Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

MICHELINE MONTREUIL

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION SUR UNE QUESTION PRÉLIMINAIRE

2006 TCDP 54
2006/10/30

MEMBRE INSTRUCTEUR : Pierre Deschamps

Canadian Human
Rights Tribunal

Tribunal canadien
des droits de la personne

I. LA POSITION DES PARTIES

A. La position des Forces armées canadiennes

B. La position de la plaignante

C. La position de la Commission canadienne des droits de la personne

II. ANALYSE

(i) Le rapport d'expertise du Dr. Côté

(ii) Le certificat du Dr. Rodrigue

III. DÉCISION

[1] Le Tribunal est saisi d'une plainte où il est allégué que la plaignante, maître Micheline Montreuil, fut l'objet de discrimination de la part de l'intimée, les Forces armées canadiennes, en raison de son sexe et d'une perception de déficience lorsqu'elles ont refusé de lui permettre de s'enrôler dans les Forces en 1999.

[2] Le 6 octobre dernier, l'intimée, les Forces armées canadiennes, a présenté une requête portant sur la divulgation par la plaignante de deux documents, soit le rapport d'expertise du docteur Serge Côté, daté du 18 mars 1998, et le certificat d'invalidité du docteur Jean Rodrigue, daté du 5 janvier 1998.

[3] La plaignante s'est objectée à la divulgation de ces documents alléguant qu'ils n'étaient pas pertinents et étaient protégés par le secret professionnel.

[4] La présente requête fut d'abord référée à maître Karen Jensen pour adjudication. Celle-ci, dans une décision rendue le 16 octobre dernier, a renvoyé la requête au membre chargé d'instruire la plainte.

[5] Dans le cadre de l'audition de la présente requête, le Tribunal a entendu deux témoins, soit le docteur Pierre Assalian et la plaignante, maître Micheline Montreuil.

I. LA POSITION DES PARTIES

A. La position des Forces armées canadiennes

[6] Dans sa demande de divulgation, l'intimée requiert que le Tribunal ordonne à la plaignante de divulguer des informations relatives à sa condition médicale qui ne lui avaient pas été transmises à l'appui de la demande d'enrôlement de la plaignante du 13 juillet 1999 puis non divulguées à la Commission canadienne des droits de la personne, aux Forces canadiennes et au Tribunal dans le cadre de la présente affaire, soit l'expertise médicale du docteur Serge Côté, psychiatre, datée du 18 mars 1998 et le rapport d'invalidité du docteur Jean Rodrigue, daté du 5 janvier 1998.

[7] Soit dit en passant, nulle obligation n'est faite en vertu des règles de divulgation de transmettre au Tribunal quelque document que ce soit. Une divulgation a lieu entre les parties à une plainte sans que le Tribunal n'y soit partie.

[8] Dans le cadre de sa demande, l'intimée allègue que la plaignante a, à tort, omis de divulguer ces deux rapports qui, avance-t-elle, ont trait à la condition médicale de la plaignante. Elle soutient que la plaignante n'a pas respecté le sens et la portée de l'ordonnance du Tribunal rendue le 28 novembre 2005. Nous y reviendrons.

[9] L'intimée allègue que les informations médicales contenues aux deux documents décrits ci-dessus se rapportent au processus de changement de sexe de la plaignante et permettent d'évaluer l'état de santé de celle-ci.

[10] Dans son argumentation écrite, l'intimée soutient que les documents médicaux en litige sont essentiels à la compréhension de l'historique médical complet de la plaignante.

B. La position de la plaignante

[11] Dans sa réponse écrite à la requête de l'intimée, la plaignante fait notamment valoir que les documents dont l'intimée recherche la divulgation ne sont pas pertinents au litige, qu'ils font partie d'un dossier de relations de travail, et qu'ils sont protégés par le secret professionnel.

[12] En outre, la plaignante soutient que l'expertise médicale du docteur Côté n'entre pas dans la catégorie des documents mentionnés par ma collègue Karen Jensen dans sa décision du 28 novembre 2005.

C. La position de la Commission canadienne des droits de la personne

[13] La position de la Commission se trouve exposée dans une lettre adressée au Tribunal le 12 octobre 2006.

[14] La Commission soutient la position prise par la plaignante en ce qui concerne son refus de divulguer les deux documents décrits ci-dessus parce que non pertinents aux questions en litige en rapport avec la présente plainte. La Commission fait valoir que les rapports médicaux ont été préparés strictement dans le cadre d'un grief déposé par la plaignante contre son ancien employeur et touchent uniquement à la validité du consentement donné par la plaignante en lien avec sa démission du Collège Garneau survenue le 4 décembre 1997. Pour la Commission, la recherche de divulgation de ces documents est une expédition de pêche.

[15] Par ailleurs, la Commission souligne que les documents recherchés ne peuvent être utilisés au soutien de la décision des Forces armées canadiennes de rejeter la demande d'enrôlement de la plaignante.

II. ANALYSE

[16] D'entrée de jeu, il importe de préciser que ce n'est pas la condition médicale générale de la plaignante qui est un élément en litige, mais sa condition médicale reliée à sa condition de personne transgenre ou transsexuelle. Ceci fut clairement établi dans la décision rendue par ma collègue Jensen le 28 novembre 2005, décision qui, faut-il le rappeler, portait notamment sur les informations médicales relatives à la plaignante détenues par le docteur Serge Côté.

[17] Dans sa décision, ma collègue Jensen définit les paramètres de la divulgation de documents de nature médicale reliés au présent dossier. Selon elle, et je cite: ... seuls les dossiers médicaux qui ont trait au processus de changement de sexe et à l'identité sexuelle de madame Montreuil doivent être communiqués. Ce ne sont donc pas les documents de nature médicale reliés à la condition médicale générale de la plaignante qui sont pertinents en l'espèce, mais ceux qui ont trait au processus de changement de sexe et à l'identité sexuelle de la plaignante.

[18] Regardons maintenant ce qu'il en est des deux documents dont l'intimée demande la divulgation.

(i) Le rapport d'expertise du Dr. Côté

[19] Il importe de rappeler ici que le rapport d'expertise du docteur Côté a déjà fait l'objet d'une requête en divulgation dans le présent dossier. En effet, le dossier et la preuve révèlent qu'en septembre 2005, l'intimée présentait une requête en divulgation portant sur trois documents, soit les dossiers médicaux du docteur Serge Côté, du docteur Roland Tremblay et du docteur Martine Lehoux. La plaignante s'était alors objectée à la divulgation de ces dossiers au motif qu'ils n'étaient pas pertinents eu égard à l'allégation de discrimination formulée par la plaignante à l'endroit des Forces armées canadiennes.

[20] Dans sa décision datée du 28 novembre 2005, ma collègue Jensen concluait, comme nous l'avons précédemment souligné, que seuls les dossiers médicaux qui ont trait au processus de changement de sexe et à l'identité sexuelle de madame Montreuil devraient être communiqués. Elle ordonnait alors ... que les dossiers médicaux se rapportant à Micheline Montreuil (ou Pierre Montreuil, comme elle s'appelait autrefois), dans leur intégralité, [...] soient communiqués par les médecins suivants: le docteur Serge Côté, le docteur Roland Tremblay et le docteur Martine Lehoux. La décision de ma collègue Jensen fut prise sans que celle-ci ne consulte personnellement les documents en litige.

[21] Par ailleurs, maître Jensen indiquait dans sa décision qu'afin de protéger le droit de madame Montreuil à la confidentialité, les documents devraient être transmis au procureur des Forces armées canadiennes et ne devraient être transmis à aucune autre personne sans que le Tribunal n'y ait d'abord consenti et sans que madame Montreuil n'en soit avisée. Elle indiquait également que les documents pouvaient être consultés par des experts médicaux dont les services sont retenus par les Forces canadiennes et ce, uniquement aux fins du présent litige et ne devaient pas être utilisés à des fins qui ne concernent pas le présent litige.

[22] Lors de l'audition de la présente requête, les parties ont rappelé au Tribunal qu'il ne devait pas s'écarter de la décision de maître Jensen qui avait balisé le débat quant aux documents de nature médicale qui devaient être divulgués par la plaignante.

[23] La preuve révèle aujourd'hui que madame Montreuil n'a pas consulté le docteur Côté dans le cadre d'un processus de changement de sexe, mais comme expert pour évaluer, dans le cadre d'un grief déposé par madame Montreuil à la suite de sa démission le 4 décembre 1997 du Collège Garneau, si sa décision de démissionner était un choix libre et éclairé.

[24] La preuve révèle ainsi que la plaignante n'a pas consulté le docteur Côté comme médecin traitant, mais comme expert. Cela dit, eu égard à l'ordonnance qui lui était adressée de communiquer au procureur des Forces armées canadiennes l'intégralité du dossier médical qu'il avait concernant la plaignante, le docteur Côté fit part au procureur des Forces armées canadiennes du temps, maître Claude Morissette, et ce, en deux occasions, qu'il n'avait plus en sa possession le rapport d'expertise fait en rapport avec le grief déposé en 1998 par la plaignante, celui-ci ne conservant ses dossiers pas plus de cinq ans. Or, il appert de la preuve que le rapport d'expertise, bien qu'il ne soit plus en la possession du docteur Côté, est en la possession de la plaignante et de tiers identifiés à l'audience par la plaignante.

[25] Force est de constater que n'eut été la pratique du docteur Côté de ne pas conserver ses dossiers d'expertise médicale plus de cinq ans, le docteur Côté, sur ordre du Tribunal, aurait communiqué à l'intimée son rapport d'expertise de mars 1998.

[26] Cela dit, il importe néanmoins, à la lumière de faits nouveaux dévoilés par la preuve, de déterminer si ce rapport d'expertise rédigé par le docteur Côté satisfait aux exigences de la vraisemblance de pertinence qui régit la divulgation de documents dans le cadre d'une plainte en discrimination fondée sur la Loi canadienne des droits de la personne.

[27] D'entrée de jeu, il importe de souligner qu'il n'appartient pas à ce stade-ci des procédures pour le Tribunal d'évaluer la valeur probante du document eu égard à l'allégation de discrimination faite par la plaignante, mais l'apparence ou la vraisemblance de pertinence du document eu égard aux questions en litige.

[28] La divulgation du rapport d'expertise à l'intimée n'emportera pas pour autant que le document sera produit. Si l'intimée entendait mettre le document en preuve, le Tribunal aurait à en déterminer tant l'admissibilité que la valeur probante et ce, eu égard à l'allégation de discrimination mise de l'avant par la plaignante.

[29] Il ne fait pas de doute que la condition de personne transgenre ou de personne transsexuelle de la plaignante est une question en litige, en lien avec l'allégation de discrimination de même que la question de son identité sexuelle.

[30] Dans la mesure donc où un document se rapporte à ces deux éléments, condition de transgenre ou de transsexuelle ou identité sexuelle, le document acquiert une vraisemblance de pertinence.

[31] Il importe de préciser qu'une partie du contenu du rapport d'expertise du docteur Côté, dont l'intimée recherche la divulgation, est connue. En effet, dans l'extrait de sentence arbitrale soumis au soutien de l'affidavit du docteur Assalian, on retrouve les conclusions qui apparaissent au rapport du docteur Serge Côté. Les conclusions font état du fait que, pour la première fois de sa vie, la plaignante était confrontée à sa double identité.

[32] En outre, dans la requête en révision judiciaire de la sentence arbitrale, plusieurs paragraphes portent sur le témoignage rendu par le docteur Côté devant l'arbitre ayant rendu la sentence arbitrale.

[33] Ainsi au paragraphe 137, le requérant, soit le Syndicat des professeures et professeurs du Collège François-Xavier Garneau, allègue que l'arbitre ne rapporte qu'une très petite partie du témoignage rendu par le docteur Côté auteur du rapport d'expertise. Plus particulièrement au paragraphe 137.3, le requérant indique que le docteur Côté a déclaré lors de son témoignage que la plaignante souffrait de dualité, d'anxiété et d'angoisse.

[34] Au paragraphe 137.7, le requérant reproche à l'intimée, à savoir le Collège, d'avoir omis de mentionner que le docteur Côté a déclaré que le conflit à l'intérieur de la personnalité du plaignant entre Pierre et Micheline a fait en sorte que la plaignante n'avait pas été capable d'analyser tous les aspects.

[35] Il appert donc que le docteur Côté a abordé, lors de son témoignage fait en relation avec son rapport d'expertise, la question de la dualité de personnalité présente chez la plaignante et celle du conflit à l'intérieur de la personnalité de celle-ci. Ce sont là, de l'avis du Tribunal, deux autres éléments qui sont pertinents au litige qui opposent la plaignante à l'intimée.

[36] Il importe encore une fois de rappeler qu'il n'appartient pas au Tribunal, à ce stade-ci des procédures, de se prononcer de quelque façon que ce soit sur le bien-fondé des prétentions opposées des parties, sur l'admissibilité ou la force probante du rapport d'expertise, mais de déterminer si le rapport d'expertise a une vraisemblance de pertinence eu égard aux questions que le Tribunal aura à trancher.

[37] Le Tribunal conclut donc que le rapport d'expertise du docteur Serge Côté du 18 mars 1998 doit être divulgué à l'intimée.

[38] Devant le Tribunal, la plaignante a plaidé que le rapport était confidentiel parce qu'il était de nature médicale et produit en rapport avec une entente qui était elle-même confidentielle.

[39] En ce qui a trait à la confidentialité du rapport, le Tribunal entend reprendre les conditions de divulgation qui apparaissent à la décision de maître Karen Jensen dans sa décision du 28 novembre 2005.

[40] Il importe ici de rappeler que le contenu du rapport du docteur Côté a déjà été dévoilé dans plusieurs actes de procédures. Les conclusions auxquelles en est arrivé le docteur Côté sont même reproduites à la sentence arbitrale.

[41] Cela dit, ceci ne constitue pas une raison pour ne pas assurer, eu égard aux circonstances particulières en l'espèce, la protection des informations divulguées par rapport à des tiers qui n'auraient aucune raison de prendre connaissance du rapport.

(ii) Le certificat du Dr. Rodrigue

[42] Maintenant, en ce qui concerne le certificat du docteur Rodrigue, en l'espèce, l'intimée soutient que ce document est pertinent parce qu'il se rapporte au processus de changement de sexe de la plaignante et à son identité sexuelle.

[43] Lors de son témoignage, la plaignante a bien indiqué dans quel cadre et pour quelles raisons, des raisons liées essentiellement à la convention collective qui requiert qu'un tel document soit produit, le certificat d'invalidité du docteur Rodrigue fut rédigé.

[44] Dans sa sentence, l'arbitre Morin, qui a pu prendre connaissance du certificat d'invalidité complété par le docteur Rodrigue, déclare qu'il ne saurait prêter foi à ce document comme preuve d'une réelle invalidité. Il émet l'opinion que ce certificat, donné un mois après les événements, paraît trop conforme au calendrier négocié par les parties dans le cadre de l'entente intervenue entre la plaignante, son Syndicat et le Collège.

[45] Au paragraphe 6 de son affidavit, le docteur Assalian affirme avoir pris connaissance d'un extrait de la sentence arbitrale datée du 4 février 2000 concernant la plaignante, son Syndicat et le Collège Garneau. À l'audience, le docteur Assalian a reconnu ne pas avoir pris connaissance de la décision et des motifs de l'arbitre, tels qu'ils apparaissent à l'onglet 4 de la pièce RP-18 aux pages 9 et suivantes.

[46] De l'avis du Tribunal, ces pages sont importantes pour statuer sur la pertinence du certificat d'invalidité rédigé par le docteur Rodrigue dans le cadre de la présente requête. Il est malheureux que le docteur Assalian n'en ait pas pris connaissance.

[47] À l'analyse des documents soumis, le Tribunal est d'avis qu'il n'existe aucun indice que le rapport d'invalidité rédigé par le docteur Rodrigue comporte quelque information que ce soit sur la condition de transgenre ou de transsexuelle de la plaignante, sur son processus de changement de sexe ou encore sur son identité sexuelle.

[48] Il est difficile de soutenir que l'extrait de la sentence arbitrale produit au soutien de l'affidavit du docteur Assalian contient quelque élément se rapportant à la condition de transgenre ou de transsexuelle de la plaignante.

[49] Le fait que le document ait été rédigé par un médecin omnipraticien quelques mois avant le demande d'enrôlement de la plaignante dans les Forces armées canadiennes ne suffit pas pour établir une vraisemblance de pertinence eu égard aux questions en litige dans la présente instance.

[50] En conséquence, le Tribunal ne fait pas droit à la demande de l'intimée d'ordonner à la plaignante de lui divulguer le certificat d'invalidité rédigé par le docteur Rodrigue.

III. DÉCISION

[51] Par conséquent, le Tribunal ordonne à la plaignante de divulguer séance tenante à la partie intimée le rapport d'expertise du docteur Serge Côté daté du 18 mars 1998.

[52] Afin de protéger le droit de la plaignante à la confidentialité, le rapport d'expertise du docteur Serge Côté devra être transmis au procureur de l'intimée. Le rapport pourrait être transmis aux experts médicaux dont les services ont été retenus par l'intimée et ce, uniquement aux fins du présent litige.

Signée par

Pierre Deschamps

QUÉBEC (Québec)
Le 30 octobre 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL : T1047/2805
INTITULÉ DE LA CAUSE : Micheline Montreuil c. Les Forces canadiennes
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE : Les 23 au 27 octobre 2006
Les 30 octobre au 2 novembre 2006
DATE DE LA DÉCISION
SUR REQUÊTE RENDUE
SUR LE BANC:
Le 30 octobre 2006
ONT COMPARU :
Micheline Montreuil Pour elle-même
Ikram Warsame Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Guy Lamb / Pauline Leroux Pour l'intimée
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