Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 1/90 Décision rendue le 22 janvier 1990 LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE (S.C. 1976-77, ch. 33 et ses modifications)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

JOHN BELYEA

Plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Commission

- et -

STATISTIQUE CANADA

Intimé

TRIBUNAL:

JOHN McLAREN AMIN GHALI MURRAY KULAK

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU

JAMES HENDRY Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

ROBERT WATT Avocat de J. Belyea

BARBARA RITZEN Avocate de Statistique Canada

DATES DE L'AUDIENCE: Les 15, 16 et 17 mai 1989

LIEU DE L'AUDIENCE: Calgary (Alberta)

TRADUCTION

A. LA PLAINTE

La plainte dont il est question en l'espèce a été portée contre Statistique Canada par M. John Belyea de Calgary qui allègue avoir fait l'objet de discrimination en matière d'emploi fondée sur une déficience. La formule de plainte était datée du 14 août 1986 et elle a été modifiée le 4 septembre 1986. L'épilepsie est le seul motif de discrimination invoqué dans les deux formules de plainte. Ayant obtenu le consentement de Statistique Canada, M. Hendry qui représentait la Commission des droits de la personne a demandé l'autorisation de modifier encore une fois la plainte en ajoutant que les allergies et l'hernie dont souffrait M. Belyea était également à l'origine de la discrimination dont il avait été victime. Le tribunal a autorisé cette modification.

La plainte de M. Belyea repose sur une violation alléguée de l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33 (et ses modifications):

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu; [...]

Parmi les "motifs de distinction illicite" dont il est question à l'article 3 de la Loi, on retrouve la "déficience". M. Belyea soutient que Statistique Canada a commis un acte discriminatoire à son égard en refusant de l'embaucher comme recenseur en mai et juin 1986, lors du recensement fédéral tenu cette année-là, parce qu'il était épileptique et souffrait d'une allergie et d'une hernie. Statistique Canada affirme pour sa part que ce n'est pas en raison de sa déficience que M. Belyea n'a pas obtenu l'emploi, mais plutôt parce qu'il ne possédait pas de voiture. Même si on pourrait considérer qu'il s'agit de discrimination, ce qui n'est toutefois pas admis, l'exigence d'une voiture pour le poste de recenseur constituait une exigence professionnelle justifiée suivant l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

B. LES FAITS

En février 1986, John Belyea était inscrit à l'Université de Calgary comme étudiant adulte à temps partiel. Un agent du Centre 70 (administré par Emploi et Immigration Canada) l'a informé que Statistique Canada était à la recherche de recenseurs pour participer au recensement fédéral qui devait être tenu au printemps.

M. Belyea a rempli une formule de demande d'emploi qu'il a envoyée au Centre 70. Ä la question 7 qui concernait les déficiences, il a répondu qu'il ne pouvait pas lever des poids lourds et qu'il souffrait d'allergie et d'épilepsie (sous contrôle toutefois grâce à des médicaments).

Dans son témoignage, M. Belyea a expliqué que son médecin lui avait déconseillé de lever des poids lourds en raison de son hernie, ce qui signifiait d'après lui des poids de 50 à 100 livres.

Il a ajouté que l'allergie dont il souffrait concernait ses sinus et se contrôlait grâce à des médicaments. Elle ne constituait un véritable problème que lorsque le taux d'humidité était élevé.

En ce qui concerne son épilepsie, M. Belyea a déclaré dans son témoignage qu'après une période de détérioration de son état au début des années 1980 ses crises étant plus fréquentes, son état était de plus en plus stable grâce aux médicaments qu'il prenait. Le genre d'épilepsie dont il souffre étant précédé d'une "aura", il sait d'avance qu'une crise se prépare et il peut prendre ses médicaments à temps. Il n'avait pas eu de crise depuis plus d'un an lorsqu'il a postulé l'emploi. Son médecin lui avait cependant

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déconseillé de conduire tant que l'intervalle entre ses crises ne serait pas plus long. En fait, il était titulaire à l'époque d'un permis de conduire valide.

John Belyea jugeait intéressante la perspective de travailler au recensement fédéral. En autant qu'il pouvait en juger, cet emploi n'avait pas d'heures fixes ce qui lui assurerait une certaine souplesse s'il ne se sentait pas bien temporairement. En outre, il s'agissait d'un emploi en plein air et il avait déjà participé à un recensement auparavant. Il a déclaré dans son témoignage qu'il avait travaillé au recensement municipal au cours des deux années précédentes et même depuis, et qu'il n'avait eu aucune difficulté à effectuer dans les deux semaines prescrites la tournée des 330 maisons du secteur de prospection qui lui avait été assigné, y compris les visites de rappel. Selon Belyea, il lui avait fallu entre 24 et 36 heures pour s'acquitter de son travail. Il avait également fait du travail de prospection pour une société de commercialisation. Enfin, son médecin était d'accord pour qu'il occupe un tel emploi parce qu'il lui assurerait des heures raisonnables de travail et de l'exercice. Lors du contre-interrogatoire, M. Belyea a indiqué que son médecin lui avait recommandé de ne travailler qu'à temps partiel pendant environ 16 à 24 heures par semaine. Il a également déclaré qu'il avait déjà travaillé de manière concentrée et, à titre d'exemple, il a indiqué qu'il avait occupé le poste de directeur-adjoint du scrutin lors du vote par anticipation au cours d'une élection provinciale et qu'il avait alors travaillé onze heures quotidiennement pendant trois jours consécutifs.

La nature du travail effectué pendant le recensement fédéral et les exigences imposées aux recenseurs ont été décrites au tribunal par M. Gerry Demers qui est directeur-adjoint de Statistique Canada pour la région des Prairies. Celui-ci occupe ce poste depuis 1976. Mme Beth Yetman qui était chef de zone de recensement pour une partie de la ville de Calgary lors du recensement de 1986 a précisé certains des points qu'il a soulevés. Mme Yetman avait déjà travaillé comme recenseur à Vancouver-Ouest en 1971 et comme chef de zone de recensement à Calgary, en 1981.

M. Demers a défini le recensement comme (Traduction) "un dénombrement de tous les habitants d'un pays". Selon lui, le Canada est un chef de file dans ce domaine, un recensement y ayant lieu tous les cinq ans. Pour M. Demers, le recensement fédéral constitue une opération exigeante en raison du court laps de temps pendant lequel il doit être effectué. Même si le nombre d'employés permanents s'occupant du recensement est plutôt limité, les recensements quinquennaux exigent l'embauche de milliers d'employés temporaires dont il faut assurer la formation, l'organisation et la supervision. Les employés temporaires sont engagés selon une suite logique, en commençant par les chefs de district et les chefs de zone de recensement qui sont respectivement responsables d'une région dans une province (par exemple, le sud de l'Alberta et Calgary) et des secteurs de cette région. Chaque chef de zone doit s'occuper de la nomination de ses commissaires au recensement qui supervisent le recensement au niveau local. Ce sont les commissaires qui engagent, forment et supervisent les recenseurs qui constituent les "fantassins" de l'entreprise. Les recenseurs s'occupent pour leur part de livrer les questionnaires à chaque maison située dans les localités dont ils sont responsables, de répondre aux questions des membres responsables du ménage ou des résidents, de vérifier les questionnaires remplis qui sont retournés par la poste et d'assurer le suivi des personnes qui n'ont pas répondu correctement aux questionnaires ou qui ont tout simplement omis de le faire.

En 1986, les commissaires au recensement ont été engagés à la mi-mars et ont alors reçu la formation nécessaire pour leurs fonctions. Ils ont été informés qu'ils étaient chargés d'interroger les candidats et d'engager les recenseurs dont ils auraient besoin dans leurs localités. Cette année-là, le gouvernement fédéral avait donné comme directive à Statistique Canada

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d'engager de préférence des étudiants à temps plein dans le cadre de son programme de stimulation des emplois d'été (l'impression donnée était qu'il fallait en réalité embaucher des jeunes plutôt que des étudiants à temps plein). Cette exigence a été transmise aux commissaires. Il était prévu que les commissaires feraient passer des entrevues et un examen aux candidats en avril.

Les recenseurs ont été engagés à la mi-mai. Selon M. Demers, les événements se sont ensuite précipités. Les recenseurs devaient avoir terminé pour le 16 mai un exercice à domicile qui devait être renvoyé au commissaire. Le 22 mai, ils ont assisté à une séance d'information d'une demi-journée relativement à leurs responsabilités. Ils devaient effectuer la "livraison" des questionnaires à tous les ménages de leurs localités entre le 26 et le 31 mai. M. Demers a déclaré dans son témoignage que le nombre de domiciles à visiter allait de 400 à 450 dans une (Traduction) "zone résidentielle facile" à environ cent dans une zone plus difficile du centre-ville. Il a expliqué que deux sortes de questionnaires sont utilisés, le questionnaire abrégé étant remis à la majorité des gens et le questionnaire complet étant livré à un ménage sur cinq. Un questionnaire spécial est également remis aux résidents qui possèdent une propriété agricole (parfois, le domicile principal de ces personnes se trouve en ville). Les recenseurs sont supposés inscrire les détails de chaque livraison dans un journal de bord, essayer d'entrer en communication avec les occupants, leur expliquer le but du questionnaire et répondre à toutes leurs questions. Pendant la période de la livraison, chaque recenseur doit réserver deux demi-journées à des séances de formation concernant les logements collectifs (c'est-à-dire les immeubles à logements multiples comme les hôtels, les motels ou les hôpitaux) et la vérification des questionnaires. M. Demers a également signalé que, bien que six journées soient réservées à la livraison, il est jugé souhaitable que les recenseurs essaient de s'acquitter de cette tâche dans un délai plus court afin de compenser le temps perdu à la suite d'événements imprévus qui, selon lui, semblent vouloir empêcher l'exécution dans le délai prévu (par exemple une maladie, d'autres obligations, etc.). Selon lui, un recenseur travaillant assidûment devrait pouvoir effectuer douze ou quinze livraisons à l'heure. Idéalement, cette tâche devrait prendre trois ou quatre jours, ce qui signifie que la livraison devrait être effectuée à au moins une centaine de maisons quotidiennement, soit neuf heures de travail soutenu.

En 1986, le jour du recensement était fixé le 3 juin. C'était le jour durant lequel les personnes qui avaient reçu les questionnaires devaient s'autodénombrer et envoyer par la poste les questionnaires remplis à Statistique Canada. M. Demers a indiqué que le taux de réponse est habituellement de 75 %. Chaque recenseur est tenu d'inscrire les réponses reçues dans son journal de bord. Ä partir du 9 juin environ, les recenseurs devaient effectuer les visites de rappel afin de faire remplir les questionnaires par les occupants qui avaient omis de le faire et, lorsque nécessaire, afin de modifier les questionnaires qui avaient été incorrectement remplis. Il était jugé souhaitable que cette tâche soit terminée dans un délai de deux semaines. M. Demers a indiqué qu'il était difficile de préciser la durée moyenne d'une telle tâche, car il s'agit d'un processus long et frustrant, de multiples visites de rappel étant souvent nécessaires avant qu'il soit possible d'entrer en contact personnel avec les retardataires. M. Demers a été incapable d'indiquer le temps qui devait être consacré en moyenne aux visites de rappel. Mme Yetman a déclaré dans son témoignage qu'elle avait demandé à un des recenseurs, une personne extrêmement efficace qu'elle connaissait, de noter ses heures de travail pendant le recensement de 1986. Il a fallu 37 heures à cette personne pour terminer son travail, ce qui, selon elle, était exceptionnel étant donné qu'elle se rappelait que d'autres recenseurs avaient indiqué qu'ils leur avaient fallu 52 heures pour effectuer la même tâche.

Expliquant les qualités requises d'un recenseur, M. Demers a souligné que

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celui-ci doit avoir une grande facilité de communication, posséder un jugement sûr, être consciencieux et être énergique. Il n'a pas accordé une importance particulière à l'expérience dans des emplois similaires. Il est de règle, pour des motifs de confidentialité, qu'un recenseur ne travaille pas dans sa propre localité. A la page 2 de la brochure soumise en preuve par M. Hendry pour la Commission (Pièce HR-3) et intitulée "Le poste de recenseur - Ça vous intéresse?", il était question des "qualités" que doivent posséder les candidats à cet emploi, notamment:

Etre titulaire d'un permis de conduire valide et avoir en permanence une voiture à sa disposition, dans les régions rurales et dans certaines régions urbaines.

M. Demers était d'avis qu'une voiture est essentielle pour l'emploi de recenseur si celui-ci veut terminer sa tâche d'une manière satisfaisante dans le délai serré qui lui est alloué. Selon lui, la mention de la nécessité d'une voiture "dans certaines régions urbaines" signifie la banlieue, car il admet qu'une automobile pourrait constituer un handicap dans une zone du centre-ville où sont concentrés des immeubles à appartements. L'utilité d'une voiture était selon lui de permettre au recenseur de faire rapidement l'aller et retour jusqu'à son parcours afin d'utiliser d'une manière efficace les heures dont il disposait pour effectuer la livraison et les visites de rappel. Il a indiqué que la voiture était très utile pendant la période des visites de rappel lorsqu'il est nécessaire de retourner fréquemment au secteur de recensement à des moments irréguliers. Mme Yetman a souligné lors de son témoignage qu'une voiture était essentielle pour exécuter les fonctions de recenseur si on tient compte du fait que celui-ci en a besoin pour transporter ses fournitures, effectuer la livraison, se rendre aux séances de formation et, parfois, effectuer de multiples visites de rappel.

M. Demers a soutenu que Statistique Canada n'avait pas pour politique de s'opposer à l'embauche d'épileptiques. Il a cependant admis qu'il n'avait pas été précisément question lors de la formation des responsables du recensement des exigences de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En outre, il ignorait s'il avait été déconseillé à ces derniers d'établir une distinction pour des "motifs illicites".

Le 14 avril 1986, M. Belyea a reçu un appel de Mme Margaret Barclay, qui était le commissaire au recensement responsable du secteur de Calgary où M. Belyea habitait. Mme Barclay était chargée de s'occuper du recensement dans cette région sud-ouest de Calgary, d'engager et de former les recenseurs, de leur procurer les fournitures nécessaires et de faire en sorte qu'ils effectuent leurs tâches rapidement et correctement, suivant l'échéancier établi par Statistique Canada.

Nous croyons qu'il est important de porter attention au contexte de ce premier échange ainsi qu'à la personnalité des deux individus en cause.

Mme Barclay téléphonait à M. John Belyea parce qu'elle avait reçu sa demande d'emploi et qu'elle était impatiente de déterminer s'il pourrait mener à bien les tâches de l'emploi. Margaret Barclay est une personne qui frappe par son enthousiasme, son énergie, sa chaleur et son exubérance. Elle parle rapidement, nerveusement même. Elle savait pertinemment qu'il était important de mener à bien le processus d'embauche afin d'assurer le succès du recensement dans son secteur. Par conséquent, elle devait être sûre que les personnes engagées étaient capables de s'acquitter du travail qui leur était confié, dans les délais serrés fixés par Statistique Canada. John Belyea est au contraire une personne circonspecte et posée qui examine les situations prudemment, en particulier lorsqu'il s'agit de sa propre capacité

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d'exécuter des tâches. Il a tendance à poser des questions dont les réponses lui permettront de prendre une décision. Il répond d'une manière réfléchie aux questions qui lui sont posées et il ne s'engage pas dans une tâche à moins d'être convaincu de pouvoir l'exécuter avec confiance, après avoir pesé le pour et le contre. Lors de la première conversation téléphonique, John Belyea voulait savoir s'il aurait des difficultés à effectuer le travail en raison de ses déficiences, afin de lui permettre de décider s'il était capable de s'acquitter de ces fonctions. Il semble que certains des différents points discutés au cours de cette conversation aient empêché chacune des parties de bien comprendre la position de l'autre. Il est indubitable que ces problèmes ont été accentués par le fait que Mme Barclay, qui était novice en ce qui concerne le travail de recensement, ne connaissait pas sur le bout des doigts toutes les réponses aux questions de John Belyea.

John Belyea était désireux d'examiner à fond s'il serait capable d'effectuer le travail compte tenu de ses problèmes de santé. La preuve est contradictoire en ce qui concerne les propos échangés au sujet de son épilepsie. Il se rappelle que, lorsqu'il a soulevé cette question, Mme Barclay lui a répondu d'une manière qu'il a jugé blessante. Elle lui aurait tout d'abord demandé (Traduction) "quand a eu lieu ma dernière crise" et ensuite, (Traduction) "combien de fois"? Elle aurait fait remarquer après avoir posé ces questions qu'il [Statistique Canada] (Traduction) "ne veut pas qu'une personne "frappe à la porte et s'évanouisse sur le seuil de celle-ci"" (Transcription à la page 74). Il était si froissé par ce qu'il considérait être un cliché trahissant l'ignorance, qu'il a interrompu l'appel qu'il avait pris avec l'appareil téléphonique de sa propriétaire et a poursuivi la conversation avec son propre appareil. Dans l'intervalle, il s'est procuré un bloc-notes et un crayon afin de prendre des notes. Les souvenirs de Margaret Barclay sont différents. Elle voulait bien admettre, en se fondant sur les notes qu'elle avait prises une fois la conversation terminée, qu'elle avait fait remarquer au cours de la discussion sur l'épilepsie que (Traduction) "l'image publique" était importante pour Statistique Canada. Elle a cependant ajouté que cela n'avait aucune importance pour elle que M. Belyea soit épileptique.

Le tribunal est convaincu que Mme Barclay a bel et bien fait une remarque désagréable en ce qui concerne la possibilité que l'épilepsie constitue une cause d'embarras pour Statistique Canada. En outre, nous croyons que M. Belyea a eu raison d'en être mécontent. Nous examinerons plus loin si ce commentaire est pertinent pour la prétention voulant que Statistique Canada ait agi, par l'intermédiaire de Mme Barclay, de façon discriminatoire à son égard en raison de sa déficience.

John Belyea et Margaret Barclay se rappellent tous les deux qu'il avait déclaré à celle-ci qu'il ne pouvait pas conduire en raison de l'état actuel de son épilepsie. Il se souvient qu'elle lui aurait dit que sans une voiture, il ne ferait pas le poids avec les candidats en possédant une et que, même s'il n'y avait pas suffisamment de personnes en possédant une, les déficiences dont il souffrait l'empêcheraient d'être choisi. Le tribunal ne tient pas compte de cette déclaration. Elle ne colle pas avec ses autres déclarations qui indiquent que Mme Barclay était prête à examiner les autres secteurs où Belyea pourrait se rendre en autobus et à pied. Mme Barclay lui a clairement indiqué qu'il ne pouvait pas travailler dans le secteur où il demeurait parce que cela était contraire à la politique établie par Statistique Canada. Parmi les diverses possibilités examinées en détail, il y avait le recensement du secteur comprenant la base des Forces canadiennes à Calgary (casernes Curries) situé au nord de son domicile et d'un secteur situé un peu plus loin qui était desservi par

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l'autobus numéro 7 qui passait près de sa résidence, quoiqu'il ait regimbé à l'idée de recenser une partie de ce secteur qui était séparé du secteur principal et n'était pas facilement accessible par autobus. Présumant qu'il serait probablement incapable de transporter une lourde charge de documents en une seule fois, il a soulevé la possibilité de trouver un endroit où il pourrait déposer les questionnaires à livrer et s'y réapprovisionner. Une pharmacie se trouvant dans le dernier secteur a été proposée comme base. Mme Barclay a accepté d'examiner cette question. Si Mme Barclay a exprimé certains doutes quant à la capacité de John Belyea d'effectuer le travail, nous croyons qu'ils étaient le résultat de ses propres inquiétudes tout autant que de celles exprimées par Belyea.

La question de l'allergie a également fait l'objet de la discussion. John Belyea a déclaré à Margaret Barclay que celle-ci était sous contrôle et qu'aucun problème particulier ne se poserait pendant la période où le recensement devait être effectué. Mme Barclay a eu l'impression qu'il pourrait y avoir un retard si les conditions atmosphériques étaient mauvaises.

Il a été question de l'hernie dont souffrait John Belyea lorsque celui-ci a voulu savoir quel était le poids des documents qu'il devrait transporter. Mme Barclay a indiqué que chaque recenseur aurait besoin des fournitures déposées dans deux boîtes ayant les dimensions d'une "boîte de pommes" et qu'il devrait aller chercher celles-ci à son domicile. Belyea prétend qu'il lui aurait dit que cela ne poserait pas de problèmes car il pourrait s'assurer les services d'un ami pour aller les chercher. Il subsistait une incertitude quant au poids des documents qu'il devrait livrer aux résidences. Mme Barclay n'avait aucune idée du poids exact d'un sac plein (il est maintenant clair que celui-ci était de 11,5 livres). Elle pouvait seulement dire que le sac avait la dimension d'un sac de voyage. John Belyea a déclaré que cela ne lui poserait pas de problèmes. Mme Barclay se souvient pour sa part que la question de la capacité de M. Belyea de transporter les boîtes de fournitures n'a pas été examinée en détail au cours de cette conversation et qu'elle a eu la nette impression que celui-ci doutait qu'il serait capable de transporter les documents.

Les témoignages de John Belyea et de Margaret Barclay ne concordent pas en ce qui concerne le nombre d'heures pendant lesquelles celui-ci a déclaré pouvoir travailler quotidiennement. Il se souvient avoir indiqué à Mme Barclay qu'il pourrait travailler pendant trois heures d'affilée et avoir besoin de repos, mais qu'il pourrait ensuite reprendre le travail après une pause d'une heure à son domicile. Mme Barclay n'a pas voulu démordre de son avis qu'il lui avait indiqué qu'il ne pouvait travailler que pendant trois heures quotidiennement et ce, sur ordre de son médecin. Il était entendu pour elle (si on présume que chaque secteur comportait en moyenne 350 maisons et que six jours étaient alloués à la livraison) que les recenseurs devaient travailler pendant un minimum de six heures par jour et effectuer la livraison à 60 maisons pour réussir à s'acquitter de cette partie de leurs tâches. Par conséquent, elle avait conclu que M. Belyea serait probablement incapable d'effectuer le travail. C'est d'ailleurs ce qui l'a amenée à dire, ce dont se souvient John Belyea, qu'il existait peut-être un travail statistique relatif au recensement qu'il pourrait effectuer. Elle a promis de s'en informer auprès de son superviseur, Mme Yetman. Le témoignage de Mme Barclay sur ce point n'était pas très cohérent. Même si elle se rappelle nettement que M. Belyea a déclaré qu'il ne pouvait pas travailler pendant plus de trois heures quotidiennement, elle lui a également indiqué deux jours plus tard que s'il prenait le temps de se reposer, un travail qui pourrait nécessiter environ huit heures par jour pourrait facilement prendre seize heures. Cela nous permet de croire que John Belyea a réellement indiqué qu'il

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pourrait travailler pendant des périodes de trois heures suivies d'une pause d'une heure, même si cette remarque pourrait bien n'avoir constitué qu'une simple suggestion (une simple possibilité), comme cela semble avoir été le cas de certains de ses commentaires. Mme Barclay et Yetman se rappellent toutes les deux que celui-ci a parlé de cette possibilité lors de l'entrevue qu'elles ont eue avec lui le 5 mai 1986.

Lorsque la conversation téléphonique du 14 avril a pris fin, John Belyea avait l'impression qu'on essayait de le décourager de solliciter l'emploi de recenseur en raison de son épilepsie et probablement aussi de ses autres déficiences. Pour sa part, Margaret Barclay était plutôt portée à croire qu'il devait obtenir un emploi quelconque au recensement, elle était préoccupée par le fait qu'il ne possédait pas de voiture et par l'évaluation restreinte qu'il faisait de ses capacités et les conséquences de ces deux éléments pour son embauche comme recenseur. Tous les autres doutes qu'elle entretenait se rapportaient à la lenteur des réponses qu'il donnait aux questions, ce qui l'a amenée à s'interroger sur ses capacités de communication comme recenseur. Même si, pour les motifs indiqués ci-dessus, ces personnes n'étaient pas tout à fait sur la même longueur d'ondes et ne se comprenaient pas vraiment, ce qui devrait expliquer les contradictions apparentes dans leurs témoignages, la preuve indique à notre avis qu'à ce stade, Mme Barclay n'avait pas encore écarté la possibilité d'engager M. Belyea pour le recensement, même à titre de recenseur. Vu qu'elle n'était pas familière avec les fonctions de son emploi, qu'elle a une tendance naturelle à essayer d'aider les gens et qu'elle ne veut pas porter un jugement définitif sur une situation avant d'y avoir réfléchi longuement, nous croyons qu'il est difficile de conclure qu'elle avait rayé, même mentalement, le nom de John Belyea de la liste des candidats avec lesquels elle avait communiqué.

Mme Barclay a indiqué dans son témoignage qu'après cette première conversation avec M. Belyea, elle a communiqué avec son superviseur, Mme Beth Yetman qui était chef de zone de recensement pour un tiers de la ville de Calgary lors du recensement de 1986. Elle a déclaré qu'elle avait informé Mme Yetman des points discutés avec John Belyea et des inquiétudes exprimées par celui-ci relativement à sa capacité d'effectuer le travail en raison de sa déficience, en particulier en ce qui concerne le transport des documents. Elle a également indiqué à son superviseur que Belyea ne pourrait travailler que pendant trois heures quotidiennement. Lorsqu'elle a mentionné l'absence d'une voiture, Beth Yetman l'a interrompue et lui a indiqué qu'à son avis, cela réglait la question. Il était impossible d'après le superviseur d'effectuer le travail de recenseur sans utiliser une voiture. Et même advenant le contraire, il n'était nullement question, en raison des règles de sécurité, que Belyea puisse utiliser une halte pour déposer son matériel. Elle a également informé Mme Barclay que des parents du personnel militaire s'occupaient du secteur de la base des Forces canadiennes et que l'emploi au service statistique n'était pas disponible.

Mme Barclay a téléphoné une deuxième fois à M. Belyea le 16 avril et elle lui a alors dit qu'elle ne pouvait pas l'engager. Selon le témoignage de Belyea, elle lui aurait indiqué que le travail au service statistique était impossible à effectuer sans voiture car il fallait se rendre à divers endroits dans la ville. En ce qui concerne le poste de recenseur, elle était d'avis, selon le témoignage de Belyea, qu'elle ne pouvait pas prendre le risque de l'engager en raison du temps et de l'énergie nécessaires pour s'acquitter de ces fonctions dans le délai fixé par Statistique Canada pour le recensement. Le témoignage de Mme Barclay n'était pas vraiment différent. Elle a indiqué qu'elle avait dit à Belyea que son incapacité apparente de transporter des poids et le fait qu'il ne pouvait travailler que pendant trois heures

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quotidiennement avaient joué contre lui. Elle aurait ajouté, selon elle, qu'il aurait besoin d'un délai supplémentaire ou de son aide pour terminer son travail. Mme Barclay a déclaré que c'est à cette occasion que M. Belyea lui aurait fait savoir qu'il pourrait s'assurer les services d'un ami pour aller chercher les deux boîtes de fournitures. Ces deux personnes se rappellent que Margaret Barclay aurait laissé entendre qu'étant donné que M. Belyea n'avait pas de voiture, il pourrait travailler pendant seize heures au lieu de huit heures comme c'était la norme selon elle. Belyea se souvient également qu'elle lui aurait indiqué qu'il devrait effectuer la livraison à environ cent maisons quotidiennement pour terminer cette phase de son travail à temps. Il a raconté qu'on lui aurait dit que le gouvernement fédéral préférait que des jeunes soient engagés plutôt que des étudiants. M. Belyea et Mme Barclay s'accordent à reconnaître qu'elle lui aurait dit que, même si elle ne s'attendait pas à l'engager, il pouvait néanmoins se présenter à l'examen des recenseurs qui devait avoir lieu le 18 avril.

Les témoignages de ces deux personnes contiennent quelques contradictions relativement à la manière dont l'épilepsie de John Belyea a été traitée. Belyea déclare qu'il a demandé de but en blanc à Margaret Barclay s'il faisait l'objet de discrimination en raison de son épilepsie et celle-ci a alors mis fin à la conversation en lui indiquant qu'il pouvait se présenter à l'examen. Belyea était d'avis qu'elle essayait activement de le décourager à aller plus loin. Mme Barclay a affirmé pour sa part que lorsqu'il a appris qu'il ne serait pas engagé, Belyea a indiqué qu'il avait l'impression de faire l'objet de discrimination et qu'il avait l'intention de soumettre l'affaire à la Commission canadienne des droits de la personne. Cela lui aurait causé une grande inquiétude parce qu'elle ne pouvait pas voir ce qu'elle avait fait d'incorrect. Il était clair pour elle que M. Belyea n'était pas engagé parce qu'il n'avait pas de voiture et parce qu'il entretenait des doutes au sujet de sa capacité d'effectuer le travail.

M. Belyea s'est présenté à l'examen le 18 avril. Il a déclaré dans son témoignage, qui a été étayé par la preuve soumise par Statistique Canada, que 38 personnes s'étaient présentées à l'examen. Les résultats des personnes qui ont obtenu une note supérieure à la note de passage de 60 % allaient de 63 % à 100 %. John Belyea a obtenu 90 %. Belyea et Margaret Barclay se rappellent tous les deux d'une conversation qu'ils ont eue après l'examen. Selon Belyea, elle aurait essayé de le décourager, mais il ne peut pas se rappeler pour quels motifs. M. Belyea a téléphoné à Mme Barclay le 21 ou le 22 avril et celle-ci lui a appris qu'il avait réussi l'examen. Tous les deux se rappellent qu'il lui aurait laissé entendre qu'il pourrait peut-être se procurer une voiture, mais qu'il devrait en parler à son médecin.

Une entrevue entre M. Belyea et Mme Barclay et M e Yetman, le chef de zone de recensement, a été fixée au 5 mai. Mme Yetman a déclaré dans son témoignage qu'une fois que John Belyea eût indiqué à Mme Barclay lors du deuxième appel téléphonique du 16 avril qu'il avait l'intention de soumettre l'affaire à la Commission canadienne des droits de la personne, son supérieur immédiat, M. Terry Hunt qui est chef de district de recensement, lui a conseillé ainsi qu'à Mme Barclay de permettre au candidat de se présenter à l'examen et de lui faire passer une entrevue. Il a été convenu que Mme Yetman et M e Barclay le recevraient en entrevue, Margaret Barclay ayant exprimé le malaise qu'elle ressentait à l'idée de le faire toute seule. John Belyea se rappelle que Mme Yetman qui a dirigé l'entrevue a insisté sur la nécessité de posséder une voiture pour effectuer le travail d'une manière rapide et efficace. Elle a en outre clairement indiqué qu'il n'était pas possible de prévoir une boîte de dépôt. Belyea a ajouté

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que lorsqu'il a cherché à obtenir plus de détails sur le poids des documents qu'il devrait transporter, le chiffre mentionné était trente livres.

Les témoignages de Mme Yetman et Barclay relativement à ce qui s'était passé lors de l'entrevue concordaient pour l'essentiel. Mme Yetman se rappelle avoir essayé de faire passer le questionnaire de recensement à M. Belyea afin de voir comment il répondrait aux questions qui pourraient lui être posées. Elle a constaté qu'il semblait incapable de donner une réponse directe, étant plutôt enclin à répondre à une question par une autre question. Ses déficiences ont fait l'objet d'une discussion. John Belyea a indiqué qu'il ne pouvait pas conduire sur ordre de son médecin. Il a ajouté que la mention d'une voiture avait été rayée sur une affiche de Statistique Canada concernant le poste de recenseur qu'il avait vue à l'Université de Calgary. Son allergie ne lui causait des problèmes que lorsque l'humidité était élevée. Mme Yetman a déclaré que tel était le cas le jour de l'entrevue et qu'elle croyait qu'il était souffrant. En fait, il aurait indiqué selon elle qu'il aurait eu de la difficulté à travailler ce jour-là. En ce qui concerne les heures de travail, elle se rappelle qu'il aurait souligné au départ qu'il ne pourrait travailler que pendant trois heures quotidiennement. Interrogé sur la possibilité de reprendre le travail après une pause, il a répondu qu'il pourrait peut-être le faire, mais qu'il ne pouvait pas le garantir.

Au cours de son témoignage, Mme Yetman a déclaré qu'elle avait expliqué que le nombre quotidien minimal de maisons auxquelles la livraison devrait être effectuée était de soixante, ce qui laisse supposer que les six jours alloués seraient nécessaires pour effectuer la livraison aux 350 résidences du secteur. Elle se rappelait que M. Belyea n'était pas certain de pouvoir le faire. M. Watt, qui représentait M. Belyea, a demandé à Mme Yetman d'expliquer la contradiction manifeste existant entre ce dont elle se souvenait relativement aux déclarations du plaignant au sujet des heures de travail et le texte de la lettre que Statistique Canada a fait parvenir à la Commission en réponse à la plainte (Pièce HR-8). Dans cette dernière lettre, M. Fellegi, qui est staticien en chef du Canada, a déclaré relativement à M. Belyea:

(Traduction)

Il nous a également indiqué qu'il ne pouvait travailler que pendant trois heures d'affilée, mais qu'après un repos d'une heure, il était prêt à reprendre le travail pour une autre période de trois heures.

Mme Yetman a déclaré que M. Fellegi s'était trompé. Selon elle, ses souvenirs étaient clairs. En ce qui concerne le poids du sac de recensement, elle doutait avoir indiqué à John Belyea que celui-ci était de trente livres. Elle a admis qu'elle avait signé après une entrevue avec l'enquêteur de la Commission une déclaration indiquant ce chiffre, mais elle a affirmé qu'elle s'était trompée ayant confondu les boîtes de fournitures et les sacs de recensement.

Mmes Yetman et Barclay ont toutes les deux déclaré que l'entrevue les avait convaincues qu'elles ne devaient pas engager M. Belyea comme recenseur. Il n'avait pas de voiture à sa disposition ce qu'elles considéraient, en particulier Mme Yetman, essentiel pour l'emploi. En outre, aucune des déclarations qu'il avait faites lors de l'entrevue ne leur permettait de croire qu'il serait capable de satisfaire aux exigences de l'emploi s'il essayait d'effectuer le travail sans avoir de voiture à sa disposition.

Par la suite, John Belyea a téléphoné à Mme Yetman et à Mme Barclay

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afin de savoir quelle était la situation et elles lui ont indiqué d'attendre une lettre. Le 21 mai, il a reçu une lettre type datée du 15 mai (Pièce HR-6) l'informant que (Traduction) "tous les postes de recenseurs [avaient] été comblés en tenant compte des résultats de l'examen et du domicile des candidats".

C. LE DROIT ET SON APPLICATION

L'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne indique que constitue un acte discriminatoire "s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects [...] de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu". Parmi les motifs de distinction illicite dont il est question au paragraphe 3(1) de la Loi, on retrouve la "déficience".

La Loi ne définit pas ce qu'est un "acte discriminatoire" ni la "discrimination". La jurisprudence canadienne en matière de droits de la personne a reconnu une distinction fondamentale entre la "discrimination directe" et la "discrimination indirecte". Dans l'arrêt O'Malley c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, le juge McIntyre a décrit la "discrimination directe" comme "une pratique ou une règle qui, à première vue, établit une distinction pour un motif prohibé" (à la page 551) et la "discrimination indirecte" comme "une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés" (à la page 551). L'élément commun est qu'en raison de la règle ou pratique en cause, une personne fait l'objet d'un traitement préjudiciable en raison de son appartenance à "un groupe, une classe ou catégorie" plutôt qu'en raison de son mérite personnel (voir l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia v. Heerspink, [1978] 6 W.W.R. 702 (C.A. C.-B.), à la page 708).

La Cour suprême du Canada a clairement indiqué que la législation sur les droits de la personne doit être interprétée d'une manière libérale et fonctionnelle. Dans l'arrêt unanime rendu par la Cour dans Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1987) 76 N.R. 161 (C.S.C.), le juge en chef Dickson a affirmé que la législation sur les droits de la personne vise "à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale". Bien qu'il ait reconnu que lorsqu'on interprète les dispositions d'une telle législation, les termes utilisés doivent recevoir leur sens ordinaire, le juge en chef a souligné qu'il est important de "reconnaître et de donner effet pleinement" aux droits en question. Il a déconseillé de chercher "par toutes sortes de façon à les minimiser ou à diminuer leur effet" (à la page 162).

En l'espèce, M. Hendry a soutenu pour la Commission que la plainte concernait une "discrimination indirecte". Il n'a pas essayé de faire croire que Statistique Canada avait consciemment exercé de la discrimination contre M. Belyea en raison de ses déficiences et, en particulier, de son épilepsie. Il a plutôt affirmé que la manière dont les employés de Statistique Canada ont traité la demande d'emploi présentée par M. Belyea a eu un effet préjudiciable sur ce dernier en raison de ses déficiences. Plus particulièrement, M. Hendry a allégué que la preuve montrait que ces employés avaient insisté sur la nécessité d'une voiture tout en sachant que Belyea était incapable de conduire parce qu'il était épileptique et qu'ils se sont opposés à ce qu'il effectue le travail en autobus et à pied parce qu'ils croyaient que l'allergie et l'hernie dont il souffrait l'empêcheraient d'effectuer les tâches exigées d'une manière satisfaisante. Il a en outre allégué, un cas prima facie de discrimination indirecte ayant été établi, que le mis en cause n'avait pas réussi à prouver que l'exigence d'une voiture pour occuper le poste de recenseur constituait une

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exigence professionnelle justifiée au sens de l'alinéa 14a). Mme Ritzen a allégué pour Statistique Canada que la Commission n'avait pas établi qu'il s'agissait d'un cas de discrimination. Le motif pour lequel M. Belyea n'avait pas réussi à obtenir l'emploi était qu'il ne possédait pas de voiture. Toutes les autres complications de l'affaire ont découlé de ce fait. Elle a ajouté qu'il était faux de prétendre qu'il ne possédait pas de voiture parce qu'il était épileptique vu qu'il aurait pu obtenir un permis du bureau des véhicules automobiles de l'Alberta s'il avait présenté une demande à cet effet à l'époque. En fait, il était titulaire d'un permis encore valide au moment où il a postulé l'emploi. Aucun élément de preuve n'a été fourni pour expliquer pourquoi le médecin de M. Belyea lui avait déconseillé de conduire. Présumant que le tribunal allait conclure que l'existence d'un cas prima facie de discrimination avait été prouvée, Mme Ritzen a soutenu que l'exigence d'une voiture pour un recenseur constituait une exigence professionnelle justifiée conformément à l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le fardeau de la preuve de l'existence d'un cas prima facie de discrimination indirecte incombe au plaignant. C'est ce qu'a clairement indiqué le juge McIntyre dans l'arrêt O'Malley c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536. Le juge McIntyre a défini la preuve d'un cas prima facie comme "celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé" (à la page 558). Plusieurs décisions judiciaires récentes ont également établi clairement que le fardeau de la preuve applicable en matière de discrimination est celui utilisé dans les instances civiles, c'est-à-dire une prépondérance de la preuve suivant la balance des probabilités (voir Balbir Basi v. C.N.R., (1988) 9 C.H.R.R. D/5029; Corrigan v. Pacific Western Airlines, (1988) 9 C.H.R.R. D/4993).

Après avoir examiné la preuve en détail, le tribunal conclut que M. Belyea n'a pas réussi à établir dans sa plainte l'existence d'un cas prima facie de discrimination indirecte. La brochure de Statistique Canada qui a été versée en preuve, "Le poste de recenseur - Ça vous intéresse?" (Pièce HR-4), indique clairement à la page 2 que la possession en permanence d'une voiture et d'un permis de conduire valide constituait une exigence "dans certaines régions urbaines". Nous croyons qu'il est tout à fait raisonnable pour Statistique Canada d'imposer une telle exigence et d'exercer sa discrétion, pour déterminer, compte tenu de son expérience, dans quels milieux urbains une voiture est requise. Cette exigence n'est manifestement pas discriminatoire à première vue. Elle n'est pas non plus discriminatoire, à notre avis, parce qu'elle entraîne un effet préjudiciable. Il est évident que tout employeur peut décider qu'un emploi particulier nécessite la capacité de conduire et d'utiliser un véhicule. Si tel n'était pas le cas, le fonctionnement d'un grand nombre d'organismes, d'institutions et d'entreprises serait sérieusement perturbé. La conséquence inévitable d'une telle exigence est que la candidature de certaines personnes ne sera pas retenue pour un emploi pour lequel la capacité de conduire est jugée essentielle ou, du moins, importante. Cependant, ce ne sont pas seulement les personnes incapables de conduire qui seront lésées, mais également toute personne qui, pour quelque raison que ce soit, n'a pas un véhicule à sa disposition ou ne peut pas conduire. Ce pourrait être le cas notamment des personnes qui ne peuvent pas réussir l'examen de conduite ou qui, pour des raisons économiques, n'ont pas un véhicule à leur disposition. Une condition d'emploi de ce genre ne vise pas uniquement, que ce soit volontairement ou involontairement, à faire subir un traitement spécial aux personnes souffrant de déficiences.

Cette situation est donc différente de celle qui existait dans l'arrêt

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Ontario Human Rights Commission c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, où l'âge de la retraite des pompiers ne s'appliquait qu'à ceux qui avaient atteint l'âge maximal, et dans l'arrêt O'Malley c. Simpson Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, où l'obligation de travailler les samedis n'avait un effet préjudiciable que sur les personnes dont les croyances religieuses les amenaient à considérer ce jour comme un jour de repos.

Une condition d'emploi ne peut être considérée discriminatoire que lorsqu'elle vise uniquement un individu ou un groupe d'individus parce qu'il présente une ou plusieurs des caractéristiques énoncées au paragraphe 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le simple fait qu'un individu ou un groupe d'individus est indirectement lésé par une exigence professionnelle raisonnable qui exclut un large éventail de personnes ne permet pas de conclure que l'existence d'un cas prima facie de discrimination a été établie, à moins, évidemment, qu'il ne soit possible de conclure par ailleurs à l'intention d'établir une distinction.

Il se peut qu'une condition qui semble constituer une exigence professionnelle non discriminatoire soit utilisée dans un cas particulier pour refuser un emploi à un individu parce qu'il présente l'une des caractéristiques mentionnées au paragraphe 3(1). Une exigence professionnelle manifestement raisonnable peut même être considérée discriminatoire si elle est utilisée pour refuser à un individu ou à un groupe d'individus un emploi qu'il est capable d'effectuer d'une manière satisfaisante. Tel serait le cas si on utilisait une exigence scolaire pour refuser un emploi ou une promotion à un membre d'une minorité raciale ou d'un groupe ethnique lorsque cette personne possède manifestement la capacité d'effectuer le travail en cause d'une manière efficace. En l'espèce, le principal argument invoqué au nom de M. Belyea par la Commission est que, même si Statistique Canada a soutenu qu'il avait simplement appliqué une exigence professionnelle non discriminatoire, l'emploi a été refusé au plaignant parce qu'il était handicapé en raison de son épilepsie et qu'aucune tentative n'a été faite pour composer avec ses autres déficiences, c'est-à-dire l'allergie et l'hernie.

Nous reconnaissons que M. Belyea avait des motifs de s'interroger sur le traitement qu'il avait reçu. Comme nous l'avons indiqué lors de notre examen de la preuve, nous avons conclu que Mme Barclay avait effectivement fait une remarque désagréable au sujet de l'épilepsie de M. Belyea au cours de la conversation qu'elle avait eue avec lui le 14 avril 1986. Cette remarque était gratuite et John Belyea a eu raison d'être blessé et fâché. En fait, cela fait ressortir l'importance que les organismes fédéraux comme Statistique Canada consacrent une partie de leurs cours de formation aux clichés défavorables et à la manière d'éviter la discrimination. Ceci étant dit, il est toutefois important d'interpréter dans son contexte la remarque faite par Mme Barclay. Elle ne permet pas de statuer sur la question de savoir si M. Belyea a fait l'objet de discrimination parce qu'il est épileptique. Il doit exister un lien de cause à effet entre la déclaration et l'acte de l'individu qui l'a faite ou de l'organisme au nom duquel elle a été faite. Comme nous l'avons indiqué lors de notre examen de la preuve relative à la conversation téléphonique du 14 avril 1989 entre Mme Barclay et M. Belyea, nous avons conclu que, loin d'écarter la candidature de Belyea, Mme Barclay a plutôt cherché à se montrer conciliante. Elle a non seulement parlé d'un autre poste qu'il pourrait peut-être occuper au recensement, mais elle a également voulu examiner s'il était possible de prendre des dispositions en ce qui concerne le lieu de travail, le transport et le stockage des documents de sorte que Belyea pourrait effectuer le travail de recenseur sans avoir une voiture à sa disposition. Il est vrai qu'il y a eu certaines contradictions entre ce qu'aurait déclaré M. Belyea au sujet du nombre d'heures pendant lesquelles il pouvait travailler et

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que Mme Barclay s'est montrée imprécise au sujet du poids du sac de recensement. Nous ne considérons pas que ces éléments permettent de soutenir que M. Belyea a été victime à ce stade de discrimination en matière d'emploi parce qu'il était épileptique. S'il y a eu des malentendus, ce qui semble être le cas, ils ont résulté de la dynamique de la conversation: d'une part, le désir de Mme Barclay de faire en sorte que le travail soit effectué, mais en même temps celui de composer avec la situation de John Belyea, si possible; de l'autre, ce qui peut facilement se comprendre, la position hésitante et étrange du candidat.

A notre avis, ce qui s'est passé par la suite ne change rien. Il ressort clairement de la preuve que Mme Yetman estimait qu'une voiture était essentielle pour effectuer le travail de recenseur. Elle l'avait déclaré à Margaret Barclay lors de leur conversation téléphonique après le premier échange entre Mme Barclay et M. Belyea. Rien dans la preuve ne nous permet de conclure que cette opinion servait à camoufler une conclusion fondée sur d'autres motifs, c'est-à-dire les déficiences de John Belyea. Mme Yetman avait déjà travaillé au recensement. Elle était parfaitement au courant des contraintes que comportait l'obligation de faire effectuer le travail dans le délai serré fixé par Statistique Canada. Elle était d'avis que Mme Barclay ne devait pas embaucher des candidats qui n'avaient pas de voiture à leur disposition. Il ne fait aucun doute que les autres problèmes soulevés par Mme Barclay relativement à la situation de M. Belyea l'auraient confirmée dans son point de vue. Nous ne croyons pas que ceux-ci aient été de quelque manière que ce soit déterminants.

La preuve relative à la deuxième conversation ayant eu lieu entre M. Belyea et Mme Barclay le 16 avril est assez embrouillée. Il ne fait aucun doute que cette dernière a déclaré à Belyea que sa candidature ne pouvait pas être retenue pour le poste au service statistique ni pour celui de recenseur. En outre, alors qu'il est spécifiquement question dans la preuve de l'absence d'une voiture en ce qui concerne l'emploi au service statistique, il semble que Margaret Barclay et John Belyea ont tous les deux supposé que cela constituait également le principal obstacle dans le cas du poste de recenseur. Nous croyons que c'est ce que pensait M. Belyea parce que, lors d'une conversation avec Mme Barclay le 21 ou le 22 avril, il a soulevé la possibilité de se procurer une voiture et d'obtenir de son médecin la permission de conduire. Les allusions faites lors du témoignage de Mme Barclay concernant l'appel téléphonique du 16 avril au sujet de l'inhabilité anticipée du candidat d'effectuer le travail à temps, constituait, à notre avis, une tentative d'expliquer pourquoi elle estimait qu'il serait incapable d'effectuer le travail, compte tenu de ce qu'elle comprenait des inquiétudes qui avaient été soulevées en partie par lui lors de la première conversation. Celles-ci ne concernaient pas le fait qu'il était épileptique, mais plutôt son hernie et, en particulier, son incapacité de transporter certains poids et de travailler pendant de longues périodes. Il est vrai, comme nous l'avons indiqué dans notre analyse de la preuve, que Mme Barclay a mal interprété ce que lui a dit M. Belyea lors des deux premières conversations au sujet du nombre d'heures pendant lesquelles il pourrait travailler. En outre, elle semble avoir mal compris la véritable nature des poids qu'il était capable de porter. En ce sens, elle agissait en se fondant sur des assertions erronées. Cependant, nous n'estimons pas qu'elles sont pertinentes, la décision que John Belyea n'était pas un candidat approprié pour l'emploi de recenseur ayant été prise parce qu'il ne conduisait pas. Nous croyons qu'il s'agissait d'une condition raisonnable que Statistique Canada pouvait imposer.

Même si nous devions reconnaître que Statistique Canada jouissait d'une

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certaine latitude en l'espèce pour déterminer s'il pouvait embaucher des recenseurs n'ayant pas de voiture, notre interprétation de la preuve en ce qui concerne les exigences de l'emploi et la manière de travailler indiquée par M. Belyea laisserait subsister des doutes légitimes dans l'esprit d'un commissaire au recensement quant à la capacité de Belyea d'effectuer le travail d'une manière correcte et rapide sans complication, c'est-à-dire sans qu'il soit nécessaire d'affecter d'autres ressources humaines pour l'aider à terminer à temps. Même si M. Belyea avait déjà travaillé pour le recensement municipal et s'était alors bien acquitté de ses tâches, il ressort de son témoignage qu'il s'agissait d'un travail dont les exigences étaient moins compliquées et qui nécessitait moins de temps. La possibilité de travailler pendant trois heures suivies d'une pause d'une heure constitue un changement modeste si on considère qu'il ne s'écoule aucun délai entre le temps passé au travail et la période de repos. Comme M. Belyea avait besoin de se reposer à son domicile, il faudrait prendre en considération le temps requis pour le trajet en autobus, notamment celui nécessité pour se rendre à l'arrêt, le temps d'attente et la durée réelle du trajet. Il ne semble pas extravagant d'affirmer que cela pourrait doubler la période consacrée au repos, étant donné en particulier que M. Belyea ne serait pas complètement maître du temps alloué pour faire l'aller et retour jusqu'à son domicile. Il en résulterait qu'une journée de neuf heures de livraison pourrait bien prendre treize heures. Vu qu'il était également nécessaire de consacrer un certain temps aux séances de formation, les craintes au sujet de la capacité de M. Belyea de s'acquitter de ses tâches pendant la période de la livraison auraient vraisemblablement pu être justifiées.

Rien de ce qui s'est passé après le 16 avril n'a modifié la situation. Il est vrai que M. Belyea a réussi l'examen de façon décisive, mais le problème fondamental de la voiture n'était pas résolu. Même si M. Belyea pensait réussir à se procurer une voiture, ses espoirs ont été anéantis par le refus de son médecin. Nous estimons qu'il ressort de la preuve relative à l'entrevue du 5 mai avec Mmes Yetman et Barclay que, s'il subsistait des doutes dans l'esprit de M. Belyea au sujet des motifs pour lesquels on ne lui offrait pas un poste de recenseur, ces doutes se seraient dissipés lors de cette rencontre. En effet, on lui a alors indiqué qu'il n'était pas engagé parce qu'il n'avait pas de voiture à sa disposition. Nous n'accordons aucune importance au fait que M. Belyea ait déclaré que la mention d'une voiture avait été rayée sur l'affiche qu'il avait vue à l'Université de Calgary. Il n'existe aucun élément de preuve montrant que Statistique Canada l'avait fait ou avait ordonné à quelqu'un de le faire. Lors de l'entrevue du 5 mai, il n'a pas été question de l'épilepsie de Belyea, sauf dans la mesure où il a mentionné celle-ci pour expliquer pourquoi il ne conduisait pas. Encore une fois, la confusion qui a pu exister au sujet des poids à transporter et de son horaire de travail n'était pas pertinente relativement au fait qu'il n'avait pas de voiture à sa disposition. En outre, s'il avait été possible dans ce cas de choisir un candidat ne conduisant pas, les réponses de M. Belyea au sujet de sa capacité de travailler après trois heures plus une pause et de la difficulté de travailler les jours humides en raison de l'allergie dont il souffrait auraient augmenté les doutes légitimes existant déjà relativement à sa capacité de s'acquitter sans problème des fonctions de recenseur.

D. CONCLUSION

Nous avons conclu que le plaignant, John Belyea, et la Commission canadienne des droits de la personne n'ont pas réussi à établir un cas prima facie de discrimination de la part de l'intimé, Statistique Canada. C'est pourquoi l'action intentée sur le fondement de l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne

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échoue et la plainte est rejetée. Par conséquent, nous n'avons pas à examiner si l'intimé a prouvé que l'utilisation d'une voiture constituait une exigence professionnelle justifiée conformément aux dispositions de l'alinéa 14a). Il ressort de ce que nous avons dit plus haut qu'il serait difficile de conclure le contraire. - 16 -

Fait à Victoria (Colombie-Britannique), le 1er jour de décembre 1989.

(Signé) John P.S. McLaren, président

(Signé) Amin Ghali

(Signé) Murray Kulak

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