Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 11/93 Décision rendue le 16 juin 1993

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE :

KEN GANNON

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE (CP RAIL)

l'intimé

TRIBUNAL : Alfred G. Lynch-Staunton Gulzar Shivji Donald Allin Souch

DÉCISION DU TRIBUNAL

ONT COMPARU : Robert Lee, avocat de la Commission canadienne des droits de la personne Forest Hume et Michael MacLearn, avocats de l'intimée

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE : Du 3 au 7 juin, 16 au 19 septembre et 9 au 12 décembre 1991, et du 3 au 7 février 1992 Vancouver (C.-B.)

DÉCISION MAJORITAIRE RENDUE PAR : Donald Allin Souch (Gulzar Shivji y a souscrit)

OPINION DISSIDENTE DE : Alfred G. Lynch-Staunton

TRADUCTION

Le plaignant, Kenneth Gannon, allègue que l'intimé, le Canadien Pacifique Limitée (CP Rail), a agi de façon discriminatoire à son endroit à l'encontre des alinéas 7a) et b) et de l'article 13.1 (devenu l'article 14) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Le plaignant prétend que cette discrimination se fonde sur sa race, la couleur de sa peau et sa situation de famille. Le plaignant a initialement déposé une plainte le 6 août 1985 et, le 27 août de la même année, il déposait une plainte modifiée, dans laquelle il allègue que les actes discriminatoires ont débuté en mars 1979 et se sont poursuivis jusqu'au 19 août 1985, date à laquelle l'intimé a licencié le plaignant. Voici les détails révélés par le plaignant dans sa plainte modifiée :

[Traduction]

J'ai de bonnes raisons de croire que le Canadien Pacifique Limitée (CP Rail) a agi de façon discriminatoire à mon endroit, dans la mesure où, à son emploi, j'ai été défavorisé et j'ai été victime de harcèlement, avant d'être renvoyé en raison de ma race, de la couleur de ma peau et de ma situation de famille, à l'encontre des alinéas 7a) et 7b) et de l'article 13.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

J'ai été privé à maintes reprises de l'occasion d'occuper des postes temporaires vacants pour lesquels j'étais qualifié. Je comptais davantage d'années de service que les candidats choisis et, aux termes de nos conventions collectives, j'aurais dû avoir préséance sur eux. En janvier 1985, par exemple, on ne m'a pas donné la chance de combler un poste de plombier de relève, malgré que je comptais plus d'années de service que le candidat choisi, qui était de race blanche et qui était le frère d'un autre plombier. Je crois aussi que l'on m'a privé d'occasions de faire du temps supplémentaire et que l'on m'a soumis à des mesures disciplinaires plus rigoureuses que les autres employés.

De plus, je me suis fait traiter de nègre à maintes reprises par des collègues et un superviseur. Bien que j'aie informé la direction de cette situation le 14 janvier 1985, aucune mesure ne fut prise pour y mettre fin. J'ai déposé une plainte pour discrimination auprès de la police du CP le 29 mai 1985 ainsi que pour voies de fait le 15 mars 1985, mais rien ne fut fait. Dans l'intervalle, je fus accusé d'insubordination et suspendu le 29 mai 1985. Je suis retourné au travail le 21 juin 1985 mais je fus de nouveau suspendu pour insubordination le 15 juillet 1985. Le 19 août 1985, j'ai reçu une lettre m'avisant de mon licenciement.

Dans la déposition qu'il a faite à l'audience, le plaignant s'est étendu sur les motifs de sa plainte en relatant d'autres incidents qui étayaient sa prétention selon laquelle il avait été victime de discrimination à l'encontre des dispositions de la LCDP.

Les types d'actes discriminatoires mentionnés par le plaignant peuvent être classés selon les catégories générales suivantes :

  1. harcèlement racial;
  2. 2

  3. administration de mesures disciplinaires plus rigoureuses du fait de la race, de la couleur de la peau et de la situation de famille du plaignant;
  4. cessation d'emploi décrétée en raison de la race, de la couleur de la peau ou de la situation de famille;
  5. perte d'occasions d'emploi liée à la race, à la couleur de la peau ou à la situation de famille (y compris des occasions d'obtenir des promotions ou une affectation, de faire du travail de relève et de faire du temps supplémentaire).

L'audience relative à cette plainte a duré environ quatre semaines. Le tribunal a entendu les dépositions de 27 témoins, dont deux témoins experts. Un grand nombre de pièces ont été déposées. Une large part des éléments de preuve présentés étaient contradictoires et incohérents. Certains des témoins ont paru évasifs et d'une franchise parfois douteuse. Le fait que six années se sont écoulées entre la date où M. Gannon a déposé sa plainte et le début de l'audience a compliqué la tâche à certains témoins qui tentaient de se souvenir de dates, de lieux et d'événements. Les dépositions faites par la plupart des témoins, y compris le plaignant, ont dû être évaluées avec soin. Les avocats ont convenu entre eux que la crédibilité des témoins était le facteur déterminant dans la présente affaire.

Les membres du tribunal n'en sont pas tous venus aux mêmes conclusions quant à la décision à rendre. Deux d'entre eux ont adopté une position identique, tandis que le président a des vues divergentes et rendra sa décision séparément. On trouvera dans les lignes qui suivent la décision majoritaire rendue par le tribunal eu égard à la présente plainte.

LE CONTEXTE

Lorsque l'audience débuta en juin 1991, le plaignant était âgé de 48 ans. Il est né à Africville (Nouvelle-Écosse), un village à l'extérieur de Halifax qui, selon les dires du plaignant, est surtout habité par des Noirs. Le plaignant a trois frères et trois soeurs, qui ont la peau plus foncée que lui. Le plaignant est marié et a un fils âgé d'environ 25 ans. Il affirme avoir à la fois des ancêtres de l'Inde, de race noire et de race blanche.

Le plaignant a commencé à travailler pour le compte de l'intimé, le CP Rail, à titre de commis à la buanderie, en 1966, à Montréal. En 1977, il a été muté à Edmonton puis, l'année suivante, à Vancouver. Selon le dossier d'emploi du plaignant déposé comme pièce justificative pendant les procédures, le plaignant a commencé à accumuler de l'ancienneté à titre d'agent d'entretien des ponts à compter du 21 mars 1978. En janvier 1979, le plaignant a commencé à travailler comme peintre à la division des Ponts et bâtiments du CP Rail et a conservé ce poste jusqu'à aujourd'hui, sauf de septembre 1981 à juin 1984, période pendant laquelle il a occupé un poste de contremaître, Peinture.

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La fonction de la division des Ponts et bâtiments (désignée par l'appellation [TRADUCTION] service ou division B & B pendant l'audience), consiste principalement à entretenir les ponts, les bâtiments, les conduits souterrains et les autres structures du CP Rail. Plusieurs classes d'emplois sont associées à cette division et les employés appartenant à certaines d'entre elles gagnent plus que d'autres. En règle générale, les plombiers et les menuisiers gagnent davantage que les opérateurs de machines, les peintres ou agents d'entretien des ponts. Ceux-ci occupent le poste de dernière catégorie au sein de la division B & B, du moins au plan salarial. Le nombre d'employés de la division travaillant aux ateliers de Vancouver et de Port Coquitlam, où le plaignant travaillait, a probablement toujours été inférieur à vingt et un. L'avocat de l'intimé estime qu'il varie de douze à quatorze.

En ce qui a trait aux relations d'organisation de la division B & B, mentionnons qu'il y a un contremaître dont relèvent tous les employés de la division. Il y a également des contremaîtres spécialisés, tels que le contremaître, Plomberie ou le contremaître, Peinture, qui sont respectivement responsables des plombiers et des peintres. Le contremaître de division relève du maître divisionnaire, qui relève lui-même de l'ingénieur divisionnaire. Pendant la période où le plaignant prétend avoir subi de la discrimination, l'ingénieur divisionnaire relevait du surintendant délégué, dont le supérieur était le surintendant divisionnaire. Le surintendant divisionnaire relève directement du directeur général.

HARCELEMENT RACIAL

Dans sa déposition, le plaignant allègue ne pas avoir subi de discrimination alors qu'il travaillait à Montréal ou à Edmonton. Il affirme que ses problèmes ont commencé environ une semaine après qu'il se soit joint à la division B & B à Vancouver. Il a déclaré que son contremaître, Dave Rogal, avait fouillé dans son casier personnel et que, lorsqu'il le lui avait mentionné, celui-ci lui avait répondu :

[TRADUCTION]

«Je peux faire ce que je veux», avant d'ajouter, selon le plaignant, au fait, Gannon, je ne savais pas que tu étais un nègre. Le plaignant a dit qu'il avait présumé que Rogal en était arrivé à cette conclusion après avoir vu des photos de certains de ses cousins et de l'une de ses soeurs dans un album, et remarqué que ceux-ci avait la peau plus foncée que lui. Il importe de noter que, sur le plan de l'apparence, bien qu'il soit évident que monsieur Gannon n'est pas complètement de race blanche, il ne possède pas, en revanche, toutes les caractéristiques habituellement associées aux gens de race noire. Comme l'a mentionné le Dr Graham Johnson lors de son témoignage, [TRADUCTION] au premier coup d'oeil, les caractéristiques physiques de M. Gannon ne permettent pas de conclure qu'il est de race noire. Quoi qu'il en soit, M. Gannon est en partie de race noire et était perçu comme tel par la plupart sinon la totalité des employés de la division B & B. Il était d'ailleurs le seul employé de la division qui n'était pas de race blanche aux ateliers de Vancouver et de Port Coquitlam entre 1978 et 1985.

Lors de son témoignage, M. Gannon a déclaré qu'environ une semaine après sa prise de bec avec Rogal, il a communiqué à ce sujet avec le maître

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de la division B & B, Morris Zakaluk. Selon ses dires, M. Zakaluk aurait déclaré qu'il s'occuperait de l'affaire, mais n'en fit rien.

Lors de son témoignage, le plaignant a déclaré que son contremaître Dave Rogal était un raciste et entretenait un climat raciste à la division B & & où il travaillait. Toujours selon le plaignant, M. Rogal lui adressait directement des commentaires à connotation raciale ou émettait ces commentaires en présence d'autres employés de la division B & B. Il aurait notamment dit :

[TRADUCTION]

«Nous avons fait une erreur en engageant ce nègre» et Qu'est-ce que ce nègre connaît à la peinture? Le plaignant a aussi affirmé que M. Rogal a commencé à l'appeler Jackson avant de lui demander :

[TRADUCTION] "Tous les nègres ne s'appellent-ils pas Jackson?"

Bien qu'il n'en ait pas fait mention dans sa plainte, le plaignant a déclaré, lors de son témoignage, qu'un jour M. Rogal avait pointé un balai dans sa direction et lui avait dit :

[TRADUCTION]

"Regarde Gannon, regarde comme il est facile de se débarrasser d'un nègre". Le plaignant a également prétendu qu'en une autre occasion, Rogal a pointé un fusil dans sa direction et a appuyé sur la gâchette alors que trois ou quatre personnes assistaient à la scène et riaient. M. Rogal a nié avoir pointé un balai ou un fusil en direction de M. Gannon. Aucun des collègues de M. Gannon n'a corroboré ses affirmations à ce sujet, à l'exception d'un ancien employé, David Sarty, qui est présentement engagé dans un conflit avec l'intimé. Comme il est évident que M. Sarty en veut à l'intimé et ne lui fait pas confiance, et comme il a refusé de répondre à des questions en contre-interrogatoire, le tribunal est enclin a accueillir sa déposition avec une certaine prudence.

Comme élément de preuve directe, le plaignant a déclaré qu'il avait été la cible d'insultes à connotation raciale proférées par deux autres employés, Gil Baldry, un menuisier, et Gregory Craig, qui était le contremaître de M. Gannon pendant une partie de la période visée par la plainte de ce dernier. En ce qui concerne M. Baldry, M. Gannon a affirmé qu'il lui avait demandé [TRADUCTION] de la peinture de couleur brun nègre. En ce qui a trait à Greg Craig, lorsqu'il a présenté sa preuve directe, le plaignant a déclaré qu'en mars 1985, Greg Craig l'avait traité de nègre et poussé au bas de quelques marches dans un refroidisseur d'eau à la suite d'une dispute. Le plaignant a aussi affirmé qu'en mai 1985, Greg Craig l'avait provoqué lorsqu'il avait dit :

[TRADUCTION]

«Comment se porte mon nègre préféré aujourd'hui?». Greg Craig a nié ces deux accusations.

L'affirmation du plaignant selon laquelle M. Baldry lui avait demandé de la peinture de couleur brun nègre a été confirmée par M. Baldry lui- même, qui a expliqué que les mots de couleur brun nègre servaient à décrire une couleur de peinture particulière, et qu'il n'avait pas de mauvaises intentions ni d'arrière-pensées lorsqu'il les a utilisés; ces mots sont d'emploi courant en Angleterre où il vivait autrefois. En ce qui a trait à cette explication, nous jugeons que l'utilisation de ces mots dénote un grand manque de sensibilité et de considération de sa part, compte tenu des insultes à connotation raciale qui, d'après nos conclusions, ont été proférées à l'endroit du plaignant à son lieu de

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travail. Il aurait dû être évident que ces mots choqueraient M. Gannon, entraîneraient des frictions et l'inciteraient peut-être à répliquer.

Pendant son contre-interrogatoire, M. Gannon a donné une portée plus étendue à sa plainte et accusé pratiquement tous ses collègues de la division B & B de l'avoir insulté à un moment ou un autre au sujet de sa race.

La preuve démontre clairement que des insultes à connotation raciale ont été proférées à l'endroit de M. Gannon par ses contremaîtres et collègues de travail. Les éléments de preuve en ce sens ont été présentés non seulement par le plaignant lui-même mais aussi par bon nombre des témoins de l'intimé. Ray Rollin, un contremaître, Plomberie, a admis avoir traité le plaignant de nègre et a déclaré avoir entendu d'autres employés utiliser le même terme pour le désigner. Lors de son témoignage, Gil Baldry a déclaré qu'il avait entendu Dave Rogal et Bob Wallace, un autre employé, utiliser le mot nègre en parlant de M. Gannon. M. Wallace a aussi déclaré qu'il utilisait ce mot pour désigner le plaignant. Chris Campbell, un autre employé, a déclaré que d'autres collègues de M. Gannon le désignaient également par ce mot, et Greg Craig a admis que le mot nègre et le nom Jackson servaient à désigner le plaignant. Dave Rogal a reconnu qu'il avait appelé le plaignant Jackson et Ken Kirkpatrick, encore un autre employé, a déclaré que Dave Rogal avait traité le plaignant de nègre.

Bien qu'il ait reconnu que le plaignant s'était fait traiter de nègre et appeler Jackson à son travail, l'avocat de l'intimé a soutenu que ces injures à connotation raciale ne pouvaient être associées à du harcèlement au sens où l'entend la Loi canadienne sur les droits de la personne et, plus particulièrement, l'article 13.1 (devenu l'article 14) de cette loi. L'intimé a notamment prétendu que M. Gannon était un geignard et un fauteur de troubles, ainsi qu'un individu des plus hostiles qui tenait des propos teintés de fortes connotations raciales et sexuelles et provoquait ses collègues. L'intimé a aussi soutenu que les insultes proférées à l'endroit de M. Gannon n'avaient pas de fondement racial.

Il n'y a aucun doute que le plaignant s'est rendu coupable d'avoir adressé à ses collègues de nombreuses remarques offensantes à connotation raciale et sexuelle. Aussi bien lors de son interrogatoire principal que de son contre-interrogatoire, le plaignant a admis qu'il utilisait lui-même le mot nègre. Pendant son contre-interrogatoire, le plaignant a également reconnu qu'il avait adressé les commentaires offensants suivants à l'endroit de certains de ses collègues de la division B & B :

  1. Il a désigné ses collègues par l'expression [TRADUCTION] débiles, fils de pute blancs.
  2. Il a déclaré que les épouses, les petites amies ou les mères de ses collègues [TRADUCTION] se faisaient baiser par des nègres.
  3. Il a dit à ses collègues que leur épouse, leur petite amie ou leur mère [TRADUCTION] aimaient les queues de nègres.
  4. 6

  5. Il a dit à un collègue, Chris Campbell, [TRADUCTION] d'embrasser mon cul noir.

Le plaignant a déclaré n'avoir fait ce type de remarques offensantes à caractère racial ou sexuel qu'en réaction aux insultes à connotation raciale qui lui étaient adressées. En d'autres termes, il affirme avoir dit de telles choses parce qu'il a été provoqué. En revanche, bon nombre de ses collègues ont déclaré que le plaignant utilisait le mot nègre couramment même lorsqu'il n'était pas provoqué. Certains de ses collègues ont aussi témoigné que le plaignant faisait souvent des remarques à caractère racial ou sexuel du type de celles énumérées ci-dessus sans qu'il n'y ait eu provocation.

Bien que nous reconnaissions que certaines des insultes à connotation raciale adressées au plaignant faisaient suite à des commentaires émis par celui-ci, nous en arrivons à la conclusion que cela n'a pas toujours été le cas. Par exemple, Scott Swanson, un ancien employé de la division B & B, a déclaré qu'il avait entendu Clark de Boer, un autre employé de la division B & B, dire au plaignant :

[TRADUCTION]

"Comment va le nègre aujourd'hui?". M. Swanson a affirmé que M. de Boer avait cette fois-là parti le bal et que le plaignant lui avait ensuite répliqué. Randy Walker, un autre employé de la division B & B, a déclaré que le plaignant répliquait souvent par des insultes à connotation raciale ou des propos obscènes lorsque des insultes à connotation raciale lui étaient adressées. Ray Rollin a déclaré qu'il avait entendu Dave Rogal faire une remarque à caractère raciste alors qu'il parlait à quelqu'un de M. Gannon. Il ressort clairement des dépositions faites par un grand nombre de témoins que des propos racistes étaient dirigés contre le plaignant à son insu et, par conséquent, sans qu'il n'y ait eu aucune provocation de sa part.

Le climat qui régnait à la division B & B où le plaignant travaillait est particulièrement bien décrit dans cet extrait de la déposition de Scott Swanson :

[Traduction]

R. Alors que Ken arrivait à l'atelier, Clark de Boer lui a dit : Comment va le nègre aujourd'hui?

Q. M. de Boer fut donc le premier à parler?

R. Ouais.

Q. Et comment M. Gannon a-t-il réagi à cette remarque?

R. Ken s'est approché de Clark et lui a dit :

[TRADUCTION] "Ouais, je suis un nègre, mais ta mère baise avec des nègres." Je n'avais jamais rien entendu de semblable. Ken travaillait à l'atelier de Vancouver où je venais tout juste d'entrer en fonction et je me souviens très clairement de cet incident, parce que je n'avais jamais entendu ce genre de langage. J'ai déjà entendu des gens blasphémer, mais je n'avais jamais vu autant d'hostilité envers quelqu'un, ni qui que ce soit utiliser le mot nègre comme ça. Cela m'a marqué.

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Même en tenant compte des occasions où le plaignant a pu lui-même provoquer des insultes à connotation raciale, nous sommes en accord avec la décision rendue par le tribunal dans l'affaire Phil François c. Le Canadien Pacifique Limitée (en date du 19 janvier 1988), dans laquelle il est mentionné qu'en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la provocation ne constitue pas un argument de défense. Il existe certaines similitudes entre les faits en cause et les questions en litige dans la présente affaire et dans l'affaire François, dans laquelle le plaignant avait aussi prononcé des injures discriminatoires. Tout comme dans l'affaire devant nous, on avait alors laissé entendre que le plaignant était soit paranoïaque, soit lui-même raciste. Kevin W. Hope, qui présidait le tribunal dans l'affaire François, a déclaré dans son jugement : J'admets également que M. François s'est lui-même montré coupable d'injures discriminatoires. Toutefois, sa propre paranoïa et ses propres actes discriminatoires ne justifient pas la perpétration d'actes discriminatoires contre lui pas plus qu'ils ne constituent des arguments de défense aux termes de la LCDP. Nous sommes du même avis que M. Hope.

Bien que M. Gannon ait lui-même tenu des propos offensants et bien que son comportement ne fût pas toujours approprié, nous croyons qu'il a surtout agi en riposte à des attaques dirigées contre lui. Cette conviction est corroborée par la preuve présentée par le Dr Graham Johnson, un sociologue appelé à témoigner à titre d'expert. Le Dr Johnson a étudié les effets de la présence de membres de minorités culturelles et raciales en milieu de travail. Il a laissé entendre qu'un individu comme M. Gannon qui se fait insulter relativement à sa race peut devenir la victime d'un tel comportement et finir par y répliquer, après quoi il est souvent perçu comme un geignard et un fauteur de troubles. Nous n'excusons pas le langage employé par M. Gannon, mais nous avons tendance à croire que son comportement hostile fut engendré par les insultes à connotation raciale dont il était l'objet et le climat empoisonné dans lequel il travaillait.

Nous ne pouvons accueillir l'argument voulant que les insultes dirigées contre M. Gannon n'avaient pas de fondement racial. Si quelqu'un souhaite éviter de tenir des propos racistes, pourquoi ferait-il allusion à la couleur de la peau ou à la race d'une personne, au surplus de manière désobligeante? Comme M. Hope l'a affirmé dans l'affaire François, le fait est qu'il s'agit là d'une distinction fondée sur la couleur de la peau, alors qu'aucune distinction de cette sorte n'est nécessaire cela nous amène à la racine même de la discrimination et du racisme.

Par conséquent, nous en arrivons à la conclusion que M. Gannon a été victime de harcèlement en matière d'emploi contrairement aux dispositions de l'alinéa 13.1(1)c) (devenu l'alinéa 14(1)c)) de la LCDP.

MESURES DISCIPLINAIRES ET CESSATION D'EMPLOI

Les employés de la division B & B sont assujettis au [TRADUCTION] système disciplinaire Brown, tel que l'a décrit M. John Templeton, surintendant délégué de la division B & B en 1985. M. Templeton a mentionné, à l'instar de M. J.S. Craig, ingénieur divisionnaire, que des points de démérite sont attribués en guise de mesure disciplinaire et qu'une accumulation de 60 points mène à un licenciement. M. Gannon s'est

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vu attribuer 55 points de démérite entre le 9 avril 1984 et le 19 juin 1985, et 30 autres points le 19 août 1985, ce qui a entraîné son licenciement. M. Gannon a réintégré ses fonctions environ un an plus tard, à la suite d'une procédure d'arbitrage qui a eu lieu à Montréal. Il importe de noter que le plaignant n'avait été l'objet d'aucune mesure disciplinaire d'importance avant 1984.

Le 9 avril 1984, M. Gannon s'est fait décerner 10 points de démérite parce qu'il avait omis de rapporter un accident survenu le 7 mars 1984 alors qu'il conduisait un véhicule de la société. Le 23 avril 1984, il s'est fait attribuer 20 autres points de démérite pour avoir conduit de manière mal assurée et dangereuse le 9 février 1984.

Puis il fut à nouveau impliqué dans un incident, survenu le 15 mars 1985, ce qui lui valut 10 points de démérite le 18 avril 1985. De nombreux éléments de preuve se rapportent à cet incident. Lors de son témoignage, M. Gannon a pour sa part allégué qu'il avait été désigné pour effectuer des travaux de peinture au 7e étage d'un édifice à bureaux le 15 mars 1985. Il avait alors mentionné à son contremaître, Greg Craig, que certains classeurs devaient être déplacés, et il avait donc demandé de l'aide, qui lui fut refusée par M. Craig. M. Gannon prétend en outre qu'il s'est blessé au dos en déplaçant le mobilier en question et qu'il en a avisé M. Craig, son contremaître. M. Gannon prétend qu'il en est résulté une dispute au cours de laquelle M. Craig l'a traité de nègre avant de le pousser en bas de quelques marches dans un refroidisseur d'eau. Le plaignant a déclaré qu'un autre employé, Fred Smith, aurait probablement été témoin de cet incident, mais M. Smith a nié avoir vu quoi que ce soit.

M. Gannon affirme qu'après avoir été agressé par M. Craig, il a téléphoné à un service d'ambulance ainsi qu'à la police du CP. Il fut transporté par ambulance à l'hôpital St. Paul's à Vancouver. Greg Craig a tout nié relativement à cet incident. Il a déclaré que le plaignant l'avait menacé de feindre une blessure s'il ne recevait pas d'aide en vue de déplacer les classeurs. M. Craig a affirmé qu'il n'avait pas poussé le plaignant dans un refroidisseur d'eau. L'enquêteur de la police du CP a conclu que l'incident décrit par M. Gannon ne s'était pas produit. Une enquête fut aussi menée au sein de la division B & B, surtout par M. Jeff Craig, l'ingénieur divisionnaire et le père de Greg Craig (le contremaître mêlé à l'incident). La Workers Compensation Board en est arrivée à la conclusion que M. Gannon avait subi une blessure au dos lorsqu'il avait déplacé le classeur. M. Gannon s'est fait attribuer 10 points de démérite, par conséquent, pour avoir contrevenu aux règles de la société en matière de sécurité. La société a tenté de convaincre la Workers Compensation board que M. Gannon n'avait subi aucune blessure, mais lorsque la Commission fit droit à la réclamation de ce dernier, la société accepta son verdict et décerna des points de démérite à M. Gannon.

Un autre incident est survenu le 29 mai 1985 à la suite d'une engueulade entre M. Gannon et son contremaître, Greg Craig. M. Gannon a déclaré que cet incident a éclaté lorsque Greg Craig lui a demandé :

[TRADUCTION]

«Comment se porte mon nègre préféré aujourd'hui?" M. Craig a nié avoir tenu de tels propos et a déclaré que le plaignant lui criait à ce moment des obscénités. M. Gannon s'est fait décerner 15 points de démérite

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et a fait appel de cette mesure en déposant un grief auprès de son syndicat.

M. Gannon fut traité avec sévérité le 19 août 1985 lorsqu'il reçut 30 points de démérite pour insubordination relativement à des incidents survenus les 9 et 10 juillet 1985. Ces incidents mirent en cause des échanges verbaux entre M. Gannon et M. Rogal. M. Gannon avait peinturé des rayures sur son cabinet de travail, ce à quoi M. Rogal s'opposait. Le plaignant a déclaré que M. Rogal lui avait déclaré :

[TRADUCTION]

"Tu ne transformeras pas cette place en une jungle ou un paradis africain". M. Rogal a nié avoir dit pareille chose. M. Gannon a déclaré qu'il lui avait pour sa part répondu ce qui suit :

[TRADUCTION] "Je peux peinturer mon casier comme je le veux, espèce de sale Blanc". Le jour suivant lorsque M. Rogal rappela à nouveau au plaignant qu'il devait repeindre le cabinet de la manière prescrite, M. Gannon répondit à M. Rogal, au dire de ce dernier :

[TRADUCTION] "Rogal, tu n'es qu'un fils de pute débile" ou quelque chose du genre. A la suite d'une enquête, le plaignant s'est fait décerner 30 points de démérite, ce qui porta alors son total à plus de 60 et entraîna donc son licenciement. M. Gannon a déposé un grief relativement à cette mesure disciplinaire.

M. Gannon fut réintégré à son poste en vertu d'une décision rendue par un arbitre le 10 septembre 1986, à la suite de l'appel logé par M. Gannon. Mais il ne reçut aucune indemnité dans le processus.

Par sa décision, l'arbitre a effacé les 15 points de démérite attribués à M. Gannon à la suite de l'incident survenu en mai 1985 en arguant que, en contravention de l'article 18.1 de la convention collective régissant les employés de la division B & B, M. Gannon n'avait pas eu droit à une enquête juste et impartiale, étant donné que l'enquête avait été menée par l'ingénieur divisionnaire, M. J.S. Craig, le père de Gregory Craig, qui avait été mêlé à l'incident ayant valu les points de démérite à M. Gannon. L'arbitre a aussi réduit de 30 à 15 les points de démérite attribués au plaignant le 19 août 1985, ce qui fit passer son total à 55, soit un nombre de points inférieur au seuil de licenciement (qui était, encore une fois, de 60). Malgré que J.S. Craig ait dirigé l'enquête relative aux événements survenus les 9 et 10 juillet 1985, l'arbitre était d'avis que cette enquête fut menée de manière équitable. Il a également conclu que M. Gannon avait fait preuve d'insubordination à l'endroit de son supérieur immédiat. Mais compte tenu de certaines circonstances atténuantes, il a jugé que l'attribution de 30 points de démérite était excessive.

Nous estimons que les incidents survenus le 29 mai 1985 et les 9 et 10 juillet 1985 ont éclaté par suite d'insultes à connotation raciale adressées au plaignant. Nous avons aussi tendance à croire M. Gannon lorsqu'il affirme que Greg Craig l'a traité de nègre le 15 mars 1985, bien que nous ne soyons pas entièrement convaincus que la description des incidents survenus à cette date faite par M. Gannon et M. Craig soit complètement digne de foi. Quoi qu'il en soit, l'animosité entre ces deux personnes s'est vraisemblablement accrue à la suite de cet incident. Nous ne doutons aucunement que le plaignant a crié des obscénités à son contremaître le 29 mai 1985 et les 9 et 10 juillet 1985. Ces emportements

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furent cependant provoqués par des propos racistes. Par conséquent, le véritable motif de l'imposition de mesures disciplinaires sous-jacent à toute l'affaire n'était pas l'insubordination de M. Gannon mais plutôt le harcèlement racial dont il était continuellement victime. Dans cette perspective, les mesures disciplinaires ayant mené au renvoi de M. Gannon ont été mal évaluées. M. Gannon a été mis à l'écart et soumis à des traitements injustes et discriminatoires du fait de sa race.

Dans l'hypothèse où des mesures disciplinaires étaient justifiées eu égard aux incidents survenus le 15 mars 1985, le 29 mai 1985 et les 9 et 10 juillet 1985, on peut se demander si le plaignant a été traité plus rigoureusement que d'autres employés l'auraient été dans les mêmes circonstances. Il faudrait aussi se pencher sur les événements d'avril 1984 à la suite desquels M. Gannon se vit imposer des mesures disciplinaires. Lorsqu'on examine les dossiers disciplinaires d'autres employés ainsi que la preuve produite, on se rend compte que certains d'entre eux n'ont fait l'objet d'aucune mesure disciplinaire ni d'une pénalité moindre pour des fautes comparables à celles commises par M. Gannon. Toutefois, il est difficile de procéder à une comparaison parfaitement adéquate, étant donné qu'il n'y avait pas d'autres cas d'insubordination et qu'il faut tenir compte du fait que M. Gannon a fait l'objet de mesures disciplinaires à cinq reprises en l'espace d'un peu plus d'un an. Par conséquent, nous ne croyons pas pouvoir conclure que les mesures disciplinaires imposées à M. Gannon étaient excessives comparativement à ce qui avait cours pour d'autres employés. Comme il a été mentionné plus haut, cependant, c'est à tort que M. Gannon a fait l'objet de mesures disciplinaires et été licencié en raison de sa race eu égard aux incidents survenus le 29 mai 1985 et les 9 et 10 juillet 1985.

PRIVATION D'OCCASIONS D'EMPLOI

Le plaignant allègue, dans sa plainte modifiée, qu'il fut privé à maintes reprises d'occasions d'occuper des postes temporaires pour lesquels il était qualifié, et ce, malgré le fait qu'il comptait davantage d'années de service que les candidats choisis. Dans sa plainte, il cite en exemple un poste de plombier de relève qui était vacant en janvier 1985 et qui ne lui fut pas accordé, malgré le fait qu'il comptait davantage d'années de service que le candidat qui l'a obtenu. Lors de son témoignage, le plaignant a cité les autres exemples suivants pour démontrer qu'il y avait de la discrimination au sein de la division B & B quand arrivait le moment de procéder à des promotions :

  1. John Whammond a décroché un poste de menuisier au sein de la division B & B, malgré qu'il comptait moins d'années de service que M. Gannon;
  2. Clark de Boer a été engagé comme conducteur ou conducteur de machines, malgré qu'il comptait moins d'années de service que M. Gannon;
  3. Doug Craig a obtenu un poste de soudeur, malgré qu'il comptait moins années de service que M. Gannon;
  4. 11

  5. Gil Baldry a été engagé comme menuisier, malgré qu'il comptait moins d'années de service que M. Gannon.

M. Gannon affirme qu'il n'avait été informé qu'après coup du fait que ces postes étaient devenus vacants. Bien que les offres d'emplois devaient être affichées à la vue de tous, M. Gannon prétend qu'il n'a reçu aucun avis ni n'a vu aucune affiche qui annonçaient ces postes. Le sens général du témoignage de M. Gannon était qu'il y a eu du favoritisme relativement à l'attribution de ces postes, et que la plupart des candidats choisis comptaient des membres de leur famille au sein du CP Rail et détenaient des informations privilégiées. Le père de M. Whammond et celui de M. Craig, en particulier, étaient ingénieurs divisionnaires à la division B & B du CP Rail.

Selon son dossier d'emploi, Doug Craig a obtenu le poste de soudeur le 13 juin 1980 et l'a quitté le 16 février 1981. Quant à Scott Swanson, son dossier indique qu'il a obtenu le poste de soudeur de relève le 16 juillet 1982 et a occupé un poste de soudeur à temps plein à compter du 23 septembre 1982. M. Gannon prétend que le poste de soudeur qu'a décroché Doug Craig n'a pas été annoncé et que Doug Craig comptait moins d'années de service que lui. Il affirme en outre que lorsque Doug Craig a démissionné le 16 février 1981, son poste de soudeur a été aboli. Toujours selon le plaignant, Scott Swanson, dont le père occupait un poste de cadre au CP Rail, a finalement hérité de ce poste d'abord aboli. En d'autres termes, M. Gannon affirme que ce poste de soudeur a été réouvert au profit de M. Swanson.

Quand à M. Whammond, son dossier d'emploi révèle qu'il a obtenu le poste de menuisier le 17 juillet 1980. M. Baldry a quant à lui décroché un poste de menuisier en août 1979, tandis que M. de Boer est devenu conducteur de machines en janvier 1981.

Lors de son témoignage, M. Gannon a déclaré qu'il s'était plaint au syndicat du fait qu'il avait appris la vacance des postes en cause seulement après qu'ils eurent été comblés. Il a fait part de cette situation, plus particulièrement, à Wally Kirkpatrick et Ray Rollin, ses représentants syndicaux. M. Gannon a déclaré qu'il s'était également plaint à M. Zakaluk, le maître de la division B & B, qui lui aurait alors dit :

[TRADUCTION]

«Sois patient, ne fait pas trop de vagues et je m'occuperai de tout».

Les employés de la division B & B sont régis par la convention collective liant le Canadien Pacifique Limitée et la Brotherhood of Maintenance of Way Employees. En vertu de cette convention, les employés de la division B & B sont promus selon leur ancienneté et leurs compétences. La plupart des témoins de l'intimé ont déclaré qu'on accorde davantage d'importance à l'ancienneté qu'aux compétences, ou du moins c'est ce que ces témoins ont compris.

Après avoir étudié la preuve, nous en sommes arrivés à la conclusion que le plaignant n'a pas été traité différemment des autres employés eu égard aux promotions accordées au sein de la division B & B.

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Le plaignant dit s'être plaint à ses représentants syndicaux, Ray Rollin et Wally Kirkpatrick, lorsqu'il a appris que les divers postes en cause avaient été attribués. Il n'indique toutefois pas dans son témoignage à quel moment il a fait cette démarche, et les deux personnes visées n'ont pas corroboré ses dires à ce sujet. Ni Ray Rollin ni Wally Kirkpatrick ne se souviennent que M. Gannon leur ait adressé une telle plainte. En ce qui a trait à la conversation que le plaignant a eu avec M. Zakaluk, rien dans la preuve fournie par M. Gannon ne permet d'établir le lieu et le moment de cette conversation et le seul détail mentionné concerne le conseil donné par M. Zakaluk de ne pas faire de vagues. Le seul élément de preuve relatif au moment où cette conversation a eu lieu est une lettre de M. Gannon adressée à M. J.S. Craig, l'ingénieur divisionnaire, en date du 21 janvier 1985, dans laquelle M. Gannon déclarait :

[TRADUCTION]

"J'avais consulté M. Zakaluk à nouveau au sujet de cette affaire en novembre et il m'a dit de ne pas faire de vagues, et que ces choses prenaient du temps à se régler; entre-temps, K. Kirkpatrick a profité du taux salarial s'appliquant aux employés détenant deux ou trois années de service de plus que lui et on a aussi tenu compte de son expérience alors qu'il occupait ce poste." Cette lettre traitait exclusivement du poste de plombier de relève.

Cela nous indique que la conversation avec M. Zakaluk concernait peut- être le poste de plombier de relève attribué à M. Ken Kirkpatrick, et qu'elle aurait plutôt eu lieu en novembre 1984, cette présomption étant certes le plus raisonnable au regard du contenu de la lettre. Nous sommes enclins à croire que M. Gannon ne s'est jamais plaint au sujet des postes attribués antérieurement, sauf celui de plombier de relève décroché par M. Ken Kirkpatrick, dont il sera question plus loin.

Les promotions dont M. Gannon s'est plaint, à l'exception de celle concernant le poste de plombier de relève, ont toutes été accordées au plus tard en 1982. Or, malgré cela, M. Gannon n'a jamais déposé de plainte en bonne et due forme avant l'été 1985, alors qu'il a décidé de déposer une plainte aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Même s'il était bien au fait des procédures de dépôt de grief prévues à la convention collective et qu'il aurait pu contester les nominations s'il croyait que les postes n'avaient pas été adéquatement annoncés, il n'a jamais entrepris une telle démarche. Selon les collègues de M. Gannon ayant témoigné à l'audience, il n'est jamais arrivé qu'un poste offert aux ateliers de Vancouver ou de Port Coquitlam ne soit pas annoncé. De plus, le plaignant et d'autres employés ont reconnu qu'en règle générale, très peu de choses sont gardées secrètes au sein de la division B & B et qu'il était donc difficile d'imaginer qu'un poste eût pu être offert sans que M. Gannon ne le sût. Même si les postes n'avaient pas été annoncés de la façon appropriée et que M. Gannon n'avait pas été informé du fait qu'ils étaient devenus vacants, il aurait appris leur existence très peu de temps après leur attribution et aurait pu alors déposer une plainte en bonne et due forme selon les procédures de griefs appropriées.

M. Gannon n'est pas parvenu à nous démontrer qu'il ne savait pas que les postes étaient vacants et que c'est la raison pour laquelle il n'a posé sa candidature à aucun de ces postes. Par conséquent, nous ne croyons pas que le plaignant a été privé de l'occasion d'obtenir des promotions.

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En ce qui a trait au poste de plombier de relève, M. Gannon affirme avoir été privé de l'occasion de postuler cet emploi et fait connaître son mécontentement à ce sujet dans des lettres adressées à J.S. Craig, l'ingénieur divisionnaire, et à M. Zakaluk vers la fin de 1984 et le début de 1985. Le poste en cause avait été attribué à Ken Kirkpatrick, qui comptait moins d'années de service que M. Gannon. Cependant, tant le témoignage de M. Kirkpatrick que son dossier d'emploi ont permis de constater qu'il avait occupé ce poste pendant plus de deux ans avant que M. Gannon ne porte plainte auprès de MM. Craig et Zakaluk. Lorsque M. Kirkpatrick a décroché ce poste en 1982, il travaillait comme peintre et son contremaître était M. Gannon. De fait, M. Gannon a été le contremaître de M. Kirkpatrick pendant toutes les périodes où celui-ci a travaillé comme plombier de relève et le plaignant savait donc nécessairement que M. Kirkpatrick occupait ce poste.

Lors de son témoignage, M. Kirkpatrick a déclaré que M. Gannon devait, en tant que contremaître, consentir à ce qu'il occupe un poste de plombier de relève et qu'il lui avait effectivement donné cette permission. Cette déclaration a été corroborée par Ray Rollin, le contremaître, Plomberie et n'a pas été réfutée par le plaignant. Tant M. Kirkpatrick que M. Rollin ont également mentionné que M. Gannon n'a commencé à s'intéresser au poste de plombier de relève qu'à compter du moment où il s'est aperçu que ce poste lui rapporterait davantage que le poste de peintre qu'il occupait à ce moment.

Avant d'envoyer sa lettre à M. Craig et M. Zakaluk, M. Gannon n'avait porté aucune plainte relativement à ce poste et il n'avait fait part à personne de son désir de l'obtenir, pas plus qu'il n'avait déposé un grief en conformité avec les procédures prévues à la convention collective liant le CP Rail et la Brotherhood of Maintenance of Way Employees, dont il est membre. Lorsque M. Gannon s'est plaint dans une lettre adressée à M. Craig, l'ingénieur divisionnaire en 1984, il a précisé qu'il faisait une demande pour obtenir le poste parce qu'il voulait obtenir le taux salarial plus élevé qui s'y rattachait. Aucun élément de preuve ne démontre qu'un poste de plombier de relève est devenu vacant subséquemment à la date de la lettre de M. Gannon, et la plainte de ce dernier est donc à nos yeux dénuée de fondement. De fait, le dossier d'emploi de M. Kirkpatrick révèle qu'il a occupé le poste en cause pour la dernière fois entre avril et août 1984.

Nous en sommes arrivés à la conclusion que M. Gannon n'a pas été privé de l'occasion de postuler l'emploi de plombier de relève comme il l'a prétendu dans sa plainte, et ce, pour les motifs qui suivent.

  1. Nous croyons que M. Gannon a toujours su que M. Kirkpatrick travaillait comme plombier de relève, ce à quoi il l'avait lui- même autorisé.
  2. Nous estimons que M. Gannon n'a montré de l'intérêt pour le poste de plombier de relève en 1984 qu'à compter du moment où il s'est aperçu que ce poste lui rapporterait davantage. Si M. Gannon avait été réellement intéressé à devenir un plombier de relève et à apprendre le métier de plombier, il aurait exprimé cet intérêt au moment où le poste a été offert pour la première fois et rien
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    ne prouve qu'il l'ait fait, ni non plus qu'il a exercé son droit de déposer un grief.

  4. M. Gannon a écrit une lettre à M. J. Craig, en décembre 1984, afin de lui demander la permission de travailler comme aide- plombier; il a déclaré dans cette lettre qu'il aurait aimé profiter du taux salarial plus élevé rattaché à ce poste. Mais aucun élément de preuve n'a été produit qui démontre que des postes de plombier de relève furent offerts subséquemment à la date de cette lettre et que M. Gannon a été privé de l'occasion d'y poser sa candidature.

Examinons maintenant l'affirmation du plaignant voulant qu'il ait été privé de l'occasion de faire des heures supplémentaires.

Le plaignant n'est pas parvenu à démontrer au tribunal qu'il n'a pu profiter des mêmes occasions que les autres employés de faire du temps supplémentaire. Lors de son témoignage, il a lui-même affirmé qu'il acceptait rarement de faire du temps supplémentaire, même lorsqu'on lui en offrait. De plus, M. Gannon n'a pu citer une seule occasion où on l'a privé de faire des heures supplémentaires. Le seul exemple qui nous fut donné en ce sens l'a été par l'intimé : en 1983, le plaignant et Dave Rogal ont déposé un grief conjoint pour le motif que, selon leurs dires, on avait proposé de faire du temps supplémentaire à des employés qui comptaient moins d'années de service qu'eux. Ce grief fut réglé par voie d'arbitrage conformément à la convention collective.

CONCLUSION

En résumé, nous en arrivons à la conclusion que le plaignant a été victime d'actes discriminatoires à l'encontre des alinéas 14(1)c), 7a) et 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces actes discriminatoires sont les suivants :

  1. harcèlement racial;
  2. administration injuste d'une mesure disciplinaire pour des motifs d'ordre racial;
  3. licenciement pour des motifs d'ordre racial.

La question qu'il reste maintenant à trancher est celle de savoir si l'intimé, en tant qu'employeur, peut être tenu responsable aux termes des paragraphes 48(5) et 48(6) de la LCDP (devenus les paragraphes 65(1) et 65(2)).

Les insultes à connotation raciale ont été hors de tout doute proférées par des employés de l'intimé. Il nous faut donc établir si l'employeur peut se soustraire à sa responsabilité aux termes du paragraphe 48(5) (devenu le paragraphe 65(2)) de la LCDP. Pour qu'il en soit ainsi, l'employeur doit remplir trois conditions fondamentales établies par le tribunal dans l'affaire François et adoptées par ce même tribunal dans la

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décision Leon Hinds c. La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, datée du 11 octobre 1988. Ces conditions sont :

  1. que l'employeur n'ait pas consenti à la perpétration de l'acte ou de l'omission faisant l'objet de la plainte;
  2. que l'employeur ait exercé toute la diligence nécessaire pour prévenir la perpétration de l'acte ou de l'omission; et
  3. que l'employeur ait exercé toute la diligence nécessaire par la suite pour atténuer ou annuler l'effet de l'acte ou de l'omission.

Avant de déposer une plainte auprès de la Commission des droits de la personne, M. Gannon s'était plaint à M. Zakaluk, le maître de la division B & B, tant verbalement que par écrit. Il est difficile de croire que M. Zakaluk n'était pas au courant des insultes à connotation raciale adressées à M. Gannon, et nous tenons pour acquis qu'il en avait été informé. (Il importe de noter que M. Zakaluk n'a jamais témoigné à l'audience). Même s'il paraît évident qu'il avait connaissance du climat raciste qui régnait à la division, M. Zakaluk n'a rien fait pour corriger la situation. En tant que membre de la direction, il aurait dû prendre des mesures pour mettre fin aux attaques verbales de type raciste qui avaient cours à la division dès la première fois où il en a été témoin. Il a plutôt choisi de ne pas s'occuper de ce problème. Rien ne fut fait, le harcèlement continua et la situation se détériora au point de mener au licenciement de M. Gannon en août 1985.

M. Gannon s'est plaint de harcèlement racial à la police du CP à deux reprises en 1985 et il a aussi adressé une plainte à l'ingénieur divisionnaire, M. J.S. Craig, alors que celui-ci menait son enquête au sujet des incidents survenus le 15 mars 1985, le 29 mai 1985 et les 9 et 10 juillet 1985. Malgré tout cela, la direction n'a pas tenu compte des plaintes de M. Gannon. M. Craig, l'ingénieur divisionnaire, ainsi que M. Templeton, le surintendant délégué, ont mené une enquête au sujet des trois incidents survenus avant le licenciement de M. Gannon, dans le seul but de provoquer ce licenciement. Soit que MM. Craig et Templeton étaient au courant de ce qui se tramait et faisaient partie d'un complot dont le but visé était le départ de M. Gannon, soit qu'ils ont été induits en erreur par M. Zakaluk et d'autres personnes relativement à la situation sur le lieu de travail. Quoi qu'il en soit, ils ont adopté le point de vue selon lequel le vrai problème à la division B & B n'était pas le harcèlement racial qui avait engendré le comportement rebelle de M. Gannon, mais bien M. Gannon lui-même. Les enquêtes menées par MM. Craig et Templeton étaient loin d'être justes et impartiales. Des notes de service rédigées par M. Templeton à l'intention de M. Craig ont révélé que le seul but de l'enquête n'était pas de découvrir la vérité mais bien de discréditer M. Gannon. Il est utile de noter que Ray Rollin a prétendu dans le cadre de cette enquête qu'il n'avait jamais entendu qui que ce soit à la division traiter M. Gannon de nègre. Cette déclaration est en parfaite contradiction avec la déposition que M. Rollin a faite à l'audience. Greg Craig et Clark de Boer ont aussi fait une déclaration semblable dans le cadre de l'enquête, qui contredisait encore une fois la

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déposition qu'ils ont faite à l'audience. Greg Craig est le fils de J.S. Craig, l'ingénieur divisionnaire, ce qui laisse croire à un parti-pris, étant donné que Greg Craig fut mêlé à deux des trois derniers incidents ayant mené au licenciement de M. Gannon.

Nous en arrivons donc à la conclusion que l'intimé, en tant qu'employeur, a omis d'exercer toute la diligence nécessaire pour empêcher que des insultes à connotation raciale soient adressées au plaignant. La direction de l'intimé a tenté de régler le problème en se débarrassant du plaignant, plutôt qu'en adoptant sur-le-champ des mesures destinées à éliminer le harcèlement racial dont il était l'objet au travail.

L'intimé est donc responsable du fait d'autrui aux termes du paragraphe 65(1) de la LCDP.

Nous rejetons la plainte de M. Gannon selon laquelle il fut privé de l'occasion d'obtenir le poste de plombier de relève, d'obtenir des promotions et de faire du temps supplémentaire. Même si nous estimons que M. Gannon a injustement fait l'objet de mesures disciplinaires, rien ne nous permet de conclure qu'il fut puni plus rigoureusement que d'autres employés l'auraient été dans les mêmes circonstances, dans l'éventualité où des mesures disciplinaires auraient été justifiées.

Il avait été convenu au début de la présente audience que le tribunal ne se pencherait que sur la question de savoir si des actes discriminatoires avaient été posés, tel que le prétendait le plaignant. Comme nous avons maintenant établi le bien-fondé de la plainte de M. Gannon, du moins en partie, il appartient maintenant au plaignant ou à la Commission canadienne des droits de la personne de déposer une requête devant le tribunal afin que celui-ci décide quelles ordonnances devraient éventuellement être rendues aux termes de l'article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Fait ce 7e jour d'avril 1993.

DONALD ALLIN SOUCH

GULZAR SHIVJI LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. 1985, chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

DEVANT : Alfred G. Lynch-Staunton Gulzar Shivji Donald Allin Souch

ENTRE : KEN GANNON

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LE CANADIEN PACIFIQUE LIMITÉE (CP RAIL)

l'intimé

OPINION DISSIDENTE

ALFRED G. LYNCH-STAUNTON

Ken Gannon a déposé une plainte datée du 6 août 1985 (pièce HR-1) auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, dans laquelle il allègue subir de la discrimination depuis mars 1979, ainsi qu'une plainte modifiée datée du 27 août 1985 (pièce HR-2), dans laquelle il allègue avoir subi de la discrimination de mars à août 1979 du fait de la couleur de sa peau et de sa situation de famille, ce qui contrevient aux alinéas 7a) et 7b) ainsi qu'à l'article 13.1 (devenu l'article 14) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

La pièce HR-1 contient la déclaration suivante :

[TRADUCTION]

«Je crois avoir été défavorisé en cours d'emploi en raison de ma race, de la

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couleur de ma peau et de ma situation de famille, à l'encontre de l'alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'ai été privé à maintes reprises de l'occasion d'occuper des postes temporaires vacants pour lesquels j'étais qualifié. Je comptais davantage d'années de service que les candidats choisis et, aux termes de nos conventions collectives, j'aurais dû avoir préséance sur eux. En janvier 1985, par exemple, on ne m'a pas donné la chance de combler un poste de plombier de relève, malgré que je comptais davantage d'années de service que le candidat choisi, qui était de race blanche et qui était le frère d'un autre plombier. Je crois aussi que l'on m'a privé d'occasions de faire du temps supplémentaire et que l'on m'a soumis à des mesures disciplinaires plus rigoureuses que les autres employés, du fait de ma race, de la couleur de ma peau et de ma situation de famille. De plus, j'estime avoir été victime de harcèlement à l'encontre de l'article 13.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, parce que je suis un Noir. Je me suis fait traiter de nègre à maintes reprises par des collègues et un superviseur. Bien que j'aie informé la direction de cette situation le 14 janvier 1985, aucune mesure ne fut prise pour y mettre fin. J'ai déposé une plainte pour discrimination auprès de la police du CP le 29 mai 1985 ainsi que pour voies de fait le 15 mars 1985, mais rien ne fut fait. Dans l'intervalle, je fus accusé d'insubordination et suspendu le 29 mai 1985. Je suis retourné au travail le 21 juin 1985 mais je fus de nouveau suspendu pour insubordination le 15 juillet 1985.»

La pièce HR-2 contient la déclaration suivante :

[TRADUCTION]

«J'ai de bonnes raisons de croire que le Canadien Pacifique Limitée (CP Rail) a agi de façon discriminatoire à mon endroit, dans la mesure où en cours d'emploi, j'ai été défavorisé et j'ai subi du harcèlement, avant d'être renvoyé à cause de ma race, de la couleur de ma peau et de ma situation de famille, à l'encontre des alinéas 7a) et 7b) et de l'article 13.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. J'ai été privé à maintes reprises de l'occasion d'occuper des postes temporaires vacants pour lesquels j'étais qualifié. Je comptais davantage d'années de service que les candidats choisis et, aux termes de nos conventions collectives, j'aurais dû avoir préséance sur eux. En janvier 1985, par exemple, on ne m'a pas donné la chance de combler un poste de plombier de relève, malgré que je comptais davantage d'années de service que le candidat choisi, qui était de race blanche et qui était le frère d'un autre plombier. Je crois aussi que l'on m'a privé d'occasions de faire du temps supplémentaire et que l'on m'a soumis à des mesures disciplinaires plus rigoureuses que les autres employés. De plus, je me suis fait traiter de nègre à maintes reprises par des collègues et un superviseur. Bien que j'aie informé la direction de cette situation le 14 janvier 1985, aucune mesure ne fut prise pour y mettre fin. J'ai déposé une plainte pour discrimination auprès de la police du CP le 29 mai 1985 ainsi que pour voies de fait le 15 mars 1985, mais rien ne fut fait. Dans l'intervalle, je fus accusé d'insubordination et suspendu le 29 mai 1985. Je suis retourné au travail le 21 juin 1985 mais je fus de nouveau suspendu pour insubordination le 15 juillet 1985. Le 19 août 1985, j'ai reçu une lettre m'avisant de mon licenciement.»

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M. R.F. Lee occupait pour la Commission et MM. F.C. Hume et R.M. McLearn, pour l'intimé, le Canadien Pacifique Limitée (CP Rail). Le plaignant, Ken Gannon, ne s'est pas fait représenter mais a pris part à l'instance de manière intermittente, en plus de présenter son témoignage. M. Lee a précisé que le plaignant n'était pas représenté par un avocat, mais qu'il (M. Lee) était chargé de défendre sa cause et que les intérêts de la Commission et ceux du plaignant se recoupaient. Il a également déclaré qu'il n'y avait pas de relation avocat-client entre lui et le plaignant. J'ai donc jugé que, comme la Commission et le plaignant partagent exactement les mêmes intérêts, les droits du plaignant seraient protégés par le procureur de la Commission ainsi que par le tribunal. M. Hume craignait qu'il y ait dédoublement des contre-interrogatoires; je lui ai mentionné qu'il serait approprié que le plaignant adresse ses questions aux témoins par l'entremise de M. Lee. Cette procédure fut suivie pendant la majeure partie de l'audience, mais le tribunal, soucieux de se montrer équitable et de faire voir que justice était rendue, a jugé bon d'autoriser le plaignant à contre-interroger de temps à autre un témoin. Cela n'a pas causé préjudice à l'intimé. Les parties se sont entendues pour qu'aucune preuve ne soit produite relativement aux dommages-intérêts et aux mesures de redressement éventuels, jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au sujet de la plainte, telle qu'elle est modifiée, déposée par le plaignant, et qu'il fût établi si avait bel et bien été commis un acte fondé sur l'un des motifs de distinction illicites. Le tribunal a été informé du fait que le plaignant avait soumis une autre plainte, datée du 3 octobre 1990, soit la pièce R-11 déposée par l'intimé, dans laquelle il est mentionné que le plaignant est victime d'actes discriminatoires depuis le 11 mai 1990 du fait de sa race et de la couleur de sa peau, et qu'une enquête était toujours en cours à ce sujet. Les détails contenus dans cette plainte sont les suivants :

[TRADUCTION]

«Le Canadien Pacifique (CP Rail) agit de manière discriminatoire à mon endroit en me défavorisant en cours d'emploi du fait de ma race et de la couleur de ma peau, ce qui contrevient à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je suis un Noir. Par suite d'une plainte antérieure déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (WO5401, le 27 août 1985), je fus réengagé comme peintre au CP Rail en 1986. Le 9 mai 1990, j'ai eu une altercation avec un collègue, M. G. Baldry, après avoir été provoqué en ce sens. A cause de cet incident, je fus suspendu le 11 mai 1990 et j'ai réintégré mes fonctions le 24 mai 1990. De plus, le 2 juin 1990, je me suis fait décerner 30 points de démérite relativement à cet incident, alors que M. Baldry n'a fait l'objet d'aucune mesure disciplinaire. D'autres employés n'ont pas été punis aussi sévèrement pour des infractions comparables ou moins graves. Le 14 juin 1990, j'ai déposé un grief concernant les 30 points de démérite et la suspension de 8 jours qui m'avait été attribuée. Ce dossier n'a toujours pas été réglé. On continue de me confier les travaux les plus éreintants plutôt qu'aux autres employés. En juin 1990, par exemple, trois nouveaux employés furent engagés pour l'été. Ces employés avaient la responsabilité d'aider tout le monde sauf moi. Le ou vers le 20 août 1990, on m'attribua la tâche de peinturer tout seul l'intérieur d'un atelier diesel à trois étages, alors

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que trois hommes furent désignés pour peinturer quatre séparateurs en béton. De plus, je suis continuellement forcé de travailler seul.»

On peut prendre connaissance, aux pages 7 à 30 du volume 1 de la transcription des débats, des délibérations qui ont eu lieu entre le procureur et le tribunal relativement à la requête présentée par M. Hume afin que cette dernière plainte soit entendue en même temps que la première plainte et sa version modifiée. Il a été convenu à l'unanimité par les parties et les membres du tribunal qu'il était tout à fait indiqué d'entendre la preuve relative à cette plainte, mais j'ai dû statuer, à regret, que la loi nous en empêchait, sauf dans le cas où les faits exposés eurent été semblables. M. Hume avisa alors le tribunal que, malgré ma décision, il interrogerait le plaignant et ses témoins, s'il y a lieu, ainsi que les témoins de l'intimé, relativement à cette plainte, afin que soient évalués la crédibilité et le comportement du plaignant dans ce contexte étant donné que, pour l'essentiel, la plainte en question soulève les mêmes problèmes que la plainte initiale et sa version modifiée. P26.

J'ai cru nécessaire d'étudier la preuve de manière approfondie pour les raisons qui suivent.

  1. Ces audiences ont duré quatre semaines.
  2. Vingt-sept témoins ont défilé, dont deux témoins experts.
  3. Cent vingt pièces ont été présentées, dont beaucoup sont volumineuses.
  4. L'argumentation des deux procureurs est substantielle.
  5. L'existence d'éléments de preuve contradictoires.
  6. Les allégations supplémentaires faites par le plaignant en plus de celles que contient la plainte modifiée.
  7. La difficulté d'établir avec précision le moment où sont survenus les événements en cause.
  8. Le laps de temps inhabituel s'étant écoulé entre le moment où sont survenus les événements, le dépôt de la plainte et la tenue de l'audience s'y rapportant.
  9. Les différences entre les éléments de preuve relatifs à la plainte modifiée et ceux relatifs à la plainte datée du 3 octobre 1990.
  10. La crédibilité de la déposition faite par le plaignant (dont il est question plus loin), par ses témoins et par ceux de l'intimé.

Il a été nécessaire pendant l'audience de rendre un grand nombre de décisions en matière de preuve en raison d'objections formulées par le procureur. Il a été également nécessaire de statuer que le plaignant

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n'était pas tenu de révéler ses antécédents médicaux, bien qu'il ait déclaré, lors de son interrogatoire principal, qu'il avait été suivi par trois psychiatres, dont un à Montréal, un à Edmonton et un à Vancouver. La norme de preuve qui doit être respectée dans un tel cas est celle exigée pour une cause civile, c'est-à-dire que quiconque fait une allégation doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. La jurisprudence a établi que, dans les causes relatives aux droits de la personne, si l'on prête foi à un plaignant, celui-ci n'a qu'à faire la preuve prima facie de l'existence d'un acte discriminatoire pour que le fardeau de la preuve soit renversé et que ce soit l'intimé qui ait à démontrer l'existence de motifs justificatifs d'un tel acte. Il était clairement établi que la crédibilité des témoins serait l'élément déterminant dans la présente affaire. Afin d'établir s'il existe un motif illicite de discrimination, il faut étudier la preuve de manière objective plutôt que subjective. Sauf s'il y avait eu une similitude de faits, il est nécessaire de ne pas tenir compte de tout élément de preuve relatif à la plainte datée du 3 octobre 1990, comme le paragraphe 50(1) de la LCDP stipule en partie que le tribunal examine l'objet de la plainte pour laquelle il a été constitué. En rendant ma décision, je suis naturellement contraint d'avoir à l'esprit les objectifs visés par la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC, 1985, ch. H-6, telle qu'elle a été modifiée, et j'ai aussi été invité par le procureur de la Commission à prendre en considération les objectifs visés par la Loi sur le multiculturalisme canadien, ch. 24 (4e suppl.), qui a été sanctionnée le 21 juillet 1988, presque trois ans après le dépôt de la plainte et de sa version modifiée. Dans le cadre de son argumentation, l'avocat de la Commission a soumis un livre de précédents et un livre de documents (en faisant référence aux onglets 5 et 6), dans lesquels sont présentés un certain nombre de causes et les principes devant être appliqués.

Le tribunal a appris (non pas au moyen d'une preuve soumise) que plus d'une enquête était menée relativement à cette cause et que les rapports afférents contenaient des conclusions différentes. Le tribunal a assuré le procureur que ce fait n'influencerait pas sa décision. Je dois souligner qu'une lettre datée du 5 juin 1991, provenant de Valmond Romilly (avocat et président national de Hrambee Centres Canada) et adressée comme suit : Tribunal canadien des droits de la personne, salle d'audience 2 - 16e étage, 700, rue Georgia Ouest, Vancouver (C.-B.), a été portée à notre attention et que je l'ai lue. Personne n'a comparu au nom de Hrambee Centres Canada. Nous n'avons pas répondu à cette lettre, ayant jugé que, parce qu'elle avait été écrite par un avocat qui était au courant de la tenue de la présente audience, l'organisation en cause était tout à fait en mesure de comparaître et de faire les représentations jugées appropriées. Lorsque j'ai rédigé la présente décision, en septembre 1992, j'avais eu l'avantage de lire une ébauche de la décision rendue par Mme G. Shivji; à l'heure où on parle, j'ai aussi eu l'avantage de lire l'ébauche de la décision majoritaire rendue par M. Souch.

En ce qui a trait à l'examen de la preuve relative à la plainte et à sa version modifiée, je suis pleinement conscient du fait que tous les

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témoins relatent en 1991 des événements qui ont eu lieu pendant la période allant de mars 1978 au 27 août 1985, soit une période de huit années et demie. Ces témoignages sont donc donnés de six à treize ans après que les événements visés soient survenus.

Il est stipulé dans la plainte (pièce HR-1) que le plaignant :

  1. a été la victime de traitements défavorables et de harcèlement en cours d'emploi depuis mars 1979, et qu'il s'est fait traiter de nègre par des collègues et un superviseur.
  2. a été privé d'occasions de postuler des emplois temporaires pour lesquels il était qualifié et malgré qu'il comptait plus d'années de service que les candidats choisis.
  3. a été privé de faire du temps supplémentaire à quelques reprises.
  4. a été fait l'objet de mesures disciplinaires plus rigoureuses que d'autres employés dans son milieu de travail.
  5. a avisé la direction de cette situation, mais qu'aucune mesure n'a été prise pour mettre un terme aux attaques verbales.
  6. allègue que la police du CP n'a pas donné suite à ses plaintes au sujet d'actes discriminatoires posés le 29 mai 1985 et d'une agression qui serait survenue le 15 mars 1985.
  7. a été suspendu à deux reprises pour insubordination (il faut déduire que ces suspensions n'étaient pas motivées, sinon cette allégation n'aurait pas de sens).
  8. allègue que sa situation de famille a constitué un facteur dans la décision de ne pas lui donner l'occasion de postuler un emploi de plombier de relève.

La plainte modifiée (pièce HR-2) contient de nouveaux éléments, à savoir :

  1. il y est mentionné que les actes discriminatoires et le prétendu harcèlement sont survenus entre mars 1979 et le 19 août 1985;
  2. l'alinéa 7a) de la LCDP est cité à l'appui de la plainte, ce qui n'avait pas été fait dans la pièce HR-1.

Les dépositions faites par le plaignant et en son nom font état de plaintes additionnelles, à savoir :

  1. Le plaignant a fait l'objet de mesures disciplinaires pour des blessures alors que d'autres employés ne l'ont pas été.
  2. - 7 -

  3. M. Dave Rogal a pointé un fusil dans sa direction et a tiré sur la gâchette.
  4. L'intimé a demandé le rejet de la demande d'indemnisation soumise par le plaignant à la Worker's Compensation Board en 1985.
  5. Son syndicat ne l'a pas représenté équitablement.
  6. Certaines offres d'emploi n'ont pas été affichées de la façon appropriée à Port Coquitlam, ce qui contrevenait aux dispositions de la convention collective et privait le plaignant de la possibilité de postuler ces emplois.
  7. Le plaignant s'est vu refuser des emplois annoncés.
  8. M. Dave Rogal a fouillé dans son casier privé.

Le plaignant a insinué que le racisme était la cause des événements décrits aux numéros 3, 4, 5 et 6.

Le plaignant est né et a grandi à Africville (Nouvelle-Écosse) et, selon sa déposition, il aurait des ancêtres [TRADUCTION] de l'Inde, de race noire et de race blanche. Il a commencé à travailler pour le compte de l'intimé à Montréal, en mars 1966, où il a oeuvré à titre de commis à la buanderie, de pointeur-releveur, Marchandises, de magasinier, de manutentionnaire et de conducteur, avant d'aller travailler à Edmonton, en mai 1977, et d'être muté à Vancouver, en mars 1978, à titre d'agent d'entretien des ponts au service des Ponts et des bâtiments. Lorsqu'il est arrivé à Vancouver, il s'est joint à une équipe formée d'une dizaine d'employés dont Dave Rogal était le contremaître. Il a alors perdu l'ancienneté qu'il avait acquise à Edmonton. L'équipe dont il est devenu membre comprenait des agents d'entretien des ponts, des menuisiers, des menuisiers à l'établi, des soudeurs, des plombiers, des conducteurs et d'autres employés de même catégorie. Lors de son témoignage, le plaignant a déclaré que les personnes auxquelles il s'est joint à son arrivée à Vancouver étaient David Rogal, Gregory Craig, Brian Kodalak, John MacLeod, John Mullen, Wally Kirkpatrick, John Fleur, Fred Smith, Bob Wallace et Ray Rollin. Le plaignant est demeuré à Vancouver avec la même équipe pendant environ deux ans, puis il a été transféré à une équipe de Port Coquitlam, et est retourné de nouveau à Vancouver par la suite. A Port Coquitlam, a-t-il déclaré, ses collègues étaient le contremaître Ken Michel, Neil *, Norm Lavoie, Gil Baldry, Randy * et David Sarty. Lorsqu'il est retourné à Vancouver, ses collègues étaient Dave Rogal, Wally Kirkpatrick, Ken Kirpatrick, Ray Rollins, Gregory Craig, Bob Wallace et John Fleur. Il a affirmé que le maître de la division Ponts et bâtiments était M. Zakaluk et il a mentionné le nom d'autres personnes qui occupaient des postes de cadres chez l'intimé. Pendant un certain temps, les activités de la division Ponts et bâtiments étaient réparties entre Vancouver et Port Coquitlam, mais elles furent par la suite centralisées à Port Coquitlam. Le plaignant a occupé les postes suivants (pièce R-48) :

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21 mars 1978 - 6 juillet 1978 : agent d'entretien des ponts 7 juillet 1978 - 20 juillet 1978 : conducteur de machines 21 juillet 1978 - 22 août 1978 : agent d'entretien des ponts 23 août 1978 - 28 septembre 1978 : conducteur de machines 29 septembre 1978 - 1er octobre 1978 : contremaître de relève à la division Ponts et bâtiments 2 octobre 1978 - 26 décembre 1978 : agent d'entretien des ponts 27 décembre 1978 - 27 décembre 1978 : contremaître de relève à la division Ponts et bâtiments 28 décembre 1978 - 28 janvier 1979 : agent d'entretien des ponts 29 janvier 1979 - 21 septembre 1981 : peintre

22 septembre 1981 - 10 juin 1984 : contremaître, Peinture Depuis le 11 juin 1984 : peintre

Lors de son témoignage, le plaignant a déclaré ne pas avoir subi de discrimination lorsqu'il travaillait pour le compte de l'intimé à Montréal ou à Edmonton. Il a déclaré qu'à son arrivée à Vancouver, [TRADUCTION] tout s'est bien passé pendant environ une semaine (p. 64), et lorsqu'il s'est fait contre-interroger par M. Hume, il a déclaré que ses ennuis ont commencé à son arrivée à Vancouver (p. 207).

Lorsque j'examine la plainte initiale, je remarque que le plaignant ne mentionne pas que ses ennuis ont commencé en mars 1978, mais allègue dans la pièce HR-1 que l'intimé a commencé à agir de façon discriminatoire à son endroit en mars 1979 ou vers cette époque et que cela s'est depuis poursuivi. Je trouve cela étrange, et c'est le moins que je puisse dire, quand je pense à l'allégation du plaignant, dont il est question plus bas, selon laquelle son casier privé a été ouvert. Je constate également que le plaignant n'explique pas pourquoi il a déposé une plainte modifiée. Je suis confondu par le fait que le plaignant n'a pas inclus dans sa plainte ou la version modifiée de celle-ci les allégations qu'il a faites à la barre, étant donné que cela devait être beaucoup plus frais à sa mémoire lorsqu'il les a rédigées. Cela soulève la question de savoir si ces allégations supplémentaires sont vraies.

Plaintes additionnelles

1. Relativement à la première plainte additionnelle (pièce R-48), le relevé des antécédents du plaignant en matière d'emploi, déposé avec le consentement de l'avocat de la Commission, révèle que le plaignant a subi des blessures le 21 mai 1975, le 6 septembre 1978, le 22 avril 1981 et le 10 juillet 1984, et n'a été puni en aucun cas. La première mesure disciplinaire imposée par l'intimé concernait un incident survenu le 15 mars 1985 à l'occasion duquel le plaignant s'est soi- disant infligé une blessure au dos alors qu'il déplaçait un classeur dans le cadre de travaux de peinture. (Cet incident a fait l'objet de plusieurs dépositions et de déclarations faites dans le cadre d'enquêtes, dont il sera question plus bas). La mesure disciplinaire a été imposée non pas parce que le plaignant s'est blessé, mais parce

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qu'il n'avait pas pris les moyens pour prévenir cet accident, ce qui n'est pas du tout la même chose. Le témoignage de David Sarty, appelé par le plaignant à témoigner, a permis d'apprendre, en contre- interrogatoire, que le plaignant avait été puni à deux reprises pour ne pas avoir pris de mesures en vue de prévenir une blessure. M. Sarty, un homme de race blanche, souhaitait de toute évidence appuyer le plaignant, étant donné qu'il avait lui aussi maille à partir avec l'intimé. M. J.A.G. Templeton, qui était surintendant délégué en 1984 et en 1985 à Vancouver, a produit à titre de preuve (pièce R-85) plus de 70 formules 104 (devant être complétées en cas de blessures) qui révèlent qu'en vertu de la politique de l'intimé, les employés omettant de prendre des mesures préventives contre les blessures, lorsque cela s'avérait nécessaire, seraient punis. Dans les dépositions de Bob Wallace (p. 738-739), de Stephen MacVittie (p. 796- 797) et de Ray Rollin (p. 531-532), on peut lire que l'intimé ne leur avait pas imposé de mesures disciplinaires lorsqu'ils s'étaient blessés, étant donné que rien ne prouvait qu'ils avaient omis de prendre des mesures préventives. La preuve démontre, par ailleurs, qu'un grand nombre d'employés autres que le plaignant ont été punis après qu'ils ont subi des blessures, parce qu'ils n'avaient pas appliqué certaines règles de sécurité. Le plaignant, qui a subi des mesures disciplinaires après s'être blessé au moins quatre fois, a été à cet égard puni de façon comparable aux autres employés. Je crois que les mesures disciplinaires qui furent imposées découlaient de la politique de la société selon laquelle les employés doivent prendre des mesures préventives et respecter les règles de sécurité, et que cela n'a rien à voir avec de la discrimination raciale. La mesure disciplinaire imposée au plaignant était appropriée dans les circonstances.

2. En ce qui a trait à la deuxième plainte additionnelle, voici ce que le plaignant a déclaré lors de son interrogatoire principal :

[TRADUCTION]

«Il faut que je dise que M. Rogal est un collectionneur d'armes à feu et qu'il avait l'habitude d'apporter parfois des armes au travail à Vancouver; il lui est déjà aussi arrivé d'apporter une arbalète et de pointer un fusil vers moi en appuyant légèrement sur la gâchette, ce qui avait fait rire tout le monde. Je crois qu'il y avait trois ou quatre personnes à ce moment qui assistaient à la scène et qui raient et se moquaient. (Voir p. 73.) Comme l'a dit M. Hume, le procureur de l'intimé [TRADUCTION], cette grave accusation nous est tombée dessus comme une massue sortie de nulle part, et a fait l'objet d'une forte couverture dans les journaux (lors de la présente audience). C'était la première fois que les personnes associées à l'intimé entendaient parler de cette histoire, qui n'a été corroborée par absolument personne. La formulation utilisée par le plaignant (qui riaient) indique que cet incident est survenu plus d'une fois. Aucun élément de preuve ne démontre, toutefois, que cela a été le cas, ni ne permet d'établir l'identité des trois ou quatre personnes, malgré que les collègues du plaignant aient témoigné. L'allégation du plaignant a été niée avec insistance par Rogal qui a déclaré lors de

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son contre-interrogatoire, à la page 413 :

[TRADUCTION] «Cet incident n'a pas eu lieu.» Lorsqu'on lui a demandé si un incident semblable était déjà survenu, Rogal a répondu :

[TRADUCTION] «Je n'ai en aucun temps commis un tel geste». Quant à savoir s'il avait déjà été propriétaire d'une arbalète (p. 414), il a déclaré :

[TRADUCTION] «Je n'ai jamais été propriétaire d'une arbalète et je n'en ai jamais tenue une dans mes mains". Rogal a expliqué qu'en vertu de la politique de la société, les armes à feu étaient interdites dans les zones où des employés couchaient dans des foyers et des voitures-logements. Il a déclaré avoir déjà apporté des fusils à air à l'atelier afin d'enrayer la croissance de la population de pigeons dans la rotonde, et ce, avec la permission de son superviseur. Cela a été confirmé par Rollin (p. 543), qui a aussi déclaré ne pas avoir été témoin de l'incident. Aucun des nombreux témoins ayant fait une déposition à l'audience n'a confirmé que cet incident était survenu. Dans le même ordre d'idées, l'affirmation de Sarty voulant que Rogal ait mimé un fusil à l'aide de ses mains et déclaré :

[TRADUCTION] «Je pourrais descendre le nègre de cette distance» a été catégoriquement niée par Rogal (p. 416). Lorsqu'on lui a demandé si Rogal avait posé un tel geste en se servant de ses mains, le plaignant a répondu (p. 73) :

[TRADUCTION] «Je n'arrive pas à m'en souvenir». (Je tiens à souligner au passage que le plaignant ne se souvient pas de beaucoup de choses lorsqu'on le presse de répondre à une question.) Comme tout le monde sait que Rogal aime beaucoup les armes à feu, il n'est pas surprenant que Sarty ait fait une telle déclaration non confirmée d'aucune façon. Il n'est pas surprenant, non plus, que le plaignant ait fait lui aussi une déclaration du même genre. W.A. Kirkpatrick confirme (p. 1041) que Rogal est un expert en maniement d'armes à feu et un grand amateur de ce type d'objet. Il est extrêmement difficile de croire qu'un expert aurait manié un fusil de la manière décrite par le plaignant. Sarty a tenté de convaincre le tribunal que Rogal avait l'habitude d'apporter des armes à feu au travail (p. 146). Il est évident qu'il tente, ce faisant, de donner du poids à son affirmation selon laquelle Rogal aurait mimé un fusil avec ses mains. Quant à moi, je n'accorde aucun crédit au témoignage de Sarty. Il était très évident que Sarty avait une dent contre l'intimé. Il était très émotif à la barre, particulièrement lorsqu'il était question de sa propre plainte et de son examen par la Cour fédérale du Canada, qui a rejeté sa requête. Il est révélateur de constater que d'autres témoins ont confirmé que l'incident décrit par Sarty n'a pas eu lieu. Dans le cas contraire, il y aurait lieu de se demander pourquoi Gannon ne l'a pas rapporté soit à la direction, soit à la police du CP, soit encore à la GRC. De même, je n'arrive pas à m'expliquer qu'un incident aussi grave n'ait pas été mentionné dans la plainte. J'estime que cette allégation du plaignant est sans fondement.

3. La troisième allégation additionnelle faite par le plaignant (p. 133- 134) concerne une demande d'indemnisation faite par lui après qu'il eut supposément subi des blessures en déplaçant un classeur et en se frappant contre un refroidisseur d'eau. Le plaignant a affirmé que la

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direction avait déclaré qu'il mentait et qu'il ne s'était pas blessé. Il n'est pas nécessaire, à ce stade, d'exposer en détail les circonstances dans lesquelles ces blessures sont survenues. Il importe cependant de noter que plusieurs dépositions concernant ces incidents ont été faites par le plaignant, certains de ses collègues et deux officiers de la police du CP qui ont mené enquête à leur sujet. Ces dépositions m'indiquent que les circonstances dans lesquelles le plaignant s'est blessé en déplaçant un classeur sont douteuses et que l'incident du refroidisseur d'eau ne s'est pas produit. Deux témoins de l'intimé qui ne connaissent pas le plaignant, Kenneth Lloyd Carson et F.C. Wirrell, respectivement agent principal, Réclamations, et agent principal adjoint, Réclamations, ont longuement décrit les critères qui ont servi à établir si une enquête devait être menée relativement à la demande du plaignant. Ces critères sont appliqués pour toutes les demandes traitées en Colombie- Britannique. Les deux témoins ont décrit en détail les motifs pour lesquels la demande du plaignant devrait ou non faire l'objet d'une enquête. Ils ont fait état des sommes versées annuellement par l'intimé à titre d'indemnités ainsi que du nombre moyen de demandes dont l'intimé requiert le rejet à tous les ans, qui oscille entre 40 et 50 pour cent des demandes donnant lieu à des enquêtes. Il n'est donc nullement surprenant que la demande du plaignant ait donné lieu à une enquête et que l'intimé ait demandé son rejet, quand on sait qu'il n'a pas été possible de déterminer avec certitude si le plaignant s'était réellement blessé. Les deux témoins de l'intimé sont des professionnels chevronnés qui oeuvrent dans le domaine de l'indemnisation depuis un grand nombre d'années. Ils ont déclaré sous serment que la demande du plaignant avait été traitée comme toute autre demande. Aucun détail de leur déposition n'a été réfuté par le plaignant ni par la Commission. J'estime donc fausse l'affirmation du plaignant selon laquelle il a été victime de racisme dans les circonstances décrites plus haut.

4. Selon la quatrième allégation additionnelle, le syndicat n'aurait pas représenté le plaignant équitablement. Ici il faut tenir pour acquis que le plaignant fait allusion à R. Rollin et Wally Kirkpatrick, ses représentants syndicaux. Tous deux ont déclaré, lors de leur témoignage, que le plaignant avait été représenté équitablement par le syndicat. Wally Kirkpatrick est un témoin qui semble digne d'une grande confiance, faisant preuve d'une grande indépendance d'esprit et auquel personne ne dit quoi faire. C'est un homme qui ne permettrait à aucun des membres de la direction de l'influencer quand il s'agit de représenter les membres de son syndicat. Il a clairement démontré que le plaignant avait été représenté de manière juste et appropriée par le syndicat. Il connaît aussi à fond les ententes salariales (pièce R-37) conclues par la Brotherhood of Maintenance of Way Employees (dont font partie les employés de la division Ponts et bâtiments), ainsi que les procédures de dépôt de grief qui y figurent. Lorsqu'on a laissé entendre à Kirkpatrick, lors de son contre-interrogatoire, que lui et Rollin avaient, en tant que représentants syndicaux de

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Gannon, agi de manière discriminatoire envers celui-ci, il a déclaré (p. 2118) :

[TRADUCTION]

"J'ai de la difficulté à croire cela, et il a aussi mentionné qu'il s'entendait [TRADUCTION] très bien avec le plaignant. Il a ensuite relaté en détail un incident survenu après que le plaignant et Rogal eurent déposé un grief conjoint concernant des heures supplémentaires. Le plaignant a déclaré qu'il n'a pas été autorisé à assister à une séance d'arbitrage à Montréal (p. 140-141), malgré qu'il avait insisté pour y être présent, étant donné qu'il était convaincu que son syndicat ne l'avait pas représenté équitablement dans le passé. Le plaignant a soutenu qu'il devait assister à cette séance d'arbitrage, il a insisté en ce sens et il s'est battu pour son droit d'y être présent. Il est même allé jusqu'à consulter à ce sujet un avocat spécialisé en relations de travail et il a menacé de déposer un grief contre le syndicat. Lors de son témoignage, le plaignant a déclaré (p. 282 à 288) que le syndicat lui avait fourni un billet d'avion, après quoi il a décidé de ne pas se rendre à Montréal. Et maintenant, plusieurs années par la suite, il déclare devant ce tribunal que le syndicat ne l'a pas traité équitablement. Lors de son témoignage, Kirkpatrick a déclaré que la séance d'arbitrage s'est déroulée de manière équitable. Le plaignant n'a intenté aucune poursuite contre son syndicat en vertu de l'art. 37 (auparavant l'art. 136.1) du Code canadien du travail, malgré qu'il savait, de toute évidence, qu'il avait le droit de le faire, tel que nous le révèle sa déposition (p. 140). Lorsque je lui ai demandé si le plaignant [TRADUCTION] était traité avec justice, comme le reste d'entre vous", Kirkpatrick a répondu :

[TRADUCTION] "Je le crois". M. K.E. Webb, un employé du service des Relations syndicales, a déclaré qu'aux termes de l'art. 37, un employé peut interjeter appel ou déposer un grief à l'encontre de tout acte arbitraire ou discriminatoire ou de tout acte posé de mauvaise foi en son nom par le syndicat. Le plaignant n'a pas déposé de grief. Il a fait valoir qu'il s'y connaissait très peu en matière de convention collective et d'affaires syndicales. Afin d'appuyer cette affirmation, le plaignant a tenté de faire croire au tribunal, alors qu'il répondait à une question de M. Lee, qu'il ne savait pas lire. Cette affirmation est complètement fausse. A plusieurs reprises pendant l'audience, le plaignant n'a éprouvé aucune difficulté à lire des paragraphes très techniques et embrouillés de la convention collective en plus d'avoir pris de grandes quantités de notes. Il n'a pas eu de difficultés à lire un journal à quelques occasions pendant les procédures. Il lui est également arrivé de consulter ses notes après qu'on lui eut offert la possibilité de questionner un témoin. Ces gestes ne sont certainement pas le fait d'une personne qui ne sait pas lire. Lorsqu'il s'est fait interroger par le tribunal et après qu'il ait présenté sa contre-preuve, le plaignant a tenté de justifier l'affirmation voulant qu'il ne savait pas lire en déclarant qu'il ne pouvait pas lire pendant de longues périodes parce qu'il se refroidissait. Cette explication est pour le moins douteuse. Le plaignant avait déclaré précédemment dans son témoignage qu'il tenait un journal très détaillé, ce qui contredit ses explications. Je

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rejette l'allégation selon laquelle le plaignant n'a pas été traité équitablement par son syndicat.

5. Le plaignant a fait deux allégations additionnelles relativement au fait que des offres d'emploi n'avaient pas été affichées à Port Coquitlam et qu'on l'avait privé de l'occasion de postuler les emplois qui auraient dû être annoncés. Ces deux allégations semblent constituer l'un des points forts de la déposition du plaignant. Il est révélateur de constater que ni l'une ni l'autre n'a été mentionnée dans la plainte ou sa version modifiée. A la question [TRADUCTION] Est-il déjà arrivé à votre connaissance qu'une offre d'emploi ait été affichée à Vancouver mais pas à Port Coquitlam?, R. Rollin, qui est contremaître, a répondu (p. 544) : Non, pas à ma connaissance. En réponse à la question [TRADUCTION] En ce qui a trait à l'affichage d'offres d'emploi et aux procédures à suivre pour faire une demande d'emploi, à quel endroit sont affichées les offres relatives à de nouveaux postes?, Wally Kirkpatrick a répondu (p. 1003) :

[TRADUCTION]

"Une seule offre a été affichée en six ans ou à peu près mais, habituellement, ces offres sont envoyées aux contremaîtres par le bureau puis elles sont affichées sur un babillard. Kirkpatrick a ajouté que ce babillard se trouvait à proximité de l'endroit où les employés se changeaient et mangeaient. Ces offres étaient affichées à un endroit auquel tout le monde avait accès et elles étaient transmises à tous les contremaîtres. M. J. Templeton a déclaré (p. 573) que les postes vacants étaient annoncés pendant 15 jours et décrits en détail sur l'offre affichée. M. Webb a déclaré que l'affichage d'offres d'emploi et l'attribution de postes font l'objet de dispositions spécifiques de la convention collective et qu'il s'agit de questions relevant de l'intimé et du syndicat, dont le plaignant est membre. Dans une lettre (pièce HR-7) datée du 31 janvier 1985 et envoyée par le plaignant à M. Zakaluk, le maître divisionnaire, il est allégué que, lors de l'attribution d'un certain nombre de postes, les dispositions de la convention collective n'ont pas été respectées en ce qui a trait aux droits d'ancienneté du plaignant. Celui-ci n'a pas spécifié les dates auxquelles sont survenues les prétendues infractions. Dans une lettre (pièce HR-8) datée du 5 février 1985, M. Zakaluk explique au plaignant qu'aux termes de l'article 18.6 de la convention collective, il doit, dans un premier temps, déposer un grief par écrit dans les 28 jours suivant l'incident l'ayant motivé, et lui mentionne également qu'il gardera le dossier ouvert jusqu'au 28 février afin de permettre au plaignant d'y verser les dates manquantes. Rien ne prouve que le plaignant ait profité de cette occasion. Il est évident que les dates demandées auraient été antérieures à la date de la lettre constituant la pièce HR-7. Pourquoi le plaignant aurait-il attendu quatre années et demie pour se plaindre au sujet d'emplois qu'il aurait supposément postulés mais qui n'ont pas été attribués? Je crois pour ma part qu'il ne les a pas postulés ou que ces postes ne lui importaient pas suffisamment pour qu'il songe à loger une plainte. Les dépositions entendues, dont celles du plaignant, nous démontrent que si certaines offres d'emploi

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n'avaient pas été affichées le plaignant l'aurait su presque immédiatement. Il a d'ailleurs lui-même déclaré que rien n'était confidentiel à la division Ponts et bâtiments. J'estime que le plaignant a été informé bien à temps de tout emploi offert à la division. Il n'a fait aucune démarche en vue de déposer un grief et il est maintenant beaucoup trop tard pour exercer quelque recours que ce soit. Ces deux allégations sont donc rejetées.

6. Si l'on en croit la dernière allégation additionnelle, Rogal avait fouillé dans le casier privé du plaignant, qui juge que cet incident se trouve à l'origine de toutes ses difficultés, puisque c'est en fouillant dans le casier en question que Rogal a vu une photographie du plaignant avec des membres de sa famille révélant leurs origines africaines. Mais il a été clairement établi qu'il existe deux types de casiers : les casiers privés et personnels et les casiers de la société. Le casier privé et personnel sert exclusivement, comme son nom l'indique, à ranger des biens personnels. Le casier de la société sert à ranger des équipements utilisés par un employé. Rogal a nié avec la dernière énergie avoir ouvert le casier personnel de quiconque ou en avoir coupé le cadenas. Et cela comprend le casier de la quarantaine de personnes qui ont travaillé à l'atelier pendant les 15 dernières années. Il a expliqué qu'il était souvent nécessaire de couper le cadenas d'un casier de la société lorsqu'un employé était absent et que l'on devait se servir des outils et de l'équipement qui se trouvaient dans son casier. Pendant le contre-interrogatoire de Rogal, M. Lee lui a demandé s'il y avait une différence entre un casier personnel et un casier de la société, ce à quoi Rogal a répondu :

[TRADUCTION]

"Il y en a certainement une." Lors de son témoignage, Gannon a également déclaré qu'en fouillant dans son casier, Rogal avait dû voir dans son album à photos que les soeurs et les cousins de Gannon avaient la peau beaucoup plus foncée que lui; ce serait à compter de ce moment que tout le monde a commencé à agir de manière raciste et discriminatoire à l'endroit du plaignant. Gannon n'a pu faire corroborer cette allégation par qui que ce soit, ni même prouver l'existence de la prétendue photographie. La preuve démontre clairement que personne n'a fouillé dans le casier personnel de Gannon, et tout aussi clairement que celui-ci a tenté d'induire le tribunal en erreur en n'établissant pas la distinction qui s'imposait entre un casier personnel et un casier de la société. Je rejette donc cette dernière allégation additionnelle.

Éléments de la plainte

Je vais maintenant procéder à l'examen des neufs éléments formant la plainte de Gannon.

Tout d'abord, le plaignant prétend qu'il a été traité différemment des autres employés et victime de harcèlement en cours d'emploi entre mars 1979 et août 1985, et qu'il s'est fait traiter de nègre par des collègues et un superviseur. Il n'y a aucun doute que le plaignant a été traité

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différemment des autres employés. Il est évident qu'il a aussi été largement privilégié. La preuve démontre que les agents d'entretien des ponts à la division Ponts et bâtiments sont tenus d'exécuter toutes sortes de travaux, dont la plupart sont ingrats, salissants, exigeants au plan physique et accomplis dans toutes sortes de conditions climatiques. Il arrive aussi fréquemment que d'autres hommes de métier soient mandatés pour faire ces travaux. C'est dans ce contexte que le plaignant a été privilégié. G.A. Baldry a indiqué, aux pages 475 à 477, que le plaignant n'est tenu de faire rien d'autre que de peindre, qu'il n'a donc pas à travailler à l'entretien des ponts, et que Rogal, le contremaître, ne lui demande pas d'aider d'autres employés. Il est laissé seul lorsqu'il peint, ce qui lui enlève toute occasion de causer des ennuis. Baldry explique que cette situation engendre de l'animosité, particulièrement de la part de personnes comptant plus d'années de service que le plaignant, tel Fred Smith. Lorsqu'on lui a demandé s'il était au courant que le plaignant subissait de la discrimination dans son milieu de travail, Greg Craig a répondu (p. 644) :

[TRADUCTION]

"Je crois que M. Gannon bénéficie dans l'ensemble d'un meilleur traitement que l'employé type faisant partie de l'équipe d'entretien des ponts et bâtiments", et lorsqu'on lui a demandé pourquoi il en était ainsi, il a répondu :

[TRADUCTION] "Je crois, au niveau hiérarchique où je me situe, que le CP Rail a tendance à gâter M. Gannon parce qu'il ne veut pas être mêlé à la guerre psychologique que celui-ci livre à la société". Il faut se souvenir que Greg Craig se considérait lui-même un ami du plaignant et se sentait probablement plus près de lui que d'autres employés, ce qui donne du poids à sa déposition. Rogal a indiqué (p. 432) que le plaignant dénigrerait son travail s'il en avait l'occasion. Il a aussi été établi que lorsque le plaignant était contremaître, Peinture, il tentait de dénigrer d'autres contremaîtres. Rogal a déclaré :

[TRADUCTION] "Je n'aime pas les confrontations. De fait, lorsqu'une personne me cause des ennuis, j'ai tendance à m'éloigner ou à donner à cette personne les directives qu'il faut tout en essayant de ne pas aller plus loin". Rogal accordait moins d'attention au plaignant qu'aux autres employés. En réponse à une question de Mme Shivji, Fred Smith a répondu (p. 718) :

[TRADUCTION] "Je ne veux pas me mêler de ça!", et a expliqué qu'il occupe un poste de menuisier à l'établi et que le plaignant a moins d'ancienneté que lui et que, malgré cela, on l'a retiré d'un projet pour l'envoyer travailler au pont Pit River, une tâche ingrate que le plaignant n'aura pas à accomplir. Baldry affirme (p. 476) que lorsque Gannon ne veut pas exécuter une tâche, il sème le désordre et la plupart des hommes ne veulent pas travailler avec lui. On le laisse seul. M. Lee prétend que Gannon est tenu à l'écart et marginalisé par Rogal et que les racistes de la division Ponts et bâtiments font tout ce qu'ils peuvent pour l'isoler. Or il a été clairement établi que Gannon est un fauteur de troubles et un semeur de zizanie, qu'il a des sautes d'humeur ainsi qu'un tempérament explosif et qu'il est un manipulateur. Il fait tellement de remous lorsqu'on lui demande d'accomplir un travail ingrat que ses collègues préfèrent tout simplement ne plus compter avec lui. Le plaignant a déclaré qu'il est contraint de travailler, de se changer et de manger seul. Lorsque Gannon était agent d'entretien des ponts, il travaillait, de son propre aveu, avec les autres employés. Lors de son

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interrogatoire principal, il a parlé essentiellement d'affectations et a déclaré (p. 66) :

[TRADUCTION] "On nous avait regroupés en une paire". Greg Craig, l'ami le plus intime de Gannon, a aussi déclaré dans sa déposition (p. 621) que John Fleur, Ken Gannon et lui-même avaient construit des murs de soutènement et réparé des blocs d'arrêt ou des rampes de chargement à New Westminster. Il a aussi mentionné (p. 626-627) que Gannon s'est tenu à l'écart dès les premiers jours et qu'il lui avait dit qu'il préférait travailler seul. Cette déposition n'a pas été réfutée et j'y prête foi. Lorsqu'il était contremaître, Peinture, Gannon s'occupait lui-même de choisir ses tâches. Lorsqu'il est redevenu peintre, en raison d'une réduction d'effectifs, la nature de son travail voulait qu'il travaillât seul étant donné qu'il est le seul peintre. Selon des éléments de preuve auxquels je prête foi, Gannon était souvent encouragé ou invité à manger ou à se changer avec les autres employés. Il refusait ces invitations parce qu'il préférait être seul. Quant à la vie sociale des employés, il a été démontré qu'il était toujours invité à participer aux activités organisées, mais qu'en règle générale, il refusait ces invitations. Le plaignant n'a pas été victime d'ostracisme ni marginalisé : on le laisse tout simplement seul lorsqu'il exécute son travail et c'est pourquoi il est souvent appelé à se rendre à des endroits où il doit être seul. M. Gannon prétend aussi s'être fait harceler dans son milieu de travail, mais il n'arrive pas à préciser de quelle façon et dans quelles circonstances cela s'est produit. Je présume donc qu'il fait allusion aux insultes à connotation raciale qui lui ont été adressées. Dans sa propre déposition, il affirme que les deux seuls quolibets qu'il a entendus dans son milieu de travail étaient nègre et frog. Le premier s'appliquait à Gannon et le second à Ray Rollin. Celui-ci est canadien- français et il fut autrefois contremaître, Plomberie. Il est actuellement président de la section locale 167 de la Brotherhood of Maintenance of Way Employees. Il a déclaré (p. 521) que, vers 1978, il a vécu une expérience déplaisante avec Gannon, qui lui avait été confié pour une journée afin d'aider son équipe à déplacer du matériel. Ce jour-là, Rollin n'avait pas été en mesure d'aider les employés au moment même où ils commencèrent à travailler, étant donné qu'il avait d'autres engagements à remplir. Gannon s'est fâché à cause de cela et il est entré dans le bureau de Rollin en lui disant :

[TRADUCTION] "Pourquoi diable n'es-tu pas en train de travailler avec nous à l'extérieur" ou "de nous aider à déplacer les tuyaux qui font partie de ton propre matériel?" Cela a irrité Rollin et l'a rendu furieux, étant donné que c'était lui le contremaître, et il a dit à Gannon de retourner travailler et l'a traité de nègre. Dix minutes plus tard Gannon est revenu le voir et lui a dit :

[TRADUCTION] "Ta mère baise avec des nègres". Rollin a alors dit :

[TRADUCTION] "Bon, ça suffit." Gannon est ensuite retourné travailler, ce qui mit fin à l'incident. Rollin a déclaré qu'on le désignait à l'aide du mot frog depuis plusieurs années, que ce mot était devenu son surnom à l'atelier et que dans la plupart des cas, les employés l'employaient de manière amicale, bien qu'à une certaine époque passée, cela l'ait agacé. Une figurine en forme de grenouille se trouve d'ailleurs maintenant sur son bureau. Gannon a prétendu qu'un grand nombre de ses collègues le traitaient de nègre en sa présence ou à son insu. Lorsqu'on l'a soumis à un interrogatoire plus serré, il a admis que

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seulement trois de ses collègues utilisaient ce terme. Certains éléments de preuve laissent croire que le terme nègre n'était employé qu'à l'occasion, et que ce terme n'était utilisé qu'en réplique aux nombreuses remarques gratuites très offensantes et à connotation sexuelle ou raciale que faisait Gannon au sujet des femmes, des mères et des petites amies de ses collègues. Voici un résumé de ces remarques :

  1. Greg Craig a déclaré (p. 622) : [TRADUCTION] Ken Gannon avait l'habitude d'embêter John Fleur en lui disant que sa copine suçait de grosses queues de nègres et des choses de ce genre, et cela arrivait souvent.
  2. Bob Wallace (p. 735-736) : [TRADUCTION] Cette déclaration était pour le moins choquante et c'est pourquoi je m'en souviens. L'opérateur de plate-forme se plaignait de son dos et M. Gannon lui a dit : [TRADUCTION] Je vais t'enculer avec ma grosse queue brune, et tu vas voir, ça replacera ton dos.
  3. Dave Rogal (p. 408] : [TRADUCTION] [...] espèce de sorcier, ce gros étalon noir est en train de baiser ta mère, ou ta femme, aujourd'hui.
  4. Gil Baldry [p. 473] : [TRADUCTION] [...] Ta mère est-elle en train de baiser avec un gros nègre, Rogal? et à la page 474 : [...] Espèce de fils de pute débile.
  5. J.J. Mullen [p. 815] : [TRADUCTION] [...] Espèce de fils de pute blanc débile.
  6. Greg Craig (p. 625) : [TRADUCTION] Petit Blanc débile et à la page 647 : Est-ce que c'est vrai que ta petite amie suce des grosses queues brunes?
  7. R.J. Wallace (p. 735) et Chris Campbell (p. 1064), ont révélé que Gannon avait dit : [TRADUCTION] Je vais t'enculer avec ma grosse queue brune, et tu vas voir, ça replacera ton dos.
  8. R.J. Wallace (p. 735) : [TRADUCTION] Je suis un gros nègre et ta mère baise avec des nègres.
  9. Clark deBoer (p. 773) : [TRADUCTION] Sale Blanc.

On ne saurait douter que ces remarques ont été faites par Gannon au fil des ans sans que celui-ci ait été provoqué. Si l'on s'en fie à des dépositions faites par un grand nombre de ses collègues et n'ayant pas été réfutées, Gannon utilisait lui-même constamment le mot nègre pour se désigner en faisant des déclarations du genre de celle-ci :

[TRADUCTION]

"Comment se fait-il que ce soit toujours nous les nègres qui faisons tout le travail pendant que les fils de putes blancs que vous êtes restent là à ne rien faire." Cela est démontré sans l'ombre d'un doute par les

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dépositions de Clark de Boer, de MacVittie, de Mullen, de Swanson et de Chris Campbell.

M. Lee tente de nous faire croire que Gannon tenait de tels propos parce que tous ses collègues étaient racistes et voulaient avoir sa peau. Je ne suis pas d'accord avec ce point de vue. J'ai nettement l'impression que le plaignant est obsédé ou du moins très préoccupé par des questions d'ordres sexuel et racial (concernant, dans ce cas, la race noire). Il n'est pas surprenant que les collègues de Gannon aient réagi à ces attaques et commencé à le traiter à l'occasion de nègre. Il faut se souvenir que l'équipe de la division Ponts et bâtiments comprend 10 ou 11 hommes qui étaient ensemble depuis des années et qui avaient l'habitude de s'interpeller entre eux à l'aide de surnoms. Gannon a également accusé Rogal d'avoir utilisé le nom Jackson. La preuve indique que Gannon avait posé une affiche du chanteur noir Michael Jackson dans son casier. La signification de cette affiche et du nom Michael Jackson n'a pas été établie. La preuve démontre que Gannon lui-même se désigne du nom de Jackson. La preuve m'a convaincu que le mot nègre n'a été utilisé que par trois employés et non pas par tous les collègues de Gannon, comme celui-ci l'avait affirmé au départ. Lorsque M. Hume l'a questionné avec insistance pendant son contre-interrogatoire, Gannon a déclaré que seulement trois employés de la division avaient employé le terme nègre. Je crois également que c'est Gannon qui a introduit l'usage de ce terme, qu'il approuvait lui-même.

La preuve révèle également que le plaignant proférait d'autres insultes à connotation raciale telles que [TRADUCTION] fils de p... blanc, petit Blanc, sans qu'il ait été provoqué. Il m'apparaît révélateur que Gannon ait déclaré qu'il n'utilisait l'expression [TRADUCTION] débiles, fils de putes blancs, qu'aussi souvent qu'ils l'utilisaient à mon endroit (en employant le terme nègre), et que cela s'était en fait produit à trois ou quatre reprises pendant la période allant de 1978 à 1985. Comment l'emploi du terme nègre à trois ou quatre reprises pendant la période allant de 1978 à 1985 peut-il donc être assimilé à du harcèlement? L'emploi de ce terme ne constitue pas du harcèlement. La preuve démontre de façon concluante que le plaignant a insulté ses collègues beaucoup plus que trois ou quatre fois. Pendant son contre-interrogatoire, le plaignant a nié avoir dit :

[TRADUCTION]

"Comment se fait-il que ce soit toujours nous les nègres qui faisons tout le travail ici? Lorsqu'on lui a rappelé qu'il faisait sa déposition sous serment, il a immédiatement déclaré : [TRADUCTION] Je ne me souviens pas. (J'ai remarqué qu'en plusieurs occasions, le plaignant invoquait cette excuse.) Cela visait à nous tromper. Je crois que le plaignant n'est pas cet individu harcelé et sans défense qu'il prétend être. Selon moi, il est celui qui harcèle et non pas la victime. Il est certain que Gannon s'est fait traiter de nègre et qu'on l'a appelé Jackson dans son milieu de travail, mais la preuve nous révèle que c'était continuellement lui-même qui initiait l'usage de ces quolibets et qu'il avait l'habitude de les utiliser lui-même pour se désigner. Certains de ses collègues ont admis les avoir eux-mêmes utilisés, ce qui ne fut guère facile pour eux. Gannon,

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pour sa part, n'a rien admis sauf lorsqu'on le pressa de questions. Bien qu'on ne saurait l'excuser, l'emploi du mot nègre était justifié dans la mesure où il visait à répliquer à Gannon dans certaines circonstances. En employant lui-même continuellement ce terme, Gannon a fini par répandre son usage. L'emploi de ce mot ne constitue pas du harcèlement au sens de la LCDP, en l'absence d'une preuve crédible du fait que ses collègues l'utilisaient de façon répétitive. La déposition de Gannon me laisse l'impression que celui-ci croit que l'enquête, les interrogatoires et l'enregistrement de déclarations effectués par l'intimé constituent le harcèlement dont il se plaint. A ses yeux, les enquêtes menées au sujet de divers incidents, accidents et accusations de racisme, s'assimilent à du harcèlement. Ces enquêtes semblaient le préoccuper beaucoup plus que l'emploi du terme nègre. Il est instructif de consulter, à ce sujet, les pages 348 et suivantes, où figurent les réponses apportées à des questions du tribunal. Gannon se plaint du processus d'enquête. De quelle autre façon pourrait-on découvrir la vérité? Il est évident que Gannon doit se rendre compte que lorsqu'il fait une allégation, un enquête s'ensuivra. Si tel n'était pas le cas, il serait d'ailleurs le premier à s'en plaindre. Peut-être n'aime-t-il pas se faire interroger et voir que l'on enregistre ses déclarations (comme il est évident que cela ne plaît pas non plus à d'autres), mais il s'agit d'un processus qu'il doit accepter. Il a la responsabilité en tant qu'employé de collaborer à la tenue d'une enquête légitime.

En ce qui a trait au deuxième élément de la plainte, les dépositions de J.A.G. Templeton, surintendant, et de K.E. Webb révèlent qu'un contremaître n'est pas obligé de choisir l'employé comptant le plus d'années de service pour des postes temporaires qui doivent être comblés pour des périodes de moins de 45 jours; ils sont seulement tenus de choisir l'employé qualifié ayant de l'ancienneté qui est disponible au moment voulu, tel que le stipule la clause 14.4 de la convention collective (pièce R-37). La preuve révèle que des postes temporaires ont été attribués à Gannon, ce que confirme son dossier d'emploi (pièce R-48). Quoi qu'il en soit, si un poste temporaire n'a pas été comblé de la manière appropriée, cela peut être contesté au moyen d'un grief, conformément aux dispositions de la convention collective. Gannon est membre du syndicat et il a déclaré bien connaître les dispositions relatives au dépôt d'un grief, figurant aux pages 263, 270 et 271 de la convention collective. Il n'a pas été prouvé qu'il a déposé un grief. M. Templeton a déclaré qu'en temps normal, le poste temporaire était attribué à la personne la plus qualifiée. A part la déclaration dénuée d'explication du plaignant, rien ne prouve qu'il y a eu du favoritisme dans l'attribution de postes temporaires. Gannon n'a pas démontré qu'il était qualifié pour l'emploi temporaire qu'il a postulé. Dans sa déposition, il s'est longuement étendu sur le fait qu'il ne pouvait pas acquérir de nouvelles compétences, étant donné qu'on ne lui donnait pas l'occasion de travailler comme aide pour divers spécialistes. Dans sa déposition, M. Webb mentionne qu'il appartient à l'employé d'acquérir les compétences pertinentes et d'obtenir un certificat d'une école spécialisée ou encore de suivre un programme d'apprentissage spécifiquement conçu pour les employés du secteur des chemins de fer. Il n'existe pas de programmes

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de ce genre visant à former les spécialistes dont la division Ponts et bâtiments a besoin. M. Webb a également déclaré qu'une personne ne peut accumuler de l'ancienneté à un poste sans posséder les qualifications s'y rattachant. Les pièces HR-4, HR-5 et HR-6, respectivement datées du 2 décembre 1985 (de fait, il s'agit de l'année 1984), du 9 janvier 1985 et du 21 janvier 1985, consistent en des lettres échangées entre le plaignant et J.S. Craig, ingénieur divisionnaire, au sujet de la demande faite par Gannon pour obtenir un poste d'aide-plombier. Il est utile de noter que le plaignant n'a pas soutenu dans cette correspondance qu'il avait subi de la discrimination raciale, ni qu'il avait déposé un grief. La pièce HR-5 révèle que K.H. Kirkpatrick a été engagé comme plombier et non pas à titre d'aide-plombier, et que le plaignant n'était pas considéré comme étant apte à occuper un poste de plombier. Les pièces HR-7 et HR-8, respectivement datées du 31 janvier et du 5 février 1985 et consistant en des lettres qu'ont échangées le plaignant et M. Zakaluk, le maître divisionnaire, révèlent que le plaignant a mentionné qu'il déposerait [TRADUCTION] un grief pour discrimination, étant donné qu'on lui avait retiré à deux reprises son droit de faire valoir les années d'ancienneté qu'il avait accumulées en vue d'obtenir un poste de menuisier, un poste de soudeur, également à deux reprises, et un poste de plombier ainsi qu'un poste d'aide-plombier. Zakaluk lui avait répondu qu'il devait déposer ce grief dans les 28 jours. Il lui avait également dit qu'il garderait son dossier ouvert jusqu'au 28 février 1985, afin de lui donner l'occasion d'y verser les dates manquantes. Aucun élément de preuve n'indique que le plaignant ait fourni ces dates ou déposé un grief. Je rejette donc cette allégation.

La troisième allégation faite par Gannon veut qu'on l'ait privé de l'occasion de faire du temps supplémentaire. Le temps supplémentaire est régi par la convention collective. MM. Webb et Templeton ont traité de cette question dans leur déposition. On offre aux employés de faire du temps supplémentaire lorsqu'il devient évident qu'une tâche ne pourra pas être complétée pendant les heures normales de travail. Le temps supplémentaire est alors offert aux employés qui étaient déjà engagés dans l'exécution de cette tâche. Les dépositions de Greg Craig, Wally Kirkpatrick et Randy Walker démontrent clairement que le temps supplémentaire est attribué de façon équitable à tous ceux qui ont les capacités et le désir de faire des heures supplémentaires. Certaines dépositions, dont celles du plaignant, révèlent que celui-ci a lui-même fait du temps supplémentaire pendant ses premières années à l'atelier, mais que, par la suite, il refusa si fréquemment les offres d'heures supplémentaires qu'on finit par cesser de lui en faire. Gannon prétend qu'on aurait quand même dû continuer de lui offrir du temps supplémentaire, peu importe s'il devait ou non opposer un refus. Quoi qu'il en soit, son recours consistait à déposer un grief et non pas à invoquer les dispositions de la LCDP, ce qu'il savait d'ailleurs parfaitement. Lui-même et Rogal avaient à un moment donné déposé un grief conjoint au sujet du temps supplémentaire en 1983. Ce grief fut rejeté, mais la décision de l'arbitre (pièce R-12) révéla que l'attribution du temps supplémentaire avait été effectuée en conformité avec la convention collective, que Gannon connaissait bien les dispositions de celle-ci, qu'il savait qu'il avait le

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droit de déposer un grief et qu'il était évident, malgré ses affirmations à l'effet contraire, qu'il avait le plein appui de son syndicat. Cette situation ne permet donc pas de fonder une accusation de discrimination.

Gannon allègue, dans un quatrième temps, qu'il s'est fait punir de manière plus rigoureuse que d'autres employés. De par leur nature, les mesures disciplinaires s'appliquent de manière individuelle et dépendent largement des faits relatifs à chaque cas. Elles s'apparentent grandement aux peines décernées par les tribunaux dans le cours normal de leurs affaires. Elles doivent être imposées de manière discrétionnaire, et en tenant compte des exigences de la loi et d'un grand nombre de facteurs, tels la gravité de l'infraction et le contexte dans lequel celle-ci a été commise, les circonstances atténuantes, les antécédents du contrevenant et la politique de l'employeur. L'imposition de mesures disciplinaires est régie en détail dans la convention collective et si une personne croit qu'elle a été injustement punie, elle a tous les droits et pouvoirs pour se prévaloir des dispositions applicables de cette convention. De fait, Gannon a tenté d'obtenir réparation en déposant des griefs relativement à deux incidents survenus le 25 mai 1985 et les 9 et 10 juillet 1985, à la suite desquels il fut accusé d'insubordination. Dans le premier cas, il a obtenu gain de cause et 15 points de démérite ont été effacés de son dossier, tandis que, dans le second cas, son grief fut rejeté, mais Gannon profita quand même de circonstances atténuantes et les 30 points de démérite qui lui avaient été attribués furent réduits à quinze. Les décisions rendues par l'arbitre relativement à chacun de ces cas (pièces R-13 et R-67) et la description du système de discipline Brown faite par Templeton dans sa déposition (pièce R-17), permettent d'établir hors de tout doute que les procédures de l'intimé, le système de discipline Brown et la convention collective furent appliqués intégralement dans le présent cas. L'étude des dossiers d'emploi de tous les collègues de Gannon (pièces HR-11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 26 et 27), qui contiennent un relevé disciplinaire, ainsi que l'étude du relevé disciplinaire de Gannon (pièce HR-48), ne permettent pas de prouver l'allégation faite par Gannon. Il importe de tenir compte, en ce qui a trait au relevé disciplinaire de Gannon, d'un incident survenu le 9 février 1984 dans lequel fut impliqué un véhicule à moteur conduit par le plaignant et relativement auquel la GRC a soumis un rapport à l'intimé, dans lequel il est mentionné qu'un autre conducteur avait déclaré que le véhicule en question avait été conduit de manière mal assurée. Interrogé à ce sujet par Zakaluk, Gannon a déclaré (p. 127) :

[TRADUCTION]

Je peux vous assurer que je ne conduisais pas ce véhicule.

Le lendemain ou le surlendemain, il s'est toutefois retracté et a révélé ce qui suit à J.S. Craig dans une déclaration supplémentaire (pièce R-45) datée du 16 avril 1984 :

[TRADUCTION]

"Je désire maintenant déclarer que je me souviens de cet incident et que j'étais le conducteur du véhicule de la société [...]", alors que, dans une déclaration antérieure faite à J.S. Craig le 13 avril 1984 (pièce R-44), il avait déclaré lorsqu'on lui avait montré une lettre de la GRC décrivant la conduite mal assurée du véhicule :

[TRADUCTION] "Non, je ne me souviens pas de cet incident." Toujours en ce qui a trait à l'imposition des mesures disciplinaires, Gannon a prétendu que deux

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employés étaient entrés dans les installations de la société après les heures normales d'affaires et après avoir bu, et qu'ils avaient ouvert un casier à l'aide d'une hache, mais qu'ils ne firent pas l'objet de mesures disciplinaires pour ce geste. La preuve révèle que cet incident n'a pas été rapporté à la direction (c'est-à-dire à M. Zakaluk), malgré le fait que les employés en avaient eu vent. Personne ne voulait que la direction mène une enquête et personne ne fit rapport de l'incident, pas même Gannon. Comment peut-il se plaindre maintenant? Dans le même ordre d'idées, il faut aussi parler de l'insubordination démontrée par Gannon, qui fut longuement tolérée par son contremaître Rogal (p. 400, 432 et 435), même après que Gannon lui eut dit (p. 436) :

[TRADUCTION]

«Va te faire foutre, espèce de blanc débile, je ne suis pas obligé de faire ce travail.» La déposition de Baldry (p. 475-476) révèle que Gannon ne coopérait pas avec les autres et semait le désordre lorsqu'on lui demandait d'accomplir un travail qui ne l'intéressait pas. A la page 400 de sa déposition, Rogal a aussi mentionné que Gannon [TRADUCTION] défiait ouvertement l'autorité à l'occasion. Templeton a confirmé le fait que les mesures disciplinaires imposées n'étaient pas plus rigoureuses que celles qui auraient été imposées à tout autre employé. Il importe aussi de noter que les mesures disciplinaires imposées à Gannon avaient été soigneusement établies et que, de fait, elles avaient été révisées en deux occasions. Ce système fonctionnait. M. Lee a longuement traité de la pièce HR-28, soit la note de service envoyée par Templeton à J.S. Craig au sujet de la déclaration faite par Gannon selon laquelle certains de ses collègues avaient fait preuve de sectarisme en employant le mot nègre relativement à la déclaration qu'il avait faite à propos de sa blessure au dos et de la violation d'une règle de sécurité qui avait été associée à cet incident. Dans cette note, Templeton a mentionné qu'il fallait soumettre Gannon à d'autres entrevues en vue de le discréditer. M. Lee laisse entendre que cela indique que la direction voulait la peau de Gannon. Ce que cela démontre, c'est que Templeton voulait que Craig impose l'épreuve d'un contre-interrogatoire à Gannon. Cette approche est parfaitement correcte. Le système judiciaire permet que l'on procède à un contre-interrogatoire dans le but de vérifier la véracité d'une allégation. La direction voulait confirmer les faits qui avaient été cités, d'autant qu'elle avait appris que G.J. Craig avait indiqué dans sa déclaration que Gannon avait déclaré, la veille du jour où il prétendait s'être blessé au dos, qu'il feindrait une blessure. M. Lee a aussi accordé beaucoup d'importance au fait qu'un grand nombre des déclarations enregistrées par J.S. Craig étaient formulées de la même façon. Cela est sans importance. Ce qui compte, c'est que les personnes concernées ont signé ces déclarations. J'aimerais ajouter, en terminant, que même si l'on établissait que l'enregistrement des déclarations n'a pas toujours été effectué de manière juste et impartiale au sens strict, cela ne signifie pas que Templeton et J.S. Craig ont agi de façon discriminatoire à l'endroit de Gannon du fait de sa race, de la couleur de sa peau ou de sa situation de famille. Cela signifie seulement que l'enregistrement des déclarations aurait pu être effectué de manière plus appropriée. Je rejette donc cette allégation.

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En ce qui a trait au cinquième élément de la plainte de Gannon, il n'est pas juste d'affirmer que la direction n'a pris aucune mesure pour mettre fin aux abus de langage. On peut d'ailleurs s'en convaincre en consultant le Guide sur l'embauche (pièce R-38), le Code d'éthique professionnelle (pièce R-39) et la Politique d'équité en matière d'emploi (pièce R-40) du CP Rail. A la page 682, Greg Craig répond de manière honnête et franche, mais relativement peu rigoureuse, à des questions que je lui ai posées, comme suit :

Le président - [TRADUCTION] M. Craig, la société ou l'un de vos supérieurs ont-ils à votre connaissance publié une directive ou un énoncé de politique quelconque relatifs à la tenue de propos racistes ou à la discrimination fondée sur la race ou la couleur de la peau?"

M. Craig - [TRADUCTION] Là où je travaille, c'est un fait qu'aucune discrimination n'est tolérée. Presque tous les jours, je travaille avec des Chinois, des Indiens, des Italiens; si je faisais de la discrimination, tout le monde sait que la société me décernerait, pour une première faute, 30 ou 40 points de démérite. Il s'agit donc d'une pratique que le société ne tolère pas et ils nous l'ont fait savoir, ils l'ont annoncé. Mais pour vous dire la vérité, lorsque M. Gannon a repris son poste au bout d'un an, l'un des superviseurs nous a dit qu'il fallait mettre fin à ce qui était arrivé, peu importe de quoi il s'agissait. Il n'a pas donné de détails, il a dit :

[TRADUCTION]

"Si vous avez fait des remarques à connotation raciale, vous n'en faites plus". Ce que je veux dire, c'est que la société ne nous a jamais parlé directement de racisme et ne nous a jamais remis de documents à ce sujet. Pendant toute ma carrière, je n'ai jamais reçu de correspondance ou d'instructions verbales officielles à ce sujet."

Le président - [TRADUCTION] Cela étant dit, avez-vous l'impression et était-il clair pour vous que dans le cours normal des choses à la société, le CP Rail, vos collègues et vos supérieurs sont conscients de l'importance de ne pas passer des actes discriminatoires?

M. Craig - [TRADUCTION] Si un acte discriminatoire est posé, la société procédera immédiatement... elle sera amenée... Il arrive souvent que l'incident soit tenu secret par certains des employés de peur qu'une enquête ne soit menée, mais si cela est porté à l'attention de, disons, un maître de la division des Ponts et que la plainte est jugée légitime, alors la personne coupable d'avoir fait les remarques et accompli tout autre geste recevra la plus stricte... Tout le monde sait qu'il faut se comporter de la façon appropriée avec les employés et que, lorsqu'on a des sentiments négatifs, il faut les garder pour soi-même.

Il importe de noter et il est raisonnable de croire que Gannon avait perdu toute crédibilité auprès de ses collègues, compte tenu des propos à connotations raciale et sexuelle plutôt inadmissibles qu'il avait tenus au fil des ans, du désordre qu'il créait dans son milieu de travail, de son insubordination, de son comportement manipulateur et de son manque de franchise. Je rejette donc cette allégation.

En ce qui concerne le sixième élément de la plainte, je n'arrive pas à croire que Gannon ait fait une telle allégation. La preuve révèle que le

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constable Langston a interviewé Gannon à la division le 15 mars 1985 au sujet de la prétendue agression à la faveur de laquelle il aurait été projeté dans un refroidisseur d'eau. Le rapport de Langston était à la disposition d'un certain nombre d'employés du service des Enquêtes, qui l'ont de fait consulté. En ce qui a trait à la déclaration de Gannon faite le 29 mai 1985 selon laquelle il avait été victime de discrimination, mentionnons que le surintendant Eggett a précisé dans sa déposition que son service avait pour politique de ne pas accuellir de telles plaintes, peu importe qui était leur auteur. Cela est confirmé par Langston. Le service des Enquêtes du CP a donné suite à la plainte de Gannon selon laquelle Randy Walker avait ouvert le casier de la société attribué à Gannon (parce qu'il avait dû le faire), ce qui prouve une fois de plus que Gannon semait le désordre. Gannon n'avait aucun motif de se plaindre, et en le faisant quand même, il aurait fort bien pu nuire à Walker, une personne plutôt affable. Lorsque le service des Enquêtes du CP a découvert que Walker avait ouvert le casier pour prendre des fournitures de peinture, ce service a décidé de ne pas porter d'accusation, ce qui n'empêche pas que celui-ci a réagi à la plainte. Je rejette donc cette allégation.

En ce qui a trait à l'insubordination démontrée par Gannon, le septième élément de la plainte, je m'en rapporte à deux décisions rendues par un arbitre (CROA 1561 et CROA 1562) le 10 septembre 1986, et constituant les pièces R-67 et R-13, respectivement. Ces décisions, citées plus haut relativement au quatrième élément, ont été examinées dans la décision majoritaire. La pièce R-13 révèle que l'arbitre a jugé que Gannon a fait preuve d'insubordination les 9 et 10 juillet 1985, lorsqu'il a dit à son contremaître, le 9 juillet, qu'il avait le droit de peindre son casier [TRADUCTION] de la manière qui lui plaisait, et le 10 juillet :

[TRADUCTION]

Rogal, tu es un fils de pute débile.

La pièce R-67 révèle que l'arbitre n'a accueilli le grief de Gannon que pour bien faire voir que justice était rendue. Lors de l'incident du 29 mai, Gannon a dit à G.J. Craig :

[TRADUCTION]

Embrasse mon cul noir, parce que celui-ci lui avait supposément adressé des propos racistes, ce que Craig a nié.

Il est révélateur de constater que l'arbitre n'a émis aucune conclusion relativement aux allégations faites par Gannon, soit directement soit en réponse à celles présentées par G.J. Craig. Des témoins ont été appelés à faire leur déposition sur cette question lors de l'audience. Une fois de plus, la crédibilité des témoins était le facteur déterminant à considérer. Je prête foi aux dépositions de G.J. Craig et de K.H. Kirkpatrick, mais non à celle de Gannon. Celui-ci a bien fait preuve d'insubordination. Je suis d'accord avec M. Hume lorsqu'il affirme à la page 2181 :

[TRADUCTION]

«Il est clair qu'il y a eu insubordination». L'insubordination est une faute des plus graves.

Dans un dernier temps, Gannon allègue que sa situation de famille a constitué un facteur en ce qui concerne l'attribution d'un poste de plombier de relève. Aucun élément de preuve n'indique que Gannon ait posé sa candidature à ce poste, mais des éléments de preuve ont été produits, en revanche, pour démontrer qu'il n'a pas la compétence requise pour être plombier. Ces éléments de preuve consistent en deux lettres écrites par

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Gannon, toutes deux datées du 31 janvier 1985, et adressées à J.S. Craig et M. Zakaluk (pièces HR-6 et HR-7). La pièce HR-6 fait état d'un poste d'aide-plombier et non de plombier, et Gannon y mentionne à l'intention de J.S. Craig qu'il déposera un grief et portera une accusation de discrimination. La pièce HR-7 fait aussi mention d'un poste d'aide- plombier et non de plombier, et révèle que Gannon déposera un grief. Ces deux pièces semblent indiquer que la plainte de Gannon porte sur le fait qu'il n'a pu exercer son droit d'ancienneté pour des postes prétendument vacants qui étaient apparemment ouverts depuis deux ou trois ans. Quoi qu'il en soit, aucun élément de preuve ne vient démonter que la situation de famille de Gannon a représenté un facteur relativement à l'étude de sa candidature. La preuve révèle que le comportement des employés qui sont des fils de superviseurs est scruté de beaucoup plus près que celui des autres employés. Voir à ce sujet la déposition de G.J. Craig (vol. 6a, p. 651-652). Le fait d'être le fils d'un vice-président n'a certainement pas aidé Scott Swanson lorsqu'il s'est fait attribuer un total de 25 points de démérite, deux avertissements écrits et trois lettres pour manque de ponctualité (pièce HR-26). Certains éléments de preuve ont révélé que des employés ont obtenu leur poste grâce à des relations familiales, mais d'autres candidats choisis n'avaient aucune relation de ce genre. Il n'y a absolument rien de mal à avoir des relations familiales. MM. Lee et Gannon ont soutenu la thèse d'un complot familial qui joue contre Gannon lui-même, dans la mesure où ces deux hommes ont tenté de faire croire au tribunal que l'intimé voit à s'assurer que les enfants ou les frères des superviseurs soient mieux traités que Gannon, étant donné la race et la couleur de la peau de ce dernier. On a laissé entendre que Gil Baldry était mieux traité que Gannon étant donné que sa femme travaillait comme secrétaire au service juridique de la société. Or, il découle obligatoirement de cette théorie que les membres de ces familles sont des sectaires, ce qui est tout à fait insensé et ne permet pas d'expliquer comment Gannon ou les autres membres de la division Ponts et bâtiments n'ayant pas de relations familiales au CP, ont obtenu leur poste à cet endroit. L'un de ces employés, le contremaître Ray Rollin (qui avait choisi Ken Kirkpatrick pour le poste de plombier de relève parce que celui-ci était un bon employé et qu'il avait la compétence requise pour occuper ce poste) n'a aucune relation familiale au CP (p. 526-528). A mon avis, il n'y a absolument aucun élément de preuve qui permettrait de croire que Gannon fût empêché d'exercer ses droits en tant qu'employé ou privé de l'occasion de postuler un emploi ou d'obtenir des avantages sociaux, du fait de sa situation de famille. Je ferai de nouveau allusion à cette question plus bas, cette fois d'un point de vue juridique.

En plus des remarques que je viens de faire concernant la crédibilité des témoins, je vais maintenant traiter point par point d'autres questions relatives à la crédibilité des témoins que la preuve a soulevées.

  1. Gannon allègue que Baldry lui a demandé de la [TRADUCTION] peinture de couleur brun nègre. Cette affirmation est catégoriquement niée par Baldry (p. 503). A mon avis, M. Baldry est un homme respectable et très crédible. Il a déclaré qu'il avait été formé comme menuisier en Angleterre
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    par un homme de race noire nommé Ivan qui était originaire de l'île Maurice; lorsqu'il a exploité un pub, deux de ses employés, prénommés Lionel et Ilene et qui étaient frère et soeur avaient des origines irlandaise et zouloue. Il avait de très bonnes relations avec eux. M. Baldry travaille pour le compte de l'intimé depuis mai 1979 et occupe actuellement un poste de menuisier à l'établi à la division Ponts et bâtiments. Il n'a pas accumulé de points de démérite, est très actif à titre de représentant de Centraide, donne des cours de premiers soins et a été fait frère servant de l'Ordre de St-Jean pour services rendus dans le domaine des premiers soins. Il contribue aussi à l'enseignement de la méthode Back Power (destinée à prévenir les blessures au dos) et participe au Plan de parrainage du Canada depuis 10 ans, dans le cadre duquel il vient en aide à un garçon soudanais nommé Thabbit Mohammed ainsi qu'à la famille de celui-ci. En sa qualité d'instructeur, il enseigne à un grand nombre de membres de groupes minoritaires, y compris un fort contingent de gens originaires de l'Inde qui travaillent pour le compte de l'intimé et avec lesquels il a de bonnes relations de travail. Gannon prétend que Baldry lui a demandé de la peinture de couleur brun nègre. De fait, Gannon a aussi déclaré à la page 331 que [TRADUCTION] M. Baldry se servait toujours de ce terme. Baldry a nié avec véhémence cette affirmation en déclarant qu'il n'avait [TRADUCTION] jamais demandé à M. Gannon de la peinture de couleur brun nègre. C'est alors qu'il parlait d'un cabinet qu'il avait construit il y a plusieurs années, a-t-il expliqué, qu'il a remarqué que celui-ci avait gardé toute sa couleur et que la peinture qui avait servi à le peindre était de couleur brun nègre. (Voir sa déposition plus bas.) Baldry a expliqué que cette couleur de peinture était utilisée en Angleterre et que l'expression la désignant lui avait échappé alors qu'il parlait du cabinet, ce qui était dans les circonstances compréhensible. De fait, M. Hume a indiqué dans son argumentation que ses recherches avaient permis d'établir que la locution brun nègre, était comprise dans la liste du British Color Code et que le Concise Oxford Dictionary of Current English définit brun nègre comme suit :

    [TRADUCTION] Teinte foncée de brun, et ajoute dans la deuxième acception du mot nègre que cette couleur comporte [TRADUCTION] du brun, une teinte foncée de brun. Quoi qu'il en soit, la preuve révèle que ce terme n'a été utilisé qu'une seule fois pendant toutes les années où Baldry et Gannon travaillaient ensemble, et que Baldry n'était à peu près jamais appelé à transiger directement avec Gannon. Pendant son contre-interrogatoire, Gannon a déclaré que la raison pour laquelle il avait menacé Baldry le 9 mai 1990 (il s'agit ici d'un tout autre incident survenu quelques années plus tard et faisant l'objet de la pièce R-11) était que [TRADUCTION] [...] oui. Il m'a questionné au sujet d'une peinture de couleur brun nègre (p. 33). Cependant, cette affirmation ne fait pas partie de la déclaration qu'il a faite à M. Mitchell concernant cet incident. Si la question posée par Baldry représentait vraiment l'élément déclencheur de l'incident, n'est-il pas curieux que Gannon ne l'ait pas mentionnée à M. Mitchell? Gannon affirme ne pas l'avoir fait parce qu'il craignait perdre son poste étant donné, et je n'accepte pas pour ma part cette explication, que Mitchell avait dit (p. 331) :

    [TRADUCTION] Si tu ne me donnes pas ce renseignement, Ken, je vais te dénoncer pour

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    insubordination. Il est clair que la locution peinture de couleur brun nègre ne sert qu'à désigner une couleur, qu'elle n'a pas été utilisée de façon désobligeante et que Baldry ne l'a employée qu'une seule fois.

  3. Gannon a nié avoir dit qu'il feindrait une blessure au dos, contrairement à ce qu'a déclaré Greg Craig (p. 629). Je prête foi à la déposition de Greg Craig à cet égard.
  4. Lors de son témoignage, Gannon a déclaré qu'il avait demandé de l'aide pour déplacer un classeur, ce que nie catégoriquement Greg Craig (p. 630). Je prête foi une fois de plus à la déposition de Greg Craig à cet égard.
  5. Gannon a déclaré qu'il ne s'était jamais blessé au dos avant le 15 mars 1985 (p. 251 et 254). Or la pièce R-10 (déclaration d'accident préliminaire du Canadien Pacifique datée du 31 mai 1976) et la pièce R-48 (dossier d'emploi de Gannon) révèlent que cela est faux.
  6. Gannon a déclaré qu'il n'avait employé le mot nègre pour se désigner qu'à trois reprises. Cela est manifestement faux. La preuve entendue révèle hors de tout doute que Gannon utilisait constamment ce mot pour se désigner.
  7. Gannon a assimilé certaines interventions à des [TRADUCTION] mensonges. Aux pages 301 et 365, notamment, il a explicitement déclaré que certaines questions que lui avaient adressées M. Hume et Mme Shivji étaient des mensonges.
  8. Après avoir lui-même mis en cause sa santé mentale dans sa déposition, Gannon a prétendu ne pas connaître le nom et l'adresse de divers psychiatres lui ayant prodigué des soins, y compris son médecin de famille qu'il consultait depuis au moins trois ou quatre ans (ou, de manière plus probable, depuis au moins 10 ans). Cela m'apparaît douteux. Quoi qu'il en soit, il est évident qu'il n'a fait à peu près aucun effort pour se souvenir du nom et de l'adresse de ces médecins, lorsque l'avocat de l'intimé et le tribunal les lui ont demandés.
  9. Gannon prétend ne pas savoir quels médicaments lui ont été prescrits.
  10. Gannon prétend avoir consigné dans un livre des renseignements relatifs aux actes discriminatoires dont il a supposément été victime (p. 279-280). Mais il n'a pas produit ce livre.
  11. Gannon a démontré que sa mémoire était sélective. Chaque fois qu'il était question d'un acte perpétré contre lui, ses souvenirs étaient très clairs, alors que sa mémoire s'obscurcissait quand arrivait le moment de parler de son propre comportement.
  12. Gannon a accusé de mensonge pratiquement tout le monde à la division Ponts et bâtiments (p. 303-305). Voir aussi à ce sujet la pièce R-52 qui renferme une déclaration faite par Gannon à J.C. Craig le 21 mars 1985.
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  14. Aucun des collègues de Gannon n'a témoigné en sa faveur, sauf David Sarty, qui a lui-même été démis de ses fonctions et qui a porté plainte contre l'intimé sans succès.
  15. Gannon a attendu des années avant de dénoncer les violations des droits de la personne dont il aurait fait l'objet, malgré qu'il a prétendu avoir noté méticuleusement dans un journal les circonstances dans lesquelles ces violations sont survenues.
  16. Gannon a déclaré sous serment qu'il passait devant la maison de Chris Campbell pour se rendre au travail depuis son domicile. Or, la preuve permet d'établir clairement qu'afin de passer devant la maison de Campbell, Gannon aurait dû faire un détour d'environ 14 rues.
  17. Gannon a nié avoir stationné sa voiture devant la maison de Campbell (p. 243). Campbell nous donne une toute autre version de l'affaire (p. 1072, 1073 et 1077).
  18. Gannon a déclaré sous serment que, pour l'essentiel, Norman Lavoie avait fait des remarques discriminatoires à son endroit lorsqu'il avait témoigné au sujet d'ennuis qu'il avait eus avec Gannon concernant la location d'un immeuble. Mais lorsque M. Lee a procédé à son réinterrogatoire (p. 334) et lui a demandé : [TRADUCTION] Vous n'accusez donc pas Lavoie de discrimination raciale?, Gannon a répondu : [TRADUCTION] Pas que je sache et je ne m'en souviens pas de toute façon.
  19. Gannon a prétendu dans sa plainte datée du 3 octobre 1991 (pièce R-11), qu'il avait repris son poste de peintre au CP Rail en 1986 après avoir déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Cela est de toute évidence faux puisqu'il a été réintégré dans ses fonctions de peintre à la suite d'une décision rendue par un arbitre (pièce R-13).
  20. Au début de sa déposition, Gannon a déclaré (p. 71) que Rogal avait dit : [TRADUCTION] Nous avons fait une erreur en engageant ce nègre et Qu'est-ce que ce nègre connaît à la peinture?, ainsi que d'autres choses du même genre. Or, cette déclaration concernait ses premiers mois passés à la division Ponts et bâtiments. Lorsqu'on examine soigneusement la preuve, on se rend compte qu'à cette époque, Gannon travaillait vraisemblablement comme agent d'entretien des ponts et non pas comme peintre. Cette allégation est manifestement fausse.
  21. Lors de son témoignage, Gannon a déclaré relativement à l'incident du casier, survenu pendant sa première semaine d'emploi à Vancouver, que Rogal avait dit : [TRADUCTION] Au fait Gannon, je ne savais pas que tu étais un nègre; il a aussi déclaré qu'il l'avait entendu dire au téléphone à M. Zakaluk : [TRADUCTION] Tu ferais mieux de venir ici t'occuper de ton espèce de frog, cette fois au cours de la deuxième semaine ayant suivi son entrée en fonction à l'atelier de Vancouver. Gannon a ensuite affirmé : [TRADUCTION] J'ai alors su que cet homme était un véritable raciste. Je
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    me demande comment Gannon a pu en arriver à cette conclusion après avoir entendu ces remarques à seulement deux reprises pendant ses deux premières semaines d'emploi à Vancouver.

  23. Une large part du témoignage de Gannon n'a pas été corroborée. Il a fait allusion à un album de photos relativement à l'incident du casier, mais n'a pas été en mesure de produire cet album, pas plus qu'il n'a été en mesure de produire le journal détaillé qu'il avait supposément tenu. En ce qui a trait à sa prétendue blessure au dos, qui serait survenue le 15 mars 1985, il n'a présenté aucune preuve d'ordre médical à son sujet. En ce qui concerne son affirmation voulant qu'il ait consulté trois psychiatres, dont un à Montréal, un à Edmonton et un à Vancouver, parce qu'il était nerveux, il n'a pas non plus produit de preuve d'ordre médical à cet égard. Bien que Mme Gannon ait accompagné son mari et pris place dans la salle d'audience pendant la quasi-totalité des procédures, Gannon a expressément déclaré au tribunal qu'il ne souhaitait pas qu'elle témoignât. On serait pourtant enclin à croire qu'un témoignage de sa part aurait aidé M. Gannon à prouver l'existence du journal et de l'album de photos, ainsi qu'à établir le nom des médecins qu'il a consultés, son propre état de santé, l'état précaire de ses relations avec ses collègues ainsi que tout autre point pertinent.
  24. S'il y avait tant d'animosité entre Gannon et Rogal, et que Rogal était raciste à ce point, je me demande alors pourquoi Gannon a demandé à Templeton d'être transféré de Vancouver à Port Coquitlam, où Rogal était à ce moment contremaître de la division Ponts et bâtiments. Il ne me semble pas non plus que Templeton avait l'intention à ce moment d'avoir la peau de Gannon, puisqu'il a accédé à la demande de celui-ci.
  25. Gannon a déclaré qu'il a été à l'emploi de l'intimé pendant 14 ans à Montréal et pendant presque un an à Edmonton. Il a déclaré n'avoir que des louanges à faire au CP et [TRADUCTION] avoir été très bien traité par eux. Il a déclaré que la seule plainte qu'il avait à faire concernait le traitement qui lui avait été réservé à la division Ponts et bâtiment. Lorsqu'il a demandé d'être transféré de Montréal à Edmonton, puis d'Edmonton à Vancouver, cela lui fut accordé. Gannon connaît bien les dispositions de la convention collective et la procédure de dépôt de griefs. Il est très expérimenté et a beaucoup d'ancienneté. Il n'apparaît pas être une personne soumise. Il a plutôt tendance à beaucoup s'affirmer et il paraît très assuré. Il a consulté un avocat spécialisé en relations de travail. S'il a été victime, comme il le prétend, d'actes discriminatoires posés par Rogal et Zakaluk, ainsi que par Kirkpatrick et Rollin, ses représentants syndicaux, pourquoi n'a-t-il pas consulté d'autres membres du syndicat ou de la direction à ce sujet ou fait des démarches pour déposer un grief?

Je vais maintenant aborder une à une les questions relevant davantage du domaine juridique.

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  1. Dans sa plainte, Gannon déclare : [TRADUCTION] Je suis une personne de race noire, et il fonde son accusation de discrimination sur cette affirmation très claire, à l'encontre de laquelle il déclare à la page 57 : [TRADUCTION] D'autant que je me souvienne ou que je sache, j'ai à la fois des ancêtres de l'Inde, de race noire et de race blanche. Le Dr Graham Johnson, un témoin expert appelé à la barre par M. Lee, a déclaré que Gannon n'avait pas l'apparence d'un Noir et qu'il ne possédait pas les caractéristiques associées à la race négroïde. D'autres témoins ont affirmé la même chose. Baldry ne savait pas que Gannon était un Noir avant l'audience. Pour ma part, je ne pourrais affirmer que Gannon est un Noir en l'observant. D'un point de vue juridique, il incombe à M. Gannon de prouver qu'il est un Noir, ce qu'il n'a pas fait.
  2. Gannon a juré que l'intimé [TRADUCTION] l'avait très bien traité. Il a également déclaré qu'il ne savait pas si la prétendue discrimination raciale était fondée sur sa race, la couleur de sa peau ou sa situation de famille. Par conséquent, la preuve ne permet pas de conclure qu'il y a eu discrimination.
  3. Depuis le 30 mars 1983, seulement, la situation de famille constitue un motif de distinction illicite en vertu de la LCDP. Gannon allègue que sa situation de famille l'a empêché d'obtenir un poste de plombier temporaire qui a été attribué à Ken Kirkpatrick. Il ne précise toutefois pas clairement dans sa déposition à quelle époque cela s'est produit. Cette allégation a pris de l'ampleur au fil du temps et s'est transformée en une véritable campagne de calomnies contre l'intimé, auquel il fut notamment reproché d'engager des personnes ayant des relations familiales au sein de la société. M. Lee a fait des efforts considérables pour démontrer que Kirkpatrick, Swanson, Greg Craig, Doug Craig, Gil Baldry, etc., comptaient un ou des membres de leur famille au sein de la société. M. Lee a même avancé qu'on avait conspiré contre le plaignant. Il a argué qu'en permettant l'embauche de personnes ayant des liens de parenté avec des employés, l'intimé se trouvait, prima facie, à agir de manière discriminatoire. Mais cette prétention est sans fondement dans la mesure où, au sens de la LCDP, il est question de la situation de famille du plaignant et non pas de celle de ses collègues ou de quelqu'un d'autre. A mon sens, cela est évident à la lecture du par. 3(1) de la LCDP. Les motifs de distinction illicites qui y sont énumérés, à savoir la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'état matrimonial, la déficience et l'état de personne graciée, se rapportent tous à un plaignant. La situation de famille représente donc un motif de distinction illicite qui doit se rapporter au plaignant.
  4. Le fait que le plaignant a tardé de façon excessive à déposer sa plainte est très troublant. L'art. 41 de la LCDP stipule que Sous réserve de l'article 40, la commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

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    1. la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;
    2. b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;
    3. c) la plainte n'est pas de sa compétence;
    4. d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;
    5. e) la plainte a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée. 1976-77, ch. 33, art. 33.

Toute plainte doit être faite dans un délai d'un an, sauf si les circonstances justifient l'octroi d'un délai plus long. Cette disposition est à mon sens nécessaire afin d'assurer le traitement équitable des plaintes déposées auprès de la Commission, afin que l'intimé appelé à se défendre ait une occasion raisonnable de la faire, et afin que les témoins puissent se souvenir des événements survenus et que les documents pertinents puissent être trouvés. Gannon prétend qu'il a été victime de harcèlement en 1979, soit six ans avant le dépôt de sa plainte et 12 ans avant que le tribunal n'entende sa cause (il va de soi que le délai qui s'est écoulé entre le dépôt de la plainte et la tenue de la présente audience ne saurait être imputé au plaignant). Il est très difficile pour l'intimé de se défendre adéquatement contre une plainte après une si longue période de temps. Divers documents, telles les notes du constable Langston, finissent par être détruits. Il a dû être extrêmement difficile pour l'intimé de se préparer adéquatement en ce qui a trait à l'affichage d'offres d'emploi, à l'attribution de postes et aux abus de langage, et je crois pour ma part qu'il est néanmoins parvenu de manière satisfaisante à rassembler les documents dont il avait besoin. Outre les préjudices que cela a pu causer à l'intimé, il est évident, par ailleurs, que la capacité du tribunal à évaluer la crédibilité des témoins et à établir les faits pertinents a elle aussi été sérieusement compromise.

Si Gannon dit la vérité, il s'ensuit que le tribunal doit reconnaître que les personnes suivantes ont menti, du moins en partie, ou conspiré contre lui : Dave Rogal, contremaître, Gil Baldry, une personne crédible qui fait une forte impression, Ray Rollin, collègue et représentant syndical, John Templeton, surintendant divisionnaire, qui nous a également fait bonne impression et qui est maintenant à la retraite, Greg Craig, collègue, et ami intime de Gannon, Fred Smith, Bob Wallis, Clark de Boer, Steve MacVittie, John Mullen, Ken Kirkpatrick, tous des collègues, Scott Swanson, ancien collègue, Steve Gegorus, constable au CP, Doug Craig, ancien collègue qui n'est pas à l'emploi de l'intimé, Wally Kirkpatrick, collègue et représentant syndical, une autre personne très crédible et qui fait une forte impression, Chris Campbell, collègue, Randy Walker, ancien collègue, qui n'est pas à l'emploi de l'intimé, John MacLeod, ancien collègue, qui n'est pas à l'emploi de l'intimé, Todd Langston, constable au CP, Robert Whitworth, enquêteur au CP, maintenant à la retraite, Ken Carson et Frank Wirrell, agents, Réclamations, Ken Webb, agent,

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Relations syndicales, qui n'avaient aucune relation avec Gannon et qui sont tous trois des professionnels ainsi que des personnes faisant bonne impression et crédibles, et Geoff Craig, ingénieur divisionnaire, qui a pris des arrangements pour que de nombreuses déclarations de Gannon soient dactylographiées par quelqu'un d'autre que sa secrétaire, afin d'épargner à celle-ci d'avoir à dactylographier les remarques grossières faites par Gannon. M. Lee a accolé l'étiquette de racistes aux personnes associées à l'intimé, et M. Hume a fait part, de manière plutôt appropriée, de son ressentiment à cet égard. Je suis d'accord avec lui et je rejette cette allégation.

Je suis préoccupé par le fait que M. Zakaluk, le maître divisionnaire, n'a pas été appelé à témoigner, étant donné qu'il avait joué un rôle déterminant dans les incidents cités. M. Hume a tout simplement déclaré qu'il avait choisi de ne pas l'appeler à la barre et que M. Lee aurait pu le faire de son côté, mais s'en est abstenu. Il a également révélé que M. Zakaluk s'était fait interroger par un enquêteur de la Commission des droits de la personne et que M. Lee était probablement au courant de la teneur de la déposition que M. Zakaluk pourrait faire. Il est tout aussi probable que M. Hume ait connaissance de toute déposition que Zakaluk pourrait faire. Compte tenu du fait que nous tenons ici une enquête et non un procès, j'en conclus pour ma part que la déposition de Zakaluk ne saurait être d'aucun secours à l'une ou l'autre des parties; au cas contraire, elles auraient appelé celui-ci à témoigner.

Deux témoins experts ont aussi fait une déposition, soit le Dr Graham E. Johnson, appelé à témoigner par la Commission, et le Dr H. Davies, appelé à témoigner par l'intimé. Le Dr Johnson est sociologue de formation et professeur de faculté au département d'Anthropologie et de Sociologie de l'Université de la Colombie-Britannique. Il détient un doctorat en sociologie (avec spécialisation en études chinoises) de l'Université Cornell et il a écrit un grand nombre de livres, de chapitres, d'articles et de comptes rendus, totalisant environ 102 écrits, ainsi que 27 articles ou autres documents non publiés. Il nourrit un grand intérêt pour le Canada et la société canadienne, en particulier pour les relations raciales et ethniques au Canada. Il a déclaré qu'un certain nombre de tribunaux, tant au Canada qu'aux États-Unis ont accepté en preuve ses témoignages. Son curriculum vitae constitue la pièce HR-30 et il est des plus impressionnants. M. Lee a informé le tribunal du fait que M. Johnson a reçu le résumé de l'enquête ayant mené à la tenue de la présente audience, dont il s'est inspiré pour présenter un rapport qui constitue la pièce HR-31. M. Lee a également mentionné au tribunal que la déposition du Dr Johnson traiterait de la dynamique des relations interpersonnelles entre divers hommes travaillant dans un environnement semblable à celui de la division Ponts et bâtiments, et de l'accueil qui est réservé à quelqu'un de l'extérieur qui se joint à un tel groupe d'hommes, lorsque cette personne ne présente pas exactement les mêmes caractéristiques qu'eux. La déposition faite par le Dr Johnson s'inspire exclusivement des résultats de l'enquête et d'une étude partielle, en présence du Dr Johnson, de la déposition faite par Gannon lors de son interrogatoire principal.

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Le Dr H. Davies est un psychiatre qui exerce en pratique privée, en plus de travailler comme psychiatre au département de Psychiatrie de l'Hôpital St. Paul's et comme chargé de clinique au département de Psychiatrie de l'Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver. Il détient plusieurs diplômes et est associé du Collège royal des médecins et des chirurgiens du Canada. Son curriculum vitae est également impressionnant et constitue la pièce R-87. Le Dr Davies a préparé un rapport daté du 9 décembre 1991 en s'inspirant d'un compte rendu de la transcription de la déposition de Gannon (pièce R-88); il a aussi préparé un article sur les psychoses paranoïaques (pièce R-89).

La déposition et le rapport du Dr Johnson sont à la fois intéressants et instructifs, mais sans vouloir le moins du moindre mettre en doute ses connaissances, je crois qu'ils ne pourront guère nous aider à mesurer la crédibilité des dépositions que j'ai entendues, particulièrement celle de Gannon. En revanche, la déposition et le rapport du Dr Davies, obtenus à huis clos, nous sont d'un très grand secours. Dans la préface de son rapport, le Dr Davies insiste sur le fait qu'il aurait été grandement préférable de faire évaluer la santé psychique de Gannon en bonne et due forme. Il a déclaré qu'il aurait été tout à fait indiqué, et de fait essentiel, d'établir les antécédents médicaux de Gannon, à l'aide des rapports des trois psychiatres qu'il a consultés, des résultats des tests de personnalité que ceux-ci lui ont administrés et de renseignements glanés auprès de personnes qui le connaissaient, tels des amis, des membres de sa famille et des gens avec lesquels il avait travaillé. Malgré le fait que ces renseignements n'étaient pas disponibles, le Dr Davies est parvenu à émettre des opinions préliminaires fondées sur les renseignements qu'il détenait. Le premier cas établi de maladie psychiatrique dont a souffert Gannon remonte au moment où il a déménagé d'Africville à Montréal et où il a dû recevoir des soins psychiatriques le 22 décembre 1976, alors qu'il était âgé de 33 ans. Le Dr Davies a déclaré que son âge à ce moment ainsi que le déménagement représentaient des données importantes. Le groupe des 30-40 ans est d'importance particulière relativement à tout diagnostic. Gannon a ensuite consulté un psychiatre à Edmonton et la possibilité qu'il fût schizophrène a alors été envisagée. Des rapports de psychiatres joints à des demandes de prestations hebdomadaires de groupe (pièces R-6 et R-7), font état, respectivement, de [TRADUCTION] désordre émotif et de schizophrénie. Gannon a consulté un psychiatre pour une troisième fois à Vancouver. Le Dr Davies a déclaré que ces trois consultations étaient très révélatrices. Il a ensuite fait une déposition concernant tous les problèmes qui avaient été mentionnés par Gannon lors de son témoignage. En s'appuyant sur les renseignements relatifs aux collègues de Gannon, au syndicat, aux griefs déposés, aux accusations d'abus de langage, aux accusations de discrimination, aux mesures disciplinaires jugées injustifiées, à la division Ponts et bâtiments (que Gannon considérait comme une société secrète), aux attaques verbales, aux postes injustement attribués aux fils de membres de la direction, aux armes pointées en direction de M. Gannon et à tous les autres faits méticuleusement consignés par Gannon dans son journal, dans lequel il ne notait cependant pas ses propres actes ni les attaques verbales dont il était l'auteur, le Dr Davies

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en est arrivé à la conclusion que Gannon souffrait d'un désordre paranoïaque communément appelé désordre délirant. Il a aussi déclaré que ces types de comportements découlaient d'une propension à se méfier ou d'un sentiment d'être fait victime ou d'être l'objet d'une conspiration ou d'une entreprise de harcèlement ou de persécution. La principale caractéristique de ce type de désordre est un délire permanent (fixation) n'attirant pas l'attention et associé à de la persécution. Pour le sujet atteint, de petits incidents prennent des proportions exagérées et deviennent le fondement du délire. Cela peut être une injustice, devant être corrigée à l'aide d'une poursuite judiciaire. En règle générale, ce type de désordre apparaît vers la fin de la trentaine et au début de la quarantaine. La personnalité du sujet n'est pas affectée, de sorte qu'il peut continuer à fonctionner normalement dans la plupart des cas; ses facultés intellectuelles ne sont pas affaiblies et son comportement pourra paraître normal aux autres. Une personne qui émigre ou qui vit une expérience entraînant l'apparition d'un stress marqué sera prédisposée à ce genre de problème. Gannon a eu besoin de soins psychiatriques lorsqu'il a déménagé d'Africville à Montréal, puis à Edmonton et à Vancouver. Le Dr Davies a déclaré que les accusations d'attaques verbales et de harcèlement portées contre Gannon ont été faites en réplique à des provocations de la part de Gannon, ayant donné lieu à des représailles de la part de ses collègues. Gannon avait l'impression d'être diminué ou d'être l'objet d'une conspiration et, lorsqu'il voulait faire adopter son point de vue, il réagissait d'une manière qui invitait la réplique. Bien qu'il soit vrai que cette opinion émise par le Dr Davies ne s'appuie pas sur une évaluation complète, comme il l'a d'ailleurs lui-même reconnu, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a été aucunement contredit ni par le plaignant, ni par la Commission. Les dépositions de J.B. Eggett, surintendant retraité de la police du CP, de Steve Gregoris, enquêteur au service de la Police du CP, de Gil Baldry ou du plaignant lui-même corroborent le diagnostic du Dr Davies, tel que nous allons le voir dans les lignes qui suivent. Eggett a déclaré (p. 933 et suivantes) que vers juin 1985, alors qu'il se trouvait dans son bureau à l'heure du déjeuner, il a entendu quelqu'un frapper très fortement à la porte arrière du bureau de la police, après quoi un enquêteur fit entrer Gannon dans le bureau en question. Eggett poursuit son récit comme suit (p. 934) :

[TRADUCTION]

Avant même que l'autre gars ne vienne me faire sortir de mon bureau, j'ai eu le temps d'entendre beaucoup de cris et de tapage dans la pièce arrière. De toute façon, l'enquêteur est venu me chercher à ce moment et m'a dit que je ferais mieux de m'occuper de cette affaire. Je suis donc aller trouver Gannon et je lui ai parlé. Mais il divaguait et se démenait tellement qu'il était impossible de la calmer. Il a fini par m'avouer qu'il avait des ennuis avec l'un de ses contremaîtres, qui agissait de manière discriminatoire envers lui et qu'il l'insultait. Je crois que le nom qu'il m'a alors mentionné était Rogal, et qu'il s'agissait d'un contremaître ou d'un employé. Les divagations de Gannon se sont poursuivies pendant un bon bout de temps et il continuait aussi à crier et à gesticuler. Il s'est finalement calmé et je lui ai dit que nous ne nous occupions pas des cas de discrimination et qu'il devait parler de cette affaire à son surintendant. Il est parti peu après. Alors qu'il se faisait contre-interroger par

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M. Lee, Eggett a déclaré (p. 937-938) relativement à plusieurs témoins qui avaient déclaré que Gannon s'était fait traiter de nègre dans son milieu de travail, qu'il en avait été pour sa part informé par Gannon. Steve Gregoris a délaré que vers le 9 ou le 10 août 1984, alors qu'il était en uniforme dans une voiture fantôme, il est arrivé au terminal intermodal du CP Rail à Port Coquitlam et parlait avec un garde de sécurité posté à la barrière, lorsqu'il a remarqué que Gannon était en train de quitter le terminal au volant d'une fourgonnette jaune du CP Rail munie d'un pare- pierres. Gregoris a déclaré qu'il portait des lunettes de soleil à ce moment et qu'il a regardé en direction du véhicule qui se trouvait à six mètres de là. C'est alors que Gannon, que Gregoris ne connaissait pas, lui a demandé :

[TRADUCTION]

Que regardes-tu?

Gregoris lui a répondu :

[TRADUCTION]

Je ne regarde rien,

et Gannon a répliqué :

[TRADUCTION]

Qu'as-tu dit?

Gregoris lui a répondu :

[TRADUCTION]

J'ai dit...

Gregoris a alors tenté de dire à Gannon qu'il ne lui avait rien dit, mais celui-ci trancha :

[TRADUCTION]

Comment m'as-tu appelé? M'as-tu traité de nègre? Tu m'as dit que j'étais un nègre.

Gregoris a alors déclaré :

[TRADUCTION]

Je ne t'ai rien dit de ce genre.

Oui tu m'as traité de nègre, n'est-ce pas?, lui a rétorqué Gannon. Gregoris lui a alors demandé :

[TRADUCTION]

C'est quoi ton problème? Si tu as un problème, dis-le, sinon tu peux t'en aller.

Gannon a alors déclaré :

[TRADUCTION]

Oh, vous êtes tous pareils, et il est parti.

Gregoris a déclaré qu'à la suite de cet incident, il a parlé au contremaître Greg Craig, qui lui a dit que la société avait certains ennuis avec Gannon, que ce dossier était traité à l'interne et qu'il n'était pas surpris de ce qui s'était produit. A compter de ce moment, l'affaire était classée pour Gregoris. Celui-ci a également relaté une deuxième rencontre avec Gannon, soit l'incident décrit par Eggett. Gregoris a révélé que Gannon était fâché et voulait porter plainte contre Rogal, qui lui avait adressé diverses insultes. Gregoris a expliqué à Gannon que la police du CP ne s'occupait pas des affaires civiles et qu'il devrait plutôt déposer un grief ou discuter du problème avec son patron. Cette réponse a rendu Gannon furieux. Gregoris l'a alors confié à Eggett. Relativement à l'incident de la peinture de couleur brun nègre cité plus haut, Gil Baldry a déclaré qu'après qu'il eut utilisé cette expression dans le vestiaire afin de décrire le vernis d'un cabinet, Gannon, qui se trouvait à l'étage inférieur, est monté en catastrophe et lui a dit :

[TRADUCTION]

Parles-tu de moi?

Baldry lui a répondu :

[TRADUCTION]

Non je ne parlais pas de toi,

et Gannon a ajouté :

[TRADUCTION]

En tout cas, si tu parles de moi, je vais y voir.

Baldry a alors répété :

[TRADUCTION]

Nous ne parlions pas de toi (p. 468).

Baldry a ensuite témoigné relativement à un incident survenu le 9 mai 1990, à la suite duquel il a écrit une lettre au maître divisionnaire, C. Tompson, datée du même jour, et remis une déclaration datée du 14 mai 1990 à R.E. Mitchell; ces deux documents ont été produits à titre de preuve de faits similaires (pièces R-15 et R-16, respectivement). La pièce R-15 est intégralement reproduite ci-dessous.

[TRADUCTION]

A C. Tompson, maître

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divisionnaire des Ponts et bâtiments.

Le 9 mai 1990

A la suite de la réunion concernant les mesures de sécurité tenue le 9 mai 1990, le contremaître D. Rogal m'a dit de conduire K. Gannon à son site de travail. J'ai attendu dans l'atelier que Gannon me dise quand il était prêt à partir. Au bout d'un certain temps, comme je ne voyais pas Gannon, je suis sorti et je suis retourné au camion. Gannon était assis dans le véhicule. Je lui ai dit : Je ne savais pas que tu étais prêt à partir, pourquoi ne me l'as-tu pas dit? Gannon m'a répondu : Je ne suis pas obligé de tout te dire, tu n'avais qu'à le demander au contremaître si tu voulais le savoir. Puis il s'est levé du siège avant et s'est assis à l'arrière. J'ai démarré. Alors que nous approchions de la traverse, je lui ai demandé : Où travailles-tu? Il m'a répliqué sur un ton colérique : Si tu ne le sais pas, retourne à l'atelier. Je ne veux plus jamais que tu me parles. J'ai présumé qu'il travaillait à l'atelier diesel et je me suis rendu à cet endroit. Il est sorti en claquant la portière.

Le matin suivant, soit le 9 mai, Gannon s'est servi du camion puis est revenu à l'atelier. Je me suis rendu au bureau et j'ai demandé à Rogal s'il accepterait de vérifier auprès de Gannon si ce dernier était prêt à se rendre à son site de travail, étant donné que Gannon ne voulait pas que je lui parle. Comme je partais, Gannon est monté à l'étage et a dit à Rogal : Qui va m'emmener? Rogal a répondu : Gil, et a ajouté, Ken, tu n'as pas besoin de parler à Gil. Gannon a alors explosé : Pourquoi me harcèles-tu? Un échange a suivi pendant lequel c'était surtout Gannon qui criait. Le maître divisionnaire C. Tompson, R. Rollin et D. Rogal étaient présents dans le bureau à ce moment. Gannon a ensuite dévalé les escaliers et est monté dans le camion. Je suis allé le rejoindre et je me suis assis à côté de lui. Tandis que nous faisions route, Gannon m'a crié : Je n'ai pas à endurer cette merde juste parce que tu détestes les Noirs. Je déteste les Blancs et si tu n'aimes pas ça ici, retourne en Angleterre. Nous sommes au Canada. On va aller devant la Commission des droits de la personne et on va voir ce qu'ils vont nous dire. Allez vous faire foutre, toi, Rogal et Chuck, et vous pourrez leur répéter ce que j'ai dit, je m'en fiche. Il a ensuite saisi la poignée de sa boîte à outils et a ajouté : Si tu me dis un seul mot, espèce de sectaire, je vais t'écraser cette boîte à outils sur le visage. Va te faire foutre.

Je suis demeuré silencieux pendant cette saute d'humeur de Gannon. Il fulminait et divaguait au sujet de la Commission des droits de la personne et répétait qu'il n'avait pas à endurer cette merde. Je l'ai déposé à son site de travail et je suis retourné à l'atelier, après être demeuré muet pendant tout l'incident.

Je crois que Gannon est une personne dangereuse et instable, et qu'il pourrait, comme il m'a menacé de le faire, s'en prendre physiquement à moi.

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Comme je souhaite éviter que cela se produise, je vous demande respectueusement de voir à ce que je ne sois plus tenu de transiger avec lui, ni à le conduire à des sites de travail.

Veuillez accepter, Monsieur, mes salutations les plus respectueuses.

Gil Baldry 515338

Il reste une question d'ordre juridique à examiner et elle concerne l'utilisation des termes nègre et frog. Aucune preuve ne permet d'établir le sens en droit ou selon le dictionnaire de ces deux mots. Je ne suis pas convaincu de la signification ou de la portée du terme frog. La preuve entendue révèle qu'un grand nombre de surnoms, tels [TRADUCTION] angliche, polaque, petit, etc., étaient utilisés à la division. Aucune preuve ne permet de conclure que ces surnoms ont des connotations raciales ou discriminatoires, et je ne ferai donc pas de commentaire à ce sujet. En ce qui a trait à l'emploi du mot nègre, aucun élément de preuve n'a permis d'établir que ce terme était désobligeant ou discriminatoire, bien que le Dr Johnson ait indiqué que son emploi était offensant. Afin de déterminer si ce terme est offensant, il faut tenir compte du contexte dans lequel il est utilisé et de la personne à laquelle il est adressé. Je constate que ce mot a souvent été utilisé à la télévision canadienne dans des comédies, des séries dramatiques, des émissions de variétés ou des documentaires. Il a été nécessaire de l'utiliser à profusion dans le cadre des présentes procédures. Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que dans le cas qui nous occupe, l'emploi du terme nègre ne saurait être associé à du harcèlement. J'ai mentionné que le critère devant servir à déterminer s'il y a eu discrimination doit être objectif, contrairement au Dr Johnson qui a affirmé que ce critère doit être subjectif. Ce point de vue, si j'ai bien compris la preuve qui a été présentée devant moi, est aussi celui de la Commission. Avec égards, je ne peux pour ma part y souscrire. Si le critère est subjectif, cela permettra le dépôt de toute une série de plaintes qui ne pourront faire l'objet d'une évaluation. Un critère subjectif pourra peut-être servir pour l'étude de la question des dommages-intérêts et de l'indemnisation mais, à ce stade, je préfère ne pas faire de commentaires sur ce sujet.

En bref, je souscris à la décision majoritaire voulant qu'une large part des éléments de preuve étaient contradictoires et incohérents, qu'il a fallu examiner avec soin la déposition du plaignant, que celui-ci n'a pas paru franc, qu'il était évasif et que sa déposition en contre- interrogatoire, selon laquelle il faisait des remarques à connotaton sexuelle à l'endroit des épouses, des filles et des mères de ses collègues, vient en contradiction flagrante avec sa dénégation absolue, en contre- preuve, de l'emploi d'un tel langage.

J'en conclus donc que :

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  1. Le mot nègre, en tant qu'insulte à connotation raciale, a été utilisé par certains des collègues de Gannon, y compris ses supérieurs immédiats, Greg Craig et David Rogal, mais seulement, dans le pire des cas, de façon occasionnelle.
  2. La direction de l'intimé, et nommément le maître divisionnaire Zakaluk, était au courant de cette situation et de la plainte déposée par Gannon à son sujet, mais n'a apparemment rien fait.
  3. Gannon n'a pas été privé d'une occasion d'obtenir une promotion.
  4. Gannon n'a pas été privé de l'occasion de faire des heures supplémentaires.
  5. Gannon n'a pas été puni plus sévèrement que d'autres employés, compte tenu de la nature, des circonstances et de la date de la faute en cause, et en comparaison avec des fautes commises par d'autres employés.
  6. L'emploi du mot nègre, en tant qu'insulte à connotation raciale, par des collègues de Gannon, ne saurait être associé à du harcèlement et il n'a pas non plus mené à l'empoisonnement des relations de travail à la division.
  7. Les plaintes déposées par Gannon ne concernaient pas la race, ni la couleur de la peau.
  8. En l'espèce, la situation de famille ne pouvait être invoquée, en tant que motif de distinction illicite.
  9. Gannon a constamment tenu des propos offensants à connotation sexuelle ou raciale à l'endroit de ses collègues, de leurs épouses, de leurs petites amies et de leurs mères, et utilisait les termes nègre et Jackson pour se désigner.

L'emploi du mot nègre dans la société canadienne actuelle est offensant et ne saurait être excusé. Il n'y a aucun lien entre l'emploi de cette expression par les collègues du plaignant dans les circonstances décrites ici et les plaintes déposées par le plaignant. L'emploi d'un tel langage par le plaignant et ses collègues sera sanctionné par la réparation appropriée en vertu de la LCDP, dans le cadre d'une audience ultérieure où il sera question des dommages-intérêts, de l'indemnisation et des réparations, s'il y a lieu, et cette audience sera tenue à ma demande, après que les arrangements appropriés auront été pris.


A. G. Lynch-Staunton
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