roulant et en scooter afin de retarder la progression de sa maladie.

[60] M. McMahon connaît le plaignant depuis 14 ans. En 1996, il a nommé M. Brown au Comité consultatif municipal sur la déficience alors qu’il était président du Comité. Le Comité s’était vu confier un vaste mandat et s’occupait des affaires municipales dans lesquelles il était question de déficience. Il est maintenant obligatoire, en vertu des lois provinciales de l’Ontario, que les villes ontariennes soient dotées d’un tel comité.

[61] Le processus de sélection du Comité consultatif municipal est un processus transparent. On recherche les membres par le biais des médias, du conseil municipal, des membres du Comité, et par le biais du greffier municipal. Il existe un autre comité qui recommande des candidats comme membres. Ceux-ci sont nommés par le maire, sur décret du conseil.

[62] Le processus suivi par le Comité était relativement simple. Le comité de planification soumettait des plans d’aménagement individuels au Comité consultatif afin que celui‑ci fasse des recommandations. Il y avait une feuille de distribution officielle au service de la planification. On ne s’occupait pas de l’intérieur de l’édifice, sauf s’il s’agissait d’un site municipal. 

[63] M. McMahon a démissionné de son poste de président au milieu de 1998. M. Brown a été élu nouveau président et il a occupé ce poste jusqu’à ce que la ville d’Ottawa soit fusionnée. M. McMahon a démissionné du Comité consultatif en 2003. Il occupait le poste de président intérimaire du Comité consulatif sur l’accessibilité de l’Ontario à l’époque où il a témoigné.

[64] L’historique de l’affaire commence véritablement en 1998 lorsqu’on a informé le Comité consultatif municipal que les marches de la rue York faisaient l’objet d’une nouvelle conception. En janvier 1999, le Comité a formé un sous‑comité pour s’occuper du projet. Le Comité a estimé que les marches existantes constituaient un obstacle et il ne voulait pas que cet obstacle soit reproduit. Il y a eu beaucoup de colère et de frustration. Le Comité a estimé que la conception initiale des marches comportait des lacunes.

[65] Le Comité a apparemment était avisé que, selon les estimations, le coût de construction de l’escalier s’élèverait à 38 000 $ par marche. Il a estimé que cette somme devrait être suffisante pour s’occuper de la question de l’accessibilité. On a reçu un certain nombre de lettres. M. McMahon croyait que Jim Watson, le maire, avait écrit au président de la CCN. 

[66] Le procès‑verbal du Comité consultatif sur l’accessibilité de août 2002 fait mention de la réunion. Giles Warren et Danielle Vincent ont fait rapport ensemble au Comité. M. Warren a informé le Comité que la seule solution qui avait été offerte par la CCN était l’installation d’un ascenseur sur le site Daly. Selon le Comité, la CCN avait déjà décidé que l’accès serait situé au site Daly. Il s’agissait d’un fait accompli qui n’était pas négociable.

[67] M. McMahon estimait que le site Daly ne constituait pas une solution viable. Il était tout simplement situé trop loin. Il a affirmé dans son témoignage que le site Daly ne [Traduction] régl[ait] pas du tout le problème et qu’il serait préférable de faire le tour du pâté de maisons L’accès devrait être installé directement au bas des marches. Le Comité a estimé que le site Daly était une solution symbolique. On a eu l’impression qu’il ne servait à rien de participer plus longtemps au processus. M. McMahon réalise maintenant que ce fut peut‑être une erreur.

[68] M. McMahon a affirmé dans son témoignage que, le 19 mars 1999, il a envoyé un courriel à des architectes américains ainsi qu’au Transportation Barriers Compliance Board à Washington D.C. Il les a mis au courant de la situation parce que ceux‑ci avaient fourni une partie de l’infrastructure de l’ambassade américaine. Il a reçu une réponse de la Compliance Board en avril avec une copie d’une lettre provenant d’une personne travaillant au Département d’État dans laquelle il était mentionné que l’affaire ne relevait pas de la compétence du Board.

[69] Selon M. McMahon, il était évident que le problème résidait dans la conception des marches. L’ascenseur du site Daly ne règle pas du tout le problème. Il ne fait tout simplement que détourner le problème. Il n’y a rien de l’autre côté du site Daly. Il y a beaucoup de congestion dans ce secteur. Il y a des enfants de la rue, des personnes sans abri, des mendiants et des vagabonds. Le coin de la promenade Sussex et de la rue Rideau est particulièrement malfamé.

[70] M. McMahon estime que la situation actuelle est intolérable. Il a affirmé qu’il est étonnant de voir jusqu’à quel point la CCN cause des désagréments aux personnes qui se rendent sur le site. Pas seulement aux personnes en fauteuil roulant, mais également aux femmes accompagnées de jeunes enfants dans des poussettes, aux personnes âgées, aux personnes qui souffrent d’obésité, aux personnes atteintes d’une déficience visuelle. S’il existait une façon différente de franchir les marches, il croit qu’elle servirait beaucoup.

[71] Selon M. McMahon, la principale solution de rechange serait l’installation d’un ascenseur. La voie réservée aux autobus est dotée d’ascenseurs depuis 10 ans. On pourrait installer un funiculaire. Il a affirmé dans son témoignage qu’on pourrait offrir aux gens une solution de rechange à la fois au sommet et à la fois au bas des marches. L’endroit le plus pratique pour l’installation du funiculaire serait à côté de l’édifice Connaught, au‑dessous du palier situé du côté de la rue MacKenzie. Il a insisté sur le fait que les personnes qui se déplacent ensemble doivent pouvoir garder un contact visuel et, selon lui, l’installation d’un ascenseur sur le site constituerait la meilleure solution.  

[72] Il est question d’inclusion en l’espèce. M. McMahon a déclaré que le fait de se séparer de la personne qui l’accompagne dans le but d’aller la rejoindre au sommet des marches faisait ressortir sa déficience. Les marches constituent un obstacle. La déficience d’une personne est mise en évidence et devient prédominante lorsque la personne est confrontée à un obstacle. L’objet visé par l’accessibilité est de faire disparaître les obstacles. L’objet visé par la conception universelle est d’incorporer en douceur dans le public et dans la société les personnes ayant une déficience. 

(iv) Giles Warren

[73] Giles Warren a témoigné depuis Hamilton. Il souffre de poliomyélite depuis qu’il est enfant et il se sert d’un fauteuil roulant. Il a vécu à Ottawa pendant quarante ans et il a siégé sur le Comité consultatif sur l’accessibilité entre 2000 et 2003. Il occupait le poste de vice‑président lorsqu’il a quitté. M. Warren n’a pas vécu longtemps dans le secteur des marches de la rue York. Mais, comme il avait siégé sur le Comité, il était au courant des questions entourant les marches.

[74] M. Warren était le président du sous‑comité sur l’approbation des aménagements. En juillet 2002, on lui a demandé d’assister à une réunion. La réunion a eu lieu le 23 juillet au siège de la CCN. Parmi les personnes qui étaient présentes à la réunion, M. Warren ne connaissait que Danielle Vincent. M. Warren affirme qu’il s’est rendu à la réunion dans un esprit d’ouverture. L’étude sur l’accessibilité commandée par la CCN, c’est‑à‑dire le rapport Robertson, était neutre.

[75] Toutefois, lorsque M. Warren est arrivé à la réunion, il a découvert que M. Martin, l’architecte‑conseil, était déjà favorable à l’idée d’utiliser un ascenseur qui serait situé sur le site Daly. La sécurité était devenue une préoccupation importante. Dans l’ensemble, le message était simple : la solution de rechange préférée était l’installation d’un ascenseur public à l’édifice Daly. M. Warren affirme qu’on ne s’est jamais sérieusement penché sur les autres solutions de rechange. [Traduction] Il s’agissait que d’une mise en scène

[76] Le procès‑verbal de la réunion rédigé par M. Martin démontre que M. Warren avait souscrit à l’opinion que le site Daly constituait la meilleure solution. M. Warren a nié ceci. Il affirme qu’il n’avait souscrit à cette opinion que parce que le nombre de solutions de rechange possibles était limité. Aucune des solutions de rechange ne réglait véritablement le problème, lequel était la conception initiale des marches.

[77] Le rapport soumis par M. Warren au Comité consultatif municipal emploie les mêmes mots. Le procès‑verbal du Comité qualifie la réunion de mise en scène visant à répondre aux préoccupations de la CCDP. Une discussion informelle de la situation a été tenue au Comité, puis l’affaire a été laissée en suspens. Le Comité a essentiellement laissé à la CCDP le soin de s’occuper de l’affaire.

[78] Danielle Vincent de Ressources communautaires pour personnes ayant un handicap assistait également à la réunion. M. Warren a affirmé dans son témoignage que celle‑ci partageait son opinion que la réunion n’avait été qu’une mise en scène. Comme Mme Vincent n’a pas témoigné, cette déclaration constitue donc du ouï-dire. Je crois donc qu’il serait erroné de lui accorder de l’importance.

[79] M. Warren a fait preuve de bienveillance en contre‑interrogatoire. Il était disposé à reconnaître que la CCN avait parfaitement le droit de présumer que le Comité consultatif municipal appuyait la solution du site Daly. Il reconnaît que la CCN n’a peut‑être pas compris ses objections. Il réalise, en rétrospective, qu’il aurait dû parler de nouveau aux planificateurs et aux architectes et leur faire part de ses opinions. 

[80] Cela ne change pas l’opinion de M. Warren sur la situation. Celui‑ci n’aimait aucune des solutions de rechange proposées dans le rapport Robertson. Selon lui, l’emplacement projeté pour l’installation d’un ascenseur près des marches n’était pas pratique. Le passage situé entre l’édifice Connaught et les marches était dangereux. Il était préoccupé par le vandalisme et par la menace que représentaient les vagabonds errant dans le secteur. Il entretenait les mêmes inquiétudes quant au site Daly. 

[81] M. Warren a rejeté l’idée que l’installation d’un ascenseur sur le site Daly fournirait un accès égal. Selon lui, cela équivalait à demander à des personnes ayant une déficience d’emprunter la porte arrière. Il a affirmé que le raisonnement justifiant l’utilisation d’un parcours de rechange ne valait pas plus que le motif séparé mais égal qui a été utilisé pour justifier la ségrégation raciale. Il s’est souvenu de signes qui indiquaient aux Noirs la direction vers les toilettes ou vers la porte arrière. 

[82] M. Warren croyait également que la distance additionnelle qu’il faut parcourir pour se rendre à l’édifice Daly constituait un obstacle important. Il était tout aussi facile de faire le tour du pâté de maisons.

B. La preuve de la CCN

(i) Gérald Lajeunesse

[83] Gérald Lajeunesse est l’architecte paysagiste en chef de la CCN. Il travaille pour la CCN depuis 1977. En 1988, il est devenu directeur du projet du boulevard de la Confédération.

[84] M. Lajeunesse a affirmé dans son témoignage que la CCN favorise l’accès universel et qu’elle a publié Accessibilité des parcs et espaces ouverts: guide d'aménagement en 1995. Ce manuel constitue un outil pour les personnes qui préparent des projets qui relèvent de la CCN. Toutefois, la plus grande partie du processus consiste en de la consultation. En 1996, la CCN a introduit une politique d’accès universel qui s’applique à [Traduction] ses sites, ses édifices, ses services ainsi qu’à ceux qu’elle loue. Il existe un comité interne qui effectue des évaluations pour les ministères gouvernementaux et qui surveille l’aménagement dans la région.

[85] Le boulevard de la Confédération est l’un des éléments importants des plans de la CCN se rapportant à la capitale nationale. Le boulevard est long de sept kilomètres et demi et comprend le Parcours d’honneur qui mène à la résidence du gouverneur général. Le terrain en bordure de la promenade Sussex, de l’avenue MacKenzie et des marches de la rue York fait partie du boulevard. 

[86] Le boulevard de la Confédération a été conçu pour accueillir de grands rassemblements de personnes et pour permettre aux gens de flâner. Les trottoirs sont larges. Le principe est de donner la priorité aux piétons. M. Lajeunesse a affirmé dans son témoignage que le parc Major pourrait être considéré comme étant une exception au plan général. La CCN tente de limiter l’activité dans le secteur, afin de protéger la végétation, laquelle reposerait sur un sol mince. La principale voie piétonnière va des édifices du Parlement, sur la rue Wellington, jusqu’à la rue Rideau, puis elle longe la promenade Sussex jusqu’à la rue York et pénètre dans le secteur du marché By. 

[87] M. Lajeunesse est devenu responsable du site des marches de la rue York en 1989. Alex Kilgour, le gestionnaire du projet des marches de la rue York, lui rendait compte. Le site était doté d’un escalier sans importance. Le secteur était abandonné. On avait déjà décidé de construire un grand escalier qui créerait un lien visuel très important entre la basse-ville et la haute‑ville.

[88] C’est ici que l’histoire et l’esthétique entrent en ligne de compte. Les marches de la rue York font partie d’un corridor visuel, d’un bassin visuel continu situé entre la basse-ville et la haute‑ville. Elles constituent un lien visuel entre la ville-le marché By-et l’État, lequel comprend le Château Laurier et l’arrière des édifices du Parlement. J’accepte le point de vue de la CCN qu’il est important de protéger le bassin visuel.

[89] La CCN savait qu’elle était tenue de rendre accessibles les marches que l’on envisageait de construire. Les architectes ont étudié la possibilité que l’on installe des rampes. Toutefois, la pente était trop abrupte et il y aurait eu des problèmes avec les redresseurs. La CCN a également étudié la possibilité que l’on installe un appareil élévateur. Le problème était que l’installation d’un ascenseur juste à côté des marches aurait eu pour effet de créer un tunnel. C’était ce que l’on craignait. Le site physique était trop limité pour que l’on examine d’autres solutions de rechange.

[90] Il y avait d’autres problèmes. Il n’y avait pratiquement aucun magasin le long de la promenade Sussex, donc il y avait peu d’activité le soir. Cela posait un problème sur le plan de la sécurité. Des activités inopportunes se déroulaient aux marches de la rue York. Il y avait également de nouveaux travaux d’aménagement au site Daly. La CCN désirait en profiter et elle avait finalement conclu que c’était le seul site réaliste pour la construction d’un ascenseur. 

[91] M. Lajeunesse a affirmé dans son témoignage qu’il n’y avait eu aucune discussion sérieuse quant à l’édifice Connaught. Le problème était la sécurité. On a reconnu que les choses pouvaient changer. Jean Piggott, l’ancien président de la CCN, avait recommandé que les édifices publics situés sur le boulevard de la Confédération aient une façade publique Il devrait y avoir une certaine forme d’accès public. Donc, idéalement, l’édifice Connaught serait ouvert au public d’une quelconque façon.

[92] Le site Daly était plus pratique et plus accueillant dans l’éventualité où il faudrait construire un passage. Il n’y avait pas de coins noirs à cet endroit. Il s’agissait d’un environnement contrôlé qui offrait une plus grande sécurité. M. Lajeunesse a affirmé dans son témoignage que l’on doit profiter des occasions lorsqu’elles se présentent. La CCN était propriétaire du terrain du site Daly et elle était donc bien placée pour demander des concessions de la part du promoteur. On a tenu des négociations concernant la construction d’un ascenseur sur le site. La CCN a insisté sur le fait que l’ascenseur devait satisfaire aux normes universelles.

[93] On ne s’est pas entendu quant aux motifs sous‑jacents à la position prise par la CCN lorsque les marches ont été initialement conçues. La CCDP a affirmé que la CCN préférait le site Daly parce que le promoteur assumerait les coûts. Elle a également affirmé que l’esthétique était entrée en ligne de compte dans la décision. M. Lajeunesse a tergiversé, puis il a rejeté la proposition selon laquelle les solutions de rechange avaient été rejetées en raison des coûts ou de l’esthétique. L’examen de l’affaire après le dépôt de la plainte a été centré sur d’autres préoccupations. 

[94] On a tenu deux séries de consultations avant que les marches ne soient construites. Dans le cadre de l’une de ces séries de consultation une réunion avait été tenue avec le Comité technique interministériel sur l’accessibilité, et dans le cadre de l’autre série de consultation une réunion avait été tenue avec des représentants de Ressources communautaires pour personnes ayant un handicap. Il y a eu des discussions avec la CCDP et il y a eu une autre série de consultations après que M. Brown eut déposé sa plainte. Cela a abouti à une réunion qui a eu lieu en 2002. 

[95] Lors de ces consultations, la CCDP a cherché à obtenir des renseignements sur l’édifice Connaught. Dans une lettre, datée du 24 octobre 2000, adressée à M. Lajeunesse, la CCDP a demandé des détails sur l’édifice Connaught, notamment sur le secteur de l’entrée de service, le secteur de l’entrée principale et sur les plans des étages.

[96] M. Lajeunesse a demandé des renseignements et il a éventuellement reçu une brève lettre, datée du 13 septembre 2001, de la part de Raymond Charette, un gestionnaire des immeubles et des installations pour Travaux publics. Cette lettre était ainsi libellée :

[Traduction]

Les exigences élevées en matière de sécurité du bureau principal de l’Agence du revenu du Canada à l’édifice Connaught et les coûts exorbitants qu’entraînerait la modification de cet édifice du patrimoine en vue d’installer un ascenseur public nous empêche d’ouvrir cet édifice au public entre l’avenue Mackenzie et la promenade Sussex.

Il s’agissait essentiellement du dernier mot sur le sujet et il mettait un terme à toute discussion. 

[97] La CCN a expliqué sa position dans une lettre adressée à la CCDP le 3 octobre 2001. Cette lettre était ainsi libellée :

[Traduction]

Lors du stade de la conception initiale des marches de la rue York, la CCN n’a pas étudié l’idée de fournir l’accès universel par le biais de l’édifice Connaught parce qu’[il a été désigné] édifice fédéral à haute sécurité et que, ainsi, il ne pouvait pas, à ce titre, être présenté comme étant un édifice public. Les heures d’ouverture de l’édifice Connaught sont très contraignantes alors que les heures d’activité de l’édifice du site Daly seraient assez flexibles pour que l’on puisse y installer un accès universel entre la rue MacKenzie et la promenade Sussex.

Par conséquent, compte tenu du fait que l’édifice Connaught et l’ambassade américaine sont des édifices à haute sécurité, la Commission de la [capitale nationale] a trouvé un parcours de rechange équitable contigu qui passe par le site Daly.

La Commission s’oppose catégoriquement à la déclaration voulant qu’elle ne comprend pas clairement ce qu’est la conception et l’accès universel et que l’on devrait donner une ou des séances de formation adéquate aux membres de son personnel.  

La CCN s’en tient à cette position. 

[98] La CCN a néanmoins examiné la situation une deuxième fois après que M. Brown eut déposé sa plainte. Il y aurait eu médiation. La CCN a commandé une étude d’accessibilité à Robertson Martin et cette étude a été mentionnée à l’audience sous le nom de rapport Robertson. Ce rapport statue rapidement sur l’idée que les édifices situés à côté du site pourraient être utilisés à titre d’accès.

[Traduction]

Les édifices situés à côté de l’escalier York sont des édifices à haute sécurité et, par conséquent, il est impossible de les utiliser pour des ascenseurs, etc. De plus, les heures d’accès seraient limitées.

Le rapport souligne également que la GRC a pris des mesures de sécurité dans le secteur.

[99] Il semble que c’est M. Martin, l’architecte conseil, qui a présidé la réunion du 23 juillet 2002 à laquelle M. Warren a assisté au nom du Comité consultatif municipal. M. Lajeunesse a également joué un rôle de premier plan. M. Lajeunesse a affirmé que, de l’avis de tous, le site Daly était le meilleur endroit. J’accepte qu’il était sincère lorsqu’il a fait cette affirmation. 

(ii) Jerrold Corush

[100] Jerrold Corush est un architecte‑paysagiste. En 1994, la CCN a demandé à sa firme de participer à la conception de l’ambassade américaine ainsi qu’à celles des marches de la rue York. L’ambassade a fait l’objet de deux conceptions en raison des questions de sécurité qui ont été soulevées à la suite de l’attentat à la bombe d’Oklahoma City. 

[101] M. Corush a affirmé dans son témoignage que sa firme avait examiné la question de l’accessibilité. Toutes les solutions de rechange avaient semblé problématiques. On avait rejeté l’idée d’installer une rampe. Il y aurait trop de virages et le nombre de zigzags semblait plutôt  élevé. Les personnes qui utiliseraient la rampe heurteraient les personnes qui montent et celles qui descendent les marches. 

[102] On avait examiné la possibilité d’installer un funiculaire. Un funiculaire est essentiellement une boîte sur roues. On aurait eu besoin d’un opérateur. On était préoccupé par des questions d’ordre opérationnel et par des questions d’ordre sécuritaire. On avait examiné la possibilité d’installer un escalier roulant, lequel devrait être situé à l’intérieur d’un bâtiment. On devrait construire un bâtiment. Cela poserait des problèmes d’entretien.

[103] On avait discuté de l’installation d’un ascenseur. On avait songé à deux endroits où on pourrait installer l’ascenseur. Le premier endroit était situé au fond de l’allée, à côté des marches, et il était alors utilisé par les camions qui allaient et venaient à l’édifice Connaught. Cela posait problème. Les camions avaient besoin de tout l’espace pour pouvoir tourner. De la façon selon laquelle les choses fonctionnaient, les camions heurtaient les murs. L’espace compris entre les marches et l’édifice Connaught était également un espace caché. On ne disposerait pas du personnel suffisant pour assurer la sécurité du lieu.

[104] Les architectes avaient également examiné la possibilité d’installer une tour d’ascenseur sur la promenade Sussex ainsi qu’une passerelle qui mènerait à la rue Mackenzie. Cette idée avait été rejetée en raison de la vue—elle aurait une incidence sur la porosité de la vue—et également parce qu’elle suscitait des inquiétudes quant à la sécurité. La température constituait un autre problème. La passerelle serait exposée à la vue du public mais ce ne serait pas le cas des passants qui l’emprunteraient. Il y avait donc des problèmes en matière de conception et de sécurité avec les deux endroits envisagés pour l’installation d’un ascenseur. 

[105] On avait examiné ces questions en détail. La manière selon laquelle l’ascenseur fonctionnerait avait également été examinée. Par exemple, se servirait‑on de cartes d’accès? Cela serait peu commode. M. Corush estimait qu’un opérateur devrait probablement faire fonctionner l’ascenseur. On avait discuté de la question de la surveillance. La CCDP avait affirmé que les coûts avaient été pris en compte lorsqu’on avait examiné ces questions.

[106] Je crois que l’intimée avait délibérément minimisé l’importance de l’esthétique lorsqu’elle avait pris ces décisions. M. Corush a affirmé dans son témoignage que les architectes voulaient préserver la vue qui englobait la rue York, les marches et la bibliothèque du Parlement. Cette vue créée un lien entre le souverain et ses sujets. Ils désiraient également construire un escalier qui s’harmoniserait avec l’ambassade.

[107] En fin de compte, aucune des solutions envisagées sur le site même ne semblait acceptable. On avait donc examiné ce qui pourrait convenir à l’extérieur du site et on avait conclu que la circulation piétonnière qui provenait du marché se dirigeait vers deux endroits principaux. Il s’agissait du Château Laurier, de la Colline parlementaire, puis du parc Major. Les piétons ont besoin d’un chemin pour se rendre à chacun de ces endroits. Le deuxième chemin existait déjà : si nécessaire, les gens pouvaient faire le tour de l’ambassade américaine et ils arrivaient au coin nord‑est du parc. Le site Daly pouvait servir de premier chemin. 

[108] C’est là où les choses en sont restées. Il n’y avait pas eu de véritable processus de consultation et les architectes s’étaient fiés à leur propre jugement lorsqu’ils avaient recommandé la conception finale. Ils n’étaient pas tout à fait satisfaits de la situation. M. Corush a reconnu que l’utilisation des chemins de rechange prenait beaucoup plus de temps, en raison de la distance, et que cela était particulièrement vrai pour une personne en fauteuil roulant. Il a reconnu que les personnes ayant une déficience seraient délogées par les marches de la rue York. Je crois qu’il s’agit là d’une reconnaissance implicite de l’existence d’un traitement distinct.

(iii) Robert Martin

[109] Les services de Robert Martin ont été retenus par la CCN en avril 2002 afin que celui‑ci étudie la question des marches de la rue York. On a fait cela en réponse à la plainte de M. Brown et en réponse à l’enquête faite par la CCDP sur celle‑ci. La firme de M. Martin, Robertson Martin Architects, est spécialisée en accessibilité universelle. Elle a déjà fait des rapports de recherche et des évaluations de l’accessibilité pour le compte de la CCN. 

[110] M. Martin a effectué un examen détaillé du site et a rédigé un rapport intitulé [Traduction] Étude d’évaluation de l’accessibilité universelle : les marches de la rue York. Ce rapport est daté de juillet 2002 et comprend un certain nombre d’annexes. L’annexe B énumère les sept principes de la conception universelle, lesquels sont conformes aux principes énumérés dans le rapport Rapson. M. Martin a affirmé dans son témoignage que ces principes constituent la meilleure pratique dans le domaine. 

[111] Le groupe d’experts‑conseils qui a rédigé le rapport disposait d’un grand éventail de documents qui avaient trait au site de la rue York. Il disposait notamment des dossiers DAO (dessin assisté par ordinateur) qui ont servi à la construction des marches. Il a procédé à un examen physique du site. Il a effectué une estimation des coûts de type D pour un ascenseur et il est arrivé au montant de 427 000 $. Il s’agit d’une estimation brute, tout au plus, qui comporte une marge d’erreur importante de plus ou moins 20 p. 100.

[112] M. Martin a décrit comme suit l’objet visé par le rapport Robertson : 

[Traduction]

M. Martin : Je crois qu’on avait vraiment le sentiment que les marches avaient été construites et qu’il s’agissait d’une deuxième occasion d’examiner l’ensemble des installations existantes et de voir s’il n’existerait pas de nouvelles technologies ou de nouveaux dispositifs qui n’existaient pas lorsque les marches ont été conçues, puis construites, et dont la CCN ne connaît pas l’existence et dont nous pourrions faire mention dans notre rapport.

Il ressort de la preuve que la CCN désirait préserver la conception initiale des marches. Je crois que c’est probablement l’une des raisons pour laquelle c’était à côté des marches que l’on envisageait d’installer un ascenseur. Il s’agissait de trouver une sorte d’ajout qui règlerait le problème de l’accessibilité, et ce, sans perturber la conception initiale.

[113] La CCN n’a pas simplement demandé à M. Martin d’examiner les réaménagements qui pourraient être faits. Celui‑ci a affirmé dans son témoignage que l’un des principaux objectifs visés par le rapport Robertson était la consultation de la collectivité et des personnes qui avaient besoin d’un accès. 

[Traduction]

M. Martin : L’objectif visé ne consistait pas uniquement à examiner tous les problèmes posés par le site actuel, mais également de faire participer la collectivité et les groupes intéressés au processus de telle sorte que ceux‑ci fassent part de leurs réactions quant aux solutions de rechange possibles et disent si elles sont sensées.

Nous avons communiqué avec un certain nombre de groupes communautaires et nous leur avons demandé de fournir des représentants pour l’étude. La séance d’information directe donnée par la CCN devait être la plus inclusive possible si on voulait obtenir cette orchestration parce que l’étude ne serait pas très utile si elle n’était pas réalisée avec la pleine participation de ces groupes.

La CCN était intransigeante quant à cet aspect du processus.

[114] Le plan visé par M. Martin lorsqu’il a écrit le rapport était de décider quelles solutions de rechange étaient réalistes et de mettre en évidence les avantages et les désavantages présentés par chacune d’elles. Ces solutions de rechange comprenaient l’installation de différentes plate‑formes élévatrices ou l’installation d’un ascenseur, soit sur le site, soit à l’extérieur du site. M. Martin présenterait ensuite ces solutions de rechange aux groupes intéressés et obtiendrait leurs points de vue. Le rapport final tiendrait compte de leurs points de vue. 

[115] La CCDP a fait grand cas du fait que le rapport préliminaire recommandait que l’installation d’un ascenseur sur le lieu des marches constituerait la meilleure façon de fournir l’accessibilité. Une note de service a été envoyée par courriel par Danica Robertson à Sherry Berg, à la CCN, le 17 juin à 13 h 37. Il y était mentionné que l’installation d’un ascenseur sur le lieu des marches de la rue York constituerait la meilleure solution. Mme Berg a répondu à 16 h 39, le même jour, et a demandé que le site Daly soit ajouté à la liste des solutions de rechange figurant dans le rapport.

[116] M. Martin a affirmé dans son témoignage qu’il y avait un problème de sécurité. On a donc examiné les solutions possibles le long du pâté de maisons et on a découvert que le contrat de bail que les promoteurs du site Daly avaient signé prévoyait l’installation d’un ascenseur. Le site serait doté d’un dispositif de sécurité passif. Il y aurait un concierge. Il y aurait également des résidents dans le secteur.

[117] Le rapport préliminaire a été envoyé à des groupes de contact désignés. S’en est suivi la controversée réunion du 22 juillet 2002. Il me semble que la réunion s’est déroulée très rapidement. Les documents ont été envoyés le 18 juillet. Sherry Berg a apparemment conseillé à M. Martin de ne pas inviter M. Brown étant donné qu’il était partie à l’instance engagée devant le Tribunal. Celui‑ci n’a pas non plus été informé de la tenue de la réunion. 

[118] Cinq représentants de la CCN ainsi que deux architectes‑conseils étaient présents à la réunion. Un représentant de l’ambassade américaine était également présent. Je crois que cette présence officielle a influencé les autres participants. Ceux‑ci étaient inférieurs en nombre (quatre contre sept). La preuve donne néanmoins à penser que deux des participants externes furent satisfaits quant aux solutions envisagées. 

[119] Selon M. Martin, les personnes qui étaient présentes à la réunion ont été consultées. Chacune des personnes qui étaient présentes à la réunion a été invitée à donner son opinion. Il semble qu’un certain nombre des représentants de la CCN aient été consultés. Selon M. Martin, il y a eu consensus général. Cette appréciation est très incomplète. M. Warren, pour sa part, a décrit l’exercice dans son ensemble comme ayant été une mise en scène. Cette affirmation est peut‑être trop sévère, mais il semble évident que les résultats avaient été fixés d’avance. 

[120] On a fait une analyse générale des solutions de rechange mentionnées dans le rapport préliminaire. L’installation envisagée d’un ascenseur exigerait qu’il y ait un accès sur le côté du mur de soutènement, à une certaine distance de la rue. Les usagers auraient l’impression d’être dans une ruelle sinistre. Il y a eu un débat durant l’audience quant à savoir quels seraient les endroits où il serait possible d’installer l’ascenseur envisagé. Il existe apparemment une règle fondamentale selon laquelle l’entrée d’un ascenseur doit se trouver au bas des marches auxquelles il est rattaché. M. Brown fut mécontent du fait que ce principe ne fut pas pris en compte. 

[121] C’était la longueur de la passerelle qui poserait un problème du point de vue de la sécurité. Elle devrait être couverte et chauffée afin de protéger les usagers contre les intempéries. Cela aurait pour effet d’attirer les sans-abris, lesquels recherchent naturellement le confort et la protection d’un espace fermé. Cela pose toutefois un problème de sécurité important, notamment dans le cas des personnes ayant une déficience car celles‑ci sont plus vulnérables que les autres personnes dans la société. M. Martin a résumé l’attitude qui régnait à la réunion par la phrase suivante : [Traduction] Vous pouvez installer un ascenseur à cet endroit, mais je ne l’utiliserais pas.

[122] En fin de compte, M. Martin a cru que la proposition du site Daly avait reçu un appui massif. Il a rédigé un procès‑verbal après la réunion et l’a distribué. Il a demandé si on devait apporter des corrections. Aucune demande de corrections n’a été faite. Il y aurait eu un certain nombre de communications ultérieures, mais aucune n’a modifié le consensus auquel on était arrivé lors de la réunion. M. Martin a estimé qu’il n’était pas nécessaire de faire d’autres commentaires.

[123] M. Martin a affirmé dans son témoignage que l’utilisation de l’édifice Connaught poserait de nombreux problèmes internes. On devrait emprunter des marches au premier étage ainsi qu’à l’étage supérieur afin d’accéder à l’ascenseur à partir de la rue. Il a cependant été honnête sur la question. Ces possibilités n’ont jamais vraiment fait l’objet d’un examen.

[124] Après la réunion, M. Martin a rédigé son rapport. J’ai déjà examiné les solutions qui y étaient mentionnées en examinant le témoignage de M. Rapson. Certaines modifications ont été apportées. Le site Daly a été ajouté et en bout de ligne il a été recommandé comme étant la meilleure solution. On a apporté des modifications mineures. La phrase suivante a été ajoutée au paragraphe 2.2 : [Traduction] On a exclu les solutions d’ordre mécanique en raison des coûts élevés de construction et d’entretien ainsi qu’en raison des craintes de vandalisme. Cette phrase a été ajoutée à la suite de la conversation qui avait été tenue à la réunion.

[125] On a apporté une autre modification. Il y a des installations de sécurité à l’ambassade américaine, laquelle est située dans le secteur. Le rapport préliminaire mentionnait que la présence de la GRC dans les environs assurerait la sécurité dans le secteur des marches. M. Martin a plus tard été informé que la police n’était pas là pour assurer la sécurité dans le secteur des marches. Le rapport a donc été modifié.

[126] Les parties ne se sont pas entendues quant aux coûts et quant à l’esthétique. M. Martin a reconnu que des considérations esthétiques sont entrées en ligne de compte. Aucune des solutions de rechange n’a toutefois été discréditée pour ce motif. M. Martin a minimisé l’importance des coûts. On a donné suite à cela en faisant remarquer que la CCN avait choisi la solution la moins onéreuse, c’est‑à‑dire, le status quo. Les marches de la rue York sont demeurées exactement comme elles étaient.

[127] Je suis convaincu que les coûts ont constitué un facteur important. Le rapport fait mention de la nécessité d’assurer l’accessibilité universelle sans imposer un fardeau financier excessif à la CCN.

La moins imparfaite, quoique très problématique, façon d’assurer l’accessibilité universelle sur le site serait de reconstruire le mur sud de l’escalier dans un nouvel endroit afin de pouvoir installer une rampe d’accès à un appareil élévateur. Il faudrait faire une toute nouvelle conception de l’escalier et de la structure, à grands frais pour la CCN, et cela aurait pour conséquence d’introduire des éléments qui pourraient gâcher la vue que l’on a sur la Colline parlementaire à partir du marché By. Compte tenu qu’il y aura un ascenseur accessible 24 heures par jour au site Daly voisin, les coûts globaux de construction liés au déplacement du mur et à l’installation d’un appareil élévateur, ainsi qu’à la destruction de la symétrie de l’escalier et de la vue sur la Colline parlementaire, pourraient être qualifiés d’exorbitants étant donné l’utilisation finale envisagée. Le résultat obtenu pourrait rebuter les utilisateurs.

Je crois qu’il est clair que les coûts et l’esthétique constituent des facteurs importants.

[128] M. Martin a affirmé que la seule solution qui n’était pas réalisable du point de vue des coûts était de reconstruire l’escalier au complet. Les incidences sont inquiétantes. S’il s’agit tout simplement d’une autre façon de dire que l’accessibilité ne peut pas être fournie, alors il ne s’agit pas d’une réponse satisfaisante. La CCN ne peut toutefois pas construire les marches sans fournir un accès, puis tout simplement prétendre que, en raison de la conception des marches, il aurait été trop onéreux de fournir un accès. 

[129] M. Martin n’était pas satisfait de la solution définitive mais il affirme que c’était ce que l’on pouvait faire de mieux dans les circonstances. M. Brown a souligné que M. Martin ne savait pas qu’il y avait une pente entre les marches de la rue York et le site Daly. Cette différence n’aurait de l’importance que pour une personne ayant une déficience. Il était manifestement d’avis que M. Martin n’avait pas tenu compte de l’importance de la distance entre les marches de la rue York et le site Daly. 

(iv) Éric Hébert

[130] Éric Hébert travaille depuis 17 ans à la CCN comme technologue en architecture et comme conseiller en accessibilité. Il connaît bien les principes de la conception universelle et il examine les plans d’aménagement en ce qui a trait aux questions d’accessibilité. Son travail consiste à voir à ce qu’il y ait assez d’espace pour permettre l’accès en fauteuil roulant. Il organise également des ateliers portant sur les mesures d’accommodement destinées aux personnes ayant une déficience. 

[131] M. Hébert est membre du Comité interministériel sur l’accessibilité. Il est également membre d’un comité interne de la CCN qui s’occupe des questions de déficiences physiques, auditives et visuelles. Le comité interne s’occupe des questions d’accessibilité qui sont soulevées lors de la conception et (ou) lors de la rénovation d’édifices. En 1993 et 1994, la CCN lui a demandé d’évaluer l’accessibilité au site de la rue York, puis de faire rapport quant à la possibilité de construction d’une rampe. M. Hébert n’a pas participé à la conception initiale des marches.

[132] La CCN et Travaux publics ont donc tenu une réunion le 22 novembre 1994 afin de discuter des marches de la rue York. M. Hébert a affirmé dans son témoignage que la sécurité constituait la principale préoccupation. Le procès‑verbal de la réunion indique toutefois le contraire. Il y est mentionné ce qui suit :

[Traduction]

[…] les solutions à caractère mécanique ont été écartées en raison des coûts de construction initiaux plus élevés, des frais qu’entraîneraient l’entretien et l’exploitation ainsi qu’en raison des répercussions financières de la rénovation et de l’entretien à long terme.

Cette affirmation donne à penser que les dépenses constituaient la principale préoccupation. En 1999, la CCN a émis une lettre qui étaye cette affirmation. Le procès‑verbal établit également qu’une personne a soulevé l’idée que l’on pourrait peut‑être utiliser l’édifice Connaught. Cette idée est restée sans suite. 

[133] M. Hébert a alors inspecté le site. Il a eu une autre rencontre le 13 décembre 1994, avec deux personnes travaillant à Ressources communautaires pour personnes ayant un handicap et quatre personnes travaillant à la CCN. M. Hébert a déclaré à la réunion que la pente de la colline faisait en sorte qu’il était très difficile d’installer une rampe. La rampe devrait avoir une pente de 8º et être longue de 150 mètres environ. Ces deux facteurs poseraient un problème aux personnes en fauteuil roulant. 

[134] M. Hébert a affirmé qu’il existait d’autres problèmes. La rampe devrait être orientée dans le sens contraire de la circulation des piétons. Il ne s’agissait pas d’une solution viable. Le problème était que cela signifiait qu’il n’y avait aucun accès. M. Hébert a écrit une note de service à M. Kilgour dans laquelle il mentionnait qu’un accès de rechange devrait être installé sur le site même des marches. La note de service mentionnait que le site devrait être totalement accessible. Les parcours alternatifs aux escaliers de la rue York permettront donc à toute la population de jouir de ce site

[135] La sécurité, toutefois, constituait une source de préoccupation, notamment à ce qui avait trait au passage entre les marches et l’édifice Connaught. Une partie du problème provenait du fait que l’ascenseur serait situé dans un espace clos. Il est facile de cacher des choses dans un tel espace. On a discuté de la question de savoir si l’installation d’un ascenseur transparent poserait également des problèmes de sécurité. M. Hébert a affirmé que ce type de préoccupation avait pris naissance après l’attentat à la bombe d’Oklahoma City. On l’a plus tard corrigé et il a cru que c’était un autre attentat à la bombe qui avait suscité ces préoccupations. Cela n’a aucune importance. On ne pensait plus de la même façon. La préoccupation était née. 

[136] On se préoccupait également du vandalisme et de la congestion dans le passage étroit situé entre l’édifice et les marches. Il y avait des camions qui tournaient dans le secteur. On aurait également un problème au sommet de l’ascenseur car les personnes en fauteuil roulant devraient traverser la circulation piétonnière. L’espace pour l’installation d’un ascenseur était très limité. La CCDP a évidemment affirmé que l’espace était limité en raison de la conception des marches.

[137] M. Hébert a affirmé dans son témoignage que, en bout de ligne, c’est pour des raisons de sécurité qu’on a décidé de ne pas installer d’ascenseur. Il était impossible d’assurer la sécurité du site 24 heures par jour. Selon M. Hébert, il s’agissait d’une considération importante car les personnes qui sont incapables de monter les marches sont plus vulnérables que les autres personnes. En contre‑interrogatoire, M. Brown s’est opposé à cette affirmation. Il croit fermement en l’idée d’autonomie, c’est‑à‑dire au droit qu’ont les personnes ayant une déficience de prendre leurs propres décisions sur ces questions. M. Hébert a répondu que l’obligation de la CCN de protéger le public l’emporte sur le droit à l’autonomie.

[138] M. Hébert a affirmé que le promoteur qui a pris le site Daly à sa charge avait affirmé que l’installation d’un ascenseur sur le site pourrait servir de moyen d’accès de rechange. On a discuté des parcours et de la circulation piétonnière dans le secteur. M. Hébert a prétendu que l’installation d’un ascenseur sur le site des marches de la rue York servirait surtout pour l’accès au parc Major. La circulation vers le Château Laurier ou le Parlement serait contrôlée de façon plus efficace au site Daly.

[139] M. Hébert était visiblement inconfortable à la barre des témoins. Bien que sa loyauté aille à la CCN, il a reconnu que les marches de la rue York ne sont dotées d’aucune mesure d’accommodement destinée aux personnes qui sont incapables de monter les marches. Il a reconnu en contre‑interrogatoire que les personnes ayant une déficience devraient être intégrées dans la société. Elles ne devraient pas faire l’objet de ségrégation. Il a reconnu que les marches divisent les gens entre eux.

(v) Katie Paialunga

[140] Katie Paialunga travaille comme directrice administrative au Centre de vie autonome. Ce centre vient en aide aux personnes ayant une déficience qui vivent seules. Sa clientèle est composée de personnes ayant différentes déficiences plutôt que de personnes n’ayant que des problèmes précis de mobilité. Le centre est souvent consulté par le gouvernement et les organismes sociaux en rapport avec des questions concernant les personnes ayant une déficience.

[141] Mme Paialunga est paraplégique et se déplace en fauteuil roulant. Elle a déjà fait des contrôles d’accessibilité et elle connaît bien les principes utilisés dans ce processus. La CCN lui a demandé des conseils quant aux marches de la rue York après que M. Brown eut déposé sa plainte auprès de la CCDP. Elle a assisté à la réunion du 23 juillet 2002 à titre de directrice administrative du centre. 

[142] On ne s’est pas entendu quant à l’opportunité de consulter le Centre de vie autonome et Mme Paialunga en particulier. M. Brown a fait remarquer que le Centre de vie autonome n’est pas un groupe de revendication. Il ne possède aucune compétence particulière en matière de mobilité restreinte. Mme Paialunga a convenu qu’elle n’était pas une porte‑parole. Elle a également convenu qu’elle n’avait pas assisté à la réunion en tant que représentante de la collectivité des personnes ayant une déficience. Elle a tout simplement offert son opinion de personne avertie qui possède une bonne connaissance pratique des besoins des personnes ayant une déficience.

[143] Mme Paialunga estimait que sa participation à la réunion ferait partie du cadre normal de ses tâches. M. Brown l’a contre‑interrogée à ce sujet et a manifestement estimé qu’elle avait assisté à la réunion de son propre chef. Elle n’a discuté de l’affaire avec le conseil d’administration que lorsque le rapport sur l’accessibilité définitif a été publié et qu’elle a su qu’elle témoignerait à l’audience. 

[144] Le procès‑verbal de la réunion du 23 juillet a été déposé en preuve par Mme Paialunga. Elle a déclaré que l’objet de la réunion était de décider quelles étaient les meilleures solutions de rechange parmi celles qui figuraient dans le rapport sur l’accessibilité. Les solutions de rechange ont été présentées par M. Martin. Toutes les solutions de rechange ont été discutées et on a convenu d’un commun accord, après la discussion, que la solution du site Daly serait recommandée. Mme Paialunga n’a pas eu l’impression que M. Martin ou l’un ou l’autre des participants officiels favorisaient une solution en particulier. 

[145] C’est la sécurité qui constituait la plus grande préoccupation. De l’avis de tout le monde, le site Daly était le meilleur site à cet égard. La construction d’un ascenseur sur le site des marches posait des problèmes. Il y avait des camions. Il y avait un passage obscur. Mme Paialunga a affirmé dans son témoignage qu’elle n’aimerait pas emprunter ce passage le soir. Selon elle, une personne pourrait se faire piéger. Elle était également préoccupée par la question du déneigement et par l’utilisation d’un ascenseur extérieur par temps froid.

[146] Un autre problème se posait en rapport avec l’utilisation d’une rampe de service située à côté de l’édifice Connaught, là où on proposait d’installer l’ascenseur. Mme Paialunga estimait qu’il était dégradant de prévoir, dans une entrée de service, un accès pour les personnes ayant une déficience. M. Brown a rétorqué qu’il préférerait utiliser la rampe de service pour avoir accès plutôt que de marcher dans la rue et de faire le tour de l’édifice Connaught. Il a décrit cela comme étant une question d’autonomie.

[147] M. Brown a également contre‑interrogé Mme Paialunga en rapport avec les différences qui existent entre les personnes ayant une déficience. Il a attiré son attention sur l’effort supplémentaire que devrait fournir un quadriplégique, comme lui, pour franchir le site Daly, puis pour emprunter la rue située en haut afin de se rendre au sommet des marches Mme Paialunga a convenu que le degré d’effort exigé pour utiliser le parcours de rechange était l’un des principaux facteurs qui devraient être pris en compte quant à la question de l’installation d’un moyen d’accès. 

[148] M. Vigna a contre‑interrogé Mme Paialunga pour le compte de la CCDP. Il a renvoyé au procès‑verbal de la réunion, lequel donnait à penser que M. Martin avait commencé par faire un résumé des diverses solutions de rechange puis avait informé les participants que, selon lui, le choix du site Daly constituait la meilleure solution. La discussion s’est poursuivie à partir de là. Selon Mme Paialunga, le procès-verbal était trompeur. Elle s’est opposée à l’affirmation de M. Vigna que le choix du site Daly avait été présenté comme constituant la meilleure solution.

[149] On a fait un examen quant à l’ordre précis de ce qui s’était passé à la réunion; je ne propose pas d’en discuter. Elizabeth Norris, une représentante de l’Association canadienne des paraplégiques, aurait affirmé que les experts‑conseils avaient déjà conclu que le choix du site Daly constituait la meilleure solution. Cette affirmation est étayée par le reste de la preuve. Il ressort clairement des témoignages de M. Corush, de M. Lajeunesse et de M. Hébert que la CCN et les architectes‑conseils favorisaient déjà le choix du site Daly. 

[150] Il était probablement inévitable que la position de la CCN serait mentionnée lors de la réunion. J’accepte la position de la CCDP qu’il ressort clairement du procès‑verbal et du rapport sur l’accessibilité que le choix du site Daly a été présenté comme étant la solution privilégiée. Des questions ont néanmoins été soulevées quant aux détails des diverses propositions. Ces questions étaient sincères et interrogatrices. On a échangé des points de vue.

[151] Mme Paialunga a reconnu que les coûts posaient problème. L’esthétique également. Toutefois, c’était la sécurité qui constituait sa principale préoccupation. Elle a affirmé que cela avait été le facteur déterminant quant à la recommandation du site Daly. Cela avait également été la principale considération lorsqu’on avait décidé de rejeter l’idée d’installer un ascenseur dans le passage situé entre les marches existantes et l’édifice Connaught. Les participants à la réunion ont discuté de la possibilité d’utiliser l’ascenseur de l’édifice Connaught, mais cette utilisation était assortie de conditions, car on présumait qu’un agent de sécurité devrait descendre et déverrouiller la porte lorsqu’une personne voudrait utiliser l’ascenseur.

C. Le témoignage de Travaux publics

(i) Idelle Matte

[152] Idelle Matte a été appelée à témoigner par Travaux publics quant aux questions de sécurité concernant le site. Elle travaille comme directrice de la sécurité ministérielle à Travaux publics et elle est responsable de la sécurité physique de tous les édifices gouvernementaux loués au Canada. Mme Matte a affirmé dans son témoignage qu’il y a environ 2 800 édifices. Travaux publics gère environ 2 000 de ces édifices.

[153] Mme Matte possède une formation d’analyste de la sécurité. Elle a suivi une formation de 3 semaines en sécurité donnée par la GRC et elle a reçu une formation en sécurité physique. Elle possède un diplôme de l’American Society for Industrial Security ainsi qu’un diplôme du Collège Algonquin. Elle a été jointe par Raymond Charette, le gestionnaire de l’édifice Connaught, après que la plainte fut renvoyée au Tribunal, et on lui a demandé de faire une analyse de sécurité. 

[154] Le 29 avril 2004, Mme Matte et M. Charette ont fait le tour de l’édifice Connaught et ont fait l’analyse. Ils ont porté une attention particulière à l’ascenseur qui est situé à l’extrémité nord de l’édifice, lequel permet de se rendre au bureau du ministre. Des réserves ont été exprimées quant à la sécurité dans cette partie de l’édifice après la construction de l’ambassade américaine. L’édifice n’a pas été construit en fonction des normes d’atténuation des explosions. On attend par atténuation des explosions, le fait qu’un édifice soit capable de résister à une explosion (une explosion externe) sans s’effondrer. On a également exprimé des inquiétudes quant à la couche de protection des fenêtres de l’édifice.

[155] Il existe quatre niveau de préparation en matière de sécurité dans les installations fédérales. Ces niveaux ont été mis en place après les évènements du 11 septembre 2001. Le premier niveau de préparation en matière de sécurité, la norme minimale, prévoit un contrôle d’accès aux entrées de l’édifice. Il prévoit l’identification. Le deuxième niveau prévoit la présence de gardiens aux entrées et l’identification par la vue. Les visiteurs doivent être escortés. Le courrier doit être scanné. 

[156] C’est le deuxième niveau qui s’applique à l’édifice Connaught. C’est le même niveau qui s’applique aux édifices du Parlement. Mme Matte a souligné que l’édifice est un édifice essentiel à la mission. C’est également un édifice du patrimoine. Ces éléments ajoutent aux préoccupations. En théorie, les membres du public qui utiliseraient l’ascenseur de l’édifice Connaught devraient s’inscrire à la réception et être escortés pour circuler dans l’édifice. 

[157] Il existe néanmoins différentes zones de sécurité. Il peut y avoir, par ordre ascendant, une zone d’accès public, une zone de réception, une zone opérationnelle, une zone de sécurité et peut‑être une zone de haute sécurité. Il se pourrait que cela ait une incidence sur l’utilisation de l’ascenseur.

[158] La note de service préparée par Mme Matte comprenait des commentaires relatifs à l’utilisation de l’ascenseur existant. Il n’y figurait aucun commentaire sur la construction possible d’un autre ascenseur. Mme Matte affirme néanmoins que, si le même puits d’ascenseur était utilisé, ses commentaires seraient les mêmes.

III. Le droit

[159] La présente instance soulève un certain nombre de questions juridiques. On doit répondre à ces questions avant de décider si le bien‑fondé de la cause a été établi. Elles sont également pertinentes quant à la mesure de redressement. 

A. Les marches de la rue York sont‑elles une installation ou un service?

[160] La première question a trait au libellé de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Cette disposition se lit comme suit :

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

  1. d’en priver un individu;
  2. de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture. 1976-77, ch. 33, art. 5.

La CCN prétend que les marches de la rue York ne sont pas visées par cette disposition. Elle prétend, notamment, qu’un escalier n’est ni un service, ni une installation. Les marches sont donc exclues de la portée de la Loi. 

[161] Pour ma part, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’analyser les définitions de ces mots. Je conviens avec M. Harnden qu’on aurait tort de décrire les marches en tant que telle comme étant un service ou une installation. Cela ne met toutefois pas fin à la question. L’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne renvoie à la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement, et c’est le fait de fournir ces éléments qui est visé par la Loi. 

[162] La question juridique portant sur le libellé de la Loi consiste à savoir si la CCN se trouve à fournir un service en construisant et en entretenant les marches. Selon moi, cela ne fait aucun doute. Si les marches elles‑même ne constituent pas un service, elles en fournissent un. Ce service consiste à fournir une assistance physique aux personnes qui désirent monter la colline située entre la promenade Sussex et l’avenue MacKenzie. 

[163] La CCN fournit donc les marches, lesquelles fournissent le service, à tout le moins linguistiquement. Il s’agit d’un acte continu qui relève du champ d’application naturel de l’article 5.  Le service en question est destiné au public. Il s’ensuit que la Loi s’applique et que la CCN n’a pas le droit, en sa qualité de responsable des marches, de défavoriser les personnes ayant une déficience. 

B. L’article 15

[164] La défense habituelle contre une allégation qu’un intimé a omis de fournir une mesure d’accommodement tire son origine à l’alinéa 15(1)g) et au paragraphe 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’alinéa 15(1)g) est ainsi libellé :

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

g) le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s’il a un motif justifiable de le faire.

L’allégation est que la CCN a refusé au plaignant l’accès au service fourni aux marches de la rue York.

[165] Le paragraphe 15(2) précise le sens de l’expression motif justifiable.

(2) Les faits prévus […] sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

La pratique en question est la construction des marches de la rue York sans fournir aucun accès aux personnes qui sont incapables de monter les marches. Cette pratique est un motif justifiable si la fourniture de l’accès constitue pour les intimés une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité

(i) Les facteurs mentionnés au paragraphe 15(2) sont‑ils exhaustifs?

[166] On doit répondre à deux questions précises en l’espèce. La première question consiste à savoir si des facteurs autres que la santé, la sécurité et les coûts peuvent être examinés lorsque l’on décide si la fourniture d’un accès imposerait aux intimés une contrainte excessive au sens du paragraphe 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Je crois qu’il faut répondre par l’affirmative. Les facteurs mentionnés dans le paragraphe ne sont pas exhaustifs. 

[167] La Cour supérieure du Québec s’est prononcée sur la même question dans Syndicat des employées et employés professionnelles et professionnels de bureau, section locale 434 (FTQ) c. Gagnon, [2005] J.Q. no 9368. Dans cette cause, la cour traitait d’une affaire dans laquelle un employé avait été congédié, notamment, en raison d’absence médicale. L’employé a déposé un grief en invoquant expressément les dispositions de l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

[168] Les faits de l’espèce ne sont pas particulièrement utiles. Toutefois, au paragraphe 39 de la décision, le juge Marcelin a conclu que la liste des facteurs mentionnés au paragraphe 15(2) n’est pas exhaustive.

Le paragraphe (2) de l'article 15 est descriptif et non limitatif. Il peut y avoir d'autres critères qui permettent une exigence professionnelle justifiée.

La décision du juge Marcelin semble reposer sur la simple observation qu’il est possible de concevoir des facteurs légitimes d’emploi — c’est‑à‑dire des exigences professionnelles justifiées — qui ne relèvent pas de la santé, de la sécurité et des coûts. 

[169] Une question semblable s’est posée dans Dominion Colour Corp. c. Teamsters, Local 1880 (Metcalfe Grievance), [1999] O.L.A.A. no 688, 83 L.A.C. (4th) 330, où l’arbitre a examiné la disposition équivalente figurant dans le Code des droits de la personne de l’Ontario. La question de fait dans cette cause consistait à savoir si l’employeur était capable de répondre aux besoins d’une employée enceinte qui ne pouvait pas travailler dans un secteur exposé au plomb.

[170] L’arbitre dans la décision Dominion a conclu que les facteurs prévus dans les dispositions législatives pertinentes n’étaient pas exhaustifs. Elle a invoqué, à cet égard, la décision rendue par madame la juge Wilson dans Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 S.C.R. 489. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a exprimé l’opinion que [Traduction] la réaction prévisible de la main‑d’œuvre et l’incidence possible sur le moral général des employés devraient être pris en compte pour décider si une mesure d’accommodement imposerait une contrainte excessive à l’intimé. Un tribunal serait donc appelé à aller au-delà des facteurs mentionnés au paragraphe 15(2).

[171] Dans Central Alberta Dairy Pool, la juge Wilson écrit qu’une énumération de facteurs ne se veut pas exhaustive. Je crois qu’il s’ensuit que toute tentative d’énumération complète des facteurs qui pourraient s’appliquer lorsque l’on décide ce que constitue une contrainte excessive est destinée à échouer. Il s’agit d’une observation importante en l’espèce.

[172] Les facteurs énumérés au paragraphe 15(2) semblent être des facteurs liés à l’emploi. La santé et la sécurité sont des questions relatives au milieu de travail. Le paragraphe n’englobe pas l’éventail de questions et de préoccupations qui sont soulevées dans le cadre de la construction d’édifices, de la préservation de sites historiques et de la fourniture de commodités publiques. Il me semble que les genres de considérations qui sont soulevées dans le cas des marches de la rue York sont tout à fait différents des questions qui sont soulevées dans des cas d’embauche ou de promotion. 

[173] Je ne crois pas que le paragraphe 15(2) exclue la possibilité qu’il existe d’autres facteurs. Le paragraphe 15(2) ne mentionne pas que la santé, la sécurité et les coûts sont les seuls facteurs qui peuvent être pris en compte lorsque l’on décide de la forme de mesure d’accommodement qui doit être prise. Cela est important en l’espèce parce qu’un certain nombre de facteurs qui sont naturellement soulevés dans le contexte de la prise de mesure d’accommodement ne sont pas mentionnés dans le paragraphe 15(2).

[174] Un autre point mérite peut‑être d’être signalé. La Loi canadienne sur les droits de la personne est de nature réparatrice. À mon avis, il s’agit d’une erreur que d’interpréter de façon trop rigide les dispositions qui attribuent la responsabilité aux intimés. L’objectif est d’éliminer la discrimination et non pas de créer des critères artificiels qui ne font que nuire à l’appréciation des droits et des responsabilités qui entrent en jeu dans le domaine. 

(ii) Le mandat de la CCN doit être respecté

[175] La principale préoccupation en l’espèce est que la Commission de la capitale nationale a son propre mandat qui lui est confié par la Loi sur la capitale nationale. Cela soulève des préoccupations légitimes qui doivent être examinées lorsque l’on tranche les questions qui sont soulevées en vertu de l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La portée de ces préoccupations peut être examinée, si nécessaire, à un autre moment.

[176] La Loi canadienne sur les droits de la personne bénéficie d’un statut spécial qui l’exclut du domaine réservé aux lois ordinaires. Les autres lois doivent être interprétées d’une manière conforme à l’objet général et aux dispositions expresses de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La CCN est obligée de s’acquitter de son mandat d’une manière qui est conforme aux obligations de l’État qui sont prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[177] Toutefois, selon moi, un corollaire logique découle de cette affirmation. La Loi canadienne sur les droits de la personne n’est pas isolée des autres instruments juridiques qui peuvent avoir une incidence sur une situation particulière. Selon moi, il n’y a rien dans la Loi canadienne sur les droits de la personne qui annulerait ou atténuerait d’une façon ou d’une autre les responsabilités de la CCN qui sont prévues dans la Loi sur la capitale nationale. Au contraire, je crois que le principe de l’uniformité en interprétation des lois exige que Loi sur la capitale nationale et la Loi canadienne sur les droits de la personne soient interprétées comme étant des lois complémentaires. 

[178] Il s’ensuit que les obligations prévues par la loi de la CCN doivent être prises en compte lorsque l’on décide ce que constitue un accommodement raisonnable au sens du paragraphe 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cela est important parce qu’il est devenu manifeste au cours de l’audience que les facteurs historiques et esthétiques étaient des considérations importantes en l’espèce.

[179] La Loi canadienne sur les droits de personne mentionne que la détermination de ce qui constitue un accommodement raisonnable exige une pondération de facteurs. Cela ne peut être fait qu’après que les parties aient participé à un processus d’accommodement adéquat qui fait ressortir ces facteurs. Si je comprends bien, la CCN croit qu’elle est tenue par la loi d’examiner les facteurs historiques, culturels et esthétiques en décidant comment aménager les sites qui relèvent de son administration.

[180] Je crois que le concept juridique d’accommodement est suffisamment vaste pour comprendre l’idée que l’accès devrait être fourni tout en tenant compte des valeurs architecturales et esthétiques qui entrent en jeu dans le cadre d’un site particulier. J’accepte le témoignage des architectes qu’il est important de protéger le bassin visuel. J’accepte le témoignage que les marches devraient s’harmoniser avec l’ambassade américaine. Ce genre de considération relève des paramètres normaux de projets semblables. 

C. Le critère de la preuve prima facie

[181] La deuxième question soulevée par le paragraphe 15(2) a trait au critère de la preuve prima facie.  J’ai récemment traité de ce critère dans Sosnowski c. TPSGC, 2005 TCDP 47 (2005/12/09) et je n’ai pas l’intention d’en ajouter d’avantage en l’espèce. Néanmoins, il y a lieu d’établir une distinction entre la présente cause et Sosnowski, car la présente cause est soulevée en vertu de l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. 

[182] Selon l’analyse conventionnelle en droit de la personne, le plaignant doit établir une preuve  prima facie de discrimination. La preuve doit démontrer que le plaignant a besoin d’une mesure d’accommodement. Une fois cela établi, c’est à l’intimé qu’il incombe d’établir que la prise de cette mesure lui imposerait une contrainte excessive au sens du paragraphe 15(2). 

[183] J’ai indiqué clairement dans Sosnowski que, selon moi, l’analyse conventionnelle est erronée.  Selon moi, le fardeau fondamental de la preuve – parfois appelé le fardeau de persuasion — dans une cause de discrimination, continue d’incomber à la personne qui prétend, tout au long de l’audience, avoir fait l’objet de discrimination. La partie qui poursuit doit prouver le bien-fondé de sa cause. Le fardeau de la preuve lui incombe toujours. 

[184] Le TCDP adopte une position différente. M. Dufresne m’a renvoyé à Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec Inc., [2003] 3 R.C.S. 228, paragraphe 53, où la Cour suprême semble de toute évidence présumer que le fardeau de la preuve incombe à l’intimé. Le problème est que la Cour ne discute pas sérieusement de la question. De plus, il est manifeste, à la fin de la décision, que la Cour suprême croit que le fardeau de la preuve incombe au plaignant.

[185] Je préfère la position de la CCN. M. Harnden m’a renvoyé à un passage tiré de l’édition en feuilles mobiles de William Pentney, ed., Discrimination and the Law (Thompson Carswell), paragraphe 15.2d)(iii). Dès qu’une preuve prima facie a été établie, M. Pentney écrit ce qui suit concernant le fardeau de la preuve :

[Traduction]

[...] le juge McDonald dans BaseFort Patrol Ltd. c. Alberta Human Rights Commission (1982), 4 CHRR D/1200 a affirmé que c’est à l’intimé qu’il incombe de fournir des éléments de preuve s’il veut éviter qu’une conclusion défavorable soit tirée contre lui. Toutefois, dans un sens secondaire, c’est toujours au plaignant qu’incombe le fardeau de la preuve.

Il est difficile d’imaginer une règle de droit plus fondamentale qui garantit l’équité du processus. 

[186] L’objet initial du critère de la preuve prima facie était de décider, lorsque la partie qui poursuit avait terminé la présentation de sa preuve, s’il y avait une preuve à réfuter. Si une preuve prima facie était établie, la cour décidait alors la cause sur le fond. Selon le juge McDonald, l’intimé devait présenter des éléments de preuve ou prendre le risque qu’une conclusion défavorable soit tirée contre lui. Un intimé qui présente sa preuve présume essentiellement qu’il y a preuve prima facie.

[187] J’ai déjà expliqué cet aspect de l’affaire dans Sosnowski. Le critère de la preuve prima facie a historiquement été utilisé après que la partie qui poursuit a présenté sa preuve. Il n’a jamais été conçu pour être utilisé à la fin de l’instance, après que les deux parties ont présenté leur preuve. Le problème est que l’utilisation du critère à cette étape du processus occulte inévitablement la véritable tâche du Tribunal. Cette tâche consiste tout simplement à décider, eu égard à l’ensemble de la preuve, si le plaignant a prouvé le bien‑fondé de sa cause selon la prépondérance des probabilités. 

[188] On ne sait pas exactement pourquoi une grande partie de la jurisprudence semble adopter la position que le fardeau de la preuve—et, en l’espèce, je parle du fardeau de persuasion—incombe à l’intimé dès qu’une preuve prima facie a été établie. La seule explication qui me vient à l’esprit, c’est que de nombreux tribunaux ont implicitement présumé que le plaignant s’est acquitté d’un certain fardeau de preuve en satisfaisant au critère de la preuve prima facie. Il s’agit d’une erreur manifeste. 

[189] La preuve n’est pas appréciée dans le cadre de la preuve prima facie. Il n’y a aucun fardeau de la preuve. Le plaignant peut avoir une cause douteuse, une cause apparemment non fondée, voir même une cause non fondée et n’avoir aucune difficulté à établir une preuve prima facie. Le plaignant peut continuer et perdre la cause sur le fond même si l’intimé ne présente aucune preuve. Pourquoi, alors, le fardeau de persuasion devrait‑il incomber à l’autre partie? Je ne peux trouver aucune réponse satisfaisante à cette question. Il n’y a rien dans le critère de la preuve prima facie qui suffit à déplacer le fardeau de la preuve et à le faire reposer sur les épaules de l’intimé.

[190] Cela ne change rien aux exigences prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le paragraphe 15(2) n’impose pas un fardeau explicite à l’intimé. Le paragraphe prévoit tout simplement ce qui suit :

(2) Les faits prévus […] sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

Selon moi, cette disposition s’adresse autant au Tribunal qu’aux parties. Elle met en garde les membres du Tribunal de ne pas se livrer à des conjectures.

[191] La défense prévue par le paragraphe 15(2) est tout simplement qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce que l’intimé réponde aux besoins du plaignant. D’un point de vue pratique, un intimé trouvera probablement difficile d’établir cela sans présenter aucun élément de preuve. Même si l’intimé n’a pas le fardeau de la preuve. Il lui incombe toujours de s’expliquer. J’affirme ceci parce qu’il doit exister des causes où il peut être établi que les mesures d’accommodement constitueraient une contrainte excessive sans que l’intimé n’ait à en faire la preuve. 

[192] M. Pentney préfère faire la distinction entre le fardeau de la preuve et le fardeau de présentation de la preuve. Ces deux fardeaux remplissent sensiblement le même rôle. Ils imposent à l’intimé l’obligation de s’expliquer tout en imposant le fardeau de la preuve au plaignant. L’objectif est le même dans les deux cas. Si l’intimé ne fournit aucune explication au sens du paragraphe 15(2), un tribunal peut tirer une conclusion défavorable contre lui. En droit, du moins, ce genre de conclusion peut être interprétée comme étant une preuve positive de discrimination. 

[193] Je ne suis pas certain qu’il y ait une raison d’aller aussi loin. Après tout, si la somme totale des éléments de preuve présentés au Tribunal démontrent que le plaignant a droit à des mesures d’accommodement et que l’intimé n’a fourni aucune explication, je ne vois pas pourquoi le Tribunal rejetterais une plainte. En effet, j’aurais cru que le paragraphe 15(2) exige que la plainte soit étayée.

[194] Il y a peut‑être d’autres manières d’analyser la situation. Je demeure toutefois convaincu que le fardeau de la preuve incombe à la même partie qu’au début du processus. Comme M. Pentney l’écrit dans le même passage : 

[Traduction]

[...] les distinctions qu’il faut faire en l’espèce entre les défenses d’exception prévues par la loi et les autres défenses, et entre le fardeau de la preuve et le fardeau de présentation de la preuve doivent être préservées d’une manière scrupuleuse si on veut que les procédures de la Commission d’enquête répondent aux normes d’équité communément reconnues [...]

Il s’ensuit qu’un tribunal doit éviter d’imposer à l’intimé des obligations de présentation de la preuve qui pourraient avoir pour conséquence de renverser le fardeau de la preuve. 

D. Meiorin : les principes de la conception universelle

[195] Ensuite, une question se pose en rapport avec l’approche générale qui devrait être adoptée en l’espèce. La CCDP m’a demandé d’appliquer les critères énumérés dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, communément appelé l’arrêt Meiorin en raison du nom de la plaignante. Hormis les différences factuelles entre les deux causes, je crois que la présente cause est relativement simple et n’exige pas ce genre d’analyse. 

[196] Un certain nombre des commentaires formulés dans l’arrêt Meiorin sont néanmoins d’application plus générale. Au paragraphe 68, par exemple, la Cour suprême écrit ce qui suit :

En adoptant des lois sur les droits de la personne et en prévoyant leur application au milieu de travail, les législatures ont décidé que les normes régissant l'exécution du travail devraient tenir compte de tous les membres de la société, dans la mesure où il est raisonnablement possible de le faire. Les cours de justice et les tribunaux administratifs doivent avoir cela à l'esprit lorsqu'ils sont saisis d'une demande dans laquelle l'existence de discrimination liée à l'emploi est alléguée. La norme qui fait inutilement abstraction des différences entre les personnes va à l'encontre des interdictions contenues dans les diverses lois sur les droits de la personne et doit être remplacée.

Il existe un point de comparaison dans les normes physiques adoptées par la CCN quant aux installations qui relèvent de son contrôle. 

[197] Toutes les parties ont accepté que les principes de la conception universelle établissent le cadre d’analyse qui devrait être utilisé pour décider quelle forme d’accommodement convient le mieux à un cas particulier. La CCN informe régulièrement les autres ministères fédéraux quant à leur obligation de respect de ces principes. 

[198] Il y a un point de droit ici. Les principes de la conception universelle découlent de la même notion d’égalité qui se trouve au cœur de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il me semble que les principes de la conception universelle peuvent être considérés comme étant une élaboration naturelle de la notion d’égalité, en dehors du droit, dans le domaine de l’architecture et de  l’aménagement. Je ne vois pas pourquoi on ne peut pas leur accorder le même genre de force que la coutume et la pratique reçoivent dans d’autres domaines du droit. 

[199] Il y a une question mineure ici. Il est devenu évident durant l’audience que les principes de la conception universelle peuvent être formulés d’un certain nombre de manières. Cela ne semble pas violer le consensus général qui existe quant aux préceptes fondamentaux qui devraient figurer dans toute compilation de ces principes. Pour les fins de l’espèce, je crois qu’il est préférable de se servir de l’annexe jointe au rapport de M. Rapson dans laquelle figure un résumé utile de ces principes.

E. L’obligation de fournir des mesures d’accommodement : le caractère raisonnable

[200] La jurisprudence qui traite des mesures d’accommodement a mis principalement l’accent sur les exceptions fondées sur la bonne foi. Pour ma part, je crois qu’il est préférable, à tout le moins, de commencer par un énoncé général du droit. Cet énoncé est tout simplement que, en vertu de l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’intimé doit fournir des mesures d’accommodement raisonnable. Il serait déraisonnable d’exiger plus que cela. 

[201] Je souscris à cette position de la CCN sur ce point. Les obligations figurant dans la Loi canadienne sur les droits de la personne ne vont pas au‑delà de l’exigence qu’un intimé fournisse des mesures d’accommodement raisonnables. La CCN est tenue par la loi d’offrir à M. Brown ainsi qu’aux autres personnes qui sont incapables de monter les marches de la rue York une solution de rechange raisonnable. C’est tout ce qu’elle est tenue de faire. 

[202] La Cour suprême du Canada a déjà reconnu qu’il n’existe qu’une seule norme quant à l’accommodement. Dans Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin [1994] 2 R.C.S. 525, page 546. Le juge Cory écrit ce qui suit en renvoyant à la Charte des droits et libertés de la personne :

Il importe de se rappeler que l'obligation d'accommodement est limitée par les mots raisonnable et sans s'imposer de contrainte excessive. Il s'agit là non pas de critères indépendants, mais plutôt de différentes façons d'exprimer le même concept.

Le juge Cory renvoie ensuite à un passage équivalent figurant dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, page 984.

[203] La Cour suprême a indiqué clairement que le concept de contrainte excessive ne crée pas une norme juridique indépendante. La norme juridique est celle du caractère raisonnable. Toute interprétation de l’expression contrainte excessive qui impose un fardeau déraisonnable à un intimé ne peut pas être appuyée.

[204] La difficulté semble résider dans le fait que le caractère raisonnable d’une forme particulière d’accommodement est relatif. Cela dépend de la situation. Le concept de contrainte excessive constitue donc un instrument de mesure qu’un tribunal peut utiliser pour décider si un plaignant en demande trop. 

[205] Je présume que le législateur a choisi la contrainte excessive comme norme décisive parce que la fourniture de mesures d’accommodement entraînera obligatoirement un certain degré de contrainte. Cela est inéluctable. Je ne crois toutefois pas que législateur voulait faire disparaître la norme du caractère raisonnable. C’est la norme du caractère raisonnable qui est décisive et non pas le concept de contrainte excessive. M. Harnden a invoqué la décision Hutchinson c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2003] 4 C.F. 580, dans laquelle la Cour fédérale a conclu que la question de contrainte excessive ne se pose pas si un intimé offre à un plaignant des solutions de rechange raisonnables. Je crois qu’il s’agit là d’une autre façon de dire la même chose.

[206] La décision Hutchinson illustre néanmoins qu’il existe deux moyens de défense. Le premier moyen de défense est que l’intimé a agi d’une manière raisonnable. La CCN prétend en l’instance qu’elle a fourni au plaignant des mesures d’accommodement raisonnables. Le deuxième moyen de défense est que la demande d’accommodement imposerait une contrainte excessive à l’intimé au sens du paragraphe 15(2). L’implication juridique est que cela est déraisonnable. 

[207] La distinction entre les deux moyens de défense semble avoir disparu dans la jurisprudence, laquelle a eu tendance à tout faire reposer sur l’exception prévue par la loi. Il est vrai qu’il y a un chevauchement. La présente instance comprend des éléments des deux moyens de défense. Le principal argument de la CCN est que l’ascenseur du site Daly constitue un accommodement raisonnable. La défense de contrainte excessive est néanmoins là, à l’arrière‑plan. 

[208] Le seul point que je tiens à souligner est que les deux moyens de défense peuvent faire l’objet d’une distinction. Il s’ensuit que le premier moyen de défense n’exige aucune preuve de contrainte excessive. Cela peut paraître avantageux pour un intimé, car c’est au plaignant qu’incombe entièrement le fardeau de la preuve. La différence est toutefois illusoire si le Tribunal fait reposer le fardeau de la preuve là où, selon le droit, il a toujours reposé. 

[209] La question de savoir ce qui est raisonnable dépend des circonstances de l’espèce. On m’a renvoyé à l’édition à feuilles mobiles de The Duty to Accommodate in Employment (Canada Law Book), ed. Kevin D. MacNeill, §. 11:30, où le rédacteur renvoie à des décisions étayant la proposition que la question de savoir ce qui constitue une contrainte excessive exige une pondération de facteurs ainsi qu’un processus d’évaluation. Tous les facteurs pertinents doivent être pris en compte et évalués les uns en regard des autres lorsque l’on décide si une forme particulière d’accommodement est raisonnable. Il me semble qu’il y a une question de proportionnalité liée à ceci. Cela exige un exercice de jugement, ce qui est la responsabilité particulière du Tribunal, et touche à l’essence du processus juridictionnel. 

[210] Ces commentaires ne devraient pas être mal appliqués. On m’a également renvoyé à la décision Re Mount Sinai Hospital and Ontario Nurses’ Association (1996), 54 LAC (4th) 261, dans laquelle l’Association des infirmières de l’Ontario cherchait un poste d’infirmière pour une employée blessée. La formation d’arbitres a jugé, à la page 273, que les coûts de l’accommodement doivent être comparés à l’avantage qui en résulterait, afin de décider s’il constitue une contrainte excessive. Elle a ensuite affirmé que la contrainte serait excessive dans les causes [Traduction] où l’inconvénient éliminé par l’accommodement d’un employé serait négligeable par rapport aux coûts engendrés par son élimination

[211] Ce genre d’analogie n’est pas très utile en l’espèce. La CCN a créé l’inconvénient qu’elle doit maintenant éliminer. On aurait tort de la laisser invoquer sa propre turpitude et prétendre que l’inconvénient est à ce point négligeable que les coûts engendrés par son élimination ne seraient pas justifiés. Il est contraire à l’ordre public de permettre à une partie d’invoquer son propre manquement à la Loi comme moyen de défense contre une plainte de discrimination.

F. L’obligation de consulter

[212] L’obligation d’accommodement comprend l’obligation de consulter. La CCDP a prétendu que la CCN [Traduction] doit démontrer qu’elle a suivi le processus adéquat. Il s’agit probablement de la principale question en litige en l’espèce.

[213] Dans la jurisprudence, la plus grande partie du débat concernant l’obligation de consulter porte sur l’emploi. Par exemple, dans Conte c. Rogers Cablesystems Ltd., (1999) D.T. 4/99, paragraphe 77, le Tribunal a conclu ce qui suit :

Comme la responsabilité du lieu de travail incombe à l’employeur, c’est lui qui doit amorcer le processus d’accommodement. L’employeur est tenu, tout au moins, de procéder à un examen de l’état actuel de l’employé, de son pronostic de guérison et de sa capacité d’exercer d’autres fonctions

Selon moi, cela donne une idée des obligations auxquelles un intimé est tenu dans les causes relatives à l’accessibilité.

[214] L’analogie entre les causes portant sur l’emploi et les causes portant sur l’accès physique est boiteuse. L’obligation d’accommoder un employé découle de la relation juridique qui existe entre un employeur et un employé. Chacune des parties a des responsabilités et des obligations. Les obligations d’un organisme public comme la CCN de fournir l’accessibilité à un parc public sont distinctes et de nature différente. 

[215] La jurisprudence la plus pertinente dans le domaine semble être la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Grismer, répertoriée sous Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868. Dans Grismer, le Surintendant des véhicules automobiles a annulé le permis de conduire du demandeur parce que celui‑ci était atteint d’une maladie appelée hémianopsie homonyme, laquelle a entraîné une perte de presque toute sa vision périphérique du côté gauche des deux yeux. Il était interdit aux personnes atteintes de cette maladie de détenir un permis de conduire.

[216] La question en litige dans cette cause était l’accommodement. Le B.C. Council of Human Rights a ordonné au Surintendant de faire subir à M. Grismer une évaluation individuelle afin de décider s’il avait droit de détenir un permis de conduire et de savoir si le permis devrait être assujetti à des restrictions. La cause a été portée en appel et elle a finalement abouti en Cour suprême, laquelle a appliqué le critère Meiorin

[217] La ratio decidendi de l’arrêt est toutefois plus simple. Au paragraphe 44, la Juge en chef McLaughlin a écrit ce qui suit :

Le présent arrêt ne porte que sur le droit à l'accommodement. On n'y conclut pas que M. Grismer avait droit à un permis de conduire. Il [page894] établit seulement que ce dernier avait le droit d'être évalué. C'est tout ce que le membre a conclu, et c'est tout ce que nous affirmons. La discrimination en l'espèce découle non pas du refus de délivrer un permis de conduire à M. Grismer, mais plutôt du refus de lui donner simplement la chance de démontrer qu'il était possible de l'accommoder sans compromettre l'objectif de sécurité routière raisonnable visé par le Surintendant. 

Le Surintendant des véhicules automobiles n'a posé aucun geste susceptible de constituer une mesure d'accommodement.

[218] La situation dont je suis saisi en l’espèce concerne le public en général plutôt qu’une seule personne. Il existe néanmoins des points communs avec l’arrêt Grismer. M. Brown et la CCDP affirment qu’il n’y a pas eu de véritable enquête sur la situation. Je ne souscris pas à cette affirmation. Je souscris néanmoins à l’affirmation que la CCN n’a pas tenu une série de consultations adéquates.  On n’a pas vraiment permis aux personnes qui avaient besoin de l’accommodement d’exprimer leurs opinions. 

[219] Les points communs avec l’arrêt Grismer sont réels. Au paragraphe 43 de l’arrêt Grismer, la Juge en chef écrit que le Surintendant des véhicules automobiles :

[...] était tenu de donner à M. Grismer la possibilité de prouver qu'il pouvait conduire de façon sécuritaire en lui faisant subir une évaluation individuelle.

Le défaut de consulter M. Grismer et de lui donner l’occasion de se faire entendre était lui‑même discriminatoire. Il s'ensuit que le bien-fondé de l'accusation de discrimination fondée sur la Human Rights Act a été établi.

[220] Je déduis de l’arrêt Grismer que la première obligation d’accommodement est l’obligation de tenir un processus de consultation adéquat. L’intimé doit faire enquête sur l’affaire et doit obtenir les points de vue des personnes qui ont besoin d’accommodement. J’irais même jusqu’à dire qu’il y a un élément de justice naturelle dans ce processus. Il doit y avoir un échange ouvert d’opinions et les personnes qui ont besoin d’accommodement devraient se voir offrir la possibilité de répondre aux préoccupations qui pourraient empêcher l’intimé de fournir l’accommodement qu’elles recherchent. 

[221] La CCN est tenue de se renseigner sur les situations qui sont susceptibles de créer de la discrimination à l’égard des personnes ayant une déficience. Il y a une autre obligation qui est celle d’enquêter sur ces situations et d’examiner à fond les solutions possibles. Cette obligation comprend le devoir de consulter d’une manière transparente et sincère les groupes de personnes qui peuvent être touchées. Il doit y avoir un véritable processus de consultation : les préoccupations et les opinions légitimes de la collectivité doivent être pris en compte lorsque l’on décide quelle mesure d’accommodement il convient de fournir. 

[222] Je réalise que la défense qui m’est soumise est que l’intimé a fourni un accommodement raisonnable. Cela peut ou non avoir une influence sur le devoir de consulter. Je crois néanmoins qu’un certain degré de consultation constitue un élément essentiel de tout processus d’accommodement. Il me semble qu’un intimé devra discuter de la question avec la personne qui demande un accommodement, si ce n’est que pour décider quelle forme d’accommodement il convient de fournir. Quoi qu’il en soit, le processus qui a été suivi en l’espèce était insuffisant. 

[223] J’aimerais faire un dernier commentaire. La CCN a reconnu, en toute justice, que la consultation publique fait partie intégrale de l’aménagement sans obstacle. Elle a également renvoyé à de la jurisprudence qui enseigne que le processus de consultation est un processus de collaboration. Les autres parties doivent se voir offrir la pleine possibilité de participer. Cela est pour le mieux. Toutefois, au bout du compte, l’ensemble des parties doivent reconnaître que la CCN est la responsable des marches de la rue York. C’est à la CCN qu’incombe la responsabilité juridique de prendre des décisions quant à la conception, le contrôle et l’entretien des marches de la rue York.

IV. La responsabilité : les arguments avancés contre la CCN

[224] Les droits de la personne commencent par la reconnaissance que toutes les personnes sont égales. Il s’ensuit que toute analyse de l’espèce doit partir du principe que l’obligation de la CCN de voir à l’entretien et à l’aménagement de la région de la capitale nationale doit être interprétée de manière à ce que les personnes ayant une déficience soient traitées de la même façon que les autres personnes. Tout le monde jouit du même droit d’accès en vertu de l’article 2 de la Loi. 

[225] La CCN est tenue d’accommoder les personnes qui sont incapables de monter les marches de la rue York. Cette obligation comprend l’obligation de consulter, d’une quelconque façon, les personnes, les associations et les groupes qui peuvent exprimer les opinions et les préoccupations de ces personnes. Il n’existe aucune règle stricte quant à savoir qui devrait être consulté. 

[226] La principale question dont je suis saisi en l’espèce, consiste à savoir si le processus de consultation était juridiquement convenable. Il ne l’était pas. Je suis convaincu selon la prépondérance des probabilités que la CCN ne s’est pas acquittée des obligations qui lui incombaient en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il semble injuste d’affirmer que le processus de consultation était déraisonnable. Il semble plus juste d’affirmer qu’il était insuffisant.  

[227] Je suis également convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la CCN a fait preuve de discrimination à l’égard de M. Brown et des autres personnes ayant une déficience. Un certain nombre d’observations contribuent à ces conclusions.

A. Les marches de la rue York ne sont pas accessibles

[228] La première observation est que les marches de la rue York ne sont pas accessibles. Il s’agit d’une conclusion de fait et d’une conclusion juridique. La CCN n’a prévu aucune mesure d’accommodement destinée aux personnes qui sont incapables de monter les marches. M. Brown et les personnes ayant une déficience ne disposent d’aucun moyen, aux marches de la rue York, de monter la colline et d’entrer dans le parc Major. Il y a donc discrimination à leur égard à cet endroit.

[229] Dans ses observations finales, la CCN a laissé entendre qu’il n’était pas nécessaire de rendre les marches accessibles. Les intimés ont prétendu que les piétons qui montent les marches se dirigent en règle générale vers le Château Laurier et la Colline parlementaire plutôt que vers le parc Major. Ces personnes auraient avantage à emprunter le site Daly. Personne ne conteste cela. Même M. Rapson a convenu qu’il serait plus avantageux pour les personnes qui se rendent sur la Colline parlementaire d’emprunter le site Daly. 

[230] La position de l’autre partie est tout simplement que la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit à la CCN de faire une distinction entre les personnes qui sont capables de monter les marches et les personnes qui sont incapables de les monter. La question en litige est la parité. La CCN ne peut pas affirmer que les personnes ayant une déficience n’ont besoin d’aucune mesure d’accès entre la rue York et la promenade Sussex afin d’accéder au parc Major. Si les personnes ayant une déficience n’ont besoin d’aucune mesure d’accès qui mène au parc Major, on peut dire la même chose des personnes n’ayant aucune déficience. L’intérêt public est le même dans les deux cas. 

[231] La question dont je suis saisi est donc très simple. Il s’agit de savoir si la CCN a fait preuve de discrimination à l’égard des personnes ayant une déficience, comme M. Brown, qui désirent avoir un accès au parc Major égal à celui dont jouissent les autres membres du public. La réponse de la CCN est que le site Daly constitue un accès acceptable. Cette affirmation n’est aucunement étayée par la preuve. 

[232] Selon M. Rapson, l’ascenseur du site Daly est situé trop loin. Cela n’est pas équitable et contrevient donc à l’un des principes fondamentaux de la conception universelle. La distance à parcourir—par les personnes qui éprouvent le plus de difficulté à se déplacer—présente un véritable problème. Il me semble que tout fardeau additionnel devrait être imposé aux personnes qui sont le plus en mesure de s’en acquitter.

[233] M. Martin a affirmé que l’utilisation du site Daly exigerait un parcours additionnel de 284 mètres. C’est une distance de 284 mètres que les autres personnes n’ont pas à parcourir. L’installation d’un ascenseur à cent mètres plus loin sur la rue ne constitue pas un accommodement valable. La moitié de cette distance serait trop grande. Je suis convaincu que la Loi canadienne sur les droits de la personne exige que la mesure d’accommodement soit située tout près des marches et non pas située un pâté de maisons plus loin. 

[234] Il s’agit peut‑être d’une question de vocabulaire. Je ne comprends pas comment on peut affirmer que l’ascenseur du site Daly permet à une personne en fauteuil roulant d’accéder au parc Major par le site des marches de la rue York. Certaines choses sautent aux yeux. Le site Daly est un tout autre lieu. L’ascenseur du site Daly peut permettre d’accéder au parc Major à partir de la rue située en bas, mais il serait exagéré d’affirmer qu’il constitue une mesure d’accommodement située sur le lieu même des marches de la rue York. Il n’y a tout simplement aucun accès sur le lieu même des marches de la rue York. 

[235] La preuve révèle vraiment que les personnes ayant une déficience doivent faire un détour que les autres personnes n’ont pas à faire. Elles doivent emprunter un autre chemin et passer par un autre endroit. Il ne s’agit pas là d’une forme raisonnable d’accommodement. La vérité est que la CCN a tout simplement présumé dès le début qu’il suffirait de prévoir un accès sur le lieu du site Daly. Il s’agissait là d’une erreur de droit. Je ne vois pas comment on pourrait affirmer que l’installation d’un ascenseur sur le site Daly répondrait à l’exigence de fourniture d’un accommodement mentionnée dans la Loi canadienne sur les droits de la personne

[236] Les faits de chaque espèce sont différents. Il n’est toutefois pas contesté que la CCN est tenue de fournir un accommodement raisonnable. Je crois que, logiquement, il s’ensuit qu’un intimé devrait fournir l’accès exigé par les personnes ayant une déficience le plus près possible du lieu où celles‑ci en ont besoin. Il serait déraisonnable de faire moins que cela. Tout accès devrait être convenable, situé le plus proche possible et respecter les principes de l’accès universel. 

[237] La question sociale en litige en l’espèce est celle de la séparation. La Loi canadienne sur les droits de la personne repose sur le principe que les personnes doivent être traitées sur un pied d’égalité. Il en découle que les personnes doivent être traitées, autant que faire se peut, de la même manière. Il va à l’encontre de l’esprit de la Loi de séparer les personnes ayant une déficience des autres personnes dans les situations où cela n’est pas nécessaire. Il s’agit d’une question de dignité, physique et psychologique. Cela rappelle aux personnes ayant une déficience qu’elles ne cadrent pas.

[238] Je suis convaincu, compte tenu des faits de l’espèce que l’accès aux marches de la rue York devrait être fourni dans le voisinage immédiat des marches, et probablement sur le lieu même où sont situées les marches. Il y a place à interprétation. Il me semble que, aux fins de la Loi canadienne sur les droits de la personne, on peut considérer que l’édifice Connaught fait partie du même site que les marches de la rue York. 

[239] La preuve donnait à penser, à tout le moins, que la fourniture de l’accès sur le site même où sont situées les marches imposerait une contrainte excessive à la CCN. Cette preuve était toutefois fragmentaire et imprécise. Elle n’était pas suffisante pour constituer une défense. 

B. Le processus de consultation était incomplet

[240] La deuxième observation est que le processus de consultation était incomplet. La CCN était tenue de demander l’avis des groupes ou des associations dont ont peut légitimement affirmer qu’elles représentent les personnes ayant une déficience. Les intérêts de la collectivité des personnes ayant une déficience doivent être pris en compte tout au long du processus de la conception et de la construction.

[241] La CCN a répondu qu’elle avait consulté la collectivité des personnes ayant une déficience dans le cadre de la conception des marches de la rue York. Des réunions ont été tenues avec les parties concernées désignées. Ces parties étaient composées du Comité consultatif sur l’accessibilité de la ville d’Ottawa, de l’Association canadienne des paraplégiques, des Ressources communautaires pour les personnes ayant un handicap et du Centre de vie autonome. On a tenté d’obtenir les opinions de la collectivité des personnes ayant une déficience. Toutefois, en vérité, ces discussions ont été peu nombreuses et incomplètes.

[242] Le processus de consultation ne s’est pas rendu très loin. Il semble avoir été conçu, intentionnellement ou non, pour obtenir l’appui des participants. Une seule réunion, celle du 23 juillet 2002, peut être considérée comme ayant été une consultation adéquate. Le déroulement de la réunion a été critiqué et il n’y a pas eu le processus public transparent auquel on serait en droit de s’attendre dans un tel cas.

[243] La réunion s’est essentiellement déroulée à huis clos. M. Brown n’a pas été invité. La CCN a prétendu que cela s’était déroulé comme l’avait proposé un conciliateur de la CCDP. Je trouve cela difficile à comprendre. Il semble que la CCN ne voulait pas que M. Brown soit présent à la réunion. Il était devenu un adversaire. 

[244] Deux opinions ont été émises quant à ce qui s’est passé à la réunion. Mme Paialunga a affirmé dans son témoignage que tous avaient été d’avis que le site Daly constituait le meilleur choix. Je présume que c’est une question de degré. Aucune  contrainte n’a été exercée, mais il est évident que le processus a été noyauté par les opinions de la CCN et des experts‑conseils. C’est le site Daly qui a obtenu la faveur lors du processus. M. Warren et le Comité consultatif municipal n’ont jamais vraiment eu l’occasion d’exprimer leurs opinions.

[245] Le processus de consultation a été limité par de nombreux facteurs, le principal facteur étant que la réunion du 23 juillet 2002 s’est déroulée en fonction d’un ensemble de postulats erronés. L’un de ces postulats était que l’ascenseur du site Daly constituerait une forme raisonnable d’accommodement. Cela n’était pas discutable. Un autre postulat était qu’il n’était pas question d’utiliser l’ascenseur de l’édifice Connaught. Un autre postulat était que les parties devaient choisir l’une des solutions de rechange mentionnées dans le rapport Robertson. 

[246] Ce genre de limites ne sont pas compatibles avec le genre d’enquête visée par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il ressort clairement du témoignage de Mme Paialunga que, selon elle, on avait le choix entre le site Daly et un ascenseur situé à côté des marches. C’était l’un ou l’autre. Que pouvait‑elle faire? Elle avait des inquiétudes quant à la sécurité d’un ascenseur sur le lieu des marches et elle ne voulait pas perdre le choix du site Daly. 

[247] M. Brown et Mme Paialunga ont discuté de l’aspect philosophique de la question. Selon M. Brown, le principe de l’autonomie devrait l’emporter sur les autres considérations. Si le seul lieu où il était possible d’installer un ascenseur était le lieu situé entre les marches et l’édifice Connaught, alors il approuvait ce choix. L’installation d’un accès au bout d’un passage sombre était préférable à l’absence d’accès. Les personnes ayant une déficience devraient avoir la possibilité de décider si elles veulent utiliser l’accès qui est fourni. 

[248] Il y a une véritable disjonction ici. Je ne vois pas pourquoi on devait choisir entre un ascenseur situé sur le site Daly et un ascenseur situé sur le site des marches de la rue York. L’ascenseur du site Daly était une question distincte. On pouvait en construire un ou non, peu importe ce qu’on ferait sur le site des marches et la CCN avait tort de mettre la collectivité des personnes ayant une déficience devant ce genre de choix. Je suis convaincu que cela a gravement miné la véracité du processus. 

[249] Je ne suis même pas certain de comprendre pourquoi l’ascenseur du site Daly figurerait dans la liste des solutions possibles au problème de l’accès aux marches de la rue York. Je sais que la CCN cherchait un lieu situé dans l’ensemble du pâté de maisons plutôt que de ne chercher qu’à la jonction de la rue York et de la promenade Sussex. Toutefois, ce genre de démarche est généralement inopportune dans le contexte de l’accès, lequel est généralement propre à un site particulier. 

[250] Je réalise qu’il ne s’agissait pas d’une situation facile pour la CCN. En fin de compte, cela n’a pas beaucoup d’importance. La CCN était tenue de consulter les parties pertinentes et de continuer à consulter jusqu’à ce que toutes les solutions de rechange raisonnables soient épuisées. Il est impossible de savoir où aurait mené une série de consultations transparentes, tenues sous le signe de la collaboration. 

C. Le véritable problème réside dans la conception des marches de la rue York

[251] La troisième observation est que le véritable problème réside dans la conception des marches de la rue York. Je crois qu’il s’agissait là de la position élargie prise par les témoins du plaignant et de la CCDP. M. Rapson, par exemple, estimait qu’on avait eu l’occasion de se pencher sur les questions de l’accessibilité lorsque les nouvelles marches ont été conçues. Il s’agissait d’une occasion manquée

[252] M. Warren a également affirmé dans son témoignage que le site Daly avait été présenté comme étant la seule solution viable lors de la réunion du 23 juillet 2002. Cela était frustrant parce que cela ne réglait pas le véritable problème, lequel était l’omission de construire un escalier accessible. L’installation d’un ascenseur sur le site Daly était la meilleure solution qui a été présentée, mais seulement [Traduction] parce que les marches n’avaient pas été conçues de manière à ce qu’elles soient accessibles par tous lorsqu’elles ont été construites. Aucune des solutions de rechange présentées lors de la réunion de juillet 2002 ne réglaient le véritable problème, lequel était la conception initiale des marches. Le Comité consultatif municipal, ou qui que ce soit d’autre, ne pouvait pas faire grand‑chose. 

[253] Je crois que les témoignages de M. Hébert et de M. Martin confirment cela. La CCN, pour sa part, a essentiellement admis que les marches de la rue York avaient été construites sans que l’on ne prévoit un accès, et ce, parce qu’on croyait vaguement qu’on installerait probablement un ascenseur sur le site Daly. Cela prouve tout simplement le point que la CCN était prête à construire les marches sans prévoir d’accès pour le motif qu’elle pourrait éventuellement corriger la situation d’une quelconque façon. Il me semble que cette idée contrevient explicitement à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.  

[254] Le problème a été aggravé par la conduite ultérieure de la CCN. Bien que des consultations furent tenues après le dépôt de la plainte, M. Martin a affirmé dans son témoignage qu’il n’était pas question de refaire les marches. C’était impensable. Cela ne ferait tout simplement que masquer le véritable problème. Le problème posé par les solutions de rechange présentées à la réunion du 23 juillet 2002 était vraiment secondaire. Si l’ascenseur envisagé était, par exemple, situé au bout d’une allée sombre et était susceptible de présenter un danger, c’est la conception des marches qu’il faudrait blâmer. Le problème réside dans la construction initiale. 

[255] Je tiens à être juste. Il ressort clairement du témoignage de Jerrold Corush que la CCN a étudié le problème de l’accès lorsque les marches ont été construites. Le problème est qu’elle a fait cela par elle‑même sans tenir une série de consultations adéquates et sans évaluer la pleine portée des obligations qui lui incombaient en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces obligations existaient là où se trouvaient les marches : la décision d’utiliser un ascenseur situé sur le site Daly était vraisemblablement une manière de se soustraire à ces obligations.

[256] Aucune des parties ne conteste le fait que les marches de la rue York ont été construites sans qu’un accès ne soit prévu. C’est là où la discrimination réside et je ne vois pas comment le fait de prévoir un parcours de rechange qui passe par le site Daly corrigerait ce problème. Même si l’aménagement du site Daly avait corrigé la situation—ce qui n’est pas le cas—la CCN a fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant durant la période de temps comprise entre l’achèvement de la construction des marches et l’installation de l’ascenseur sur le site Daly. 

D. Conclusions

[257] J’ai tiré les conclusions suivantes. Les marches de la rue York sont une infrastructure publique qui a été construite dans un lieu de premier plan pour l’usage des visiteurs et des résidents. L’un des avantages qu’elles procurent est l’accès au parc Major, lequel offre une vue panoramique sur les écluses du canal Rideau et sur la Colline parlementaire. Aucun accès n’a été prévu pour les personnes ayant une déficience. 

[258] La CCN a exigé qu’un ascenseur soit installé sur le site Daly. Il y avait des avantages à utiliser le site Daly. L’ascenseur pourrait être utilisé 24 heures par jour. Le site de la rue York est plus exposé aux éléments que le site Daly; le site Daly serait plus sécuritaire et probablement plus pratique pour les personnes qui désirent visiter la Colline parlementaire. Tout cela n’est pas pertinent. La situation aux marches est demeurée telle qu’elle était avant que le site Daly ne soit construit.

[259] Le passage par le site Daly constitue plus qu’un simple détour. L’accès fourni par l’ascenseur du site Daly oblige les personnes qui ont de la difficulté à marcher à, par exemple, faire le tour de l’édifice Connaught. Où donc est l’équité ou la logique dans tout ceci? Il y a peut‑être un ascenseur au milieu du détour, mais le détour en lui‑même constitue une injustice et ne constitue pas une forme raisonnable d’accommodement. 

[260] Les marches de la rue York constituent un obstacle pour les personnes ayant une déficience. Il est évident que les personnes qui sont incapables de monter les marches ne jouissent pas du même accès au parc Major que les autres personnes. La CCN n’a prévu aucun accommodement raisonnable. Par conséquent, je conclus que la CCN, en construisant et en entretenant les marches, a fait preuve de discrimination à l’égard de M. Brown et des personnes ayant une déficience, et ce, au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

[261] M. Corush a affirmé dans son témoignage que le projet de la rue York et de la promenade Sussex visait à permettre aux personnes de gravir la colline. Les marches complétées invitent les visiteurs et les résidents à monter la colline et à examiner le parc, le panorama qu’il offre et l’enceinte des édifices du Parlement. C’est la CCN qui a invité le public à venir profiter de ce lieu. En vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, elle doit étendre cette invitation aux personnes qui sont incapables de monter les marches. 

[262] La jurisprudence reconnaît qu’il est impossible de décider quelle forme d’accommodement est adéquate sans tenir un processus d’enquête et de consultation qui explore la question. Des questions d’ingénierie doivent être examinées. Des questions d’ordre esthétique, historique et sécuritaire se posent également. Il arrive un moment où, à tout le moins, les coûts doivent être examinés. 

[263] Les consultations qui ont eu lieu dans le passé n’ont pas été suffisantes. Elles n’ont pas permis d’examiner convenablement le problème. Elles n’ont pas donné au public ou à la collectivité des personnes ayant une déficience une véritable occasion de contribuer au processus. Elles n’ont pas fait preuve du niveau d’engagement qui caractérise un véritable processus de consultation. La partie qui a la responsabilité de trancher la question doit être prête à changer ses opinions ou à modifier sa manière d’aborder le problème.

[264] L’élément important à cette étape tardive est qu’il faut corriger la situation. Je crois, en outre, que la solution est relativement simple. La CCN doit retourner au processus d’accommodement et poursuivre ses consultations. Les autres parties sont juridiquement tenues de participer sincèrement et honnêtement aux négociations. À ce stade, à tout le moins, il n’appartient pas au Tribunal de décider ce que constituerait un accommodement raisonnable.

[265] Ce point mérite d’être souligné. La CCN est toujours le véritable propriétaire du site. Elle jouit de tous les privilèges exclusifs qui vont avec cette propriété. Au bout du compte, c’est la CCN qui a la responsabilité, voir même le privilège de décider de l’accommodement adéquat. Cela ne diminue pas ses obligations. Le processus d’accommodement doit être un processus de collaboration.

V. La responsabilité : les arguments avancés contre Travaux publics et services gouvernementaux

[266] Je suis également convaincu que, selon la prépondérance des probabilités, le fait que Travaux publics et Services gouvernementaux n’ait pas participé pleinement au processus visant à accommoder M. Brown constitue un comportement discriminatoire. Il s’agit d’une violation de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Travaux publics a soulevé un certain nombre de questions dans sa défense. 

A. Travaux publics n’est pas à l’abri d’une conclusion de responsabilité

[267] La première question est préliminaire et demande une explication. M. Rapson a affirmé dans le témoignage qu’il a rendu au début de l’audience que l’édifice Connaught, lequel appartient apparemment à Travaux publics, constituait le moyen naturel de fournir l’accès au site. Cela a amené la CCDP à demander par requête que Travaux publics soit constitué partie à l’instance. J’ai accueilli cette requête. 

[268] Dans ses observations écrites, Travaux publics a maintenant adopté la position qu’il n’était pas partie au litige initial. Il prétend que cela empêche le Tribunal de tirer une conclusion de responsabilité à son égard. M. Lester fait ensuite valoir que le plaignant et la CCDP ne peuvent exercer aucun recours contre Travaux publics sans qu’une conclusion de responsabilité ait été tirée. 

[269] J’ai déjà traité du premier point en constituant Travaux publics et Services gouvernementaux Canada partie à la plainte. L’alinéa 48.9(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit clairement l’adjonction de parties. Je soulignerais que l’audience a été ajournée et que Travaux publics a eu beaucoup de temps pour se renseigner sur les faits et les détails de la cause. Il ne peut plus se plaindre qu’il a été lésé par le fait qu’il n’était pas partie au litige initial. 

[270] La Loi canadienne sur les droits de la personne met l’accent sur le redressement. Si cela signifie qu’il faut faire intervenir un organisme d’État, dans les circonstances qui me sont soumises, je crois que la Loi m’ordonne de le faire. Le but visé par l’adjonction de Travaux publics comme cointimé est de voir à ce que toutes les solutions possibles au problème puissent être adéquatement examinées. L’édifice Connaught ne peut pas être pris en compte comme lieu d’accès à moins que Travaux publics ne soit constitué partie à l’audience. 

[271] J’accepte néanmoins la prétention de Travaux publics quant au deuxième point. Je crois que M. Lester a bien interprété le paragraphe 53(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lequel n’accorde au Tribunal que le pouvoir de rendre une ordonnance contre la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire. Toutefois, cela ne fait que réorienter l’instruction et soulève la question de savoir si le fait de ne pas avoir aidé la CCN et, en bout de ligne la CCDP, à régler la plainte suffit pour fonder une conclusion de responsabilité. Je crois que oui. 

[272] La Cour fédérale n’a eu aucun problème à conclure à la responsabilité d’un syndicat dans Goyette c. Voyageur Colonial Ltée, [1999] A.C.F. no 1678; 2000 CLLC 230-021, pour le motif que celui‑ci avait négocié des ententes discriminatoires avec l’employeur. Le juge Pinard a invoqué la décision rendue par la Cour suprême dans Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, page 989, dans laquelle il fut mentionné qu’un syndicat qui est à l’origine de l’effet discriminatoire ou qui y contribue encourt une responsabilité

[273] Je crois que la décision rendue dans Goyette reflète le fait qu’il y a des situations où il est impossible de traiter une plainte adéquatement sans faire intervenir une tierce partie. Je ne voudrais pas aller trop loin. La solution de rechange n’est toutefois pas satisfaisante. Je ne voudrais pas accepter comme principe qu’il y a des cas où aucun accommodement ne peut être fourni, malgré le fait qu’il soit facile d’en fournir un grâce à des moyens externes aux parties. Travaux publics peut se consoler en raison du fait que ce à quoi on peut raisonnablement s’attendre de la part d’une tierce partie peut être moins que ce à quoi on peut s’attendre du principal intimé. 

[274] Il y a deux possibilités en l’espèce. L’une est qu’il existe un devoir général de faciliter l’accommodement. Le défaut de s’acquitter de ce devoir suffit à établir le bien‑fondé d’une plainte contre une tierce partie. Selon cette interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il est suffisant que Travaux publics ait refusé de collaborer avec les autres parties afin d’évaluer s’il était réalisable d’utiliser l’édifice Connaught. La responsabilité de Travaux publics se limite peut‑être au défaut de collaborer; il demeure néanmoins qu’il est responsable. 

[275] Il n’est toutefois pas nécessaire d’aller si loin en l’espèce. L’autre possibilité est qu’il existe un lien suffisant entre Travaux publics et la CCN pour imposer une obligation spéciale à Travaux publics. Je reconnais que les deux organismes, si je peux utiliser cette expression, sont des entités juridiques distinctes. Elles sont néanmoins toutes les deux des créations de l’État et servent l’intérêt public. 

[276] Il existe un principe en droit qui veut que la Couronne est indivisible. Je crois que l’idée derrière ce principe est utile, du moins par analogie, dans les circonstances de l’espèce. Le facteur déterminant est que l’État est dans un certain sens le véritable propriétaire des marches de la rue York et de l’édifice Connaught. L’administration des deux parcelles de terrain se trouve peut‑être dans des mains distinctes, mais le bien et l’objet de la propriété sont dans un certain sens la même chose.

[277] Les personnalités juridiques de la CCN et de Travaux publics et Services gouvernementaux proviennent d’une certaine manière de la même source. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, je crois que le lien entre la CCN et le ministère des Travaux publics est suffisant pour que l’on exige que le ministère ait aidé la CCN dans son enquête relative au choix possible de l’édifice Connaught comme lieu d’installation d’un ascenseur. Nous avons le choix entre donner effet aux droits fondamentaux de la personne ou permettre qu’ils soient brimés par la division technique de la propriété.

[278] Il me semble que, en l’espèce, la fourniture de l’accessibilité est une obligation qui est liée, d’une certaine manière, au bien en question. L’État est d’une certaine manière le véritable propriétaire des marches de la rue York et de l’édifice Connaught et c’est l’administration de ces deux biens—je dois le dire, dans l’intérêt public général—qui a été mise en doute en l’espèce. Je crois que cette propriété peut être déduite de la preuve malgré que le sujet n’ait pas été traité aussi longuement qu’il aurait dû l’être à l’audience. 

B. Il est trop tard pour se plaindre d’une irrégularité dans le processus

[279] Travaux publics prétend de plus qu’il y a un déni de justice naturelle. Cet argument est fondé sur le fait que la CCDP n’a pas fourni les précisions appropriées.

[280] Je ne vois aucun préjudice en l’espèce. Les questions posées par l’avocat de la CCDP tout au long de l’audience étaient simples et directes. L’allégation est que Travaux publics a refusé de participer aux efforts des autres parties afin de trouver un moyen de fournir un accès sur le lieu des marches. Les faits sont peu nombreux parce que Travaux publics a refusé de participer à l’enquête tenue en vertu de la Loi

[281] L’argument de Travaux publics est tardif. Le sujet aurait dû être soulevé beaucoup plus tôt. J’estime que Travaux publics a renoncé à tout droit de présenter des objections en choisissant de ne pas soulevé la question avant la fin du processus alors qu’il était trop tard pour corriger la lacune. Quoi qu’il en soit, toute lacune a été corrigée par l’échange de nombreuses observations de la part de l’ensemble des parties. 

[282] Le seul aspect de ces observations faites par Travaux publics que j’accepterais est que la CCDP est allée trop loin lorsqu’elle a prétendu que Travaux publics avait fait preuve de discrimination à l’égard de M. Brown en ne fournissant aucun accès par l’édifice Connaught. Selon la preuve et selon les précisions, cela va trop loin et il est prématuré d’affirmer si Travaux publics est tenu de permettre l’utilisation de ses installations à des fins d’accessibilité. 

C. Le bien‑fondé des arguments avancés contre Travaux publics

[283] Je n’accepte pas l’observation de l’avocat que Travaux publics a sérieusement examiné la possibilité de permettre l’accès public par le biais de l’édifice Connaught. La faute incombe complètement à Travaux publics. La lettre émanant de M. Charette, le gestionnaire de l’édifice, a essentiellement empêché toute discussion de la question. 

[284] Travaux publics a présenté une preuve à l’audience en rapport avec ses inquiétudes en matière de sécurité. Cette preuve était toutefois nouvelle et les parties n’ont pu y avoir accès que lorsque Travaux publics a été constitué partie à la plainte. Le ministère a néanmoins adopté une position cohérente. Il a affirmé ce qui suit dans ses observations écrites :

[Traduction]

La principale préoccupation de Travaux publics en ce qui concernait l’accès par le biais de l’édifice Connaught était que les problèmes de sécurité ne pouvaient pas être traités adéquatement.

Cette affirmation a été mise en évidence par le témoignage de Mme Matte. 

[285] Les observations donnent ensuite à penser que les membres du public auraient dû se soumettre à [Traduction] diverses mesures de sécurité, notamment à un contrôle de sécurité, à l’identification personnelle, au port d’un laissez-passer et à la vérification des bagages. Il y aurait un risque pour la sécurité si les employés de l’Agence du revenu du Canada utilisaient le même ascenseur que les membres du public. On a également témoigné en rapport avec un certain nombre de problèmes architecturaux et physiques qui font en sorte que l’on ne peut pas utiliser l’édifice Connaught. 

[286] Ces préoccupations ainsi qu’une série d’autres considérations doivent être soupesées et évaluées lorsque l’on décide s’il conviendrait d’utiliser l’édifice Connaught pour fournir l’accès aux marches de la rue York. Le problème est que Travaux publics a traité ces problèmes comme étant un obstacle juridique à toute discussion relative à la possibilité d’accommodement. Je rejette cette position. On ne peut pas se soustraire aussi facilement au processus d’accommodement envisagé par la Loi canadienne sur les droits de la personne et la jurisprudence. 

[287] Le plaignant et la CCDP ont droit à une conclusion de responsabilité. On a le sentiment, à tout le moins, que cette conclusion est préliminaire. M. Lester et Mme Kikuchi ont déclaré ce qui suit dans leurs observations :

[Traduction]

[...] avant que la solution de l’édifice Connaught ne puisse être examinée à bon droit comme étant un accommodement raisonnable ou une solution efficace, il est évident qu’un processus de consultation avec les divers intéressés doit être entrepris. 

Les parties doivent négocier davantage. 

[288] Je suis convaincu que, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, Travaux publics et Services gouvernementaux est tenu par la loi de participer aux efforts de la CCN visant à régler le problème dans son ensemble. Bien que je ne me prononce pas quant à la question de savoir si l’édifice Connaught devrait être utilisé pour fournir l’accès aux marches de la rue York, cette possibilité n’est pas écartée. Elle devrait être examinée ouvertement et correctement, sans conditions. Je vais laisser aux parties le soin de décider jusqu’où cet examen devrait aller. 

[289] Je mettrai de côté la question de savoir si la CCN peut être tenue responsable, dans une certaine mesure, de ne pas avoir enquêté davantage. Je ne vois néanmoins pas, compte tenu de la preuve qui m’est soumise, comment la CCN pourrait s’acquitter de son obligation légale d’enquêter sur la possibilité d’accommodement sans enquêter sérieusement sur l’utilisation possible de l’édifice Connaught. Il me semble que la CCN et la CCDP auraient dû insister beaucoup plus énergiquement pour que Travaux publics participe au processus d’accommodement. 

VI. Les questions relatives au redressement

[290] Il appert clairement de la jurisprudence que le Tribunal a le pouvoir de superviser la partie de ses audiences qui a trait au redressement. Il s’agit d’une partie normale de son processus. Je garde donc compétence pour examiner les questions découlant de la présente décision et de la question du redressement. 

[291] Si je comprends bien, M. Brown demande ce qui suit :

  1. une ordonnance portant que la CCN rende accessibles les marches actuelles de la rue York;
  2. des excuses écrites;
  3. une indemnité pour préjudice moral;
  4. une vérification de l’accessibilité de l’ensemble des installations administrées par la CCN;
  5. des séances de formation pour l’ensemble du personnel de la CCN qui travaille sur les questions d’accessibilité.

[292] La CCDP demande ce qui suit :

  1. une lettre d’excuse adressée à M. Brown;
  2. des dommages‑intérêts pour douleurs et souffrances;
  3. des dommages‑intérêts pour les dépenses encourues;
  4. une ordonnance portant que le site soit adapté aux fauteuils roulants;
  5. une ordonnance portant que la CCN travaille de concert avec la CCDP à l’élaboration d’une politique en matière d’accessibilité.

[293] Un certain nombre de questions sont soulevées en l’espèce. Selon la décision Stevenson c. Canada (Service canadien du renseignement de sécurité), [2003] A.C.F. no 491, je ne peux pas ordonner que l’on présente des excuses. En règle générale, je crois que la question de l’indemnité pour souffrances et douleurs devrait être tranchée rapidement. Je ne sais pas au juste si la CCDP parle au nom de M. Brown quant à la question de l’indemnité et des dépenses. 

[294] Les parties doivent m’informer par écrit quant à la manière selon laquelle elles désirent procéder. La demande de délivrance d’une ordonnance portant que la CCN rende accessibles les marches de la rue York est prématurée. Comme je l’ai mentionné, je crois qu’il est suffisant de préparer une ordonnance formelle portant que la CCN retourne au processus de consultation, relève les solutions de rechange possibles et propose une quelconque forme d’accommodement raisonnable. Les autres parties auraient le droit de revenir devant le Tribunal afin d’obtenir des directives si elles estiment que la CCN a refusé d’examiner les solutions de rechange raisonnables. 

[295] Ces consultations comportent un aspect politique. Le public doit être invité à participer aux consultations. Il est permis de penser que le Comité consultatif municipal, M. Brown et la CCDP devraient participer à part entière au processus. D’autres parties, des ministères et des personnes pourraient également être consultés, que ce soit des personnes responsables de la sécurité dans le secteur ou des représentants de l’ambassade américaine. C’est à la CCN qu’il appartient en bout de ligne de décider quelles personnes devraient être invitées à participer au processus, sous réserve des objections que pourraient formuler les autres parties. 

[296] Je dois faire une autre remarque. Il me semble que le processus de consultation ne peut être engagé qu’en prenant pour acquis qu’une forme quelconque d’accommodement peut être fournie sur le lieu des marches. La seule question consiste à savoir quelle forme d’accommodement est raisonnable. Si l’une ou l’autre des parties a des problèmes avec cette compréhension de la situation, elles devraient demander au Tribunal de formuler des directives supplémentaires. 

[297] Les parties sont tenues d’agir de bonne foi. Elles sont tenues par la loi de tenter d’en arriver à un consensus dans un délai raisonnable. Si des questions sont soulevées quant au processus qui devrait être suivi pour régler l’affaire ou si les parties ont besoin qu’on leur donne des directives sur une question précise, elles peuvent s’adresser au Tribunal pour que celui‑ci leur donne ces directives.

VII. Résumé des principales conclusions

[298] L’affaire est tellement complexe qu’il peut être utile de résumer les principales conclusions et les principales directives formulées dans la présente décision. Elles sont les suivantes :

  1. Le bien‑fondé de la plainte contre la CCN a été établi. Les marches de la rue York ne sont pas accessibles. Il s’agit là d’une violation de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il n’a pas été établi que le fait de les rendre accessibles imposerait une contrainte excessive à la CCN.
  2. Travaux publics et Services gouvernementaux Canada n’a pas participé au processus d’accommodement. Il s’agit là d’une forme de comportement discriminatoire. Le bien‑fondé de la plainte déposée contre Travaux Publics a donc été établi. Le lien qui existe entre la CCN et Travaux publics, lesquels sont tous les deux des créations de l’État, est suffisant pour que l’on exige la participation de Travaux publics. 
  3. L’installation d’un ascenseur sur le site Daly ne permet pas de satisfaire à l’obligation de l’État d’accommoder M. Brown ainsi que les autres personnes qui sont incapables de monter les marches. 
  4. La CCN est tenue par la loi de fournir un accommodement dans le voisinage immédiat des marches sans subir de contrainte excessive. Ce voisinage comprend le côté nord de l’édifice Connaught.
  5. L’obligation d’accommodement comprend l’obligation de participer à un véritable dialogue avec la partie qui exige un accommodement. Il existe une obligation de faire des enquêtes et de consulter les autres parties. 
  6. La CCN était tenue d’examiner la possibilité d’utiliser l’édifice Connaught. Travaux publics était tenu de collaborer à l’enquête. Les deux intimés n’ont pas respecté leurs obligations. Je suis convaincu que Travaux publics est seul responsable du fait qu’il n’a pas collaboré avec les autres parties afin de rendre les marches accessibles après le dépôt de la plainte
  7. Cela m’amène à la situation actuelle. La CCN est tenue de rendre les marches de la rue York accessibles, jusqu’au point mentionné dans la Loi. Ce faisant, la CCN est tenue de consulter M. Brown, la CCDP et la collectivité des personnes ayant une déficience en général. Le processus de consultation devrait être transparent et sérieux. Aucune décision ne devrait être prise avant que la consultation n’ait eu lieu. 
  8. Travaux publics est tenu par la loi de participer au processus de consultation. 
  9. M. Brown et les autres participants au processus de consultation sont tenus de participer d’une manière sincère au processus, de faire part aux intimés de leurs préoccupations et d’accepter une offre raisonnable d’accommodement.
  10. Le mandat prévu par la loi de la CCN doit être respecté. Tous les participants au processus de consultation doivent être conscients des préoccupations légitimes de la CCN en ce qui a trait aux conséquences de l’accommodement sur le plan symbolique, esthétique, historique et financier. Selon moi, les facteurs mentionnés au paragraphe 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne sont pas exhaustifs.
  11. Les consultations qui ont eu lieu en 1994 et en 1999 ont été limitées et insuffisantes. Ce ne fut pas le genre de processus approfondi et détaillé que la loi exige. L’exemple le plus évident de ceci est le fait de ne pas avoir sérieusement examiné la possibilité d’utiliser le puits d’ascenseur situé à l’extrémité nord de l’édifice Connaught. D’autres questions devraient également être examinées, comme le lieu précis de l’installation envisagée d’un ascenseur sur le lieu des marches. 
  12. Je suis convaincu que la CCN croyait sincèrement que l’installation d’un ascenseur au site Daly constituerait un accommodement raisonnable. Cela explique peut‑être pourquoi la CCN n’a pas entrepris en 1994 et 1999 le genre de discussion transparente et exploratoire que la loi exige. M. Brown, M. Warren et M. McMahon, lesquels sont tous incapables de monter les marches, ont estimé que la CCN avait eu une attitude condescendante. 
  13. Il est trop tôt pour faire des commentaires sur le genre d’accommodement qui serait convenable. L’expertise qui est exigée en matière d’architecture, de planification, d’accès et de sécurité appartient aux parties, lesquelles devront retourner à leurs discussions et décider quelle forme d’accommodement est exigée. Les parties doivent annexer un calendrier des consultations dans l’ordonnance formelle. 
  14. Je tiens à préciser que les intimés ne sont tenus que de fournir un accommodement raisonnable. Il n’est pas inutile de le répéter. La norme est celle du caractère raisonnable. Le renvoi à l’expression contrainte excessive qui figure dans la Loi canadienne sur les droits de la personne ne modifie pas cette norme. 
  15. Il est également clair que la CCN n’est pas tenue d’accommoder le plaignant et les personnes ayant une déficience si l’accommodement en question lui imposerait une contrainte excessive.
  16. Si le plaignant et la Commission estiment que les intimés ne se sont pas acquittés de l’obligation qui leur incombait de consulter ouvertement et sincèrement les autres parties ou qu’ils ont agi de manière déraisonnable, ils ont droit de s’adresser à nouveau au Tribunal. Toutes les parties ont le droit de demander l’aide du Tribunal s’il arrive que des questions soulevées exigent que celui‑ci donne des directives. 
  17. Les parties doivent donc retourner à leurs négociations. Dès que ces négociations seront terminées et que la CCN aura décidé quel accommodement elle est disposée à fournir, elle doit envoyer aux autres parties une lettre d’intention officielle, ou autre avis, quant à la mesure envisagée, dans laquelle elle expose ses plans visant à corriger la situation. Ce document doit être signé par le président de la CCN, le représentant du président de la CCN ou un dirigeant de la CCN, ayant le pouvoir de lier la CCN.
  18. Les autres parties auront jusqu’à 30 jours pour porter officiellement l’affaire devant le Tribunal si elles estiment que ce processus ne règlera pas la plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Toutes les parties ont le droit de s’adresser plus tôt au Tribunal si cela s’avère nécessaire. 
  19. Les parties doivent informer le Tribunal dans les 30 jours suivants quant à la manière selon laquelle elles aimeraient traiter la demande d’indemnité et autres points non résolus.
  20. Dans les circonstances de l’espèce, une ordonnance écrite devrait être rendue. Je suis donc d’avis d’ordonner à la CCDP de préparer une ordonnance officielle énonçant les modalités selon lesquelles l’affaire sera instruite. Si les parties ne peuvent pas s’entendre sur les modalités de l’ordonnance, je leur ordonnerai d’entrer en communication avec le Tribunal dans les 45 jours qui suivront la date de la présente décision. 

[299] La présente instance fut difficile et je voudrais remercier les avocats pour l’aide précieuse qu’ils ont apportée. J’attends des nouvelles des parties.

[300] J’ai le regret de vous informer que Geoffrey Lester, avocat principal de Travaux publics, est décédé subitement avant de pouvoir présenter ses observations finales. Je suis persuadé que les avocats et les parties aimeraient que je souligne le travail qu’il a fait dans le cadre de la présente instance. M. Lester était un plaideur passionné et il a gagné le respect de tous à l’audience. Je crois que sa force, sa franchise et sa rigueur intellectuelle manqueront à ses collègues.

Signée par

Dr Paul Groarke
Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)
Le 6 juin 2006

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T760/1003

Intitulé de la cause :

Bob Brown c.la Commission de la capitale nationale et
Travaux publics et Services gouvernement aux Canada

Date de la décision du tribunal : Le 6 juin 2006

Date et lieu de l’audience :

Les 18 au 21 mai 2004
Les 23, 24, 29 et 30 juin 2004

Ottawa (Ontario)

Comparutions :

Bob Brown, pour lui même

Philippe Dufresne / Giacomo Vigna /, pour la Commission canadienne des droits de la personne Ikram Warsame

Lynn H. Harnden / Sébastien Huard, pour l'intimée, la Commission de la capitale nationale

Geoffrey Lester / Elizabeth Kikuchi Pour l’intimé, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada

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