Tribunal canadien des droits de la personne

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DT 5/ 87

Décision rendue le 20 février 1987

Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE:

DAVID J. DeJAGER plaignante

- et

MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE défenderesse

DEVANT: M. Wendy Robson (président)
Paul J. D. Mullin
A. Wayne MacKay

DÉCISION

Le tribunal reprend l’audience à Halifax, en Nouvelle- Écosse, le 16 octobre 1986, afin d’entendre des témoignages sur la question des dommages- intérêts, par suite de la constatation que le tribunal a faite plus tôt, à savoir qu’il y a eu discrimination en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes des paragraphes (2) et (3) de l’article 41 de la loi; voici les parties de ces articles qui s’appliquent ici :

41( 2) A l’issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut... ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire

b) d’accorder à la victime, à la première occasion raisonnable, les droits, chances ou avantages dont, de l’avis du tribunal, l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu’il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

41( 3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal, ayant conclu

a) que la personne a commis l’acte discriminatoire de propos délibéré ou avec négligence, ou

b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de l’acte discriminatoire, peut ordonner à la personne de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars (5 000 $).

INDEMNISATION PARTICULIERE

Le seul témoin convoqué à la reprise de l’audience fut le plaignant, M. DeJager. On lui demanda si son renvoi des Forces armées avait perturbé sa vie personnelle; il répondit qu’à cause de cela, il avait eu des disputes avec sa femme (transcription, p. 13), puis il ajouta :

"Je n’avais plus de revenu à ce moment- là; nous comptions uniquement sur le sien, et plusieurs de ses patrons me bafouaient, croyant que je m’accrochais à elle parce que c’est elle qui gagnait tout l’argent du ménage. Nous avons eu plusieurs disputes à ce sujet, et nos relations personnelles s’en sont ressenties. Nous avons eu plus de querelles depuis que j’ai quitté les Forces que lorsque j’y étais."

Le tribunal est d’avis que le plaignant a souffert un préjudice moral et, par conséquent, il ordonne au ministère de la Défense nationale de lui verser une somme de trois cents dollars (300 $) conformément à l’article 41( 3) de la loi.

RÉINTÉGRATION

L’avocat de la Commission des droits de la personne et le ministère de la Défense nationale se sont, de façon générale, entendus sur la question de la réintégration, et le tribunal entérine cette entente.

Par conséquent, le tribunal ordonne, conformément à l’article 41( 2) b), Que le plaignant réintègre les Forces armées canadiennes pour une période de trois ans au poste de caporal adjoint, à titre provisoire, pourvu qu’il satisfasse aux exigences médicales actuelles, abstraction faite de son asthme qui fait l’objet de la présente audience.

INDEMNISATION

La question de l’indemnisation relative à la perte de salaire, aux termes de l’article 41( 2) c), a donné lieu à de longues délibérations entre les deux avocats.

L’avocat de la Commission soutenait que le plaignant devrait recevoir le salaire qu’il a perdu, à compter de la date de sa libération des Forces armées jusqu’à la date de l’audience, moins tout revenu qu’il a pu gagner pendant ce temps- là. L’avocat du ministère de la Défense nationale soutenait, de son côté, que le plaignant ne devrait être indemnisé que pour une période raisonnable, et il proposa, à ce sujet, une période de deux ans et demi, soit la durée de son service ou, comme solution de rechange, la période se terminant, pour les fins du calcul de l’indemnité, le 7 mai 1985, soit la date à laquelle l’engagement du plaignant dans les Forces armées aurait pris fin. M. Saunders a aussi soulevé la question de la mitigation des dommages- intérêts.

Dans la cause Rosanna Torres c. Royalty Kitchenware et Francesco Guerico, consignée au CHRR, vol. 3, paragraphes 7597 à 7770, Peter Cumming, président de la commission d’enquête établie en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario, a fait un long exposé sur la question de la mitigation.

Au paragraphe 7735, il dit :

"... il est présumé, dans les causes liées aux droits de la personne, que la plaignante, si sa plainte a été jugée fondée, a le droit de se faire indemniser ses pertes financières. S’il n’y a pas de circonstances particulières, seul le devoir qu’a la plaignante de mitiger ses pertes devrait contribuer à modifier la somme des dommages- intérêts qui a été adjugée."

Et puis, au paragraphe 7742 :

"Le devoir de mitiger ses pertes, c’est le devoir d’agir de façon raisonnable. Il faut étudier les faits, dans chaque cause, pour déterminer si la plaignante a fait un effort raisonnable pour réduire ses pertes."

Dans la cause qui nous occupe, les témoignages nous ont fait savoir que M. DeJager s’était efforcé de trouver du travail; dans certains cas, il y réussit, dans d’autres cas, ses efforts n’ont pas porté fruit. Il s’est inscrit à des cours de recyclage qu’il n’a pas terminés, mais, de toute évidence, sans que ce soit de sa faute. Nous considérons qu’il a fait des efforts suffisants pour mitiger ses pertes.

Il ne reste plus qu’à déterminer ce qui serait une période raisonnable d’indemnisation. L’avocat a puisé abondamment dans la jurisprudence.

Via Rail Canada Inc. c. Marilyn Butterill, David J. Forman et I. Cyril Wolfman et la Commission canadienne des droits de la personne, consignée dans (1982) 2 C. F., à la page 830, constitue une décision de la cour d’appel fédérale. L’avocat de la commission l’a invoquée pour proposer que le calcul de l’indemnité se fasse à partir de la date de la libération de M. DeJager jusque la date de l’audience du tribunal. Nous n’acceptons pas cette interprétation de la cause. Dans cette cause, les plaignants n’avaient pas à fournir une preuve d’aptitude pour passer l’examen des yeux afin d’être admissibles à l’indemnité. S’il y a eu acte discriminatoire illicite, on indemnise le salaire qui a été perdu et qui, autrement, aurait été gagné.

Dans la cause Brian Villeneuve c. Bell Canada (CHRR vol. 6, paragraphes 24097- 24156), le tribunal a, en fait, accordé l’indemnisation du salaire perdu à compter de la date du renvoi à la date de l’audience, mais sans donner les raisons qui l’ont motivé à déterminer cette période d’indemnisation.

La même décision fut rendue dans la cause Clément Labelle et Denis Claveau c. Air Canada (CHRR, vol. 4, paragraphes 11367- 11393). Là encore, on n’en donne pas la raison, et il semble qu’il en fut ainsi par suite d’une entente entre avocats.

Le mieux est de s’inspirer de la cause Torres, déjà citée et au cours de laquelle le professeur Cumming a considérablement étudié la jurisprudence et les considérations sur lesquelles s’appuyaient les décisions relatives à l’indemnité. Au paragraphe 7748, il dit :

"... il y a une certaine limite a ne pas dépasser lorsque l’on adjuge des dommages- intérêts sous forme d’indemnisation. Je préciserais cette notion en disant que la défenderesse ne doit rembourser les dommages- intérêts qu’à l’égard d’une période raisonnable et, par période raisonnable, j’entends ici une période qui aurait pu raisonnablement être prévue dans les circonstances par une personne raisonnable si elle s’était arrêtée à y réfléchir..."

Cet argument fut invoqué dans la cause B. L. Mears et al c. Ontario Hydro et al (CHRR, vol. 5, paragraphes 16507- 16613) et dans la cause Cindy Cameron c, Nel- Gor Castle Nursing Home et Merlene Nelson (CHRR, vol, 5, paragraphes 18284- 18566).

Dans la cause qui nous occupe, nous sommes convaincus que la période raisonnablement prévisible se terminait à la fin de l’engagement de cinq ans de M. DeJager, soit le 7 mai 1985.

Nous ordonnons donc que l’indemnité suivante soit versée :

  1. Pour la période allant du 11 septembre 1982 jusqu’au 30 juin 1983 inclusivement, la solde d’un simple soldat, moins l’indemnité de départ qui a déjà été versée au plaignant, et
  2. Pour la période allant du 1er juillet 1983 jusqu’au 7 mai 1985 inclusivement, la solde d’un caporal, moins les salaires qu’il a touchés pendant ce temps.

Cette indemnité est assujettie à l’impôt sur le revenu, aux retenues normales et au remboursement d’une somme de 40 943,56 $ à la Commission de l’assurance- chômge. La somme due ne porte pas d’intérêt.

Datée à Perterborough, en Ontario, ce 31e jour de décembre 1986

M. Wendy Robson

A. Wayne MacKay

Paul J. D. Mullin

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