Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

MICHELINE MONTREUIL

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

FORCES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION SUR UNE QUESTION PRÉLIMINAIRE

2006 TCDP 57
2006/12/01

MEMBRE INSTRUCTEUR : Pierre Deschamps

Canadian Human
Rights Tribunal

I. LA POSITION DES PARTIES

A. La plaignante

B. La Commission canadienne des droits de la personne

C. L'intimée

II. ANALYSE

A. Les documents se trouvant sur un site Internet

B. La littérature médicale

III. CONCLUSION

IV. DISPOSITIF

[1] Le 11 octobre 2006, la Commission des droits de la personne, ci-après la Commission, et la plaignante se voyaient transmettre par Les Forces armées canadiennes, ci-après l'intimée, une série de six volumes de documents totalisant plus de 1500 pages.

[2] Le 13 octobre 2006, la plaignante et la Commission présentaient au Tribunal une requête en ajournement de l'audition devant débuter le 23 octobre 2006 alléguant le caractère tardif de la divulgation des documents décrits ci-dessus.

[3] Ma collègue, Me Karen Jensen, fut initialement saisie de la requête. Dans une décision rendue le 16 octobre 2006, celle-ci référa la requête au membre chargé d'entendre la plainte au mérite.

[4] Le 23 octobre 2006, date fixée pour le début de l'audition au mérite, le Tribunal fut saisi de la requête en ajournement, de même que de plusieurs autres requêtes et demandes de la part des parties.

[5] Les neuf premiers jours de l'audition au mérite furent consacrés à la disposition des différentes requêtes et demandes formulées par les parties.

[6] L'audition fut finalement ajournée le 2 novembre 2006 au 4 décembre 2006, date à laquelle la plaignante doit entreprendre la présentation de sa preuve. La présente décision fait état des motifs sur lesquels est fondée la décision du Tribunal d'ajourner l'audition au 4 décembre 2006.

I. LA POSITION DES PARTIES

A. La plaignante

[7] La plaignante allègue que plusieurs des documents qui lui furent transmis le 11 octobre 2006 sont nouveaux en ce qu'ils n'avaient jamais été portés à sa connaissance dans le cadre du processus de divulgation de la preuve.

[8] La plaignante soutient ainsi qu'elle voit pour la première fois au moins 95% du volume concernant les normes de recrutement des Forces canadiennes et du volume portant sur les normes médicales des Forces armées canadiennes. Il en va de même pour la littérature scientifique relative au transsexualisme et à l'interprétation des tests psychométriques MMPI-2.

[9] La plaignante soutient qu'en lui transmettant à cette étape-ci des procédures une volumineuse documentation qu'elle voit pour la première fois, l'intimée a manqué à son obligation continue de divulguer tout document pertinent aux questions en litige. Selon la plaignante, cette documentation aurait dû lui être transmise avant le 7 février 2006. En bref, la plaignante allègue que la divulgation de ces documents est tardive.

B. La Commission canadienne des droits de la personne

[10] La Commission épouse la position de la plaignante. Pour la Commission, il s'agit en l'espèce d'une divulgation massive et très tardive de documents. Pour la Commission, cette divulgation massive et très tardive de documents que l'intimée entend utiliser dans le cadre de sa preuve cause un préjudice sérieux à la plaignante et à la Commission qui se doivent de prendre connaissance de ces documents afin de se préparer adéquatement pour l'audition.

[11] La Commission soutient qu'il est faux de prétendre, comme le fait le procureur de l'intimée, qu'en transmettant le 11 octobre 2006 six volumes de documentation, l'intimée n'a fait que se conformer à l'ordonnance du Tribunal des 18 et 22 septembre 2006, qu'une telle prétention va à l'encontre du bon sens. Elle soutient que le Tribunal ne saurait avoir autorisé la divulgation de nouveaux documents une semaine et deux jours avant le début de l'audience.

C. L'intimée

[12] L'intimée soutient pour sa part que sa divulgation respecte en tout point l'ordonnance du 7 février 2006 de Me Karen Jensen et qu'elle ne fait que se conformer à l'ordonnance du Tribunal en date des 18 septembre et 21 septembre 2006. Elle soutient, au surplus, que sa divulgation a été validement autorisée par le Tribunal.

[13] Pour le procureur de l'intimée, les documents déposés le 11 octobre 2006 ne constituent pas un dépôt tardif et ne sauraient avoir pris la Commission et la plaignante par surprise.

[14] En ce qui concerne les documents portant sur les normes de recrutement et les normes médicales des Forces armées canadiennes, l'intimée souligne que ces documents se trouvent sur son site internet. En ce qui concerne la littérature médicale, l'intimée soutient qu'elle devrait être connue de l'expert de la Commission.

[15] À l'audience, le procureur de l'intimée a indiqué que les documents transmis à la plaignante et à la Commission le 11 octobre 2006 remplaçaient les documents préalablement divulgués et constituaient, en fait, la base documentaire qui serait utilisée au soutien de sa preuve.

II. ANALYSE

[16] Lors de l'audition de la présente requête, le Tribunal a pu prendre connaissance des documents transmis par l'intimée à la Commission et à la plaignante le 11 octobre 2006. La documentation, qui est répartie en 6 cahiers boudinés, fait effectivement plus de 1500 pages. Plusieurs des documents transmis n'avaient fait l'objet d'aucune divulgation antérieure.

[17] Dans une instance donnée, la divulgation à la partie adverse des documents pertinents aux questions en litige qu'une partie a en sa possession et la production par une partie de la documentation qu'elle entend déposer au soutien de sa preuve sont deux choses fort différentes.

[18] La divulgation porte sur tout document qu'une partie a en sa possession et qu'elle estime être pertinent aux questions en litige. Les documents produits à l'audience par une partie pour étayer sa preuve constitueront, dans bien des cas, une sélection de documents pertinents parmi les documents déjà divulgués.

[19] En l'espèce, on ne saurait prétendre que le Tribunal a autorisé la divulgation de documents nouveaux moins de 10 jours avant le début de l'audience. La lecture de la transcription des notes sténographiques relatives aux auditions du 18 et du 21 septembre 2006 ne permet pas d'en arriver à une telle conclusion.

[20] Cela dit, dans le cadre d'une instance donnée, il faut non seulement éviter qu'une partie soit prise par surprise mais également il faut lui permettre de se préparer adéquatement. Cela vaut notamment pour les témoins experts qui ont à éclairer le Tribunal sur des aspects techniques qui sont hors de son champ de connaissance judiciaire.

[21] La transmission à une partie d'un volume important de documents n'ayant fait l'objet d'aucune divulgation antérieure quelques jours avant le début d'une audition est de nature à causer préjudice à la partie à qui ces documents sont transmis, en ce qu'elle peut l'empêcher de se préparer adéquatement et empêcher ses témoins experts de se préparer adéquatement.

[22] Parmi les documents transmis à la plaignante et à la Commission le 11 octobre 2006, deux séries de documents méritent une attention particulière, soit les documents se trouvant sur le site Internet de l'intimée et la littérature scientifique produite.

A. Les documents se trouvant sur un site Internet

[23] Le fait que des documents soient disponibles et accessibles sur le site Internet d'une partie, en l'espèce l'intimée, ne saurait être interprété comme une divulgation implicite de leur contenu à la partie adverse.

[24] Il incombe à une partie qui a des documents sur son site Internet non seulement de communiquer à la partie adverse quels documents elle considère pertinents aux questions en litige mais également d'en faire parvenir copie à cette partie.

[25] La somme de documents aujourd'hui disponibles sur plusieurs sites Internet est telle qu'on ne saurait astreindre une partie à rechercher sur le site Internet d'une autre partie quels sont les documents qui s'y trouvent qui pourraient être pertinents pour les questions en litige dans une instance qui la concerne. Cette tâche revient à la partie qui possède un tel site.

B. La littérature médicale

[26] Dans une instance donnée, il importe qu'un expert puisse prendre connaissance à l'avance de la documentation scientifique pertinente à laquelle une partie entend référer de manière à pouvoir éclairer adéquatement le Tribunal sur des questions techniques ou scientifiques. Assumer qu'un expert devrait connaître d'emblée cette documentation n'apparaît pas raisonnable.

[27] Ainsi, le fait que la littérature médicale soit aujourd'hui disponible sur Internet ne dispense pas une partie qui estime que certains articles scientifiques sont pertinents aux questions en litige et entend s'en servir au soutien de sa preuve de divulguer ces articles à la partie adverse le plus tôt possible.

[28] En l'espèce, il semble y avoir eu confusion ou méprise de la part de l'intimée entre la divulgation de documents pertinents aux questions en litige et la production des documents qu'elle entendait mettre en preuve. Ceci ne saurait être préjudiciable à la plaignante et à la Commission.

[29] Lors de l'audition de la requête, la plaignante a maintes fois réitéré qu'il lui fallait du temps pour prendre connaissance de la documentation transmise par l'intimée le 11 octobre 2006. Le Tribunal a fixé au 24 novembre le dépôt de la réplique de la plaignante et de la Commission à l'exposé de précisions de l'intimée.

[30] En l'espèce, le Tribunal considère que la plaignante et la Commission ont eu 6 semaines pour prendre connaissance de la documentation soumise par l'intimée. Certes, durant cette période, 9 jours ont été consacrés à l'audition de diverses requêtes et demandes.

[31] Cela dit, en date du 2 novembre 2006, la plaignante et la Commission bénéficiaient d'un peu plus de trois semaines pour prendre connaissance de la documentation soumise le 11 octobre 2006 par l'intimée et présenter une réplique, ce qui, dans les circonstances de l'espèce, constitue un délai qui ne saurait constituer un déni de justice.

III. CONCLUSION

[32] Le Tribunal conclut que la demande d'ajournement de la plaignante et de la Commission était, en l'espèce, pleinement justifiée, compte tenu de la teneur et de l'importance des nouveaux documents qui leur furent transmis le 11 octobre 2006.

[33] Avoir débuté l'audition de témoins le 23 octobre 2006 aurait, dans les circonstances, causé un préjudice sérieux tant à la plaignante qu'à la Commission, celles-ci devant bénéficier d'une période de temps suffisant pour prendre connaissance des nouveaux documents qui leur avaient été transmis par l'intimée le 11 octobre 2006 et se préparer en conséquence.

IV. DISPOSITIF

[34] Pour les motifs évoqués précédemment, le Tribunal accueille en partie la requête en ajournement présentée par la plaignante et la Commission et ordonne ce qui suit :

L'audition des témoins dans la présente instance est reportée au 4 décembre 2006, date à laquelle la plaignante débutera sa preuve;

L'intimée transmettra à la plaignante et à la Commission tout ajout aux rapports de ses experts le ou avant le 10 novembre 2006;

La Commission transmettra à la plaignante et à l'intimée tout ajout au rapport du Dr. Beltrami le ou avant le 21 novembre 2006, ainsi que toute documentation y afférente;

La Commission transmettra à l'intimée et à la plaignante, le ou avant le 21 novembre 2006 le résultat du test MMPI-2, en possession du Dr. Beltrami, y inclus le graphique et les réponses aux questions;

La plaignante et la Commission transmettront à l'intimée leur réplique à l'exposé de précisions de l'intimée le ou avant le 24 novembre 2006, ainsi que toute documentation y afférente.

Signée par
Pierre Deschamps

OTTAWA (Ontario)
Le 1er décembre 2006

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1047/2805

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Micheline Montreuil c. Les Forces canadiennes

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 23 au 27 octobre 2006
Les 30 octobre au 2 novembre 2006

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 1er décembre 2006

ONT COMPARU :

Micheline Montreuil

Pour elle-même

Ikram Warsame

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Guy Lamb / Pauline Leroux

Pour l'intimée

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