Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T.

1/ 87 Décision rendue le 27 janvier 1987

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

GUILLAUME KIBALE, Appelant,

-et

TRANSPORTS CANADA, Intimée,

DEVANT: Gilles Mercure, Président

Niquette Delage, Membre

Vincent Fleury, Membre

DECISION DU TRIBUNAL D’APPEL

COMPARUTIONS: M. Guillaume Kibale Se représentant lui- même

Me Jean- Marc Aubry, Me André Bluteau, Me James Mabbutt Procureurs de l’intimée

Me Anne Trottier Procureur de la Commission canadienne des droits de la personne

(Version anglaise à suivre/ English version to follow)

Le présent Tribunal a été constitué en vertu de l’article 42.1 (b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne pour entendre l’appel logé à l’encontre de la décision rendue le 5 septembre 1985, rejetant la plainte du plaignant, Guillaume Kibale.

Dans son avis d’appel et dans son argumentation, tant écrite que verbale, l’appelant plaide que le Tribunal de première instance a erré en faits et en droit en décidant que l’ensemble de la preuve versée à l’audience ne permettait pas de conclure que l’intimée lui a refusé un emploi pour un motif de distinction illicite, en contravention aux dispositions des articles 3( 1) et 7 a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Après examen approfondi de toute la preuve testimoniale, de toutes les pièces versées au dossier, en première instance, et de la preuve et argumentation déposées devant nous, en appel, le présent Tribunal, pour les motifs ci- après exposés, ne saurait intervenir pour infirmer le jugement dont appel.

I. LES FAITS

Le Tribunal de première instance a bien résumé les faits pertinents au présent litige. Nous nous contenterons donc de rappeler brièvement les circonstances qui ont donné lieu à la plainte de l’appelant devant la Commission canadienne des droits de la personne. Nous analyserons plus en détail certains faits mis en preuve lorsque nous développerons les motifs proprement dits de notre décision.

L’appelant, qui est un Noir, a répondu à un concours visant à combler un poste d’économiste (analyse stratégique) au sein de l’intimée, Transport Canada. Ce poste, de niveau ES- 4, était désigné sous le numéro de référence T- EX- 5171.

La candidature de l’appelant ayant franchi avec succès une première étape de pré- sélection, ce dernier a été invité à se présenter, le 15 juillet 1981, à Ottawa, devant un jury de sélection. Ce jury était composé de Jean Boulakia et de John Sylvester.

Parmi tous les candidats convoqués devant le jury de sélection, l’appelant se classe premier, les deux membres du jury lui accordant les meilleures notes.

Quelques jours plus tard, l’appelant ainsi que M. Datta, classé deuxième par le Dr Boulakia, sont convoqués au bureau du Dr Zissis Haritos, qui était alors le supérieur immédiat de Boulakia et directeur général du service où le poste T- EX- 5171 était ouvert. C’est le Dr Boulakia qui a été chargé d’organiser cette rencontre, en demandant aux deux candidats d’apporter chacun des travaux dont ils étaient fiers.

L’appelant a donc une entrevue avec le Dr Haritos, à son bureau à Ottawa, le 28 juillet 1981. Le Dr Boulakia n’assiste qu’à la première partie de cet entretien. Selon l’appelant, le Dr Haritos lui aurait posé, après le départ du Dr Boulakia, certaines questions sur l’origine ethnique et raciale de son épouse.

Le 14 ao t 1981, l’appelant se fait confirmer par le Dr Haritos, lors d’une longue conversation téléphonique, ce que le Dr Boulakia lui avait déjà annoncé, à savoir que le poste ne lui serait pas accordé.

Le 27 ao t 1981, il reçoit une lettre de Dame Lise Dagenais (pièce C- 8) du Service du Personnel, à l’effet qu’aucune des candidatures n’a été retenue pour le poste T- EX- 5171.

C’est à la suite de ces évènements que l’appelant a porté plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne.

II. PRINCIPAUX MOTIFS D’APPEL

Dans son avis d’appel et dans son argumentation, l’appelant soulève la question de juridiction du Tribunal de première instance qui a entendu sa plainte. Il reproche au Président du Tribunal de ne pas avoir été assermenté avant le début de l’audition. Il plaide également que le Tribunal a fait preuve de partialité au cours du procès.

L’appelant soumet de plus que le Tribunal a erré dans l’appréciation de la preuve versée et particulièrement dans l’appréciation de son propre témoignage et de celui de son épouse pour en venir à la conclusion que sa plainte n’était pas fondée.

A Défaut de juridiction et partialité du Tribunal de première instance:

1. Juridiction du Tribunal:

Il appert du dossier que le Tribunal de première instance a été légalement constitué pour entendre la plainte de l’appelant en vertu des règles édictées par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L’appelant, on l’a vu, soumet que le Président du Tribunal se devait d’être assermenté avant de procéder à l’audition de sa plainte. C’est la Loi canadienne sur les droits de la personne qui prévoit la constitution d’un Tribunal des droits de la personne, à toute étape postérieure au dépôt d’une plainte, sur demande de la Commission adressée au Président du Comité du Tribunal. Or, rien dans la Loi ne prévoit l’obligation pour le ou les membres d’un tel Tribunal d’être assermenté avant d’entendre la plainte pour l’audition de laquelle le Tribunal a été constitué. A défaut de dispositions législatives expresses en ce sens, il ne nous apparaît pas que le défaut d’assermentation des ne nous apparat membres d’un Tribunal des droits de la personne puisse priver ce Tribunal, légalement constitué par ailleurs, de sa juridiction pour entendre une plainte pour la disposition de laquelle il a été formé.

2. L’impartialité du Tribunal de première instance

Dans son argumentation, l’appelant a soutenu à plusieurs reprises que le Tribunal de première instance avait fait montre de partialité dans sa décision et dans son comportement au cours de l’audition de sa plainte. Il reproche au Tribunal d’avoir tenu à son égard des propos insultants et indignes.

Nous n’avons aucune hésitation à admettre le principe que, devant tout Tribunal, le citoyen est en droit de s’attendre a ce que non seulement justice soit rendue mais également à ce que le comportement du Tribunal, dans la conduite de l’enquête, soit tel qu’il y ait, par surcroît, apparence que justice a été rendue. Etant donné les conclusions auxquelles nous en arrivons, nous ne nous attarderons pas à savoir si le présent Tribunal constituait le forum compétent pour décider si le Tribunal de première instance a fait montre d’un comportement exempt de tout reproche.

Disons simplement que la seule preuve à laquelle l’appelant a su nous référer, quant à un comportement ou à des propos qu’il juge insultants ou indignes à son égard, ou à des paroles qui démontreraient un préjugé ou de la partialité de la part du Président du Tribunal, sont deux phrases prises hors contexte. L’intervention du Tribunal que l’appelant juge insultante à son égard est la suivante:

"LE PRESIDENT: Monsieur Kibale, c’est une question que vous et votre psychiatre peuvent discuter ensemble, c’est à dire que la source de votre information, de votre état ou esprit mental, c’est à vous à répondre, je ne sais pas...

La lecture des notes sténographiques de l’audience nous fait voir immédiatement que ces paroles du Président du Tribunal ne se voulaient aucunement insultantes pour l’appelant. Elles ont été prononcées au cours du long interrogatoire du témoin Haritos par l’appelant lui- même. Ce dernier, n’étant pas représenté par avocat, procédait lui- même à l’interrogatoire et au contre- interrogatoire des témoins. Le Tribunal a jugé bon, à plusieurs reprises, d’intervenir pour l’aider à préciser ses questions aux témoins. Cette intervention du Tribunal est survenue immédiatement après une objection du procureur de l’intimée à la question que l’appelant avait formulée comme suit:

"M. KIBALE: Pour être plus précis, c’est très facile, je répète une autre question, même si je peux la poser mille fois, Monsieur le Président, comment est- ce que moi j’ai su si monsieur Haritos a travaillé pour la Commission de transports...

Me AUBRY: C’est à lui de répondre.

LE PRESIDENT: Monsieur Kibale, c’est une question que vous et votre psychiatre peuvent discuter ensemble, c’est- à- dire que la source de votre information, de votre état ou esprit mental, c’est a vous a répondre, je ne sais pas. Le témoin ne peut pas vous dire comment vous avez appris qu’il a travaillé pour la CTC. (pp. 157 et 158)

L’autre intervention que l’appelant reproche au Tribunal de première instance et qui, selon lui, démontre sa partialité dans le litige, l’appelant la cite comme suit: J’ai l’impression qu’il n’y a pas beaucoup de discrimination dans la fonction publique du Canada. La transcription des notes sténographiques de l’audience montre que le Président du Tribunal a plutôt dit:

"LE PRESIDENT: Je n’ai pas l’impression qu’il y a beaucoup de discrimination dans la Fonction publique du Canada avec tous les noms que j’entends. (p. 531)

La lecture de ces mêmes notes sténographiques nous fait voir qu’il s’agissait là d’une boutade lancée par le Tribunal en faisant référence à tous les noms à consonance étrangère qui ont été cités tout au long de l’audience et, particulièrement, à celui qui venait d’être prononcé par le témoin.

De toute façon, qu’il suffise de mentionner qu’une étude de la transcription de toute la preuve a convaincu le présent Tribunal que le Tribunal de première instance a démontré, par ses interventions, un souci constant de permettre à chacune des parties de s’exprimer et de présenter toute preuve pertinente. Il a posé lui- même les questions qu’il jugeait nécessaires. Il a maintes fois jugé bon de venir en aide à l’appelant dans l’interrogatoire ou le contre- interrogatoire des témoins et dans la présentation de sa preuve.

L’appelant n’a pas convaincu ce Tribunal que l’audience de première instance aurait été entachée d’irrégularités ou qu’il n’aurait pas eu droit à un procès impartial.

B Appréciation de la preuve par le Tribunal de première instance

L’appelant reproche au Tribunal de première instance de n’avoir pas su inférer des irrégularités dont le processus d’embauche a été entouré une preuve de distinction illicite à son égard.

Rappelons que, dans sa décision, le Tribunal de première instance n’a pas manqué de relever plusieurs irrégularités dans le processus entrepris et qui devait mener à l’attribution des postes T- EX- 5171, T- EX- 5163 et T- EX- 5183 aux candidats ayant obtenu les meilleures notes. Le Tribunal de première instance ayant passé en revue ces principales lacunes et ayant décrit cet imbroglio dans lequel s’est déroulé ce concours qu’il qualifiait d’ irrémédiablement irrégulier, il nous apparaît inutile d’en reconstituer la longue liste.

Rappelons seulement, à titre d’exemple, que le Dr Haritos n’a pas signé la formule PSC 253, tel que demandé par le manuel d’embauche et les directives internes; il n’a pas participé lui- même à l’élaboration des questions à être posées aux candidats par les membres du jury ni à la pondération des notes à être attribuées pour chacune de ces questions. Il n’assistait pas au jury mais se réservait le dernier choix pour combler le poste T- EX- 5171. Il n’a pas jugé bon d’établir, par des directives écrites bien claires, le rôle que son subalterne Boulakia allait jouer dans ce processus d’embauche. Boulakia et Sylvester n’ont pas su prévoir les difficultés qu’allait inévitablement engendrer l’utilisation inadéquate du processus de chevauchement piggy backing pour combler deux postes dont ils diront plus tard qu’ils étaient loin d’être identiques et ne sous- tendaient pas les mêmes exigences et les mêmes qualifications. Sylvester accorde les meilleures notes à l’appelant pour expliquer par la suite que ce dernier avait été jugé le meilleur candidat pour le poste T- EX- 5171, du service de Boulakia, mais que sa candidature ne saurait être préférée pour les postes T- EX- 5163 et T- EX- 5183 de sa propre division.

Tout ceci a donné lieu à la situation confuse et inextricable par moments, pour les responsables de services, qui a été longuement décrite au cours de l’audition et bien résumée par le Tribunal de première instance dans sa décision. Haritos et Boulakia ne s’entendent pas sur le rôle réserve a chacun dans le choix des candidats pour le poste T- EX- 5171. Des pressions sont exercées pour que les notes soient réconciliées afin de doter le dossier d’une cohérence minimale. Haritos et Sylvester ont des discussions assez orageuses, chacun souhaitant que l’autre embauche l’appelant dans sa section pour régler le problème.

Résultat, Boulakia et Sylvester ont tous deux attribué les meilleures notes à l’appelant; pourtant, ce dernier n’obtient pas le poste.

L’intimée a plaidé qu’aucune loi n’avait été en- freinte dans le cadre de ce concours. Tout au plus, dit- elle, ce ne sont là que dérogations à des exigences purement administratives. Le témoin Murdoch a expliqué à l’enquête qu’il arrive que des supérieurs délèguent un subalterne pour procéder à la sélection des candidats, tout en se réservant la décision finale, surtout quand ils n’accordent pas pleine confiance au jugement d’un tel subalterne.

Il n’en demeure pas moins que, pour les non- initiés en général et pour les candidats eux- mêmes, en particulier, il devient difficile, dans de semblables circonstances, d’accorder beaucoup de crédibilité à l’efficacité d’un tel concours. Lorsque les règles pré- établies, ne serait- ce que par le manuel de dotation et par les directives internes, sont modifiées selon l’humeur de chacun des cadres du service où il y a un poste à combler ou au gré des responsables du personnel, ou simplement ignorées, cela peut laisser songeurs les candidats écartés.

Ceci étant dit, le présent Tribunal est d’accord avec le principe émis par le Tribunal de première instance quant à la juridiction d’un Tribunal des droits de la personne:

... ce n’est pas au Tribunal des droits de la personne qu’incombe le pouvoir de contrôle et de surveillance du fonctionnement du processus de dotation en vertu de la Loi concernant l’emploi dans la fonction publique du Canada et les règlements décrétés sous son autorité.

...

"Même si le Tribunal des droits de la personne constate des irrégularités dans le processus d’embauche, notre pouvoir est limité à dire si oui ou non ces irrégularités ont été motivées par des motifs de distinction illicite."

C’est dire que le Tribunal des droits de la personne n’exerce, de par la Loi, aucun pouvoir de contrôle et de surveillance sur la façon dont l’intimée a exercé les pouvoirs qui lui ont été délégués par la Commission de la fonction publique en matière d’embauche.

Il faut donc nous borner à trancher la question à savoir si un emploi a été refusé à l’appelant pour des motifs de distinction illicite fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur.

1. Les irrégularités ayant entaché le processus de sélection ne prouvent pas, en soi, distinction illicite.

Dans l’affaire Julius Israéli et la Commission Canadienne des droits de la personne et la Commission de la fonction publique, le Tribunal d’appel, dans sa décision rendue le 4 avril 1984, s’exprimait comme suit:

"Par ailleurs, nous admettons l’allégation de M. Israeli voulant que si des membres d’un groupe minoritaire ou défavorisé peuvent prouver avoir été victimes de certaines irrégularités, il y a tout lieu de croire, en l’absence d’une autre explication plus plausible, qu’ils ont été victimes de discrimination. Cependant, pour tirer cette conclusion, il faut avoir pesé tous les éléments de preuve.

Dans le cas qui nous occupe, une étude minutieuse de tout le dossier nous amène à conclure, comme le Tribunal de première instance, que l’ensemble des témoignages et des pièces déposées ne prouve pas que l’un des acteurs de ce processus d’embauche ait agi pour des motifs de distinction illicite.

En ce qui concerne le Dr Haritos, mise à part la déclaration qu’il aurait faite à l’appelant, par téléphone, et dont nous traiterons plus loin, il n’y a pas de preuve qu’il ait refusé la candidature de l’appelant pour des motifs de distinction illicite. Il s’était réservé la décision finale et, suite à l’entrevue qu’il a eue avec l’appelant, il s’est dit en désaccord avec le choix de son subalterne Boulakia. L’appelant témoigne à l’effet que, lors de l’entrevue du 28 juillet 1981, Haritos lui aurait posé des questions au sujet de la race et de l’origine nationale ou ethnique de son épouse. Celle- ci, rappelons- le, est citoyenne canadienne, d’origine québécoise et de race blanche. Haritos nie avoir posé de telles questions. Il admet cependant, dans le but de mettre l’appelant à l’aise, dit- il, avoir bavardé quelque peu de questions familiales avec lui, parlant lui- même de l’éducation de sa propre fille. L’appelant, selon lui, aurait lui- même, avec un certain enthousiasme, parlé lui aussi de son épouse, de ses enfants et de ses parents. Il n’y a pas là, en soi, preuve de refus d’employer l’appelant pour des motifs de distinction illicite.

Quant à Sylvester, le Tribunal de première instance a conclu que ses agissements s’expliquent par le fait qu’il s’était lui- même pris au piège en usant inadéquatement du processus de chevauchement (piggy backing) pour combler des postes tout à fait différents. Il avait donné les meilleures notes à l’appelant mais ne souhaitait pas l’embaucher dans son service.

L’appelant n’a pas fait la preuve que Sylvester refusait désormais de proposer sa candidature dans son secteur pour des motifs de distinction illicite. D’ailleurs, si tel avait été le cas, on peut se demander s’il lui aurait accordé les meilleures notes plutôt que de le disqualifier dès le stade du jury de sélection.

L’appelant voudrait que l’on conclue à distinction illicite de la preuve littérale à l’effet que Sylvester ait voulu l’écarter de sa section en déclarant: that man is French. Rappelons que la langue ne figure pas à la liste des motifs de distinctions illicites contenue à l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L’appelant prétend que cette déclaration de Sylvester référait à l’origine ethnique. Pourtant, quand on replace cette phrase dans son contexte, on constate qu’il n’en est rien. Le témoignage du témoin Aliette Lavoie nous apprend que Sylvester avait plutôt dit à Haritos:

"That man is French, he would have written French reports which nobody would have read (p. 1517)

L’appelant a attiré l’attention du Président du Tribunal sur les autres paroles prononcées à son sujet par Sylvester, à savoir: that man is kind of different. Il serait difficile de voir là l’expression de distinctions illicites de la part de Sylvester. Haritos rapporte en effet ces paroles de la façon suivante:

"First, he mentioned words to the fact that it may sound hypocritical on my part that how could I hire a person that cannot effectively communicate with the rest of my staff, most of the reports here in my group are written in English. Following that, he said... words to that effect, that in any case, this man is kind of different and in the context he was referring to the personal stability of Mr. Kibale and the way he presented himself to the Board, the Board at which Dr. Boulakia and Mr. Sylvester were present. (p. 1575)

L’appelant a argumenté, enfin, que Sylvester lui aurait refusé l’emploi parce qu’il lui préférait un candidat d’origine italienne comme lui. Or, il n’y a aucune preuve à l’effet que Sylvester était d’origine italienne. L’appelant prétendait lui- même, au cours de son témoignage, que Sylvester était plutôt d’origine québécoise et qu’il avait anglicisé son nom pour mieux se trouver un emploi. Quant à Lise Dagenais, tout ce que la preuve révèle, c’est qu’elle a tenté de couvrir le système, de recoller les morceaux, suite aux irrégularités dont était entaché le processus. Il n’y a aucune preuve qu’elle ait agi pour des motifs de distinction illicite.

2. Les déclarations qui auraient été faites à l’appelant concernant la distinction illicite dont il aurait été l’objet.

L’appelant a fait état de déclarations qui lui auraient été faites personnellement, ainsi qu’à son épouse, par le Dr Haritos, Robert Bisaillon et un certain adjoint de M. Gravel, à l’effet qu’il était victime de manoeuvres fondées sur des motifs de distinction illicite. Il reproche au Tribunal de première instance d’avoir refusé, dans sa décision, d’y voir des preuves directes du fait qu’un emploi lui avait été refusé contrairement aux prescriptions des articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

a) Zissis Haritos: Selon le témoignage de l’appelant, le Dr Haritos lui a déclaré lui- même: je vous refuse le poste parce que moi- même quand je suis venu au Canada j’ai été discriminé. Cette déclaration aurait été faite par Haritos au cours de la conversation téléphonique du 14 ao t 1981 qui, selon la preuve, a duré environ une heure et demi. L’épouse de l’appelant, qui n’a écouté qu’une partie de la conversation sur un autre poste, aurait, elle aussi, entendu cette phrase prononcée par Haritos.

Dans son témoignage, le Dr Haritos nie avoir fait une telle déclaration. Il nie avoir lui- même informé l’appelant qu’il lui refusait un emploi parce qu’il avait été lui- même victime de discrimination dans le passé. Il décrit, dans ce témoignage, lès détails entourant cette conversation téléphonique.

Après étude de l’ensemble de la preuve, il nous apparaît que l’appelant n’a pas démontré une erreur manifeste de la part du Tribunal de première instance, dans son appréciation des faits et des témoignages relatifs à la force probante de l’allégation de cette déclaration qui aurait été faite par Haritos.

b) Robert Bisaillon: En 1981, le témoin Robert Bisaillon occupait le poste de chef d’unité au Service du personnel. L’appelant a témoigné à l’effet que Bisaillon l’aurait informé, lors d’une conversation téléphonique, tenue le 25 ao t 1981, que Haritos lui refusait le poste parce qu’il voulait le donner à une dame anglophone d’origine grecque. L’épouse de l’appelant a également témoigné à l’effet qu’elle avait entendu elle- même ces paroles de Bisaillon. C’est d’ailleurs la seule partie de cette conversation téléphonique quelle ait écoutée sur un autre appareil.

Le témoin Bisaillon a nié avoir dit pareille chose, comme il a nié d’ailleurs avoir fait part à l’appelant, comme celui- ci le prétend dans son témoignage, de quelque admiration qu’il aurait eue pour Idi Amin Dada.

D’ailleurs, il n’y a aucune preuve à l’effet qu’une dame d’origine grecque aurait obtenu par la suite un poste dans la section de Haritos même si l’appelant réfère le présent Tribunal à un certain Daskalakis, dont on ne sait pas s’il a jamais obtenu un emploi au Ministère et qui a pour prénom Michael.

c) Adjoint de M. Gravel: En 1981, un certain M. Gravel était au Ministère des transports. Il était le supérieur de Anthony Stone qui a témoigné à l’enquête. L’appelant a témoigné à l’effet qu’un adjoint de ce M. Gravel lui aurait dit qu’il y a des sections au Ministère des transports où l’on refuse d’embaucher des Noirs en raison d’échanges commerciaux de ce ministère avec l’Afrique du Sud.

Or, cet adjoint de M. Gravel n’a pas témoigné. L’appelant ignore même son nom. Est- il besoin d’insister sur la valeur probante de cet allégué de l’appelant.

En somme, après analyse de l’ensemble de la preuve, le présent Tribunal ne peut conclure que le premier Tribunal a erré dans l’appréciation des témoignages relatifs à ces déclarations qui auraient été faites à l’appelant et à son épouse à l’effet que les autorités de l’intimée lui refusaient un emploi pour des motifs de distinction illicite.

3. La note C- 15

La preuve révèle que, suite à son voyage à Ottawa pour l’entrevue du 28 juillet 1981, l’appelant était en droit de se faire payer ses frais de déplacement. Le chèque tardait à venir. Il a donc téléphoné à Mme Lavoie, secrétaire du Dr Haritos. Après vérifications, on informe l’appelant que le chèque a été expédié par erreur, par la section finances, au bureau du Ministère des transports à Montréal. L’appelant s’y présente pour prendre possession d’une enveloppe, adressée à son nom, et contenant présumément le chèque attendu avec impatience.

Selon les témoignages de l’appelant et de son épouse, ce dernier apporte l’enveloppe chez lui. Ce n’est que rendu dans la cuisine qu’il l’ouvre, en présence de son épouse pour y trouver le chèque en question. Un bout de papier s’en échappe et tombe par terre. L’appelant le ramasse et y lit, en lettres détachées: no Black in Transport Canada. C’est la pièce C- 15.

Tout ceci se passe à l’été 1981. Le Tribunal de première instance n’entend parler pour la première fois de cette note C- 15 que lors de l’audition du 29 mars 1985. L’appelant n’en faisait aucune mention ni dans sa plainte du 3 mai 1984 ni dans sa déclaration produite au Tribunal. Il a expliqué au Tribunal qu’il l’avait égarée. Il n’y attachait pas beaucoup d’importance, explique- t- il, suivant en cela les conseils de la dame qui lui avait remis l’enveloppe et avec laquelle il avait communiqué par la suite: il ne faut pas faire attention à cela, même au Ministère des transports, il peut y avoir des fous, lui avait- elle expliqué. Cette dame n’a pas témoigné et l’on ignore son nom. Par la suite, l’appelant a retrouvé la note à la maison et l’a apportée au Tribunal.

L’appelant, dans son témoignage, déclare avoir mentionné l’existence de cette note manuscrite à M. Charles Lafrenière, directeur régional à la Commission des droits de la personne, au moment où ce dernier s’occupait du traitement de sa plainte. Pourtant, le témoin Lafrenière est catégorique:

"Q. Est- ce qu’on vous a déjà exhibé cette petite note? R. Exhibé? Q. Est- ce qu’on vous l’a déjà montrée? R. C’est la première fois que je la vois aujourd’hui. Q. C’est la première fois que vous la voyez? R. Effectivement. Q. Est- ce que par ailleurs vous vous souvenez qu’à une ou l’autre des occasions pendant lesquelles vous auriez rencontré personnellement monsieur Kibale on vous aurait fait mention de l’existence d’une telle note? Est- ce qu’on vous aurait déjà parlé qu’une telle note aurait été trouvée, remise d’une quelconque façon à Monsieur Kibale? R. Je ne me souviens pas qu’on ait discuté de la présence, du moins durant les conversations que j’ai eues avec le plaignant je ne me souviens pas qu’il ait mentionné qu’une telle note aurait pu exister. D’autant plus que je pense que si on me l’avait mentionne, ça aurait été pour moi un élément supplémentaire qui aurait influencé certainement ma recommandation auprès de la Commission, à savoir quels gestes ou de quelle façon la Commission aurait du ou devrait traiter la plainte de monsieur Kibale; à savoir est- ce qu’on devrait enquêter ou tout simplement notre recommandation de nommer un Tribunal dans ce cas- ci, mais je ne me souviens pas, non, définitivement d’avoir vu ou même qu’on m’ait mentionné la présence ou l’existence de cette note. (pp. 1942 et 1943)

L’intimée a demandé une expertise de la note C- 15. Le témoin Marc Gaudreau, examinateur de documents pour la Gendarmerie Royale du Canada, a comparé l’écriture de la note C- 15 avec certains écrits faits de la main de l’appelant. Le rapport du témoin Gaudreau a été produit comme pièce R- 6 et les spécimens d’écriture émanant de l’appelant comme pièce R- 5. Cette expertise avait un double objectif: tenter de découvrir l’âge de l’encre de la note et retracer, le cas échéant, des points de similitude avec l’écriture de l’appelant.

Le témoignage et le rapport de l’expert Gaudreau nous apprennent que l’encre de la note C- 15 était disponible sur le marché depuis 1979. Quant à la comparaison d’écriture, elle a permis à l’expert de déceler des points de similitudes et d’autres points non expliqués. Pas davantage.

Le présent Tribunal a lu avec soin le témoignage de Dame Béatrice De Montmollin, interprète pour le Gouvernement fédéral. Il a scruté avec attention le récit que fait cette dernière de la conversation qu’elle a entendue, à la cafétéria, le 21 juin 1985, entre l’appelant et son épouse, au sujet de l’âge de l’encre et de la possibilité de la déterminer. Nous avons étudié avec non moins d’attention les explications fournies par l’appelant et son épouse à ce sujet.

Traitant de la force probante de la note C- 15, le Tribunal de première instance écrit, dans sa décision:

"Le Tribunal conclut qu’il n’y a pas de preuve que la note produite comme pièce C- 15 est un faux. Par contre, il n’y a aucune preuve qui relie cette pièce aux auteurs de la prétendue discrimination, soit le Dr Haritos et/ ou M. Sylvester. On peut facilement spéculer sur la façon dont la note a été incluse, si c’est le cas, dans l’enveloppe contenant le chèque de frais de déplacement et pourquoi M. Kibale n’y a pas donné d’importance.

Après étude de l’ensemble de la preuve, le présent Tribunal en vient à la conclusion que l’appelant n’a pas démontré que le premier Tribunal a commis une erreur dans l’appréciation des faits et des témoignages relativement à la force probante de la note C- 15.

4. L’appréciation des témoignages par le Tribunal de première instance

L’appelant, dans son argumentation, reproche au Tribunal de première instance, nous l’avons dit, d’avoir erré dans l’appréciation de la preuve testimoniale. Il se plaint tout particulièrement de ce que le Tribunal n’aurait pas fait état expressément, dans sa décision, de la crédibilité qu’il accordait à chaque témoignage et surtout à celui de son épouse, Dame Claire Soucy Kibale.

Le présent Tribunal ne peut accepter les arguments de l’appelant sur cette question. Rien ne nous permet de conclure que le premier Tribunal n’a pas soupesé tous les témoignages et n’a pas tenu compte de toute la preuve en rendant sa décision.

Sur la question de la crédibilité à être accordée aux témoignages rendus à l’audience, qu’on se rappelle que le présent Tribunal en est un d’appel. En vertu de l’article 42.1 (5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le présent Tribunal doit entendre l’appel en se basant sur le dossier du Tribunal dont la décision ou l’ordonnance fait l’objet de l’appel et sur les arguments des parties intéressées.... Il nous apparaît en conséquence que la question de la crédibilité des témoins doit être abordée avec prudence par un Tribunal d’appel; celui- ci ne saurait intervenir pour infirmer la décision de première instance, quant à la crédibilité accordée aux témoignages, que lorsqu’il y décèle une erreur manifeste à ce chapitre.

Le Tribunal de première instance, contrairement au Tribunal d’appel, a eu l’opportunité d’entendre tous les témoins, de scruter leur comportement, d’apprécier certaines intonations ou hésitations. Il a pu intervenir, poser des questions, apprécier. Le présent Tribunal ne peut que s’en tenir à la lecture de ces témoignages contenus dans les quelques 2,000 pages de notes sténographiques.

Dans le cas sous étude, il n’a été démontré, devant ce Tribunal, aucune erreur manifeste dans l’appréciation de la preuve testimoniale et de la crédibilité à être accordée à chacun des témoins.

L’appelant n’a pas convaincu le présent Tribunal que la décision dont appel devait être infirmée pour erreur de droit ou erreur dans l’appréciation de l’ensemble de la preuve.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL: - REJETE l’appel, le tout sans frais.

Fait ce 8 décembre 1986.

Gilles Mercure, Président du Tribunal

Niquette Delage, Membre du Tribunal

Vincent Fleury, Membre du Tribunal

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

GUILLAUME KIBALE, Appelant,

-et

TRANSPORTS CANADA, Intimée,

DEVANT: Gilles Mercure, Président

Niquette Delage, Membre

Vincent Fleury, Membre

OPINION DE NIQUETTE DELAGE

Après avoir délibéré sur le pourvoi de l’appelant M. G. Kibale, contre une décision rendue le 5 septembre 1985 par le Tribunal Canadien des Droits de la Personne, et rejetant la plainte du plaignant Guillaume Kibale;

Pour les motifs exposés dans l’opinion écrite du Président du Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Guillaume Kibable, appelant, et Transports Canada, intimée, Me Gilles Mercure, et déposée avec la présente opinion;

REJETTE l’appel, le tout sans frais, en insistant, cependant, sur un point qu’il lui apparait important de souligner, et ce, avec l’accord du Président dudit Tribunal, Me Gilles Mercure, et celui du Membre dudit Tribunal, Me Vincent Fleury.

En effet, à la page 29 de l’opinion écrite de Me Gilles Mercure, il est question de la crédibilité a être accordée aux témoignages rendus à l’audience en première instance. Il nous est apparu, tout au cours de l’audience consacrée à l’appel de M. Guillaume Kibale que de nombreuses contradictions existaient. Notamment au sujet de la note «No Black in Transport Canada», cotée C- 15. Qu’il suffise de mentionner l’exemple suivant: si l’on se reporte aux pages 312, 319, 320, 322, 325, 329 et 331 des audiences du moins d’ao t 1986, soit le volume 2 daté du 6 ao t 1986, on constate dans l’argumentation de M. Guillaume Kibale une contradiction flagrante avec son témoignage rendu le 20 juin 1985, à la page 1567 du Volume 9 des notes sténographiques prises au cours des audiences en première instance au sujet de la divulgation par M. Kibale de l’existence de la note C- 15 à Mme Josée Planondon pour ne citer qu’elle; il convient de noter que dans son témoignage, à d’autres moments au cours desdites audiences, M. Kibale s’est prononcé dans le même sens au sujet de témoins qui ont été entendus par le tribunal de première instance, et qui ont, sous serment, affirmé n’avoir jamais entendu parler de ladite note C- 15.

La question de la crédibilité des témoins ayant fait l’objet d’un prononcé par le Président du Tribunal canadien des droits de la personne, Me Gilles Mercure, prononcé que nous endossons sans réserve, contentons- nous donc d’en reprendre la conclusion, à savoir: «Il nous apparait, en conséquence que la question de la crédibilité des témoins doit être abordée avec prudence par un tribunal d’appel; celui- ci ne saurait intervenir pour infirmer la décision de première instance, quant à la crédibilité accordée aux témoignages, que lorsqu’il y décèle une erreur manifeste à ce chapitre.»

(...) «Dans le cas sous étude, il n’a été démontré, devant ce tribunal, aucune erreur manifeste dans l’appréciation de la preuve testimoniale et de la crédibilité à être accordée à chacun des témoins.»

Fait ce 8 décembre 1986

Niquette Delage, membre du Tribunal

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

GUILLAUME KIBALE, Appelant,

-et

TRANSPORTS CANADA, Intimée,

Gilles Mercure, Président

Niquette Delage, Membre

J.- Vincent Fleury, Membre

COMPARUTIONS: M. Guillaume Kibale Se représentant lui- même

Me Jean- Marc Aubry, Me André Bluteau, Me James Mabbutt Procureurs de l’intimée

Me Anne Trottier Procureur de la Commission canadienne des droits de la personne

OPINION DE Me J.- VINCENT FLEURY

> Le soussigné concourt avec l’opinion exprimée dans la décision du président de ce Tribunal, Me Cilles Mercure, de même qu’avec l’opinion rendue par Me Niquette Delage.

EN CONSEQUENCE, pour tous les motifs exposés dans la décision du Président et dans l’opinion de madame Niquette Delage, JE REJETE L’APPEL, LE TOTU SANS FRAIS.

Me J.- Vincent Fleury, membre du Tribunal.

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