Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

L.R.C. (1985), ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

DONNA MARIE BROWN

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LE MINISTERE DU REVENU NATIONAL (DOUANES ET ACCISE)

l'intimé

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL: CARL E. FLECK, c.r. - Président PATRICIA HAYES - Membre AASE HUEGLIN - Membre

ONT COMPARU: Donna Marie Brown,pour elle-même

Rosemary Morgan, avocate de la Commission canadienne des droits de la personne

Robert Venier, avocat de l'intimé

DATES ET LIEU les 4, 5 et 6 maiet 13, 14 et 15 juillet 1992 DE L'AUDIENCE: Toronto (Ontario)

TRADUCTION

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LA PLAINTE

Dans la présentecause, l'intimé, le ministère du Revenu national (Douanes et Accise), a engagé la plaignante, Donna Marie Brown,en mai 1981 comme inspecteure des douanes à l'Aéroport internationalLester B. Pearson - Toronto. La plaignante est mariée et est mèrede famille. Le 17 juillet 1985, par suite de certains événements découlantde sa grossesse en 1984 et de la naissance de l'enfant en question, elle a déposéauprès de la CCDP une plainte produite comme pièce HR-1 au dossier. La plaignanteallègue que l'intimé a fait montre de discrimination à son égard; cette discrimination est fondée sur deux motifs distincts, qui sonténoncés à l'article 3 de la LCDP, soit le sexe ou la grossesse et la situationde famille. La plainte fondée sur ces deux motifs a étédéposée conformément à l'article 7 de la Loi, parce que la discrimination est survenueen cours d'emploi.

Voici le texteintégral de ces dispositions :

3. (1) Pour l'applicationde la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondéssur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion,l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'étatde personne graciée ou la déficience.

(2) Une distinction fondée surla grossesse ou l'accouchement est réputéeêtre fondée sur le sexe. 1976-77, ch. 33, art. 3; 1980- 81-82-83, ch.143, art. 2.

et

7. Constitue un acte discriminatoire,s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyensdirects ou indirects :

a) de refuser d'employer ou decontinuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser encours d'emploi. 1976-77, ch. 33, art. 7; 1980-81-82-83,ch. 143, art. 3.

Compte tenu desdeux motifs de discrimination reprochés, la présente cause comporte essentiellement deux volets, dont lepremier concerne la période de l'été 1984, au cours duquella plaignante est devenue enceinte et a eu des problèmes découlant de sagrossesse. Pour les raisons expliquées un peu plus loin, la plaignante reprocheà l'intimé d'avoir omis de répondre à sa demande, eu égardà son état de santé. L'enfant de la plaignante est né en décembre 1984.

Le second voletde la plainte concerne la période qui a débuté après mars 1985, soit lorsque, après l'expiration deson congé de maternité, la plaignante a redemandé à l'intiméde lui permettre de travailler de jour, parce qu'elle était incapable de s'organisersur le plan garderie. La plaignante allègue que cette demandelui a été refusée et qu'elle a dû, par conséquent, prolonger son congéde maternité conformément aux dispositions de la convention collective quirégit son emploi; selon la plaignante, la prestation correspondant àcette prolongation, appelée congé pour soins et éducationdes enfants, n'a pas été payée.

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QUESTIONS EN LITIGE

Les questionsdécoulant des présentes plaintes peuvent être résumées comme suit :

  1. La plaignante allègue,et l'intimé l'admet, qu'il existe une règle de l'emploi impartialselon laquelle tous les enquêteurs des Douanes sont assujettis au régime dutravail par équipes. De l'avis de la plaignante, c'était làune règle raisonnable et impartiale qui s'appliquait à toutes les personnes,indépendamment de leur sexe, de leur race ou de leurs croyances. Toutefois,invoquant l'arrêt Alberta Human Rights Commission et al c. Central AlbertaDairy Pool, [1990] 2 R.C.S., p. 489 (ci-après appelél'affaire Alberta Dairy Pool) et le fait qu'elle était enceinte, la plaignanteallègue qu'elle a été lésée par la règle de l'emploi impartialen raison de son sexe et que l'intimé avait l'obligation correspondanted'accéder à sa demande, qui était raisonnable.
  2. Selon la plaignante, dans l'arrêt AlbertaDairy Pool, il a été décidé que l'employeur doit composer avec l'employésans s'imposer de contrainte excessive.

  3. Dans la seconde partie de saplainte, la plaignante fait valoir que, même s'il existait par écritune règle de l'emploi impartial, en pratique, dans son milieu de travail, on accédaitaux demandes des personnes qui désiraient êtreaffectées à des équipes de jour, que ce soit pour une raison médicale ou pourune autre raison. Selon la plaignante, elle a été traitéedifféremment en raison de son identité et du fait qu'elle était enceinte.
  4. Pour sa part,l'intimé allègue que, même s'il existait une règle de l'emploi impartial dont l'application avait tendance à créerde la discrimination à l'endroit des employées enceintes, l'intiméa effectivement composé avec la plaignante jusqu'à la limitede la contrainte excessive, en ce qui a trait aux allégations de discriminationfondée sur le sexe et sur la situation de famille.

Quant àl'obligation d'accommodement, l'intimé fait valoir que, compte tenu de la taille de son organisation, le temps consacrépour tenter d'accéder à la demande de la plaignante par des changementsadministratifs était raisonnable. En plus de l'aide qui lui a étéofferte, la plaignante pouvait également se prévaloir des droits suivants, selonl'intimé :

  1. Elle avait le droit d'échangerdes quarts de travail avec d'autres employés consentants;
  2. Elle avait le droit d'utiliserson congé de maladie lorsque, en raison des complications découlantde sa grossesse, elle ne pouvait travailler le soir;
  3. Si elle ne pouvait utiliserson congé de maladie, elle aurait pu venir et aurait perdu une journée desalaire, mais son emploi n'aurait pas été en jeu.

En conséquence,l'intimé soutient qu'il s'est pleinement acquitté de son obligation d'accommodement.

En ce qui a traità l'accommodement relatif aux soins et à l'éducation, l'intimé allègue que cette obligationa été remplie de façon entièrement satisfaisante et que la plaignante n'a pas faitsuffisamment

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d'efforts pour obtenir des services de garderie alors qu'il lui appartenait de le faire.

LA PREUVE

La plaignante,Donna Marie Brown, a témoigné au sujet des emplois qu'elle avait exercés avant de se joindre à l'intimé. Elle a été membre de la Metro Toronto Police Force de 1973 à 1977, soit jusqu'àce qu'un grave accident d'automobile l'empêche de poursuivre sa carrièrecomme policière. Elle a ensuite travaillé comme enquêteure privéeauprès de la Société de logement de l'Ontario jusqu'à ce qu'elle devienne inspecteuredes douanes pour Douanes Canada en mai 1981. Bref, grâce aux emploisqu'elle a exercés avant 1980, elle a acquis une expérience et des aptitudes trèsappréciables dans le domaine de la prévention du crime ainsi que dans lesrelations avec le grand public, notamment avec différents groupes minoritaires,dans le contexte de l'application de la loi.

Lorsqu'elle acommencé à travailler pour l'intimé en 1981, ellea suivi, jusqu'en 1984, une formation interne supplémentaire concernantles pouvoirs d'un agent de la paix et, grâce à l'expériencequ'elle avait acquise dans le domaine des armes à feu, elle était trèscompétente en matière de permis d'armes. Elle a d'abord travaillédans le domaine du trafic international, c'est-à-dire qu'elle devait s'occuperdes formalités douanières relatives aux passagers aux aérogares, etelle a finalement été affectée à une équipe à l'Aéroportinternational Pearson. Son travail à l'aéroport consistait à accomplir les formalitésdouanières relatives aux passagers et cette démarche comportait deux étapes, soitl'examen primaire et l'examen secondaire. L'examen primaire consistait àposer des questions au passager qui se présentait au comptoir et à lui demanderensuite de descendre pour aller chercher ses bagages. L'examen secondaireavait lieu lorsque l'agent examinait les bagages du passager. C'étaitlà la tâche de la plaignante.

En 1984, la plaignanteétait agente des douanes au niveau PM-1. En mars ou au début d'avril 1984, elle a appris qu'elle étaitenceinte. Elle est devenue très malade par suite de cette grossesse etavait déjà perdu un enfant l'année précédente, en raisonde complications découlant de la grossesse. Elle a dit que ses collègues de travailétaient bien au courant de ses problèmes. Elle avait étémalade plusieurs fois et s'était évanouie au comptoir du personnel navigant; ces incidentsavaient été remarqués au bureau des infirmières, puisqu'elle devaits'y rendre. Les notes et registres du poste des infirmières n'ont pas étéproduits au cours de l'audience.

Le médecinde la plaignante, le Dr J.A. Harper, lui a dit de demander d'être affectée à une équipe régulièrede jour, craignant que le stress occasionné par le travail par roulement n'amplifie sesproblèmes pendant la grossesse. Il a produit un rapport à ce sujeten date du 11 juillet 1984; il s'agit de la pièce HR-2. Dans cerapport, le Dr Harper recommande fortement, pour la plaignante, un régime caractérisépar une semaine de travail régulière et par l'absence de périodede travail la fin de semaine. En avril 1984, elle a parlé à son surintendant,John Lucas, et lui a dit qu'elle était enceinte. M. Lucas a témoignéau cours de l'audience. En plus de parler à M. Lucas, elle est alléevoir le supérieur immédiat de celui-ci, un dénommé Roy Hedman, lechef des Douanes pour l'aérogare 1. Elle a parlé à M. Hedman etlui a demandé si elle pouvait être affectée à l'équipe régulièrede jour. Hedman lui a répondu par la

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négative et, selon la plaignante, il a mentionné que,s'il le faisait pour elle, il serait obligé de le faire pour chacun.

La plaignantea reparlé à son superviseur John Lucas et celui-ci lui a dit d'obtenir un certificat médical officiel; sielle obtenait ce certificat, il tenterait alors de l'aider à obtenir gain decause auprès de M. Hedman.

Le 11 juillet1984, M. Lucas a déposé auprès de M. Hedman, au nom de la plaignante, une demande officielle de mutation à un postetemporaire de jour. M. Lucas a rencontré M. Hedman et a réviséen détail avec lui ce qu'il croyait être les solutions possibles pour accéderà la demande de la plaignante, mais M. Hedman n'était pas prêt à aider. La plaignante a remis à M. Hedman une demande officielle de mutation en date du 25juillet 1984; il s'agit de la pièce HR-3.

En plus de parlerà M. Hedman, la plaignante est allée voir le surintendant de l'aérogare 1, M. Kirk Palmer, et a reçuune autre réponse négative. Tout comme M. Hedman, M. Palmer a conclu quela plaignante ne devrait pas bénéficier d'un traitement préférentiel. La plaignante a alors demandé s'il y avait quelqu'un de l'aérogare qui étaitprêt à changer de place avec elle et elle a appris qu'une de ses collègues, unedénommée Cathy Musetescue, consentait à le faire. Mme Musetescuetravaillait alors dans le domaine des effets d'immigrants et a offert à la plaignantede changer de poste en permanence avec elle. Toutes deux avaientatteint le même niveau de classification et avaient convenu de présenterune demande de mutation officielle. La demande de mutation de la plaignantese trouve à la pièce HR-3 et celle de Revenu Canada, à lapièce HR-4. Bien qu'il ait signé la demande de mutation, M. Hedman a répondu essentiellementce qui suit à la lettre de la plaignante en date du 25 juillet (pièceHR-5) :

[TRADUCTION]

La présente fait suiteà votre lettre du 25 juillet 1984. Veuillez prendre note du fait qu'il n'y aactuellement aucun poste disponible à la section du trafic internationalde l'Aéroport international L.B. Pearson, où vousdésirez travailler. Votre demande de mutation a été signéeet traitée.

Pendant environtrois mois, la plaignante a cherché à obtenir une mutation ou la possibilité d'être affectée àune équipe régulière et sa santé s'est considérablement détériorée. Son mari a décidé de communiquer lui-même avec M. Neville, qui était le receveur régional en chef, soit la personne qui occupe le poste le plus élevé àDouanes et Accise à l'Aéroport Pearson. L'époux de la plaignante ainformé M. Neville de l'opposition de Hedman et Palmer à la demande de mutation et,grâce à cette intervention, M. Neville a finalement pris les dispositions nécessaires pour que la plaignante soit mutée (pièce HR-6).

En raison dela nature de cette mutation, la plaignante devait être affectée à une équipe de jour régulièreau Manulife Centre. Par suite de ce changement, elle a perdu le montant supplémentaire qu'ellerecevait à l'aéroport comme prime de poste. Malheureusement, peuaprès son arrivée au Manulife Centre, elle a été mutée arbitrairementde la section des effets d'immigrants à un poste de nature commerciale dont les fonctionsne lui étaient aucunement familières. La plaignante adonc dû apprendre de nouvelles tâches alors qu'elle avait déjà des problèmesliés à sa grossesse, ce qui a été une autre source de stress pourelle. Il convient de souligner que la plaignante s'est vu refuser une affectation permanente

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à Manulife, alors que la personne avec laquelle elle avait faitl'échange, soit Cathy Musetescue, a obtenu une affectation permanente àl'Aéroport Pearson. On ne sait pas très bien pourquoi cela s'estproduit et l'examen de la preuve ne permet pas au Tribunal de trouver une explication plausible à cet égard. Nous devons conclure que l'intiméa tout simplement continué à refuser d'aider la plaignante comme il devait le faire.

Au cours de sontémoignage, la plaignante a parlé des problèmes de stress qu'elle a vécus pendant cette période; avant d'être mutée au Manulife Centre, elle a eu des écoulements sanguins àdeux occasions et son médecin lui a dit que cette perte sanguine était imputableau stress découlant de l'obligation de rester debout toute la journéeet de travailler la nuit. En raison de ces problèmes, elle adû, à deux reprises, s'absenter pour une période de deux semaines. Elle semblait être en mesure de se contrôler lorsqu'elle a été mutéeà Manulife, mais le stress causé par l'apprentissage de nouvelles tâches luia occasionné d'autres soucis alors qu'elle avait déjà des problèmesde santé.

La plaignantea débuté son congé de maternité le 19 novembre 1984; il s'agissait, en principe, d'un congéde dix-sept semaines, ce qui signifiait qu'elle devait retourner au travail àla fin de mars 1985. Elle a donné naissance à son enfantau début de décembre 1984. Elle a mentionné qu'en plus du congé de maternité,elle avait droit à un congé de cinq ans pour soins et éducation des enfants,qui pouvait être pris d'un seul coup ou réparti entre les enfants. Pourobtenir ce type de congé, il faut faire une demande officielle à l'employeur.

Le 21 mars 1985,la plaignante a déposé auprès de M. Kirk Palmer une demande écrite en vue de prolonger son congé de maternitéjusqu'en septembre 1985. Cette demande, qui se trouve à la pièceHR-8, visait en réalité à confirmer une conversation téléphoniqueque la plaignante avait eue à ce sujet avec M. Palmer. En plus de demander cetteprolongation, la plaignante s'est également informée auprès deM. Duncan Marshall-Smith des possibilités relatives au cycle d'affectation des tâches(C.A.T.), ce qui lui aurait permis d'être affectée à des équipesde jour. En outre, en mars ou avril 1985, elle a demandé à M. Roy Hedman la possibilitéde suivre le programme C.A.T. ou, subsidiairement, de travailler dans une unitéde la formation. Elle a aussi demandé à Hedman pourquoiCathy Musetescue avait obtenu une mutation permanente à l'aéroport alors qu'elle-mêmes'était vu refuser une mutation de ce genre à Manulife. Comme ill'a dit au cours de son témoignage, il a répondu qu'il avait éliminéles années-personnes correspondant au poste de Mme Musetescue et que, par conséquent,il avait aboli le poste lui-même. De l'avis du Tribunal, ce n'estpas là une explication raisonnable du fait que l'intimé n'a pas cherchéà s'entendre avec la plaignante et le témoignage de M. Hedman sur ce pointne nous a pas semblé digne de foi.

La plaignantea dit à quel point il était difficile pour elle de trouver une gardienne prête à travailler selon un horairebrisé et a énuméré les problèmes auxquels elle a dûfaire face. Malgré tous ses efforts, après avoir interrogé différentes personnes,elle n'a pu trouver quelqu'un qui réponde à ses attentes pour garder sonenfant la nuit. Son mari étant policier, il était lui aussi assujetti aurégime de travail par roulement et ne pouvait constamment obtenir un horaire de travail qui conviendrait à la plaignante lorsque celle-ci travaillait denuit. La plaignante a demandé à l'intimé de l'affecterà une équipe de jour en avril

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1985 et sa demande lui a été refusée; ellea alors demandé un congé pour soins et éducation des enfants, qui est un congé sanssolde. Elle a dû rembourser les prestations de pension à son retour en octobre1985; le seul salaire qu'elle a reçu entre avril et octobre 1985 correspondaità une période de formation suivie en août 1985. Sa demandede prolongation de congé de maternité, qui est entrée en vigueurle 21 octobre 1985, figure à la pièce HR-10, qui est une lettre adressée àM. Hedman.

La plaignantea décrit les efforts qu'elle avait déployés pour adhérer au programme C.A.T. en 1984. Elle en avait parléà M. Hedman, qui lui a dit qu'il ne serait pas juste de l'affecter au C.A.T., puisqu'elle devait quitter pour un congé de maternité, ce qui neserait pas équitable pour la personne qui la recevrait comme employée. M. Palmerlui a répondu dans le même sens.

Alors que laplaignante n'a pu obtenir l'aide qu'elle demandait, Kathy Brawley a vécu une situation bien différente. Le 9 avril 1985, Mme Brawley a demandé d'être mutée (voir la pièceHR-11). Dans cette demande, qui était adressée à M. Hedman, Mme Brawleycherchait à obtenir une mutation à un poste temporaire ou à un poste àtemps plein. Il n'y a aucune preuve indiquant que cette demande était fondéesur des raisons d'ordre médical; cette demande a été faiteà peu près en même temps que la demande que la plaignante a adressée à M. Hedman. D'après la preuve présentée, Mme Brawley a obtenu une mutation àun poste différent. Pourtant, selon la pièce HR-12, soit la réponse en datedu 4 septembre 1985 que M. Hedman a adressée à la plaignante, il n'existaitaucun poste disponible comme inspecteur des douanes PM-1 à l'AéroportPearson. La plaignante a ajouté que c'est à la suite de la façongénérale dont elle a été traitée, notamment de l'incident concernantKathy Brawley, qu'elle a déposé sa plainte. La plaignante a appris que MmeBrawley avait été affectée à une unité de la formation, alors quesa demande à ce sujet n'avait même pas été étudiée.

En plus de sontémoignage concernant l'omission de l'intimé de chercher à s'entendre avec elle, la plaignante a décritla conduite de certains de ses superviseurs tant avant qu'après le dépôtde sa plainte auprès de la Commission des droits de la personne; cetteconduite a grandement préoccupé le Tribunal.

Il appert clairementdu témoignage de Mme Brown et de John Lucas que M. Hedman a fait montre d'un comportement inapproprié et discriminatoire à l'endroit de la plaignante. Nous acceptonsle témoignage de Mme Brown et de John Lucas au sujet de la description de la conduitede Hedman. Dans les cas où le témoignage de ces deuxpremières personnes contredit celui de M. Hedman, nous retenons leur version.

La plaignantea dit que le premier incident au cours duquel elle a eu maille à partir avec M. Hedman est survenu en 1981, peuaprès le début de son emploi initial. Au cours de cet incident, qui est survenuà la caisse de numéraires de l'aérogare 2, Hedman aurait frôléle sein de la plaignante avec son bras. Lorsqu'elle lui a dit qu'elle n'aimaitpas ce genre de conduite, il lui a répondu que c'était un accident. Elle a alors décidé de lui donner le bénéfice du doute.

Au cours de sontémoignage, Lucas a mentionné que, lorsque la plaignante a été ajoutée à son équipe,Hedman lui a mentionné qu'elle avait

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un passé. Lucas lui a alors demandé des détailsà ce sujet et Hedman lui a simplement dit qu'elle était une provocatrice, qu'elle devaitêtre surveillée et qu'elle était affectée àson équipe à cette fin. Selon M. Lucas, les commentaires de M. Hedman étaient déplacés. Effectivement, Lucas a déclaré à l'enquêteur de la Commissiondes droits de la personne que, lorsqu'il s'est enquis auprès de M. Hedman au sujet dela mutation en juillet 1984, il a obtenu la réponse suivante :

[TRADUCTION]

Je me fiche complètement d'elle et de sa mutation.

M. Hedman nieavoir répondu en ces termes à Lucas.

La plaignantea ajouté au cours de son témoignage que, après le dépôt de sa plainte, plus précisément, lorsd'une réception de Noël réservée aux membres de la direction et du personnelen 1988, Hedman aurait dit ce qui suit lorsqu'il a constaté que la plaignante étaitprésente :

[TRADUCTION]

Qu'est-ce que cette garce fait ici?

M. Smith ne serappelle pas que Hedman ait prononcé ces paroles; cependant, il a dit qu'il était évident que Hedman n'aimaitpas la plaignante. Quant à Hedman, il a nié avoir formulécette remarque en parlant de la plaignante.

En plus de laconduite de Hedman, le Tribunal a entendu parler d'autres incidents qui ont été relatés par laplaignante et qui, ensemble, indiquent un comportement inapproprié allant manifestement àl'encontre de l'article 59 de la LCDP.

La plaignantea dit que, lorsqu'elle s'est adressée au surintendant, Tom Whiffen, il lui a mentionné ce qui suit :

[TRADUCTION]

nous savons tout à votre sujet et nous savons que vousêtes instigatrice.... Il a fait savoir à la plaignantequ'il avait reçu un appel à son sujet d'un dénommé Hedman. Laplaignante a mentionné que, lorsqu'elle a travaillé à l'aéroport de Buttonvilleen 1989, Rick Simone, le chef de l'aérogare 1 - Kennedy Road, lui a demandési elle avait déposé une plainte fondée sur la Loi sur les droits de la personneet que, lorsqu'elle a répondu par l'affirmative, il a voulu savoir cequi était arrivé à ce sujet. La plaignante a réponduà Simone que cette question ne le regardait pas et elle a refusé d'en discuter avec lui. Elle a dit que Simone lui avait causé de nombreux problèmes et que,chaque fois qu'il y avait mésentente entre eux au sujet d'une question de travail,il lui demandait si elle avait l'intention de déposer une plainte.

En 1987, alorsqu'elle travaillait aux opérations commerciales, son surintendant, un certain Ian Malcolm, lui a remis une évaluationdans laquelle il a mentionné qu'elle était anormale. Lorsqu'elle lui a demandé des précisions au sujet de cette évaluation,qui a été réécrite par M. Norm Sheridan, la plaignante s'est fait dire que M. Malcolm n'étaitpas capable de rédiger son évaluation. La plaignanten'a obtenu aucune explication au sujet du fait que Malcolm l'avait jugée anormale.

M. John Lucasa témoigné pour la plaignante. Le Tribunal a été impressionné par son témoignage. Il avait des notesprécises concernant une bonne partie de la période visée par la plainte etil a témoigné de façon claire et franche. Il convient de souligner qu'ilne relève pas de M. Hedman actuellement et qu'il ne lui fait pas concurrence pour une promotion quelconque. M. Lucas a décrit brièvementsa carrière et la

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hiérarchie des superviseurs à l'Aéroport Pearson. En mai 1991, il est devenu superviseur d'une équipe de dix inspecteurs des douaneset membre de la direction du travail par roulement aux aérogares 1 et 2 del'Aéroport Pearson. En plus d'exécuter ses tâches, il devaitexercer des fonctions de gestion en dehors de ses heures de travail et assurer la surveillance indirecte de quelque 150 inspecteurs des douanes et employésde soutien. Il a occupé ce poste jusqu'en 1985, lorsqu'il a étémuté de l'aérogare 1 à un bureau de liaison avec les tribunaux. Il travaille actuellementpour l'intimé dans le domaine de la fraude commerciale et de l'évasion frauduleuse des droits et des taxes.

Il a dit quela direction de l'aéroport se composait, au premier échelon, de surintendants des douanes; ces surintendantsrelevaient de chefs d'aérogare et ceux-ci relevaient à leur tour dudirecteur de l'aéroport. A la date de la présente plainte, cedirecteur était M. Elliott. Le superviseur immédiat de celui-ci étaitle receveur régional, M. Neville, dont il a été question plus haut. Sonchef immédiat était Roy Hedman et l'autre chef de l'aéroport était Kirk Palmer.

M. Lucas a confirméau cours de son témoignage que, lorsque la plaignante a été affectée à son équipe,Hedman lui a dit qu'elle avait un passé, qu'elle était une provocatrice et qu'elledevait être surveillée. Lucas a dit que la plaignante était une personne dynamique quitravaillait de façon consciencieuse. Lorsqu'il a appris à laconnaître, il a constaté qu'elle était motivée et qu'elle prenait son travailà coeur.

Il a dit quela plaignante lui a parlé en avril 1984 et lui a alors mentionné qu'elle avait perdu un enfant et qu'elle étaità nouveau enceinte. C'était un entretien très émouvant. Il a aussi appris que la plaignante avait parlé à Hedman de façon informelleet s'était vu refuser toute forme d'accommodement. Elle lui a fait part de l'avis deson médecin, qui lui avait demandé de faire des journéesde travail normales en raison de ses problèmes de grossesse. Lorsque la plaignantelui a demandé de parler à M. Hedman, Lucas lui a proposé d'obtenirun rapport médical, ce qui a été fait.

M. Lucas a ditqu'en présence d'une autre surintendante, une certaine Elaine Forchuk, ainsi que de la plaignante, il a téléphonéà Hedman pour lui demander d'affecter celle-ci à une équipede jour régulière. Hedman lui a répondu tout simplementnon. M. Lucas a alors pris rendez-vous avec Hedman dans le bureau de celui-ci et il a décritde façon détaillée ce qui était survenu lorsde cette rencontre. Il a mentionné qu'il avait montré à M. Hedman le certificatmédical et énuméré plusieurs solutions qui pourraient permettre à la plaignanted'exercer des fonctions spéciales, que ce soit sur une base permanente outemporaire, notamment dans le domaine des opérations de l'aire de traficet de l'aire des petits aéronefs. Le Tribunal en conclut que M. Lucasa discuté de façon complète et détaillée avec M. Hedmande la gamme variée de possibilités qui pouvaient convenir à la plaignante etlui permettre d'être affectée à une équipe de jour régulièreen raison de son état de santé.

Malgrécette discussion, M. Hedman a répondu par la négative. M. Lucas a dit que la demande fondée sur des raisons médicalesétait une demande sérieuse et que, selon la philosophie en vigueur ausujet des employés, on devait accorder la priorité aux demandesplus sérieuses. Il a dit que les problèmes de santé de la plaignante étaientsérieux et

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prioritaires et il a décrit comme suit sa réaction aurapport médical à la page 346 du volume 2 :

[TRADUCTION]

J'ai examiné trèssérieusement la lettre et sa demande et, à mon avis, cette demande étaitprioritaire... sa demande de mutation aurait dû être traitéede façon prioritaire.

M. Lucas a égalementparlé des différentes mesures possibles pour muter des employés travaillant dans différents secteurset ayant différents horaires et différentes tâches; selon lui, il existaitau total trois formes de mutation dans le cadre du cycle d'affectation des tâches. Compte tenu de la lettre du Dr Harper, il était d'avis qu'aucune autre autorisation médicale n'était nécessaire, loinde là, pour procéder à une mutation.

Il a dit qu'ils'attendait d'avance à recevoir une réponse négative de Hedman au sujet de la demande de mutation. Selon lui, M. Hedman n'était tout simplement pas prêt à envisagerune forme d'aide quelconque pour Mme Brown. Il y avait un conflit de personnalitésentre la plaignante et M. Hedman et celui-ci n'était pas prêt àexaminer de façon réaliste l'une ou l'autre des options. Selon M. Lucas,M. Hedman aimait les gens ou ne les aimait pas et, de toute évidence, la plaignante appartenait à la catégorie de personnes qu'il n'aimaitpas. M. Lucas savait pertinemment qu'à maintes reprises, des personnes avaientreçu de l'aide aux fins d'une mutation.

En outre, M.Lucas s'exprime comme suit à la page 371 du volume 2 :

[TRADUCTION]

Je savais en mon for intérieurqu'il était possible de faire quelque chose pour Donna Brown, maisqu'on refusait tout simplement de le faire. M. Hedman nevoulait pas le faire et je croyais aussi que son supérieur, M.Elliott, ne le ferait pas; la seule solution était de présenterla demande à une instance supérieure, en l'occurrence, M. Neville,et, si la réponse n'était pas satisfaisante, d'aller encore plus haut.

Bref, M. Lucasestimait qu'il n'y avait aucune raison pour laquelle la plaignante n'aurait pu être mutée et aidée,compte tenu de ses problèmes de santé. Il a dit que le commentairede M. Hedman selon lequel il ne voulait pas établir de précédent étaitabsurde et que M. Hedman tentait tout simplement de justifier sa décision ou de trouverdes excuses. M. Lucas a répété à maintes reprises quela présentation d'un certificat médical entraînait une mutation automatique.

Le Tribunal acceptel'opinion de M. Lucas au sujet du fait qu'il aurait été possible d'aider la plaignante, si M. Hedmanl'avait voulu et que, s'il n'a pas agi, c'est entièrement en raison de l'animositéqu'il éprouvait à l'endroit de la plaignante et non de l'applicationd'une politique établie dans le milieu de travail. Le Tribunalne croit pas que les différentes excuses invoquées quant à l'omissiond'accéder à la demande de la plaignante soient bien fondées ou que M. Hedman ait véritablementété incapable de procéder à une mutation, que ce soit parun échange de postes ou par l'application du programme C.A.T.

Dans les casoù le témoignage de M. Hedman est différent de celui de M. Lucas, le Tribunal retient la version de ce dernier.

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L'intiméa fait témoigner M. James Campbell, agent des relations de travail chez Douanes Canada. A l'époque où leproblème de la plaignante est survenu, M. Campbell était inspecteur des douanes PM-1. Il a confirmé qu'une certaine Mme Essiambre aurait pu faire un échange avecla plaignante, si M. Hedman y avait consenti. Selon la démarcheà suivre pour procéder à une mutation latérale, la demande demutation devait être approuvée par le gestionnaire du service d'origine et celuidu service d'accueil. Dès qu'elle était déposée,la formule de demande de mutation était inscrite dans un répertoire et envoyée àtous les gestionnaires dans leur région pour qu'ils soient au courant de la demande. S'il n'avait pas de réponse, le receveur régional (en l'occurrence, M.Ralph Neville) pouvait intervenir. Malheureusement, M. Neville étaitdécédé à la date de l'audience.

M. Campbell adit qu'après avoir passé en revue le dossier de la plaignante, il a constaté que l'époux de celle-ci avaitcommuniqué avec M. Neville le 2 août au sujet de la mutation de son épouse. M. Neville a alors procédé à la mutation en août 1984; il s'agissait d'une affectation temporaire à Manulife pour permettre à la plaignanted'avoir un poste de jour.

M. Campbell aparlé d'une politique en vigueur en matière de santé et a fait allusion à la pièce R-9 des documentsde l'intimé. Cette politique, qui pouvait être interprétée par chaquechef d'aérogare, est résumée comme suit :

Selon la politique du gouvernement, les ministèresdoivent faire un effort raisonnable pour muter ou affecterles employées enceintes qui s'inquiètent de l'exercice de certainesfonctions au cours de leur grossesse.

M. Kirk Palmer,chef des douanes à l'aérogare 2, a témoignépour l'intimé et a dit qu'il a été chef intérimairede 1984 à 1985. Il a décrit le régime de travail des inspecteurs des douanes à l'aéroport; il s'agit, fondamentalement, d'un régime caractérisé parun horaire de 56 jours couvrant huit équipes dans chacune des deux aérogares. A la fin de chaque période de 56 jours, les deux équipes faisaient la rotationentre les aérogares et une période d'environ huit mois s'écoulaitavant que l'employé ne retourne à l'autre aérogare.

De l'avis duTribunal, M. Palmer se souvenait très vaguement des événements entourant la plainte dont il est questionen l'espèce. Il ne se rappelait pas que la plaignante ait demandé d'être affectéeà une équipe de jour pendant sa grossesse. Il a cependant mentionné qu'ilne se souvenait pas de cas où une femme enceinte se serait vu refuser une demandede cette nature. Selon lui, ces demandes étaient habituellementtranchées par le superviseur.

Il a niéavoir répondu comme la plaignante le soutient lorsqu'elle lui a demandé de l'aider. Selon la plaignante,M. Palmer lui aurait dit ce qui suit:

[TRADUCTION]

Lorsque les femmes devenaientenceintes, elles quittaient le travail et restaient chez elles.

M. Palmer étaitbien certain de ne pas avoir fait cette remarque à la plaignante. Il a dit qu'il s'entendait trèsbien avec Mme Brown et ne se rappelait pas avoir eu de problèmes avec elle.

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On a montréà M. Palmer la pièce R-1, qui est une demande de renseignements médicaux. Bien qu'il ait reconnu sa signature,il n'a pu se rappeler s'il avait rempli cette demande ou pourquoi il l'aurait fait. Selon lui, c'est certainement la plaignante qui a fait cette demande. Bien entendu, ce témoignage ne fait aucun sens, puisque la pièceR-1 est une autorisation médicale demandée par l'employeur. M. Lucas a dit que, lorsqu'un certificat médical valable est déposé,cette demande n'est nullement nécessaire.

Tel qu'il estmentionné plus haut, le Tribunal croit que M. Palmer ne se souvenait pas très bien des événements,tant en ce qui a trait à la demande initiale d'accommodement présentéeen 1984 qu'en ce qui concerne la plainte liée à la situation de famille, quitouche la période au cours de laquelle la plaignante a voulu retourner au travail. En outre, M. Palmer ne se rappelait aucunement les circonstances entourant l'avisde changement d'équipe, que l'on trouve à la pièceHR-6, bien qu'il l'ait signé. Cependant, il a mentionné que le ministèreavait pour politique d'accéder aux demandes de changement de quart des employésqui travaillaient de nuit. Ce n'était pas une politique écrite. Lorsque le Tribunal l'a interrogé, aux pages 661 et 662 du volume 4, ila mentionné que, lorsqu'une employée était enceinte et avait obtenuun certificat médical, la mutation de cette personne était presqueautomatique. Il a dit en toutes lettres qu'il n'était pas au courant des problèmesque M. Hedman avait avec la plaignante ou du fait que ce même Hedman auraitdit qu'elle était une provocatrice. Tel qu'il est mentionnéplus haut, il estimait que la plaignante était une bonne employée et qu'ellefaisait bien son travail.

M. Roy Hedman,témoin de l'intimé, a dit qu'en 1984-1985, il était le chef des Douanes à l'aérogare 1. Il occupait ce poste depuis huit ou dix ans et travaillait pour l'intimé depuis environ trente-cinqans. Son témoignage est bien différent de celui de la plaignanteet de John Lucas. Il a mentionné que ce n'est que le 12 juillet qu'onl'a approché au sujet des problèmes de grossesse de la plaignante et du faitqu'elle désirait travailler de jour. Il a dit que sa conversationtéléphonique a duré environ cinq minutes et il a nié avoir déjàpris sa décision au sujet de la demande de la plaignante. Contrairement au témoignagetrès détaillé de M. Lucas, l'explication de M. Hedman a été trèsbrève : les différentes solutions de rechange n'étaient tout simplement pas disponibleset il n'y avait qu'un seul poste dans la section des saisies de l'aérogare1, lequel poste est comblé sur une base temporaire. Le 12 juillet,a-t-il dit, il n'y avait pas de vacances dans cette section et il n'était paspossible de trouver quoi que ce soit pour la plaignante. Il dit avoir recommandéà Lucas de demander à la plaignante de remplir une formule dedemande de mutation, qui correspond à la pièce HR-4.

M. Hedman a confirméqu'il acceptait que la plaignante exerce des fonctions liées à l'inspection primaire, mais seulementsur une base de travail par équipes. Il a ajouté qu'il avait discutéavec Lucas du fait que la plaignante pouvait échanger quelques-unes de ses périodesde travail et que, si la plaignante pouvait trouver un autre employé quiaccepterait de faire l'échange, il y consentirait. Ce témoignageva directement à l'encontre de la version de la plaignante et de M. Lucas.

M. Hedman a admisqu'il ne s'entendait pas très bien avec la plaignante; cependant, il a nié avoir flirté avecelle. Il a également

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nié avoir utilisé le mot garce en parlantd'elle. Il a dit qu'il ne la traitait pas différemment des autres femmes enceintes et quesa déclaration en date du 27 octobre 1987 était conforme à la vérité.

Lorsqu'il a étéinterrogé au sujet du quatrième paragraphe de cette déclaration, il a confirmé sous serment qu'àson avis, la plaignante ne convenait pas pour un poste dans la section des saisies et que cefait n'avait rien à voir avec sa grossesse. Il estimait quela plaignante manquait de délicatesse pour faire ce travail. Lorsqu'onlui a montré les évaluations de rendement de la plaignante (pièce HR-22),il les a passées en revue pendant qu'il était à la barre des témoinset on lui a fait relire les commentaires qu'il avait formulés dans les diverses déclarations,selon lesquels les communications avec la plaignante, tant verbales qu'écrites, étaient satisfaisantes, de même que son rendement globalcomme PM-1. Dans d'autres évaluations de rendement, il était mentionnéque la plaignante faisait toujours montre de coopération avec ses collèguesde travail.

On a ensuitedemandé à M. Hedman s'il était d'accord avec les déclarations contenues dans les évaluations de rendementet il a répondu qu'il n'était pas en désaccord. On lui a alorsparlé de l'évaluation de 1983 et des commentaires qu'elle comporte au sujet de la plaignanteainsi que de la lettre du Dr Stackhouse, qui est une lettre de louanges à l'endroit du travail de la plaignante comme agente des douanes. M. Hedman se rappelait avoir vu cette lettre dans le dossier de la plaignante,mais il n'était pas en désaccord avec l'évaluationdu Dr Stackhouse.

L'interrogatoirea alors porté à nouveau sur la pièce HR-21, qui était la déclaration de témoin de M. Hedman, etcelui-ci n'a vraiment pu donner d'explication raisonnable au sujet de la question de savoirpourquoi la plaignante ne convenait pas. Comme nous l'avons déjàmentionné dans les présents motifs, le Tribunal est d'avis que le témoignagede M. Hedman concernant les raisons pour lesquelles il n'a pas accédéà la demande de la plaignante n'est pas digne de foi et va entièrement àl'encontre de la version de la plaignante, de John Lucas et de Kirk Palmer ainsi quede la preuve documentaire et des déclarations déposéescomme pièces dans la présente cause.

M. Hedman a donnéà entendre que le témoignage de M. Lucas concernant ce qu'il avait dit au sujet de la plaignante et son refusde l'aider était une pure invention. Selon lui, M. Lucastentait de le présenter sous un mauvais jour en raison d'un incident antérieurconcernant un employé et il n'était pas d'accord avec la façondont M. Lucas avait traité un employé de l'équipe.

Il importe desouligner qu'après avoir été réinterrogépar le Tribunal, Hedman a mentionné que, s'il ne pouvait accéderà la demande de la plaignante, c'était aussi en raison de son manque d'assiduité. C'est là un commentaire entièrement incompatible avec la position del'avocat de l'intimé et celui-ci a fait savoir au Tribunal qu'il n'y avaitpas de problèmes concernant l'assiduité; effectivement,on n'a présenté aucune preuve pouvant donner à penser que la plaignante avait un mauvaisdossier sous ce chapitre. De l'avis du Tribunal, M. Hedman a simplementtenté, en vain, de dissimuler l'animosité évidente qu'il éprouvaità l'endroit de la plaignante.

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Le dernier témoinde l'intimé a été Duncan Marshall-Smith, qui était l'agent des relations avec les médias et le publicde la région, laquelle comprenait l'Aéroport Pearson. En 1984-1985,il était administrateur de la formation technique.

On lui a demandés'il était possible qu'un agent des douanes qui s'absente pour une période de quatre mois, pour cause de maladieou pour une autre raison, après avoir reçu une formation de troissemaines, perde tout ce qu'il a acquis pendant cette formation. M. Smith ne pensaitpas que c'était le cas, puisqu'une bonne partie de la formationavait lieu sur le tas. Cette preuve contredit le témoignage de M. Hedman,qui a mentionné que c'était l'une des nombreuses raisons pour lesquelles ils'opposait à ce que la plaignante adhère au programme C.A.T..

M. Smith a étéinterrogé longuement au sujet de la possibilité que la grossesse soit un critère d'exclusion du programme C.A.T.; cependant, tout au mieux, son témoignage n'est pas clair. De l'avis du Tribunal, le fait que la plaignante était enceinte n'auraitpas dû être un critère d'exclusion ou une raison l'empêchant d'adhérerau programme. A la page 770 du volume 4, le président et M. Smith se sont échangéles propos suivants :

[TRADUCTION]

Je vais formuler ma question commesuit. Le fait était- il un obstacle à l'examen de sa demande,au moins pendant la période de sa grossesse, étant donnéque vous étiez en pleine réorganisation, comme vous le dites?

Le témoin : Pas de la façondont le programme C.A.T. devait fonctionner, la politique concernant le nombrede personnes qui devaient être déplacées.

Les commentairesde M. Smith concernant la formation préliminaire ainsi que la politique applicable aux employées qui veulentsuivre un programme pendant leur grossesse contredisent carrément le rapport d'enquête de l'intimé en date du 14 septembre 1989 quia été remis à la CCDP et qui se trouve au paragraphe 11 de la page 4.

CONCLUSIONS DE FAIT

Aprèsavoir examiné la preuve, le Tribunal tire les conclusions de fait suivantes :

  1. Au cours de la période visée par la présente plainte, Donna Marie Brown était enceinte et les débuts de cettegrossesse étaient difficiles. Il s'agissait de sérieuses complications quiétaient bien connues de l'intimé et des personnes qui agissaient en son nomet qui avaient autorité sur la plaignante.
  2. Dès mai 1984, la plaignante a demandé d'être mutéeà une équipe de jour en raison de la recommandation de son médecin. M. Hedman lui a refusé cette demande.
  3. Une demande d'accommodement officielle a été présentéepar l'entremise de M. Lucas le 12 juillet 1984 et un certificat médicala été déposé. Nous sommes d'avis qu'il existait plusieurssolutions pour accéder à la demande de la plaignante et que M. Hedman a refuséde les étudier.
  4. Il n'existait pas de politique définie qui empêchait la plaignante de participer à un programme de cycle d'affectationdes tâches (C.A.T.) pendant sa grossesse.
  5. 15

  6. Dès avril 1985, la plaignante a effectivement demandé un poste de jour après son congé pour soins et éducationet l'intimé n'a pas accédé à la demande de la plaignante alors qu'ilpouvait le faire. 6. Tant avant qu'après le dépôt de la plainte, la plaignantea été victime d'un comportement inapproprié ainsique de harcèlement de la part de personnes qui travaillaient pour l'intimé et qui avaientautorité sur elle.

LE DROIT

L'avocate dela plaignante admet que, selon l'article 7 de la LCDP, celle-ci est tenue d'établir une preuve prima facie dediscrimination fondée sur les motifs suivants :

a) le sexe, dans le cas de la grossesse; b) la situation de famille.

En ce qui a traitau motif a), la plaignante doit établir qu'elle était enceinte et que, en raison de sa grossesse et de l'applicationde la règle de l'emploi impartial, elle n'a pas eu de chances égalesde travailler. Une fois que cette preuve est faite, il appartientà l'employeur de démontrer qu'il a aidé l'employée,qu'il lui a donné des chances égales de travailler et qu'il a fait tout ce qu'il pouvaitpour lui permettre de bénéficier de ce droit jusqu'à lalimite de la contrainte excessive.

Dans le cas dumotif b), la preuve doit indiquer que la situation de famille comprend le fait d'être parent et les tâcheset obligations de cette personne comme membre de la société et que la plaignanteétait un parent qui devait remplir ces tâches et obligations. Lapreuve doit aussi démontrer que, en raison de ces tâches et obligationsainsi que de la règle de l'emploi impartial, la plaignante n'a pas eu de chances de travail égales et entières. Dès que la plaignantea établi une preuve prima facie de discrimination, il incombe à l'employeur de démontrerqu'il a composé avec l'employée afin de lui donner des chances de travail égaleset entières ou que, à tout le moins, il a fait de son mieuxpour lui permettre de bénéficier de ce droit jusqu'à la limite dela contrainte excessive.

Enfin, il doitêtre établi que la plaignante a agi de façon raisonnable pour tenter de s'entendre avec l'employeur.

Dans la présentecause, la règle de l'emploi impartial exige que tous les inspecteurs des douanes PM-1 de l'Aéroport internationalPearson soient assujettis au régime de quart, c'est-à-dire qu'ilsfassent au moins trois quarts de travail au cours d'une période de 56 jours. Cette règle est impartiale, c'est-à-dire qu'elle s'applique à tousles agents des douanes PM-1, indépendamment des motifs de distinction illicitesénoncés à l'article 3 de la LCDP. Toutefois, l'application de cette règleà la plaignante a donné lieu à un traitement différentet défavorable qui viole l'article 7 (discrimination fondée sur le sexe et sur la grossesse)et le paragraphe 3(2) (discrimination fondée sur la situation de famille),selon lesquels il peut y avoir discrimination directe lorsque la règlede l'emploi impartial s'applique à tous les employés, maisqu'une employée est exclue de la participation égale aux possibilités d'emploiparce qu'elle est enceinte ou responsable des soins d'un enfant.

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L'arrêtclé en matière de discrimination indirecte est l'affaire Alberta Dairy Pool. A la page 506, Madame la juge Wilson donnela définition suivante de la discrimination indirecte :

Ce genre de discrimination se produit lorsqu'unemployeur adopte, pour des raisons d'affaires véritables,une règle ou une norme qui est neutre à première vue et quis'applique également à tous les employés, mais qui a un effet discriminatoire pour unmotif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employésen ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spécialede cet employé ou de ce groupe d'employés, des obligations, des peinesou des conditions restrictives non imposées aux autres employés...Une condition d'emploi adoptée honnêtement pour de bonnes raisons économiquesou d'affaires, également applicable à tousceux qu'elle vise, peut quand même être discriminatoire si elle touche une personneou un groupe de personnes d'une manière différente parrapport à d'autres personnes auxquelles elle peut s'appliquer.

L'avocate dela plaignante a soutenu que l'article 2 de la LCDP énonce trois principes distincts qui s'appliquent à laprésente cause. Il s'agit des principes suivants :

  1. Le droit de tous les individusà l'égalité des chances d'épanouissement (ce droit est égalementénoncé à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés);
  2. Dans la mesure compatible avecleurs devoirs et obligations au sein de la société;
  3. Indépendamment des considérationsfondées sur le sexe et la situation de famille.

Le fait que laLCDP devrait être interprétée en fonction de son objet n'est pas vraiment contesté. Voici ce qui a étédit dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et Simpsons-Sears : Une loi de ce genre est d'une nature spéciale. Elle n'est pas vraiment de nature constitutionnelle, maiselle est certainement d'une nature qui sort de l'ordinaire. Il appartientaux tribunaux d'en rechercher l'objet et de le mettre en application.

En outre, laLoi d'interprétation énonce ce qui suit: Art. 11 Chaque texte législatifest censé réparateur et doit s'interpréter de la façon juste,large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets.

Dans l'affaireAlberta Dairy Pool, à la page 517, Madame la juge Wilson résume l'opinion de la Cour quant à la façondont la discrimination indirecte (ou discrimination par suite d'un effet préjudiciable)devrait être interprétée :

... lorsqu'une règle crée unediscrimination par suite d'un effet préjudiciable, il convient de confirmerla validité de cette règle dans son application généraleet de se demander si l'employeur aurait pu composer avec l'employé lésésans subir de contrainte excessive.

Dans la présentecause, la plaignante soutient que l'obligation d'accommodement doit s'appliquer à tous les motifs de distinction,puisque le paragraphe 7b) de la LCDP n'énonce nullement que cette disposition

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s'applique uniquement à la religion ou à la déficience; elle doit donc couvrir également la discrimination fondée sur le sexeet sur la situation de famille. Nous souscrivons à cette interprétationde l'article 7. La plaignante allègue également que l'obligation d'accommodementn'est pas une obligation qui doit être respectée de façon raisonnableseulement, mais une obligation à laquelle l'employeur est astreint à moinsqu'elle ne crée une contrainte excessive pour lui, comme l'a dit Madame la juge Wilsondans l'affaire Alberta Dairy Pool, à la page 520 :

... C'est à l'employeur qu'incombe lefardeau de prouver qu'il s'est efforcé de tenir compte des croyancesreligieuses du plaignant, dans la mesure où cela ne comportait pasune contrainte excessive.

De l'avis dela plaignante, il existe certains critères permettant de déterminer si les actions de l'employeur créeraientune contrainte excessive; l'avocate de la plaignante nous cite l'arrêtGilbert Janson v. Ontario Milk Marketing Board, [1991] 13 C.H.R.R. D/397, àla page D/401, qui concerne une plainte de discrimination fondée surla religion, où l'on peut lire les remarques suivantes :

[TRADUCTION]

Il est difficile d'atteindre unjuste équilibre entre la contrainte excessive et l'importance de laliberté de religion et les tribunaux n'ont pas souvent eu l'occasiond'interpréter le sens précis de l'expression. Dans le Concise OxfordDictionary, les mots hardship (contrainte) et undue (excessive) sont respectivement définis comme suit :

[TRADUCTION]grande souffrance ou privation et exagérée, démesurée.

En se fondantsur la jurisprudence, l'avocate de la plaignante fait valoir que, pour évaluer les allégations de contrainteexcessive, il faut tenir compte des trois facteurs suivants :

  1. La validité des motifsde fond que l'intimé a invoqués pour justifier l'omission d'aider la plaignante.
  2. Le caractère approfondides réflexions et des recherches faites par l'intimé pour répondre àune demande d'accommodement.
  3. La sincéritéou la bonne foi de l'employeur lors de sa réponse à une demande d'accommodement.

Commentant cestrois facteurs, l'avocate a souligné que la preuve concernant les motifs que l'employeur invoque pour justifier l'omissionde répondre à la demande doit être digne de foi, objectiveet convaincante plutôt que subjective. Il faut également tenir comptedes frais réels en jeu et des solutions de rechange s'y rapportant. En d'autrestermes, les démarches faites pour répondre à la demande, quicomportent nécessairement l'obligation de faire une recherche et une réflexion approfondiesà ce sujet, ont-elles été suffisantes? Dans le cadrede ces démarches, il faut nécessairement déterminer les options à envisagerpour satisfaire à la demande d'accommodement. De toute évidence, l'intiméen l'espèce est très bien placé pour connaître le milieu de travail et lespossibilités qu'il offre.

L'avocate dela plaignante nous cite l'arrêt Irene Ghom v. Dometar Inc. et al, [1990] 12 C.H.R.R. p. D/177, au paragraphe 198,où le président Pentney formule la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

... A mon avis, cette préoccupationau sujet des intérêts et des opinions des autres employésest un facteur pertinent aux fins de déterminer si l'accommodement créeraitune contrainte excessive et s'il est possible d'en tenir dûmentcompte d'après l'arrêt O'Malley précité. C'est un desfacteurs pertinents quant à la question de

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savoir si l'accommodement entraverait indûmentl'exploitation de l'entreprise de l'employeur.

L'avocate dela plaignante conclut donc que les facteurs relevés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Alberta DairyPool sont les suivants :

  1. Les coûts de l'accommodement;
  2. Le moral du personnel;
  3. La facilité avec laquelleles installations du milieu de travail peuvent être adaptées;
  4. Les contraintes imposéespar la convention collective.

En ce qui a traitaux exigences professionnelles justifiées au sens de l'article 15 de la LCDP, l'avocate de la plaignante nous acité l'arrêt Alberta Dairy Pool. Selon cet arrêt, il estévident que, dans les cas où il existe une règle de l'emploi impartial qui,à première vue, n'a pas pour effet d'exclure un employé pour un motif illicite,mais dont l'application en pratique donne lieu à un traitement défavorable,la règle ne peut être considérée comme une exigence professionnellejustifiée et valable, parce que le seul but de cette caractérisation seraitd'empêcher le tribunal de décider que la règle de l'employeur estdiscriminatoire sans motif valable. Ce principe est énoncé àla page 513 de l'arrêt Alberta Dairy Pool. Compte tenu de nos conclusions de fait énoncéesaux présentes, nous sommes d'accord avec la position adoptée par l'avocatede la plaignante, que l'on peut résumer comme suit :

  1. Il est indubitable que la plaignanteétait enceinte et que, en raison de son état, elle devait travaillerselon un horaire régulier, c'est-à-dire qu'elle devait travaillerde jour du lundi au vendredi.
  2. Sa grossesse lui occasionnaitde sérieux problèmes de santé.
  3. Il existait une règlede l'emploi impartial selon laquelle tous les employés étaient assujettisà un horaire de travail par équipes.
  4. La plaignante a demandéverbalement à M. Hedman de l'aider en mai ou juin et il était évidentqu'il ne voulait pas le faire.
  5. Lorsqu'elle a rencontréM. Hedman pour la première fois à ce sujet, la plaignante lui a parlé dela possibilité d'adhérer au programme C.A.T. et Hedman lui a réponduqu'il ne pouvait accepter, étant donné qu'elle étaitenceinte et qu'il ne serait pas juste de l'inscrire à un programme et de laretirer quelques mois plus tard en raison d'un congé de maternité. La plaignante a obtenu la même réponse de M. Palmer.
  6. On nous a cité la pièceHR-18, qui se trouve dans les observations que l'intimé a faitesà la CCDP et qui ont déjà été mentionnées dans les présentsmotifs.
  7. Le témoignage de M.Smith nous a permis de savoir qu'il n'existait aucune politique interdisant auxemployés de suivre une formation dans le cadre du programme C.A.T.; cependant, selon M. Smith, on n'envoyait pas les employéessuivre cette formation lorsqu'elles étaient sur le point dequitter pour un congé de maternité. M. Smith a toutefoisadmis que le fait de quitter pour un congé de maternité d'une duréede dix-sept semaines n'avait pas pour effet d'annuler la formation acquise pendantla période de trois semaines, étant donné qu'unebonne partie de la formation avait lieu sur le tas.
  8. Selon l'avocate de la plaignante,il y a lieu de résoudre la contradiction entre le témoignage deLucas et celui de Hedman en acceptant la version de Lucas, qui est laplus plausible. Le Tribunal

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doit donc nécessairement en venir àla conclusion que M. Hedman n'a vraiment rien fait pour aider la plaignanteet qu'il s'est contenté de signer le document relatif à la mutation.

Il sembleraitqu'il n'y avait aucune politique en vigueur en matière de mutation, en raison de la position énoncéedans la pièce HR-18, dans laquelle on invoque les problèmes juridiques concernantl'application de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Nous n'avonsentendu aucun témoignage concernant les problèmes juridiquesliés au problème de mutation. Selon la plaignante, le retard à faire droità sa demande était déraisonnable et le Tribunal souscrit à cette opinion. Si la plaignante a finalement eu gain de cause, c'est grâce à ses propresactions et à celles de son conjoint, et l'intimé n'y a nullement participé. Il a fallu plus de quatre mois pour accéder à la plaignante et, de l'avisdu Tribunal, les mesures d'accommodement auraient pu et auraient dû êtreadoptées rapidement sans que les facteurs pertinents énumérés dansl'arrêt Alberta Dairy Pool ne soient en jeu.

Le second voletde la plainte concerne les aspects découlant de la situation de famille. Il s'agissait là d'une questionà la fois nouvelle et difficile à trancher, mais nous sommes convaincusque la plaignante a aussi raison sur ce point.

Fait intéressantà souligner, l'expression situation de famille ou état familial n'est pas définie dansla LCDP. Elle l'est cependant à l'alinéa 9(1)d) du Code des droits de la personne de l'Ontario: État familial : fait de se trouver dans une relation parent-enfant.

Cette expressiona aussi été interprétée dans Ina Lang et CCDP, [1990] 12 C.H.R.R. D/265, plus précisément au paragraphe5 de la page D/267 : Dans l'opinion du Tribunal, l'expression situationde famille comprend la relation parent-enfant.

L'avocate dela plaignante nous a mentionné les obligations d'un parent envers l'enfant qui découlent de la Loi de 1984 sur lesservices à l'enfance et à la famille, L.O. (1984), ch. 55, notamment desdispositions suivantes :

1. Les objectifs de la présenteloi sont les suivants :

A. Promouvoir principalement l'intérêt véritable de l'enfant, sa protectionet son bien-être;

Au paragraphe37(3), le législateur énumère les facteurs qui sont importants pour déterminer en quoi consiste l'intérêtvéritable de l'enfant, notamment :

.5 L'importance, en ce qui concernele développement de l'enfant, d'une relation positive avec son pèreou sa mère et d'une place sûre en tant que membre d'une famille...

.7 L'importance de la continuitéen ce qui concerne les soins à fournir à l'enfant, et les conséquencesque peut avoir sur lui une interruption.

L'avocate dela plaignante ne prétend pas que l'employeur est responsable des soins et de l'éducation des enfants. Ellesoutient

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cependant qu'il faut reconnaître, dans le contexte de la situationde famille, l'existence d'un équilibre entre les intérêtset les obligations découlant de l'article 2 et du paragraphe 7b) de la LCDP.

Un parent doitdonc évaluer avec soin comment il peut le mieux s'acquitter de ses obligations ainsi que de ses devoirs au sein dela famille. A cette fin, il doit demander à l'employeur del'aider pour qu'il réponde le mieux possible à ces besoins.

Il est donc facilede comprendre le dilemme évident auquel la famille moderne est confrontée. En effet, selon la tendancesocio- économique actuelle, les deux parents travaillent et sont souvent assujettis à des règles et à des exigences différentes. Plus souvent qu'autrement, en raison des demandes qui lui sont imposées commeparent, la mère doit chercher à atteindre cet équilibre délicatentre les besoins de la famille et les exigences liées à son travail.

De l'avis duTribunal, l'interprétation de l'article 2 de la LCDP en fonction de son objet consiste à reconnaître clairement,dans le contexte de la situation de famille, le droit et l'obligationdu parent de chercher à atteindre cet équilibre ainsi que l'obligationmanifeste pour l'employeur d'aider le parent à cet égard en fonctiondes critères énoncés dans l'arrêt Alberta Dairy Pool. Une interprétationmoins sérieuse des problèmes auxquels la famille moderne fait face dans le milieude travail enlèverait tout son sens au concept de la situation defamille comme motif de discrimination.

Au cours de saplaidoirie, l'avocat de l'intimé a admis sans peine l'existence de l'obligation d'accommodement énoncéedans l'arrêt Alberta Dairy Pool et a soutenu que l'intimé s'est effectivementconformé à cette obligation. L'avocat a résumé les rencontreset discussions survenues entre la plaignante, M. Lucas, M. Hedman et Kirk Palmer. Tout au long de la cause, l'intimé a prétendu qu'il n'y avaitpas eu de première rencontre informelle entre M. Hedman et la plaignante. Il a égalementfait valoir que l'obligation d'accommodement doit découler d'un avisclair de demande en ce sens et qu'il n'y avait pas suffisamment de preuve indiquant que cet avis avait été donné.

Subsidiairement,l'intimé a allégué qu'il a effectivement aidéla plaignante et s'est fondé à cet égard sur lesactions de MM. Lucas et Neville. De l'avis du Tribunal, ce raisonnement est dénuéde tout fondement. De toute évidence, d'après la prépondérancede la preuve, M. Hedman avait suffisamment d'autorité comme membre de la directionpour accéder rapidement à la demande de la plaignante, s'ille voulait. Selon nous, il a laissé l'animosité personnelle qu'il éprouvaità l'endroit de la plaignante l'emporter sur tout le reste et il a refusé de l'aider. L'intimé doit reconnaître sa responsabilité àl'égard des actions de M. Hedman.

Il est certainque M. Lucas a cherché à aider la plaignante; cependant, c'est grâce aux efforts personnels de son conjoint,qui a fait part de la situation à M. Neville, que Donna Mary Brown a finalementeu gain de cause. A notre avis, cette intervention de M. Brown n'auraitpas dû s'avérer nécessaire et cette conclusion nousconvainc encore davantage du fait que l'intimé a manifestement omis de chercher às'entendre avec la plaignante.

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En ce qui a traitau second volet de la plainte, qui concerne la situation de famille,, l'avocat de l'intimé afait valoir que la plaignante n'avait pas présenté de demande d'accommodementofficielle, même si elle a dit au cours de son témoignage qu'elle étaitallée voir Hedman et Palmer à ce sujet en avril 1985. Comme nous l'avons déjàindiqué, lorsque le témoignage de la plaignante est différent des commentairesde M. Hedman et de M. Palmer sur ce point, nous retenons la version de la premièreet nous concluons, encore une fois, que l'intimé a omis de se conformerà son obligation d'aider la plaignante en ce qui a trait à ce secondvolet.

En conséquence,compte tenu des faits démontrés et des règles de droit énoncées aux présentes, nous sommes d'avisque l'intimé a fait montre, à l'endroit de la plaignante Donna Mary Brown, de discrimination fondée sur les deux motifs mentionnés dans la plainteen date du 17 juillet 1985, au sens des articles 3 et 7 de la LCDP.

RÉPARATIONS

Compte tenu denos conclusions, nous estimons que les réparations suivantes sont appropriées en l'espèce.

  1. Préjudice général: la plaignante a droit à une indemnité de 1 500 $ pour le préjudice moral qu'ellea subi en raison de la pratique discriminatoire.
  2. Perte de salaire et d'avantages: il a été mis en preuve que la plaignante a perdu environ deux semaines desalaire après sa demande de mutation en 1984 et qu'elle a dûprendre un autre congé de maladie impayé de trois semaines aprèssa demande de mutation à un poste de jour. Entre avril et octobre 1985, ellea perdu son augmentation de salaire annuelle. En conséquence,nous ordonnons à l'intimé de rembourser à la plaignante le salaireet les avantages qu'elle a perdus à l'égard des périodesindiquées aux présentes, lesquelles pertes sont calculées dans la pièceHR-24. S'il y a un problème de calcul et que les parties ne peuvent s'entendreau sujet des montants accordés aux présentes, le Tribunalpourra se réunir à la demande de l'une ou l'autre des parties pour résoudrele différend.
  3. Intérêts : la plaignante a droit à des intérêts sur les sommes accordées conformément aux paragraphes1 et 2 qui précèdent selon le taux préférentiel de la Banquedu Canada en vigueur le 17 juillet 1985 et ces intérêts courront jusqu'àla date des présentes. Il s'agit d'intérêts devant êtrecalculés sur la base d'intérêts simples.
  4. Afin de prévenir d'autrespratiques discriminatoires similaires à l'avenir, nous ordonnons à l'intimé,conformément à l'alinéa 53(2)a) de présenter une preuve suffisante,pour la Commission canadienne des droits de la personne, de l'existence d'unepolitique d'accommodement appropriée à l'égardde la mutation des employés.
  5. L'intimé devra remettreà la plaignante une lettre d'excuses pour l'omission de l'avoir aidée, comptetenu des problèmes de santé qu'elle avait, et cette lettre d'excuses devraêtre versée dans son dossier personnel. Cette lettre d'excuses devrait constituerun avis suffisant interdisant aux représentants de l'intiméqui sont en situation d'autorité par rapport à laplaignante de continuer à violer l'article 59 de la LCDP, dont le libellé estle suivant : Est interditetoute menace, intimidation ou discrimination contre l'individu quidépose une plainte, témoigne ou participe de quelque façonque ce soit au dépôt d'une plainte, au procès ou

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aux autres procéduresque prévoit la présente partie, ou qui se propose d'agirde la sorte.

Nous désironsremercier les avocats, qui ont plaidé de façon consciencieuse et minutieuse les questions en litige en l'espèce.

Fait le 17 février1993.

CARL E. FLECK, c.r., président

PATRICIA HAYES, membre

AASE HUEGLIN, membre

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