Tribunal canadien des droits de la personne

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D. T. 1/ 81 TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE PRESIDENTE: PIERRETTE MOISAN

ENTRE:

EDNER MITTON, Plaignant et

FERNAND PARENT, RICHARD TRUDEL et LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE, Intimés

Entendu à Ottawa les 29, 31 janvier et 1er février 1980. Jugement rendu le 30 janvier 1981 >

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

Edner Mitton, âgé de 56 ans, occupait un poste de professeur de français auprès du Bureau des Langues du 5 septembre 1967 au 15 novembre 1978, date officielle de son congédiement.

M. Mitton, s’appuyant sur l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

ART. 7: Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou

b) de favoriser un employé, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

portait plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne le 30 mai 1978, laquelle Commission, après enquête, a formé le présent Tribunal suivant le pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé par les articles 39 et suivants (1) .

Le Tribunal fera une analyse des quatre principaux points sur lesquels le débat a porté, attendu qu’ils sont suffisants pour disposer de la plainte, à savoir:

... 2.. (1) Loi canadienne sur les droits de la personne

(1976- 77) 25- 26 Eliz. II ch. 33 >... 2..

I- La désignation de la partie intimée; II- Le Tribunal pouvait- il prendre connaissance des actes

posés antérieurement à la mise en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

III- Existait- il chose jugée? IV- La preuve des actes discriminatoires; I- La désignation de la partie intimée. La plainte telle que portée devant le Tribunal canadien des droits de la personne, indiquait un seul intimé La Commission de la Fonction Publique.

L’article 4 de la loi (2) Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 et 13 peuvent faire l’objet d’une plainte en vertu de la Partie III et toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l’objet des ordonnances prévues aux articles 41 et 42.

et l’aticle 41 (2) de cette même loi prévoyant les ordonnances que peut imposer le Tribunal utilise le même terme.

Article 41 (2) A l’issu de son enquête, le Tribunal qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l’article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire. etc:

et l’article 32 (1) reprend le même terme une personne (3) . ... 3.. (2) Loi canadienne sur les droits de la personne (1976- 77) 25- 26 Eliz. II ch. 33 (3) Art. 32 (1) - Sous réserves des paragraphes (5) et (6), les individus ou groupes d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peuvent déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

>... 3.. Dans la présente loi le législateur ne définit pas le mot personne sauf qu’à l’article 46( 3) (4) , il élargit sa définition du mot personne à une association patronale ou à une association d’employés. Mais la présente partie intimée n’entre pas dans le cadre de ces genres d’associations.

Si nous nous référons à la plainte telle que signée par M. Edner Mitton le 30 mai 1978 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, elle s’adressait directement à des personnes

"Je soussigné, Edner Mitton, ED- LAT- 01, professeur de français du Bureau des Langues, 800 Carson Rd, Ottawa, suite A, a des motifs raisonnables de croire que M. Fernand Parent, LAT- 3, Unité A/ 5, le ou vers juillet 1975, a commis un acte discriminatoire en ce qui concerne mes évaluations annuelles et mes rapports avec les étudiants..."

Cependant, la Commission canadienne des droits de la personne pouvait, par son pouvoir discrétionnaire, indiquer dans la plainte toute autre partie à titre d’intimée.

"La Commission peut prendre l’initiative de la plainte dans les cas ou elle a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire". (5)

Mais nous croyons qu’à cause du mot personne utilisé par le législateur, il serait plus prudent d’y indiquer les noms des individus tant et aussi longtemps que le législateur ne définira pas le mot personne.

Le procureur de la partie intimée, afin d’éviter de retarder indûment l’audition de la plainte, a consenti à ce que la plainte soit amendée, de sorte que la partie intimée soit: La Commission de la Fonction Publique, Messieurs Fernand Parent et Richard Trudel.

... 4.. (4) Art. 46 (3)- Les poursuites fondées sur les infractions prévues au présent article peuvent être intentées contre ou au nom d’une association patronale ou d’une association d’employés; à cette fin l’association est considérée comme une personne et toute action ou omission de ses dirigeants ou préposés dans le cadre de leurs pouvoirs d’agir pour le compte de l’association est réputée être une action ou omission de l’association.

(5) Art. 32 (3) Loi canadienne sur les droits de la personne >-

... 4.. Vu les conclusions auxquelles arrive le Tribunal sur l’issue de la plainte, il ne croit pas opportun de pousser plus loin l’étude du bien fondé de voir désigner à titre d’intimée la Commission de la Fonction Publique.

II- Le Tribunal pouvait- il prendre connaissance des actes posés par la partie intimée antérieurement à la mise en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne (6) ?

Cette Loi est en vigueur depuis le 1er mars 1978. La preuve révèle que plusieurs évènements ont pris place antérieurement à cette date et s’échelonnent plus spécialement du début de l’année 1976 au mois de novembre 1978.

L’évènement ultime qui a donné lieu à la plainte de M. Mitton auprès de la Commission canadienne des droits de la personne fut la lettre adressée à M. Edner Mitton le 9 mai 1978 par M. Roger Lapointe, directeur général de la Commission de la Fonction Publique du Canada, l’informant, par suite des pouvoirs qui lui étaient délégués, de sa recommandation à la Commission de la Fonction Publique, de son renvoi pour cause d’incompétence en vertu de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, document P- 10.

Cette lettre faisait suite à la recommandation de renvoi de M. Mitton pour incompétence de la part de M. Fernand Parent, chef, unité A- 5 et produite comme document P- 6.

La date effective du congédiement de M. Mitton apparaît aux documents P- 12 et P- 15, soit le 15 novembre 1978 puisque la date du 27 octobre 1978 arrêtée pour le renvoi de M. Mitton fut suspendue jusqu’au 15 novembre 1978.

Vu que le refus d’employer ou de continuer d’employer (7) est survenu après l’entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à savoir le 1er mars 1978, le Tribunal est habilité à connaître, non seulement de la plainte mais

... 5.. (6) (1976- 77) 25- 26 Eliz. II ch. 33 (7) Art. 7a (1976- 77) 25- 26 Eliz. II ch. 33 >... 5.. aussi de la suite logique des événements qui ont donné lieu à tel congédiement sinon le plaignant serait privé de prouver la conduite des intimés qui les ont amenés à faire cette recommandation dont ne pouvait vraiment se plaindre M. Mitton qu’une fois qu’il était effectif et final. Car scinder la décision de renvoi des évènements qui y ont donné lieu placerait le plaignant dans une situation impossible qui irait à l’encontre du but recherché par la présente loi.

Cette application de la loi a des évènements antérieurs semble ralier l’opinion de la Cour Fédéral d’Appel dans l’affaire Latif v. Human Rights Commission and Fairweather (8) .

"... Such a provision might well be considered necessary because of the volume of complaints that might be anticipated in the initial stage of the Act’s operation based on discriminatory practices in which persons were allegedly engaging at the time the Act came into force and during a period of time shortly thereafter. In that limited sense the Act could have a retrospective application - to discriminatory practices begun before the Act came into force but continuing on or after that date..."

D’où le présent Tribunal a compétence pour entendre de la plainte logée par M. Mitton et peut prendre connaissance de la chaîne des événements ayant donné lieu au congédiement du plaignant de façon définitive le 15 novembre 1978 et l’objection du procureur de la partie intimée est rejetée.

III- Existait- il chose jugée Il faut reconnaître que M. Mitton a très habilement exercé tous les recours, tant griefs syndicaux qu’appel des décisions rendues avant l’audition de sa plainte logée sous la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Tribunal ne peut que reconnaître et approuver l’attitude d’un individu ne recherchant que le respect de ses droits, mais le Tribunal espère qu’il ne s’agit pas d’un acharnement aveugle qui ne pourrait qu’enraciner

... 6.. (8) 1979 - 28 N. R. p. 494 page 513

Federal Court of Appeal 17 septembre 1979 no. A- 638- 78

>... 6.. le plaignant dans sa conviction d’une prétendue injustice à son égard. M. Mitton a exercé les recours suivants: Le 15 avril 1977, il forma un grief syndical à l’encontre de son évaluation dont l’audition a eu lieu en présence de M. Luc Bernier, délégué syndical, et ledit grief fut rejeté.

Le 16 février 1978, M. Mitton s’adressa à la Commission de la Fonction Publique, Direction Général des Appels, document P- 8:

"Par la présente, je désire en appeler de la recommandation de renvoi pour incompétence en vertu de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, décision qui m’a été communiquée par M. Fernand Parent, chef, unité A- 5, dans sa note de service du 15 février 1978..."

Le 17 février 1978, M. Mitton s’adressa à la Direction Anti- discrimination de la Commission de la Fonction Publique du Canada, document P- 12:

"Il existe entre M. Fernand Parent et moi un conflit de personnalité qui est arrivé à son paroxisme.

C’est ce qui l’a porté à formuler contre moi des évaluations non satisfaisantes et enfin une demande de renvoi. Je proteste contre son attitude contraire aux droits de l’homme et du citoyen. Jusqu’à ce jour, tout marchait bien et je ne suis pas conscient d’une détérioration tel qu’il l’a indiquée. Par conséquent, je suis profondément lésé."

Le 19 octobre 1978, le Président du Comité d’Appel de la Commission de la Fonction Publique rendit sa décision et rejeta l’appel de M. Mitton et confirma son renvoi pour incompétence.

Cette décision fut portée à la connaissance du plaignant le 24 octobre 1978, document P- 12, tandis que la date effective

... 7.. >... 7.. de son congédiement fut le 15 novembre 1978, document p- 15. Ensuite la Commission canadienne des droits de la personne débute son enquête et forme le présent Tribunal.

Il suffit de lire attentivement l’article 33 (9) pour se convaincre que les recours antérieurs exercés par le plaignant et les décisions rendues ne peuvent être une fin de non- recevoir de la présente plainte.

ART. 33- Sous réserve de l’article 32, la Commission doit statuer sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime la plainte irrecevable dans le cas où il apparaît à la Commission:

a) qu’il est préférable que la victime présumée de l’acte discriminatoire épuise d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont raisonnablement ouverts, ou b) que la plainte

i) pourrait avantageusement être instruite dans un premier temps ou à toutes étapes, selon les procédures prévues par une autre Loi du parlement...

Cet article fut appliqué à bon escient par la Commission canadienne des droits de la personne, document P- 13, dans lequel Pierrette Gosselin, agent des droits de la personne, par une lettre du 25 octobre 1978 s’adresse à M. Edgar Galant, président de la Commision de la Fonction Publique, dans les termes suivants:

(Extrait de la lettre) "Notre Commision avait alors consentie à retarder l’enquête jusqu’à ce que une décision (de la Direction des Appels) émane de cette instance.

Le 19 octobre 1978, M. E. Leclerc concluait au rejet de l’appel de M. E. Mitton.

... 8.. (9) (1976- 77) 25- 26 Eliz. II ch. 33

>... 8..

Il nous incombe présentement de procéder. Nous venons par la présente vous demander de bien vouloir suspendre l’exécution de la décision et de reporter la date du renvoi de M. E. Mitton jusqu’à ce que nous ayons terminé l’enquête qui s’impose."

La lettre du 14 novembre 1978, document P- 15, mit fin au surseoit de l’exécution de la décision de renvoi qui prenait effet à compter du 15 novembre 1978.

D’où, nonobstant la décision de la direction des Appels de la Commission de la Fonction Publique, le Tribunal canadien des droits de la personne pouvait entendre la plainte de M. E. Mitton et l’objection du procureur de la partie intimée est rejetée.

IV - La preuve des actes discriminatoires Le présent Tribunal n’a pas a décider si le plaignant fut renvoyé pour incompétence, mais doit analyser la preuve pour découvrir si les agissements des intimés, soit dans leurs évaluations annuelles, soit dans le support et l’aide qu’ils devaient apporter au plaignant ont posé à son égard des actes discriminatoires qui devaient conduire au renvoi de M. E. Mitton de la Fonction Publique du Canada.

Pour conclure à la discrimination dans le cas de M. E. Mitton il faut que les gestes posés par les intimés soient des motifs de distinction illicite basés sur la race, la religion, l’origine nationale ou ethnique, la couleur (10) car les autres distinctions ne sont pas pertinentes à la présente plainte.

Si nous examinons brièvement les évaluations de M. Mitton, ce dernier, dès l’année 1969 connaît des difficultés d’apprentissage et de transmission de son enseignement, document P- 16. (Rapport de Roger Lapointe à Paul Jodouin, 4/ 7/ 69).

... 9.. (10) (1976- 77) 25- 26 Eliz. II ch. 33 art. 3 >... 9..

"M. Mitton a éprouvé des difficultés assez sérieuses à s’adapter aux méthodes audio- visuelles et à l’enseignement aux adultes.

Au cours de l’année nous l’avons retiré de la salle de classe et pendant une semaine, nous avons travaillé de très près avec lui afin de parfaire sa formation et lui aider à corriger les faiblesses que nous avons relevées dans son enseignement. Il a pris à coeur les remarques que nous lui avons faites et a su profiter pleinement de cette semaine de formation. Son enseignement s’est amélioré d’une façon remarquable et, à présent, je dois dire qu’il se place dans la moyenne des professeurs.

Il a toujours très bien collaboré avec la direction de l’école et a manifesté, en tout temps, un bel esprit d’équipe. Si, M. Mitton continue à faire des efforts pour améliorer ses techniques, il deviendra un de nos meilleurs professeurs. (4/ 7/ 69 Roger Lapointe)."

Et pourtant, M. Mitton est professeur de langue depuis septembre 1967. L’évaluation du 12 mai 1971 faite par M. Fernand Parent, document P- 17, démontre une fois de plus les difficultés rencontrées par M. Mitton.

"M. Mitton ne démontre pas assez d’intérêts à l’enseignement...

Trop souvent des étudiants seuls ou en groupes (délégation) ont demandé de changer de professeur. On affirme que M. Mitton est ennuyant, manque de vie et d’entrain, est mal préparé et organisé dans son travail; enfin, qu’on perd son temps dans sa classe..."

M. Fernand Parent, dans l’évaluation du 29 avril 1976, document P- 18, nous dit de M. Mitton: Quand il s’en donne la peine, il donne une leçon acceptable et s’ajoute une note de service adressée à M. Mitton qui parle par elle- même.

... 10.. >... 10..

(Extrait) Un professeur a qui on ne confie pas un groupe d’étudiants phase après phase après phase devrait se poser des questions. Il semble que ça ne vous inquiète pas. Cependant c’est une situation qu’il faut régler sans plus tarder.

(plus loin, même extrait) Si par contre, ni étudiants, ni chefs d’équipes ne vous acceptent à l’enseignement régulier, il faudra prendre les mesures qui s’imposeront alors.

L’évaluation signée par M. Richard Trudel le 15 avril 1977, document P- 19, où ce dernier fait part, non seulement des griefs des étudiants, mais aussi des pressions exercées par les professeurs afin que M. E. Mitton ne soit pas leur coéquipier.

Malgré les évaluations peu satisfaisantes, M. Roger Lapointe, dans un effort supplémentaire, donna des directives pour réaffecter à une classe M. Mitton et l’informa qu’une nouvelle évaluation serait faite en décembre 1977, document P- 32.

Malheureusement, l’évaluation de M. Mitton par M. Fernand Parent le 19 décembre 1977, document P- 5, ne fait que constater que malgré les efforts de tous, les groupes d’étudiants, les professeurs coéquipiers continuent à se plaindre et ne veulent pas de M. Mitton.

Au cours de son témoignage, M. Richard Trudel a fait voir l’attitude fermée de M. Mitton qui ne voulait pas accepter ses remarques ou celles faites par les étudiants, l’obligeant presque à exiger la preuve du manque de satisfaction des étudiants, ce à quoi M. Trudel s’est soumis en leur demandant de mettre par écrit leurs griefs et de les signer afin qu’il puisse les présenter à M. Mitton.

D’ailleurs, tout au cours du témoignage de M. Mitton, on ne peut déceler que les agissements de M. Parent ou de M. Trudel dénotent chez eux une attitude discriminatoire.

... 11.. >... 11.. Au contraire, plusieurs avertissements furent donnés à M. E. Mitton, plusieurs chances d’insertion dans des classes lui furent accordées et même la lecture des évaluations fait voir les difficultés d’enseignement et d’adaptation de M. Mitton sans qu’on puisse y déceler la moindre trace de conduite discriminatoire à son égard.

En révisant les témoignages rendus au cours des auditions, en relisant les évaluations faites par M. Parent et M. Trudel, en aucun temps on a pu déceler une attitude, une conduite, un comportement ou une façon de penser qui nous permettrait de conclure qu’ils ont même tenté d’exercer quelque discrimination que ce soit à l’égard du plaignant.

D’où la plainte de M. Edner Mitton est rejetée. Sans frais. Rendu à Ottawa, ce vingt- sixième jour de janvier, mil neuf cent quatre- vingt- un.

PIERRETTE MOISAN, présidente du Tribunal des droits de la personne.

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