Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, chap. H-6

(version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE: Cynthia Floyd

la plaignante - et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission - et -

Commission de l'Emploi et de l'Immigration du Canada

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL TRIBUNAL: Perry W. Schulman, c.r. - président

ONT COMPARU: Margaret Rose Jamieson Avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Frederick Woyiwada Avocat de l'intimée

DATE ET LIEU 19 et 20 octobre 1992 DE L'AUDIENCE: Thunder Bay (Ontario)

TRADUCTION

La plaignante, Cynthia Floyd, a saisi la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) d'une plainte selon laquelle la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (l'intimée) aurait commis un acte discriminatoire le 9 juillet 1989 en refusant de lui fournir un service destiné au public et ce, en raison de son sexe, contrairement à l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (pièce HR- 2). J'ai été désigné pour entendre l'affaire, ce dont atteste la pièce T1. L'audience a eu lieu à Thunder Bay (Ontario), les 19 et 20 octobre 1992 et, à la fin de l'audience, j'ai réservé ma décision. Voici donc ma décision dans cette affaire.

Deux témoins ont été entendus à l'audience. L'avocate de la Commission a fait témoigner la plaignante, Cynthia Floyd. Pour sa part, l'avocat de l'intimée a appelé à la barre des témoins Guy Grenon, conseiller principal en politiques d'Emploi et Immigration Canada. Les faits de la présente affaire ne sont pas contestés, en sorte qu'il est inutile d'examiner en détail le témoignage de chacun des témoins.

La plaignante a travaillé au service de la Commission canadienne des grains, à Thunder Bay, à titre d'adjointe au trieur de grain. Elle est initialement entrée en fonction le 1er juin 1981. Le 6 janvier 1989, à l'instar d'autres employés, elle a été mise à pied en raison d'une réduction de la charge de travail. Le 9 janvier 1989, la plaignante a fait une demande de prestations d'assurance-chômage. Elle avait alors accumulé cinquante-deux semaines d'emploi assurables (pièce HR-5) et avait donc droit à des prestations pendant cinquante semaines. Le 26 janvier 1989, la plaignante a commencé à toucher des prestations d'assurance-chômage et, à peu près au même moment, elle a appris qu'elle était enceinte. Elle a alors jugé que son état ne modifiait en rien son droit à des prestations.

Vers le mois de mars, un collègue de travail lui a donné des renseignements qui l'ont incitée à informer l'intimée de sa grossesse. Lorsqu'elle a porté sa grossesse à la connaissance de l'intimée, on lui a dit qu'elle toucherait des prestations pendant au plus vingt-cinq semaines, soit dix semaines de prestations ordinaires d'assurance-chômage et quinze semaines de prestations de maternité. On lui a également dit qu'elle avait la possibilité de recevoir plutôt des prestations ordinaires d'assurance- chômage jusqu'à la naissance de l'enfant, à l'exclusion de toute prestation de maternité. Comme elle avait le choix, la plaignante a opté pour les prestations ordinaires. Le 18 avril 1989, elle a remis à l'intimée un certificat de maternité délivré par son médecin et selon lequel l'accouchement devait avoir lieu le 31 juillet 1989 (pièce HR-13). Le 9 juillet 1989, la plaignante a accouché par césarienne. Le lendemain, lorsqu'elle a informé l'intimée de son accouchement, on lui a dit qu'elle aurait droit à une seule semaine de prestations de maternité. Le 13 juillet, elle a reçu un avis lui enjoignant de se présenter le 20 juillet (pièce HR-15). Après le 16 juillet, l'intimée n'a plus versé de

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prestations à la plaignante. Celle-ci a obtenu de son employeur qu'il lui permette d'utiliser les congés de maladie qu'elle avait accumulés et ce, pour la période allant du 17 juillet au 18 août 1989 (pièce HR-17). La plaignante a remis à l'intimée un certificat de maternité établissant qu'elle était désormais apte à reprendre le travail (pièce HR-18). L'intimée lui a versé deux semaines de prestations ordinaires, soit du 16 août au 4 septembre. La plaignante a été rappelée au travail le 5 septembre, mais elle a décidé de rester à la maison, sans salaire, jusqu'au 9 janvier 1990. Par conséquent, même si la plaignante avait des motifs de croire, le jour où elle a été mise à pied, qu'elle avait droit à des prestations pendant cinquante semaines, advenant que la mise à pied dure aussi longtemps, elle a été sans travail pendant trente-cinq semaines, soit jusqu'à son rappel, et n'a touché des prestations ordinaires que pendant vingt-sept semaines en plus d'une semaine de prestations de maternité. La réparation demandée par la plaignante correspond essentiellement aux prestations de maternité qu'elle escomptait recevoir mais qui ne lui ont pas été versées. La plaignante demande également à être indemnisée pour les cinq semaines de congé de maladie dont elle a dû, par conséquent, se prévaloir.

Voici les questions que soulève la plainte.

Premièrement, l'intimée a-t-elle commis un acte discriminatoire? Le versement de prestations d'assurance-chômage constitue-t-il un service destiné au public et, le cas échéant, peut-on conclure que l'intimée, en ne versant pas à la plaignante les prestations auxquelles elle estimait avoir droit, a) a privé la plaignante d'un tel service ou b) l'a défavorisée à l'occasion de la fourniture de celui-ci, en raison de son sexe. L'avocat de l'intimée a admis, dans sa plaidoirie, que le versement de prestations d'assurance-chômage constituait un service destiné au public. Je dois donc déterminer si l'intimée a commis ou non un acte discriminatoire relativement à la fourniture de ce service. Deuxièmement, si j'en arrive à la conclusion qu'un acte discriminatoire a été commis, je dois déterminer si l'intimée a établi, selon la prépondérance des probabilités, que la pratique incriminée était justifiée. Si je rends une décision défavorable à l'intimée à cet égard, je dois me prononcer sur la réparation qu'il convient d'accorder, le cas échéant, en application de l'article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La preuve révèle, et les avocat des deux parties conviennent, que le personnel de l'intimée a toujours fait preuve de bonne foi envers la plaignante. La plainte vise plutôt l'incidence des dispositions de la loi

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sur la plaignante. Les fonctionnaires en cause n'ont fait qu'appliquer à la lettre les dispositions alors en vigueur.

Depuis que les événements en cause se sont produits, la Loi sur l'assurance-chômage a été modifiée afin d'éviter que d'autres personnes se trouvant dans la même situation que la plaignante ne se voient infliger le même préjudice. Toutefois, les modifications législatives sont entrées en vigueur trop tardivement pour que la plaignante puisse en bénéficier.

Le texte de la loi visée par la plainte figure à l'onglet quatre du dossier de jurisprudence et de doctrine produit par l'avocate de la Commission. Les dispositions qui, selon cette dernière, seraient à l'origine de l'acte discriminatoire sont les articles 11, 18 et 23, dont voici le libellé:

"11. (1) Lorsqu'une période de prestations a été établie au profit d'un prestataire, des prestations initiales peuvent, sous réserve du paragraphe (2), lui être versées pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période.

(2) Le nombre maximal de semaines pour lesquelles des prestations initiales peuvent être versées au cours d'une période de prestations est le nombre de semaines où le prestataire a occupé un emploi assurable au cours de sa période de référence ou vingt-cinq, le nombre le moins élevé étant retenu.

(3) Nonobstant le paragraphe (2), est de quinze le nombre maximal de semaines pour lesquelles des prestations initiales peuvent être versées à un prestataire:

a) soit au cours de toute période de prestations pour une ou plusieurs des raisons suivantes, à savoir maladie, blessure ou mise en quarantaine prévue par les règlements, grossesse, placement de un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption, décès ou incapacité de la mère d'un enfant, décès ou incapacité d'une personne auprès de laquelle un ou plusieurs enfants ont été placés en vue de leur adoption: b) soit relativement à une seule grossesse ou à un seul placement d'un ou plusieurs enfants en vue de leur adoption."

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"18.(1) Nonobstant l'article 14 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations initiales sont payables à une prestataire de la première catégorie qui fait la preuve de sa grossesse.

(2) Sous réserve du paragraphe 11(3), les prestations initiales prévues au présent article sont payables à une prestataire de la première catégorie pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui, en retenant la première en date des semaines en question:

a) commence: (i) soit huit semaines avant la semaine présumée de son accouchement, (ii) soit avec la semaine de son accouchement; b) se termine: (i) soit avec la semaine qui précède immédiatement la

première semaine où les prestations sont demandées et payables en vertu d'une autre disposition de la présente partie, (ii) soit dix-sept semaines après la dernière des deux semaines suivantes: (A) la semaine présumée de son accouchement,

(B) la semaine de son accouchement."

"23. Nonobstant l'alinéa 14b) et les articles 18, 20, 20.1 et 20.2, un prestataire n'est pas admissible au versement des prestations complémentaires pour tout jour ouvrable pour lequel il ne prouve pas qu'il était capable de travailler et disponible

à cette fin et incapable d'obtenir un emploi convenable."

Dans son témoignage, M. Grenon a fait un historique à la fois intéressant et utile de l'établissement au Canada du programme d'assurance- chômage. Les avocats des parties en cause ont complété ce témoignage en produisant des extraits de diverses publications et lois, ainsi que de décisions judiciaires, qui faisaient état de l'historique de la loi.

L'avocate de la Commission plaide ce qui suit à les pages 213 et 219 de la transcription:

[TRADUCTION]

Ensemble, les articles 11, 18 et 23, même s'ils confèrent théoriquement à la plaignante le droit de bénéficier d'un congé de maternité de quinze semaines, limitaient le

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bénéfice de ce congé à ce qui était appelé la période de prestations initiales ou la phase un.

En raison de l'article 23, la prestataire enceinte ne pouvait toucher de prestations d'assurance-chômage pendant la période de prolongation, laquelle suit la période de prestations initiales, à partir de la vingt-sixième semaine, si elle n'était pas capable de travailler et disponible à cette fin. (...) Ces dispositions englobent-elles, autorisent-elles ou prévoient- elles un acte discriminatoire en limitant le versement de prestations de maternité à la période de prestations initiales (ou phase un) de vingt-cinq semaines? Même dans le cas de Cynthia Floyd, qui avait droit à cinquante-deux semaines de prestations, on a refusé de verser en totalité les quinze semaines de prestations de maternité après les premières vingt- cinq semaines.

Pour trancher la question, je dois tout d'abord déterminer à quel groupe appartient la plaignante et avec quel groupe la comparaison doit être établie avant de conclure que la plaignante a ou non été traitée différemment ou de manière discriminatoire. A cet égard, l'avocate de la Commission a fait valoir que le groupe auquel Cynthia Floyd appartient est celui des femmes enceintes qui ont droit à des prestations d'assurance-chômage (p. 219 de la transcription). Elle a également fait valoir que les autres intéressés, à savoir le groupe de référence aux fins de la présente espèce, étaient ceux qui cotisent au régime d'assurance- chômage (p. 221).

Pour sa part, l'avocat de l'intimée a prétendu que la comparaison devait être établie entre les prestataires qui touchent des prestations de maternité et ceux auxquels sont versées d'autres prestations spéciales (p. 283 de la transcription).

Je suis d'avis que la comparaison doit être établie entre les travailleuses qui sont mises à pied, qui optent pour des prestations ordinaires et reçoivent de telles prestations jusqu'à la naissance de leur enfant et qui apprennent qu'elles sont enceintes après leur mise à pied, d'une part et l'ensemble des travailleurs qui cotisent au régime d'assurance-chômage, d'autre part.

Je dois ensuite déterminer si les dispositions législatives applicables régissent différemment les deux groupes et, le cas échéant, si

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le groupe auquel la plaignante appartient a été traité de manière discriminatoire.

Après un examen attentif des éléments de preuve produits ainsi que de la jurisprudence, de la doctrine et des documents portés à mon attention, j'en arrive à la conclusion que la loi en cause prévoyait un traitement différent pour le groupe dont la plaignante faisait partie, par comparaison avec le groupe de référence, que cette différence est importante et que les conséquences pour la plaignante équivalent à un acte discriminatoire au sens de l'alinéa 5b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

En somme, je suis saisi d'une affaire où la plaignante a manifestement touché moins de prestations d'assurance-chômage, entre janvier et septembre 1989, que ses collègues également mis à pied. Ce fait est imputable à sa grossesse, même si elle ignorait son état au début de la période de mise à pied. Vu la différence de traitement entre la plaignante et ses collègues, la situation semble inéquitable et, à moins que celle-ci ne soit justifiée par des éléments de preuve convaincants, je puis conclure, du moins dans les circonstances, que la plaignante a fait l'objet du traitement que la Cour suprême du Canada a condamné dans Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219. Pour tirer cette conclusion, je tiens tout particulièrement compte des facteurs suivants.

  1. Les membres du groupe de référence avaient droit à des prestations ordinaires du 6 janvier au 4 septembre 1992, sous réserve du délai de carence. La plaignante s'est vu refuser le versement de prestations pendant huit semaines au cours de cette période. Si la plaignante avait habité une région éloignée où son employeur était le seul employeur possible, l'article 23 l'aurait empêchée de toucher des prestations d'assurance-chômage à cause de sa grossesse même si aucun emploi n'avait été disponible pendant cette période.
  2. En raison de l'application des articles 11, 18 et 23, la plaignante a eu droit à une seule semaine de prestations de maternité au lieu des quinze semaines qu'elle aurait touchées si elle était tombée enceinte lorsqu'elle travaillait à temps plein. Au sein du groupe de référence, les femmes reçoivent quinze semaines de prestations lorsqu'elles tombent enceintes dans l'exercice habituel de leurs fonctions.
  3. Entre 1971, où les premières dispositions prévoyant des prestations de maternité ont été adoptées, et l'année 1983, la garantie offerte comportait trois restrictions, soit la règle des dix semaines, l'article 46 de la Loi et la règle des quinze premières semaines, lesquelles distinguaient les prestations de maternité des autres prestations spéciales à un point tel que l'avocat de l'intimée a plus ou moins concédé, en plaidoirie, que les dispositions avaient des effets discriminatoires.
  4. Les prestations en cause dans la présente espèce revêtent une grande importance au plan social. Elles visent à reconnaître la présence actuelle d'un pourcentage élevé de femmes sur le marché du travail et à répartir plus équitablement le lourd fardeau financier que représente le fait d'avoir un enfant.
  5. Aux termes de l'article 2, l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne est de compléter la législation canadienne, y compris la Loi sur l'assurance-chômage, en donnant effet au principe voulant que tous les individus aient droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendamment des considérations fondées sur le sexe.

Les tribunaux ont maintes fois reconnu la vocation réparatrice de la Loi.

Pour conclure à l'existence d'un acte discriminatoire en l'espèce, je fais une distinction avec la décision du juge Jerome, j.c.a., en qualité de juge-arbitre, rendue en application de la Loi sur l'assurance-chômage, dans l'affaire Donna Irving relative à une demande de prestations (18 mars 1991, C.U.B. 19483). Dans cette affaire, Mme Irving avait touché quinze semaines de prestations de maternité et avait ensuite, au cours de la même année, tenté d'obtenir à titre complémentaire des prestations de maladie, mais en avait été empêchée par la limite de quinze semaines prévue au paragraphe 11(3) de la Loi sur l'assurance-chômage avant l'adoption du paragraphe 11(5) qui a porté cette durée maximale à trente semaines. Dans la présente affaire, Mme Floyd réclame les prestations de maternité qui lui ont été refusées sur le fondement des articles 11, 18 et 23, ce qui est différent.

Deuxièmement, dans l'affaire Irving, le juge-arbitre a statué en fonction de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (Loi constitutionnelle de 1982). Bien que l'article 15 de la Charte et l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne promeuvent tous deux l'égalité, les décisions rendues en application de la Charte ne s'appliquent pas nécessairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne, vu que l'objet et le champ d'application des deux articles ne sont pas identiques.

L'intimée a-t-elle établi, selon la prépondérance des probabilités, que l'acte discriminatoire était justifié au sens de l'alinéa 15g) de la Loi canadienne sur les droits de la personne? Il existe une jurisprudence

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abondante sur le sens de l'expression exigence professionnelle justifiée employée à l'alinéa 15a). La Cour suprême du Canada a en effet mis au point, aux fins de l'application de cette disposition, un critère à deux volets que l'employeur doit respecter pour établir qu'une restriction donnée découle d'une exigence professionnelle justifiée. Ce critère comporte un élément subjectif et un élément objectif. Suivant l'élément subjectif, l'employeur doit prouver qu'il croyait honnêtement que la restriction servait au mieux l'exécution adéquate du travail. En ce qui concerne l'élément objectif, l'employeur doit établir que la restriction était raisonnablement nécessaire à l'exécution efficace et économique du travail. En outre, en matière de discrimination indirecte, il existe un courant jurisprudentiel selon lequel lorsque l'employeur refuse une adaptation raisonnable aux besoins de l'employé, alors que cette adaptation ne lui infligerait pas une contrainte excessive, la pratique n'est pas justifiée.

Il ressort de la jurisprudence que le critère applicable aux fins de l'alinéa 15g) est semblable à celui qui s'applique à l'égard de l'alinéa 15a). Il est souvent difficile, toutefois, d'emprunter un critère qui a été soigneusement conçu par les tribunaux dans des affaires relatives à l'emploi et de l'appliquer dans une affaire de refus de fournir un service ou de discrimination à l'occasion de la fourniture d'un service. Suivant le critère subjectif, l'intimée devrait prouver qu'elle croyait honnêtement que le refus de verser les prestations servait au mieux la saine gestion du programme d'assurance-chômage et, à cet égard, l'avocate de la Commission a concédé que cette condition avait été remplie. En ce qui a trait au critère objectif, l'intimée devrait établir que le refus de fournir le service était raisonnablement nécessaire pour assurer la mise en oeuvre efficace et économique du programme d'assurance-chômage. Je suis d'avis que l'intimée est tenue à une grande diligence en la matière, vu l'importance du droit qui, à première vue, a été violé. L'avocat de l'intimée a formulé une argumentation en quatre points relativement à cet aspect de la question. Il a fait mention de l'objectif de la loi qui, selon lui, était de reconnaître le rôle de plus en plus important des femmes au sein de la main-d'oeuvre et de la nécessité de prévoir des dispositions spéciales à l'égard des femmes enceintes. Il a soutenu qu'il était raisonnablement nécessaire de le faire comme on l'avait fait afin de ne pas porter atteinte à l'objectif global de la loi, que l'on avait dû éviter d'exercer une discrimination contre l'ensemble des autres prestataires éventuels qui n'étaient pas des femmes enceintes et que l'on avait dû tenir compte de la volonté du législateur d'utiliser à bon escient les fonds publics. Il m'a invité à conclure, à partir des éléments de

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preuve produits, en particulier la pièce R-2, onglet 10, que le coût de fourniture du service aurait été substantiel. Voici quelle a été sa conclusion.

[TRADUCTION]

J'insiste essentiellement sur les quatre points mentionnés précédemment, à savoir que cela était inutile pour reconnaître le rôle croissant des femmes au sein de la main- d'oeuvre, que l'on ne pouvait agir autrement sans aller à l'encontre de l'objectif global de la loi, qu'il fallait éviter d'exercer une discrimination contre tous les autres prestataires qui n'étaient pas des femmes enceintes et que la mesure souhaitée mettait en jeu une somme considérable.

Son argumentation à cet égard figure aux pages 306 à 314 de la transcription. Après examen des éléments de preuve portés à mon attention par l'avocat de l'intimée, je dois dire qu'ils m'apparaissent quelque peu impressionnistes et dénués de la rigueur et de la clarté qui caractérisaient la preuve offerte à l'appui du programme d'assurance considéré dans Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321. Je me permets de signaler que les parties ont reconnu que des modifications législatives avaient remédié à la situation depuis les événements qui sont à l'origine de la présente affaire. Pourtant, aucun motif n'a été avancé afin d'expliquer pourquoi la situation n'aurait pu être corrigée auparavant au bénéfice de la plaignante par voie de modification législative au même effet. Comme dans l'affaire Association canadienne des paraplégiques c. Commission canadienne des droits de la personne (17 février 1992), je juge opportun de tenir compte de l'évolution ultérieure pour déterminer si l'intimée a établi ou non que l'acte discriminatoire commis à l'occasion de la fourniture d'un service découlait d'une exigence professionnelle justifiée.

Pour les motifs susmentionnés, j'en arrive à la conclusion que l'intimée a commis l'acte discriminatoire reproché et qu'elle n'a pas prouvé que celui-ci était justifié. Je dois donc, dès lors, déterminer à quelle réparation la plaignante a droit. Voici, en quatre points, quelle est ma décision à cet égard.

1. JUGEMENT DÉCLARATOIRE

Tel que mentionné précédemment, la loi incriminée a été modifiée et le préjudice infligé à la plaignante a été supprimé par voie législative au profit des autres personnes dans la même situation. Statuer que la loi est invalide n'aurait aucun sens. Néanmoins, je conclus que les articles 11, 18 et 23 de la Loi sur

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l'assurance-chômage ont fait en sorte qu'un acte discriminatoire soit commis pendant la période visée par la plainte.

2. DOMMAGES-INTÉRETS

Je conclus que l'acte discriminatoire a privé la plaignante de douze semaines de prestations. J'en arrive à ce chiffre en retranchant les deux semaines de prestations ordinaires versées entre le 16 août et le 4 septembre 1989 des quatorze semaines de prestations de maternité. L'avocate de la Commission m'a demandé par ailleurs de majorer les dommages-intérêts en tenant compte des cinq semaines de congé de maladie dont la plaignante a dû se prévaloir. L'avocat de l'intimée a cependant fait valoir que la plaignante serait alors doublement indemnisée, et je suis de son avis.

Le principe qui interdit, en matière délictuelle, de dédommager le demandeur d'une perte de salaire lorsqu'une telle mesure entraînerait une double indemnisation, a récemment été examiné par la Cour suprême du Canada dans Ratych c. Bloomer, [1990] 1 R.C.S. 940. Voici ce que dit le juge McLachlin à la page 972:

Je conviens que, si un employé peut prouver qu'il a subi une perte en échange du salaire reçu pendant la durée de son incapacité de travailler, il devrait être dédommagé de cette perte. C'est donc à très juste titre que la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, dans l'affaire Lavigne v. Doucet, a accordé des dommages-intérêts pour la perte de crédits de congé de maladie accumulés. Je reconnais en outre que, si un employé peut établir qu'il a payé directement une police d'assurance contre le chômage équivalant à une assurance privée, il se peut qu'il puisse récupérer les prestations versées en vertu de cette police, quoique je sois d'avis d'attendre un autre litige pour régler cette question.

En outre, dans l'article intitulé A Purposeful Uniform Collateral Benefits Rule, (1992) 3 C.I.L.R. 1-3661, à la page 11, l'auteur dit ce qui suit après avoir cité cet extrait de Ratych c. Bloomer:

[TRADUCTION]

Il importe de signaler le principe voulant que le demandeur doive subir une perte réelle. Il ne s'ensuit pas que la perte réelle subie correspond tout simplement à la valeur financière apparente des congés de maladie perdus. Il faut examiner les faits et s'enquérir des modalités du régime dont bénéficie le demandeur au chapitre des congés de maladie.

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Vu les éléments de preuve présentés et les extraits de jurisprudence et de doctrine qui précèdent, je conclus que la plaignante a subi une perte réelle pendant les cinq semaines en question, que la plaignante est indemnisée à cet égard par l'octroi susmentionné de douze semaines de prestations, que de lui accorder une compensation à ce chapitre contreviendrait au principe établi dans Ratych c. Bloomer, un arrêt qui, selon moi, s'applique à l'examen de toute demande présentée en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

3. DOMMAGES-INTÉRETS GÉNÉRAUX

Je fixe à 500 $ l'indemnité à laquelle la plaignante a droit pour le préjudice moral que lui a infligé l'acte discriminatoire.

4. INTÉRETS

La plaignante a droit à des intérêts simples sur la somme accordée au paragraphe 2, au taux préférentiel de la Banque du Canada applicable au moment du dépôt de la plainte, depuis ce dépôt jusqu'à la date de la présente décision.

Je me réserve le droit de reprendre l'audition de la présente affaire à la demande de l'une ou l'autre des parties advenant que celles-ci n'arrivent pas à s'entendre sur le montant des sommes accordées.

Je tiens à remercier les avocats de chacune des parties pour les observations utiles, rigoureuses et réfléchies qu'ils ont formulées. L'attitude réaliste adoptée par chacun d'eux quant à leurs positions respectives a permis de réduire considérablement la durée de l'audience.

Le 29 décembre 1992

Perry W. Schulman

Note de la traduction

A la page 9, 4e et 5e lignes, nous avons considéré qu'il y avait répétition et nous avons traduit par : qui cotisent au régime d'assurance-chômage.

A la page 13, 7e ligne à partir du bas de la page, denial and benefit devrait probablement être remplacé par denial of benefit.

A la page 14, le texte de l'extrait cité semble quelque peu confus. Nous nous sommes donc fondés sur les lignes précédentes.

Claire Vallée, juriste-traductrice

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