Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

CRIS BASUDDE

- et -

SHIV CHOPRA

les plaignants

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SANTÉ CANADA

l'intimé

DÉCISION SUR REQUÊTE

2006 TCDP 10
2006/03/03

MEMBRE INSTRUCTEUR : Pierre Deschamps

[TRADUCTION]

I. INTRODUCTION

II. LES FAITS

III. LES PRÉTENTIONS

IV. L'ANALYSE

V. LE DROIT

VI. LA DÉCISION

[1] Il s'agit d'une décision portant sur l'objection soulevée par l'intimé visant la présentation par le plaignant d'éléments de preuve à l'égard du processus de sélection ayant mené à la nomination du Dr Timothy Scott au poste de directeur, BMV.

I. INTRODUCTION

[2] L'intimé, Santé Canada, ci-après nommé SC, s'oppose à ce que des éléments de preuve soient présentés par le plaignant dans la présente instance à l'égard de la nomination, en 1995, du Dr Timothy Scott au poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, ci-après nommé le BMV. L'intimé prétend que toute question se rapportant au processus de sélection pour le poste de directeur du BMV a déjà été tranchée dans une décision antérieure du Tribunal.

[3] De plus, l'intimé prétend que toute question se rapportant à la nomination du Dr Scott aurait dû être soulevée au cours des audiences concernant la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra.

[4] Au soutien de sa position, l'intimé s'appuie sur la doctrine de la chose jugée, sur la préclusion découlant d'une question déjà tranchée et sur l'abus de procédure.

[5] Quant à lui, le plaignant prétend que les événements qu'il veut mettre en preuve n'ont fait l'objet d'aucune décision par le Tribunal. Ces événements se rapportent à ce qui est survenu après que des mesures correctives eurent été mises en application à la fin de 1994 à l'égard du processus de sélection se rapportant au poste de directeur, BMV.

[6] Le Tribunal doit, pour statuer sur l'objection de l'intimé, décrire les faits qui ont entraîné l'objection de l'intimé.

II. LES FAITS

[7] Le 16 septembre 1992, le Dr Chopra a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Sa plainte a par la suite été renvoyée au Tribunal. Elle a d'abord été entendue par une formation de trois membres instructeurs (la formation présidée par M. Soberman) qui a rejeté la plainte déposée par le Dr Chopra.

[8] Le dossier montre que, après un contrôle judiciaire, la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra a fait l'objet d'une deuxième audience devant le Tribunal. M. Hadjis fut désigné à titre de membre instructeur pour entendre l'affaire sur la base du dossier, auquel se sont ajoutés certains autres éléments de preuve.

[9] Dans sa plainte déposée en 1992, le Dr Chopra prétendait avoir été traité injustement en raison de la manière selon laquelle ses évaluations de rendement avaient été établies au cours de la période de 1990 à 1992. Il prétendait avoir été traité ainsi en raison de sa couleur, de sa race et de son origine nationale ou ethnique. Plus précisément, le Dr Chopra alléguait avoir fait l'objet de discrimination dans le processus de sélection ayant mené à la nomination du Dr Claire Franklin au poste de directrice, Bureau des médicaments humains prescrits, ci-après nommé le BMHP.

[10] Au cours de l'audience présidée par M. Hadjis, l'avocat de la Commission a mentionné des événements survenus à l'extérieur de la période de 1990 à 1992. Un de ces événements était la nomination, en décembre 1993, du Dr Timothy Scott au poste de directeur, BMV. Cet élément de preuve a été présenté, selon ce qui ressort de la décision de M. Hadjis, comme preuve de la discrimination continue à SC (Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [2001] D.C.D.P. no 20, au paragraphe 136, ci-après nommée la décision de M. Hadjis).

[11] Même si cet événement ne faisait pas partie des faits initiaux énoncés dans la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra, M. Hadjis a traité du concours de décembre 1993 qui a mené à la nomination du Dr Scott (décision de M. Hadjis, aux paragraphes 141 et suivants). Les faits ci-après exposés ont été examinés par M. Hadjis.

[12] En décembre 1993, SC a tenu un concours afin de doter le poste de directeur, BMV. Le Dr Chopra a posé sa candidature à ce poste et il a été éliminé à la présélection. Un autre individu, M. Casorso, qui avait également posé sa candidature, n'a pas été choisi.

[13] Le Dr Chopra et M. Casorso ont interjeté appel de la nomination du Dr Scott au poste de directeur, BMV, auprès du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, ci-après nommé le CACFP. L'appel du Dr Chopra a été rejeté alors que l'appel de M. Casorso a été accueilli étant donné que le jury de présélection n'avait pas correctement examiné sa candidature en fonction des exigences d'expérience qui avaient été établies par le ministère pour ce poste.

[14] À la suite de la décision du CACFP, SC a pris des mesures correctives pour mettre en application la décision du Comité d'appel dans l'affaire Casorso à l'égard du processus de sélection pour le poste de directeur, BMV.

[15] Le critère exigeant une expérience récente dans la gestion d'un organisme scientifique, médical ou vétérinaire dont les programmes sont polyvalents a été éliminé. En outre, SC a ordonné que des candidats qui avaient été éliminés à la présélection étant donné qu'ils n'avaient aucune expérience à titre de représentant d'un ministère auprès d'organismes extérieurs ou aucune expérience en gestion devraient faire l'objet d'une nouvelle évaluation.

[16] Par conséquent, un nouveau concours a été tenu et à la fin du processus, le 28 février 1995, la nomination du Dr Scott au poste de directeur, BMV, a été confirmée, avec effet le 13 mars 1995.

III. LES PRÉTENTIONS

[17] L'avocat du plaignant prétend qu'après la mise en application des mesures correctives, survenue après que M. Casorso ait eu gain de cause, la candidature du Dr Chopra au poste de directeur, BMV, n'a pas été examinée et, en fait, n'a aucunement été prise en compte. Selon l'avocat du plaignant, ce fait appuyait la prétention du Dr Chopra selon laquelle il y avait eu de la discrimination exercée à son endroit.

[18] L'avocat du plaignant prétend en outre que les événements survenus après la mise en application des mesures correctives sont des événements qui n'ont pas été traités par M. Hadjis dans sa décision et qu'ils devraient ainsi faire partie des questions à trancher par le Tribunal dans la présente instance. L'avocat du plaignant, cependant, a reconnu que les conclusions de M. Hadjis à l'égard du concours de 1993 pour le poste de directeur, BMV, devraient être maintenues.

[19] L'avocat de l'intimé prétend, au contraire, que la décision de M. Hadjis traite de tous les aspects du concours de 1993 qui a conduit à la nomination du Dr Scott au poste de directeur, BMV. Il se fonde sur la doctrine de la chose jugée, sur la préclusion découlant d'une question déjà tranchée et sur l'abus de procédure pour appuyer sa prétention selon laquelle le Tribunal ne devrait pas entendre la preuve se rapportant à la nomination du Dr Scott.

[20] L'avocat de l'intimé prétend de plus que le Dr Chopra aurait pu se plaindre du fait que sa candidature n'avait pas été prise en compte pour le deuxième concours tenu à l'égard du poste de directeur, BMV, au cours des audiences portant sur sa plainte déposée en 1992.

[21] Premièrement, l'avocat de l'intimé souligne le fait que la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra a été entendue par la formation présidée par M. Soberman en septembre et en octobre 1995, longtemps après la nomination du Dr. Scott au poste de directeur, BMV, en février 1995. Deuxièmement, l'avocat de l'intimé prétend que la question aurait dû être pleinement débattue devant M. Hadjis lorsque, en 1999 et 2000, il a entendu la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra.

[22] L'avocat de l'intimé prétend que le fait de permettre ou d'autoriser le débat de cette question, c'est-à-dire le fait que la candidature du Dr Chopra n'a pas été prise en compte lors du deuxième concours tenu à l'égard du poste de directeur, BMV, constituerait un abus de procédure.

IV. L'ANALYSE

[23] La première audience tenue à l'égard de la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra devant la formation présidée par M. Soberman a eu lieu en septembre et en octobre 1995. L'intimé prétend que toute question de discrimination se rapportant à la nomination du Dr Scott aurait dû être traitée à ce moment.

[24] Ce point de vue ne tient pas compte du fait que la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra était censée traiter des événements survenus durant la période de 1990 à 1992, plus précisément ceux se rapportant à la dotation du poste de directeur, BMHP, entre le mois de septembre 1990 et le printemps 1992 (décision de M. Hadjis, au paragraphe 2). Ce n'est que durant l'audience présidée par M. Hadjis, tenue du 17 mai 1999 au 11 décembre 2000, que la question du concours se rapportant à la dotation du poste de directeur, BMV, en décembre 1993, a été soulevée comme un fait additionnel devant être examiné par M. Hadjis.

[25] Il importe de noter ici que, dans sa décision, M. Hadjis mentionne le fait qu'au cours des observations finales présentées lors de la nouvelle audition de la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra, il y a eu un certain débat entre les avocats à l'égard des paramètres de l'instruction de la plainte déposée en 1992, étant donné qu'une grande partie de la preuve fournie par la Commission lors de la nouvelle audience portait sur des questions qui allaient au-delà des questions abordées expressément dans la plainte (décision de M. Hadjis, au paragraphe 254).

[26] Après avoir examiné en détail les observations de toutes les parties, y compris celles du Dr Chopra lui-même, M. Hadjis a conclu qu'il pouvait apprécier toute la preuve pour sa valeur à titre de preuve circonstancielle fournie au soutien de l'aspect clé de la plainte, c'est-à-dire la dotation du poste de directeur du BMHP, au cours de la période de 1990 à 1992 (décision de M. Hadjis, au paragraphe 254). Plus tôt dans sa décision, M. Hadjis avait établi que les événements survenus durant la période de 1990 à 1992 étaient les événements au cur de la plainte du Dr Chopra (décision de M. Hadjis, au paragraphe 82).

[27] Il appert, par conséquent, que c'est la dotation du poste de directeur BMHP qui était au cur de la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra et que la preuve additionnelle qui avait été présentée était de la preuve circonstancielle fournie au soutien de l'aspect clé de la plainte, c'est-à-dire la dotation du poste de directeur, BMHP. Il appert donc que le concours de 1993 n'a pas été capital dans l'instance devant M. Hadjis (voir la décision Joss c. Canada (Conseil du Trésor), [1999] A.C.F. no 1819 (QL) (1re inst.)).

[28] Cela dit, le Tribunal ne peut cependant pas omettre de tenir compte du fait que M. Hadjis dans sa décision a effectivement tiré des conclusions de fait à l'égard des allégations de discrimination se rapportant à des événements survenus à un moment autre que durant la période de 1990 à 1992, à savoir la nomination du Dr Scott au poste de directeur, BMV.

[29] À cet égard, M. Hadjis a conclu que le Dr Chopra n'avait pas fait l'objet d'un traitement qui l'avait défavorisé dans le cadre du concours de décembre 1993 visant à doter le poste de directeur, BMV. M. Hadjis a, en outre, conclu qu'il n'avait été fourni aucune preuve indiquant que le Dr Chopra avait, en fait, l'expérience requise pour traiter avec des organismes externes (décision de M. Hadjis, au paragraphe 288). Sur cette base, M. Hadjis a conclu que le Dr. Chopra n'avait pas les compétences requises pour occuper le poste et qu'il n'y avait aucune preuve prima facie de discrimination.

[30] Même si on peut dire que ces conclusions de fait tirées par M. Hadjis ne sont qu'accessoires à la question fondamentale qu'il devait trancher, c'est-à-dire la dotation du poste de directeur, BMHP, je ne peux omettre d'en tenir compte.

[31] Dans une décision préliminaire se rapportant à la présente instance, M. Groarke, membre instructeur du Tribunal, a exprimé l'opinion que le défaut allégué d'avoir nommé le Dr Chopra au poste de directeur en 1993 avait déjà fait l'objet d'un débat. Sur ce point, M. Groake a mentionné dans sa décision que des éléments de preuve se rapportant aux événements survenus entre 1992 et 1994 ont été présentés à M. Hadjis et il a exprimé l'opinion que cette preuve, présentée par la Commission pour le compte du Dr Chopra, faisait clairement partie de la preuve du Dr Chopra.

[32] Même si ces déclarations peuvent être exactes, je ne peux pas inférer de la décision de M. Groarke que les événements survenus après la décision rendue par le CACFP à l'égard de l'appel de M. Casorso font partie de la décision de M. Hadjis.

[33] Le Tribunal conclut par conséquent ce qui suit :

La période traitée par la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra était la période de 1990 à 1992, plus précisément jusqu'au 16 septembre 1992, date du dépôt de la plainte.

La dotation du poste de directeur, BMHP, était au cur de la plainte déposée en 1992.

Des allégations additionnelles de discrimination ont été soulevées au cours de la deuxième audience tenue par M. Hadjis à l'égard de la plainte déposée en 1992, notamment des allégations de discrimination se rapportant au processus de sélection de décembre 1993 qui a mené à la nomination du Dr Scott au poste de directeur, BMV.

Ces allégations, même si elles étaient accessoires et ne faisaient pas partie de la portée de la plainte déposée en 1992, ont amené M. Hadjis à tirer certaines conclusions de fait.

Le Tribunal ne peut pas omettre de tenir compte de ces conclusions, mais elles doivent être examinées dans le contexte de la plainte déposée en 1992 et de l'analyse effectuée par M. Hadjis à l'égard du concours de décembre 1993.

[34] Dans son analyse de la preuve se rapportant au concours de 1993 (décision de M. Hadjis, aux paragraphes 141 et 142), M. Hadjis a pris en compte seulement les faits se rapportant au concours initial. Il n'a pas traité des mesures correctives qui ont été mises en application après que M. Casorso eut gain de cause dans son appel. Il n'a pas traité non plus des événements survenus après la mise en application de ces mesures correctives ni de toute allégation de discrimination se rapportant aux événements qui ont suivi la mise en application des mesures correctives.

[35] Le Tribunal conclut, par conséquent, que les événements survenus après qu'eut été rendue la décision du CACFP en novembre 1994 n'ont pas été pris en compte par M. Hadjis et que ce dernier n'a pas rendu une décision à leur égard. Ses conclusions de fait se limitent au concours initial de 1993 et ne traitent pas de l'ensemble du processus se rapportant à la dotation du poste de directeur, BMV.

[36] Sur ce point, le Tribunal ne souscrit pas à l'affirmation de l'intimé selon laquelle les mesures correctives mises en application après la décision Casorso sont incluses dans l'ensemble du processus de sélection d'un directeur du BMV, processus qui a débuté en décembre 1993 et qui s'est terminé en février 1995 par la confirmation du Dr Scott au poste de directeur, BMV.

V. LE DROIT

[37] Appliquant à ces conclusions le droit en matière de chose jugée et de préclusion d'une question déjà tranchée (voir l'arrêt Angle c. Canada (Ministre du Revenu national), [1975] 2 R.C.S. 248, QL, à la page 4), le Tribunal conclut ce qui suit :

Il n'a pas été satisfait au premier critère énoncé par Lord Guest dans Carl Zeiss Stiftung, comme mentionné dans l'arrêt Angle, c'est-à-dire au critère voulant que la même question soulevée dans la présente instance ait déjà été tranchée par un autre tribunal;

les questions se rapportant à des allégations de discrimination soulevées après que le CACFP eut rendu sa décision en novembre 1994 n'ont pas été traitées par M. Hadjis;

on ne peut pas inférer que ces questions sont incluses dans les conclusions de M. Hadjis à l'égard du concours initial se rapportant à la sélection d'un directeur, BMV;

il n'y a pas d'abus de procédure de la part du plaignant.

[38] Même si j'avais tiré une conclusion différente, c'est-à-dire même si j'avais conclu que les trois conditions d'application de la préclusion d'une question déjà tranchée étaient remplies, j'aurais refusé, en exerçant mon pouvoir discrétionnaire (arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460 (QL), au paragraphe 13), d'appliquer la préclusion d'une question déjà tranchée compte tenu du fait que le concours de 1993 et le concours subséquent se rapportant à la nomination du directeur, BMV, n'étaient pas au cur de la plainte déposée en 1992 par le Dr Chopra, et du fait que le concours de 1993 a été mis en preuve, comme l'a déclaré M. Hadjis dans sa décision, au soutien de l'aspect clé de la plainte déposée en 1992, c'est-à-dire la dotation du poste de directeur, BMHP, durant la période de 1990 à 1992 (décision de M. Hadjis, au paragraphe 254).

VI. LA DÉCISION

[39] Par conséquent, l'objection soulevée par l'intimé à l'égard de la présentation par le plaignant d'éléments de preuve se rapportant à la nomination du Dr Scott au poste de directeur, BMV, est rejetée. Le plaignant est autorisé à présenter des éléments de preuve se rapportant à des événements survenus après que des mesures correctives eurent été mises en application à la suite de la décision Casorso rendue par le CACFP en novembre 1994.

Pierre Deschamps

Ottawa (Ontario)

Le 3 mars 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T901/2104
INTITULÉ DE LA CAUSE : Cris Basudde et Shiv Chopra c. Santé Canada
DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : Le 3 mars 2006
ONT COMPARU :
Kavid Yazbeck Pour les plaignants
Aucun représentant Pour la Commission canadienne des droits de la personne
David Migicovshy Pour l'intimé
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