Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 11/ 87

Décision rendue le 23 octobre 1987

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE SIEGEANT EN APPEL SOUS L’EGIDE DE LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S. C. [1976] 77. C. 33 ET SES AMENDEMENTS)

ENTRE:

JACQUES LEDEUFF, Plaignant- appelant;

ET:

COMMISSION DE L’EMPLOI ET DE L’IMMIGRATION, Mise en cause intimée;

DEVANT: ME CLAUDE D. MARLEAU, Président, ET: MME NIQUETTE DELAGE ET MME MURIELLE ROY,

COMPARUTIONS: Me ANDRE BLUTEAU Procureur de la mise en cause intimée ANNE TROTTIER, Me RUSSELL JURIANSZ Procureurs de la Commission Canadienne des Droits de la Personne et du plaignant- appelant

Date de l’audition: le 10 mars 1987 > DECISION Le présent tribunal siégeant en appel d’une décision de première instance rendue par Me Nicolas Clicle le 14 octobre 1986 fut constitué, le 24ième de novembre 1980, par M. Sidney N. Lederman, Qc., suite à un avis d’appel formé par la Commission Canadienne des Droits de la Personne et M. Jacques LeDeuff, le tout conformément là l’article 41.2 de la Loi Canadienne des Droits de la Personne (S. C. [1976- 77], C. 33, tel que modifié).

L’avis d’appel tel que déposé devant le tribunal sous la cote T- 2 se lit comme suit:

"Les motifs au soutien de l’appel sont les suivants: 1) Le tribunal a erré dans l’interprétation qu’il a donné à l’article 5 de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne.

2) Le tribunal a erré en concluant à l’absence de discrimination pour des motifs d’origine ethnique ou nationale à l’endroit du plaignant.

3) Le tribunal a erré en concluant l’absence de dommages moraux."

Le tout daté à Ottawa le 20ième jour d’octobre 1936.

LES FAITS

Le tout a débuté avec le dépôt d’une plainte par M. Jacques LeDeuff dont le texte intégral est le suivant:

" J’allègue avoir été défavorisé et harcelé en raison de la perception que la mise en cause se faisait de mon origine nationale ou ethnique (perçue comme étant autre que canadienne) et ceci en contravention aux articles 5. b) et 13.1 (1) a) de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne. En effet, à cause de la résonnance étrangère qu’a mon nom pour la mise en cause, cette dernière a communiqué avec moi pour me demander quel était mon statut d’immigration au Canada. Selon l’agent de la mise en cause avec lequel j’ai communiqué il s’agit là d’une pratique courante. Je crois donc que la mise en cause défavorise et harcèle en raison de l’origine nationale et ethnique et en raison de la perception qu’elle se fait de l’origine nationale ou ethnique de la personne."

Le tribunal de première instance en la personne de Me Nicolas Cliché fut désigné le 13 mai 1986 pour entendre la plainte de M. LeDeuff.

Devant Me Cliché une question de juridiction fut soulevée par le procureur de la mise en cause à l’effet que si la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada n’était pas un fournisseur de services destinés au public selon l’article 5 de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne, le tribunal n’aurait pas juridiction pour siéger dans le présent dossier.

Le tribunal de première instance après examen de la jurisprudence citée au soutien des prétentions des deux( 2) procureurs est venu à la conclusion que la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada était un fournisseur de services destinés au public entrant dans le cadre de l’article 5 de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne et s’exprima de la façon suivante:

" Le présent tribunal est d’opinion que la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada tient ses pouvoirs d’une loi adoptée par le Parlement du Canada. Cette loi d’application est générale et lorsque le Gouvernement du Canada applique une loi d’application générale, il fournit un service destiné au public. La Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada accomplissait un devoir officiel comme agent de la couronne, il offrait donc un service destiné au public.

Le présent tribunal est d’opinion que la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada, en agissant comme elle l’a fait dans le cas LeDeuff, fournissait un service destiné au public et que ce faisant elle devait s’abstenir d’agir pour un motif de distinction illicite." (page 9 de la décision DT 6/ 86)

Même si l’avis d’appel pour lequel le présent tribunal a été désigné ne contenait pas d’appel incident de la part de la mise en cause intimée, il a quand même été permis à son procureur, de faire une objection préliminaire quant à la question de juridiction soit que la mise en cause intimée n’était pas un fournisseur de biens et services tel que visé à l’article 5 de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne.

Le tribunal ayant pris cette objection sous réserve et ayant eu l’occasion de revoir la décision du tribunal de première instance, ainsi que la jurisprudence et l’argumentation des procureurs respectifs, il vient à la conclusion que le tribunal de première instance n’a pas erré en ce qui concerne sa décision quant à l’application de l’article 5 de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne quand il décide que la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada ainsi que ses agents fournissaient des services destinés au public et devaient donc s’abstenir d’agir pour des motifs de distinction illicite.

POUVOIR DU TRIBUNAL D’APPEL

Art. 42.1 (3) (4), (5) et (6). Loi Canadienne sur les Droits de la Personne.

42.1 (3) Sous réserve du présent article, les tribunaux d’appel sont constitués comme les tribunaux prévus à l’article 39 et sont investis des mêmes pouvoirs; leurs membres ont droit à la rénumération et aux indemnités prévues au paragraphe 39 (4).

42.1 (4) Le tribunal d’appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de faits ou de questions mixtes de droit et de faits.

42.1 (5) Le tribunal d’appel entend l’appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l’ordonnance fait l’objet de l’appel et sur les arguments des parties intéressées mais il peut, s’il l’estime indispensable à la bonne administration de la plainte, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.

42.1 (6) Le tribunal d’appel qui statut sur les appels prévus au présent article peut:

  1. les rejeter ou,
  2. y faire droit et substituer sa décision ou ordonnance à celle du tribunal dont la décision fait l’objet de l’appel. [1976- 77], c. 33, Art. 42.1; [1985] c. 26, Art. 72.

LE DROIT

En ce qui concerne le droit substantif propre au présent débat, ce sont les articles 5. et 13( 1) qui sont en cause et qui se lisent comme suit:

"5. Constitue un acte discriminatoire le fait pour le fournisseur de biens, de services, d’installation ou de moyens d’hébergement destinés au public

a) d’en priver, /9 > - 9 b) de défavoriser, à l’occation de leur fourniture, Un individu, pour un motif de distinction illicite.

13.( 1) Constitue un acte discriminatoire le fait de harlecer un individu

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installation ou de moyens d’hébergement destinés au public,

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logement, ou c) en matière d’emploi pour un motif de distinction illicite."

Première question: Est- ce que le tribunal de première instance a erré dans l’interprétation qu’il a donné à l’article 5. de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne?

Afin de répondre à cette question, nous tenterons de résumer les faits mis en preuve lors de l’audition en première instance.

M. Réal Hébert est un agent PM2 du Service de l’Immigration à la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada.

Entre autres, l’une de ses fonctions étant d’agir à titre d’enquêteur dans la mise en application de la Loi sur l’Immigration et plus particulièrement, en ce qui a trait au dépistage des immigrants illégaux qui pourraient être accusés de délits criminels au Canada.

Une des méthodes utilisées par M. Hébert et qui, selon /11 > - 11 la preuve soumise, semble être utilisée de façon systématique à travers le Canada consiste à se présenter le matin des comparutions aux Cours des Sessions de la Paix et aux Cours Supérieures en matière criminelle afin de vérifier les listes de gens qui doivent comparaître devant ces tribunaux.

A partir de ces listes, M. Hébert retient les noms qui, selon lui, semblent des noms étrangers. Une fois ces extractions faites, il poursuit son enquête soit par téléphone ou à défaut de réussite, par l’envoi d’une lettre type formulaire à chacune des personnes concernées et ce, afin de vérifier si ces dernières sont en règle avec le service de l’immigration.

Dans les faits, le nom de M. Jacques LeDeuff qui apparaissait à une liste du plumitif du Palais de justice de Hull fut extrait et M. Hébert essaya à plusieurs reprises de joindre M. LeDeuff par téléphone.

Vu l’impossibilité d’entrer en contact avec M. LeDeuff, une lettre type formulaire fut envoyée à ce dernier. M. LeDeuff ayant reçu la lettre communiqua avec M. Hébert qui s’informa à savoir s’il était citoyen canadien. Suite aux questions Dosées par LeDeuff, M. Hébert lui expliqua comment il en était arrivé à choisir son nom pour fin de vérification.

M. LeDeuff s’étant senti vexé par ce procédé porta plainte devant la Commission Canadienne des Droits de la Personne d’où le présent appel.

Il appert également de la preuve soumise au tribunal de première instance qu’aucune directive distincte ou systématisée n’est émise par la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada et que, les enquêteurs sont laissés

libres de constituer les listes d’immigrants illégaux ayant commis des infractions criminelles sur les territoire canadien, le tout étant laissé à leur bon jugement.

M. Hébert a aussi indiqué au tribunal de première instance que des vérifications se faisaient au niveau des tribunaux de juridiction familiale ainsi que devant divers organismes administratifs provinciaux.

Dans ses conclusions concernant l’application au présent litige de l’article 5 de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne quant à l’absence de discrimination é l’égard des méthodes utilisées par l’agent Réal Hébert de la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada le tribunal de première instance s’exprima de la façon suivante:

(page 9 décision de Me Nicolas Cliche) "Pour ce faire, la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada utilise une façon de procéder façon qu’elle applique dans toutes les régions du Canada. Les agents de la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada se rendent aux greffes des Cours de juridiction criminelle et on y fait un relevé des noms des personnes qui pourraient être des noms étrangers, des noms non canadiens. Réal Hébert reconnaît qu’il n’applique aucune directive, qu’il n’est guidé par aucune norme objective, il ne fait qu’utiliser son propre jugement et il tente de déterminer qui des personnes dont le nom apparaît au plumitif pourraient être des individus illégalement au Canada ou immigrants reçus en violation de la Loi.

Si la preuve avait démontré que Réal Hébert systématiquement recherchait les noms d’une origine, d’une race ou d’une ethnie en particulier, on pourrait peut- être prétendre que le dépistage est dirigé contre des individus d’une certaine origine, d’un certain groupe ethnique ou race mais la preuve démontre que l’agent de l’immigration Hébert relève des noms qui semblent non canadiens sans tenir compte du pays d’origine de ces noms, de la race de ces individus ou de leur groupe ethnique. Réal Hébert n’a pas demandé au plaignant s’il était Français, Huguenot ou Belge. Il lui a demandé s’il était citoyen canadien, le plaignant a répondu affirmativement, disant qu’il était né à Montréal. Réal Hébert s’est montré satisfait et il considérait qu’il n’avait pas à enquêter davantage.

Il napperait pas de la preuve que la méthode utilisée par la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada est discriminatoire, dirigée contre des individus d’une certaine race ou origine nationale ou ethnique. La Commission ne fait que vérifier le statut des personnes qui pourraient être non canadiennes.

Chaque cas doit être analysé selon son mérite. S’il apparaissait que la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada sans motif valable, se livrait au dépistage d’individus de tel pays, de telle origine nationale ou ethnique ou de telle race, le présent tribunal pourrait réévaluer sa décision, mais dans le cas actuel, la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada n’a fait que vérifier des noms de personnes qui semblent d’origine étranglée et qui ont commis des actes criminels au Canada.

Le présent tribunal ne voit pas comment la mise en cause a agi de façon discriminatoire. (page 9 et 10, décision de première instance)

Avec toute la déférence que le présent tribunal porte à l’égard de la décision du tribunal de première instance, il ne peut accepter une application aussi restrictive de l’article 5 de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne, une telle interprétation aurait pour effet de limiter la portée de cette dernière dans ses objectifs premiers.

Or la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne à l’article 2. prévoit que:

"2. La présente Loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans les champs de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant: Tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de la personne graciée ou la déficience. 1976- 77 c. 33, art. 2; 1980- 81- 82- 83 c. 143, art. 1 et 28."

De plus à l’article 3.( 1) sous le chapitre des dispositions générales, le législateur a prévu que:

3.( 1)" Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religions l’âge, le sexe, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou de déficience."

(2) "Une distinction fondée sur la grossesse ou l’accouchement est réputée être fondée sur le sexe 1976- 77, c. 33, art. 3; 1980- 81- 82- 83 c. 143 art. 2."

Depuis la création par les législateurs des différentes /19 > - 19 lois en matière de Droit de la Personne incluant la présente Loi Canadienne sur les Droits de la Personne, les tribunaux ont eu à trancher des questions concernant la portée de la protection envisagée à l’endroit des actes discriminatoires pour motifs de distinction illicite.

Récemment la Cour Suprême du Canada dans sa décision: Commission Ontarienne des Droits de la Personne et Theresa O’Malley (Vincent) et Simpsons Sears Ltd et Commission Canadienne des Droits de la Personne, Commission des Droits de la Personne de la Saskatchewan, Commission des Droits de la Personne du Manitoba, Commission des Droits de la Personne de l’Alberta, Commission Canadienne pour les Déficients Mentaux, Coalition et Provincial Organisation of the Handicap et Congrès juif Canadien, [1985] 2 R. C. S., page 536, statuait de la façon suivante en ce qui concerne les règles d’interprétation en matière de droit de la personne, et l’Honorable juge McIntyre à la page 547, paragraphe a), s’exprima de la façon suivante:

"Les règles d’interprétation acceptées sont suffisamment souples pour permettre à la Cour de reconnaître, en interprétant un cas des Droits de la Personne, la nature et l’objet spéciaux de ce texte législatif (Voir le Juge Lamer dans Insurance Corporation of British Colombia - vs Heerspink, ([ 19821 2 R. C. S. 145 aux pages 157 et 158), et de lui donner une interprétation qui permettra de promouvoir ses fins générales. Une Loi de ce genre est d’une nature spéciale. Elle n’est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d’une nature qui sort de l’ordinaire. Il appartient aux tribunaux d’en rechercher l’objet et de le mettre en application. Le code vise la suppression de la discrimination. C’est là l’évidence. Toutefois, sa façon principale de procéder consiste non à punir l’auteur de la discrimination, mais plutôt a offrir une voie de recours aux victimes de la discrimination. C’est le résultat ou l’effet de la mesure dont on se plaint qui importe. Si elle crée effectivement de la discrimination, si elle a pour effet d’imposer à une personne ou à un groupe de personne des obligations, des peines ou des conditions restrictives, non imposées aux autres membres de la société, elle est discriminatoire." (les soulignés sont de nous).

Une des questions développées dans cet arrêt était celle de la discrimination par suite d’un effet discriminatoire (adverse effect discrimination) et il avait été plaidé à l’encontre de cette notion qu’étant de la discrimination indirecte, elle n’entrait pas dans le cadre de la présente loi.

La Cour Suprême n’a pas retenu cette prétention et a assimilé la discrimination par l’effet préjudiciable à la discrimination directe.

En sorte, la Cour Suprême visait à étendre l’application de la Loi- Canadienne sur les Droits de la Personne à toute espèce de discrimination fondée sur les motifs de distinction illicite et le présent tribunal y voit une certaine analogie avec le présent dossier.

Le fait d’être a la recherche d’immigrants illégaux en appliquant une loi spécifique soit, celle concernant l’immigration, afin d’établir la citoyenneté de certaines personnes, n’est pas en soi un motif de distinction illicite selon la loi. Cependant, cela n’empêche pas le présent tribunal d’examiner la façon de procéder de la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada oui elle, peut ou non être basée sur un motif de distinction illicite soit d’origine nationale ou ethnique, ce qui en soi peut être de la discrimination indirecte.

Dans le présent dossier, la discrimination sur la nationalité ou l’ethnie se situe au niveau de la perception qu’a l’agent de la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada quant à l’origine des noms qu’il extrait de la liste des mises en accusation lorsqu’il se rend au tribunal de juridiction

criminelle. Ainsi, le législateur a voulu qu’une telle perception tombe sous l’égide de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne et le Tribunal Canadien sur les Droits de la Personne dans une décision récente soit: Gordon Hum -vs- La Gendarmerie Royale du Canada, décision TD 10- 86 rendue le 11 décembre 1986, à la page 21 s’exprimait de la façon suivante:

" Après reconstitution d’après les divers témoignages, la façon dont la GRC applique la Loi sur l’Immigration dans des circonstances analogues à celles du cas présent, correspond plus ou moins à la description suivante. Normalement, les membres de la GRC n’arrêtent pas les gens au hasard pour leur Doser des questions sur leur citoyenneté et leur lieu de naissance aux fins d’appliquer la Loi sur l’Immigration. Ils n’ont pas non plus pour pratique de poser de telles questions simplement parce que quelqu’un a violé les lois de la circulation en commettant un excès de vitesse. D’une façon générale, c’est seulement lorsque le comportement de la personne soulève des soupçons que des questions lui sont posées. Toutefois, le soupçon n’est pas le seul déclencheur des questions: certaines caractéristiques de la personne soupçonnée peuvent l’être aussi. Si le particulier est membre d’une minorité ethnique visible, ses caractéristiques physiques sont un facteur capital. Sinon, ce pourront être d’autres caractéristiques, un accent étranger par exemple. Comme l’a dit dans son témoignage le surintendant Barker, les critères différent. Cet établissement d’une différence a les conséquences suivantes: si, d’après les agents de la police enquêteur, deux( 2) particuliers ont un comportement suspect dans des circonstances analogues, que l’un appartienne à une minorité ethnique visible et l’autre pas, le premier sera interrogé en fonction de son appartenance à cette minorité, même si toutes les autres caractéristiques de cette personne indiquent qu’il est citoyen canadien, tandis que le second qui appartient à la majorité ethnique ne sera questionné que s’il laisse voir une ou plusieurs autres caractéristiques qui font croire à une origine étrangère. Cette façon de procéder établit donc une différence nette entre les suspects, et cette différence est fondée sur l’origine raciale."

Et un peu plus loin à la page 22, le tribunal vient à la conclusion suivante:

" J’estime que M. Hum a été défavorisé sujet à une distinction illicite selon les termes du paragraphe 5 b) de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne."

Le présent pourvoi est très semblable à l’affaire Hum en ce que c’est la perception que le policier a eu sur l’origine ethnique de M. Hum qui est un motif de distinction illicite. Cette perception était guidée par des facteurs physiques dénotant l’appartenance à une minorité ethnique alors que le policier entrevoyait de façon subjective que tout canadien devrait nécessairement être blanc. C’est donc dans sa perception qu’il discrimine et non dans l’application de la Loi sur l’Immigration.

Dans le cas qui nous est soumis, nous nous retrouvons dans une situation semblable. Alors que M. Hébert veut établir la citoyenneté d’individus traduits devant les tribunaux criminels, au seul examen de listes provenants des différents greffes, il extrait des noms qui selon sa perception, sont des noms à consonnance étrangère. M. Hébert utilise des critères subjectifs, le tout selon son bon jugement. Par conséquent, il conclut que ces noms appartiennent à des ethnies ou nationalités autres que canadienne.

A la page 41 des notes sténographiques du tribunal de première instance, M. Hébert à une question posée par le procureur du plaignant concernant quel critère il appliquait lors de sa recherche de noms, répond de la façon suivante:

" Bien écoutez, je serais mal pris pour vous répondre. C’est strictement des critères personnels. Qu’est- ce qui pour moi pourrait être décrit comme un nom canadien pour vous pourrait être d’autre chose, je ne peux pas vous décrire ça."

Et il poursuit: /28 > - 28 Pour moi... bien, écoutez, j’ai beaucoup voyagé, ça fait vingt( 20)

ans que je suis à l’Immigration. Un nom qui m’apparaît à moi qui pourrait être étranger, pour moi ça pourrait être un étranger. Je ne peux pas vous répondre mieux que ça.

Le tribunal de première instance en concluant à l’absence de discrimination parce que M. Réal Hébert ne recherchait pas systématiquement les noms d’une origine ou d’une race ou d’une ethnie en particulier, est à notre sens une application trop restriction de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne, et le présent tribunal fait sienne les prétentions du juge Vancise J. A., et du juge Hall J. A. dans la cause de Saskatchewan Humans Rights Commission and Michael Huck -vs- Canadian Odeon Theater Ltd [1985] CHRR Vol. 6 décision 432 par. 22151- 22237, au paragraphe 22174:

" The interpretation of a statute which garantees fondamental rights and freedoms and which prohibits discrimination to insure the obtainment of human dignity should be given the widdest interpretation possible. See Smart et Al. - v. - Livett [1951], 1 W. W. R. (NS) 49 at 65 Sask (C. A.). The intention of the legislator must be gathered from the words of the Act when read in contexte but context also includes facts known to the legislature when the Act was passed. The Act should be interpreted in light of a social milieu or context existing at the time and the mischief to be remedied. See Driedger: Construction of statutes, 2nd edition, page 243. Generally human rights legislation has been given a broad interpretation to ensure that the stated object and purposes are fulfilled. A narrow restrictive interpretation which would defeat the purpose of the legislation, that is, the elimination of discrimination, should be avoided. That approch has been followed by many courts, including this one, in interpreting human rights législation. See A. G. of Canada -v.- The Canadian Human Rights Commission, [1980] 1 C. H. R. R. 91. Bailey and al and The Canadian Human Rights Commission - v. - Minister of National Revenue, [19801 1 C. H. R. R. 193; Re Attorney General for Alberta and Gares [1976] 67 D. L. R. (3d) 635; Insurance Corporation of British Columbia - v, Heerspink and Al., [1982] 2 S. C. R. 145 at 157." (les soulignés sont de nous)

A la page 14, beaucoup d’autres décisions que nous ne considérons pas nécessaire d’énumérer ici ont suivi cette interprétation des lois ou code des droits de la personne.

En réponse à la première question en appel; Est- ce que le tribunal de première instance a erré dans l’interprétation qu’il a donné l’article 5, de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne. Le présent tribunal répond par l’affirmative à ce premier motif d’appel et ce faisant se trouve répondre également par l’affirmative au deuxième motif d’appel soumis soit: que le tribunal de première instance a erré en concluant à l’absence de discrimination pour des motifs d’origine ethnique ou nationale à l’endroit du plaignant.

Conséquemment, le présent tribunal vient à la conclusion que la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada et son agent M. Réal Hébert ont agi de façon discriminatoire au sens de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne dans la fourniture de biens et de services basés sur l’origine nationale ou ethnique au sens des articles 3. et 5. de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne.

DOMMAGES MORAUX

Ayant répondu aux deux( 2) premiers motifs d’appel, le tribunal doit maintenant se pencher sur le troisième motif d’appel qui est:

" Est- ce que le tribunal a erré en concluant à l’absence de dommages moraux?

Le tribunal de première instance, à la page 10 de son jugement, a adressé la question de la façon suivante:

" On lui demande s’il est citoyen canadien, il répond affirmativement et l’agent d’immigration considère que son enquête est complète. Le plaignant n’a subi aucun préjudice. Il n’a fait que répondre à une question pour établir s’il était citoyen canadien ou non."

En matière de compensation pour dommages moraux, la Loi /33 > - 33 Canadienne sur les Droits de la Personne a prévu à l’article 41 (3) ce qui suit:

" Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal ayant conclu:

a) Que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence ou,

b) que la victime qui a souffert d’un préjudice moral par suite l’acte discriminatoire,

c) peut ordonner à la personne de payer a la victime une indemnité maximale de cinq milles dollars (5 000.00$).

Le procureur de M. LeDeuff, à l’audience devant nous, a réclamé des dommages moraux et nous a cité les passages suivants des notes sténographiques de première instance:

" Suite à ça, j’ai trouvé ça vexant d’abord et je pense que pour n’importe quel canadien qui a une connaissance et qui est citoyen ici c’est bizarre que l’on veuille s’interroger sur leur statut alors qu’ils ont toujours été citoyens canadiens et si j’ai fait la plainte c’est pour que des cas de ce genre- là, afin que ça ne se reproduise pas en se basant sur le nom de la personne." (page 8 ligne 19 et suivantes, notes sténographiques, première instance)

" La réaction, d’abord c’est une réaction de surprise, on est toujours surpris de savoir pourquoi après tant d’années quelqu’un vient me déranger et c’est aussi ... c’est vexant, c’est vexant et humiliant et fait en sorte que les données qui normalement doivent être mises à jour au niveau du gouvernement ou de ses ministères et ces données- là sembleraient ne mis être à jour, il faut qu’il y ait telles vérifications qui soient faites." (page 52, ligne 1 et suivantes, notes sténographiques première instance)

Dans la cause Marilyn Butterill - vs - Via Rail Canada Inc., le tribunal des droits de la personne siégeant en appel a eu à interpréter l’article 41 (-@) de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne.

Ainsi au paragraphe 2050, le tribunal d’appel s’exprimait de la façon suivante:

" We are also of the opinion that compensation refered to in section 41 (3) should, like that under section 41 (2), be available as a matter of course were the circumstances to which it refers exist, unless it can be shown that their are good reasons for denying such relief. It is true that Parliament saw fit to deal with this type of compensation in a separate section, and the marginal note refers to it as special compensation. This does not indicate to us, however, that it is an extraordinary remedy calling for unusual circumstances to justify its award. The reason for placing it in a separate subsection and referring to it in the marginal note as special compensation is, in our opinion, simply that the sums involved are not related to actual pecuniary loss, and are not subject to arithmetic calculation, it was decided to place a five thousands dollar limit on the award. Because such a limit would not be appropriate to awards made under subjection (2), it was necessary to create a special subsection for these items. If it has been established either by direct evidence or by inference that the circumstances referred to in subsection (3) exist, compensation should be awarded for these nonpecuniary losses as readily as it is awarded for pecuniary losses under the preceding subsection."

En regard de cette jurisprudence et de la preuve non contredite apportée en première instance, le présent tribunal est d’avis que la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada en agissant de façon discriminatoire tel qu’établit ci- haut, fait souffrir à M. Jacques LeDeuff un préjudice moral, préjudice qui est visé par l’article 41( 3) b) de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne.

CONCLUSION

Il reste donc au tribunal à établir quelle ordonnance accorder. Outre les dommages moraux tel qu’expliqués ci- haut, le tribunal peut aussi rendre une ordonnance générale et il tire ses pouvoirs de l’article 41 (1) et (2) et se lit comme suit: 41.( 1) A l’issue de son enquête, la tribunal rejette la plainte qu’il juge non fondée. 41.( 2) A l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe 4 de l’article 42, ordonner selon les circonstances les personnes trouvées coupables d’un acte discriminatoire de mettre fin à l’acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, notamment,

a) i) d’adopter les Programmes, plans ou arrangements spéciaux visés au paragraphe 15( 1), ou

ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en oeuvre un programme prévu à l’article 15.1,

Ces mesures doivent être prises après consultation avec la Commission sur les objectifs généraux;

b) Accorder à la victime, à la première occasion raisonnables, des droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a privé;

c) D’indemniser la victime de la totalité ou de la fraction qu’il juge indiqué, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte et; d) D’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il fixe, des frais supplémentaires causés, recourir d’autres biens, services, installation ou moyen d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte."

Dans son plaidoyer en première instance, Me Trottier a demandé au tribunal d’:

" Ordonner au mis- en- cause de cesser ses pratiques considérées comme discriminatoires; c’est- à- dire de cesser de procéder à des téléphones ou à l’envoi de lettres à des individus sur la seule base de leur nom parce qu’ils semblent étrangers."

En conséquence, nous ordonnons à la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada de:

" Mettre fin aux actes discriminatoires posés par M. Réal Hébert et/ ou tout autre préposé agissant aux mêmes qualités, soit de s’abstenir d’entrer en communication verbale, ou écrite avec des individus choisis selon la perception qu’ils ont du statut de ces individus sur la seule base de la consonnance étrangère de leur nom."

Afin de donner le plein effet à cette ordonnance, elle doit être communiquée immédiatement à tous les agents d’immigration susceptibles de faire un travail d’enquête et de dépistage d’immigrants illégaux dans le territoire canadien ainsi qu’à toute personne ayant un lien hiérarchique supérieur direct avec ces dits agents.

Le tribunal ordonne donc que le président de la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada adresse à tous les agents et/ ou inspecteurs d’immigration oeuvrant sur le territoire canadien, ainsi qu’à leurs supérieurs hiérarchiques immédiats, une directive expliquant que la pratique en question a été jugée discriminatoire par le présent tribunal et que tous doivent l’interrompre.

En ce qui concerne les dommages moraux, le tribunal conformément au paragraphe 41 (3) b) de la Loi Canadienne sur les Droits de la Personne ordonne à la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada de payer à M. Jacques LeDeuff un montant de cent cinquante dollars, le tout compte tenu que les questions posées par l’agent de la Commission de l’Emploi et de l’Immigration du Canada visant à établir la citoyenneté de M. LeDeuff ont été certes vexatoires mais par contre d’une portée limitée.

SIGNE A QUEBEC, CE 28ième JOUR DU MOIS D’AOUT 1987

CLAUDE D. MARLEAU, Président

NIQUETTE DELAGE

MURIEL ROY

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