Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRIBUAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

CHANDER PRAKASH GROVER

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES DU CANADA

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE

2009 TCDP 1
2009/01/06

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

I. LE CONTEXTE

A. La plainte no 1 - Questions de redressement découlant de la décision du Tribunal

B. Les plaintes no 2 et no 3

C. La plainte no 4

D. L'enquête au sujet des plaintes no 2 et no 3 après la décision de la Cour fédérale de 2001

E. La situation depuis le renvoi au Tribunal des plaintes no 2, no 3 et no 4

II. ANALYSE

A. Préjudice à l'équité de l'audience causé par le retard

B. Quel préjudice le délai a-t-il causé au CNRC en l'espèce?

C. La capacité du CNRC de présenter une réponse aux allégations a-t-elle été compromise?

D. Le délai doit-il être inacceptable ou injustifié pour que le renvoi de la plainte soit fondé?

E. Le préjudice est-il suffisant pour avoir des répercussions sur l'équité de l'audience?

F. Serait-il prématuré de rejeter les plaintes immédiatement?

G. Le fait de rejeter les plaintes lancerait-il un message inapproprié aux autres parties qui se présentent devant le Tribunal?

III. CONCLUSION

[1] Le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) a présenté une requête visant le rejet des plaintes en matière de droits de la personne de M. Chander Prakash Grover. Le CNRC soutient que le délai dans l'audition de ces plaintes lui a causé un préjudice important en ce qui a trait à sa capacité de répondre de façon efficace aux allégations et que l'audition de ces plaintes déconsidérerait le système de droits de la personne et constituerait un abus de procédure.

[2] Le CNRC a présenté des affidavits de neuf personnes à l'appui de sa requête. M. Grover et la Commission ont choisi de contre-interroger sept des souscripteurs d'affidavit pendant une audience de quatre jours que j'ai présidée. De plus, M. Grover a témoigné au sujet de certaines des questions soulevées dans la présente requête.

I. LE CONTEXTE

[3] M. Grover est une personne d'origine indienne qui est un chercheur dans le domaine de l'optique moderne. Il a été employé au CNRC de 1981 à 2007. Entre 1987 et 1998, il a présenté quatre plaintes en matière de droits de la personne contre le CNRC dans lesquelles il soutenait avoir été victime de discrimination fondée sur la race, la couleur et l'origine nationale ou ethnique. Le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a tranché la première plainte (plainte no 1) le 29 juillet 1992. Le Tribunal a conclu que la plainte était fondée.

[4] Entre-temps, M. Grover a déposé une deuxième plainte, le 23 décembre 1991 (plainte no 2) et une troisième plainte le 14 juillet 1992 (plainte no 3). La plainte no 2 portait sur des incidents qui auraient eu lieu entre 1987 et septembre 1991. La plainte no 3 visait des événements qui auraient eu lieu entre juin 1991 et juin 1992.

[5] Le 27 juillet 1998, M. Grover a présenté sa quatrième plainte (plainte no 4), dans laquelle il mentionne des actes discriminatoires qui auraient eu lieu de juillet 1992 à mars 1994.

[6] Le 1er août 2007, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a informé le Tribunal qu'elle allait lui renvoyer certaines allégations tirées des plaintes no 2, no 3 et no 4 pour que le Tribunal mène une instruction. La présente requête du CNRC vise à faire rejeter ces trois plaintes.

[7] Afin de mieux comprendre les circonstances qui ont entraîné la présentation de la requête, j'ai résumé le déroulement des quatre plaintes au cours des années. Comme il y a eu un certain chevauchement dans la progression de chaque plainte, la récapitulation suivante s'éloignera parfois de l'ordre chronologique.

A. La plainte no 1 - Questions de redressement découlant de la décision du Tribunal

[8] Dans sa plainte no 1, M. Grover a soutenu qu'à partir de septembre 1986, ses directeurs l'ont ignoré et lui ont refusé des possibilités de gestion et de promotion. Il a aussi soutenu qu'ils lui avaient systématiquement enlevé ses responsabilités en matière de gestion et de recherche. Il fait valoir que sa race, sa couleur et son origine nationale ont été des facteurs qui ont influencé ces actions.

[9] Le Tribunal a conclu que sa plainte était fondée. Dans sa décision, le Tribunal a ordonné au CNRC de donner à M. Grover un poste de chef de groupe ou de chef de section au sein de l'organisation. En conséquence, quelques semaines après la publication de la décision du Tribunal, le CNRC a nommé M. Grover au poste de chef du Groupe de recherche sur les composants optiques, à l'Institut Herzberg d'astrophysique (IHA) du CNRC. M. Grover s'est opposé à cette nomination parce qu'il croyait qu'elle ne respectait pas l'ordonnance du Tribunal. Il a ramené l'affaire devant le Tribunal, qui a alors rendu une première décision en sa faveur le 17 février 1994.

[10] D'autres problèmes au sujet de la mise en application de l'ordonnance réparatrice du Tribunal sont survenus par la suite, alors M. Grover a demandé au Tribunal une nouvelle audience. Le Tribunal a tenu une nouvelle audience en mai 1996. À cette date, le CNRC avait un nouveau président, M. Arthur J. Carty. À l'extérieur de l'audience, M. Carty et M. Grover ont choisi d'essayer de régler le différend. Ils ont négocié une entente sur toutes les questions soulevées dans la plainte no 1 et sur la mise en application de l'ordonnance du Tribunal. Les modalités de l'entente ont été versées au dossier du Tribunal le 21 mai 1996.

B. Les plaintes no 2 et no 3

[11] M. Grover a déposé la plainte no 2 le 23 décembre 1991. En janvier 1992, la Commission a écrit au CNRC afin d'obtenir sa réponse au sujet des allégations présentées dans la plainte. Le CNRC a d'abord demandé des précisions à la Commission au sujet de la portée de la plainte, puis elle a présenté sa réponse le 1er avril 1992. On ne m'a présenté aucune preuve de quelconque activité ayant eu lieu au sujet de l'enquête de la Commission sur cette plainte avant mars 1994.

[12] M. Grover a déposé sa plainte no 3 le 14 juillet 1992. En août 1992, la Commission a demandé une réponse au CNRC. Il semble que certaines des questions soulevées dans la plainte no 3 faisaient aussi l'objet d'un grief présenté à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) à l'époque. Le CNRC a demandé à la Commission une prorogation du délai afin de présenter sa réponse après que le grief soit tranché, que la Commission lui a accordée. Finalement, la CRTFP a décidé, le 7 janvier 1994, d'ajourner indéfiniment son audience en attendant l'issue de l'enquête de la Commission au sujet de la plainte no 3. Par conséquent, le 21 février 1994, le CNRC a présenté sa réponse à la plainte no 3. Par la suite, la Commission a lancé une enquête conjointe pour les deux plaintes.

[13] En mars 1994, M. Grover et son avocat ont rencontré l'enquêteur de la Commission pour lui présenter leurs commentaires au sujet des réponses du CNRC aux deux plaintes. Cependant, après quelques semaines, M. Grover et le CNRC ont discuté afin d'essayer de régler à l'amiable les deux plaintes. Par conséquent, l'enquêteur de la Commission a annulé la réunion de suivi qui avait été prévue avec M. Grover et son avocat.

[14] On ne m'a présenté aucune preuve au sujet des activités de la Commission portant sur ces plaintes au cours des 12 mois suivants. Cependant, le 7 avril 1995, la Commission a communiqué avec le CNRC et l'a avisé qu'une nouvelle enquêteuse avait été nommée pour s'occuper des plaintes.

[15] La preuve ne montre aucune autre activité au sujet des deux plaintes au cours des 15 mois suivants bien que, comme je l'ai mentionné plus tôt, les parties étaient toujours impliquées dans leur conflit prolongé au sujet de la plainte no 1. Il semblerait qu'après que la plainte no 1 ait été réglée (en mai 1996), M. Grover a demandé à la Commission de recommencer l'enquête pour les plaintes no 2 et no 3. Du même coup, il a aussi demandé à ce que l'avocat de la Commission participe aux discussions visant à régler ces plaintes. Dans une lettre datée du 11 juillet 1996, la Commission a avisé M. Grover que l'avocat de la Commission ne participerait à aucune discussion de règlement. La Commission a écrit que, [traduction] compte tenu de l'âge des plaintes, la meilleure option était de terminer l'enquête. La Commission a ajouté qu'elle demandait donc la coopération de M. Grover afin d'arriver à une [traduction] conclusion diligente de l'enquête au sujet des plaintes.

[16] Environ sept mois plus tard, le 23 janvier 1997, M. Grover a présenté à la Commission ses arguments en réponse aux observations du CNRC au sujet des plaintes no 2 et no 3. De janvier à mars 1997, l'enquêteuse de la Commission a demandé un certain nombre de documents au CNRC, qu'il lui a rapidement fournis. Le 28 avril 1997, l'enquêteuse a présenté son rapport d'enquête dans lequel elle recommandait le rejet des plaintes. La Commission a invité les parties à présenter leurs observations au sujet du rapport.

[17] Le CNRC a présenté sa réponse le 30 avril 1997, dans laquelle il souscrivait aux recommandations de l'enquêteuse. Le CNRC a noté que les allégations étaient en suspens depuis plusieurs années et que [traduction] beaucoup d'employés et d'anciens employés du CNRC ont attendu patiemment pour que les accusations présentées contre eux soient résolues.

[18] Le 14 juillet 1997, M. Grover a présenté des observations détaillées au sujet des conclusions tirées dans le rapport d'enquête. Il a contesté les conclusions de l'enquêteuse et a soutenu qu'elles étaient contraires aux conclusions précédentes du Tribunal au sujet de la plainte no 1. Il a encouragé la Commission à rejeter les recommandations de l'enquêteuse et, [traduction] compte tenu de l'âge des plaintes, à limiter le processus de conciliation à deux mois, après quoi l'affaire serait renvoyée au Tribunal.

[19] Après la présentation des observations de M. Grover, la Commission a avisé les parties, le 23 juillet 1997, que certaines questions nécessitaient une enquête plus approfondie. Le 28 août 1997, le CNRC a présenté une réponse aux observations de M. Grover dans laquelle il demandait avec insistance à la Commission de rejeter les observations de M. Grover et de [traduction] clore le dossier.

[20] Néanmoins, le 16 septembre 1997, l'enquêteuse de la Commission a écrit au CNRC pour obtenir des réponses à un certain nombre de questions. L'enquêteuse a noté que sa lettre suivait la décision de la Commission de [traduction] suspendre les plaintes jusqu'à ce qu'il y ait une enquête plus approfondie.

[21] En novembre 1997, l'enquêteuse de la Commission a terminé son enquête de suivi et l'a présentée aux parties pour qu'elles présentent leurs commentaires. Le CNRC a répondu quelques jours plus tard, alors que M. Grover a demandé la permission, qu'il a obtenue, de présenter sa réponse au plus tard le 5 janvier 1998. Le 27 février 1998, la Commission a rendu une décision rejetant les plaintes no 2 et no 3.

[22] Le 1er avril 1998, M. Grover a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. La Cour fédérale a entendu la demande en mars 2000 et a rendu sa décision le 21 juin 2001. La Cour a accueilli la demande et a conclu que la Commission avait manqué à son obligation d'effectuer une enquête approfondie parce qu'elle n'avait pas fait passer d'entrevue à M. Jacques Vanier, un gestionnaire du CNRC qui était lié de façon cruciale au présumé acte discriminatoire. L'affaire a été renvoyée à la Commission pour qu'elle termine son enquête.

C. La plainte no 4

[23] À l'audition de la requête, M. Grover a témoigné qu'il avait communiqué avec la Commission le 17 mars 1994 afin de présenter une quatrième plainte portant sur des actes discriminatoires qui étaient alors récents. Il soutient que la Commission lui a dit qu'une plainte officielle ne serait pas acceptée au sujet de ces événements tant que ses autres plaintes (no 1, no 2 et no 3) n'étaient pas résolues.

[24] Plus de deux ans plus tard, le 5 juillet 1996, M. Grover a discuté avec un employé de la Commission au sujet du dépôt officiel de la plainte no 4. Cependant, la Commission a répondu qu'elle n'allait pas [traduction] instruire une nouvelle plainte tant que les enquêtes au sujet des plaintes no 2 et no 3 n'étaient pas terminées.

[25] L'année suivante, le 27 août 1997, M. Grover a avisé la Commission qu'il participait toujours à des négociations avec le CNRC (c'est-à-dire avec M. Carty) afin de régler toute question en suspens. Par conséquent, le 10 septembre 1997, la Commission a écrit une lettre à M. Grover l'avisant que son dossier au sujet d'une [traduction] possible plainte de discrimination contre le CNRC (c'est-à-dire la plainte no 4) avait été [traduction] fermé en attendant l'issue des discussions. La Commission a aussi invité M. Grover à communiquer avec elle si les questions en suspens n'étaient pas résolues comme il se devait.

[26] Il n'y a pas eu d'entente entre les parties au sujet des plaintes no 2 et no 3. Le 25 juin 1998, M. Grover a participé à une réunion avec la Commission afin de discuter du dépôt de la plainte no 4. Après cette réunion, la Commission a rédigé la plainte officielle, que M. Grover a signée le 27 juillet 1998. Elle a été envoyée au CNRC, qui a présenté une réponse écrite le 3 novembre 1998.

[27] Aucun document au dossier qui m'a été présenté n'explique ce qui s'est passé dans les mois suivants. Cependant, dans un affidavit daté du 10 novembre 2008 et signé par Lorna Jacobs, une agente généraliste des ressources humaines à la Direction générale des ressources humaines du CNRC, Mme Jacobs déclare qu'elle croit que toutes les observations au sujet de la plainte no 4 ont été déposées à la Commission avant janvier 1999. Mme Jacobs n'a pas subi de contre-interrogatoire au sujet de son affidavit.

D. L'enquête au sujet des plaintes no 2 et no 3 après la décision de la Cour fédérale de 2001

[28] Comme je l'ai mentionné plus tôt, le 21 juin 2001, la Cour fédérale a conclu que la Commission n'avait pas respecté son obligation d'effectuer une enquête approfondie parce qu'elle n'avait pas fait subir d'entrevue à M. Vanier qui, entre 1990 et 1993, était le directeur général de l'Institut des étalons nationaux de mesure (IENM) du CNRC, où M. Grover travaillait en 1991 lorsqu'il a présenté sa plainte no 2. La Cour a renvoyé l'affaire à la Commission pour qu'elle la traite d'une façon conforme aux motifs exposés dans le jugement.

[29] Vers la mi-juillet 2001, une enquêteuse de la Commission a commencé à chercher M. Vanier afin qu'il se présente en entrevue. Le CNRC a d'abord été incapable d'aider la Commission à le trouver. M. Vanier a pris sa retraite et a quitté le CNRC en 1994. Le CNRC a été en mesure, vers la fin août 2001, de fournir à la Commission la dernière adresse connue de M. Vanier. Le 18 septembre 2001, une agence d'évaluation du crédit embauchée par la Commission a trouvé la nouvelle adresse de M. Vanier. L'enquêteuse de la Commission a communiqué avec lui peu de temps après. M. Vanier a retenu les services d'un avocat pour le représenter pendant l'enquête. Il y a eu quelques discussions entre la Commission et l'avocat de M. Vanier au sujet de la façon dont l'entrevue se déroulerait, y compris à savoir si des documents du CNRC au sujet de l'emploi de M. Grover pouvaient être communiqués à M. Vanier afin qu'il puisse se rafraîchir la mémoire. L'enquêteuse de la Commission a finalement tenu l'entrevue avec M. Vanier le 18 mars 2002.

[30] L'enquêteuse a préparé un résumé de l'entrevue, qu'elle a envoyé à M. Vanier pour qu'il présente ses commentaires et qu'il signe le résumé. Il lui a renvoyé le 22 avril 2002. Le document a alors été transmis à M. Grover le 9 mai 2002. En novembre 2002, M. Grover n'avait, semble-t-il, toujours pas présenté ses observations au sujet de l'entrevue, ce qui a incité l'enquêteuse à téléphoner à l'avocat de M. Grover et à lui demander une réponse [traduction] le plus rapidement possible afin qu'elle puisse [traduction] poursuivre l'enquête. Il semble que M. Grover ait répondu en demandant à la Commission de mettre toutes les plaintes (no 2, no 3 et no 4) en suspens en attendant l'issue d'une demande qu'il avait récemment déposée contre le CNRC devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario.

[31] Le 11 décembre 2002, l'enquêteuse a demandé le point de vue du CNRC au sujet de la demande de M. Grover. Le 20 mars 2003, le CNRC n'avait toujours pas répondu. De toute façon, il semble que la Commission ait décidé de ne pas mettre les dossiers en suspens et, le 26 mai 2003, l'enquêteuse a présenté son rapport, dans lequel elle recommandait à la Commission de renvoyer les trois plaintes au Tribunal. Bien entendu, cette recommandation comprenait la plainte no 4, pour laquelle la Commission n'avait pas officiellement terminé l'enquête ni préparé de rapport.

[32] En date du 11 juillet 2003, le CNRC et M. Grover avaient présenté leurs observations à la Commission au sujet des recommandations de l'enquêteuse. Le 16 septembre 2003, la Commission a décidé de renvoyer les trois plaintes (no 2, no 3 et no 4) au Tribunal. Le 17 octobre 2003, le CNRC a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. La Cour a rendu son jugement le 14 mai 2004. Elle a conclu que la Commission avait présenté des motifs insuffisants à l'appui de sa décision au sujet des plaintes no 2 et no 3 et que le renvoi de la plainte no 4 était prématuré puisque la Commission n'avait pas terminé son enquête au sujet de cette plainte. La Cour a annulé la décision de la Commission et lui a ordonné d'effectuer une évaluation neutre et exhaustive avant de rendre une décision au sujet de la plainte no 4. La Cour a aussi ordonné à la Commission de présenter une décision plus motivée au sujet des plaintes no 2 et no 3.

[33] Aucune preuve ne m'a été présentée quant à la question de savoir si la Commission, dans les mois suivants, a effectué une enquête au sujet de la plainte no 4 ou a préparé une décision plus motivée au sujet des autres plaintes. En fait, le 15 octobre 2004, (c'est-à-dire cinq mois après la décision de la Cour fédérale), l'avocat de la Commission a rencontré l'avocat du CNRC afin de discuter d'un certain nombre de points, y compris la possibilité d'entreprendre un processus de [traduction] résolution rapide qui pourrait entraîner la résolution des plaintes. En date du 16 mars 2005, la Commission avait eu une discussion semblable avec M. Grover.

[34] L'issue de ces discussions n'est pas claire, mais au 22 novembre 2005, le dossier démontre que la Commission avait retenu des services d'avocat en cabinet privé pour effectuer une enquête [traduction] supplémentaire au sujet des plaintes no 2 et no 3 et pour effectuer une enquête au sujet de la plainte no 4. La finalisation du contrat pour les services d'avocats a pris un certain temps, ce qui a poussé la Commission à aviser les parties le 2 mai 2006 que les enquêtes allaient être placées [traduction] en suspens pour une courte période, jusqu'à ce que le processus de contrat soit terminé.

[35] Le dossier démontre alors que le 3 janvier 2007 (c'est-à-dire huit mois plus tard), l'enquêteuse a communiqué avec l'avocat du CNRC pour obtenir de l'aide afin de trouver un certain nombre d'anciens employés du CNRC dont le nom figurait dans les plaintes de M. Grover, que l'enquêteuse souhaitait rencontrer en entrevue. Les lieux où ils se trouvaient ont été confirmés et l'enquêteuse a commencé les entrevues le 12 mars 2007.

[36] L'enquêteuse a présenté un rapport supplémentaire au sujet des plaintes no 2 et no 3 le 28 février 2007 et elle a présenté son rapport d'enquête au sujet de la plainte no 4 le 22 mars 2007. Le 31 juillet 2007, la Commission a rendu sa décision au sujet des trois plaintes. La Commission a conclu que plusieurs des allégations devaient être rejetées, mais elle a aussi décidé de renvoyer au Tribunal les allégations restantes qui découlaient des trois plaintes. La Commission a fait parvenir sa lettre de renvoi au Tribunal le lendemain, soit le 1er août 2007.

E. La situation depuis le renvoi au Tribunal des plaintes no 2, no 3 et no 4

[37] Conformément au processus de gestion des instances du Tribunal, M. Grover devait divulguer sa preuve au plus tard le 29 février 2008. Il ne l'a fait que le 15 avril 2008. Le CNRC a répondu en présentant une requête, le 5 juin 2008, en radiation d'un certain nombre des allégations que M. Grover avait soulevées dans son exposé des précisions. Dans une ordonnance datée du 21 août 2008, le Tribunal a convenu que plusieurs paragraphes devaient être radiés, principalement parce qu'une grande partie de ces questions avaient déjà été tranchées dans les décisions du Tribunal au sujet de la plainte no 1.

[38] Le CNRC a alors déposé la présente requête le 15 septembre 2008.

II. ANALYSE

[39] Le CNRC soutient que le retard dans la tenue de l'audience au sujet des trois plaintes, dont la première a été déposée il y a 17 ans, est inacceptable. Il fait valoir qu'il subit donc un préjudice important en ce qui a trait à sa capacité de répondre aux plaintes et que, subsidiairement, l'audition des plaintes déconsidérerait le système de droits de la personne et constituerait un abus de procédure.

A. Préjudice à l'équité de l'audience causé par le retard

[40] Les principes de justice naturelle et d'obligation d'équité font partie de toute procédure administrative (Blencoe c. Colombie-Britannique (Commission des droits de la personne), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 102). Comme la Cour suprême l'a noté dans l'arrêt Blencoe, ces principes comprennent le droit à une audience équitable qui, pour les intimés, comprend la capacité de présenter une défense pleine et entière au sujet des allégations présentées contre eux. Ce droit est reflété dans le libellé du paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui prévoit que le membre instructeur donne [aux parties] la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

[41] Comme le précise aussi l'arrêt Blencoe, précité, lorsqu'un retard affecte la capacité d'une partie de répondre à une plainte présentée contre elle parce que, par exemple, les souvenirs sont flous, des témoins essentiels sont morts ou ne sont pas disponibles ou que des éléments de preuve ont été perdus, alors la partie peut invoquer le délai administratif pour contester la validité de la procédure administrative et pour obtenir une réparation.

[42] L'alinéa 41(1)e) de la Loi prévoit que la Commission peut choisir de ne pas entendre une plainte qui est fondée sur des faits qui ont eu lieu plus d'un an avant que la plainte soit déposée (ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances). En l'espèce, au moins l'une des plaintes (no 4) a été officiellement déposée devant la Commission plus de quatre ans après le dernier des faits sur lesquels elle était fondée. La Commission a décidé de traiter cette plainte. Le Tribunal canadien des droits de la personne n'a pas compétence de contrôler cette décision de la Commission, pouvoir qui relève exclusivement de la Cour fédérale (I.L.W.U. (Section maritime), section locale 400 c. Oster, [2002] 2 C.F. 430 (1re inst.), aux paragraphes 25 à 31). Cependant, si le délai encourue à partir du premier acte discriminatoire jusqu'à l'audience, est si long que le droit à une audience équitable du défendeur est compromis, le Tribunal a le pouvoir de redresser la situation (Gagné c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 18, au paragraphe 8; Desormeaux c. Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton (19 juillet 2002) T701/0602 (T.C.D.P.), au paragraphe 13).

[43] La Cour suprême a précisé au paragraphe 101 de l'arrêt Blencoe que le délai ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures. Le délai doit être tel qu'il entraînerait nécessairement une audience à laquelle il manquerait les éléments essentiels de l'équité. Des preuves doivent être présentées pour démontrer que le préjudice subi est assez important pour nuire à l'équité de l'audience (Blencoe, au paragraphe 104; Ford Motor Co. of Canada c. Ontario (Human Rights Comm.), 1995 CanLII 7431 (Ont. S.C.), au paragraphe 16).

B. Quel préjudice le délai a-t-il causé au CNRC en l'espèce?

[44] La plainte no 2 présente une liste de façons par lesquelles le CNRC aurait fait preuve de discrimination envers M. Grover. Sauf pour le premier point, qui mentionne simplement qu'on lui a refusé une augmentation de traitement depuis 1987, le reste des allégations de M. Grover portent sur une période débutant en août 1990 et se terminant le 18 septembre 1991. La plainte no 3 présente une liste semblable d'actes discriminatoires (16 en tout), qui auraient eu lieu entre juin 1991 et la date de la plainte, soit le 14 juillet 1992. La liste de la plainte no 4 est composée de 51 paragraphes, mais certaines des présumées pratiques discriminatoires (de juillet 1992 à mars 1994) sont décrites sur plusieurs paragraphes.

[45] Quoi qu'il en soit, en raison de la décision de la Commission de ne renvoyer au Tribunal que certaines des allégations présentées dans les plaintes et de la décision du Tribunal en août 2008 de radier certaines de ces allégations, le nombre de présumées pratiques discriminatoires en cause a été réduit de façon importante. L'exposé modifié des précisions de M. Grover, qu'il a présenté le 15 septembre 2008, représente mieux les actes discriminatoires allégués. Je décrirai chacune de ces présumées pratiques discriminatoires ci-dessous et je résumerai la preuve au sujet du préjudice que le CNRC prétend avoir subi en raison du délai en l'espèce.

[46] Présumée pratique discriminatoire no 1

M. Grover soutient qu'en janvier 1991, le Bureau des services d'information du CNRC l'a choisi afin de préparer un affichage holographique qui ferait partie de l'exposition du 75e anniversaire du CNRC. Il soutient que son directeur général, M. Vanier, s'est interposé dans le processus et que par conséquent, on a avisé M. Grover que son affichage ne ferait plus partie de l'exposition. M. Grover fait valoir que M. Vanier a pris cette mesure pour affecter de façon négative sa carrière et son estime de soi et que M. Vanier était motivé par des raisons discriminatoires.

[47] M. Vanier a signé un affidavit au sujet duquel il a subi un contre-interrogatoire lors de l'audience. Il déclare dans son affidavit qu'il a été directeur général de l'IENM jusqu'au 5 mars 1993 et qu'il est resté au sein du CNRC par la suite comme employé s'occupant des contrats internationaux jusqu'au 4 janvier 1994, auquel moment il a pris sa retraite. Il est maintenant âgé de 73 ans. Il soutient qu'il n'a aucun souvenir indépendant de l'événement et qu'il ne peut pas élaborer au sujet de deux notes rédigées en février 1991, l'une rédigée par lui et l'autre, par un collègue, M. Ronald Bedford, qui semblent porter sur l'événement en question. En contre-interrogatoire, M. Vanier n'a pas changé son témoignage. Il ne se souvient pas si le CNRC lui a déjà demandé, avant 2008, sa version des faits allégués.

[48] M. Bedford a aussi signé un affidavit et a subi un contre-interrogatoire. Il était directeur au sein de l'IENM en 1991. Il a été employé au CNRC de 1955 à 1995, auquel moment il a pris sa retraite. Il est âgé de 78 ans. Il déclare dans son affidavit qu'il ne se souvient pas de l'incident allégué portant sur un affichage holographique et qu'il ne peut pas donner de précisions au sujet de discussions qu'il aurait pu avoir avec M. Vanier, sauf pour ce qui est mentionné dans les deux notes de février 1991. En contre-interrogatoire, il a été incapable de se souvenir d'autres renseignements. Il a témoigné que personne du CNRC ne lui avait parlé de ces allégations avant qu'il prenne sa retraite en 1995 ou après. Lorsque le CNRC a communiqué avec lui en 2008, avant la préparation de son affidavit, il était d'avis que la question [traduction] sortait de nulle part.

[49] Le premier rapport d'enquête de la Commission au sujet des plaintes no 2 et no 3, daté du 28 avril 1997, portait sur la question de l'exposition pour le 75e anniversaire du CNRC. À l'époque, l'enquêteuse avait, semble-t-il, parlé à Charles Reynolds, qui était le chef des Services de création du CNRC lorsque l'exposition a été préparée. L'enquêteuse semble aussi avoir parlé à une coordonnatrice vidéo dont le nom est inconnu ainsi qu'à la [traduction] coordonnatrice d'événements spéciaux et de salons professionnels (Suzanne Auger)

[50] M. Reynolds a signé un affidavit au sujet duquel il a subi un contre-interrogatoire lors de l'audience. Il a été employé au CNRC de 1988 à novembre 1997. D'après une note écrite par M. Grover le 17 janvier 1991, M. Reynolds et Mme Auger avaient censément rencontré M. Grover et lui avaient demandé de préparer un affichage holographique pour l'exposition. M. Reynolds a témoigné qu'il se souvient avoir rendu visite à M. Grover dans son laboratoire, mais qu'il ne se souvient pas ce que lui et Mme Auger ont pu dire à M. Grover au sujet de leur intérêt envers son affichage holographique pour l'exposition. M. Reynolds a déclaré qu'il n'avait aucun souvenir particulier d'une intervention de M. Vanier, tel que M. Grover l'a allégué. M. Reynolds a déclaré qu'en raison du temps qui s'est écoulé, il ne se souvenait pas d'une conversation qu'il aurait eue avec Mme Auger au cours de laquelle (d'après les conclusions de l'enquête de 1997 de la Commission) il aurait censément avisé Mme Auger de ne pas s'approcher de M. Grover. Il avait un [traduction] vague souvenir de lui avoir dit de ne pas communiquer directement avec les chercheurs du CNRC [traduction] pour des raisons de protocole. Il a témoigné qu'il n'avait aucun souvenir indépendant d'avoir rencontré M. Vanier. Il a accepté qu'une note datant de février 1991 laissait entendre qu'il avait discuté avec M. Vanier, mais il a maintenu qu'il n'avait aucun souvenir indépendant d'une telle discussion. Il a mentionné qu'il avait participé à de nombreuses activités à l'époque et qu'au fond, les événements allégués au sujet de l'exposition avaient eu lieu [traduction] il y a longtemps et qu'ils n'avaient pas eu de [traduction] grande importance dans sa vie. Le CNRC n'a jamais communiqué avec lui au sujet de cet incident et il a témoigné qu'il avait soit détruit ses dossiers au sujet de l'exposition (ce qui était sa pratique habituelle) ou qu'il les avait laissés au CNRC.

[51] M. Vanier, M. Bedford et M. Reynolds, en contre-interrogatoire, ont vu la note que M. Grover avait écrite à M. Bedford en janvier 1991 au sujet de la question de l'affichage holographique. La note ne leur a rappelé aucun souvenir de l'événement. Ni Mme Auger, ni la coordonnatrice vidéo dont le nom est inconnu n'a témoigné.

[52] Présumée pratique discriminatoire no 2

En février 1991, l'International Society for Optical Engineering (connue sous le nom de SPIE ) a avisé M. Grover qu'il recevrait un prix prestigieux de recherche lors du symposium de l'organisation, qui devait avoir lieu au mois de juillet suivant à San Diego. Il a présenté une demande à son superviseur immédiat à l'époque, soit M. Bedford, pour obtenir du financement afin de se rendre au symposium. M. Bedford a transmis la demande à M. Vanier, qui aurait rejeté la demande de financement en juin 1991. M. Grover soutient que la demande de financement pour son déplacement a finalement été approuvée après que son syndicat soit intervenu. Il est d'avis que le refus initial visait à affecter sa carrière et sa réputation et à lui causer de la gêne et de l'humiliation.

[53] M. Bedford a déclaré dans son affidavit qu'il ne se souvenait pas avoir eu de discussions avec M. Vanier au sujet de cette question, outre la note du 8 mars 1991 (annexée à l'affidavit), qu'il a écrite à M. Grover afin de confirmer que sa demande de financement de déplacement avait été transférée à M. Vanier pour approbation. Dans son témoignage, il a précisé qu'il se souvenait de la demande de M. Grover, mais qu'il ne se souvenait pas des questions mentionnées dans un certain nombre de documents qui lui ont été présentés à l'audience, y compris une autre note qu'il a écrite à M. Grover le 14 juin 1991. M. Bedford se souvient que M. Grover a finalement participé au symposium.

[54] M. Vanier a déclaré dans son affidavit qu'il ne se souvenait pas de la conférence ni de toute conversation qu'il aurait pu avoir avec M. Bedford au sujet de la participation de M. Grover. Dans son témoignage, il a mentionné qu'à l'époque, il avait refusé de nombreuses demandes de financement de déplacements pour les chercheurs en raison d'un budget limité et de contingents. Cependant, il avait pu approuver certaines demandes de déplacements après réexamen et il avait un [traduction] vague souvenir que la demande de M. Grover faisait partie de ces réexamens. Mais, il a aussi soutenu dans son témoignage qu'il ne se souvenait pas de conversations qu'il aurait pu avoir avec M. Bedford ou des représentants du syndicat au sujet de la demande de M. Grover. En fait, il ne se souvenait pas du tout que le syndicat ait été impliqué. Les documents qui ont été présentés à M. Vanier à l'audience ne lui ont rien rappelé. Il n'a reconnu aucun de ces documents.

[55] Présumée pratique discriminatoire no 3

À l'été 1991, M. Grover s'est absenté du travail. Lorsqu'il est retourné en septembre, M. Bedford lui a envoyé une note l'avisant qu'il devait présenter un plan de travail, des feuilles de temps hebdomadaires ainsi qu'un rapport de voyage au sujet du symposium du SPIE à San Diego. La note précisait que ces documents avaient déjà été demandés à M. Grover. Il soutient que comme il venait à peine de revenir au travail, la note était déraisonnable, injuste et lui avait été envoyée dans le but de le harceler et de lui causer des souffrances.

[56] M. Bedford a écrit dans son affidavit que, sauf le vague souvenir d'avoir demandé à M. Grover un plan de travail, il ne se souvenait pas du tout des événements qui avaient entraîné la demande envers M. Grover de produire des feuilles de temps hebdomadaires et un rapport de voyage, ni qu'il ait pu avoir des discussions à ce sujet. Aucune question n'a été posée à M. Bedford sur ce point pendant son contre-interrogatoire d'affidavit.

[57] Présumée pratique discriminatoire no 4

Le 2 juin 1992, M. Vanier a écrit une note à M. Grover au sujet de la préparation du plan de travail de projet de ce dernier. Dans la note, M. Vanier déclare que les tentatives, au cours de l'année précédente, d'élaborer le plan avaient échouées parce que le CNRC avait été incapable d'obtenir les commentaires et l'approbation de M. Grover. M. Vanier a donc imposé un plan de travail et a exigé que M. Grover fasse rapport à une personne (M. J. Zwinkels) tous les deux mois au sujet de l'état d'avancement du projet. M. Grover déclare que cette exigence était discriminatoire puisque les chercheurs blancs n'avaient pas l'obligation de présenter de tels rapports. Il soutient aussi que M. Vanier a demandé à sa secrétaire (Angie Loucks) et à M. Zwinkels de présenter la note ensemble à M. Grover et de la lui lire à voix haute. D'après M. Grover, ces actions visaient à le harceler et à lui causer des souffrances.

[58] M. Vanier déclare dans son affidavit qu'il ne se souvient pas de discussions qu'il aurait pu avoir avec M. Zwinkels, M. Bedford ou avec le Département des ressources humaines du CNRC à ce sujet, ni de documents qu'il aurait pu recevoir. Il se fie sur le contenu de la note ainsi que sur le résumé de l'entrevue que l'enquêteuse de la Commission lui a fait subir en mars 2002 (que j'ai mentionné plus tôt dans le présent jugement). M. Vanier a examiné le résumé et a présenté des commentaires à ce sujet avant de le signer, le 22 avril 2002. D'après le résumé, il avait demandé des rapports aux deux mois parce que la [traduction] communication avec M. Grover avait été [traduction] brisée, bien qu'il ait reconnu qu'il n'avait pas imposé de telles exigences de présentation de rapport aux autres chercheurs principaux. Le résumé expliquait aussi qu'il avait demandé à ce que la note soit présentée en personne parce que, à une autre occasion, M. Grover avait dit qu'il n'avait pas reçu un document. M. Vanier voulait être certain qu'il reçoive la note cette fois-là. Le résumé précisait que M. Vanier se [traduction] souvenait que les rapports d'activité de M. Grover avant la note n'étaient pas adéquats et qu'il n'avait pas fait preuve de coopération dans l'établissement du plan de travail.

[59] Pendant son témoignage devant le Tribunal en novembre 2008, M. Vanier a déclaré que bien qu'il se souvenait que l'événement de 1992 avait bien eu lieu, il ne se souvenait pas des détails de ce qui s'était passé. Il n'avait plus de souvenir indépendant de ces événements, mais il suppose que lorsqu'il a discuté avec l'enquêteuse de la Commission en 2002, il avait alors encore un certain souvenir indépendant, qui a été reflété dans son résumé.

[60] Quant à M. Bedford, il a écrit dans son affidavit qu'il ne se souvenait pas avoir eu des discussions avec M. Zwinkels ou avec M. Vanier au sujet des circonstances entourant la note du 2 juin 1992. Aucune question n'a été posée à M. Bedford à ce sujet pendant le contre-interrogatoire de son affidavit.

[61] Il semble que Mme Loucks ait signé un affidavit le 4 février 2008 pour une autre procédure devant la Cour fédérale. Dans cet affidavit, elle a déclaré qu'elle ne se souvenait pas de cet événement ni de quelconques discussions avec M. Zwinkels, M. Vanier ou toute autre personne à ce sujet. L'emploi de Mme Loucks au CNRC s'est terminé en décembre 1997. Lorna Jacobs, l'agente généraliste des ressources humaines du CNRC mentionnée plus tôt dans le présent jugement, a parlé à Mme Loucks le 23 octobre 2008. Mme Jacobs a signé un affidavit le 30 octobre 2008 au sujet de cette conversation. Mme Jacobs a expliqué que Mme Loucks lui a dit qu'elle n'allait [traduction] plus coopérer au sujet de ces plaintes et qu'elle n'avait [traduction] aucun souvenir de ces présumés événements de 1992. Mme Loucks a mentionné son affidavit du 4 février et a ajouté qu'elle ne croyait pas pouvoir apporter d'autres précisions au processus et que depuis qu'elle avait pris sa retraite, elle avait choisi de poursuivre sa vie.

[62] M. Grover n'a pas demandé de contre-interroger Mme Jacobs au sujet de son affidavit.

[63] Présumée pratique discriminatoire no 5

M. Grover déclare que, bien que le CNRC n'ait pas demandé le contrôle judiciaire de la décision du Tribunal au sujet de la plainte no 1, il n'a jamais [traduction] réellement accepté la conclusion que le Tribunal a rendue au sujet de la discrimination. Il mentionne, par exemple, une lettre envoyée en septembre 1992 à un député par M. Pierre Perron, qui a été président du CNRC entre juillet 1989 et juillet 1994. M. Perron aurait censément déclaré dans la lettre que la décision du Tribunal avait [traduction] pris le CNRC par surprise puisque le Tribunal a été capable de tirer une telle conclusion en l'absence de preuve à ce sujet. M. Grover déclare que cette [traduction] propagande était blessante et il soutient qu'elle a exacerbé la souffrance psychologique qu'il a eue au sujet de la plainte no 1 et au sujet de la façon dont le CNRC l'avait traité tout au long de la procédure.

[64] M. Perron a signé un affidavit que le CNRC a présenté à l'appui de sa requête. La présumée pratique discriminatoire n'est pas mentionnée dans cet affidavit. Cependant, en contre-interrogatoire au sujet de l'affidavit, M. Perron s'est souvenu avoir reçu une lettre d'un député au sujet de l'affaire de M. Grover parce qu'il se souvient aussi avoir reçu une lettre en réponse qu'il devait signer. Il ne se souvient pas des détails au sujet de la lettre qu'il a signée. Il a témoigné qu'il était de pratique courante pour la direction de la correspondance du CNRC d'écrire ce type de lettre et qu'il lui arrivait parfois d'apporter quelques changements avant de signer la lettre à titre de président du CNRC.

[65] M. Perron a aussi témoigné que depuis qu'il a quitté le CNRC en novembre 1994, personne ne lui a parlé de l'affaire avant la fin 2007, lorsqu'un employé du CNRC lui a téléphoné et lui a demandé de communiquer avec l'avocat actuel du CNRC. Il a soutenu que toute l'affaire était [traduction] nouvelle pour lui, puisqu'il a quitté le CNRC en 1994. M. Perron est âgé de 69 ans.

[66] Présumée pratique discriminatoire no 6

Conformément à l'ordonnance du Tribunal rendue dans la décision de 1992 au sujet de la plainte no 1, le CNRC a nommé M. Grover à un poste de chef de groupe à l'IHA. D'après M. Grover, afin de faciliter cette nomination, un de ses collègues (M. Ian Powell) a été retiré de ce même poste, ce que M. Powell et ses collègues ont estimé être une rétrogradation. Cela a causé du ressentiment envers M. Grover dans toute l'équipe (y compris M. Powell), et a soulevé des sentiments négatifs envers lui, ce qui a empoisonné son environnement de travail. M. Grover croit que le CNRC savait que cela serait le résultat de la rétrogradation de M. Powell pour lui accorder sa nomination et que le CNRC l'a fait en se fondant sur des motifs discriminatoires.

[67] La lettre avisant M. Grover de sa nomination à son nouveau poste lui a été envoyée par M. Perron le 10 septembre 1992. M. Perron a écrit dans son affidavit qu'il n'avait aucun souvenir de discussions qu'il aurait pu avoir avec le personnel de la haute direction, ou de toutes directives données par ce personnel, au sujet de la rétrogradation ou du remplacement de M. Powell par M. Grover. M. Perron a ajouté qu'il ne se souvient pas avoir connu ou même rencontré M. Powell.

[68] Dans son contre-interrogatoire, M. Perron a répété qu'il ne se souvenait pas avoir rencontré M. Powell. Il a ajouté qu'il ne se souvient pas avoir participé à la décision au sujet du poste auquel M. Grover serait nommé, conformément à la décision du Tribunal, et qu'il ne se souvient pas des options qui ont pu être examinées pour en arriver à cette nomination. Il ne se souvient pas de la lettre qui a été envoyée à M. Grover, mais d'après le [traduction] ton de la lettre, M. Perron croit que ce n'est pas lui qui l'a écrite. Comme c'était l'habitude du processus administratif du CNRC, quelqu'un d'autre a dû rédiger la lettre et lui présenter pour qu'il la signe. Il ne sait pas s'il y a eu des frictions entre M. Grover et les autres, mais s'il y en a eues, il ne s'en souvient pas. M. Perron a souligné qu'il avait quitté le CNRC depuis 14 ans et que personne n'avait soulevé de questions au sujet de M. Grover avant 2007.

[69] Le superviseur immédiat de M. Grover à son nouveau poste était M. Bryan Andrew. M. Andrew a été employé au CNRC entre 1965 et 1996, auquel moment il a pris sa retraite. Le CNRC a présenté en preuve un affidavit que M. Andrew a signé en octobre 2008 et au sujet duquel il a été contre-interrogé à l'audience. On a montré à M. Andrew un résumé de l'entrevue que l'enquêteuse de la Commission avait effectuée avec lui en février 2000. À l'époque, M. Andrew avait examiné le résumé et l'avait en fait retapé afin qu'il représente mieux ses réponses. Le résumé comprend des réponses assez détaillées à certaines des questions soulevées dans la plainte no 4 (qui couvrait la période de 1992 à 1994). Dans ce document, M. Andrew déclare qu'il se souvient que M. Powell avait eu [traduction] un sentiment de mécontentement au sujet du fait qu'il devait quitter son poste pour que celui-ci soit offert à M. Grover. M. Andrew a fait un certain nombre d'observations précises à ce sujet. M. Andrew a témoigné qu'il se souvenait avoir écrit le résumé et qu'en le lisant à l'audience, il était d'avis que la majeure partie du résumé était [traduction] sensée, bien qu'il ne soit plus en mesure de se souvenir des circonstances originales qui y sont décrites. Il se souvient seulement de la friction qui existait entre M. Grover et M. Powell et de la teneur générale des conversations qu'il a eues avec eux au sujet de cette tension. M. Andrew a témoigné qu'il hésiterait aujourd'hui à dire quelle était la source de la friction en se fondant seulement sur ses souvenirs.

[70] On a montré à M. Andrew des copies d'un journal dans lequel, lorsqu'il était employé au CNRC, il écrivait des notes au sujet de ses conversations téléphoniques, y compris des notes au sujet de conversations avec M. Powell. Il a témoigné que le fait de lire ces notes aujourd'hui ne l'aidait pas tellement à se souvenir des événements, puisque l'écriture était plutôt illisible, et il a mentionné que les notes auraient eu plus de sens pour lui à l'époque où il se souvenait encore du contexte, plutôt qu'aujourd'hui. M. Andrew ne se souvient pas avoir été approché par un employé du CNRC avant qu'on communique avec lui au cours de la dernière année pour qu'il prépare son affidavit. Depuis son entrevue avec la Commission en 2000, il n'avait plus entendu parler de l'affaire de M. Grover.

[71] Présumée pratique discriminatoire no 7

M. Grover soutient qu'en plus de M. Powell, une autre collègue, Mme Amanda Bewsher, avait aussi fait preuve de [traduction] sentiments négatifs envers lui et envers la décision du Tribunal. M. Grover soutient qu'à l'automne 1993, ces deux employés du CNRC ont commencé à refuser de le voir à moins qu'ils puissent tous les deux être présents. Il ajoute que cette pratique a été expressément approuvée par M. Perron. Cela a miné de façon importante l'autorité, la position et la réputation de M. Grover et a lancé un doute implicite quant à la décision du Tribunal.

[72] Dans son affidavit, Mme Jacobs a décrit ses tentatives de communiquer avec Mme Bewsher, qui a démissionné du CNRC en 1997. Mme Jacobs note que dans le dossier du CNRC de Mme Bewsher, il se trouvait une adresse au pays de Galles, où elle avait déménagé. Mme Jacobs a tenté de téléphoner au numéro qui apparaissait au dossier, mais ce numéro n'était plus en service. Elle a aussi effectué une recherche sur Internet, mais ses tentatives de téléphoner au seul numéro de téléphone qui semblait pertinent n'ont pas porté fruit (le numéro n'était plus en service). Le service d'annuaire téléphonique du pays de Galles n'a pu lui fournir d'autres renseignements.

[73] Il semblerait que Mme Bewsher ait déposé une plainte de harcèlement auprès du CNRC contre M. Grover en 1992. Le rapport d'enquête du CNRC au sujet de sa plainte précisait que M. Perron avait avisé Mme Bewsher de toujours être accompagnée de M. Powell lorsqu'elle rencontrait M. Grover. Dans son affidavit, M. Perron déclare qu'il ne se souvient absolument pas avoir avisé quelconque employé de rencontrer M. Grover de la façon alléguée. Les souvenirs de M. Perron n'ont pas été rafraîchis, même après la lecture récente du rapport du CNRC.

[74] M. Vanier a témoigné qu'il ne se souvient pas d'une employée nommée Amanda Bewsher. On lui a laissé entendre qu'elle avait possiblement un autre nom de famille en 1992 et il semblait ne se souvenir que très vaguement de ce nom.

[75] Présumée pratique discriminatoire no 8

M. Grover soutient qu'en date du 3 mars 1994, la plaque nominative placée à l'extérieur du bureau de M. Powell ainsi que le répertoire se trouvant à l'entrée de l'immeuble de l'IHA identifiaient toujours M. Powell comme chef de groupe du Groupe de recherche sur les composants optiques, même si M. Grover occupait ce poste depuis septembre 1992. De plus, la plaque nominative placée à l'extérieur du bureau de M. Grover ne le décrivait pas comme chef de groupe. M. Grover soutient que le défaut du CNRC de corriger ces erreurs servait à rappeler à tous les employés du groupe les circonstances litigieuses dans lesquelles il avait été promu et M. Powell avait été rétrogradé. Cela a servi aussi à miner l'autorité et le statut de M. Grover au sein de l'organisation et de ses collègues.

[76] Michael Storr a été employé du CNRC de 1970 jusqu'à sa retraite en 2005. De 1992 à 1995, il a été gestionnaire des opérations de l'IHA. Ses responsabilités comprenaient les questions telles que la mise à jour des plaques nominatives et du répertoire de l'immeuble. Dans son affidavit, M. Storr a déclaré qu'il se souvenait vaguement du fait que M. Grover lui avait mentionné ses préoccupations au sujet de sa plaque nominative. M. Storr ne se souvient pas que M. Grover ait soulevé la question du répertoire d'immeuble lorsqu'il lui a parlé. M. Storr n'a aussi qu'un vague souvenir d'avoir mis à jour la plaque nominative devant la porte de M. Grover, mais il ne se souvient pas combien de temps s'est écoulé entre le moment où M. Grover lui a présenté ses préoccupations et le moment où la plaque nominative a été mise à jour. M. Storr a répété ces déclarations en contre-interrogatoire. Il a mentionné qu'il n'a été avisé de la plainte de M. Grover que six mois avant la présente audience. La question ne lui avait jamais été présentée entre-temps (14 ans).

[77] M. Donald C. Morton a été le superviseur indirect de M. Grover à son nouveau poste au sein de l'IHA. M. Morton a été employé au CNRC de 1986 à 2001, auquel moment il a pris sa retraite. Il est âgé de 75 ans. Dans son affidavit, il note que M. Grover travaillait dans un immeuble différent du sien et qu'il s'agissait d'un immeuble que M. Morton ne visitait que rarement. Il ne se souvient pas d'une plainte que M. Grover ait pu présenter au sujet des plaques nominatives et du répertoire d'immeuble, ni de la façon dont la question a pu être résolue. M. Morton n'a pas été interrogé à ce sujet en contre-interrogatoire.

[78] Présumée pratique discriminatoire no 9

M. Grover soutient qu'en mars 1994, il a demandé du financement pour embaucher un étudiant pour l'été. M. Morton l'a avisé que le Comité de gestion de l'IHA avait rejeté sa demande. Cependant, M. Grover soutient que des demandes semblables présentées par les chercheurs blancs ont été approuvées. Il fait valoir que son projet pour l'étudiant était aussi [traduction] méritoire ou plus méritoire que les projets qui avaient été approuvés. Il soutient que le rejet faisait partie d'un cycle de discrimination systémique.

[79] M. Andrew a répondu à cette question dans son affidavit. Il a déclaré qu'il ne se souvenait pas du tout de cet événement, ni même si le Comité de gestion avait eu une réunion au sujet de l'embauche d'étudiants pour l'été ou si la question avait été déléguée à un comité. Il ne se souvient pas du nombre d'étudiants qui étaient disponibles pour l'embauche, des chercheurs qui avaient présenté des demandes ni de la nature de leurs propositions. Aucune question n'a été posée à M. Andrew à ce sujet en contre-interrogatoire. Dans son affidavit, M. Morton a déclaré de façon semblable qu'il ne se souvenait pas de l'événement. Dans son témoignage, il n'a pas apporté de précision au sujet de ses souvenirs sur cette question.

[80] M. James Hesser était le superviseur direct de M. Grover à l'IHA. Il travaille toujours au CNRC, à l'IHA. Il a déclaré dans son affidavit qu'il faisait partie du Comité de gestion, avec M. Andrew et M. Morton, et que les responsabilités du Comité comprenaient le traitement de questions au sujet de l'embauche d'étudiants pour l'été. Cependant, il a ajouté qu'il ne se souvenait pas de l'événement précis soulevé par M. Grover dans sa plainte, ni du nombre de demandes qui avaient été présentées ou des raisons sur lesquelles le Comité avait fondé sa décision d'accepter ou de rejeter les propositions présentées.

[81] Présumée pratique discriminatoire no 10

M. Grover soutient que la façon dont il a été traité faisait partie d'un cycle de discrimination systémique envers les chercheurs asiatiques, en particulier les Indiens et les Chinois, qui étaient perçus comme étant moins importants ou moins aptes que les chercheurs blancs. Par exemple, M. Grover mentionne la situation de deux employés invités qui se sont joints à son groupe en 1994, dont l'un d'eux était un Canadien d'origine chinoise. Le nom de cet employé invité n'a été ajouté à la liste d'effectif que deux mois après que le nom du premier employé invité ait été ajouté. Comme autre exemple, M. Grover rappelle une déclaration de M. Hesser lors d'une réunion de gestion qui a eu lieu à Victoria (Colombie-Britannique), en septembre 1994. Douze personnes participaient à cette réunion, y compris M. Andrew, M. Morton et M. Grover. M. Hesser aurait dit qu'il fallait faire attention avant d'embaucher des chercheurs indiens ou chinois parce qu'ils [traduction] faussaient leurs qualifications et qu'on [traduction] ne pouvait pas leur faire confiance. Personne à la réunion n'a contesté les commentaires, mais plus tard ce jour-là, M. Hesser aurait envoyé une note au groupe afin de s'excuser pour la remarque qui, reconnaissait-il, [traduction] sonnait horrible et était raciste. M. Grover soutient que M. Andrew et M. Morton ne lui ont jamais demandé son opinion au sujet de l'incident et n'ont jamais cherché à savoir si les commentaires l'avaient blessé. De plus, il fait valoir que le CNRC n'a pris aucune mesure visant à conseiller M. Hesser ou à enquêter afin de savoir si son opinion faisait partie d'un problème plus répandu au sein de l'organisation. M. Grover ajoute qu'à l'époque, aucun des postes importants de gestion (environ 40) au CNRC n'était occupé par un chercheur d'origine asiatique.

[82] M. Storr a abordé la question des listes d'effectif dans son affidavit. Il était responsable de la mise à jour de ces listes, mais il se fiait aux chefs de groupe pour l'aviser lorsqu'il existait des erreurs sur ces listes. Il ne se souvient pas si M. Grover, à titre de chef de groupe, était venu le voir au sujet de la liste mentionnée dans la plainte ni, si c'était le cas, à quel moment la liste avait été modifiée. En contre-interrogatoire, M. Storr a précisé le processus de gestion des listes d'effectif, mais son témoignage au sujet de ses souvenirs portant sur l'incident précis n'a pas été contesté.

[83] M. Andrew a écrit dans son affidavit qu'il ne se souvenait pas de la réunion à Victoria mentionnée dans la plainte, ni des gens qui avaient pu être présents à cette réunion. Il ne se souvient pas non plus de commentaires que M. Hesser avait pu faire à ce moment, ni d'avoir reçu une note d'excuses. Il ne se souvient pas des autres points que M. Grover a soulevés au sujet de cette allégation. La question de ses souvenirs au sujet de l'incident n'a pas été soulevée en contre-interrogatoire.

[84] M. Morton a aussi écrit dans son affidavit qu'il ne se souvenait pas de la réunion ni des personnes présentes. Il ne se souvient pas que M. Hesser ait fait des commentaires ou qu'il ait envoyé une note d'excuses par la suite. Il ne se souvient pas non plus de discussions qu'il aurait pu avoir avec les personnes présentes à la réunion ou, par la suite, avec M. Grover au sujet de cet événement. Son témoignage au sujet de ses souvenirs n'a pas été contesté en contre-interrogatoire. Il a confirmé qu'après son déménagement à Victoria, ces réunions étaient normalement tenues soit dans cette ville, soit par téléconférence.

C. La capacité du CNRC de présenter une réponse aux allégations a-t-elle été compromise?

[85] Il s'est écoulé presque 13 ans entre le moment où la dernière présumée pratique discriminatoire a eu lieu (septembre 1994) et la date à laquelle la Commission a renvoyé les plaintes au Tribunal (le 1er août 2007). Le premier présumé incident de discrimination (janvier 1991) a eu lieu 16 ans et demi avant le renvoi. Depuis le renvoi, plus de 17 mois se sont écoulés et d'ici aux dates prévues d'audience, en mars 2009, trois autres mois se seront écoulés.

[86] Tous les souscripteurs d'affidavit qui sont mentionnés dans les plaintes ont déclaré dans leurs affidavits qu'ils avaient peu ou pas de souvenirs indépendants des événements mentionnés dans les plaintes de 1991 à 1994. Ceux qui ont été appelés en contre-interrogatoire à l'audience ont soutenu qu'ils ne se souvenaient pas des incidents. La plupart de ces personnes ont pris leur retraite ou ont cessé de travailler au CNRC entre 1994 et 1997. Plusieurs d'entre eux, particulièrement ceux qui ont travaillé à titre de superviseurs de M. Grover pendant la période en question, auront bientôt ou ont déjà 70 ans ou plus. On demande à certaines de ces personnes de se souvenir d'événements et de conversations qui ont eu lieu jusqu'à 18 ans plus tôt. Leur incapacité à se souvenir de ces incidents est compréhensible.

[87] De plus, il est fort probable que tout souvenir qu'ils puissent avoir au sujet des événements après autant d'années soit peu fiable, un point que la Cour de l'Ontario (Division générale) a aussi noté dans la décision Ontario (Ministry of Health) c. Ontario Human Rights Commission, [1993] O.J. no 1528 (Ont. Ct. (Gen. Div.)) (QL). Cette affaire portait sur des incidents qui avaient eu lieu de 7 à 9 ans plus tôt. La Cour a déclaré au paragraphe 23 :

[traduction]

Je doute qu'un tribunal puisse se fier aux souvenirs de témoins qui portent sur des événements qui ont eu lieu il y a si longtemps, en particulier lorsque l'importance de certains des événements peut dépendre de nuances dans le discours, l'attitude ou le comportement.

[88] Beaucoup des présumées pratiques discriminatoires en l'espèce portent sur des attitudes ou des comportements que M. Grover a décrits comme étant une expression de sentiments [traduction] négatifs ou de rancune envers lui. Il a décrit certains des comportements comme étant du harcèlement. Certaines des présumées pratiques discriminatoires sont fondées sur des conversations, telle que celle avec M. Reynolds et Mme Auger au cours de laquelle M. Grover soutient qu'on lui a dit que son affichage holographique avait été choisi pour l'exposition du 75e anniversaire du CNRC. La preuve au sujet de ces présumées pratiques discriminatoires dépend donc des mêmes nuances que la Cour de l'Ontario a mentionnées dans l'extrait ci-dessus.

[89] L'une des raisons que plusieurs des souscripteurs d'affidavit ont données justifiant leur défaut de se souvenir des événements allégués est la nature inoffensive ou mineure des incidents par rapport à l'expérience de vie générale respective de ces personnes. M. Reynolds a déclaré qu'il faisait [traduction] beaucoup de choses en 1991 et que l'affichage holographique de M. Grover n'avait pas une [traduction] grande importance par rapport aux autres activités qui s'étaient déroulées au cours des années. M. Vanier a témoigné qu'il avait rejeté de nombreuses demandes de financement de voyage pour plusieurs chercheurs du CNRC. Par conséquent, il avait de la difficulté à se souvenir des détails portant sur la demande de M. Grover. M. Perron a expliqué qu'à titre de président du CNRC de 1989 à 1994, il avait signé des centaines, sinon des milliers, de lettres qui avaient été rédigées pour lui par la direction de la correspondance du CNRC. Par conséquent, il était incapable de se souvenir des détails au sujet des lettres de 1992 portant sur M. Grover qui sont mentionnées dans les plaintes. Le caractère plutôt frivole des événements allégués, du point de vue de ces personnes, sert d'explication raisonnable pour une partie de leur perte de mémoire au cours des années suivantes.

[90] M. Grover soutient qu'une partie du blâme de ces pertes de mémoire devrait être attribuée au CNRC parce qu'il n'a pas fait d'efforts afin de préserver les souvenirs des témoins. La plupart des témoins ont témoigné que le CNRC n'avait pas communiqué avec eux au cours des années au sujet des allégations de M. Grover. Cependant, je ne suis pas convaincu que la capacité des témoins de se souvenir de façon indépendante des événements particuliers qui remontent aussi loin aurait été différente si le CNRC avait communiqué avec ces témoins plus tôt. Une enquêteuse de la Commission a reçu M. Reynolds en entrevue en 1997, environ six ans après l'incident portant sur l'affichage holographique allégué dans la plainte de M. Grover. D'après le rapport de l'enquêteuse, il semble que M. Reynolds avait des souvenirs plus précis de l'affaire à l'époque. Pourtant, le fait qu'il ait subi une entrevue à l'époque ne l'a pas aidé à se souvenir de façon indépendante des détails aujourd'hui.

[91] Dans un même ordre d'idées, M. Bedford et M. Vanier ont été incapables de se souvenir des incidents allégués dans les plaintes avec le même détail que lorsque la Commission les a reçus en entrevue en 2000 et en 2002, respectivement. M. Grover se demande comment leur mémoire a pu s'affaiblir autant depuis. Cependant, ces entrevues n'ont pas eu lieu récemment, elles ont eu lieu il y a six ou huit ans. Il n'est pas du tout déraisonnable que ces deux témoins, qui, il convient de le répéter, ont plus de 70 ans et sont à la retraite depuis un bon moment, ont perdu beaucoup de souvenirs au sujet de ces vieux événements, même par rapport à leurs souvenirs d'il y a six ou huit ans. Des cours ont ordonné le rejet de plaintes en matière de droits de la personne en raison du délai lorsque l'écart entre l'incident allégué dans la plainte et le renvoi au Tribunal était semblable, ou même plus court, que le temps qui s'est écoulé en l'espèce depuis les dates auxquelles la Commission a simplement reçu en entrevue M. Bedford et M. Vanier (voir p. ex. Nulla Bona Holdings Ltd. c. British Columbia (Human Rights Commission), 2000 BCSC 502; Ontario (Ministry of Health), précitée).

[92] Je suis donc convaincu qu'en raison de l'incapacité des témoins de se souvenir des événements allégués dans les plaintes, la capacité du CNRC de présenter une réponse complète aux allégations soulevées contre lui a été compromise par le délai en l'espèce.

D. Le délai doit-il être inacceptable ou injustifié pour que le renvoi de la plainte soit fondé?

[93] Même si la perte de mémoire des témoins cause un tel préjudice au CNRC qu'il n'est plus en mesure de répondre complètement aux allégations présentées contre lui, cela constitue-t-il un fondement suffisant pour rejeter les plaintes? Le délai doit-il être d'une certaine ampleur ou durée afin de justifier le rejet? M. Grover a soutenu qu'une plainte ne devrait être rejetée que lorsque le délai est considéré inacceptable. En ce qui a trait à son propre cas, il fait valoir que compte tenu de toute l'activité qui a existé au sujet de ses trois plaintes au cours des années, le délai n'était pas inacceptable.

[94] Pour examiner l'observation de M. Grover, il convient de se souvenir que la question en litige en l'espèce en est une de justice naturelle et d'équité. Si les circonstances ont évolué au point où une audience équitable ne peut plus être garantie, le Tribunal n'aura plus compétence pour poursuivre. Donc, lorsque l'on parle d'un délai qui compromet la capacité d'une partie de répondre à une plainte, l'importance est mise sur le préjudice causé par le délai et non sur la nature même du délai. Tout dépend des circonstances de chaque affaire. Dans certains cas, le Tribunal peut conclure qu'un délai de nombreuses années ne compromet pas la capacité d'une partie de répondre à une plainte, alors que dans d'autres cas, une période plus courte pourrait avoir l'effet opposé et empêcher une partie d'avoir accès à une audience équitable. Par exemple, dans la décision Chan c. Ontario Power Generation Inc., [2000] O.H.R.B.I.D. no 7 (Ont. Bd. Inq.) (Q.L.), 52 mois se sont écoulés entre le dépôt de la plainte et le renvoi à la Commission d'enquête. Le Tribunal n'était pas convaincu que l'intimée avait subi un préjudice d'une importance telle qu'il justifiait le rejet de la plainte. Dans l'arrêt Nulla Bona Holdings Ltd., précité, cependant, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu qu'un délai de 42 mois avait causé un préjudice tant prétendu que réel à la capacité de l'intimé de présenter ses arguments.

[95] L'importance est placée sur le préjudice réel causé par le délai. À mon avis, il n'est pas nécessaire de qualifier le délai d'inacceptable ou d'injuste pour qu'un intimé puisse avoir recours à cette réparation. En effet, ces deux termes se retrouvent dans la plupart de la jurisprudence qui porte sur la question de délai. En effet, il est difficile d'imaginer une situation dans laquelle un délai ordinaire ou raisonnable compromettrait la capacité d'une partie de répondre à une plainte. Ces problèmes, de par leur nature, apparaîtront lorsqu'il y a un délai excessif. Dans une situation où un intimé ne peut pas présenter une défense pleine et entière au sujet d'une plainte présentée contre lui en raison du temps qui s'est écoulé, le Tribunal n'a d'autre choix que de mettre fin au processus qui est désormais injuste, peu importe la durée du délai ou les raisons qui le justifient.

[96] Cependant, même si mon interprétation du critère est incorrecte et que seul un préjudice causé par un délai inacceptable ou injuste peut être réparé, je conclus, en fonction des faits en l'espèce, que le délai était réellement inacceptable et injuste. Une aussi longue période entre le moment où les événements allégués ont eu lieu et le renvoi des plaintes au Tribunal est extrêmement excessive. La proposition selon laquelle ce délai ne serait pas inacceptable défie toute logique.

[97] M. Grover laisse entendre qu'il faut examiner attentivement les sources du délai avant de tirer une conclusion. Une partie du délai peut être attribuée au processus de contrôle judicaire (qui a duré environ quatre ans - trois ans en ce qui a trait à la demande de contrôle judiciaire de M. Grover et un an découlant de la demande du CNRC). Cela laisse encore une période de neuf à 12 ans et demi, selon la plainte. M. Grover soutient que même pendant cette période, la situation n'en était pas une de statu quo. À certains moments, les parties se sont tellement occupées de la plainte no 1 que la Commission a ralenti ou a suspendu son enquête au sujet des autres plaintes. La première décision de la Commission au sujet des plaintes no 2 et no 3 a été rendue en 1998, environ six ans après leur dépôt, ce qui est un long moment, mais qui n'est pas nécessairement excessif par rapport à d'autres plaintes qui ont été présentées au Tribunal (voir Cremasco, précitée, au paragraphe 107; Gagné, précitée, au paragraphe 12.). Une partie du délai était attribuable aux enquêtes additionnelles de la Commission, qui ont été tenues conformément aux ordonnances de la Cour fédérale. Cependant, comme le CNRC le note, ces prolongations ont eu lieu parce que la Commission n'avait pas effectué son enquête correctement en premier lieu.

[98] De plus, le dossier démontre qu'il existe des lacunes dans l'historique de l'affaire, qui sont inexpliquées ou injustifiées. Par exemple, presque trois ans se sont écoulés entre la décision de la Cour fédérale du 14 mai 2004, qui ordonnait à la Commission de terminer son enquête au sujet de la plainte no 4, et la date à laquelle l'enquêteuse externe de la Commission a communiqué avec les parties afin d'obtenir des renseignements pour communiquer avec plusieurs témoins (le 3 janvier 2007). Rien n'indique que son enquête a commencé avant cette date. Il est possible qu'il y ait eu des discussions préliminaires entre les parties à l'automne 2004 (bien que la preuve n'indique pas exactement s'il s'agissait de négociations visant à arriver à une entente). Cependant, même si de telles discussions étaient en cours, il reste que le temps s'écoulait toujours en ce qui a trait au préjudice envers la capacité du CNRC de se défendre.

[99] Les causes du délai, à mon avis, n'en diminuent pas le caractère inacceptable.

E. Le préjudice est-il suffisant pour avoir des répercussions sur l'équité de l'audience?

[100] Le délai inacceptable et injuste a-t-il compromis la capacité du CNRC de présenter une défense complète au sujet de la plainte au point tel qu'il existe des répercussions sur l'équité de l'audience (Blencoe, précité, aux paragraphes 102 et 104)? À mon avis, c'est le cas. Le CNRC n'est plus en mesure de répondre aux allégations présentées contre lui parce qu'un aussi grand nombre de ses témoins, en raison du temps écoulé, ne sont plus capables de se souvenir de façon indépendante des incidents allégués dans les plaintes. L'affaire en l'espèce est différente d'autres affaires pour lesquelles il n'y avait pas de preuve de préjudice envers l'équité de l'audience. Dans l'arrêt Blencoe, au paragraphe 103, la Cour suprême a adopté la conclusion du juge de première instance au sujet des déclarations de l'intimé selon lesquelles les souvenirs de ses témoins avaient été affectés par le temps qui s'était écoulé. La cour de première instance avait conclu qu'il s'agissait d'allégations vagues qui n'établissaient pas l'incapacité de prouver les faits nécessaires afin de répondre aux plaintes. Dans un même ordre d'idées, dans la décision Gagné, précitée, aux paragraphes 12 à 14, il n'y avait aucune preuve au sujet du fait que les souvenirs des témoins s'étaient [traduction] nécessairement estompés. Cependant, en l'espèce, huit témoins possibles ont officiellement témoigné du fait que leurs souvenirs se sont estompés. Il est raisonnable de s'attendre à ce que le CNRC ait appelé ces personnes à témoigner en réponse aux allégations de M. Grover. Le préjudice dont fait état le CNRC (c'est-à-dire, la perte de mémoire de ses témoins) ne constitue pas simplement de [traduction] vagues allégations.

[101] Il est important de noter que le Tribunal a entendu les témoignages de la plupart de ces personnes, y compris des personnes dont le rôle a été souligné en particulier dans les plaintes (c'est-à-dire M. Vanier, M. Bedford, et M. Perron). Dans la décision Chan, précitée, la Commission d'enquête de l'Ontario a conclu qu'elle ne pouvait évaluer les allégations de l'intimé au sujet du manque de souvenirs de ses témoins par rapport aux événements que si elle entendait les témoignages de ces témoins. Par comparaison, j'ai eu l'avantage d'entendre le témoignage d'une grande partie des témoins possibles du CNRC et leurs pertes de mémoire ont bien été établies.

[102] M. Grover conteste l'authenticité des prétendues pertes de mémoire des témoins, en particulier au sujet de M. Vanier et de M. Perron, qui ont tous deux été mentionnés de façon assez importante dans la décision du Tribunal de 1992 au sujet de la plainte no 1. Ce Tribunal avait conclu que le témoignage de M. Vanier, ainsi que celui d'autres témoins du CNRC, était dans bien des cas vague, contradictoire et pas assez détaillé. Le Tribunal a ensuite jugé ces témoins du CNRC peu dignes de foi. Le Tribunal a aussi mentionné une lettre d'ultimatum, envoyée à M. Grover par M. Perron, comme exemple du traitement humiliant et méprisant du CNRC envers M. Grover. Ce dernier laisse donc entendre que ces deux témoins en particulier ont des raisons impérieuses de ne pas vouloir témoigner dans une affaire à laquelle il est partie, de peur d'être encore critiqués de façon publique dans le même forum. Il note que lorsque la Commission a demandé à recevoir M. Vanier en entrevue en 2002, ce dernier a choisi de retenir les services de son propre avocat, ce qui indique à tout le moins qu'il prenait des précautions extrêmes en ce qui a trait à M. Grover. M. Grover fait valoir que les témoins avaient intérêt à exagérer leurs pertes de mémoire afin d'éviter l'embarras possible qui pourrait découler de l'audition des plaintes no 2, no 3 et no 4. Un argument semblable pourrait s'appliquer aux autres témoins du CNRC qui, ayant vu comment les actions de M. Vanier et M. Perron ont été jugées dans la première décision du Tribunal, pourraient aussi hésiter à risquer une telle critique en l'espèce.

[103] Cependant, je ferais erreur si j'évaluais la crédibilité des témoins en fonction des conclusions du Tribunal de 1992. La même question, au sujet du même témoin (M. Vanier), a été tranchée par la Cour fédérale dans le jugement de 2004 qui ordonnait à la Commission de présenter des motifs supplémentaires (pour les plaintes no 2 et no 3) et de terminer son enquête (pour la plainte no 4) (Canada (Procureur général) c. Grover, 2004 CF 204, au paragraphe 44). La Cour a conclu que la Commission aurait clairement commis une erreur de droit si elle avait déterminé qu'elle ne pouvait pas évaluer la crédibilité de M. Vanier parce que cette crédibilité avait déjà été mise en doute par le Tribunal en 1992. La Cour s'est fondée sur la décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan dans l'affaire Huziak c. Andrychuk (1977), 1 C.R. (3d) 132 (Sask. Q.B.), qui précisait :

[traduction]

Le fait qu'un juge ne croit pas un témoin dans une affaire ne signifie pas nécessairement qu'il ne croira pas le même témoin s'il comparait dans une autre affaire. [...] Chaque affaire est un cas d'espèce.

[104] J'ai conclu que le témoignage de M. Vanier à l'audition de la requête était crédible. Il n'a pas fait de dénégation générale au sujet de ses souvenirs à chaque question qui lui a été posée. Lorsqu'il était capable de se souvenir des faits, des événements ou d'un quelconque détail, ses réponses étaient franches. Il a répondu librement, sans hésitation. J'ai tiré des conclusions semblables au sujet de la crédibilité de M. Perron et de tous les autres témoins. Je n'ai pas noté de réponse évasive, de contradictions ou d'autres signes de manque de sincérité dans leur témoignage.

[105] M. Vanier a expliqué en contre-interrogatoire qu'il avait retenu les services d'un avocat en 2002, moins pour le fait que la première décision avait été défavorable envers lui, mais plutôt parce qu'il croyait qu'il avait [traduction] besoin du soutien de quelqu'un. Il a témoigné qu'il croyait toujours qu'il n'avait rien fait de mal au sujet de la plainte no 1, alors il n'avait pas apprécié la critique que le Tribunal avait faite de lui. Ce n'est pas la première fois qu'un témoin ou qu'une partie n'est pas convaincu par une conclusion du Tribunal et qu'il n'y souscrit pas. M. Vanier a souligné qu'il n'avait pas son propre avocat en 1992 lorsqu'il a témoigné à l'audition de la plainte no 1. Des amis et des connaissances qui n'ont pas de liens avec le CNRC lui ont donc suggéré de retenir les services d'un avocat cette fois-ci. De son point de vue, le fait de demander le soutien d'un avocat avait beaucoup de sens compte tenu des circonstances.

[106] À mon avis, on ne peut prêter aucune autre intention au fait que M. Vanier a embauché un avocat. Il avait le droit de demander l'avis d'un avocat et ses préoccupations, compte tenu des conclusions du Tribunal en 1992, étaient compréhensibles. De plus, je trouve un peu déplacée la suggestion selon laquelle il faut tirer une conclusion négative contre une personne simplement parce qu'elle a exercé son droit d'avoir recours à un avocat.

[107] On a demandé directement à M. Vanier s'il déclarait qu'il n'avait pas de souvenirs simplement parce qu'il aurait préféré ne pas se présenter à l'audience. Sa réponse sans équivoque a été qu'il n'y avait aucun lien entre son désir de ne pas participer à cette affaire [traduction] déplaisante une fois de plus, et l'honnêteté de son témoignage qui, à mon avis, était franc et persuasif. Je ne vois aucune raison de douter de lui.

[108] En somme, j'accepte le témoignage de tous les souscripteurs d'affidavit au sujet de leur pertes de mémoire et de leur manque de souvenirs indépendants au sujet des événements allégués dans l'exposé modifié des précisions.

[109] Le fait que le témoignage de plusieurs autres témoins possibles du CNRC n'ait pas été présenté est-il important? M. Grover a noté que bien que le CNRC ait présenté la preuve d'un certain nombre de témoins, il n'a pas présenté d'affidavit de Clive Willis, de Mme Auger, de M. Zwinkels et de M. Powell. M. Willis était, semble-t-il, un vice-président du CNRC au début des années 1990. Son nom a été mentionné dans la décision du Tribunal de 1992 au sujet de la plainte no 1. M. Grover l'a aussi nommé dans plusieurs des allégations présentées dans la plainte no 4. Cependant, ces allégations ne font plus partie de la version abrégée de la plainte qui a été présentée au Tribunal. Le CNRC a expliqué que c'est pour cette raison qu'il n'a pas demandé d'affidavit à M. Willis. L'explication est raisonnable et je l'accepte.

[110] Comme je l'ai noté plus tôt, le nom de Mme Auger a été mentionné dans le rapport d'enquête de la Commission du 28 avril 1997. Elle était la coordonnatrice d'événements spéciaux et de salons professionnels qui travaillait avec M. Reynolds à la préparation de l'exposition pour le 75e anniversaire du CNRC. Son nom n'apparaît pas dans les plaintes de M. Grover ni dans son exposé modifié des précisions. En effet, le nom de M. Reynolds n'y apparaît pas non plus. Cependant, comme il l'a été écrit dans une note datée du 8 février 1991 de M. Bedford à M. Grover, qui a été présentée en preuve, M. Reynolds était le responsable du groupe qui organisait l'exposition. Par conséquent, M. Reynolds aurait été le mieux placé pour répondre à cette allégation. De toute façon, je note une fois de plus que ni M. Reynolds, ni Mme Auger n'ont été mentionnés dans l'énoncé des précisions de M. Grover. Il était raisonnable pour le CNRC de ne pas présenter d'affidavit de Mme Auger.

[111] M. Zwinkels est nommé dans l'exposé modifié des précisions. Cependant, M. Grover ne semble pas diriger directement sa critique envers M. Zwinkels au sujet de l'allégation selon laquelle M. Vanier avait demandé à M. Zwinkels de livrer en personne une note à M. Grover et de la lui lire à voix haute. En fait, la plainte semble viser M. Vanier, qui aurait censément donné ces instructions à M. Zwinkels, qui à son tour n'a fait que les suivre. Le rôle de M. Zwinkels est donc mineur par rapport à celui des autres, qui ont présenté des affidavits.

[112] Cependant, M. Powell joue un rôle beaucoup plus important dans les allégations présentées par M. Grover dans son énoncé modifié des précisions. Comme il était la personne qui a censément été rétrogradée en raison de la nomination de M. Grover, il aurait pu apporter des précisions au sujet des pratiques discriminatoires qui ont censément eu lieu après l'arrivée de M. Grover. Aucune explication n'a été donnée au sujet de l'absence d'un affidavit de M. Powell. Finalement, je note que M. Hesser, dans son affidavit, ne mentionne pas les remarques racistes envers les Asiatiques et les Chinois qu'il aurait faites à Victoria en septembre 1994. Il est donc impossible de savoir s'il se souvient de cette réunion et de ce qu'il aurait pu y dire.

[113] En ce qui a trait à Mme Bewsher, dont l'adresse actuelle est inconnue, je conviens avec M. Grover que son témoignage n'est probablement pas aussi important que celui d'autres témoins du CNRC, compte tenu de son implication plutôt mineure qui ne portait que sur une seule allégation de discrimination. De plus, le CNRC n'a pas démontré qu'il avait déployé tous les efforts possibles pour la retrouver. Par exemple, aucune preuve n'a été présentée à savoir si le CNRC a eu recours aux services d'une agence d'évaluation du crédit, comme il l'a fait pour trouver M. Vanier. Il est encore possible de trouver Mme Bewsher.

[114] Il est donc possible que le CNRC n'ait pas établi que chaque témoin possible n'est soit pas disponible, soit plus capable de se souvenir de façon claire des événements allégués dans les plaintes. Cependant, pour qu'une plainte soit rejetée, l'intimé n'a pas à démontrer qu'il lui est impossible de répondre à chaque aspect de la plainte. Dans la décision Ford, précitée, au paragraphe 16 (une décision que la Cour suprême du Canada a citée avec approbation dans l'arrêt Blencoe, au paragraphe 102), le critère de l'impossibilité a été rejeté. Le critère approprié, d'après la Cour de l'Ontario (Division générale), est de déterminer, en fonction du dossier, si la preuve de préjudice est telle qu'elle a des répercussions sur l'équité de l'audience. À mon avis, ce critère a été satisfait en l'espèce. Les souvenirs de presque tous les témoins du CNRC se sont estompés de façon évidente et dans le cas d'au moins un témoin (Mme Bewsher), il est possible que cette personne ne soit plus disponible. Il s'agit donc d'une preuve plus que suffisante du fait que le CNRC n'est plus en mesure de répondre aux allégations présentées contre lui, ce qui a des répercussions sur l'équité de l'audience.

[115] Même s'il pouvait être démontré que d'autres témoins, qui n'ont présenté aucune preuve au Tribunal, se souviennent en détails des événements en question en l'espèce, il y a trop d'autres témoins du CNRC qui n'ont plus de souvenirs indépendants des événements. La capacité du Tribunal de tenir une audience équitable est donc compromise.

F. Serait-il prématuré de rejeter les plaintes immédiatement?

[116] D'après M. Grover et la Commission, même s'il est démontré que les témoins n'ont plus de souvenirs indépendants au sujet des allégations présentées dans les plaintes, le Tribunal ne devrait pas rejeter les plaintes à cette étape. L'intimé n'a toujours pas signifié et déposé ses documents d'information, comme l'exigeait le calendrier de gestion d'instance établi par le Tribunal en l'espèce. M. Grover soutient donc que le Tribunal ne sera en mesure de déterminer si l'équité de la procédure a été compromise que lorsque toute la preuve documentaire disponible aura été divulguée.

[117] Je ne suis pas du même avis. Premièrement, il est évident que les parties traitent les questions en l'espèce de façon contradictoire depuis plus d'une décennie et demie. Plusieurs autres procédures judiciaires ont découlé des conflits entre les parties, y compris au moins une décision arbitrale, un procès civil et plusieurs demandes de contrôle judiciaire. La Commission a effectué des enquêtes au sujet des plaintes en plusieurs phases, pour les motifs précités. On m'a présenté des preuves selon lesquelles la Commission a demandé et a obtenu des documents du CNRC au cours de ces enquêtes. Il me semble très probable, par conséquent, que pendant des échanges entre les parties au cours des années, la plupart, si ce n'est la totalité, des documents pertinents quant au présent conflit ont déjà été communiqués aux parties. Pendant le contre-interrogatoire des témoins du CNRC, M. Grover a présenté plusieurs documents internes du CNRC qu'il avait déjà en sa possession, afin d'essayer de rafraîchir la mémoire des témoins en question. Par conséquent, il est évident qu'il ne s'agit pas d'une situation dans laquelle l'intimé a retenu des documents pertinents ou qu'il est le seul à avoir accès à tous les documents pertinents.

[118] De plus, même si certains documents devaient être révélés lors d'une divulgation, le fait reste que les témoins n'auront toujours pas de souvenirs indépendants des incidents allégués et que, par conséquent, le CNRC ne sera toujours pas capable de se fier à ses témoins pour répondre aux questions découlant de cette preuve documentaire hypothétique. Cette incapacité à se défendre sera une fois de plus causée par le délai inacceptable et injuste en l'espèce. L'existence de tels documents n'éliminera ou ne diminuera donc pas l'atteinte à l'équité du processus d'audience.

G. Le fait de rejeter les plaintes lancerait-il un message inapproprié aux autres parties qui se présentent devant le Tribunal?

[119] M. Grover soutient que si ses plaintes sont rejetées en raison du délai, un message inapproprié sera lancé aux futures parties à un litige devant le Tribunal. Les intimés comprendront qu'il est dans leur intérêt de ralentir autant que possible le processus de la Commission avant le renvoi d'une plainte au Tribunal, afin de créer une possibilité de présenter une demande pour que la plainte soit rejetée en raison du préjudice causé par le délai. Les plaignants, quant à eux, hésiteront à participer à tout effort de résolution de l'affaire par médiation ou par conciliation, de peur de rallonger la période avant le renvoi au point tel que leurs plaintes pourraient être rejetées en raison d'un délai injuste. Certains plaignants pourraient aussi douter de la motivation réelle des intimés quant à la participation à des discussions de règlement à l'amiable, en particulier si ces discussions sont prolongées.

[120] À mon avis, ces questions ne justifient pas la tenue d'une audience qui est fondamentalement injuste et qui constitue un manquement à la justice naturelle. De toute façon, l'argument de M. Grover au sujet des répercussions possibles sur les efforts de règlement à l'amiable implique qu'il y a eu des négociations continues en l'espèce au cours des 13 à 16 ans et demi qui se sont écoulés avant que les plaintes soient renvoyées au Tribunal. On ne m'a présenté aucune preuve à ce sujet. Il semble qu'il y ait eu des discussions au cours de ces périodes, mais rien qui n'explique ou qui ne justifie une telle période de temps excessive. La source plus probable du délai semble venir de la décision de suspendre les plaintes no 2, no 3, et no 4 jusqu'à ce que le conflit au sujet de la plainte no 1 se rende au Tribunal et passe par la procédure judiciaire.

[121] Les principes de justice naturelle et d'équité demandent que toutes les plaintes soient traitées avec la diligence appropriée. Comme il l'a été noté dans la décision Cremasco, précitée, au paragraphe 84, au même titre que toute partie à un litige, le plaignant et la Commission ont l'obligation de poursuivre une action avec une diligence raisonnable. De plus, le type de délai causé par des discussions de règlement à l'amiable ou même par des moyens dilatoires utilisés par un intimé ne risque pas d'être aussi important que le délai en l'espèce. Il s'agit d'un délai extrêmement excessif. Il n'y a aucune raison pour que d'autres parties devant le Tribunal craignent que le délai normal, qui découle du fait que les parties travaillent de façon cohérente et raisonnable ensemble afin d'arriver à une résolution rapide de la plainte, s'étende au point où il compromet la capacité de l'intimé de répondre aux allégations qui ont été présentées contre lui.

III. CONCLUSION

[122] Pour toutes les raisons susmentionnées, je conclus que le CNRC a établi que le délai dans l'audition de ces plaintes a compromis sa capacité de présenter une défense complète au sujet des allégations présentées contre lui de façon si importante que les plaintes no 2, no 3 et no 4 devraient être rejetées. La requête du CNRC est accueillie.

[123] Compte tenu de ces conclusions, je n'ai pas à traiter l'observation subsidiaire du CNRC selon laquelle l'audition de ces plaintes déconsidérerait le système de droits de la personne et constituerait un abus de procédure.

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)
Le 6 janvier 2009

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1242/5407

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Chander Prakash Grover c. le Conseil national de recherches du Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE

PRÉLIMINAIRE :

Les 7, 12, 13 et 14 novembre 2008

DATE DE LA DÉCISION SUR REQUÊTE
DU TRIBUNAL :

Le 6 janvier 2009

ONT COMPARU :

Paul Champ

Pour le plaignant

K.E. Ceilidh Snider

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Ronald M. Snyder / Sanderson Graham

Pour l'intimé

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.