Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

MICHELINE MONTREUIL

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

BANQUE NATIONALE DU CANADA

l'intimée

DÉCISION SUR LA REQUÊTE VISANT À REJETER LA PLAINTE

2003 TCDP 27

2003/07/11

MEMBRE INSTRUCTEUR : Anne Mactavish

[1] Micheline Montreuil a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre la Banque nationale du Canada, alléguant que cette dernière a refusé de l'embaucher en raison de son sexe, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Mme Montreuil affirme qu'elle est une transsexuelle.

[2] La Banque a présenté deux requêtes préliminaires relativement à la plainte de Mme Montreuil. La première requête visait à faire rejeter la plainte pour le motif que le Tribunal canadien des droits de la personne ne jouissait pas du degré nécessaire d'indépendance et d'impartialité institutionnelles en raison de certaines dispositions de sa loi habilitante. Cette requête a été retirée à la suite de la récente décision de la Cour suprême du Canada dans Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone(1).

[3] La deuxième requête présentée par la Banque visait le rejet sommaire de la plainte de Mme Montreuil. Dans le libellé de la plainte, Mme Montreuil explique son affirmation voulant qu'elle soit transsexuelle, précisant qu'elle s'habille en femme et est actuellement en période de transition pour devenir une femme(2). La Banque soutient que dans le cours d'une instance devant la Cour d'appel du Québec(3), Mme Montreuil a reconnu qu'elle n'avait pas l'intention de subir la chirurgie pour changement de sexe. Par conséquent, la Banque affirme que Mme Montreuil, de son propre aveu, n'est pas une transsexuelle en passe de devenir une femme. Par conséquent, sa plainte devrait être rejetée sommairement.

[4] Mme Montreuil prétend qu'elle a toujours maintenu qu'elle est une transgenre (sic), c'est-à-dire une personne qui est en transition entre le sexe masculin et le sexe féminin. Selon elle, certaines gens décrivent les transgenres comme des transsexuels au stade pré-opératoire. D'autres les décrivent comme des travestis à temps plein. D'autres encore les considèrent comme étant en partie des hommes et en partie des femmes ou, si l'on préfère, des mi-femme et mi-homme. Quelle que soit la terminologie qu'on utilise, il est évident, d'après Mme Montreuil, qu'une transgenderiste est une personne qui en est à un stade évolutif et qui pourrait devenir un jour transsexuelle. Mme Montreuil soutient que le stade où elle en est dans ce processus évolutif ne concerne en rien la Banque. Selon elle, il s'agit d'une question personnelle et la position adoptée par la Banque constitue une intrusion intolérable dans sa vie privée.

[5] Mme Montreuil demande que le Tribunal rejette la requête de la Banque avec dépens.

[6] La question fondamentale pour le Tribunal face à cette requête consiste à déterminer si la plainte de Mme Montreuil met en cause un motif de distinction illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Si ce n'est pas le cas, il ne peut y avoir violation de la Loi, et la plainte doit être rejetée.

[7] Dans sa plainte, Mme Montreuil se décrit comme une transsexuelle. Il existe de nombreuses décisions en matière de droits de la personne qui font jurisprudence et dans lesquelles les tribunaux ont conclu que la discrimination fondée sur le transsexualisme constitue une discrimination fondée sur le sexe(4).

[8] Par conséquent, je suis convaincue qu'à première vue, la plainte de Mme Montreuil s'inscrit à l'intérieur des paramètres de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et doit être instruite afin de déterminer si les allégations peuvent être prouvées.

[9] La Banque semble s'inscrire en faux contre l'affirmation énoncée dans la plainte de Mme Montreuil selon laquelle elle est une transsexuelle en passe de devenir une femme. Si elle est d'avis que Mme Montreuil n'a pas été cohérente dans la description de son état, la Banque voudra peut-être soulever cet aspect en contre-interrogatoire.

[10] Il me semble qu'en fin de compte, il faut s'appuyer sur un fondement probatoire pour déterminer si une personne qui se décrit comme une transsexuelle mais qui n'a pas l'intention de subir la chirurgie pour changement de sexe est, en fait, une transsexuelle. Par conséquent, la question doit être examinée dans le cours de l'audience proprement dite, et non à titre de question préliminaire.

[11] La requête de la Banque est donc rejetée sans porter atteinte au droit de la Banque de faire valoir cet argument à l'audience sur le fond de la plainte de Mme Montreuil.

[12] En ce qui concerne la requête de Mme Montreuil concernant les dépens, je souscris à la prétention de la Banque, à savoir que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne confère pas au Tribunal le pouvoir d'adjuger à une partie des dépens à l'égard d'une requête préliminaire. L'alinéa 53(2)c) de la Loi autorise le Tribunal à indemniser la victime des dépenses entraînées par l'acte. Cette disposition a été interprétée comme incluant l'adjudication de dépens(5). Cependant, le pouvoir de redressement conféré par l'article 53 de la Loi ne peut être exercé par le Tribunal qu'une fois qu'il a conclu que la partie intimée a commis un acte discriminatoire. Aucune conclusion en ce sens n'a été tirée en l'espèce.

I. ORDONNANCE

[13] Pour ces motifs, la requête de la Banque est rejetée sans frais.

Originale signée par

Anne L. Mactavish

OTTAWA (Ontario)

Le 11 juillet 2003

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T795/4503

INTITULÉ DE LA CAUSE : Micheline Montreuil c. Banque nationale du Canada

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 11 juillet 2003

ONT COMPARU :

Micheline Montreuil en son propre nom

André Giroux au nom de l'intimée (Banque nationale du Canada)

1. 1 2003 CSC 36.

2. 2 Dans la version française originale, on peut effectivement lire dans l'énoncé de la plainte de Mme Montreuil : [Je] suis actuellement en période de transition pour devenir une femme.

3. 3 Montreuil c. Directeur de l'état civil, [2002] R.J.Q. 2911.

4. 4 Voir, par exemple, Kavanagh c. Service correctionnel du Canada, (2001) 41 C.H.R.R. D/119 (T.C.D.P.), Sheridan v. Sanctuary Investments Ltd. (exerçant son activité sous le nom de B.J.'s Lounge), (1999) C.H.R.R. D/467 (B.C.H.R.T), M.L. et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec c. Maison des jeunes, [1998] J.T.D.P.Q. no 31 (T.D.P. Qc), Ferris v. Office and Technical Employees Union, Local 15, [1999] B.C.H.R.T. No. 55, et Mamela v. Vancouver Lesbian Connection, (1999) 36 C.H.R.R. D/318 (B.C.H.R.T.).

5. 5 Voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Stevenson, 2003 CFPI 341.

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