Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (L.R.C. 1985, c. H-6 et ses modifications)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE ENTRE :

INA LANG

Plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

- et -

COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA

Intimée

TRIBUNAL :

WILLIAM KUSHNERYK, c.r. - président

KRISTIAN EGGUM, c.r. - membre

NORMA McLEOD - membre DÉCISION DU TRIBUNAL ONT COMPARU

Harry Glinter Avocat de l'intimée

James Hendry Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

DATES DE L'AUDIENCE : Les 21 et 22 mars 1989

LIEU DE L'AUDIENCE : WINNIPEG (Manitoba)

TRADUCTION

NATURE DE LA PLAINTE

La plainte en l'instance est portée contre la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (la Commission de l'emploi et de l'immigration).

La plainte déposée devant la Commission canadienne des droits de la personne contient la description suivante de l'acte reproché à l'intimée :

[TRADUCTION]

La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada a commis un acte discriminatoire à mon égard en refusant la demande que je lui avais présentée sous le régime d'un programme destiné au public, en violation des termes de l'alinéa 5a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'ai demandé une subvention salariale en application du programme Défi 86. J'avais l'intention d'engager ma fille pour travailler dans ma garderie familiale, car elle avait la formation et l'expérience nécessaires à ce travail, mais ma demande a été refusée, les membres de la famille immédiate de l'employeur n'étant pas admissibles au programme. Cette mesure constitue, à mon égard et à l'égard d'autres employeurs, de la discrimination fondée sur la situation de famille.

MANDAT DU TRIBUNAL

Le tribunal formé pour entendre la plainte avait pour fonctions d'examiner celle-ci et de déterminer si l'acte reproché constituait, en regard de l'alinéa 5a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi), de la discrimination fondée sur la situation de famille, de la part d'un fournisseur de services.

LA LOI

Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

3(1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

  1. d'en priver un individu;
  2. de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires : [...]

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g) le fait qu'un fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s'il a un motif justifiable de le faire.

66(1) La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada sauf en ce qui concerne les gouvernements du territoire du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest.

L'article (2) énonce l'objet de la Loi :

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience. La loi ne définit pas l'expression situation de famille.

Toutefois, l'affaire Schapp c. Canada (Ministère de la Défense nationale), (1988) C.H.R.R. D/4890, contient un examen exhaustif de la signification de ces mots. Le Tribunal conclut, à la page D/4910 :

Par ailleurs, la signification naturelle et ordinaire de l'expression situation de famille devrait, je pense, englober la relation qui découle des liens du mariage, de la consanguinité, de l'adoption légale, y compris, pour reprendre les termes du Pr. Tarnopolsky, les relations ancestrales, qu'elles soient légitimes, illégitimes ou d'adoption, ainsi que les relations entre époux, frères et soeurs, beaux-frères et belles-soeurs, oncles ou tantes et neveux ou nièces, cousins, etc.

Dans l'opinion du Tribunal, l'expression situation de famille comprend la relation parent-enfant.

LES FAITS

La plaignante, Ina Lang, a exploité une garderie familiale pendant six ans, jusqu'à ce qu'elle mette fin aux activités de celle-ci, pendant l'été 1987. Mme Lang était autorisée à recevoir jusqu'à huit enfants, dont cinq d'âge préscolaire, et ne pouvait garder plus de trois enfants en bas âge à la fois. Elle a déclaré, dans son témoignage, qu'il était important que la garderie offre aux enfants un milieu, sûr, gai et heureux. Les enfants que gardait la plaignante provenaient, pour la plupart, de familles à faible revenu ou monoparentales, et bénéficiaient tous d'une subvention. Parmi ces enfants, figuraient les trois enfants de la fille de la plaignante,

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Terry McKenzie. Mme McKenzie était parent unique et était retournée aux études.

Pendant un certain temps, la plaignante a exploité avec sa fille une garderie collective. Ce type d'établissement pouvait recevoir douze enfants et requérait deux exploitants. La garderie avait ouvert ses portes au début de 1983 et la plaignante l'avait fait fonctionner avec sa fille jusqu'au mois de juin 1985. Elles l'avaient fermée à cette date, car la mère estimait que sa fille avait besoin de plus de formation. La fille, comme parent unique de trois enfants, a pensé retourner aux études. Elle s'est inscrite à un cours de travailleur des services à l'enfance d'une durée de deux ans, donné par l'Assiniboine Community College, à Brandon (Manitoba), et a pu acquitter les frais de scolarité grâce à des subventions, des prêts et une bourse. En terminant ses cours avec succès, elle obtenait un diplôme de classe 2 après la première année et un diplôme de classe 3 après la deuxième année.

La plaignante a déclaré que la formation de travailleur des services à l'enfance avait pour but d'améliorer les services de garderie et les compétences des travailleurs qui prendraient soin des enfants.

La fille de la plaignante était la seule des étudiants inscrits à ce cours qui provenait de la région de Minnedosa, où elle demeurait ainsi que sa mère.

Mme Lang espérait pouvoir engager sa fille, pendant l'été 1986, pour qu'elle travaille avec elle, pendant ses vacances, dans ce qui était devenu la garderie familiale de la plaignante.

Il faut avoir accumulé trois cent cinquante heures d'expérience pratique en garderie pour obtenir le diplôme de classe 3. La plaignante considérait que le fait de travailler à la garderie familiale pendant les mois d'été serait bénéfique pour sa fille à cet égard et que cela lui permettrait, en outre, de se perfectionner dans la rédaction de rapports, la gestion de dossiers et la comptabilité, des domaines qui constituent une part importante de l'exploitation d'une garderie et à l'égard desquels Mme McKenzie avait besoin de perfectionnement. Mme Lang espérait également que sa fille incorporerait dans le programme de la garderie une partie de ce qu'elle avait appris pendant l'année. Elle escomptait également que la présence de sa fille lui donnerait l'occasion de rénover le sous-sol de la maison pour en faire une salle de jeu adaptée aux enfants.

La plaignante entendit parler du programme Défi 86 et pensa qu'elle pourrait réaliser ses projets avec l'aide financière accordée par ce programme.

LE PROGRAMME DÉFI 86

La pièce C-3, un document publié par la Commission de l'emploi et de l'immigration, décrit le programme Défi 86. En voici quelques extraits :

DÉFI 86 - Emploi d'été/

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Expérience de travail (EÉET)

Cherchez-vous à embaucher un étudiant pendant l'été?

Défi 86 est un programme de subventions dont peuvent bénéficier les employeurs afin de créer des emplois pour étudiants.

Ce sont les propositions concernant des possibilités d'emploi qui ne pourraient être offertes sans l'aide du programme qui seront prises en considération.

Toutes les propositions seront évaluées en fonction des possibilités qu'elles offrent de préparer les étudiants à leur future participation au marché du travail, des avantages que peuvent tirer les étudiants du travail qu'ils auront à accomplir et de l'utilité de ce travail.

Toutefois, une subvention ne peut être accordée seulement dans la mesure où des fonds sont disponibles.

Si vous pouvez créer un emploi d'été pour un ou plusieurs étudiants, veuillez remplir le formulaire Demande-Entente ci- joint et l'envoyer au bureau de la CEIC le plus proche, dont vous trouverez l'adresse sur la Fiche de renseignements ci-jointe concernant votre province ou votre territoire [...]

Grandes lignes du programme

EMPLOYÉS POUVANT ETRE RÉMUNÉRÉS A MEME LES FONDS DU PROGRAMME

Les étudiants qui :

[...]

ne sont pas des proches parents de l'employeur. Ce point est important. Veuillez consulter les modalités d'application pour la définition de proches parents.

MODALITÉS D'APPLICATION

7.1) A moins d'une approbation écrite de la COMMISSION, aucune contribution ne peut être versée par la COMMISSION à l'égard du salaire payé, des cotisations obligatoires et des autres frais engagés par l'EMPLOYEUR pour un employé qui :

  1. n'a pas été présenté à l'EMPLOYEUR par un Centre d'emploi du Canada avant d'être embauché par l'EMPLOYEUR; ou
  2. est un proche parent

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    1. de l'EMPLOYEUR, lorsque l'EMPLOYEUR est un particulier;
    2. d'un cadre supérieur ou d'un directeur d'une entreprise ou d'une association, lorsque l'EMPLOYEUR est une entreprise ou une association non constituée en société.

2) Aux fins du présent article, proches parents désigne, dans le cas de l'EMPLOYEUR qui est un particulier, ou dans le cas d'un gestionnaire ou d'un directeur d'une société ou d'une association, le père, la mère, le père par remariage, la mère par remariage, un parent nourricier, le frère, la soeur, le conjoint (y compris le conjoint de droit commun), l'enfant (y compris l'enfant du conjoint de droit commun), l'enfant d'un premier lit ou l'enfant en tutelle, le beau- père et la belle-mère d'un tel particulier, cadre supérieur ou directeur ainsi que le parent demeurant en permanence dans le ménage d'un tel particulier, cadre supérieur ou directeur, ou tout parent avec lequel ledit particulier, cadre supérieur ou directeur demeure en permanence.

Un autre document publié par Emploi et Immigration Canada et intitulé Guide de l'emploi a été déposé sous la cote R-2. Il énonce entre autres :

[TRADUCTION]

DÉFI 86

EMPLOI D'ÉTÉ/EXPÉRIENCE DE TRAVAIL

50.01INTRODUCTION

(1) a) Le volet Emploi d'été/expérience de travail (EÉET) de Défi 86, le programme d'emploi d'été des étudiants, vise à permettre aux jeunes qui poursuivent des études d'acquérir, pendant l'été, une expérience supplémentaire, pratique ou liée à leurs études ou à la carrière choisie, par le biais de subventions versées aux employeurs.

b) Dans certaines régions, l'initiative EÉET s'est combinée avec des projets provinciaux. Il est donc possible qu'elle y soit désignée sous un autre nom.

(2) Le programme subventionne deux types d'emploi : les emplois liés aux études ou à la carrière choisie et les emplois conférant une expérience pratique. Les premiers touchent le champ d'étude, la discipline, la carrière future ou le programme de l'étudiant, et les seconds sont des emplois qui augmentent l'employabilité future de l'étudiant mais qui

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n'ont pas de liens directs avec un champ d'étude, une discipline, etc.

LES CLAUSES ANTINÉPOTISME

Un document daté du 10 mars 1989, rédigé par M. Robert Van Tongerloo, directeur général des opérations de la Planification de l'emploi (lequel comprend un programme d'intégration professionnelle dont Défi 86 constituait un volet), et intitulé Canadian Job Strategy a été déposé sous la cote R-1. L'auteur y écrit à la page 9 :

[TRADUCTION]

Dès son adoption, la stratégie a été axée sur le client et sur l'aide aux personnes qui en avaient le plus besoin. A cause de cette priorité, et pour assurer le traitement équitable et l'égalité d'accès de tous les Canadiens, on a intégré dans les programmes l'habituelle disposition relative au népotisme. Lorsqu'il y avait lieu, des clauses antinépotisme ont été inclues dans les formulaires, les guides d'instructions, les principes directeurs et dans les modalités des programmes soumis au Conseil du Trésor.

LE TÉMOIGNAGE DE LA PLAIGNANTE

La plaignante a rempli une demande de subvention en application du programme Défi 86.

En faisant cette demande, elle cherchait à obtenir un montant couvrant une période d'emploi de onze semaines de quarante heures de travail, soit quatre cent quarante heures au total, à 2,40 $ l'heure.

La subvention maximale que pouvait recevoir la plaignante était de 1,000 $.

Elle a joint la lettre suivante à sa demande de subvention :

[TRADUCTION]

Objet : La règle 7 du programme Défi 86

J'aimerais obtenir de la Commission la permission écrite d'engager une personne qui m'est apparentée.

J'exploite mon entreprise à domicile et il est essentiel que je puisse être pleinement assurée que l'employée prendra soin des enfants et respectera ma demeure et la vie privée de ma famille. Il faut également que sa candidature reçoive l'approbation de la coordonnatrice de la garderie.

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Je souhaite engager une personne avec qui j'ai été associée pendant deux ans et demi dans l'exploitation d'une garderie collective à Minnedosa. Elle a alors décidé de suivre un cours collégial en services à l'enfance. Elle travaille actuellement à l'obtention de son diplôme de travailleur des services à l'enfance classe II et prévoit s'inscrire à l'automne aux cours menant à l'obtention du diplôme de classe III. Je la crois compétente et honnête, et le fait qu'elle a déjà été titulaire d'un permis lui vaudrait l'approbation de la coordonnatrice.

L'employée aurait pour fonctions de prendre soin d'enfants dans le contexte d'une garderie familiale, en se conformant à tous les principes et à toutes les règles applicables à ces établissements.

Elle prendrait part à l'élaboration et à l'application d'un programme d'activités pour les enfants ainsi qu'à la planification et à la préparation des repas. Elle contribuerait aussi aux tâches générales d'entretien ménager de la garderie.

Cet emploi peut permettre à un étudiant en services à l'enfance d'acquérir une expérience pratique en cours d'emploi. Il peut également l'aider à obtenir son diplôme, puisque les règlements applicables à cet égard diffèrent selon qu'on a travaillé avant ou après le 31 octobre 1988.

A l'audience, on a demandé à la plaignante de décrire la teneur de cette lettre. Elle a expliqué qu'en lisant les règlements, elle avait appris qu'il n'était pas possible d'embaucher un parent sans y être autorisé par écrit. Elle a donc écrit la lettre sollicitant cette autorisation.

Après avoir présenté sa demande de subvention, la plaignante a reçu un appel téléphonique d'une employée de la Commission de l'emploi et de l'immigration, Mme Shirley Conlin, laquelle lui a posé des questions concernant le lien de parenté qui existait entre la plaignante et la personne que celle-ci décrivait dans sa lettre.

La plaignante a informé Mme Conlin que cette personne était sa fille. Dans sa réponse, Mme Conlin a semblé dire que cela ne serait pas compris dans la région.

Plus tard dans la conversation, Mme Conlin a laissé entendre qu'elle ne croyait pas que la plaignante obtiendrait la subvention.

Par la suite, la plaignante a reçu une lettre type de l'intimée lui faisant part du rejet de sa demande de subvention. L'intimée y mentionnait aussi que si de nouveaux fonds devenaient disponibles, elle réexaminerait la demande et en aviserait la plaignante.

Dans les faits, la plaignante n'a reçu aucun autre avis et n'a obtenu aucune somme d'argent en application du programme.

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Le fait de ne pas recevoir de subvention a considérablement irrité la plaignante. Elle a exprimé ainsi les motifs de sa colère :

[TRADUCTION]

Je n'ai pas du tout eu l'impression qu'ils ont analysé le programme ou examiné ce que j'essayais de faire. Je crois, en ce qui me concerne, que leur décision reposait uniquement sur le fait que je désirais engager une personne qui m'était apparentée, même si j'étais d'avis qu'il s'agissait de la personne la plus qualifiée pour l'emploi et de la seule personne que je pouvais embaucher dans les circonstances .... personne n'a vérifié quoi que ce soit. Personne n'a même vérifié si j'avais une garderie. Personne n'a examiné les compétences de Terry. Personne n'a rien examiné. Ils ont refusé simplement parce que je voulais engager une personne parente avec moi.

LE TÉMOIGNAGE DE L'INTIMÉE

En réponse à la plainte, l'intimée a fait entendre deux témoins.

Robert Van Tongerloo

M. Van Tongerloo est le directeur général des opérations de la Planification de l'emploi. Il était le haut fonctionnaire chargé du programme Défi 86.

Il ressort du témoignage de M. Van Tongerloo que Défi 86 était essentiellement un programme de subventions salariales visant à procurer un emploi aux étudiants à plein temps qui avaient l'intention de poursuivre leurs études pendant la prochaine année scolaire et s'adressant aux étudiants dont les besoins étaient les plus pressants.

Le programme s'appliquait spécialement aux étudiants que le chômage atteignait le plus et qui avaient le plus besoin de perfectionnement professionnel. Son objectif était de fournir aux étudiants se trouvant encore en milieu scolaire les outils nécessaires pour assurer leur passage dans le monde du travail. Selon M. Van Tongerloo, le programme visait principalement les étudiants qui avaient le moins de chances de se trouver du travail sans aide et avait pour objet de subventionner des emplois destinés à ces étudiants.

M. Van Tongerloo n'a pas pris part personnellement à l'évaluation de la demande de Mme Lang. Il en connaissait toutefois l'existence. Il n'était pas sûr qu'il soit opportun que la fille de Mme Lang travaille pour sa mère, et a reconnu dans son témoignage :

[TRADUCTION]

[...] Comme le révèlent les observations de l'agent de projet, la demande était considérée comme une possibilité d'emploi parfaite. En fait, les observations notées sur la formule de demande laissaient entendre, jusqu'à la conversation avec Mme Ina

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Lang, que celle-ci était une candidate de premier ordre pour l'obtention de la subvention [...]

A l'égard des catégories de personnes inadmissibles aux termes de l'article 7, M. Van Tongerloo a confirmé que, dans certaines circonstances, l'octroi d'une exemption à un membre de la famille de l'employeur pouvait être envisagé, sur recommandation de l'agent de projet seulement. Le gestionnaire local de la Commission de l'emploi et de l'immigration devait ensuite approuver cette recommandation. Une enquête sur les faits du dossier devait précéder ces deux étapes.

Le témoin a déclaré que la demande de Mme Lang constituait un cas exceptionnel et que la Commission de l'emploi et de l'immigration avait été avertie à l'avance qu'une candidate habituellement non admissible se présentait pour l'emploi.

Selon le témoignage de M. Van Tongerloo, il n'y a eu aucune enquête effectuée pour vérifier si Mme Lang pouvait obtenir l'exemption prévue à l'article 7 pour les catégories non admissibles. Pour reprendre les termes de M. Van Tongerloo :

[TRADUCTION]

[...] Malheureusement, le système s'est enrayé.

Contre-interrogé par le procureur de la Commission, M. Van Tongerloo a reconnu ce qui suit :

[TRADUCTION]

Q. En votre qualité de personne qui, à cette époque, avait, en quelque sorte, la responsabilité de cela, de ce programme particulier, pensez-vous que si Mme Lang n'avait pas mentionné qu'elle voulait engager sa fille et n'avait pas annexé à sa demande de subvention une lettre de demande d'exemption, pensez- vous qu'elle aurait obtenu une subvention?

A. Si Mme Lang n'avait jamais fait mention du lien de parenté qui existait, en fait, entre elle et cette personne, avant la signature du document, je suis à peu près certain qu'elle aurait été subventionnée.

Nonobstant cette reconnaissance, M. Van Tongerloo a déclaré que, pour lui, le refus d'accorder une subvention à Mme Lang en application du programme provenait de ce qu'elle avait refusé d'examiner les candidatures d'autres personnes qualifiées ou potentiellement qualifiées pour occuper l'emploi.

Cette affirmation ne concorde pas avec la lettre envoyée par la Commission de l'emploi et de l'immigration, avisant Mme Lang qu'on ne

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rejetait pas sa demande, mais qu'on lui accordait simplement un degré de priorité moins élevé.

Elle ne concorde pas non plus avec ce que soutient l'avocat de l'intimée, savoir que la présente espèce porte sur la disposition antinépotisme énoncée à l'article 7.

Relativement à ces discordances, l'avocat de l'intimée a déclaré :

[TRADUCTION]

Il y a un problème.

M. Van Tongerloo a reconnu les faits suivants :

  1. Il n'existait aucune règle que les agents d'emploi auraient été tenus d'appliquer dans l'évaluation du bien-fondé d'une demande d'exemption prévue à l'article 7 pour les catégories non admissibles;
  2. En l'espèce, on n'a pas envisagé la question de l'octroi d'une exemption;
  3. Il ne connaissait aucune autre personne inscrite au même cours de travailleur des services à l'enfance que la fille de Mme Lang, dont les compétences pouvaient égaler celles de cette dernière.

Linda Sangster

Mme Sangster, une consultante en matière de programmes au service de la Commission de l'emploi et de l'immigration, a été citée comme témoin par l'intimée.

Elle était agente de projet pour le groupe de la Planification de l'emploi et travaillait à la direction générale du développement de l'emploi, secteur sud, au moment où Mme Lang a demandé une subvention.

La région du secteur sud comprenait les villes de Brandon et de Minnedosa.

Les fonctions régulières de Mme Sangster ne l'amenaient pas à travailler dans le cadre du programme Défi 86, mais en raison de la forte demande que celui-ci suscitait alors, on lui a demandé de participer à l'évaluation des demandes de subvention.

L'évaluation s'est faite à Brandon (Manitoba).

Mme Sangster a examiné la demande remplie par Mme Lang. Elle a fait les déclarations suivantes dans son témoignage :

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  1. La demande de Mme Lang satisfaisait aux modalités fondamentales du programme Défi 86.
  2. Elle considérait que du point de vue du lien avec la carrière choisie, il s'agissait d'une demande intéressante.
  3. C'est elle qui a communiqué avec Mme Lang afin de savoir qui était la personne apparentée et de déterminer si une exemption s'imposait.
  4. Elle a constaté que Mme Lang désirait engager sa fille et qu'elle n'accepterait pas d'autres propositions.
  5. Les demandes d'exemption étaient rares.
  6. Elle a convenu avec M. Van Tongerloo que Mme Lang aurait probablement obtenu une subvention si elle n'avait pas fait mention du lien de parenté.
  7. Les possibilités de carrière se voyaient accorder un degré élevé de priorité dans le cadre du programme Défi 86.
  8. La demande de Mme Lang provenait du secteur privé; ces demandes aussi étaient considérées comme prioritaires.
  9. La demande d'exemption de Mme Lang n'a pas été examinée.
  10. Elle n'avait aucune expérience du traitement des demandes d'exemption prévues à l'article 7.
  11. Malgré cela, elle a inscrit la mention [TRADUCTION] non recommandée sur la demande de subvention de Mme Lang.
  12. Mme Conlin lui a par la suite substitué la mention [TRADUCTION] degré de priorité faible.
  13. Elle n'a pas su pourquoi Mme Conlin avait agit ainsi.

LES ARGUMENTS

Les arguments de l'avocat de l'intimée

L'avocat de l'intimée a soutenu qu'il s'agissait en l'occurrence d'une situation de fait unique pour laquelle il avait été incapable de trouver des précédents et qui se produisait pour la première fois.

Il a reconnu que l'intimée n'avait pas mis dans l'étude de la demande de Mme Lang toute l'objectivité qu'elle aurait pu mettre.

Il a concédé, dans son argumentation, que le programme Défi 86 avait pour but de créer, à l'intention des étudiants dans le besoin, des emplois qui n'existeraient pas autrement, et qu'il s'agissait d'une entreprise

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conjointe des employeurs et du gouvernement visant à favoriser les étudiants.

L'avocat a soutenu que, dans le contexte du programme, le fait d'être célibataire et d'avoir trois enfants ne faisait pas de quelqu'un une personne dans le besoin.

Il a ajouté que sur le plan des affaires, il y avait peu d'arguments favorables à apporter au soutien du souhait de Mme Lang d'engager sa fille pendant l'été 1986.

L'avocat a prétendu que si l'on mettait Mme Lang dans la situation où elle se serait trouvée si on lui avait accordé la subvention, elle devrait, en fait, de l'argent à la Commission de l'emploi et de l'immigration.

Il a soutenu, pour le compte de l'intimée, que le programme Défi 86 visait à encourager les employeurs à s'associer au gouvernement pour créer des emplois, de façon à ce que les étudiants puissent acquérir le genre d'expérience professionnelle qui faciliterait leur passage de l'école au milieu du travail. Il s'agissait d'un programme ponctuel de création d'emplois financé par les contribuables pour aider les étudiant sous- qualifiés. L'insertion de la disposition antinépotisme avait pour but de prévenir la collusion ou les conflits d'intérêt. En se donnant comme principe de ne pas subventionner les emplois comblés par les proches parents de l'employeur, l'intimée cherchait simplement à s'assurer que l'embauche des étudiants en application du programme se ferait sans favoritisme ou préférence envers des parents.

L'intimée, en sa qualité de gestionnaire de fonds publics, doit s'assurer que les bénéficiaires visés par les programmes de création d'emploi qu'elle applique, ont les mêmes possibilités équitables de se porter candidat aux emplois subventionnés par le gouvernement.

L'avocat de l'intimée a affirmé que la politique antinépotisme faisait partie intégrante de l'objectif poursuivi par le programme.

Il a fait valoir que la demande de subvention de Mme Lang ne répondait pas à l'objectif et au but du programme.

Relativement à la plainte de discrimination fondée sur la situation de famille que Mme Lang a portée parce que l'intimée n'avait pas examiné équitablement sa demande d'exemption, l'avocat de l'intimée a soutenu que, devant l'intention d'engager sa fille que manifestait la plaignante et devant le refus de celle-ci de considérer d'autres candidats proposés par la Commission de l'emploi et de l'immigration, Mme Sangster ne savait pas vraiment quoi faire, mais qu'elle a fait ce qu'elle croyait équitable. L'intimée a reconnu, par écrit et au cours de l'audience relative à la plainte, que la Commission de l'emploi et de l'immigration n'avait d'aucune façon pris part à cette décision.

A cet égard, l'avocat de l'intimée a admis :

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[TRADUCTION]

La Commission n'a jamais reçu la demande. Je ne conteste pas cela. Je ne puis le faire. En effet, Mme Sangster a pris la décision de ne pas accorder l'exemption sans transmettre la demande à la Commission, car cette demande allait à l'encontre des grandes lignes du programme qui exigeaient que Mme Lang engage une personne proposée par la Commission.

Il ne fait pas de doute qu'il existe un problème à cet égard. Je ne puis le cacher [...]

L'argumentation de l'intimée se résume ainsi :

  1. Mme Lang n'a pas fait l'objet de discrimination fondée sur la situation de famille.
  2. Subsidiairement, s'il y a eu discrimination à son égard, elle résulte d'actes équitables accomplis dans la poursuite des objectifs prépondérants du programme Défi 86.
  3. Mme Lang n'a absolument pas subi de préjudice, pécuniaire ou autre.

Les arguments de l'avocat de la Commission

L'avocat de la Commission a présenté plusieurs éléments d'argumentation.

Il a fait valoir qu'une garderie est un milieu particulier où la confiance et la sécurité des enfants revêtent une importance capitale.

Il s'agit d'un secteur très réglementé et le gouvernement du Manitoba insistait pour qu'on augmente la formation des travailleurs, en créant de nouvelles classifications, savoir les classes 1, 2 et 3, et ainsi de suite.

La fille de Mme Lang avait besoin d'acquérir de l'expérience pour se qualifier comme travailleuse des services à l'enfance, classe 3.

Sans subvention, Mme Lang n'avait pas les moyens d'engager un étudiant pendant l'été. C'est pourquoi elle a présenté une demande de subvention dans le cadre du programme Défi 86, déclarant en toute bonne foi qu'elle désirait engager une personne qui lui était apparentée.

Malgré les dispositions du programme prévoyant des exemptions permettant l'engagement de parents, on a informé la plaignante que la collectivité n'accepterait pas l'octroi d'une exemption. La Commission de l'emploi et de l'immigration a en outre envoyé une lettre type à Mme Lang l'avisant que d'autres demandes de sa région avaient reçu un degré de priorité supérieur et lui faisant savoir qu'on ne pouvait [TRADUCTION] actuellement donner suite à sa demande, mais que celle-ci serait réexaminée si le programme recevait des fonds supplémentaires, et qu'elle en serait avisée.

Mme Lang n'a pas obtenu de subvention dans le cadre du programme.

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La lettre type que la Commission de l'emploi et de l'immigration avait envoyée à Mme Lang ne disait rien de la demande d'exemption que celle-ci avait soumise.

La teneur de la lettre contredit, en outre, la mention non recommandée inscrite sur la liste de contrôle remplie à l'égard de l'évaluation de la demande de subvention ainsi que l'aveu de l'avocat de l'intimée, selon lequel la demande de subvention a, en fait, été rejetée lorsqu'on ne lui a donné qu'un faible degré de priorité.

Les témoins cités par l'intimée ont confirmé que la demande de subvention de la plaignante aurait obtenu un degré de priorité élevé et aurait été acceptée, si cette dernière n'avait pas voulu engager un membre de sa famille.

Ni Mme Lang ni les fonctionnaires de la Commission de l'emploi et de l'immigration n'ont reçu quelque instruction que ce soit sur la façon de présenter ou de traiter une demande d'exemption.

Les agents chargés de l'application du programme ne disposaient d'aucun critère leur indiquant comment répondre à de telles demandes.

Le témoignage de M. Van Tongerloo, selon lequel le système s'était malheureusement enrayé lorsque la demande de Mme Lang avait été soumise, corrobore ce fait.

Les préoccupations de la Commission de l'emploi et de l'immigration relativement à cette demande ont toujours eu trait à la participation au programme d'un membre de la famille de la plaignante. Il ressort nettement de la preuve que le rejet de la demande de subvention découlait de l'insistance de la plaignante à vouloir engager sa fille et était indéniablement relié à la situation de famille.

Il était possible d'être exempté de l'application du principe interdisant l'embauche de membres de la famille, mais aucun critère ne régissait le traitement à accorder aux demandes d'exemption.

La plaignante ne savait pas quand présenter la demande d'exemption. On ne lui a rien dit à ce sujet et le formulaire de demande de subvention n'était d'aucune assistance. Mme Sangster également a été plongée dans la perplexité relativement à ce qu'il convenait de faire avec la demande d'exemption, lorsqu'elle l'a reçue.

La Commission de l'emploi et de l'immigration n'a présenté aucun motif acceptable justifiant, en l'espèce, le refus de subventionner Mme Lang. Concernant la question du redressement, l'avocat de la Commission a invoqué les paragraphes (2) et (3) de l'article 53 de la Loi, lesquels énoncent :

[TRADUCTION]

53(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54,

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ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l'acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment:

(i) d'adopter un programme, plan ou arrangement visé au paragraphe 16(1),

(ii) de présenter une demande d'approbation et de mettre en oeuvre un programme prévus à l'article 17;

b) d'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal l'acte l'a privée;

c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte;

d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d'autres biens, services, installations ou moyens d'hébergement, et des dépenses entraînées par l'acte.

53(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas :

a) que l'acte a été délibéré ou inconsidéré;

b) que la victime en a souffert un préjudice moral.

S'appuyant sur le paragraphe 53(2), l'avocat de la Commission a demandé au Tribunal d'ordonner que :

(i) l'intimée élabore, à l'égard du traitement des demandes d'exemption relatives aux dispositions antinépotisme, des principes directeurs qui tiennent compte de l'importance de la prohibition de la discrimination énoncée à la Loi,

(ii) l'examen des demandes d'exemption se fasse suivant le mérite de chacune et en application de ces principes directeurs,

(iii) toute disposition antinépotisme soit assortie de certaines exemptions octroyables conformément à ces principes directeurs,

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(iv) les principes directeurs soient communiqués aux requérants et aux agents chargés de l'application d'un programme.

Relativement à l'indemnisation, l'avocat a fait état de l'aveu de l'intimée selon lequel Mme Lang aurait obtenu une subvention de 1 000 $ si sa demande avait été acceptée.

S'appuyant sur l'alinéa 53(2)b) de la Loi, l'avocat a demandé que la plaignante reçoive une indemnité de 1 566,24 $.

Il a demandé que le tribunal accorde à celle-ci un montant supplémentaire de 1 000 $ pour préjudice moral, invoquant à cet égard l'alinéa 53(3)b).

L'avocat a aussi demandé le versement d'intérêts et a proposé qu'ils s'appliquent à toute indemnité accordée à la plaignante et soient calculés, de la date du dépôt de la plainte devant la Commission des droits de la personne à celle du paiement, selon le taux préférentiel consenti par la Banque canadienne impériale de commerce.

JURISPRUDENCE CITÉE PAR L'AVOCAT DE LA COMMISSION

1. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114.

Cette décision illustre la nature de la législation relative aux droits de la personne et l'interprétation qu'il faut lui donner. Le juge en chef Laskin s'exprime ainsi sur cette question, à la page 1134 :

La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. [...] La Loi n'a pas pour objet de punir la faute, mais bien de prévenir la discrimination.

Il ajoute aux pages 1135 et 1136 :

Le premier énoncé judiciaire complet de l'attitude à adopter au sujet de l'interprétation de la législation sur les droits de la personne se retrouve dans l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145, à la p. 158, où le juge Lamer souligne qu'un code des droits de la personne ne doit pas être considéré comme n'importe quelle autre loi d'application générale, il faut le reconnaître pour ce qu'il est, c'est-à-dire une loi fondamentale. Ce principe d'interprétation a été précisé davantage par le juge McIntyre au nom d'une Cour unanime, dans l'arrêt Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150, à la p. 156 :

Une loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions

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d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions. [...]

Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, la Cour énonce explicitement les principes applicables à l'interprétation des lois sur les droits de la personne. S'exprimant encore une fois au nom de la Cour à l'unanimité, le juge McIntyre conclut, aux pp. 546 et 547 :

[...] Une loi de ce genre est d'une nature spéciale. Elle n'est pas vraiment de nature constitutionnelle, mais elle est certainement d'une nature qui sort de l'ordinaire. Il appartient aux tribunaux d'en rechercher l'objet et de le mettre en application. Le Code vise la suppression de la discrimination.

La Cour a ordonné, dans cette affaire, la mise en application d'un programme particulier visant à corriger le problème de la discrimination systémique, afin d'empêcher que ce type de discrimination ou des actes discriminatoires similaires ne se répètent à l'avenir.

2. Robichaud c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 84.

Dans cette affaire, une femme avait été victime, dans le cadre de son emploi, d'actes de harcèlement sexuel commis par un superviseur de sexe masculin, et la Cour devait décider si l'État était responsable des actes du superviseur. La Cour a jugé l'État responsable. Dans les motifs du jugement de la Cour, le juge La Forest affirme, à la page 90 :

[...] la Loi vise à remédier à des conditions socialement peu souhaitables, et ce, sans égard aux raisons de leur existence. Il se dégage nettement de l'arrêt O'Malley que l'intention d'établir une distinction n'est pas un élément essentiel de la discrimination qui est généralement interdite dans les lois canadiennes sur les droits de la personne (à la p. 547). Ces lois créent essentiellement de[s] voies de recours civiles (à la p. 549). Comme l'explique le juge McIntyre, exiger qu'il y ait intention aurait pour effet de rendre la Loi inapplicable.

Il déclare à la page 92 :

[...] la Loi, nous l'avons vu, ne vise pas à déterminer la faute ni à punir une conduite, Elle est de nature réparatrice. Elle vise à déceler les actes discriminatoires et à les supprimer. Pour ce faire, il faut que les redressements soient efficaces et compatibles avec la nature quasi constitutionnelle des droits protégés.

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3. Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202.

Cette affaire nous éclaire sur le déroulement d'une plainte portée en matière de droits de la personne.

Voir à la page 208, les propos du juge McIntyre :

Lorsqu'un plaignant établit devant une commission d'enquête qu'il est, de prime abord, victime de discrimination, en l'espèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l'absence de justification de la part de l'employeur. La seule justification que peut invoquer l'employeur en l'espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence professionnelle réelle de l'emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondérance des probabilités. [...] Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général. 4. Druken c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), (1987) 8 C.H.R.R. D/4379.

Le Tribunal a jugé, dans cette cause, que le refus de verser des prestations d'assurance-chômage aux plaignantes parce qu'elles étaient les conjointes de leur employeur constituait de la discrimination fondée sur l'état matrimonial. Le sommaire de la décision est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

Les plaignantes n'on pas eu droit aux prestations prévues à la Loi sur l'assurance-chômage parce qu'une disposition de cette loi exclut de ce bénéfice le conjoint d'une personne qui contrôle plus de quarante pour cent des actions donnant droit de vote de la corporation au service de laquelle travaille le conjoint. Le conjoint de chaque plaignante contrôlait plus de ce pourcentage.

Le Tribunal conclut que la Loi canadienne sur les droits de la personne prime naturellement sur la Loi sur l'assurance-chômage et a prépondérance en cas de conflit. Toutefois, le Tribunal conclut en l'espèce que l'on peut donner des deux lois une interprétation non conflictuelle. Il incombe cependant à la

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Commission intimée de prouver que le refus de fournir le service aux plaignantes repose sur un motif justifiable.

Considérant la preuve soumise, le Tribunal conclut que le refus des prestations aux conjointes des employeurs ne s'appuie sur aucun motif justifiable. On ne peut établir qu'il y a eu application abusive du régime d'assurance-chômage. En conséquence, le Tribunal conclut à la violation de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et ordonne à la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada de verser à chaque plaignante les prestations qu'elle aurait touchées si on ne l'avait pas irrégulièrement déclarée inadmissible, une indemnité pour les dépenses effectuées par suite de la discrimination subie et un montant de 1 000 $ en compensation du préjudice moral qu'elle a souffert.

Le Tribunal a jugé que le versement de prestations d'assurance-chômage constituait un service destiné au public, et a ajouté, à la page D/4382 :

Pour ce qui touche à la question de la situation de famille, à la lumière de la jurisprudence, je serais porté à souscrire avec l'interprétation la plus large, c'est-à-dire une relation avec un autre membre de la famille, y compris le conjoint.

Le Tribunal a accordé une indemnité aux plaignantes et a ordonné à la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada d'interrompre la pratique discriminatoire consistant à appliquer certaines dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage et de ses règlements d'application.

5. Canada (Procureur général) c. Druken, [1989] 2 C.F. 24, (autorisation de pourvoi refusée par la C.S.C, le 9 mars 1989).

Il s'agissait de la révision judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne. La Cour d'appel fédérale a maintenu la décision. Relativement à la question des services, le juge Mahoney a cité l'arrêt Singh (Re), [1989] 1 C.F. 430 (C.A.), dans laquelle le juge Hugessen, prononçant les motifs de la Cour a dit :

On peut à vrai dire soutenir que les termes qualificatifs de l'article 5 [...] le fournisseur de [...] services [...] destinés au public [...] ne peuvent jouer qu'un rôle limitatif dans le contexte des services qui sont rendus par des personnes physiques ou par des personnes morales et que, par définition, les services que rendent les fonctionnaires publics aux frais de l'État sont des services destinés au public et qu'ils tombent donc sous le coup de l'article 5. Il n'est cependant pas nécessaire de trancher cette question définitive à cette étape-ci et il suffit de dire qu'il est loin d'être clair pour moi que les services rendus, tant au Canada qu'à l'étranger, par les fonctionnaires chargés de l'application de la Loi sur l'immigration de 1976 ne sont pas des services destinés au public.

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6. Brossard c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279.

Les faits de cette affaire ressemblent à ceux de la présente espèce. La fille d'une employée du service de police de la ville de Brossard avait présenté sa candidature au poste de sauveteur à l'une des piscines de la municipalité. Cette dernière a refusé d'examiner la candidature, se réclamant d'une politique d'embauchage antinépotisme qui interdisait aux personnes comptant un membres de leur famille immédiate (père, mère, conjoint, enfant, frère, soeur) parmi les employés à plein temps de la municipalité et les conseillers municipaux de se porter candidat à un emploi de la ville. La fille a déposé une plainte devant la Commission des droits de la personne, se disant victime de discrimination en raison de sa relation avec sa mère, qui était employée municipale. En réponse, la ville a demandé le prononcé d'un jugement déclaratoire portant que sa politique d'embauchage n'était pas discriminatoire.

La Cour suprême du Canada a jugé qu'effectivement, la politique d'embauchage constituait de la discrimination et que celle-ci ne pouvait se justifier.

7. Foster Wheeler Ltd. v. Ontario Human Rights Commission, (1987) 8 C.H.R.R. D/4179.

L'avocat de la Commission a cité cette décision pour établir que lorsque l'un des motifs du refus d'embaucher quelqu'un est un facteur discriminatoire, cela constitue une violation du Code des droits de la personne, même si d'autres considérations légitimes fondent le refus.

8. Butterill c. Via Rail Canada Inc., (1980) 1 C.H.R.R. D/233.

L'avocat de la Commission a cité cette décision du Tribunal d'appel au soutien de son affirmation voulant qu'il faille remettre les parties lésées dans la situation où elles se seraient trouvées si elles n'avaient pas été victimes de discrimination.

Voir la décision du Tribunal, au paragraphe 2059 :

A notre avis, le mot indemnité (à titre de compensation) utilisé dans la loi canadienne implique que les tribunaux doivent appliquer les principes employés par les cours de justice qui accordent des compensations en droit civil, dont le principe essentiel repose, dans l'octroi de dommages-intérêts, sur celui de la restitutio in integrum : la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort qui lui a été causé ne s'était pas produit, dans la mesure où l'argent peut dédommager la partie lésée et dans la mesure où celle-ci reconnaît son obligation de prendre des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes.

9. Via Rail Canada Inc. c. Butterill, [1982] 2 C.F. 830 (C.A.)

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Il s'agissait d'une demande d'examen et d'annulation fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, visant la décision du Tribunal d'appel. La Cour a partiellement accueilli la demande. L'affaire portait sur le refus de Via Rail d'embaucher les intimés en raison de leur handicap visuel. Le juge en chef Thurlow affirme, à la page 844 :

A mon avis, ils ont établi le bien-fondé de leur plainte lorsqu'ils ont prouvé qu'on avait refusé de les engager par suite d'un acte discriminatoire illégal. De cette preuve et des autres faits en preuve concernant chacun des plaignants, le tribunal pouvait déduire que ceux-ci avaient perdu les salaires qu'ils auraient autrement gagnés. Cela étant, si la requérante VIA pouvait repousser cette conclusion en établissant des faits indiquant que les plaignants, ou l'un d'entre eux, ne pouvaient satisfaire aux exigences professionnelles normales quant à leur vue (voir l'alinéa 14a) de la Loi), c'était à elle qu'il appartenait de rapporter la preuve de tels faits devant le tribunal. Une telle preuve n'ayant pas été faite, son objection ne saurait être accueillie.

10. Morgan c. Forces armées canadiennes, T.D. 5/89. Décision rendue le 17 mars 1989.

L'avocat de la Commission a invoqué cette décision à l'appui de sa réclamation relative aux intérêts.

DÉCISION

Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal conclut que l'acte reproché en l'instance constitue, aux termes de l'alinéa 5a) de la Loi, un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille, commis par un fournisseur de services, et que le refus d'accorder la subvention à Mme Lang ne repose sur aucun motif justifiable.

En conséquence, le Tribunal accueille la plainte.

ORDONNANCE

  1. L'intimée doit verser une indemnité de 1 566,24 $ à la plaignante, en compensation des pertes que celle-ci a subies du fait de la discrimination.
  2. L'intimée doit verser à la plaignante une indemnité supplémentaire de 1 000 $ pour préjudice moral.
  3. Les indemnités sus-mentionnées de 1 566,24 $ et de 1 000 $ portent intérêt au taux de 11 %, pour la période allant du 27 juin 1986 à la date du paiement.

Afin que cet acte discriminatoire ou des actes similaires ne se reproduisent plus à l'avenir, le tribunal recommande que soit examinée la possibilité d'établir des critères et des principes directeurs régissant le traitement des demandes d'exemption relatives aux dispositions

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antinépotisme énoncées dans les directives générales de la Commission de l'emploi et de l'immigration et que cet examen tienne compte des motifs de discrimination interdits par la Loi, de façon à assurer l'examen adéquat des demandes d'exemption.

Ces critères et principes directeurs peuvent comprendre :

  1. La détermination de la question de savoir si la demande de subvention satisfait aux exigences du programme et est admissible à la subvention à tous les autres égards.
  2. Les compétences de la personne qui doit bénéficier de l'exemption, c'est-à-dire cette personne est-elle qualifiée?
  3. L'examen diligent du bien-fondé de chaque demande d'exemption individuelle.
  4. L'établissement d'une procédure de surveillance et d'inspection pour assurer le respect de ces critères et principes directeurs une fois qu'ils auront été édictés.

FAIT le 23 mai 1990.

William Kushneryk, c.r.

Kristian Eggum, c.r.

Norma McLeod

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